SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Éloge funèbre en l’honneur de Monsieur Jean-Claude PERIER,
Conseiller d’État honoraire, ancien directeur général de la gendarmerie et de la justice militaire (1962 – 1973),
ancien Premier président de la cour d’appel d’Orléans

Jard-sur-Mer (85) – mardi 10 janvier 2017 – prononcé au nom du général d’armée Richard LIZUREY, directeur général de la Gendarmerie nationale par le général d’armée Jean-Régis VECHAMBRE, inspecteur général des armées-gendarmerie.

Monsieur le Président, il me revient l’honneur de vous rendre ici, devant tous ceux qui vous aiment et que je salue respectueusement et qui vous ont apprécié, un ultime hommage, au nom de la Nation que vous avez servie sans relâche, au nom du général Richard LIZUREY, notre DGGN, des anciens directeurs généraux, des anciens inspecteurs généraux des armées-gendarmerie, au nom de l’ensemble des militaires et personnels civils de la gendarmerie et en présence de Monsieur le député, Monsieur le maire et Monsieur le conseiller départemental.

Votre   parcours  fut   exceptionnel,  c’est  un   mot   faible,   comme  le   fut   votre engagement au service de la France. En évoquant les moments les plus intenses de votre vie professionnelle,  je souhaiterais faire partager à ceux qui sont venus vous rendre un dernier hommage la flamme qui vous animait et les valeurs qui ont guidé votre existence.

Vous êtes né le 22 février 1922 à Uzès (Gard). Vous étiez le deuxième enfant de Georges Marie Marcel Périer, conservateur des hypothèques en cette ville et de Marguerite Aimée Delphine Carlier, son épouse, sans profession. Vous partez vivre avec votre famille à Lorient où vous suivez votre scolarité jusqu’en première. Victime d’une tuberculose pulmonaire, vous êtes envoyé au sanatorium des étudiants de  Saint-Hilaire-du-Touvet au-dessus de Grenoble le 2 septembre 1939. Vous y passez trois ans, obtenant le bac de philosophie et y préparez les deux premières années de la licence en droit. Alors que votre père a enfin pu rejoindre le Sud à Nîmes et considéré guéri, vous entrez alors en 1943 dans la vie active comme clerc débutant dans un étude de notaire dans cette même ville et vous rendez simultanément à la faculté de droit de Montpellier pour y achever votre licence et réussir l’examen de premier clerc de notaire.

C’est dans cette période que votre père obtient enfin une mutation à Nîmes. Toute votre famille est orientée vers le service de la patrie, votre frère aîné étant mobilisé dans l’armée de l’air au Maroc et votre plus jeune frère préparant Saint Cyr au Prytanée. Alors que la zone Sud est envahie par les allemands, votre frère aîné part en stage aux Etats-Unis et votre jeune frère, à défaut de pouvoir franchir les Pyrénées pour rejoindre l’Afrique du Nord, entre dans un maquis du Nord Aveyron. Vous rejoignez alors l’Aveyron.

Alors que votre santé ne vous permet pas de participer au combat, vous allez néanmoins être engagé localement et  devenez lieutenant.  Vous parlez  alors de « votre période glorieuse, de votre participation à ce mythe de l’Âge d’or, pour votre génération, que fut la Libération ». Dans cette période qui s’emballe, où tous les excès peuvent s’accomplir, vous affirmez avec la force de votre caractère et incarnez avec votre jeune frère devenu chef de maquis et les cadres qui vous entourent, une vision profonde de l’État de droit, de la justice et de l’humanité.

Je vous cite : « À la libération de Rodez, l’état-major (de la résistance) alla s’installer dans l’hôtel que les Allemands occupaient la veille. On me laissa seul dans notre école avec mission de garder un milicien qu’on avait fait prisonnier et que je devais amener le lendemain à la prison de Rodez dans la Peugeot 403 de l’évêque qu’on avait réquisitionnée et qui me fut affectée comme voiture de service. Des hommes du maquis de mon frère, qui étaient salement éméchés, vinrent et voulurent le fusiller. Je passai la nuit à défendre mon prisonnier et je réussis à lui sauver la vie : ce haut fait d’arme ne résulta pas de ma valeur personnelle, mais du simple fait qu’au cours de la discussion ils réalisèrent que j’étais le frère de leur chef. Mon frère, de son côté, allait de par le Causse, de château en château, procéder à l’arrestation préventive des châtelains qui avaient affiché avec ostentation leur attachement  au  régime  de  Vichy,  mesure  providentielle  pour  ces  hobereaux  qui  ne réalisaient pas qu’ils risquaient de se faire abattre par de pseudo-résistants ou d’autres maquis.
La libération de la région Nord-Aveyron se passa sans les excès que connurent d’autres régions. Certes, un tribunal militaire fut constitué à la fin du mois d’août pour juger sur-le-champ des collaborateurs notoires. Le colonel qui était à l’origine de cette mesure avait estimé qu’il éviterait ainsi les exécutions sommaires auxquelles n’auraient pas manqué de se livrer des bandes qui surgissaient ici et là
 ».

Mais votre état de santé ne vous permettra pas de poursuivre comme votre jeune frère et revenez à Nîmes auprès de vos parents.

A la libération, c’est cet idéal qui vous conduit d’abord à vous inscrire au barreau de  Nîmes  comme avocat  stagiaire  puis  à  devenir  attaché  stagiaire  au  parquet général de Nîmes, où vous préparez une thèse de droit sous la direction du professeur Démontès sur la responsabilité pré-contractuelle. Vous vous présentez au concours de la magistrature que vous réussissez et êtes envoyé comme juge suppléant au tribunal de Rodez. Vos qualités éminentes vont vous conduire très rapidement aux plus hautes fonctions puisque juste avant d’être nommé directeur général de la gendarmerie nationale et de la justice militaire vous exercerez les fonctions  de  Premier  Président  de  cour  d’appel  à  ORLEANS.  Il  faut  dire rapidement, car c’est à 40 ans que vous êtes nommé le 31 octobre 1962 directeur général  de  la  gendarmerie  et  de  la  justice  militaire.  Et  vous  allez  devenir  le directeur général ayant battu tous les records de longévité depuis la création de l’institution puisque vous exercerez pendant onze années !

Ce n’est pas un hasard si vous êtes choisi. La Gendarmerie nationale est durement secouée par les événements d’Algérie où elle s’est efforcée d’incarner les valeurs qui sont les vôtres. Vous allez renforcer et conforter l’institution dans cette longue période comme la mettre en situation de répondre aux défis du temps. Votre première tâche c’est le désengagement algérien qui nécessite beaucoup de doigté comme de valeurs morales.

C’est ainsi que le 22 décembre 1962 vous réorganisez la gendarmerie en Algérie et portez création de formations de gendarmerie prévôtale et mobile en Algérie, à partir des formations organiques de gendarmerie départementale. Dans le même temps  les  légions  de  gendarmerie  mobile  d’Algérie,  le  commandement  de  la gendarmerie en  Algérie et les commandements régionaux de la  gendarmerie à Alger, Oran et Constantine sont supprimés.

Ces années, c’est aussi l’enjeu de la sécurité routière, l’année 1972 voyant l’apogée du nombre de tués sur les routes (plus de 16 000 tués). Votre engagement en matière de prévention routière sera concrétisé par la médaille d’or de la prévention routière en 1972.

Sous votre impulsion, la gendarmerie s’engage de plus en plus dans la police de la route, y compris en organisant jusque dans les écoles, des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière. Elle joue encore un rôle pionnier dans la régulation des flux et l’information des automobilistes avec la création du CNIR et des CRICR en février 1968 et des itinéraires bis. Vous achetez des avions pour contribuer à l’information routière. Elle développe par ailleurs le contrôle répressif pour faire appliquer les nouvelles réglementations sur l’alcool au volant, la limitation de vitesse (1969) et le port de la ceinture de sécurité (1973).

Le 22 juin 1963 est créé le centre national de formations des personnels motocyclistes de la gendarmerie à Les Mureaux.

Dès 1963-64, la gendarmerie met en circulation des voitures équipées des premiers radars.

En 1964 au sein de la direction une structure chargée de l’étude des questions de police de la circulation.

En 1965, ce sont les PMO départementaux qui voient le jour, en 1966, le premier peloton d’autoroute à NEMOURS, en 1967 les brigades rapides d’intervention, en 68, les groupements de gendarmerie d’autoroute.

C’est bien sûr aussi mai 1968. Même si cela fut très difficile, on peut affirmer que votre philosophie humaniste, en phase avec la doctrine du maintien de l’ordre développée par la gendarmerie depuis les années 20, fit merveille dans la maîtrise de l’emploi de la force sur l’ensemble du territoire national et bien sûr à PARIS. Je cite à cet égard le Préfet de police Maurice GRIMAUD : « du côté de la gendarmerie, ça aurait pu être plus délicat, mais ce ne fut pas le cas. Je connaissais personnellement et bien avant les événements Jean-Claude PERIER, le directeur de la gendarmerie, nous étions compatriotes ardéchois. L’entente fut sans faille de part et d’autre ».

Après avoir créé dans l’urgence les PGRM, vous allez tirer tous les enseignements de cette crise en créant entre août 1968 et fin 1970, 13 escadrons de gendarmerie mobile dont l’escadron parachutiste et, en 1969, le centre de perfectionnement de la gendarmerie mobile à St ASTIER. Vous mettrez sur peid le concept d’escadron léger d’intervention rapide.

La police judiciaire n’échappe pas non plus à votre sagacité. Cela est d’autant plus important que la criminalité augmente (blousons noirs, trafic de drogue) : en 1964, création de la brigade centrale de recherches criminelles compétente sur tout le territoire national, en 1966, création du laboratoire photographique puis en 1967, celle des centres de rapprochement des renseignemenst judiciaires avec la mise en place du premier système de rapprochement des informations judiciaires.

Votre œuvre créatrice et réformatrice paraît sans limite :

  • 1964 : Commandement des forces de gendarmerie d’outre-mer ; organisation des aumôneries militaire (catholique, protestante, juive) ; Groupement spécial de sécurité de l’arme nucléaire, ancêtre de la GSAN et garantissant le contrôle gouvernemental sur la nouvelle force de dissuasion ;
  • 1965 : Centre d’Instruction Nautique de la Gendarmerie ;
  • 1966 : à la faveur de la création des sept régions militaires et des 21 divisions création de sept commandements régionaux et 21 commandements de circonscriptions régionales de la gendarmerie, nouveau nom donné aux légions ;
  • 1966 : réorganisation de la GTA ; nouveau code de justice militaire ;
  • 1967 : centre d’instruction de la gendarmerie maritime et rattachement de cette gendarmerie à la gendarmerie nationale en 1970 ; recrutement direct pour l’EOGN à la sortie de Saint-Cyr ;
  • 1970 : ouverture de la gendarmerie au service national, complétée en 1971 par l’ouverture aux femmes ;
  • 1971 : centre d’enseignement militaire supérieur de la gendarmerie ; approbation du plan informatisation de gendarmerie par la commission de l’informatique du ministère de la Défense ;
  • 1973 : escadrons dérivés en GM.

Sous votre autorité, la direction s’émancipe peu à peu de certains services du ministère des Armées jusqu’à accéder en 1974 à l’autonomie budgétaire. La modernisation de l’arme est par ailleurs très importante pour faire face aux nouveaux défis de la gendarmerie. On vous doit ainsi le lancement d’un programme pionnier de modernisation des équipements radioélectriques des gendarmeries départementale et mobile.

Vous vous employez également à renforcer l’esprit de corps en encourageant le développement des associations sportives et en se rapprochant des associations de retraités. Vous vous attachez à consolider l’esprit de famille de la gendarmerie en organisant, moins de trois mois après votre prise de prise de fonction , un gala au Palais des sports pour les familles. En 1964, il réorganise la Maison de la gendarmerie, crée les colonies. Dans ce même esprit vous ordonnerez l’organisation d’anniversaires somptueux pour les centenaires de l’arme.

Voulant conforter l’image de l’arme, vous organiserez la Grande parade de la gendarmerie, sa présence à l’exposition universelle de Montréal en 1967, ferez créer la série télévisée Sos fréquence 17, récupération du succès de la série des Gendarmes de Saint-Tropez au début des années 1970.

En 10 ans la gendarmerie aura cru de 14 000 hommes (60 000 à 74 000).

Vous étiez un humaniste, un vrai et c’est cet esprit dont vous avez su nous habiter. je voudrai vous citer à l’occasion d’un entretien avec Jacques CHANCEL :

« J.C. : il y a violence dans le monde moderne, alors avec quelles armes faut-il la combattre cette violence ?

J.-C. P. : La première, je l’ai noté tout-à-l’heure, c’est la politesse. Ce qui me choque le plus à l’heure actuelle c’est de vivre dans un monde où la politesse a disparu. Il est si facile de sourire, il est si facile de dire un mot aimable. Il y a une chose qui me peine beaucoup, c’est l’indifférence. Je dirai qu’il y en a une autre, c’est la flatterie, et, la dernière, c’est la haine. A partir de là, la politesse, pour moi, c’est quelque chose d’absolument nécessaire, qui n’est pas une hypocrisie de plus, c’est simplement l’offre que l’on fait quotidiennement lorsque  l’on rencontre ses semblables, d’être disponible à leur égard, de savoir les entendre, de savoir les écouter, et de savoir, si possible, répondre à leur attente.

(…) et puis à côté de tout cela, et ça me paraît très, très important, c’est l’humour. C’est une notion qui est un peu britannique, mais qui en France s’appelle l’esprit ;(…) l’humour c’est cette façon de se moquer de soi-même, de se moquer des circonstances dans lesquelles on se trouve. Ça me paraît essentiel
 ».

Vous fûtes au final un défenseur et un ambassadeur de la gendarmerie, contre ceux prédisant sa disparition.

Vous donniez enfin une merveilleuse définition de la gendarmerie en 1965 dans une conférence que vous donniez sur son histoire :

« Périodiquement, on annonce sinon la disparition de la Gendarmerie, du moins sa mise en veilleuse et son affaiblissement. On fait état du mouvement de dépeuplement des campagnes et du péhnomène d’urbanisation. On fait état du remplacement progressif de l’homme par la machine. On fait état du facteur temps qui tend à supplanter la notion de distance. On fait état enfin d’une sorte de nécessité cartésienne qui voudrait que toutes les polices soient englobées en un même corps.

Permettez moi, en face de toutes ces prophéties, de vous livrer mon sentiment personnel. Que la campagne soit ou non dépeuplée (et à cet égard, la délégation ministérielle à l’aménagement du territoire révèle que la plus forte augmentation de population se situe dans les villes de moins de 10000 habitants), il faudra toujours la surveiller. Plus on s’entassera dans les villes (et ceci n’est même pas sûr, si on se réfère à l’exemple de Londres ou de New-York, où on assiste à un phénomène de désurbanisation), plus les citadins s’évaderont vers les campagnes (…).

Reste ce grand travers hérité de Descartes de vouloir simplifier et unifier. N’oublions pas que ce fut pour Descartes qu’une simple méthode de raisonnement et qu’il serait fort étonné qu’à partir de cela, on concluât à l’unification de tous les corps de police. Il aimait trop la liberté pour ne pas souhaiter une certaine diversité et un certain équilibre en ce domaine (…).

Messieurs, je vous ai présenté un service public, un ordre, une chevalerie sans vassalité, de grands desseins poursuivis d’une âme passionnée : la Gendarmerie. Mais je ne saurais oublier que la raison du diamant n’est pas dans le diamant lui- même : elle est dans l’attention du monde qui l’entoure, la vôtre, Messieurs
 ».

Tel est votre testament qu’il convient que nous fassions fructifier.

Le 22 mai 1973, vous êtes nommé Conseiller d’État en service ordinaire et deviendrez président de la commission intérieure. Vous représenterez le Conseil d’État au CSM (où, alors magistrat judiciaire, vous aviez exercé les fonctions de secrétaire).

Pour autant, je ne peux terminer, sans citer deux missions délicates que le gouvernement vous aura confié.

En 2013 Michel ROCARD revient pour Télérama sur la composition de la mission de conciliation, celle des « sept de la  paix »  qu’il envoie en  1988 en  NC après OUVEA et qui permettra la signature des accords de Matignon. Je cite  : « il fallait envoyer sur place un groupe de personnalités incontestables et ne représentant qu’elles- mêmes et non l’Etat ». Raymond BARRE proposera son ancien conseiller pour les DOM TOM, Pierre STEINMETZ. François MITTERAND « approuve la démarche, mais trouve que la mission doit intégrer un représentant de la tradition française du droit, quelqu’un qui parle au nom du rapport permanent de la France civilisée avec le droit. C’est tout MITERRAND ça, l’idée est géniale mais de nature à tout foutre en l’air. Je n’ai cependant pas le choix, on ne rigole pas avec les ordres présidentiels. Je donne une heure à deux de mes collaborateurs pour me donner une liste de cinq juristes français les plus respectés. Un seul nom revient deux fois, celui de Jean-Claude PERIER, un ancien juge avec une brillante fin de carrière de directeur général de la gendarmerie puis de conseiller d’État. Après une longue conversation téléphonique, il acquiesce » fin de citation

Trois ans plus tard vous êtes nommé président de la commission de contrôle des nouvelles listes électorales prévue par l’article 85 de la loi n°91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

Les services éminents rendus à la Nation vous ont valu d’être commandeur de la Légion d’honneur grand officier de l’Ordre national du mérite vous êtes également titulaire de la médaille de la Gendarmerie nationale.

Devant votre famille, je voudrais vous exprimer notre profonde reconnaissance pour l’oeuvre accomplie et notre immense fierté de vous avoir eu pour chef.

Monsieur et Madame Dominique PERIER,

docteur et Madame Marc PERIER,

Madame Sophie PERIER, vous ses enfants, ses petits enfants et arrière petits enfants vous pouvez être fiers comme son épouse Suzanne l’a été.
Monsieur le Président soyez assuré que nous porterons votre mémoire et que nous saurons puiser dans votre exemple pour construire l’avenir.

ADIEU