SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE


« Toute origine est obscure » a écrit Voltaire. Celles de la Gendarmerie nationale, corps le plus ancien de l’armée française, le sont tout particulièrement. Pourtant, grâce à l’action tenace et éclairée de quelques membres de l’Arme, ces dernières ont pu être mises en lumière. Le généraux Larrieu et Plique furent ainsi parmi les premiers, dans le courant des années 1920, à retracer les origines médiévales de leur institution. Mais en septembre 1936, c’est à un modeste capitaine de gendarmerie départementale qu’est due une découverte majeure pour l’histoire du corps…

La prévôté des maréchaux, créée au début de la guerre de Cent Ans, est attestée avec certitude dès 1339. Avec cette institution, Philippe VI se dote d’un corps militaire destiné à maintenir l’ordre à la suite des troupes, à chasser les bandes armées qui suivent l’ost royal, à lutter contre les soldats débandés et leurs possibles exactions, à l’heure où sont rassemblées des forces importantes. Le prévôt, généralement un grand seigneur du royaume, est ainsi le délégué (praepositus) des maréchaux, ou chefs des armées royales, pour les questions de discipline, assisté dans cette tâche par des sergents archers et des sergents à pied.

Dévolue ordinairement à un gentilhomme ayant déjà exercé un commandement, cette charge reste avant tout un office militaire. Aussi n’est-il pas rare que le prévôt des maréchaux, en marge de ses pouvoirs judiciaires aux armées, redevienne, à l’occasion, un combattant, et participe à la bataille. Ainsi en va-t-il de Jean Montaigne, prévôt sous Philippe VI, qui périt en mer au cours de la bataille de l’Écluse, le 24 juin 1340. Le prévôt Tristan l’Ermite, quant à lui, est fait chevalier par le comte de Dunois, généralissime de Charles VII, sur la brèche de Fronsac, en Guyenne, avec quarante-neuf autres seigneurs, le 29 juin 1451. Selon l’historien Martin du Bellay, François Ier, avant la bataille de Pavie, chargea le prévôt Chandiou de la garde des tranchées du château de Milan. Cependant, le cas le plus illustre d’un prévôt s’illustrant au combat est longtemps resté anonyme…

Depuis longtemps, en effet, il était connu qu’un prévôt des maréchaux fût mort au cours de la bataille d’Azincourt, le 25 octobre 1415, parmi les quatre mille seigneurs et chevaliers français tués face à l’armée anglaise. Son nom, pourtant, s’était perdu au fil des siècle. En 1935, un officier passionné d’histoire, le capitaine Benoit-Guyod, se lance à sa recherche. Parcourant les ouvrages relatifs à la Guerre de Cent Ans, il tente de retrouver l’identité de ce grand ancien tombé devant les cavaliers d’Henri V. C’est ainsi qu’il finit par exhumer de la bibliothèque de Besançon un manuscrit de la collection Chiflet, dont le folio n° 64, copie ancienne d’un ouvrage disparu de la bibliothèque des ducs de Brabant à Bruxelles, nommant quatre personnages tués au combat d’Azincourt. Ce document, qui correspond en fait à un procès-verbal d’ensevelissement, décrit la sépulture de quatre chevaliers enterrés dans l’église d’Aucy-les-Moisnes – aujourd’hui Auchy-les-Hesdin, dans le Pas-de-Calais – , parmi lesquels un certain « Le Galet de Fouchières, prévost des maréchaux ». Ainsi fut rendu publique, pour la première fois, le nom du prévôt Le Gallois de Fougières, l’orthographe exacte étant rétablie par le généalogiste d’Hozier.

Persuadé alors de pouvoir retrouver non seulement le nom, mais aussi les restes de cet illustre ancêtre de la gendarmerie, Benoit-Guyod se rend ensuite, fou d’impatience, dans l’église d’Auchy et constate avec soulagement qu’elle n’a vraisemblablement connu aucune modification importante depuis le XVe siècle, ce que lui confirme M. Debriet-Florival, le curé-doyen. Résolu à mener l’enquête jusqu’au bout, le capitaine sollicite des monuments historiques l’autorisation de fouiller le sol de l’édifice, et fait adopter par la Société pour l’érection d’un monument national à la mémoire des morts de la gendarmerie, que préside le colonel Lélu, une motion unanime pour le suivi et la prise en charge de ces travaux. Les fouilles sont entreprises le 8 septembre 1936. Benoit-Guyod, absent pour raison de service, ordonne aux entrepreneurs de commencer par sonder le secteur situé à l’entrée de la nef, à la droite du portail, endroit où il soupçonne l’existence de la fosse des quatre chevaliers. Quelques heures plus tard, le maréchal des logis-chef Lepage, commandant la brigade d’Auchy, lui télégraphie que plusieurs squelettes en bon état ont été dégagés à la place indiquée. N’y tenant plus, le capitaine prend une permission de vingt-quatre heures et se rend sur les lieux : « À nos regard émus, écrit-il, se présentaient au fond d’une fosse située à l’intérieur et à droite de la porte de l’église, un alignement de quatre squelettes couchés cote à cote, à la profondeur de 1,50 mètres. Comptés de la droite à la gauche par rapport au groupe (ce qui est l’ordre de préséance habituel, et par conséquent celui du manuscrit) nous pouvions constater que le quatrième, qualifié par les ensevelisseurs de ‘‘petit Hollandes’’ était d’une taille notablement plus courte que ses compagnons », détail qui permet d’identifier formellement la fosse comme celle décrite par le document Chifflet.

Selon ce manuscrit, le troisième corps est celui de Le Gallois ; or il est de plus forte stature que les autres, et d’après les examens pratiqués par un médecin dépêché sur place, il correspond à celui d’un homme d’une soixantaine d’années : voilà qui confirme l’hypothèse, les prévôts des maréchaux étant généralement d’anciens chefs de guerre, par conséquent plus âgés que la moyenne. Ses restes sont séparés des trois autres corps et exhumés le 12 septembre 1936, en présence de nombreuses autorités civiles et militaires. Sont venus en cette occasion le colonel Lélu, président de la Société nationale des anciens officiers de gendarmerie, le colonel Léguillette commandant la 1ère légion de Lille, le chef d’escadron Eloy, commandant la compagnie du Pas-de-Calais, le capitaine Pruvôt, commandant la section de Montreuil-sur-Mer, enfin le chef Lepage, commandant la brigade territoriale. Les cendres de Le Gallois sont recueillies dans une urne de chêne, et il est décidé que celle-ci serait le cœur du monument à la gloire de la gendarmerie, en construction à Versailles.

C’est ainsi qu’un peu plus tard, cours d’une cérémonie solennelle, Le Gallois de Fougières, prévôt des maréchaux du roi Philippe VI tombé à la bataille d’Azincourt, prend place sous l’hypogée du monument du rond point de la Loi, à Versailles. Désormais, chaque 21 février, c’est sur sa tombe que la gendarmerie rend hommage à tous ses membres tombés dans l’exercice de leur devoir.