SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Colloque organisé le 7 juin 2019 à l’école militaire à l’occasion des 10 ans de l’intégration de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur.

Deux communications qui réaffirment le caractère de force armée de la gendarmerie nationale

Table ronde 1. De la Défense à l’Intérieur, 10 ans de transformations autour d’un même socle de valeurs

Le Doyen Xavier Latour

Il est bien évident que la rédaction d’une telle loi a soulevé des questions politiques, budgétaires et juridiques. Elles ont été particulièrement appréhendées par le Conseil d’État dans son rôle de conseil du gouvernement. Pour traiter cet aspect, nous accueillons monsieur le Conseiller d’État, Bernard Pécheur, qui a été à la manœuvre sur ce texte et qui va évoquer les difficultés et les réflexions qui ont pu être menées par le Conseil d’État

Le président de section (H) Bernard Pécheur

Je vais donc vous présenter le transfert de la Gendarmerie à l’Intérieur, vu du Conseil d’État. Les textes, dont le projet de loi et les projets de décrets d’application, ont été examinés, au Conseil d’État, par la section de l’administration dont j’étais alors le président adjoint et dont j’ai été ensuite le président.

Un mot tout d’abord sur l’état d’esprit du Conseil d’État à l’égard de ce transfert. Le Conseil d’État, vous le savez sans doute, est profondément attaché à l’autorité de l’État, aux impératifs de la Défense et aux forces armées Or la Gendarmerie est pour nous un des piliers de l’Etat et une composante importante de notre appareil de défense. Même si connaissions également le contexte qui avait pu conduire à l’émergence de cette réforme nous éprouvions, il est vrai, des craintes. Des craintes mais pas des réserves. Celles que nous aurions pu exprimer auraient été totalement irrecevables car relevant de la pure opportunité, le Conseil d’État n’étant pas une troisième chambre. J’avoue que je partageais certaines de ces craintes même si j’avais été, avec Fréderic Péchenard, membre de la commission du Livre blanc qui avait préconisé le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur.

J’ai été désigné comme le rapporteur du projet de loi devant la section, puis devant l’assemblée générale. Très vite, trois points nous sont apparus. Premièrement, seul le législateur, et non le pouvoir réglementaire, était compétent pour décider du principe du transfert et en organiser le cadre et les conditions. Alors que les attributions des ministres sur les services de l’État relèvent par nature de l’article 37 de la Constitution, c’est-à-dire du pouvoir réglementaire, nous étions là en présence d’une réforme d’ampleur, concernant les missions et l’organisation de la Gendarmerie nationale, c’est-à-dire touchant à une matière qui,en vertu de l’article 34 de la Constitution, relève du législateur, seul compétent pour déterminer les principes fondamentaux de l’organisation générale de la Défense nationale.

Deuxièmement, le projet ne se heurtait à aucun obstacle de nature constitutionnelle. Il fallait toutefois se poser la question. La raison en est qu’en réalité les missions militaires de la gendarmerie et son état militaire étaient préservés par le législateur. Or eu égard à la participation de la gendarmerie, non seulement à la sécurité intérieure, mais aussi à la sécurité nationale et à la défense de la patrie, cet état militaire est essentiel au regard des exigences constitutionnelles de l’article 5 de la Constitution. S’il n’en avait pas été ainsi et si on avait rayé d’un trait de plume le caractère militaire de la gendarmerie nationale, affaiblissant ce faisant notre outil de Défense, j’aurais soulevé assurément, une question de constitutionnalité. Ce point était donc fondamental mais il n’y eut pas de questions parce que le projet y répondait d’emblée et apportait les garanties prévues par le législateur. On ne bâtissait pas un village Potemkine. Il y avait de véritables garanties : la gendarmerie était transférée au ministère de l’Intérieur mais l’état militaire était maintenu, l’ancrage de la gendarmerie dans la fonction militaire était préservé tout comme était réaffirmée l’autorité du ministre de la Défense sur les missions militaires de la gendarmerie. De même, un droit de regard du ministre de la défense sur la RH de la Gendarmerie demeurait, y compris sous forme du contreseing. Ces éléments étaient donc essentiels et c’est ce qui a permis au Conseil d’État d’approuver le texte.

En ce qui concerne l’examen des décrets d’application, j’ai présidé la section qui en avait la charge. Il y a eu de nombreuses réunions, auxquelles le général De Oliveira, à l’époque colonel, a fortement contribué. Furent examinés tout d’abord tous les textes qui redéfinissaient la ligne hiérarchique, sujet sur lequel il fallait être précis et apporter de la sécurité juridique. C’était essentiel. Il nous a fallu aussi examiner, avec le général Thorette, alors Conseiller d’Etat en service extraordinaire dans ma section, toute une série de textes de nature statutaire qui concernaient les corps, textes pour lesquels nous avons garanti un contreseing Défense.

Enfin, et cela reste un souvenir fort, le législateur, qui avait supprimé la réquisition de la Gendarmerie nationale, avait pris soin – car le texte initial ne le prévoyait pas – de renvoyer au décret en Conseil d’État le soin d’encadrer les conditions dans lesquelles on assurait la traçabilité des ordres et les conditions d’engagement de la force des armes, y compris des armes à feu, dans les opérations d’ordre public et de dissipation des attroupements. Ce texte avait été conçu par le Parlement comme un décret d’application « Gendarmerie ». Elaboré par la direction générale de la Gendarmerie, il est arrivé au Conseil d’État comme tel. Cependant lors de l’examen du projet en section et bénéficiant pour ce faire de l’entier concours de la DGGN, nous avons complètement refondu une matière qui datait de la Révolution française et qui s’appliquait à toutes les forces agissant sur ordre ou réquisition spéciale. En revisitant toute la matière nous l’avons sécurisée car auparavant seuls des décrets simples ou des instructions ministérielles régissaient l’emploi des armes à feu. Ainsi, est monté au niveau du décret en Conseil d’État l’ensemble de la matière. Cette refonte a donc été une retombée indirecte mais extrêmement positive du transfert de la gendarmerie

Table ronde 2. Hier et demain, le gendarme, le soldat de la loi

Général d’Armée (2S) Marc Watin-Augouard

Nous avons évoqué au cours de la première table ronde le triptyque « Police/Gendarmerie/Armées ». François Lamy, vous êtes président du Haut Conseil d’évaluation de la condition militaire (HCECM). A ce titre, vous connaissez le statut militaire qui transcende le statut juridique classique. Comment analysez-vous le concept de Gendarmerie nationale comme force armée incluse au sein du ministère de l’Intérieur et qui conserve des liens essentiels avec la communauté militaire des Armées ?

Francis Lamy, Conseiller d’Etat, président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire

Le rôle du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, défini dans le code de la défense, est d’éclairer le Président de la République et le Parlement sur la situation et l’évolution de la condition militaire[1]. Le cas échéant il fait des propositions. Ainsi, il se penche chaque année sur la situation des gendarmes qui représentent près d’un tiers de l’ensemble des militaires.

De façon concrète, les membres du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire effectuent des auditions et des déplacements sur tout le territoire afin de restituer au Président de la République et aux parlementaires leurs impressions et d’effectuer des propositions sur un thème particulier. En 2019, à titre d’exemple, le thème retenu est la mort, la blessure et la maladie.

Trois points particuliers, concernant spécifiquement la Gendarmerie nationale, retiennent l’attention du Haut Comité :

1.     La défense de la militarité à laquelle il est profondément attachée. Une attention particulière doit être portée aux risques ou aux tentations – externes et internes – de la banalisation ;

2.     A cet égard, le Haut comité souhaite que la mise en place des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) se réalise dans le strict respect des conditions de la loi. Un équilibre a été trouvé par le président Pêcheur, en charge d’un rapport au Gouvernement sur le sujet, après la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)[2]. De plus, la directive sur le temps de travail n’a absolument pas été ni pensée, ni conçue, ni préparée en tenant compte des contraintes particulières des militaires. Ce sujet est régulièrement évoqué avec les ministres des Armées et de l’Intérieur ainsi qu’avec le Président de la République ;

3.     L’attention aux conditions concrètes de la condition militaire. Le Haut comité dont l’existence est consacrée dans le  1er article du statut général des militaires et de l’article L 4111-1 du code de la Défense[3] est une garantie de cette condition. La condition militaire repose sur les nécessaires compensations et la reconnaissance de la nation. Ainsi, par exemple ; il veille au respect de l’exigence de parité de traitement avec la fonction publique civile, notamment en ce qui concerne l’évolution des rémunérations.  Le rattachement de la Gendarmerie nationale  au ministère de l’Intérieur rend les comparaisons d’une acuité permanente.

Enfin, dans ses observations le Haut comité attire l’attention des plus hautes autorités de l’État  sur le cadre de vie des gendarmes, sur la situation des logements en caserne, sur les effets des mutations et de la mobilité géographique, sur le parcours professionnel des conjoints, ou encore  sur l’importance de l’activité opérationnelle.

Je souhaite relater quelques impressions personnelles sur le rattachement, alors que j’exerçais des responsabilités comme préfet de la Haute-Saône où j’avais été nommé en 2006 au moment de la préparation de la réforme, puis des Alpes-Maritimes et de la région Auvergne. Dans un premier temps, cette réforme a suscité de nombreuses interrogations notamment sur la façon dont la Gendarmerie allait être traitée au sein du ministère de l’Intérieur (problématiques des premiers arbitrages ministériels, de l’absence de convocation à des réunions majeures, etc.). Après un premier temps d’adaptation, force est de constater que les habitudes ont été modifiées pour prendre en compte à part entière la Gendarmerie nationale.

Une autre interrogation majeure et existentielle portait sur la pérennité de la militarité. La loi de 2009 relative à la Gendarmerie nationale a conforté le statut militaire des gendarmes. 

Plusieurs textes s’appliquant aux gendarmes sont particulièrement importants:

•       L’article 1er du statut général des militaires qui fixe la mission  – la défense de la patrie, la défense des intérêts supérieurs de la nation – et énonce l’exigence de l’état militaire :  l’esprit de sacrifice en toutes circonstances , y compris le sacrifice suprême ;

•       Le code de la Sécurité intérieure et, notamment, l’article L 421-1 qui indique que la Gendarmerie est une force armée instituée pour veiller à l’exécution des lois ;

Enfin, le code de déontologie, qui est commun aux gendarmes et policiers. La singularité irrépressible de la gendarmerie nationale est rappelée  dans l’article R 434-1 du code de la sécurité intérieure qui se réfère à l’exigence de sacrifice jusqu’au sacrifice suprême. S’il est un fait que chaque année des policiers risquent leur vie, sont tués, l’exigence du sacrifice suprême, comme obligation juridique, ne s’applique qu’aux militaires de la gendarmerie.

La conséquence de la réforme, dont l’objectif était d’accroître la sécurité, est au total très positive puisque le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur a permis une plus grande osmose et une synergie entre la police et la gendarmerie sur le territoire national.

Aujourd’hui, les ministres de l’Intérieur sont tous attachés à la militarité de la Gendarmerie pour des raisons organiques et fonctionnelles car ils en mesurent pleinement les effets.

Replacer le rôle du militaire de la Gendarmerie, soldat de la loi dans notre modèle républicain, me conduit à rappeler  trois points essentiels:

1.     La finalité de ce modèle, de la mission d’ordre public et de défense des intérêts de la Nation, est la défense des libertés qui sont au frontispice de notre droit c’est-à-dire au plus haut sommet de la hiérarchie des normes, dans le préambule de la Constitution,

2.     La mission d’ordre public est assurée de façon démocratique et protectrice des libertés dans ses  deux piliers : la prévention et la répression. La prévention relève de l’autorité civile, donc du maire et du préfet sur le territoire. Le maire est responsable devant ses électeurs, le préfet , représentant du Gouvernement, devant ce dernier, qui peut être conduit à en rendre compte devant la représentation nationale.

L’autorité judiciaire, en charge de la répression, est gardienne de la liberté individuelle selon l’article 66 de la Constitution. Dans le même temps, le Conseil constitutionnel l’a rappelé, dans sa décision du 8 décembre 2017,  les procureurs sont placés sous l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux quant à la mise en mouvement de l’action publique. Ce dernier est responsable de la politique pénale du Gouvernement, qui lui-même en rend compte  devant l’Assemblée nationale.


[1]La condition militaire recouvre l’ensemble des obligations et des sujétions propres à l’état militaire, ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires. Elle inclut les aspects statutaires, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur l’attractivité de la profession et des parcours professionnels, le moral et les conditions de vie des militaires et de leurs ayants droit, la situation et l’environnement professionnels des militaires, le soutien aux malades, aux blessés et aux familles, ainsi que les conditions de départ des armées et d’emploi après l’exercice du métier militaire ». (Art. L4111-1 du code de la défense)

[2]Deux arrêts du 2 octobre 2014 sur le droit d’association pour la défense des intérêts matériels et moraux des militaires.

[3]L’armée de la République est au service de la Nation. Sa mission est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation.

L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. Les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation.

Le statut énoncé au présent livre assure à ceux qui ont choisi cet état les garanties répondant aux obligations particulières imposées par la loi. Il prévoit des compensations aux contraintes et exigences de la vie dans les forces armées. Il offre à ceux qui quittent l’état militaire les moyens d’un retour à une activité professionnelle dans la vie civile et assure aux retraités militaires le maintien d’un lien avec l’institution.

Un Haut Comité d’évaluation de la condition militaire établit un rapport annuel, adressé au Président de la République et transmis au Parlement. La composition du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire et ses attributions sont fixées par décret.