SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Au début du mois d’octobre 2005, l’école des officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN) s’apprête à célébrera le soixantième anniversaire de son arrivée à Melun. Ce chef-lieu du département de Seine-et-Marne représente la dernière étape pour cet établissement de formation de l’Arme qui a successivement connu la caserne Schomberg à Paris, l’annexe de l’école des chars à Versailles, la villa Nitot à Pau et la caserne Charras à Courbevoie.
Du fait des grands travaux d’aménagements entrepris depuis quelques années pour offrir un cadre digne d’une grande école militaire, il apparaît difficile, pour un observateur actuel, d’imaginer les conditions sommaires d’installation de l’école des officiers au lendemain de la Libération. Dans le contexte de pénurie de l’immédiat après-guerre, le commandement doit affronter un certain nombre de difficultés, alors que les besoins de l’Arme en officiers se font plus pressants. Les derniers témoins vivants et les archives de ce centre de formation conservées à Fontainebleau (SHD/centre temporaire d’archives définitives de la gendarmerie) permettent de restituer les premiers temps de l’école d’application de la gendarmerie (EAG).

Une implantation laborieuse dans la cité melunaise

La Gendarmerie nationale constitue la seule force militaire ayant pu conserver un centre de formation pour ses officiers sous l’Occupation, même si celui-ci a dû déménager au gré des circonstances. La dernière implantation en date, la caserne de Courbevoie, depuis le mois d’août 1943, ne paraît plus répondre aux exigences du commandement. En effet, plusieurs obstacles nuisent au bon fonctionnement de l’établissement et hypothèquent même son avenir. Tout d’abord, les infrastructures s’avèrent inadaptées pour former des officiers de gendarmerie, et l’éloignement des terrains de manœuvres entraîne des pertes de temps considérables. Par ailleurs, il faut cohabiter, parfois dans le même bâtiment, avec d’autres unités telles que le 3e groupe de la légion de Paris Nord-Ouest ou le centre administratif de la gendarmerie (CAG). Surtout, l’appartenance de la caserne de Charras à l’administration de la Guerre laisse planer la menace d’un déménagement précipité au profit d’une autre unité. C’est pourquoi, dès décembre 1944, le commandement envisage déjà le transfert de l’école vers un autre casernement proche de Paris. Le site de Melun est finalement retenu.

Le 7 septembre 1945, le colonel Ziwes, commandant l’école d’application de gendarmerie à Courbevoie, rend compte à sa hiérarchie des résultats de la réunion organisée avec un représentant de la direction et du capitaine du génie, de la Chefferie, chargé de diriger les travaux. Il apparaît que la rénovation des bâtiments de Melun ne pourra pas être achevée avant la fin de l’année 1945. Étant donné que l’installation en plein hiver représente un risque pour la santé des cadres et des élèves, le colonel Ziwes propose le maintien temporaire de l’école à Courbevoie ou son installation provisoire au fort de Montrouge. Un nouvel élément va néanmoins précipiter le transfert à Melun. Le 20 septembre, le commandement de l’école de Courbevoie apprend que la caserne Charras doit impérativement être libérée pour le 1er octobre. Le 29 septembre, le colonel Ziwes informe le colonel inspecteur du 1er arrondissement de gendarmerie que l’école d’application a débuté son déménagement. Selon lui, l’installation dans la nouvelle résidence melunaise sera terminée le 1er octobre et les cours reprendront le 15 octobre.

Le déménagement de Courbevoie à Melun représente l’équivalent de quarante-deux camions de matériel. Comme l’explique le général Lamontagne, ancien élève de la promotion Kilstett, les élèves-officiers ont constitué une main d’œuvre toute trouvée pour assurer la manutention. La nouvelle caserne choisie pour accueillir les futurs officiers de gendarmerie s’appelle le quartier Augereau. Le site, dans le plus pur style de la IIIe République, se compose d’un grand bâtiment central, d’un bâtiment pour trente-deux sous-officiers, d’un autre pour célibataires et d’un pavillon pour deux officiers. Toutefois, les premiers arrivants sont généralement frappés par l’état de délabrement de l’ensemble. C’est notamment l’opinion du lieutenant-colonel Truchi qui était à l’époque aspirant orignaire d’AFN.

La rénovation des locaux devient effectivement l’un des tous premiers défis à relever. L’aviation allemande a infligé à la caserne d’importants dégâts lors des combats de la Libération. Durant les travaux, le personnel de l’école doit supporter des solutions transitoires. C’est le cas pour le bâtiment central où doivent cohabiter un temps les membres des services de l’école, les familles du petit état-major et les élèves-officiers. Par ailleurs, comme à Courbevoie, une partie de la caserne est occupée par des unités étrangères à l’école. Des gendarmes de la compagnie de Seine-et-Marne, privés de leur caserne par les bombardements, sont ainsi venus se réfugier au quartier Augereau. De même, des services de l’armée de Terre sont présents sur le site jusqu’en 1947. Ces occupations « sauvages » perturbent le logement des cadres et des élèves qui constitue une des questions essentielles de ces premières années d’installation. Le 4 décembre 1945, le colonel Ziwes se plaint de lenteurs rencontrées pour loger ses sous-officiers. Les démarches faites auprès de la préfecture de Melun, en vertu de l’ordonnance du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires n’ont pas donné de résultat ; la ville de Melun n’offrant aucune ressource, tant en logement qu’en appartements meublés.
Les travaux de rénovation se poursuivent au cours de l’année 1946. Ils concernent notamment le réseau téléphonique, puisque, lors de son arrivée, l’école ne possède pas de standard mais utilise celui de la compagnie de Seine-et-Marne directement relié à la poste de Melun. Au moment du départ de cette unité, l’école est privée de lignes téléphoniques. Les communications doivent se faire par le central du bureau des brigades de Melun. Il faut attendre le 24 juin 1946 pour que l’école soit enfin reliée de façon autonome au service téléphonique grâce à l’installation de deux lignes.


Lorsque le gros des travaux de rénovation s’achève, le casernement revient à un seul gendarme chargé d’assurer les finitions. Il peut néanmoins compter sur les prisonniers allemands qui, comme un grand nombre de leurs camarades, sont employés par l’État français au titre des réparations de guerre. Dans une lettre du 6 novembre 1945, le commandant de l’école précise que trente prisonniers allemands sont chargés des corvées diverses. Leur état sanitaire est assez déficient et il est souvent nécessaire de les conduire dans des centres médicaux ou dans des hôpitaux de la région parisienne. En janvier 1946, ils ne sont plus que dix.

En dépit des infrastructures rudimentaires du quartier Augereau, l’accueil des promotions d’élèves n’est jamais interrompu et leur nombre tend même à croître. En dehors de l’aménagement du site la formation demeure une préoccupation constante du commandement.

La formation de l’officier de gendarmerie à la fin des années 1940

Directement rattachée à la direction de la gendarmerie à partir de 1946, l’AEG de Melun doit lui soumettre son programme d’enseignement avant de le dispenser aux élèves. Les officiers-élèves suivent une formation générale, technique et militaire. La formation générale, destinée à enrichir la culture des élèves, se compose de conférences ou de cours théoriques sur des domaines aussi variés que la littérature, l’histoire, la géographie ou le droit. Des thèmes d’actualité sont aussi abordés. Au début de 1946, par exemple, le secrétaire général de la Fondation nationale des Sciences politiques, François Goguel, est invité pour donner une conférence sur « La vie politique en France depuis la Libération ».

La formation technique a pour vocation de faire découvrir aux élèves les spécificités du service en gendarmerie. Elle est à la fois théorique et pratique à travers l’étude de cas concrets. Les sujets abordés témoignent du cadre essentiellement rural dans lequel les futurs officiers de gendarmerie sont amenés à exercer leur profession. Les questions relatives à la chasse, la pêche ou les incendies de forêts semblent effectivement occuper une place particulière dans le programme. En matière de police judiciaire, la formation se limite à des cours magistraux et à quelques visites au laboratoire de la préfecture de police à Paris, au tribunal correctionel de la Seine et à l’institut médico-légal pour assister à une autopsie.

La formation militaire, troisième volet du programme, comprend des cours théoriques, des exercices pratiques sur le terrain et des séances de tir. Au début de l’année 1946, le commandant de l’école précise que la formation militaire, ne faisant l’objet d’aucun programme particulier, est donc laissée à sa libre appréciation.

Les élèves-officiers reçoivent également une formation générale, technique et militaire adaptée à leur propre expérience. En matière militaire, le commandant de l’EAG remarque en janvier 1947 que « le manque d’homogénéité de la promotion s’est fait très nettement sentir dans la conduite de l’instruction militaire et a imposé une période d’instruction individuelle, technique et tactique, plus longue qu’il n’avait été prévu ».

Afin d’améliorer la formation militaire des élèves-officiers, le commandement organise le 17 juillet 1946 un déplacement au camp de Suippes (Marne). Durant quinze jours, les stagiaires se familiarisent avec le commandement de groupes ou de pelotons et les exercices de tirs, au mortier notamment. On leur présente les deux types d’escadron de la garde républicaine (porté et char) avant de les envoyer en manœuvre pour quarante-huit heures à la fin du séjour. Durant ce stage, un concours quotidien est assuré par le 2e groupe de la 6e légion de garde républicaine. Toutefois, malgré le succès de la formule, celle-ci n’est pas reconduite pour les deux promotions suivantes qui doivent se contenter de quelques exercices en liaison avec le 1er régiment de marche du Tchad de Melun et le groupe d’escadrons de chars de Satory.
La nature des missions imposées à l’époque à l’Arme influe sur le contenu des programmes. Ainsi, comme l’explique le colonel Bézégher en avril 1947, « en raison de l’orientation actuelle de l’emploi de la gendarmerie sur les divers territoires soumis à l’autorité de la France (métropole, zones occupées, colonies, etc.) il semble nécessaire d’accorder à certaines matières une plus grande importance. C’est le cas pour le maintien de l’ordre et le rétablissement de l’ordre auxquels il convient de donner un coefficient spécial. C’est également le cas pour la technique auto, les exercices de tir et les épreuves physiques jusqu’ici réservés à l’armée de terre, et qu’il importe d’appliquer à l’Arme pour tenir compte de la nouvelle orientation générale donnée à l’instruction des jeunes officiers de la nouvelle armée française ».

Entre octobre 1945 et novembre 1950, la durée de formation des officiers-élèves passe de quatre à six mois et celle des élèves-officiers de douze à dix mois. Outre les évaluations régulières pendant le cursus, les cours sont sanctionnés par des examens écrits et oraux ainsi que des épreuves physiques, regroupés à la fin du stage.

Les moyens dont disposent l’EAG pour assurer la formation des futurs cadres de l’Arme apparaissent plutôt limités à la fin des années 1940. En matière d’encadrement, le personnel de l’école se compose de dix à douze officiers, vingt-cinq à trente sous-officiers et treize civils (employés essentiellement au mess). Le matériel pédagogique, quant à lui, se réduit à sa plus simple expression. Les pénuries de l’immédiate après-guerre rendent problématiques l’achat d’ouvrages ou de papiers. Le commandement de l’école multiplie alors les initiatives pour améliorer son équipement. Ainsi, la dissolution de l’école préparatoire de gendarmerie de Mamers, le 1er janvier 1948, permet de récupérer du matériel d’instruction pour la salle d’armement, la bibliothèque, le mess et même l’imprimerie.

L’enseignement du sport à l’EAG donne une excellente idée des difficultés rencontrées par l’encadrement. Tout d’abord, après le départ de Courbevoie, l’équitation doit être abandonnée faute de moyens pour se rendre à la garde républicaine. De même comme le déplore le colonel Ziwes, lors du départ de la promotion Veissières : « la formation sportive n’a pu encore être donnée aux élèves d’une façon très poussée en raison de l’absence d’un terrain équipé à l’école et de l’éloignement des terrains de la ville (rapport n° 27/2 23 janvier 1947) ». La situation s’améliore pourtant au cours des mois suivants et l’école propose même des cours de judo et d’escrime. Autres signes encourageants en matière de matériel, l’EAG est dotée d’un appareil cinématographique parlant Debrie. Les films pédagogiques sont fournis par le service cinématographique de l’armée. L’école dispose en outre d’un assortiment d’armes individuelles et collectives. Elle s’efforce surtout de faire découvrir aux élèves les matériels modernes employés par l’institution à travers des cours pratiques de mécanique et de transmission sur du matériel récupéré.

Outre les problèmes logistiques, l’EAG de Melun doit s’adapter à la grande variété des profils des élèves qui se succèdent à l’école de 1945 à 1950.

Les premières promotions d’élèves à Melun

Le déménagement de l’école des officiers de Courbevoie à Melun intervient au milieu de la scolarité des promotions Lieutenant Milbert et Kilstett. Comme l’explique le colonel Ziwes, dans une lettre du 10 novembre 1945, le programme de formation générale des élèves-officiers n’a pu être entièrement terminé avant le transfert de l’école à Melun : dix-sept conférences de géographie, dix conférences d’histoire, quatorze conférences de littérature, sept de physique et dix de droit restent encore à faire. Les cours se poursuivent donc à la caserne Augereau jusqu’en décembre 1945. Par ailleurs, le commandant de l’école se réjouit que tous les professeurs de la faculté de Paris aient consenti à poursuivre leur enseignement à Melun.

En janvier 1946, près de deux cents élèves sont attendus à l’école. La première promotion entièrement formée à Melun débute sa scolarité le 16 janvier 1946. Elle se compose de cinquante-neuf élèves-officiers. Parmi ceux-ci, quatre ont été admis à redoubler un stage antérieur, vingt-deux proviennent du recrutement normal, trente ont fait un passage à l’école préparatoire de gendarmerie de Mamers et trois sont issus de la gendarmerie maritime. Les élèves-officiers venant de l’école de Mamers font partie du recrutement exceptionnel ouvert à la Libération aux jeunes gendarmes ayant fait des études au-delà du brevet supérieur ou de la deuxième partie du baccalauréat. Cet élargissement des conditions d’accès au concours des officiers est directement lié aux besoins en cadres éprouvés par l’institution pour faire face aux nombreuses tâches qui lui sont confiées aux lendemains de la guerre.

L’âge moyen des élèves-officiers de la promotion est de vingt-huit ans ; le plus âgé en ayant trente-sept et le plus jeune vingt-deux. Outre l’hétérogénéité des parcours des élèves, le colonel Ziwes note la grande variété de la formation scolaire de base. Deux d’entre eux sont licenciés en droit, sept ont suivi les cours de la première année de licence, trente-et-un ont le baccalauréat complet, deux possèdent la première partie du baccalauréat, quatre sont titulaires du brevet supérieur, quatre détiennent le brevet élémentaire, sept ont été admis au BEPS, un élève a le certificat d’études primaires. Quant aux dix derniers, ils ont subi des études diverses « non sanctionnées par des diplômes officiels ou classiques ». Le commandant de l’école remarque surtout que les épreuves subies à l’école ont révélé par leurs résultats la faiblesse générale de la formation scolaire de l’ensemble de la promotion malgré la possession de diplômes pour la plupart d’entre eux. « Il y a là un phénomène déjà signalé dans les rapports antérieurs, remarque-t-il, et qui semble résulter de l’incidence des évènements de ces dernières années, sur la formation intellectuelle de la jeunesse ». Pour pallier ces lacunes, le colonel Ziwes préconise de renforcer la formation préparatoire des futurs élèves-officiers afin qu’ils arrivent à l’école en possession d’une technique de rédaction sûre, d’une orthographe et d’un style corrects. « Il ne serait être question, commente encore cet officier, de consacrer à la formation de base des élèves un temps précieux par ailleurs, et nécessaire à leur instruction militaire et technique ». Toutefois, malgré les faiblesses constatées en matière de formation initiale, les élèves-officiers fournissent un effort intellectuel et physique très satisfaisant puisque tous finissent classés. Le meilleur élève a obtenu une moyenne générale de 15, 87 sur 20 et le dernier a obtenu une moyenne générale de 10, 97 sur 20. Baptisée du nom du colonel Vessières au cours d’une prise d’armes le 21 décembre 1946, cette première promotion a subi les épreuves de l’examen de sortie du 12 au 20 décembre 1946.

Autre catégorie de stagiaires, les officiers-élèves des premières promotions de Melun présentent aussi un profil particulier. Le colonel Ziwes fait cette constatation pour la promotion Medjez-el-Bab, en formation à l’école du 5 novembre 1946 au 26 février 1947. « La plupart des officiers, remarque-t-il, se sont présentés à l’école dans des dispositions d’esprit inhabituelles. Anciens prisonniers, ils avaient l’impression d’être considérés en parias dans leur arme d’origine, quant aux autres, ils subissaient l’influence d’un climat militaire jugé décevant. Tous ont retrouvé à l’école le goût de servir. La formation morale a été poussée à l’extrême par le personnel du cadre. Il en résulte une émulation dans l’effort et une volonté de bien faire remarquables. Il est permis d’affirmer qu’au point de vue moral, la promotion qui vient de quitter l’école est dans son ensemble, une des meilleurs parmi celles qui s’y sont succédé ».

En ce qui concerne l’accueil des officiers venus se former à Melun, il est intéressant de noter une ouverture précoce de l’école hors du cadre hexagonal et pas seulement en direction des possessions françaises d’outre-mer. Ainsi, les cent quatre élèves de la promotion Medjez-el-Bab comptent dans leurs rangs six officiers luxembourgeois. Le colonel Ziwes note à leur sujet qu’ils ont « fourni pendant leur séjour un réel effort rendu difficile par leur connaissance assez superficielle de la langue française. Ils ont dans l’ensemble et malgré ce lourd handicap obtenu des résultats très satisfaisants ». Dans d’autres promotions, il est fait mention d’officiers représentant la force publique du Brésil ou de trois capitaines de la gendarmerie iranienne. De tels échanges témoignent du succès de la diffusion du modèle gendarmique et de l’intérêt suscité à l’étranger par le système de formation dispensé en France.

En dehors des étrangers, de nouvelles catégories d’élèves font leur apparition à la fin des années 1940. Le principal changement est lié à l’arrivée des élèves-gendarmes. Un centre d’instruction est mis en place à Melun à partir du 13 novembre 1947. Sa création répond aux besoins spécifiques de l’école d’application des officiers. Comme l’explique le lieutenant-colonel Piqueton, alors commandant de l’école, « il y a lieu de considérer que ce centre a essentiellement pour but de fournir une troupe de manœuvre destinée à concourir à la formation militaire des élèves-officiers. Le nombre de ces élèves-officiers est notoirement insuffisant pour permettre s’ils restent isolés, de les former comme chefs et de les préparer efficacement à leur fonction d’instructeurs dans la garde républicaine ». Ce centre demeure en service jusque dans les années 1980. Un autre changement est institué par la décision ministérielle n° 8.451 Gend/T du 20 mai 1948 qui organise un cours préparatoire à l’usage des candidats élèves-officiers. Enfin, la décision ministérielle n° 33.762/Gend/T du 1er août 1949 institue un stage d’information à l’intention des adjudants-chefs et adjudants promus au grade de sous-lieutenant. Se déroulant du 3 octobre au 31 décembre 1949, ce premier stage se compose d’un enseignement théorique, d’un enseignement pratique (correspondance, étude de dossiers divers) et de visites. De ce fait, cinq catégories d’élèves se retrouvent en formation à Melun à la fin des années 1940 : les élèves-gendarmes, les gradés stagiaires, les candidats à l’école d’application, les élèves-officiers et les officiers-élèves.

Les conditions de vie

Comme beaucoup de Français, le personnel d’encadrement et les élèves de l’EAG de Melun endurent les rudes conditions d’existence des années 1940. Après la liesse de la Victoire, les préoccupations du quotidien ont vite retrouvé leur place dans les esprits. Les tickets de rationnement restent encore en vigueur pour quelques temps. Voici un exemple révélateur de cette période. Le 6 mai 1946, le commandant de l’école écrit au délégué régional du GNIS pour pouvoir disposer d’un terrain en bordure de la route de Melun à Paris afin de planter des pommes de terre destinées à assurer le ravitallement des 250 élèves de l’école.

Outre le ravitaillement, le logement constitue l’une des principales inquiétudes. Alors que la caserne Augereau dispose d’une faible capacité de logement du fait de son délabrement, la ville de Melun sérieusement sinistrée n’offre aucune possibilité d’hébergement à l’extérieur. Cette situation perdure pendant plusieurs mois si bien que le personnel d’encadrement est obligé de loger sa famille à une grande distance de l’école. Ainsi, dans une pièce de correspondance du mois de juillet 1946, il est possible de lire que sur six officiers du cadre de l’école, l’un habite à Neuilly/Seine, quatre à Paris et un autre à Montrouge. Ils effectuent quotidiennement le trajet en métro et en autobus. En février 1947, le commandant de l’école se plaint que les travaux engagés tout au long de l’année précédente n’ont toujours pas permis d’aménager le nombre d’appartements nécessaires pour acceillir tout le personnel de l’école. Pour les premières promotions d’élèves les conditions d’existence sont pénibles, notamment au cours de l’hivers 1945-1946. Dans le quartier Augereau, situé sur un plateau froid et humide, les bâtiments où vivent les élèves sont glacials à cause du manque de charbon. Il faut alors recourir au « système D » pour récupérer, là où c’est possible, du bois de chauffage ou du charbon.

Dans ce cadre spartiate, les journées sont rythmées par les cours et les exercices divers prévus au programme. En dehors de l’étude, les distractions demeurent rares, même si l’école se dote de quelques aménagements. Le Cercle permet tout d’abord de pouvoir se trouver entre camarades. Il est également possible de se détendre en lisant quelques ouvrages détenus par la bibliothèque. Autre source d’évasion, le cinéma de l’école propose à partir d’octobre 1946 une séance « récréative » par semaine. Les films sont fournis par le service social et culturel régional de Paris. Enfin, le sport ou les jeux de cartes concourent aussi à entretenir la convialité au sein de la communauté des élèves.

Par ailleurs, durant le cursus scolaire, plusieurs événements viennent rompre la monotonie du quotidien. Les visites d’unités, dans le cadre de la formation, donnent la possibilité aux élèves de découvrir les multiples facettes du service en gendarmerie. Dans un cadre plus culturel, grâce à la proximité de Paris, des sorties sont organisées pour visiter les principaux monuments de la capitale ou les expositions temporaires. Quant aux voyages d’études, s’ils ne sont pas encore d’actualité faute de moyens, quelques excursions sont parfois mises en place par le commandant. Ainsi, lors du séjour au camp de Suippes en juillet 1946, les élèves-officiers sont invités à visiter le secteur de Verdun. En fin d’année, l’arbre de Noël fournit l’occasion de réunir les familles des cadres et des élèves.

Mises à part ces différentes sorties, la vie de la promotion est marquée par deux événements traditionnels : la présentation des élèves au drapeau et le baptême de promotion. La première cérémonie consiste essentiellement en une prise d’armes où les nouveaux élèves sont placés devant le drapeau de l’école et sa garde. La seconde marque plus les esprits car elle se déroule durant toute une journée devant la famille réunie et marque la fin officielle de la scolarité. Le premier baptême organisé au quartier Augereau est celui de la promotion Lieutenant Milbert le 21 décembre 1945. La cérémonie débute dans la matinée en présence de nombreuses autorités civiles et militaires et avec la musique du 150e RI. Au cours de la célébration, le drapeau de l’école est solennellement transmis de la promotion sortante à la nouvelle. À midi, après un vin d’honneur, un repas est servi aux convives. Le colonel Ziwes a laissé un compte rendu détaillé du déroulement de la suite de la journée. Son style est caractéristque d’une certaine époque : « Là, avec beaucoup de talents, les élèves postichèrent professeurs et instructeurs. Heureux de prendre un peu leur revanche, ils le firent avec esprit mais « chiquement » avec courtoisie, à la « Française ». Il régnait une franche gaîté et beaucoup de bonne humeur même parmi les victimes de la verve des jeunes acteurs. Il fut ainsi renoué avec les traditions des écoles militaires d’avant 1939. À 21 heures, un bal avec brillant orchestre réunissait officiers et élèves-officiers et leurs invités. Nos futurs officiers montrèrent qu’ils avaient de brillantes aptitudes pour le « swing » à la plus grande satisfaction de charmantes jeunes filles qui n’avaient pas hésité pour effectuer le déplacement de Melun. Toutes furent très entourées et celles qui s’abstinrent eurent tort. Il y eut de « l’ambiance » et lorsque à six heures le lendemain on se sépara à regret mais en gardant l’espoir que l’EAG organiserait encore de semblables fêtes ».

À l’issue de la scolarité, les nouveaux officiers de gendarmerie rejoignent leurs unités d’affectation obtenues en fonction de leur classement final. En cette fin des années 1940, l’outre-mer offre un grand éventail de choix de mutation. De fait, l’évolution du contexte colonial conduit le commandement à privilégier les départs hors de l’héxagone. Le 30 mai 1950, le ministre de la Défense nationale prescrit même l’organisation de conférences sur les territoires de la France d’outre-mer en vue de provoquer un courant de vocations parmi les militaires de la Gendarmerie. « Cette propagande, explique le commandant de l’école, pour être fructueuse, doit toucher des officiers jeunes. C’est donc à l’école d’application de gendarmerie qu’il est nécessaire de l’intensifier auprès des élèves-officiers provenant de la Gendarmerie et des officiers-élèves des corps de troupe admis dans cette arme. Le but sera atteint, non seulement en organisant des conférences qui pourraient être faites par les coloniaux n’appartenant pas forcément aux cadres de la gendarmerie, mais aussi en mettant à la disposition des élèves une documentation aussi riche que possible ». Plusieurs élèves sortant de l’EAG vont ainsi choisir de servir en Indochine.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la Gendarmerie nationale a choisi d’implanter son école d’application des officiers à Melun. Malgré des débuts difficiles liés au contexte de l’après-guerre, le commandant de l’école et son personnel ont su surmonter les obstacles afin de former les cadres réclamés par l’institution. Au total, entre octobre 1945 et novembre 1950, l’AEG de Melun a accueilli 237 officiers-élèves, 161 élèves-officiers et 49 sous-lieutenants issus du rang. La réorganisation de l’école engendrée par le décret n° 50.1489 du 28 novembre 1950 témoigne de la pérennisation de l’établissement sur le site de Melun. L’EAG devient alors l’école des officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN).

Pour en savoir plus

  • Jean-Noël Luc (Sous la direction de), Histoire de la maréchausée à la Gendarmerie, Guide de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, 1108 p.
  • Benoît Haberbusch (sous la direction de), Pour la partie l’honneur et le dorit, les parrains de promotion de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale, Maisons-Alfort, SHGN, 2004, 227 p.
  • Rémy Stevelberg, Le sabre et le taconnet, Paris, éditions des Riaux, 2005

Lieutenant HABERBUSCH, chef de la section Études et recherches historiques