SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Editorial du général d’armée Véchambre pour la revue Histoire et patrimoine des gendarmes n° 13 (1er semestre 2018)

Arnaud Beltrame (1973 – 2018)

Alors que le procès des attentats de Trèbes est en cours, c’est l’occasion de faire mémoire du sacrifice du Colonel Arnauld BELTRAME, héros du XXIème siècle comme le 14 juillet 2018 l’avait exalté. Derrière l’homme libre et assumé, c’est la figure emblématique du citoyen, militaire et gendarme, qui se donne à nous.

Mais au fond comment caractériser ce héros ?

Le 31 janvier 2008, s’était tenue à l’école militaire une journée d’études portant sur « La représentation du Héros dans la culture de la gendarmerie XIXè – XXè siècles »1. Dans leur introduction « Héroïsme et culture militaire », Claude d’ABZAC-EPEZY et Edouard EBEL, évoquaient une double typologie2 : Celle des différents groupes disposés à rendre un culte (famille, unité, armée, institution, association, nation, grand public) puis celle des quatre grandes figures archétypales : le héros fondateur, qui a une fonction généalogique et permet de souder les différents membres d’une famille ou d’un groupe ; le héros modèle, qui permet, par le souvenir de ses actions d’éclat, de donner l’exemple de la perfection dans le métier des armes et a donc une fonction pédagogique ; le héros sacrificiel, qui ouvre la voie à l’acceptation de la mort et a donc une fonction mystique ; le héros transgressif, qui est créateur de valeurs nouvelles, à l’image des soldats de la résistance.

S’il est rare qu’un héros réponde simultanément aux quatre figures archétypales, c’est sans aucun doute le cas d’Arnaud BELTRAME.

Commencer par le héros transgressif est essentiel pour emporter en réalité les trois autres. Il apparaît quadruplement transgressif. Il sort des normes militaires réglementaires : un militaire ne se rend pas3 et s’il est prisonnier il doit s’échapper4. Il sort des « normes » de l’intervention, aucune doctrine propre à la gendarmerie n’évoquant un tel choix tactique (mais aucune doctrine n’est intangible) ; d’ailleurs personne n’aurait blâmé les unités engagées si la neutralisation du terroriste avait été faite de manière classique et avait emportée la mort de l’otage. Le poste qu’il occupait en tant que commandant des opérations n’impliquait pas qu’il l’abandonne personnellement. Face à un terroriste dont les méthodes principales relèvent du crime de guerre et du crime contre l’humanité en vue de provoquer la sidération, le terroriste pouvait enfin exploiter cette « prise », de surcroît celle d’un officier supérieur, pour créer une sidération plus forte encore.

Dès lors est-il exemplaire ? Rapporté au contexte, son comportement est remarquable. Lucidité dans l’analyse et qualité du choix tactique : il sait que l’otage et le terroriste sont seuls, que les autres otages sont à l’abri et que le terroriste est encerclé ; il sait aussi que le terroriste est dans la phase finale de son opération qui consiste à mourir en tuant son otage qui n’a qu’une fonction de bouclier, et le plus de membres possibles des forces d’intervention ; le seul enjeu missionnel qui subsiste pour la gendarmerie en réalité est la protection de la vie de l’otage ; protéger en sauvant l’otage condamné, voilà la mission et rien ne peut garantir au plan tactique et technique cette survie. La négociation était aussi improbable : ce n’est pas dans les manuels terroristes actuels. En se substituant à l’otage, il supprime toute pression et tension sur le temps, les modalités de l’intervention, les médias et l’agenda politique, français, mondial et terroriste. Il n’est pas otage d’ailleurs mais soldat en opération et la réduction du terroriste n’en devient que plus facile. Il sait, et c’est la vertu du courage, ce qu’il risque. Le contact qu’il établit avec le terroriste puis ce qu’il obtient sont autant de succès, tactiques et stratégiques. Enfin, il montre l’exemple comme chef et comme officier en se désignant lui-même pour cette mission plutôt que de demander un volontaire.

Dès lors la voie est ouverte au héros sacrificiel. Il l’est de fait puisqu’il a subi ce que l’otage devait subir. Mais ce sacrifice, pour le coup non transgressif, puisqu’il l’a fait au nom de la mission, est celui du soldat auquel sa propre mort importe peu. En mourant ainsi, son sacrifice sublime complètement les fins terroristes. C’est sa force morale au service de la vie qui écrase la violence au service de la mort. Il rappelle à chaque militaire, à chaque gendarme que donner sa vie est le plus noble des engagements et que la perdre sert la victoire de l’humanité.

Alors oui, Arnaud BELTRAME est un héros fondateur et à un niveau qui dépasse largement ce qu’avait envisagé nos historiens. C’est en effet non seulement la famille, son groupement, les militaires de la gendarmerie et toute la communauté militaire, nos concitoyens, la Nation entière mais le monde entier qui reconnaît en lui le héros.

Et le salaud ?

J’emprunte ce terme au philosophe André COMTE-SPONVILLE. A la question « peut-on faire une typologie du mal moral », il retient principalement trois incarnations du mal5 : le pervers, le salaud et le médiocre. C’est la figure du salaud qui m’intéresse ici. « Le salaud ne fait pas le mal pour le seul plaisir de le faire, mais pour quelque autre bien qu’il en attend, que ce soit pour lui-même (par exemple de l’argent, du pouvoir, un orgasme…) ou pour un idéal auquel il s’identifie. Pensez aux massacreurs du 13 novembre 2015, à Paris : il n’est pas exclu qu’il y ait eu parmi eux quelques pervers, tuant pour le plaisir de tuer, mais il est probable que la plupart ont voulu tuer pour gagner le paradis ou servir l’islamisme, donc pour ce qu’ils percevaient comme un bien. C’était faire à autrui un mal immense et certain pour un bien égoïste et douteux. C’est ce qu’on appelle le terrorisme, et c’est ce que j’appelle des salauds ».

Le héros a « tué » l’image que le terroriste cherchait à imposer par son action et a révélé sa vraie nature, celle de salaud. A l’image du héros, celle d’une force humaine incarnée anéantissant dans son sacrifice la barbarie du djihadiste, puissions-nous affirmer la même force morale, sûrs qu’elle pourra au mieux convertir les salauds égarés ou, à défaut les convaincre que leur guerre est sans issue et que leur vision du sacrifice est en tout point haïssable.

1 Actes de la journée d’études organisée par la commission d’histoire socioculturelle des armées du CEDH en partenariat avec le département gendarmerie du SHD, sous la direction de Claude d’ABZAC-EPEZY et Edouard EBEL, et publiés dans les cahiers du centre d’études d’histoire de la défense numéro 35 / 2008.

2 Ibidem, page 17

3 Code de la défense, article D4122-6 3° (Le militaire) « Evite la capture et rejoint la formation ou l’autorité la plus proche si, dans l’impossibilité de remplir sur place sa mission, il ne peut plus recevoir d’ordres de ses chefs. »

4 Code de la défense, article D4122-4 « L’efficacité au combat exige que chaque militaire participe à l’action contre l’ennemi avec énergie et abnégation, y compris au péril de sa vie, jusqu’à l’accomplissement de la mission reçue. Fait prisonnier, tout combattant reste un militaire dont le devoir est d’échapper à la captivité, de résister aux pressions et de chercher à reprendre le combat ».

5 Hors-série n°37 de Philosophie magazine consacré au Mal, page 15