SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Texte intégral de l’éloge funèbre prononcé par Monsieur Gérald DARMANIN, ministre de l’Intérieur (28 décembre 2020) :

28 décembre 2020 : cérémonie d’hommage à Ambert (63)

« L’année 2020 s’achève dans la peine et le chagrin. Jusqu’au bout, elle nous aura meurtris. Après le major Mélanie Lemée, après ces gendarmes, policiers, militaires et sapeurs-pompiers morts pour le pays, la Gendarmerie nationale vient à nouveau de perdre trois des siens, trois des nôtres, dans des circonstances particulièrement dramatiques.

Aujourd’hui, ici, à Ambert, comme à Saint-Just, dans tout le Puy-de-Dôme comme dans l’ensemble du pays, l’émotion est immense. Elle l’est dans la Gendarmerie, au sein du ministère de l’Intérieur, mais elle l’est, aussi, bien au-delà, car cette tragédie touche la Nation tout entière. Et c’est bien la Nation qui aujourd’hui pleure la perte de trois de ses fils.

Trois gendarmes tombés en mission, animés par le service de la France. Trois gendarmes désormais liés à jamais dans nos mémoires. Trois vies sacrifiées pour en sauver une autre et, malgré notre peine, il faut le dire : il n’y a pas plus noble sacrifice que celui-là.

Le lieutenant Cyrille Morel, l’adjudant Rémi Dupuis et le tout jeune brigadier Arno Mavel sont allés au bout de leur engagement. Ils ont tout donné, jusqu’à leur vie, pour accomplir leur mission. Parce qu’ils étaient des gendarmes. Parce que c’était leur vocation. Parce qu’ils étaient intimement convaincus du sens de leur devoir.

C’est cela, Mesdames et Messieurs, être gendarme : répondre présent à l’appel de nos concitoyens, d’où qu’ils viennent et où qu’ils soient, quand ils se trouvent dans la détresse ou le péril. S’exposer soi-même pour le bien de tous. Parce que si vous ne le faites pas, qui le fera ?

Quand on est gendarme, il n’y a jamais d’intervention banale. Chaque appel peut réserver son lot d’incertitudes. Toute intervention, même la plus anodine en apparence, est susceptible de basculer dans le drame. D’autant plus quand les tensions et les violences se multiplient dans notre société, ciblant tout particulièrement les forces de l’ordre. Vous ne savez donc jamais de quoi une journée sera faite, ni quelles situations vous allez rencontrer. Cela, c’est à la fois le risque et la noblesse qui s’attachent à la mission de sécurité du quotidien.

Trop souvent les forces de l’ordre sont critiquées. On rejette sur eux la violence contenue dans la société. Mais nous savons tous ici que l’immense majorité des Français soutiennent, encouragent, aiment leurs actions.

Parce que « nos gendarmes » comme on dit ici à Ambert, nos policiers, nos pompiers sont les filles et les fils du peuple, les soldats de l’An II qui protègent et interviennent pour sauver l’enfant, protéger la femme, secourir l’accidenté.

Parce qu’ils sont ces héros du quotidien qui payent de leur sang, 30 blessés par jour !, le port de l’uniforme de la République et la vocation qu’ils ont chevillé au corps de servir la France.

Parce que chaque matin partant au travail, ils ne savent pas s’ils vont retrouver leurs familles, leurs enfants, leurs amis, en croisant la folie malfaisante lors d’une intervention, alors qu’ils étaient là pour apaiser les maux de la société et porter secours à ceux qui appellent à l’aide.

Respecter les forces de l’ordre, les protéger, les défendre n’est pas une option. Non, militaire, gendarme, policier n’est pas un métier comme les autres : c’est le plus beau d’entre tous, celui qui engage à chaque coin de rue le sacrifice ultime de soi-même.

Première ligne et dernier recours, vos trois camarades l’étaient, comme ils l’ont été tout au long de leur carrière et jusqu’à leur dernier souffle.

Première ligne et dernier recours, sans relâche ni répit, comme une promesse faite aux Français, comme un pacte que chaque gendarme, chaque policier, signe avec lui-même.

Première ligne et dernier recours, c’était le sens même de leur intervention, ce soir-là du 22 décembre, afin de porter secours, dans le village de Saint-Just, à une femme menacée par son conjoint violent.

Ce soir-là en effet, alors que nos concitoyens se préparaient à fêter Noël, vos trois camarades, eux, partaient en intervention, avec les autres militaires de la compagnie d’Ambert. 

Une femme craignait pour sa vie. Fuyant le danger, elle était parvenue à se réfugier sur le toit de sa maison. L’agresseur était lourdement armé, dangereux et déterminé à nuire. La situation était donc difficile.

Alertés, les premiers gendarmes de la Brigade de proximité d’Ambert se rendent sur place. Même si l’intervention fait malheureusement partie des 300 interventions pour violence conjugale que réalisent chaque jour les gendarmes, ils savent que la scène sur laquelle ils arrivent peut ici se révéler périlleuse. Raison pour laquelle, très rapidement, d’autres militaires des PSIG d’Ambert, de Thiers et de Clermont-Ferrand, de la Brigade territoriale d’Antheme, ainsi qu’un négociateur spécialisé, les rejoignent sur les lieux pour leur prêter main forte.

Chacun est à sa place, chacun est dans son rôle. Tous sont des gendarmes chevronnés qui connaissent leur travail. Ils sont prudents, attentifs, conscients de l’urgence et en même temps des risques, dans la maîtrise et le sang-froid. Un périmètre de sécurité est ainsi mis en place. Le collectif est solide, et le dispositif tactique adapté à la complexité de la situation.

Malheureusement, le criminel est en proie à la folie meurtrière. Dans cette nuit noire, équipé comme un tueur professionnel, il a l’avantage du terrain et celui de la surprise. Il met d’abord le feu à la maison dans le but de tuer sa compagne, avant de tenter de prendre la fuite. C’est au cours de ce périple meurtrier qu’il déclenche un déluge de feu sur les gendarmes, lesquels ripostent. Le brigadier Mavel est grièvement touché, tandis que l’adjudant-chef Bertrand Boyon, à ses côtés, est blessé. Puis, après avoir été empêché dans sa fuite, le criminel tire à nouveau, quelques instants plus tard, cette fois sur le lieutenant Morel et l’adjudant Dupuis. Pris sous le feu du forcené, ils s’écroulent à leur tour.

Le lieutenant Morel, l’adjudant Dupuis et le brigadier Mavel ont donné leur vie dans cette intervention. Mais ils ne l’ont pas fait en vain. Car, avec tous les gendarmes déployés sur le terrain, ils ont réussi la mission. Ils ont sauvé la vie de cette femme. La maison était en train de brûler, le toit était sur le point de s’effondrer. Si la victime est aujourd’hui saine et sauve, c’est grâce à eux, tout simplement. C’est grâce à ces trois hommes, c’est grâce à tous leurs camarades engagés cette nuit-là, qui tous ont fait ce qu’il fallait, dans des conditions que l’on a peine à imaginer et que l’enquête en cours viendra préciser.

Cyrille Morel, Rémi Dupuis et Arno Mavel sont morts en accomplissant leur devoir. Ils sont tombés comme ils ont vécu : en gendarmes, en soldats de la loi. Fidèles à leur serment de protéger les Français en toutes circonstances. Fidèles à leur engagement de toute une vie.

Le lieutenant Cyrille MOREL exerçait en gendarmerie départementale depuis sa sortie de l’école de sous-officiers, il y a plus de 20 ans. D’abord dans le département de l’Aude, au sein de la brigade de Tuchan. Puis dans le département du Puy-de-Dôme, au sein des brigades de Saint-Amant-Tallende et de Combronde. Il y avait gravi les grades de sous-officier jusqu’à celui d’adjudant-chef. Impliqué dans tous les domaines, il s’était forgé, au cours des années, une forte expérience en unité départementale.Ce bon vivant au grand coeur, solide dans l’action, était un véritable meneur d’hommes. Grand sportif, passionné de sports extrêmes et grand supporter de rugby, il avait le goût du dépassement de soi. Il était aussi exigeant envers lui-même qu’envers les autres, toujours pour rendre le meilleur service à la population. C’est dans cet esprit qu’il avait décidé de devenir officier en 2017.

Commandant la communauté de brigades d’Ambert pendant deux ans, il avait été promu commandant en second de la compagnie de gendarmerie départementale d’Ambert en juillet 2019. Il s’y était révélé un chef remarquable. Passionné par son métier de gendarme, tout particulièrement impliqué dans la vie locale, connu et apprécié de tous, élus, population, supérieurs comme subordonnés. Il avait le sens du service public et de l’engagement chevillé au corps. Et jusqu’à cette tragique nuit du 22 décembre, il mena toujours ses hommes avec courage et responsabilité. Parce qu’à l’évidence, là était sa vocation. A vous, chère Séverine, son épouse aimée, et vous deux, Morgane et Maxence, ses enfants adorés, à vous ses parents, et ses frères, je veux dire que Cyrille était un grand Monsieur, un grand chef, et que vous pouvez aujourd’hui être très fiers de lui, comme l’est toute la gendarmerie nationale.

L’adjudant Rémi DUPUIS avait rejoint la gendarmerie il y a treize ans. Gendarme mobile au sein de l’escadron de gendarmerie mobile de Saint-Amand-Montrond pendant quatre ans, il y avait développé un sens tactique et des connaissances techniques qu’il savait mettre à profit dans ses missions. Déplacé trois mois en Polynésie française et en Guyane, il avait été marqué et enrichi par ces séjours outre-mer. Ce sont ces solides compétences qui lui permettaient de dominer l’ensemble des situations opérationnelles rencontrées.

Désireux de servir au sein de la gendarmerie départementale, il avait décidé de passer, et réussi, le concours d’officier de police judiciaire, avant d’intégrer le groupement de gendarmerie départementale du Puy-de-Dôme, où il exerça au sein des brigades d’Issoire, puis d’Ambert.

Ce sportif accompli, passionné de montagne, de course à pied et de vélo avait adopté cette belle région d’Auvergne. Il avait obtenu le certificat élémentaire montagne et intégré le Groupe montagne gendarmerie du massif du Forez dont il était un excellent élément, performant et robuste. Polyvalent, fin connaisseur du métier de brigadier, altruiste et bon camarade, il aimait tout particulièrement le travail en équipe et partageait volontiers son expérience avec les jeunes gendarmes de son unité.

Pour Rémi aussi, la famille comptait énormément, ses camarades en témoignent. Il parlait tout le temps de vous, chère Eugénie, qui étiez sa compagne, et de ses deux enfants, Lily-Rose, née d’une première union, et le petit Luca, fruit de votre amour. Je veux dire à vous ses parents, à vous son frère, combien ses valeurs familiales ont compté dans sa construction d’homme et de gendarme. Nous sommes désormais à vos côtés dans cette épreuve. La gendarmerie nationale est fière de son engagement et de son honneur à servir.

Le brigadier Arno MAVEL, affecté au PSIG d’Ambert, avait intégré la gendarmerie en avril 2018, à l’âge de 19 ans, en qualité de gendarme adjoint volontaire. Comme ses deux aînés, il avait fait, très jeune, le choix de servir son pays. En dépit de son jeune âge, Arno était déjà mature  il était convaincu du sens de son engagement et agissait en vrai professionnel. Il se distinguait tout spécialement par sa disponibilité, sa discipline et son excellente condition sportive. Sa droiture autant que sa lucidité et son calme naturel lui garantissaient une parfaite maîtrise des situations opérationnelles rencontrées. Il avait trouvé au sein de la Gendarmerie des valeurs et des missions à la hauteur de ses aspirations.

De l’avis de tous, il incarnait le gendarme adjoint volontaire idéal, celui que tout chef espère avoir sous ses ordres. Ses très belles qualités humaines et professionnelles lui avaient d’ailleurs permis d’accéder rapidement, en mars dernier, au grade de brigadier. Déterminé à faire carrière au sein de l’Arme, il s’était donné les moyens de ses ambitions, et cela avait payé : il venait en effet de réussir, le 19 décembre, le concours de sous-officier, reçu 150ème sur 1 110 admis. Il n’attendait désormais plus qu’une chose : sa date d’admission en école, pour que son rêve devienne réalité.

Arno n’était gendarme que depuis deux ans, mais il avait déjà tant donné. Maryline, sa mère, Christophe, son père, Amandine, sa soeur, vous pouvez être fiers de la belle personne qu’était votre fils et votre frère. Déterminé, engagé au service des autres, apprécié de ses camarades et de ses chefs, il avait un avenir prometteur au sein de la gendarmerie. Sachez qu’elle pleure, comme vous, la perte d’Arno, fière, pour autant, de son engagement.

Par leur diversité d’âges, de grades, de parcours et d’expériences, de caractères et d’aspirations, ils incarnaient la Gendarmerie dans sa richesse, mais aussi dans son unité. Chacun d’eux, avec son humanité et son dévouement, chacun d’eux était un beau visage de la Gendarmerie. Ils ont fait honneur à l’institution, et jusqu’au bout ils ont fait honneur à la France et à la République. Je leur exprime mon respect, et au nom du président de la République, je les salue et je leur dis mon admiration pour leur engagement de chaque jour et pour leur courage du dernier jour.

Aux militaires engagés à Saint-Just cette nuit du 22 au 23 décembre, je veux par ailleurs dire l’admiration et la reconnaissance de la Nation. Vous êtes intervenus dans des conditions d’une violence inouïe. Vous avez été confrontés à des dizaines de tirs de fusils d’assaut, et malgré le danger vous avez fait face, vous n’avez jamais reculé. J’ai une pensée toute spéciale pour l’adjudant-chef Bertrand BOYON, commandant le PSIG d’Ambert, qui est parmi nous aujourd’hui. Grâce à sa très solide expérience dans le domaine de l’intervention, il a su mettre en place, ce soir-là, un dispositif exemplaire. Blessé au côté du brigadier MAVEL, il a fait tout ce qu’il pouvait pour le sauver et pour continuer la mission jusqu’au bout. Pour cet acte héroïque, vous venez d’être fait chevalier de la légion d’honneur.

Au-delà, je pense à vous tous, les camarades de nos trois disparus, vous de la compagnie d’Ambert et du groupement de gendarmerie du Puy-de-Dôme, et plus largement à tous ceux qu’ils avaient côtoyés au cours de leurs carrières respectives. Je sais que vous êtes sous le choc, nous le sommes tous. Vient maintenant le temps du deuil pour se reconstruire. Vous y parviendrez, car vous êtes des gendarmes : malgré les épreuves, vous restez toujours debout. Soudés par le collectif, vous continuerez à aller de l’avant. Vous poursuivrez votre mission avec la même force et la même efficacité. Car c’est la cohésion qui vous tient. Et c’est ainsi que vous honorerez la mémoire de vos camarades disparus.

Chers parents, chères familles, chers amis, aucun mot, aucun geste, j’en ai conscience, ne pourrait, en cet instant, apaiser votre douleur. Et c’est avec humilité que je souhaite, encore une fois, vous dire ceci : soyez fiers de Cyrille, de Rémi et d’Arno. Fiers de leur engagement dans la Gendarmerie, pour la France et les Français, pour la justice et la sécurité. Fiers des valeurs qui les guidaient : patriotisme, droiture et loyauté, solidarité et générosité, initiative et réactivité. Fiers de leur courage et de leur sacrifice. Nous sommes à vos côtés, sachez-le. Vous pouvez compter et vous pourrez toujours compter sur notre soutien indéfectible. Nous serons là, je m’y engage.

Lieutenant Cyrille Morel,

Adjudant Rémi Dupuis,

Brigadier Arno Mavel,

Aujourd’hui, les honneurs militaires vous sont rendus, en hommage à votre engagement et à votre sacrifice. A travers moi, c’est bien la République tout entière qui s’incline devant vous.

Lieutenant Cyrille Morel, vous êtes promu au grade de lieutenant-colonel. Vous êtes cité à l’ordre de la Nation, et, dans un instant, nous vous décorerons de la légion d’honneur.

Adjudant Rémi Dupuis, vous êtes promu au grade de major. Vous êtes cité à l’ordre de la Nation, et, dans un instant, nous vous décorerons de la légion d’honneur.

Brigadier Arno Mavel, vous êtes promu au grade de gendarme. Vous êtes cité à l’ordre de la Nation, et, dans un instant, nous vous décorerons de la légion d’honneur.

Beaucoup de gens vous pleurent, aujourd’hui, et vous pleureront encore longtemps. Vos familles, vos amis, vos camarades, mais aussi les habitants d’Ambert et de Saint-Just, toute une communauté meurtrie, toute une région endeuillée.

Des héros, Messieurs, vous étiez tout simplement des héros. Des héros du quotidien qui veillaient sur les Français, les rassuraient, les protégeaient. C’est ainsi que vous resterez dans nos coeurs et dans nos mémoires, et que nous nous souviendrons de vous, avec un infini respect et une éternelle reconnaissance ».