SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

A l’origine, que certains situent sous Philippe-Auguste au XIIème siècle, la maréchaussée (c’est le nom que portera l’institution jusqu’en 1791) n’est qu’une police et justice militaire au sens strict et habituel qu’ont encore ces termes aujourd’hui. Ce système va évoluer progressivement pour finalement donner naissance en 1791 à la Gendarmerie nationale. Dans cette évolution on peut distinguer trois temps.

  1.  LES PREVÔTS DES MARECHAUX(des origines au début du XVIème siècle)

Au Moyen-Age le schéma qui permet de situer l’institution prévôtale est le suivant. Le connétable, « ministre de la guerre » du roi, a sous ses ordres un maréchal. Ce maréchal a, auprès de lui, pour assurer la justice et la police des gens de guerre qu’il commande, d’un prévôt qui, pour exercer ses fonctions, dispose d’un petit groupe d’archers. Les attributions du prévôt comportent la justice et la police des gens de guerre. Elles visent essentiellement à éviter les pillages et les exactions commises par ces derniers à l’occasion et à l’issue des guerres. Rappelons que la première armée permanente et sa répartition en garnison n’apparaît qu’en 1439 (Charles VII).

Au XIVème siècle il n’existe qu’un seul maréchal et donc un seul prévôt, mais dès 1357, des lettres du 15mai parlent des prévôts des maréchaux « députés en raison de la guerre ». Au XVème siècle, on trouve plusieurs maréchaux et au début du règne de François 1er, l’institution comporte six prévôts des maréchaux :

– le prévôt de l’Hôtel (à la cour du roi)

– le prévôt de la connétablie et maréchaussée de France, ou grand prévôt (100 archers).

– 4 prévôts des maréchaux aux armées

. 1 à la suite du connétable (50 archers)

. 3 à la suite de chaque maréchal (20 archers chacun)

soit un total de 200 à 300 archers.

Les prévôts des maréchaux n’ont pas, à cette époque, de compétence territoriale.

La fonction prévôtale, ainsi comprise, va perdurer tout au long de l’histoire de la gendarmerie. On retrouve en effet les prévôtés attachées aux armées, bien évidemment dans toutes les campagnes napoléoniennes, dans toutes les campagnes coloniales, au cours de la Grande Guerre puis de la Deuxième Guerre mondiale. Plus récemment, elles furent ou sont encore présentes en Bosnie, au Kosovo, au Liban….

  1. LES MARECHAUSSEES PROVINCIALES( XVIème – XVIIème siècle)

Au début du XVIèmesiècle, un système de maréchaussées territorialisées se met progressivement en place. Ces maréchaussées provinciales vont être généralisées, voir leurs attributions étendues puis décliner à la fin du XVIIèmesiècle.

21/  Les raisons de la création des maréchaussées provinciales.

   La persistance et le développement de la violence organisée en bandes dans le sillage des guerres ou autour des garnisons. Rappelons-nous, dèjà en 1366, Du Guesclin ne parvenait à débarrasser le royaume des Grandes Compagnies qu’en les conduisant en Espagne. Les troubles causés par de telles bandes continuent au XVème siècle et au début du XVIème. Pour les réprimer, on utilise occasionnellement l’armée. Ainsi le 27 octobre 1522, le maréchal de France de la Rochepot reçoit l’ordre de se transporter dans « les bailliages et sénéchaussées où il sera averti que se trouvent des bandes d’aventuriers, gens de guerre, pillards, vagabonds…pour en faire punition rigoureuse et exemplaire »

   On utilise aussi les prévôts des maréchaux. Ainsi en 1518, le prévôt général de la connétablie marche en divers points du royaume contre « plusieurs grosses bandes de vaccabonds, volleurs, pilleurs, larrons, adventuriers mal vivans sur le povre peuple ». Le 15 novembre 1525, il est prescrit au lieutenant général du grand prévôt des maréchaux de « se rendre en Bourgogne et Champagne et autres pays où des aventuriers et vagabonds sont assemblés et se livrent au pillage, de lever dans les bailliages et les sénéchaussées par où il passera, le ban et l’arrière-ban, les francs-archers, les gens des ordonnances, les communautés de ville et de paroisse pour combattre et disperser les dits aventuriers ».

   L’incapacité de la justice ordinaire à faire maintenir l’ordre. Le développement  des exactions des bandes en est une preuve ; preuve confirmée, plus tard, dans une lettre du 26 mai 1537 expliquant que l’extension des compétences des maréchaussées avait été nécessitée par la négligence des baillis et sénéchaux à punir les vagabonds.

22/  Des premières maréchaussées provinciales à l’extension de compétence de 1536

     C’est Louis XII qui créa les premières maréchaussées provinciales (ordonnance du 20 janvier 1514) avec une compétence territoriale définie. Il est ainsi à l’origine de la première adaptation de ce qui deviendra le système de la gendarmerie : sa territorialisation. François 1er poursuit cette politique et institue des maréchaussées dans tout le royaume.

   En 1536, l’extension considérable de la compétence de ces maréchaussées provinciales marque une autre étape décisive dans l’histoire de la maréchaussée/gendarmerie. En effet la déclaration du 25 janvier 1536 étend la compétence des maréchaussées à la connaissance des crimes commis par toute personne « de quelque état ou condition qu’ils soient…qu’ils aient domiciles…ou fussent errants ou vagabonds… ». Il n’est plus seulement question des gens de guerre.

   Cette extension s’explique aisément. Bien que les prévôts des maréchaux n’aient pas eu à l’origine juridiction sur les vagabonds, on a vu que dès les premières années de son règne François 1er attribua parfois cette juridiction à certains d’entre d’eux. Comme il devait être assez difficile de distinguer nettement les gens de guerre qui se débandaient pour vivre sur le peuple, des vagabonds, voleurs et guetteurs de chemins, on imagine assez facilement comment le roi fut amené à donner définitivement aux prévôts cette juridiction, y compris sur les « domiciliés » éventuellement complices, et même comment on en vint à créer des prévôts sédentaires, ayant un territoire désigné, dans le but de purger les provinces des vagabonds en leur faisant une chasse continue. Jusqu’alors les prévôts n’avaient aucun ressort particulier, ainsi que l’avait spécifié notamment un arrêt du Parlement de Paris de l’an 1388.

23/  Le développement des maréchaussées provinciales.

   Le développement des maréchaussées provinciales et l’extension de leur compétence eurent plusieurs effets.

   Tout d’abord, l’efficacité inhérente à la procédure prévôtale contribua largement à ramener l’ordre. Jugeant en dernier ressort (pas d’appel) ; caractérisée par trois termes ; célérité, sévérité, exemplarité ; caricaturée ultérieurement en justice des 3 P (pris, puni, pendu) ; elle apparaît comme une justice et une police d’exception.

   D’où, bien évidemment, les récriminations des justices ordinaires des bailliages et sénéchaussées qui protestent.

   Une autre question rapidement à l’ordre du jour : qui paie ? Les parlements provinciaux ou le roi. En fait, on vit rapidement apparaître deux types de maréchaussées provinciales. Les maréchaussées provinciales royales payées sur les fonds provenant de l’impôt du taillon, prévu pour la solde des troupes, les maréchaussées diocésaines payées par les assemblées de diocèse.

   A titre d’exemple, en 1579, la maréchaussée du Languedoc etait composée comme suit :

– une maréchaussée royale avec un prévôt général, 3 lieutenants et 50 archers

– des maréchaussées diocésaines avec un lieutenant du prévôt général et quelques archers payés par le diocèse.

24/  L’exécution du service.

– le jugement prévôtal.

Les procès des crimes ou cas prévôtaux, étaient instruits et jugés de la façon suivante. Le prévenu arrêté, soit en flagrant délit, soit par décret de prise de corps à la suite d’une plainte, il était fait, en présence de deux voisins, l’inventaire des effets trouvés sur lui. Dans les vingt-quatre heures de la capture, il était interrogé par le prévôt assisté de son assesseur. Au début de l’interrogatoire, le prévôt déclarait à l’accusé qu’il entendait le juger prévôtalement, c’est-à-dire en dernier ressort. Dans les trois jours, le prévôt devait faire juger sa compétence au présidial dans le ressort duquel la capture avait été faite. Le jugement de compétence était rendu par sept juges au moins, après avoir ouï l’accusé. Si le prévôt était déclaré compétent, il procédait immédiatement à l’instruction qui comprenait : un nouvel interrogatoire, l’audition des témoins, le recollement de ces témoins et leur confrontation à l’accusé. Ensuite, celui-ci était jugé au plus prochain siége royal, par sept juges au moins, y compris le prévôt, sauf pour le crime de duel où il n’y avait que cinq juges. Les sentences des jugements qui pouvaient intervenir étaient intitulées au nom du prévôt. Si l’accusé était appliqué à la question, le procès-verbal était fait par le rapporteur en présence d’un conseiller du siége et du prévôt. Enfin, en cas de condamnation à peine corporelle, le condamné était remis au prévôt qui la faisait immédiatement appliquer par l’exécuteur de justice.

– les grandes chevauchées (voir annexe).

25/  Le déclin des maréchaussées provinciales.

Pour faire court, simplement deux extraits de documents.

Le premier est tiré du mémoire adressé, en 1698, par l’intendant du Languedoc, Lamoignon de BASVILLE, au Conseil du roi :

« Il n’y a rien de si mauvais que les maréchaussées de Languedoc, quoiqu’il y ait plus de fonds qu’il n’en faut pour les rendre bonnes. Il y en a qu’on appelle générale, dont le prévôt a été interdit et a donné sa démission. Il y en a d’autres qui se prétendent provinciales, à Toulouse, à Nismes, à Carcassonne, à Albi et à Limoux. Il n’y a entr’eux aucune subordination ; ils se prétendent tous chefs dans leurs départements. Outre les prévôts payés par le Roi, il y en a encore payés par les diocèses, et tout cela ne donne pas un homme sur qui l’on puisse compter. J’avais envoyé à M.de Launoy un plan pour réformer toutes ces maréchaussées, et les mettre sous un prévôt général avec un certain nombre de lieutenants pour chaque canton ; sa mort a interrompu ce projet. Je l’ai envoyé, depuis, à M.Leblanc, qui a grande envie de l’exécuter, à ce qu’il m’a mandé ; mais il a des vues pour une réforme générale de toutes les maréchaussées du royaume. »

Le second est extrait du préambule de l’édit de mars 1720 qui réforme totalement les maréchaussées.

« …mais ayant été informé que la multiplicité de ces compagnies, avec création d’officiers sous différents titres, faisait naître entre eux des contestations, sous prétexte d’indépendance les uns envers les autres et que la modicité des gages et solde qui ont été attribués aux Archers et le peu d’exactitude dans leurs paiements, les a obligés à s’attacher à d’autres emplois, ce qui cause un si grand relâchement dans la discipline et le service auquel ces compagnies étaient destinées, qu’étant indispensablement nécessaire d’y remédier, nous avons cru qu’il convenait de supprimer toutes ces anciennes compagnies pour en établir de nouvelles… » 

  1. LES NOUVELLES MARECHAUSSEES

La réforme des maréchaussées provinciales était devenue nécessaire. C’est Claude Leblanc, secrétaire d’Etat à la guerre, qui la réalisa en 1720.

31/  Qui est Claude LEBLANC ?

Claude LEBLANC(1669-1728) est un modèle de grand serviteur du roi. Membre du parlement de METZ en 1696, maître des requêtes au conseil du roi de 1697 à 1704, il devient intendant de la généralité d’Auvergne à cette date puis intendant des Flandres Maritimes de 1708 à 1715. Il sera de nouveau au conseil du roi 1715 et devient secrétaire d’état à la guerre en 1718. C’est en Auvergne, où il sera aux prises avec des bandes armées très dures que Leblanc directement concerné par des problèmes de sécurité publique, commencera à concevoir une réforme des maréchaussées qu’il pourra, lorsqu’il deviendra secrétaire d’Etat à la guerre, mettre en œuvre.

32/  L’édit du 9 mars 1720 et l’ordonnance du 16 mars 1720.

Les grandes caractéristiques de la réforme. :

– suppression des maréchaussées provinciales par rachat des charges des

  prévôts et archers ;

– reconstitution des effectifs par réadmission des meilleurs des révoqués

  (1000 sur 2000 environ) et admission de nouveaux archers et officiers (2000

  nouveaux).

– révision du système de rémunération :  solde pour les archers et frais de

  déplacement.

– réorganisation territoriale

– restauration de la discipline

– organisation « nationale » : mêmes uniformes, mêmes règles d’exécution

  du service…

33/  La militarisation progressive de la maréchaussée.

– le recrutement parmi d’anciens militaires

– l’obligation de vivre en caserne