SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

L’unification organique de la gendarmerie et de la police française sous une tutelle ministérielle unique à partir du 1er janvier 2009 fut annoncée à l’époque comme la condition nécessaire et suffisante d’une meilleure collaboration entre ces deux composantes de la force publique nationale. Pari, vœu ou injonction ? Les présupposés de ce postulat ne reposent pas, en tous les cas, sur l’étude historique de l’architecture du système policier français, ni sur celle des relations entre les acteurs de ces forces de l’ordre1.

Opération conjointe gendarmerie – police à Saint-Brieuc (22).
© MI DICOM / J. Groisard

La dualité police-gendarmerie, appréhendée par référence au paradigme du dualisme policier, constitue-t-elle un angle d’approche particulièrement opérant pour aborder les rapports entre ces deux institutions policières ? Après avoir vu le jour sous l’absolutisme monarchique, avec le développement séparé de deux forces, en charge de la sûreté l’une des campagnes (maréchaussées), l’autre des villes (guet et intendants de police en province, lieutenance générale de police à Paris), le dualisme policier a été adopté par les constituants en 1791 et n’a jamais été remis en cause par les régimes qui se sont succédés. Sous le Premier Empire et la Restauration, comme sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire, il est apparu comme un moyen de dissiper le risque d’omnipotence d’un ministre de la Police sous l’autorité duquel serait placé l’ensemble des gendarmes et des policiers2. Depuis l’époque révolutionnaire, la législation et la réglementation avaient imposé la nécessaire collaboration des commissaires de police et des gendarmes puisque la force armée des seconds avait besoin de l’autorité légale des premiers pour se manifester par l’intermédiaire de la réquisition préfectorale.

À partir des années 1890, en particulier après le drame de Fourmies, le 1er mai 1891, la mise au point d’un maintien républicain de l’ordre devient une préoccupation politique des pouvoirs publics. Ainsi, en dépit de la dualité de leurs institutions de rattachement, gendarmes et policiers furent amenés à collaborer étroitement, et ce par-delà les tensions passées. Les échanges mutuels de savoirs professionnels – notamment des nouvelles techniques d’anthropométrie judiciaire importées de la préfecture de police – et de revendications corporatives furent quelques-uns des effets de ces rapports conjoncturels entre militaires et civils. En effet, au fur et à mesure que reculait parmi les gendarmes la dépréciation du policier progressait concomitamment la valeur attachée à l’exercice de la police judiciaire. La création des brigades mobiles en 1907-1908 n’était évidemment pas pour rien dans cette inversion. Sous certains aspects, le maintien de l’ordre assuré de concert favorisa durant toute la Troisième république une relative « policiarisation » de la gendarmerie nationale et, réciproquement, une militarisation de la police3. Le train de lois et décrets du 19 avril au 17 juillet 1941 imposant une étatisation de la police, conforta encore un peu plus cette tendance.

La période de l’après-guerre, pour les polices, vit se mêler des éléments de continuité (achèvement de l’étatisation, augmentation de la présence policière, poursuite de la professionnalisation) et les bouleversements structurels (renouvellement du personnel, moindre proximité vis-à-vis de la population, guerre d’Algérie). Avec l’instauration de la Vème République, suite aux différentes mutations politiques, économiques et sociales intervenues, la police fut ainsi amenée à adapter ses missions traditionnelles et à redéfinir ses périmètres d’intervention. La montée en puissance des missions de police judiciaire de la gendarmerie4 et la complexité des règles de répartition des compétences territoriales (l’extension de compétence prévue par le code de procédure pénale face à la mobilité de la délinquance a favorisé la reconquête de la gendarmerie) furent dès lors sources d’une confrontation plus ou moins larvée entre les deux institutions.

Parallèlement à ce phénomène, nombre de rapports rédigés ces dernières années sur le fonctionnement du système policier français ont insisté sur l’intérêt de « renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie » (commission Tricot, 1973), ou encore d’ « organiser le cadre de concurrence et d’assurer la complémentarité des moyens » (commission Cabannes, 1988). S’inscrivant dans les objectifs des plans départementaux de sécurité (circulaire du 9 septembre 1993), cette volonté de rapprochement a été reprise dans la loi d’orientation sur la sécurité du 21 janvier 1995 et est également précisée, pour ce qui est de la police judiciaire, par le code de procédure pénale (décret du 25 janvier 1996). Sur le plan institutionnel, elle a été matérialisée par la création en mars 1992 d’un conseil supérieur de la police technique et scientifique et en 1996 d’un conseil de l’équipement et de la logistique5. Face aux évolutions de la délinquance, la police et la gendarmerie se sont par la suite, engagées vers une coopération accrue. La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 a marqué une nouvelle étape dans le rapprochement entre les deux forces, illustrée notamment par la création des Groupes d’intervention régionaux (GIR). Cette dynamique trouvera son point d’orgue avec la législation de 2009 et le rattachement de la Gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur.

Dès lors, l’évolution vers la fusion est-elle inéluctable ? La mutualisation des moyens, le regroupement de certaines fonctions et l’uniformisation qui en découle pourraient le laisser supposer. Or, dans les faits il n’en est rien, tant la singularité et la complémentarité de ces deux forces publiques n’ont eu cesse de s’affirmer au cours de cette dernière décennie.

(Avec l’aimable autorisation du SIRPA/gend)

1 Laurent LOPEZ, « Ce que fait le maintien de l’ordre aux gendarmes et aux policiers. La force publique sous l’effet d’une interaction professionnelle contrainte (1870-1914) », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, n°102, février 2009, Résumé.
François DIEU, La Gendarmerie, secrets d’un corps, Bruxelles, Éditions Complexe, 2002, pp. 177-178.
3 Sophie VICTORIEN, Ibid., pp. 4-5
4 À partir de 1958 la police judiciaire devint une « mission essentielle » de la gendarmerie. Des brigades de recherches seront créées en 1960 puis des sections en 1975. Il est à noter également la création en 1987 d’un centre de formation à la police judiciaire et, depuis 1990 d’un laboratoire de police judiciaire.
5 François DIEU, Ibid., pp. 199-201.