SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE
Georges Clemenceau à la fin de la Première Guerre mondiale, en conciliabule avec des généraux.
© Service historique de la Défense

Dans l’article précédent ont été relatées les vicissitudes de la gendarmerie mobile avant-guerre ; instituée en une légion en 1871, pendant quelques années, avant d’être supprimée pour laisser place à des projets non aboutis répétés jusqu’à la Première Guerre mondiale. Puis, à nouveau, dans un tout autre contexte, l’idée de gendarmes dévolus au maintien de l’ordre, non assignés à des brigades, ressurgit en 1917, pour se concrétiser dans des pelotons mobiles en 1921.

Georges Clemenceau était ministre de l’Intérieur en 1906, quand le projet de loi de reconstitution d’une gendarmerie mobile fut rejeté par la Chambre des députés. On connaît la pugnacité du Tigre quand il s’agit de mettre en œuvre ses convictions et le contexte de la guerre renforce encore ce trait. Les événements et les nécessités lui permettent désormais de réaliser ce à quoi il a dû renoncer une dizaine d’années plus tôt.

Les révolutions russes et la prise du pouvoir par les bolchéviques en octobre 1917 ne sont sans doute pas pour rien dans la grève massive qui affecte des usines d’armement en France au printemps 1918, alors que l’issue de guerre reste encore très incertaine. Face à des mouvements sociaux dont l’ampleur s’accroît semaine après semaine, les pouvoirs publics ne peuvent compter sur une gendarmerie départementale considérablement amoindrie en nombre et dégarnie de ses effectifs les plus jeunes, mobilisés dans les troupes de ligne ou dans la gendarmerie prévôtale.

En janvier 1919, avec la démobilisation des réservistes, qui occupaient les fonctions de gendarmes auxiliaires depuis quatre ans, la gendarmerie souffre d’un problème aigu de personnel. Celui-ci menace indirectement la stabilité du régime si une révolution venait à se déclencher, ce qu’exprime explicitement la sous-direction de la gendarmerie en 1919, en prévenant : « les idées bolchévistes ne vont-elles pas se propager avec une rapidité effrayante ? […] L’édifice social, dont le maintien coûta la vie à tant de vaillants soldats, doit être sauvegardé [et] les gendarmes continueront, à l’intérieur, leur mission protectrice de la liberté », comme le rappelle Louis-Napoléon Panel, dans son ouvrage essentiel sur le sujet, La Grande Guerre des gendarmes (2013, Nouveau-Monde Éditions).

« Seulement »ministre de l’Intérieur en mars 1906 quand le projet de recréation d’une gendarmerie mobile est rejeté par les parlementaires, Clemenceau est désormais ministre de la Guerre et président du Conseil depuis novembre 1917. En toute discrétion, pour ne pas dire clandestinement, le futur « Père la Victoire » demande au lieutenant-colonel Plique et au général Bouchez de constituer des sections prévôtales, au début de l’année 1918, chargées principalement d’assurer la police judiciaire militaire. Mais l’habileté est aussi d’indiquer aux trente-six sous-officiers commandant ces sections d’une trentaine d’hommes, qu’ils seront incidemment « détachés […] pour […] assurer éventuellement le maintien de l’ordre. »

Un peloton de la Garde républicaine mobile en 1936. On notera que le port de la moustache n’est plus obligatoire depuis quelques années.
© Service historique de la Défense

Ces nouvelles unités sont presque immédiatement dépêchées dans les centres industriels où l’agitation sociale est sensible et leur action est saluée par les pouvoirs publics locaux. Leur nécessité est immédiatement reconnue, d’autant plus que leur action ne se traduit par aucun mort.

Avec la démobilisation qui s’accentue en 1919, se pose évidemment la question de la dissolution de ces sections rattachées à la prévôté, rappelons-le, alors que les brigades départementales de gendarmerie restent encore très affaiblies quant à leurs capacités. Pour répondre aux besoins formulés par les préfets ou les chefs de légion quant à la pérennité de cette force d’appoint, le sous-directeur de la gendarmerie opère un remarquable tour d’illusionniste, si l’on ose dire : le 28 juillet 1919, il dissout ces sections temporaires, pour immédiatement, dans la phrase suivante, créer des pelotons permanents – pour moitié à cheval, pour l’autre à pied – permettant, le cas échéant, « la constitution rapide de détachements en vue du maintien de l’ordre. » Le nom change, mais l’organisation et la finalité persistent, avec des moyens budgétaires constants, ce qui évite d’avoir à solliciter une approbation parlementaire.

Ce subterfuge a été rendu possible par une autre innovation, elle-même essentielle pour comprendre pourquoi certains des projets d’avant 1914 réussissent enfin à s’appliquer quelques années après ; la Grande Guerre, à ce titre, étant moins une parenthèse qu’un accélérateur.

Il s’agit donc du décret du 16 février 1918, qui institue une sous-direction de la gendarmerie, rattachée à la direction de la Cavalerie, recevant dans ses attributions « toutes les questions relatives à l’organisation de la gendarmerie, à l’administration du personnel (officiers et troupes), à l’inspection et à l’administration des corps de l’arme. » Le 19 février 1918, le lieutenant-colonel Joseph Plique, promu peu après colonel, en prend la tête. Et comme ces sections prévôtales, qui devaient être temporaires, cette sous-direction, dont l’existence devait se limiter à la durée du conflit et qui connut quelques vicissitudes parlementaires, fut pérennisée et même transformée par la loi de finances du 31 juillet 1920, qui autorisa la création d’un emploi de directeur et d’un emploi de sous-directeur à l’administration centrale du ministère de la Guerre. Le colonel Plique – alors commandant de la légion de gendarmerie de Paris, puisque sa sous-direction avait été supprimée entre-temps – était nommé directeur de la gendarmerie, le 29 octobre.

Un casernement de la Garde républicaine mobile à Issy-les-Moulineaux dans les années 1920.
© Service historique de la Défense

C’est cette nouvelle direction – qui bénéficie désormais d’une marge de manœuvre que n’avait pas la gendarmerie avant-guerre, étroitement soumise à la direction de la Cavalerie – qui publie, le 15 novembre 1921, une circulaire où apparaît l’épithète « mobile », pour désigner les pelotons de gendarmerie précédemment décrits.

Comme l’écrit le politiste Patrick Bruneteaux, cette année, la gendarmerie institue donc des « unités professionnelles créées presque clandestinement. » Et la discrète mention dans le Mémorial d’une « gendarmerie mobile », en haut d’un tableau des emplacements des pelotons alors consolidés, souligne le souci de ne pas éveiller l’attention et de ne pas susciter d’opposition.

Le 10 septembre 1926, dans un important décret relatif au rattachement de l’ensemble des crédits destinés à l’entretien de la gendarmerie au budget du ministère de l’Intérieur – et non plus pour moitié également au ministère de la Guerre -, apparaît, dans son article deux, et alors que le texte n’en est pas l’objet principal, l’appellation « Garde républicaine mobile ». Celle-ci est organisée en légions moins d’un an plus tard, le 16 juillet 1927. Son organisation et ses moyens deviennent ainsi désormais distincts de manière inédite de ceux de la gendarmerie départementale, alors que son caractère militaire est appuyé, ne serait-ce que par son intégration à l’organisation générale de l’armée par la loi votée trois jours auparavant.

Des gardes républicains mobiles équipés pour le service au grève prennent une pose martiale dans les années 1930.
© Service historique de la Défense

La figure du « premier flic de France » aura donc été centrale, et même décisive dans l’émergence de cette subdivision de la Gendarmerie nationale célébrée en 2021. Si le profil du « Tigre » figure de façon habile dans le logo de la Direction centrale de la police judiciaire, rappelant ainsi son rôle dans la création des brigades mobiles de la Sûreté générale, cette référence historique et mémorielle de la Police nationale pourrait être largement partagée par la Gendarmerie, et encore plus par sa composante spécifiquement dédiée au maintien de l’ordre.

Comme on l’a vu également, la date de naissance définitive et assurée de la gendarmerie mobile est difficile à établir avant et après 1914 : « légion de gendarmerie mobile » en 1871, « sections de gendarmes détachés » en 1917, « pelotons mobiles de gendarmerie » en 1921, « Garde républicaine mobile » en 1926… Et ce n’est que le 20 septembre 1954 que les gendarmes mobiles appartiennent désormais à un corps portant officiellement le nom qu’on lui connaît aujourd’hui de « Gendarmerie mobile ». Ce centenaire de la « Mobile » amène de façon incidente à s’interroger sur les fondements des éléments de l’identité et des traditions, donc avant tout de la mémoire et de la symbolique, d’une institution, et encore plus lorsqu’elle est militaire, comme le signale l’ouvrage récemment paru, dirigé par le lieutenant-colonel Édouard Ebel.