SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Cet article est paru dans Le Casoar (revue de l’association La Saint-Cyrienne) en juillet 2004.

Présente en Indochine depuis le début de la conquête, la Gendarmerie nationale prend une part active au conflit qui frappe cette péninsule asiatique entre 1946 et 1954. Ses hommes se sont déjà distingués à plusieurs reprises dans le passé. C’est ainsi que l’un des trois Compagnons de la Libération de l’Arme, le capitaine d’Hers, un Saint-Cyrien, s’illustre lors de la lutte contre les Japonais après leur coup de force du 9 mars 1945. Il est tué au combat le 18 mars 1945.

Durant la guerre d’Indochine, la gendarmerie perpétue ses traditions combattantes en envoyant plusieurs milliers de gendarmes et gardes républicains, de tous grades, participer à la lutte contre le Viêt-minh. Dans leurs rangs, figurent des Saint-Cyriens.

Un engagement massif

En décembre 1946, deux formations distinctes de gendarmerie stationnent dans la péninsule indochinoise. D’une part, des prévôtés accompagnent le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient venu reprendre possession des colonies indochinoises, perdues après le coup de force Japonais, d’autre part, un détachement de la gendarmerie d’Indochine Sud est reconstitué à partir des éléments des ex-détachements de Cochinchine-Cambodge et d’Annam-Tonkin. Cette formation est l’héritière directe de la gendarmerie coloniale installée, au moment de la conquête, en 1861.

L’insurrection déclenchée par le Viêt-minh à Hanoï, le 19 décembre 1946, entraîne la constitution hâtive de trois légions de Garde républicaine de marche (LGRM). Leur débarquement s’échelonne de janvier à avril 1947. Avec un effectif total de 95 officiers et 2 840 sous-officiers, ces unités rassemblent des hommes prélevés dans les deux légions d’occupation d’Allemagne, en AFN et en métropole. Comme l’explique le général Sérignan, les militaires des autres Armes accueillent avec curiosité ces nouveaux venus : « selon les bruits qui couraient alors […], ces unités venaient pour assurer la police de la circulation et réprimer, au moyen de procès-verbaux, les infractions commises par les militaires des autres corps de troupe ». La participation des gendarmes aux nombreux combats conduit rapidement à réviser ces jugements sommaires.

D’autres formations stationnent aussi en Indochine comme l’inspection de la gendarmerie en Indochine, créée le 16 avril 1947, ou la section de gendarmerie maritime et celle de gendarmerie de l’Air créées en novembre 1947. En plus des unités formées d’Occidentaux, les gendarmes encadrent des formations indigènes comme la garde civile de Cochinchine qui devient la Garde républicaine de Cochinchine (GRC).

La prolongation de la guerre pendant plusieurs années entraîne un fort accroissement des effectifs. Au total, près de 14 000 hommes se succèdent dans la péninsule entre 1946 et 1956 au rythme moyen d’un séjour de 24 mois. Jusqu’en 1955, 3 000 gendarmes sont présents en permanence sur le sol vietnamien.

Par ailleurs, au cours de cette période, l’ordre de bataille de la gendarmerie d’Indochine évolue sous la pression des événements. Entre 1948 et 1949, l’accession à « l’indépendance dans le cadre de l’Union française » du Viêt-Nam, du Laos et du Cambodge entraîne un transfert de souveraineté aux anciennes colonies indochinoises. Le détachement de gendarmerie doit alors organiser les gendarmeries nationales des trois nouveaux États, tout en assurant, provisoirement, ses fonctions habituelles. En 1952, le détachement de gendarmerie d’Indochine devient le « détachement de gendarmerie d’Extrême-Orient ». En 1954, les accords de Genève scellent le destin de la France en Indochine en mettant un terme au conflit. L’année suivante, une légion mixte de gendarmerie en Indochine regroupe tous les gendarmes affectés sur le territoire. Le départ des gendarmes s’étale dans le temps jusqu’en 1956. Seules quelques missions de gendarmerie subsistent : au Sud Viêt-Nam jusqu’en décembre 1957, au Cambodge jusqu’en 1970 et au Laos jusqu’en 1975.

La variété des missions

La diversité des unités présentes en Indochine place les gendarmes et les gardes dans des formations organiquement et militairement bien différentes les unes des autres : les unités de gendarmerie territoriale, les escadrons commandos ou le groupe autonome d’escadrilles fluviales (GAEF), etc. De la même manière, les missions d’encadrement conduisent le personnel à intégrer des formations variées : garde tonkinoise, garde montagnarde, l’escadron parachutiste de la garde conchinchinoise…

Au sein du détachement de la gendarmerie, l’action des militaires s’organise sur le modèle métropolitain tout en tenant compte des réalités locales. Il en résulte des différences notables. Ainsi, alors que cinq à huit gendarmes constituent une brigade au chef-lieu de canton en France, on en trouve en moyenne en Indochine deux par province, alors que les circonscriptions sont plus étendues qu’en métropole. Surtout, les gendarmes se voient confier de nombreuses fonctions supplémentaires : délégué administratif, agent de finances…

Au sein des prévôtés, les gendarmes assurent dans un premier temps des missions statiques liées à leur implantation territoriale. Toutefois, la dégradation de la situation au Tonkin et le harcèlement viêt-minh en Annam amènent les gendarmes à accompagner les unités envoyées au combat. Ils assurent alors des missions de police militaire d’une prévôté en campagne (protection des populations et des convois, recherche des déserteurs…). Un poste prévôtal est créé à Diên Biên Phù le 1er janvier 1954. Le gradé et les neuf gendarmes qui le composent, choisissent d’assister l’antenne chirurgicale en récupérant et en évacuant les blessés sous le feu ennemi. Aux côtés de ces gendarmes, dix gardes républicains encadrent des prisonniers internés militaires (PIM), constitués en « bataillons ». Après la chute du camp de Diên Biên Phù, sur les vingt gendarmes et gardes emmenés en captivité, la moitié ne reviendra pas.

Avec les légions de marche, les gendarmes perpétuent et illustrent les traditions combattantes de l’institution. Intégrés dans des formations articulées sur le type du « bataillon d’infanterie », ils participent activement au combat contre le Viêt-minh. Pour beaucoup, notamment ceux de la 3e LGRM, leur engagement consiste à encadrer de petites formations autochtones au sein de postes isolés. Plus de 700 postes sont ainsi placés sous la responsabilité de la gendarmerie, et souvent d’un seul gendarme, de la frontière de Chine à la pointe de Camau.

Plusieurs récompenses témoignent de l’effort consenti par la Gendarmerie nationale en Indochine. Le 5 février 1949, une première citation à l’ordre de l’armée salue sa participation active aux opérations de pacification depuis deux ans. Le 25 octobre, pour honorer les gardes servant en Extrême-Orient, l’étendard de la Garde républicaine est confié à la 1re LGRM, stationnée en Indochine. Le 6 juin 1955, le ministre de la Défense nationale cite une nouvelle fois à l’ordre de l’armée les forces de la Gendarmerie nationale en Indochine. Le 14 juillet 1955, à Saïgon, le général Jacquot, commissaire général de France et commandant en chef des forces terrestres, navales et aériennes en Indochine, remet solennellement la croix de guerre des TOE à l’étendard des légions de marche.

Au total, pour la guerre d’Indochine, la gendarmerie comptera 655 morts dont 12 officiers et 1 500 blessés.

Être officier de gendarmerie Saint-Cyrien en Indochine

La situation des officiers de gendarmerie diffère en fonction de leur place dans la hiérarchie et surtout de leur affectation. Un rapport de décembre 1953 révèle les particularités du service en Indochine à travers le cas du détachement de gendarmerie d’Extrême-Orient. Ce document, véritable instantané, dresse un portrait intéressant de l’officier de gendarmerie en Indochine. Mais il est possible en quelques lignes de revivre des moments forts au travers de parcours singuliers de quelques gendarmes Saint-Cyriens.

Parmi les officiers de gendarmerie présents sur le sol indochinois, plusieurs sont issus de Saint-Cyr. Certains, placés à des postes à hautes responsabilités, jouent un rôle éminent pour le sort de l’Arme dans la péninsule. C’est le cas du colonel Pierre-Charles Sérignan à la tête de l’inspection de l’Indochine de 1947 à 1949. Ce fils et petit-fils de gendarme a suivi la voie tracée par ses aînés après un passage à Saint-Cyr. Arrivé en Indochine, il s’emploie, par un labeur infatigable, à faire de l’ensemble des troupes de gendarmerie d’Extrême-Orient, dispersées sur tout le territoire, un véritable corps engagé dans une voie commune. Par son action profonde, tant sur les prévôtés que sur les légions de marche, il obtient de ces formations un important effort dans l’œuvre de pacification des territoires indochinois.

Le colonel André Pelabon, lui aussi Saint-Cyrien et inspecteur en Indochine d’avril 1951 à mai 1953, poursuit l’œuvre entreprise par son prédécesseur. Salué pour ses qualités humaines et son sens de l’organisation, cet officier veille plus particulièrement à ce que les légions de marche de la Garde républicaine remplissent pleinement leurs missions aussi bien dans l’encadrement des supplétifs que dans les postes les plus reculés. Le colonel Pelabon se déplace constamment pour visiter ses unités dans la zone de combat ainsi que ses personnels les plus isolés. Auxiliaire précieux du commandement, son engagement lui vaut une citation à l’ordre de l’armée le 28 avril 1953.

À un échelon différent, un autre Saint-Cyrien, le lieutenant-colonel Émile Crozafon exercera pendant quatre ans le commandement du détachement de gendarmerie d’Indochine. Au cours de l’année troublée de 1946, il réorganise la garde civile de Cochinchine et réinstalle les différents postes de gendarmerie au fur et à mesure de la pacification des territoires indochinois. Lors d’un second séjour, de 1953 à 1955, Émile Crozafon, alors colonel, s’emploie à accroître les capacités combatives de la 3e légion de Garde républicaine de marche, placée sous ses ordres.

D’autres Saint-Cyriens encore sont placés au plus près des unités opérationnelles sur le terrain. Le capitaine Jean Gauthier-Briand est de ceux-là. Entré à l’école spéciale militaire en 1934, il intègre l’école d’application de la gendarmerie de Versailles en octobre 1938. Il rejoint le détachement d’Indochine Sud en février 1947 puis la 3e légion de Garde républicaine de marche de décembre 1947 à juin 1949. Volontaire pour prendre le commandement d’un important détachement de renfort, cet officier se distingue dans la région de Suyut du 10 au 15 janvier 1949. Le 10, il force l’étreinte viêt-minh autour du poste de Suyut et parvient à rejoindre la garnison dont le stock de munitions était presque épuisé. Le 15, il lance des éléments de poursuite qui, surprenant un rassemblement adverse à Ban Suoi Nahn (Tonkin), infligent des pertes sévères à l’adversaire et récupèrent de l’armement, des munitions et des documents. Le capitaine Gauthier-Briand s’illustre quelques mois plus tard lors des opérations dans la région de Tuyeb Quand (Tonkin) du 29 avril au 1er juin 1949. Nommé chef du 4e bureau d’un groupement de quatre bataillons renforcés d’artillerie, de génie et d’un élément maritime, il réussit, malgré de nombreuses difficultés, à assurer normalement le ravitaillement et les évacuations des unités. Il prend directement part au combat de Phu Doan le 15 mai, faisant face à deux assauts d’unités viêt-minh.

Un jeune officier, le lieutenant Yves Tucoulou-Tachouères, a une destinée plus tragique. Né le 24 septembre 1921 à Breuillet, le jeune homme est admis à l’École spéciale militaire en octobre 1942, en pleine occupation. Sa scolarité est brutalement interrompue après l’invasion de la zone libre par les Allemands. Placé en congé d’armistice, il est nommé à titre provisoire dans la gendarmerie comme élève-officier en août 1943. Après un passage dans la région parisienne et en Allemagne au sein de la 1re légion d’occupation, il découvre l’Indochine en janvier 1947 au sein de la 1re légion de Garde républicaine de marche. Affecté au 4e groupe en Cochinchine, cet officier ne cesse alors de se faire remarquer par son audace et sa valeur au combat. En juillet 1947, il est cité à l’ordre du régiment pour récompenser l’incessante activité qu’il mène à la tête de son escadron de gardes républicains dans la région de Batri, contribuant ainsi à la sécurité de la zone. Une seconde citation salue sa conduite lors de l’attaque du 11 juillet 1947 au marché de Bang-Tra (Cochinchine). En janvier 1948, à Chau-Thoi (province de Bentré Sud Vietnam), il s’illustre encore en portant secours à un de ses officiers grièvement blessé lors d’un vif engagement contre le Viêt-minh. Ce jeune père de famille tombe mortellement blessé, en plein combat, le 30 avril 1948, près de Bentré (Cochinchine). Pour honorer sa mémoire, une promotion d’élèves officiers de l’école d’application de gendarmerie de Melun le choisit pour parrain lors de son baptême le 26 mars 1949.

Pendant la guerre d’Indochine, les gendarmes ont été amenés à remplir les missions les plus diverses. Ces soldats de la loi, souvent isolés, se sont considérablement aguerris au cours de ce conflit et les officiers y ont acquis une expérience inégalable. Parmi eux, les Saint-Cyriens ont pu compter sur leur formation militaire initialement reçue et leurs acquis professionnels spécifiques de la gendarmerie, pour servir la France sur ce territoire lointain et périlleux.