D’après les documents, les photographies et les archives de l’auteur qui a commandé le détachement prévôtal de Djibouti du 5 juillet 1990 au 15 juillet 1993.

Insigne de poitrine du groupement de gendarmerie du TFAI (3 juillet 1967)
Le 7 avril 1971, le gendarme Célestin Marnat de la brigade de Tadjourah est mortellement blessé par deux détenus évadés de prison qui, dans leur fuite, ont pris en otages le commandant de Cercle et son épouse. Le procès-verbal d’information judiciaire n° 33/O.P.J. du 7 avril 1971 de la brigade de gendarmerie de Tadjourah en décrit les faits et circonstances.
À Djibouti, Côte française des Somalis, la visite du général de Gaulle, en 1966, provoque des troubles à l’ordre public et de nouveaux clivages apparaissent. Ahmed Dini devenu leader du parti d’opposition de l’UDA (Union démocratique Afar) se joint aux Somalis groupés au sein du PMP (Parti du mouvement populaire) pour réclamer l’indépendance. Hassan Gouled Aptidon rejoint le PMP avant le référendum de 1967, dont les résultats sont accueillis avec satisfaction en Éthiopie, puisqu’ils maintiennent le statu quo.

Djibouti 1967 – Défilé de 2 pelotons d’un escadron de GM déplacé (© Musée de la gendarmerie)
La Côte française des Somalis décide donc de rester un territoire d’outre-mer qui devient le TFAI le 3 juillet 1967 en adoptant un nouveau statut. Le gouvernement somalien, quant à lui, accuse les autorités françaises d’avoir truqué la consultation. En fait, l’administration française a entrepris, depuis le passage du général de Gaulle, une action énergique pour éliminer l’influence Issa ; la garnison est renforcée en militaires et en gendarmes mobiles venant de métropole. Un barrage de barbelés est installé autour de Djibouti (Balbala) pour filtrer les immigrants et les Somalis. Ceux qui ne sont pas en situation régulière sont expulsés. Des violents incidents se multiplient entre la population et les forces de l’ordre. D’après les chiffres officiels, ces incidents auraient fait 43 morts en quelques mois. Au cours des affrontements, le garde auxiliaire de 4e classe Ahmed Mohamed Hassan du groupement de gendarmerie de la Côte française des Somalis est mortellement blessé par arme à feu le 26 août 1966 alors qu’il participe activement à des opérations de rétablissement de l’ordre à Djibouti.

Avant d’entrer en ville, les populations autochtones sont contrôlées au barrage tenu par des gendarmes métropolitains et auxiliaires indigènes. Ce barrage de barbelés à été installé à la suite de diverses menées indépendantistes (© LPC Gendarmerie)
Dès lors, toutes les consultations électorales sont marquées par des victoires de plus en plus nettes du parti profrançais du président Ali Aref Bourhan (Afar). Début mai 1968, ce dernier échappe à un attentat dans Djibouti. Après une enquête diligentée par la gendarmerie, les auteurs sont arrêtés et incarcérés à la prison civile de Tadjourah. Le 7 avril 1971, l’un d’eux (Ali Guelleh Dirir né à Angallah en Somalie) s’évade avec un autre détenu après avoir agressé un gardien et dérobé deux fusils MAS 36 et cinq cartouches. Les criminels s’enfuient à bord d’une Land Rover de l’administration conduite par monsieur Delmotte, commandant du Cercle de Tadjourah pris en otage, après avoir mortellement blessé par balle le gendarme Marnat de la brigade de cette circonscription qui tentait de les désarmer. Madame Delmotte, accompagnée du commandant de la brigade de gendarmerie et de plusieurs employés du Cercle, se lancent à la poursuite des fuyards qu’ils rejoignent à quelques kilomètres de Tadjourah. Ces derniers demandent un parlementaire et, par crainte d’une réaction brutale, madame Delmotte se présente seule pour s’entendre réclamer quarante litres d’essence. De retour de Tadjourah où elle est allée chercher du carburant pour satisfaire les volontés des évadés, elle invite les personnes l’accompagnant à s’éloigner du véhicule. Madame Delmotte est alors également prise en otage et le véhicule prend aussitôt la direction des pistes du Goubet et de Randa.

Contrôle au barrage de barbelés de « Balbala » installé avant la ville de Djibouti pour filtrer les immigrants et les Somalis.
L’alerte est immédiatement donnée et des renforts en gendarmes mobiles venant de Djibouti sont acheminés sur Tadjourah par hélicoptère H 34. Les éléments arrivent respectivement sur place à 9 heures, 9 heures 15 et 9 heures 30 et le corps du gendarme Marnat est évacué sur l’hôpital militaire de Djibouti par la rotation de 9 heures 30. Pendant que les enquêteurs commencent leurs investigations et que la poursuite des malfaiteurs s’organise par les pistes, l’hélicoptère de la gendarmerie survole leur véhicule et les observateurs héliportés indiquent sans interruption sa position. À 11 heures, le Haut-commissaire fait remettre un message aux évadés par l’intermédiaire d’un garde territorial de Tadjourah acheminé par hélicoptère. Il leur demande de libérer monsieur Delmotte et son épouse en échange de la vie sauve et les avertit de la menace qui pèse sur eux s’il arrive quoique ce soit aux otages. Cette demande reste sans effet et les évadés poursuivent leur route. À 12 heures 15, les fuyards prennent la direction de la frontière somalienne. Le P.C et les renforts sont alors déplacés à Ali Sabieh.

Au centre-ville de Djibouti les gendarmes en service de surveillance de la circulation routière (© LPC Gendarmerie).
Le commandant de Cercle et son épouse sont ensuite libérés sains et saufs, mais les évadés réussiront à quitter le territoire. Cette affaire fait indirectement une deuxième victime, le maréchal des logis-chef Hobart de la brigade des recherches de Djibouti, décédé d’un infarctus du myocarde au cours de l’enquête le 7 à 23 heures 59.
Nota : qu’est-ce qu’un Cercle ?
Il faut revenir sur le fonctionnement de l’administration française dans les territoires de l’Union afin de connaître la définition du Cercle et son organisation. Chaque territoire a son gouverneur implanté à la capitale administrative. Les territoires sont divisés en Cercles qui selon leur étendue comportent une ou plusieurs subdivisions. L’étendue d’un Cercle est variable, elle peut être celle d’un département de métropole, voire de plusieurs. Le Cercle est placé sous la responsabilité d’un commandant de Cercle ou administrateur qui a le rang de Préfet assisté d’un ou plusieurs adjoints. Les subdivisions ont à leur tête un jeune administrateur en début de carrière. Le commandant de Cercle exerce au chef-lieu du territoire et dispose d’une administration importante surtout constituée de fonctionnaires indigènes. Depuis la guerre, l’administration a connu une certaine expansion par la création de tribunaux appelés soit justice de paix à compétence restreinte, soit justice de paix à compétence étendue, genre de tribunal correctionnel. La particularité de ces tribunaux réside dans le fait que le juge instruit et juge les affaires qui lui sont soumises, ce qui est en contradiction avec la procédure pénale métropolitaine où un juge d’instruction ne peut en aucun cas statuer sur une affaire instruite par lui. Chaque Cercle possède sa prison placée sous la surveillance des gardes de Cercle.
En ce qui concerne le TFAI, l’organisation administrative est la suivante jusqu’à son indépendance le 27 juin 1977 :

Position du TFAI (Djibouti) dans la corne de l’Afrique (décret du 20 mars 1896)
- Le territoire d’Obock est vendu à la France par le traité du 11 mars 1862, signé par les sultans de Tadjourah, de Raheïta et Gobaad.
- La colonie d’Obock est administrée par un commandant des troupes de marine par décret du 18 juin 1884. Elle devient la colonie de Côte française des Somalis par décret du 20 mai 1896, avec Djibouti pour chef-lieu.
- Les districts Issa (1) et Dankali (2) sont constitués par arrêté du 12 février 1914. Le sultanat de Tadjourah et les territoires de Débenehs sont intégrés au district Dankali par arrêté du 7 novembre 1916.
- Des postes administratifs sont établis à Obock, à Tadjourah et à Gobaad-Dikkil par le décret du 25 mars 1927. Les districts Issa et Dankali sont supprimés par arrêté du 6 novembre 1928 qui crée le Cercle de Djibouti. Le poste de Dikhil comprend le territoire Issa et Dankali.
- Les trois postes constituent le Cercle des Adaels par arrêté du 24 décembre 1930.Le Cercle de Dikhil-Gobaad est créé par arrêté du 9 avril 1931. Le chef-lieu du Cercle des Adaels est fixé à Tadjourah par arrêté du 17 février 1932. Les Cercles de Tadjourah et d’Ali Sabieh sont constitués par arrêté du 19 janvier 1939.
- La Côte française des Somalis a le statut de territoire d’outre-mer de 1946 à 1977. Elle prend le nom de TFAI le 3 juillet 1967. Le Cercle de Djibouti devient un district mais les autres Cercles sont conservés : Tadjourah, Obock (créé en 1963), Dikhil et Ali Sabieh.
(1) Peuple Somali qui habite la Corne de l’Afrique : au sud de Djibouti, au nord du Somaliland et dans l’ouest de l’Éthiopie
(2) Peuple Afar, parfois appelé Danakil, qui occupe le nord de Djibouti et déborde largement sur l’Éthiopie et l’Erythrée.