Histoire et Patrimoine des Gendarmes

Patrimoine

Le drapeau de la 7e légion de gendarmerie mobile au panthéon des emblèmes militaires

Général (2s) Georges PHILIPPOT

Président de la SNHPG

Docteur en histoire

Premier commandant de la 7e légion de gendarmerie mobile (1991-1994)


En novembre 2011, au cours d’une cérémonie sobre et émouvante le drapeau de la 7e Légion de gendarmerie mobile était déposé, par le général Tritsch, adjoint au général commandant la Région de Gendarmerie de Lorraine, au château de Vincennes, dans la rotonde des drapeaux et étendards des unités dissoutes. C’est l’occasion d’évoquer ici la très belle et malheureusement trop courte épopée de cette grande unité, créée le 1er septembre 1991 et dissoute en 2004, en même temps que toutes les autres légions de gendarmerie mobile, sans qu’aucun des décideurs de l’époque n’ait jamais pu fournir une justification sérieuse à cette destruction d’une organisation qui donnait, tout au moins pour la 7e LGM, toute satisfaction.

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Cérémonie de remise du drapeau de la 7e LGM à la salle
des emblèmes au Château de Vincennes, en novembre 2011

Les premières années : un formidable renouveau de la gendarmerie mobile

La re-création des légions de gendarmerie mobile en 1991, déjà dissoute en 1966, faisait suite à la première crise de la gendarmerie de 1989. Comment redonner un supplément d’âme à cette institution qui partait à la dérive ? Le rapport du 25 juillet 1989, du général commandant la 6e région de gendarmerie, adressé au ministre de la Défense, tombait à point. Soulignant les multiples dysfonctionnements constatés lors de l’inspection des 24 escadrons de GM de la 6e région, le général en identifie les causes. Essentiellement, une inadaptation des structures de commandement qui conduit les commandants de légion de l’époque à considérer la gendarmerie mobile, dont ils ont la gestion en charge, mais très peu l’emploi, comme « une variable d’ajustement » dans la résolution de leurs problèmes immobiliers, financiers, logistiques ou de gestion de personnels, comportement à peine dissimulé derrière « une bienveillante condescendance, un intérêt souvent artificiel et forcé qui ne trompent pas ». La conclusion de ce rapport est claire. Pour donner à la gendarmerie mobile la considération qui lui fait défaut, renforcer son moral, développer ses compétences et obtenir le plein rendement de ses moyens, il est nécessaire de « créer un organe spécifique de commandement de la gendarmerie mobile, relevant directement du commandant de région, disposant des pouvoirs normalement dévolus aux commandants de légion ». Chose faite en 1991.

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Médaille de la 7e LGM
symbolisant autour de l’insigne
de la légion les trois groupements,
de Champagne (le cor de chasse),
de Lorraine (la croix de Lorraine),
d’Alsace (la cigogne) et portant
la devise de la légion : « Et vigil Et pugnax »

L’effet fut considérable, sur tous les plans. Libérée de la tutelle sclérosante de la gendarmerie départementale qui la considérait comme une force supplétive, la gendarmerie mobile retrouvait sa dignité. Dotés de la même autonomie que les commandants de légion de gendarmerie départementale, les nouveaux commandants de légion de GM pouvaient donner à leurs unités l’impulsion correspondant à de jeunes militaires avides de servir. Dans le domaine de la formation, par exemple, alors qu’il était soi-disant impossible de former plus de trois moniteurs commandos par an, au temps de la domination de la GD, dès la première année, ils étaient formés à la 7e LGM, à contraintes pourtant égales, par pelotons de 30, soit 90 moniteurs par an, 270 pour les trois premières années. En quelques années l’allure même des unités de GM avait changée. « Moins de gras, plus de muscles ». Avec un chef à leur tête et un drapeau, elles étaient fières de défiler à Metz, à l’occasion du 14 juillet, en tête des troupes, valorisant d’un seul coup l’image de la gendarmerie tout entière aussi bien aux yeux des autres armées qu’aux yeux de la population. Jumelage avec compétitions et stages communs avec les unités allemandes de Bereitshaftspolizei des landers frontaliers, voire même de Rhénanie-Westphalie, compétitions internationales de sport y compris aux États Unis, innovations technologiques (le premier réseau Intranet couplé avec un réseau TV fonctionnait à la 7e LGM dès 1993, soit 7 ans avant la généralisation de l’Intranet à toute la gendarmerie)… témoignaient de ce renouveau extraordinaire. Quant à l’emploi, l’accroissement des compétences des personnels liées à la formation tombait à point au moment où de nouvelles menaces apparaissaient. Outre les déplacements habituels de maintien de l’ordre en France métropolitaine et Outre-mer, les détachements de la 7e LGM enchaînaient les Opex : Bosnie, Kosovo, Liban…, sans compter les assistances techniques au Tchad ou ailleurs, fiers d’appartenir à cette « légion sur laquelle le soleil ne se couchait jamais ».

Qui a tué les légions de mobile ?

Cette question est indissociable de l’autre question plus fondamentale : pourquoi ? Pourquoi a-t-on supprimé cette organisation, quelques années après sa création ? Qui, de ceux qui l’ont créée en 1991 et de ceux qui l’ont supprimée en 2004 (quelques mois avant les émeutes de la région parisienne !), alors qu’elle donnait toute satisfaction, lesquels avaient raison ? De quelque point de vue que l’on se place, la réponse est évidente. La gêne de ceux qui ont suivi de près cette suppression, lorsqu’on leur pose la question, signifie, pour le moins, que tous les décideurs n’étaient pas d’accord.

Les vrais motifs inavoués dont il conviendrait de mesurer le poids respectif sont multiples. Ils relèvent moins du rationnel que de l’affectif. Il y a tout d’abord la sempiternelle plainte de cette gendarmerie traditionnelle, râlante et geignante, qui supportait mal de voir ces jeunes gendarmes mobiles, souriants et heureux, qui, de surcroît, étaient bien payés et n’avaient, bien sûr, rien à faire d’autre qu’à se promener autour de la planète, alors qu’eux souffraient chaque jour sous le harnois. Équité oblige. Pas de privilégiés. Cette jalousie, bien réelle et de tout temps, avait déjà été mise en lumière, après la fin de la Guerre d’Algérie, lors de la première disparition des légions de gendarmerie mobile. Mais cet environnement sociologique latent et permanent, s’il facilitait la suppression, ne suffit pas à l’expliquer. Le peu d’intérêt, voire la déconsidération, de la gendarmerie mobile est, aussi, profondément inscrit dans les gènes de la haute hiérarchie, depuis… sa création. L’histoire peut en témoigner. Il faudrait examiner de près la carrière des décideurs de l’époque pour trouver peut-être, entre leur longévité à la direction générale de la gendarmerie d’une part et leur passage éclair en gendarmerie mobile, quelques décennies plus tôt, d’autre part, « l’écart-type » expliquant cette curieuse appréciation d’une gendarmerie mobile qu’ils ignorent, appréciation qui s’étend sur une échelle qui va de la bienveillante condescendance, au mieux, à un mépris affiché sans vergogne, au pire. Cette suppression n’est probablement pas étrangère à des vécus professionnels très personnels.

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Le pin’s de la 7e LGM

Quant aux motifs rationnels supposés, on peut essayer d’en chercher et de les examiner un à un. Qu’ils s’agissent de gains en termes d’effectifs, d’économies financières, de meilleur emploi au profit de la gendarmerie départementale…, aucun de ces arguments n’est probant. Ils ne sont d’ailleurs même pas avancés dans la lettre que la direction générale de la Gendarmerie nationale adresse au signataire de cet article, en réponse à sa lettre du 25 juin 2004. « La réforme envisagée… contribue à simplifier et à rationaliser l’organisation de la gendarmerie. Cette évolution est une nécessité afin de permettre à la Gendarmerie nationale d’être en phase avec la société ». Modèle édifiant de langue de bois !

Pourtant, si l’on avait voulu réellement fonder une décision sur autre chose que des réactions épidermiques et des a priori, il y avait, après quelques années d’expérimentation, une réflexion sérieuse à conduire sur l’aménagement des états-majors des légions de GM. En effet, de nombreuses tâches, de gestion et d’administration notamment, pouvaient être communautarisées avec celles de la gendarmerie départementale. Il fallait donc débarrasser les états-majors de ces tâches et ne conserver sous la responsabilité du commandant de légion de gendarmerie mobile que les fonctions de commandement essentielles : la gestion du personnel (notation, avancement, mutations), la formation et l’emploi. Ce n’est pas ce qui fut fait. Dommage, car cette structure fonctionnelle, réduite à l’essentiel, aurait surtout permis à la gendarmerie mobile de conserver son âme, avec ses marques identitaires propres : un chef, un insigne, un drapeau… toute une symbolique, peu intégrée en gendarmerie départementale, importante en gendarmerie mobile.

Déchue de ses attributs, rétrogradée à son précédent statut de force supplétive et de faire valoir pour la gendarmerie départementale, sans autre chef que ses commanditaires de services, la gendarmerie mobile a cependant trouvé, dans la multiplication des opérations extérieures, à la fois un exutoire à sa déception et une revalorisation de circonstance. Mais cela n’excuse pas l’erreur des décideurs de l’époque.

En effet, si l’on veut bien considérer que la gendarmerie mobile est le capital militaire de la gendarmerie tout entière, la suppression des légions de gendarmerie mobile, dépositaires principales garantes de ce capital, constitue bien une erreur, une perte considérable, préjudiciable à l’avenir de l’institution. Au cours des cinquante dernières années, deux grandes décisions d’organisation avaient considérablement fait avancer la gendarmerie : la création des sections de recherche dans les années 1970 ; la création des légions de gendarmerie mobile en 1991. La suppression de ces dernières en 2004 affaiblit l’institution tout entière, l’éloigne du monde militaire et la rend encore plus assimilable par d’éventuels prédateurs.

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Remise du drapeau de la 7e légion de Gendarmerie mobile, par le président de la République François Mitterrand,
au colonel Georges Philippot, premier commandant la 7e LGM – Paris, Invalides – 1992

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