SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Par le Chef d’escadron Ali HAROUNE
Revue de la gendarmerie nationale, hors série numéro 3, 2002

A la fin de la  » Grande Guerre « , après bien des atermoiements, les parlementaires décident de désengager les corps de troupe des opérations de maintien de l’ordre. Le 22 juillet 1921 , le Parlement vote une loi portant création de 111 pelotons mobiles composés de 5 000 gendarmes, dont le logement doit être assuré. Ce programme ne se fera pas sans difficultés, d’autant qu’au sortir de la guerre, la société civile comme l’armée sont confrontées à une crise immobilière. Insuffisance budgétaire, multitude de lois, inconfort des logements : les ministères de l’Intérieur et de la Guerre, ainsi que les collectivités locales, sont tour à tour chargés du dossier. Entre 1921 et 1939, la recherche de casernements pour des effectifs en constante augmentation est l’un des problèmes les plus complexes que le département de la guerre aura à traiter. Rappel historique.

En 1921, le département de la guerre met à profit la réorganisation de l’armée pour assurer le logement des gendarmes des pelotons mobiles. Il fait ainsi appel, pour une large part, aux casernements des régiments devenus disponibles en raison de la dissolution d’unités. Toutefois, l’épuisement des ressources immobilières militaires vacantes et l’insuffisance des crédits budgétaires contrarient la poursuite du programme. En effet, les budgets votés par le Parlement se révèlent insuffisants et inadaptés à l’importance du projet. Dès 1924, l’état-major de l’armée attire l’attention du ministère de la Guerre. En vue de réajuster le budget de 1924, il demande à la direction du génie de prévoir la somme de 15 millions de francs au budget de 1925. Ces crédits doivent permettre la construction de casernements à Lille et à Arras mais aussi l’aménagement de casernements pour 21 pelotons choisis dans des villes bien précises. En effet, certaines municipalités, touchées par la crise du logement, sont réticentes à ces hébergements car ils concurrencent sérieusement leur politique sociale. Aussi, la plupart revendiquent-elles les bâtiments militaires devenus vacants afin de loger leurs sans-abri. Cette concurrence sera à l’origine de plusieurs contentieux juridiques.

Les premières difficultés

Les municipalités qui disposaient de la nue-propriété des bâtiments décident de les réintégrer dans le patrimoine immobilier communal et d’y créer des logements pour les nécessiteux. Pour éviter des situations juridiques contentieuses, la loi du 21 avril 1926 est adoptée. Elle précise les conditions dans lesquelles les villes peuvent désormais obtenir soit la cession d’immeubles appartenant à l’État, dès lors qu’ils sont définitivement reconnus inutiles aux services affectataires, soit reprendre la jouissance de casernes qui leur appartiennent en nue-propriété dans le cas où elles ne seraient plus utilisées conformément à leur affectation d’origine.

Ces retards et ces reports de programme ont eu des incidences non négligeables sur le plan opérationnel. En effet, le nombre de formations mobiles se révèle insuffisant pour assurer efficacement la gestion de l’ordre public. De toute part, les préfets réclament la création de nouvelles unités dans leur département. Le ministre de l’Intérieur, qui n’est pas insensible à ces demandes, suit attentivement l’évolution du programme. En 1925, la contribution financière de ce ministère est envisagée. Elle est toutefois écartée pour des questions juridiques liées aux règles de finances publiques. Pourtant, face à l’ampleur des mouvements sociaux, l’action du ministère de l’Intérieur se fait plus pressante. Le 28 août 1926, le ministre de l’Intérieur écrit une lettre au ministre de la Guerre afin de lui exposer les raisons pour lesquelles il estime indispensable d’organiser un corps de gendarmerie mobile de 10 000 hommes dans les plus brefs délais et  » de prendre des mesures pour assurer la protection des établissements industriels et de la liberté du travail lorsque les conflits surviennent entre les ouvriers et les chefs d’entreprise « .

Quelques jours plus tard, le souhait émis par le ministre de l’Intérieur sera partiellement exaucé. Une proposition de décret en date du 10 septembre 1926 prononce, en effet, le rattachement au budget de l’Intérieur des crédits destinés à l’entretien des effectifs stationnés sur le territoire métropolitain ainsi qu’au logement de la gendarmerie mobile. Saisie pour avis, la commission des finances n’accepte pas la proposition du gouvernement de transférer la totalité des crédits d’entretien de la gendarmerie au budget du ministère de l’Intérieur. Les parlementaires estiment qu’il est anormal que le budget d’entretien d’un corps militaire ne figure pas dans le budget de son propre ministère. Ménageant les intérêts, elle arbitre à un tiers la partie des crédits d’entretien de la gendarmerie qui doit rester au budget du ministère de la Guerre.
Pourtant, en dépit des efforts consentis, le programme est victime des soubresauts budgétaires alors même qu’un nouveau format des unités mobiles est fixé à 15 000 hommes en 1928.

Afin de lui conserver toute sa pertinence, de nouvelles voies sont exploitées. Monsieur Maginot, alors ministre de la Guerre, songe à utiliser les facilités offertes par la loi du 13 juillet 1928 sur les habitations à bon marché. Il n’en est pas à son premier coup d’essai puisqu’il l’avait déjà employée pour la construction des casernements des pelotons mobiles de Riom, Dreux et Pontivy. Dans ces trois cas, la Caisse des dépôts et consignations avait fait des avances aux constructeurs afin de permettre l’édification des logements. Toutefois, en 1931, en pleine pénurie de logement, les demandes d’emprunts formulées par d’autres bénéficiaires sont si nombreuses que la commission interministérielle chargée de l’attribution des prêts ne peut que partiellement les satisfaire. D’autres solutions telles que l’appel direct au Trésor par l’ouverture d’un compte spécial, ou l’aide de la Caisse des dépôts et consignations, sont recherchées, en vain.

Pour l’exercice budgétaire de 1931-1932, le ministère de la Guerre dispose de moyens financiers limités mais suffisants pour servir à l’achèvement de la construction de 242 casernements. Les ressources financières nécessaires à la construction des 123 casernements restants avant fin 1933-1934 devaient impérativement être trouvées.

Faisant abstraction des considérations initiales, les parlementaires admettent en 1933, pour la première fois, le principe d’un financement du casernement par les collectivités locales. La réalisation massive du programme, sans pour autant imposer une charge financière excessive aux différents exercices budgétaires annuels, apparaît comme l’objectif principal.

La loi du 31 mai 1933

Un cadre juridique particulier est mis en place le 31 mai 1933. Le Parlement inclut dans la loi de finances une disposition qui autorise désormais le département de la Guerre à passer des baux d’une durée maximale de 30 ans avec les collectivités ou, dans une moindre part, avec des sociétés privées. Cette procédure, dite de  » l’article 144 de la loi de finances du 31 mai 1933 « , consiste tout simplement à recourir à un organisme prêteur. Ce dernier s’engage à assurer la totalité des frais de construction, mais en contrepartie d’un remboursement par l’État sous forme d’annuités trentenaires. Les collectivités locales se chargent du financement et éventuellement de la construction des immeubles nécessaires au logement des gardes républicains mobiles. Toutefois, les logements sont acquis par l’Etat à l’expiration du bail. Ce contrat de bail n’est en fait qu’une convention de financement.

Les bailleurs qui se manifestent sont presque essentiellement des collectivités publiques, et plus rarement des personnes privées. En effet, le département de la Guerre se méfiait d’un financement direct par ces dernières qu’il jugeait peu sûres. Intéressés par ces nouvelles perspectives de marchés, des groupements d’intérêts privés se constituent dans plusieurs villes. Ils n’hésitent pas à solliciter directement des municipalités afin de financer les travaux en contrepartie de leur réalisation.

Après quelques mois d’application, cette procédure montre ses limites. Les conventions établies entrainent de nombreuses charges pour les communes. Certaines clauses sont en outre jugées exorbitantes. Prenant acte de ces imperfections, le ministère de la Guerre modifie le régime d’appropriation des immeubles construits par les collectivités territoriales. L’ État n’est désormais plus propriétaire du casernement à la réception provisoire mais à l’échéance du bail de 30 ans par le versement de la dernière annuité. Pendant le bail, les collectivités sont ainsi exonérées de toutes charges. Dès la réception provisoire, l’État assure non seulement les frais d’entretien mais assume aussi les risques de destructions partielles ou totales.

Parallèlement, dès février 1934, le ministère de la Guerre laisse aux communes ou aux départements le choix de faire construire, soit par le Génie soit par leurs propres moyens, les casernements . Ce dernier point est d’ailleurs un de leurs souhaits. En effet, pour des raisons architecturales ou sous l’influence d’entrepreneurs voire de chômeurs locaux, les collectivités ont parfois intérêt à en assurer la construction.
Malgré quelques modifications, les communes continuent à rencontrer des difficultés aussi bien sur le plan technique que financier. Compte tenu des taux d’intérêt pratiqués par les banques, l’amortissement des emprunts se révèle lourd. En outre, sur le plan technique, la procédure de l’article 144 de la loi de 1933 est longue et complexe. Les mesures mises en place sont inadaptées et ne produisent pas les effets escomptés. Un an et demi après le vote de la loi, sur les 84 pelotons prévus pour être financés selon la procédure de l’article 144, seuls 15 départements ou communes s’étaient engagés à prendre la construction à leur charge. Cinq pouvaient les assumer financièrement et seule la commune de Saint-Servant était passée à l’exécution des travaux.

Afin de résoudre les difficultés liées aux emprunts, le département de la Guerre intervient auprès du ministère du Travail. Il essaye d’obtenir des fonds prélevés sur ceux relatifs à la réalisation du plan de grands travaux contre le chômage, sans succès. Des démarches similaires sont entre prises auprès du ministère des Finances, qui lui conseille de recourir au Crédit foncier. Cet organisme bancaire deviendra d’ailleurs le partenaire obligé et le créancier d’un grand nombre de collectivités territoriales.

Des logements inconfortables

Le ministère de la Guerre, inquiet des retards, confie une enquête à la direction du contrôle afin d’analyser précisément les raisons des dysfonctionnements. Au mois de décembre 1934, le contrôleur général conclut que c’est au ministère de la Guerre d’assurer la construction des logements militaires. La direction du contrôle propose même la modification de l’article 144 de la loi du 31 mai 1933 en ces termes : « Le ministre de la Guerre est autorisé, pour assurer le logement de la garde républicaine mobile, à passer des baux d’une durée maximale de trente ans, ou à faire construire des casernements dont le prix sera payé en trente annuités. Les paiements des annuités afférentes tant aux baux qu’aux constructions seront effectués par imputation sur les crédits d’entretien de la garde républicaine mobile. Prenant acte de ce souhait, le 24 décembre 1934, le Parlement autorise le gouvernement à employer cette procédure exceptionnelle destinée à substituer aux paiements immédiats et intégraux des travaux, des paiements échelonnés sur une durée pouvant aller jusqu’à 30 ans.

Mais les procédures de l’article 144 de la loi du 31 mai 1933 et de l’article 36 de la loi de finances du 24 décembre 1934 ne permettent pas de donner une impulsion au programme de construction des casernements de la garde républicaine mobile. Aussi, le 23 octobre 1935, le gouvernement prend-il un décret-loi afin de régler les difficultés rencontrées par l’application de ces deux lois de finances. Il donne désormais une base légale à une procédure des contrats d’acquisition avec paiements échelonnés sur plu sieurs exercices. Cette réforme est d’autant plus opportune qu’en 1935, le programme de construction ne permet plus d’assurer le logement des nouveaux gardes républicains mobiles dont l’effectif est porté à 20 000 par un décret-loi du 23 octobre 1935.

Le manque de logements ne sera pas la seule préoccupation. En effet, afin de réaliser ce programme, des casernements sont rapidement pris en compte sans se soucier de leur confort. A titre d’exemple, des chefs de famille occupent des logements réservés à des célibataires voire une seule pièce sans cuisine annexe. En 1935, dans son rapport sur l’état d’esprit, le colonel Lavit, commandant la 22e légion de garde républicaine mobile note que plusieurs cuisines dont la plupart sont sans feu et séparées de celle du voisin par de simples cloisons ou même de simples portes condamnées rendent ainsi tout à fait illusoire le secret de leur vie familiale et les privent d’une complète détente « . Des casernements présentent même des défectuosités d’ordre sanitaire. A Beauvais (Oise), huit cas graves de tuberculose sont constatés en dix ans .

A Bitche (Moselle), les gendarmes des pelotons de la 15e compagnie de la garde républicaine mobile ne sont logés que provisoirement dans le camp. Deux ans plus tard, ils sont toujours maintenus sur les lieux. Cette situation n’est pas sans incidence sur le moral des militaires. Dès leur arrivée, les nouveaux affectés demandent leur mutation. Entre le 1er août 1937 et le 10 septembre 1938, quinze gardes mariés sont mutés pour défaut de logements adaptés à leur charge familiale. Pendant la même période, le tiers de la compagnie est renouvelé. Six gardes célibataires se portent volontaires pour d’autres formations de la garde républicaine mobile ou de la gendarmerie, deux préfèrent démissionner et un garde s’étant marié à une étrangère a, quant à lui, été muté. Ces mouvements ont grevé la capacité opérationnelle des unités.

De nouveaux crédits budgétaires

En attendant que les réformes produisent leurs effets et relancent le programme de construction, des immeubles sont loués afin de constituer des casernements provisoires. Ces locations vont permettre l’installation de 110 pelotons. En 1935, les dépenses réalisées pour constituer le casernement présentent désormais un caractère complexe. Certaines correspondent à des annuités trentenaires, d’autres à des travaux neufs payés en capital sur les crédits budgétaires ou à des locations simples d’immeubles.

A partir de 1936, le gouvernement demande à la Chambre des députés la modification du décret-loi du 23 octobre 1935 pour permettre l’accélération de la construction des logements de la garde républicaine mobile et des sous-officiers mariés. La Chambre adopte le 19 mars 1936 un projet de loi. Le texte législatif prévoit non seulement d’augmenter les effectifs de la garde républicaine mobile, de modifier à titre transitoire les conditions de recrutement des militaires de la gendarmerie mais aussi de permettre l’accélération de la construction des logements de la garde républicaine mobile et des sous-officiers mariés. Deux mois plus tard, le 30 juin 1936 le Parlement vote une loi qui indique  » que les baux de longue durée, prévus à l’article 144 de la loi du 31 mai 1933 et à l’article 36 de la loi du 24 décembre 1934 pourront être remplacés par des acquisitions avec paiements échelonnés sur plusieurs exercices « .

Outre cette évolution technique, la loi du 18 août 1936 relative au programme national des grands travaux va permettre de débloquer des fonds importants (19) pour la construction de casernements. Profitant de cette manne financière, le département de la Guerre envisage la suspension de la procédure de l’article 144 de la loi de finances du 31 mai 1933. Mais l’optimisme n’est que de courte durée. En effet, quelques mois plus tard, le programme de construction connaît à nouveau des soubresauts budgétaires alors que, paradoxalement, la loi de finances du 31 décembre 1936 porte les effectifs de la garde républicaine mobile à 27 000, soit 172 pelotons à réaliser au fur et à mesure des possibilités financières.

Au milieu de l’année 1937, les restrictions budgétaire imposées conduisent tout naturellement le ministère de la Guerre à recourir de nouveau à l’article 144 de la loi du 31 mai 1933 afin de poursuivre la réalisation du casernement, Le Parlement, conscient des difficultés qu’entraînait cette dernière procédure, fait un effort financier. Il vote les crédits budgétaires nécessaires pour édifier les casernements que les collectivités locales ne peuvent construire. Ils sont désormais financés pour partie par les crédits budgétaires et pour partie au moyen de la procédure de l’article 144 de la loi du 31 mai 1933.

En 1939, le département de la Guerre a désormais rompu avec sa position initiale de mettre à la charge de l’État le financement du casernement des formations mobiles. Il combine tout simplement les différentes possibilités offertes par les crédits budgétaires ou les collectivités départementales ou communales. Le 1er janvier 1939, les officiers et sous-officier des douze états-majors de légions, quarante-neuf états-majors de groupes, cent cinquante-huit états-majors de compagnie ; et quatre cent quatre-vingts pelotons sont logés. Il reste entreprendre la construction de onze états-majors de légions vingt-neuf états-majors de groupes, quatre-vingt-douze états majors de compagnies et deux cent soixante pelotons de garde républicaine mobile.

Le programme de construction ne sera toutefois pas mené à son terme. La déclaration de la guerre va l’interrompre puisque les gardes seront prélevés de leurs pelotons afin d’encadrer les unités combattantes d’infanterie et de cavalerie. Au mois de septembre 1940, tout le personnel n’entrant pas dans la composition des trois légions de garde républicaine mobile de l’armée d’Armistice est affecté aux légions de gendarmerie départementale. En novembre 1940, la garde républicaine mobile, considérée comme force constitutive de l’armée d’Armistice par les Allemands, est réduite à 6 000 hommes, répartis en 6 régiments. Elle est ensuite détachée de la gendarmerie pour être subordonnée à la direction de la cavalerie jusqu’à la dissolution de l’armée d’Armistice en 1942.