Histoire et Patrimoine des Gendarmes

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La naissance d’une unité militaire prestigieuse : les grenadiers de la gendarmerie (15 mai 1791 - 14 mars 1793)

Arnaud BLONDET

Professeur stagiaire d’histoire géographie au lycée atlantique de Luçon
Auteur d’un master 2 sur l’unité des grenadiers de la gendarmerie,
de 1789 à 1795, chargés de la protection de l’assemblée nationale.


Plaque-jardin-Tuilerie.png

Plaque apposée à la grille du jardin des Tuileries
à hauteur du 20/22 de la rue Rivoli à Paris.

Les grenadiers sont issus de la recréation de la compagnie militaire des Gardes de la Prévôté de l’Hôtel du Roi. Depuis 1778, cette compagnie militaire subit les brimades, insultes et mépris de la part des autres corps de la maison militaire du Roi, mais aussi de son administration. Malgré les différentes ordonnances royales pour donner une constitution militaire au corps, celui-ci n’arrive plus à conserver son prestige. C’est dans une apathie totale que les hommes de la garde continuent un service actif, discipliné et zélé à Versailles, ce depuis l’année 1788. Les États-Généraux en mai 1789 redonnent à la garde de la Prévôté de l’Hôtel un rôle actif dans la surveillance policière autour de Versailles. L’Assemblée peut délibérer au Jeu de Paume, sous la sauvegarde des gardes de la Prévôté. L’action de De Remecourt et de Bernelle, le 24 juin 1789, est décisive afin de faciliter la réunion des trois ordres. Ce nouveau service professionnel doit s’affirmer et définir les limites inhérentes à la sécurité de l’Assemblée. Alexandre de Beauharnais proclame la décision de créer « ces deux nouvelles compagnies d’élite ». Cette garde, exclusive au Corps Législatif, soulève la question de la concurrence entre la nouvelle force qu’est la Gendarmerie et cette fonction d’élite prestigieuse et restreinte émergente.

Une mise en place chaotique auprès de la Constituante

La création est effective par la loi du 15 mai 1791. Le 20 mai, l’Assemblée continue le débat et le vote les articles de la future Constitution. Elle aborde l’article 37 concernant la force de police chargée de la sûreté de l’Assemblée. Après d’âpres débats, il est décidé que l’article serait voté « sauf rédaction », les députés n’arrivant pas à s’entendre sur la formulation en des termes justes sur la légitimité de cette force de police militaire exclusivement dépendante du Corps Législatif. Malgré ce flou de légitimité constitutionnelle, la loi demeure claire. Les grenadiers sont intégrés sous un double commandement, celui de la Ire division de gendarmerie parisienne et surtout sous celui de l’Assemblée, installée au Manège et qui cherche à définir son territoire et à le sanctuariser. Le 3 septembre 1791, la légitimité des grenadiers s’affirme quand ils ont l’honneur d’accompagner dans l’arène de l’Assemblée la Constitution « l’arme haute ». Tout port d’armes à feu y était jusqu’à présent interdit. L’unité agit toujours sur réquisition du Président de l’Assemblée et du commissaire de la salle. Les grenadiers sont respectés mais trop peu nombreux. Gaudron Dutilloy, devenu le Lieutenant-colonel des deux compagnies, ne cesse de demander des moyens et des effectifs. Le 14 avril 1792, le colonel de la gendarmerie parisienne perd toute autorité sur les deux compagnies. Dutilloy devient l’homme fort et le gage de sécurité pour les députés méfiants.

Équiper la force militaire, une gageure révélatrice d’un système de régulation particulier

Le corps ne possède aucun fond de masse afin de disposer du minimum vital. Des députés se font le relais des suppliques des grenadiers pour tous leurs besoins y compris le papier pour établir les procès-verbaux. L’uniforme est arrêté en juin 1791, mais l’équipement tel que le fusil, giberne, ou baudriers, n’est pas la possession du corps. Il est distribué par les magasins nationaux quotidiennement. Les grenadiers n’ont donc à entretenir que leur uniforme. Il serait simple de penser que les grenadiers, à force de demandes répétées par le système des pétitions devant l’Assemblée, ne cherchent qu’à tirer profit du poste qu’ils occupent alors qu’ils sont dans le dénuement le plus complet. Tout doit passer par le Comité des Inspecteurs de la Salle et impose de démarcher les autorités responsables afin de ne pas être oubliés et d’éviter que leur service n’en pâtisse.

La solde et le recrutement

La solde du corps est assurée par le Directoire du Département de Paris. Les grenadiers sont favorablement traités par rapport aux légions de gendarmerie. Cette troupe représente le prestige d’une finalité de carrière pour toute la Gendarmerie nationale. Lorsqu’une place est vacante, chaque département, dans l’ordre alphabétique, présente trois de ses meilleurs gendarmes, dont un seul sera choisi. Les critères imposent aux candidats d’avoir 30 ans accomplis, savoir lire et écrire, être en activité dans une compagnie de gendarmerie et avoir servi trois ans avec distinction.

Solde des Grenadiers gendarmes selon la loi du 10 mai 1791 en livres

Solde des grenadiers gendarmes selon la loi du 11 septembre 1792

Solde de la gendarmerie selon la loi du 16 janvier 1791 en livres

Lieutenant-colonel

5000

5000

3600

Capitaine

3500

3500

2600

Lieutenant

2300

2400

1800

Maréchal-des-logis

1250

1600

1100

Brigadier

1100

1300

600 non monté, 1000 monté

Secrétaire greffier

1100

2400

600

Gendarme

900 puis 910

2400

NR

Chirurgien-major

Néant

2400

NR

Tableau comparatif de la solde des grenadiers-gendarmes par rapport aux autres divisions de gendarmerie

L’affirmation d’un professionnalisme fondateur de la légitimité

La protection de l’Assemblée

La journée d’un grenadier est soutenue à cause du manque d’effectif. Ils sont cent hommes, officiers compris. Tous les jours, 50 grenadiers sont en activité à la salle du Manège. Dix sont chargés de protéger les Archives de l’Assemblée qui abritent les lois écrites. Ils tiennent deux corps de garde stratégiquement placés. Le plus grand est récupéré sur ordre du Roi, puisque l’Assemblée est installée sur son territoire, et est détruit pour agrandir l’opéra aux Grandes Écuries. Il ne reste donc plus que le petit corps de garde chargé de contrôler le mouvement des voitures et calèches dans la petite cour d’honneur de la salle du Manège. Ce corps de garde est délabré, humide et réduit, à la différence de celui de la Garde nationale qui partage le service des gendarmes.

Garde-assemb-nat.jpg

Garde de l’assemblée nationale
par Alfred de Morbot et Denis Noirmont

Les grenadiers logent aux Grands-Augustins sur la Rive Gauche, près de l’Abbaye, avec leurs familles, excepté les officiers qui se logent dans Paris. Pour se rendre à l’Assemblée ils doivent traverser plusieurs sections. Après les événements du 10 août 1792, les grenadiers reçoivent une carte imprimée pour passer tous les contrôles des patrouilles des sections. Ils passaient pour des royalistes à cause de leurs commissions signées au nom du roi, et subissaient de longs interrogatoires qui obligeaient de déranger les officiers occupés à l’Assemblée pour venir les récupérer. À l’Assemblée, les grenadiers avaient différentes taches de jour comme de nuit. Ce sont les factions à des endroits capitaux : les corridors de l’Assemblée. La surveillance du passage couvert des Feuillants a pour objectif de surveiller la garde nationale qui en est en charge mais dont le service n’est pas fiable à cause de l’opacité latente entre limite du territoire de l’Assemblée et celui du club des Feuillants. Les gendarmes veillent à ce que les voitures ne stationnent jamais dans les cours et circulent le long des grilles du jardin des Tuileries. La nuit, les patrouilles se limitent au petit espace du Manège.

Jardin-Feuillants.jpg

Vue générale des Feuillants entre la rue Saint-honoré au nord et le jardin des Tuileries au sud (dessin de l’auteur)

Si ce dispositif est redoutable à l’extérieur des bâtiments, il est plus aléatoire dans les tribunes. En octobre 1791, un officier municipal faisant valoir son droit à entrer dans la tribune réservée fut éjecté par un garde national et un Grenadier gendarme. Les soldats avaient agi sur les fausses déclarations d’un individu présent dans ces tribunes. Par la suite, la police est renforcée, les tribunes réaménagées et des responsables nommés début 1792. Cela s’accompagne d’une nouvelle position des sentinelles pour faciliter les interceptions. Les grenadiers ne peuvent pas toujours intervenir pour intercepter les voleurs, très actifs dans la foule compacte qui se presse pour assister aux séances de l’Assemblée, mais aussi pour éviter les heurts et les bagarres, souvent liées à l’animosité et à la frustration du public.

Les fonctions judiciaires pour le service du Corps Législatif : une « Garde Judicielle » particulière ?

Les grenadiers ont des missions précises liées à leurs fonctions judiciaires. Le lieutenant Belleville, avec les grenadiers Piont et Jérôme, sont détachés à la sûreté du sceau de l’état. Le lieutenant Levasseur est chargé d’escorter les prisonniers depuis l’Abbaye jusqu’à la Barre de l’Assemblée où les députés interrogeaient eux-mêmes des prévenus. Dans le corps de garde sont enregistrées des dépositions transmises aux députés. À partir de Novembre 1791, 25 grenadiers sont détachés pour faire le service de la Haute Cour de justice à Orléans destinée à juger les crimes de Lèse Nation. Le greffe de ce tribunal suprême est sous la sauvegarde des grenadiers. En novembre 1792, lors de la suppression de cette Cour, Villeminot, fut obligé de louer une seconde voiture pour rapatrier tous les papiers sur Paris. Un second service est effectué à la Cour de cassation mais ce poste sera court-circuité par la présence immédiate de la Gendarmerie des Tribunaux de Paris, deux fois plus conséquente.

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Partie est de la salle du Manège (dessin de l’auteur)

Récompenser les services de vétérans par une distinction

Le corps est composé d’anciens militaires qui ont participé à diverses campagnes de la fin du XVIIIe siècle. Afin de récompenser les mérites de ces hommes, le comité militaire autorise tous les membres du corps à prétendre recevoir la « décoration militaire », dès lors qu’ils peuvent justifier 24 ans de services actifs. Fait assez rare, beaucoup ont reçu cette rare décoration sur demande relayée de Gaudron Dutilloy(1). Antoine Delaitre « Maréchal des logis en ladite compagnie […] est conséquemment susceptible de cette grâce que vient d’obtenir le sieur Bernelle son camarade. »(2) La plupart des officiers issus de la Prévôté avaient reçu la décoration avant la Révolution, mais un seul l’a reçue en tant qu’officier des grenadiers, le lieutenant Villeminot(3). Il est fait chevalier le 29 juillet 1792, et déposera sa croix à l’Assemblée comme don patriotique le 9 septembre 1792 après s’être fait élire Lieutenant-colonel du corps. Il motive des actes patriotes et des déclarations engagées devant l’Assemblée nationale pendant toute l’année 1791. Le prestige lié à la décoration s’estompe après la fuite de Varennes.

Un service hissé au prestige d’élite militaire et policière de la République

Les grenadiers sont toujours auprès des députés lorsqu’ils sont envoyés en ambassade officielle. Lors des événements de juin à août 1792, les grenadiers sont très présents auprès des députés et se montrent à la hauteur des attentes de policiers aguerris et persuasifs. Lors du 14 juillet 1792, les grenadiers ne tiennent pas les postes d’honneurs laissés à la garde nationale et aux volontaires. Le 10 août, les volontaires bloquent le Caroussel, Gaudron Dutilloy se présente à la Barre pour faire état de ce qui s’y passe(4). Devant ce blocage, l’Assemblée envoie une députation auprès du roi et la fait escorter par les grenadiers. Le détachement commandé par Bernelle remarque un canon braqué « sous la porte du Grand Vestibule et dirigé sur le Manège où était l’Assemblée » et qui est saisi par les grenadiers(5). Le rassemblement dégénère en fusillade devant le château, le repli des suisses fait prendre peur. Choudieu, alors membre du comité militaire, rassemble « vingt-cinq ou trente grenadiers qui formaient [la] garde et dont [il] avait la direction comme membre du comité militaire, […] »(6).

Veste-grenadier.png

Veste des grenadiers - gendarmes ( dessin de l’auteur)

La renaissance démocratique du corps

La chute du roi et les risques de révolte populaire conduisent l’Assemblée à statuer rapidement sur l’organisation des corps chargés de sa protection. La suspension des officiers des grenadiers se déroule dans un contexte de licenciement généralisé des officiers de gendarmerie parisienne. C’est une députation des grenadiers qui demande à la Barre de l’Assemblée « de vouloir décréter que leurs officiers actuels seront licenciés et que le choix des officiers sous lesquels ils doivent servir sera fait par eux ainsi qu’il est déjà décrété pour leurs frères d’armes de Paris ». Les sept officiers quittent leurs fonctions sauf Villeminot avant les nouvelles élections. Les officiers envoient une pétition où ils s’inquiètent de leurs droits et indemnités tout en précisant que les circonstances font qu’ils « sont confondus si injustement avec ceux qui ont pu encourir quelque blâme. »(7) Les officiers font tous don de leur croix de Saint-Louis à l’occasion. Les votants sont les gardes de la Prévôté. Les élections ouvrent à l’avancement par l’autorisation de nommer le même nombre d’officiers. L’Assemblée décrète qu’un commissaire-inspecteur doit assister aux élections qui ont lieu le 30 août 1792 dans le chœur de l’église des Feuillants(8). Il y a 90 votants ce qui représente l’effectif total actif, dont le nombre varie selon les scrutins, sans doute à cause de voix blanches. Villeminot est élu Lieutenant-colonel avec 48 voix au premier tour. Le 2 septembre, Calon fait son rapport et les nouveaux officiers se présentent à la Barre et prêtent serment devant l’Assemblée. Ils remettent en question le galon d’argent qui parcourt leur uniforme pour les distinguer de la gendarmerie classique(9).

Aux Grenadiers-gendarmes de la Convention, la République reconnaissante

La loi du 11 septembre 1792 change l’uniforme et fait passer le corps à 181 hommes (toujours 2 compagnies à pied). Cette augmentation provoque des départs précipités des gendarmes des tribunaux vers le corps. Les prérogatives restent identiques. Leur service est de plus en plus recherché par les autorités constituées pour tous types d’opérations liées aux services de la Convention, notamment les visites domiciliaires chez les suspects dans des affaires touchant la sûreté de l’Assemblée. Le service de fouille, rôle dévolu aux officiers ou sous-officiers de la gendarmerie est exercé par les simples grenadiers. La consécration est atteinte pour les grenadiers lorsque la Convention leur autorise et offre un drapeau(10). Les gardes de la Prévôté n’avaient cessé de réclamer un étendard depuis la monarchie, et n’en avaient pas reçu comme les autres compagnies de gendarmerie dès leur création. Le drapeau est soumis à l’approbation du peintre Jacques Louis David, très proche des grenadiers, le 4 octobre 1792. Le drapeau est remis en grande pompe aux grenadiers par le président de l’Assemblée le 19 novembre.

Les grenadiers pendant le procès du roi et sa détention au Temple continuent d’escorter les députations de députés vers le roi et d’assurer les transferts de prisonniers depuis Orléans à l’Abbaye. Lorsque le roi est mené à l’échafaud, les grenadiers l’entourent et interceptent un individu qui tenta de forcer leurs rangs. Les « grands Grenadiers de la Convention » sont très remarqués par la population(11). Toutefois, le 14 mars 1793, les services judiciaires du tribunal de Cassation et auprès du ministre de la Justice leur sont retirés. Ainsi leurs fonctions sont réorientées vers les divers comités de la Convention dans une utilisation directe pour la surveillance des députés et généraux mis en état d’arrestation.

Grenadier.png

Grenadiers - gendarmes
de la convention nationale
( dessin de l’auteur)

(1) SHD 2 Ye 504 : Jean Baptiste Bourgine et Jacques Bonnabelle (2 Ye 418).

(2) SHD 2 Ye 1071.

(3) SHD : 2 Ye 4121 : Louis Nicolas Villeminot.

(4) AP Tome 47 p. 633.

(5) LEONORE, dossier LH 201/78 : BERNELLE, Pierre-Antoine.

(6) CHOUDIEU, Pierre-René, Mémoires et notes de Choudieu, représentant du peuple à l’assemblée législative, à la Convention et aux armées 1761-1838, d’après les papiers de l’auteur par Victor Barrucand, Plon, Paris, 1897, 484 p.

(7) AN C//165, n°391.

(8) SHD Xaa2.

(9) AP tome 49 p. 202.

(10) AN C/233.

(11) AN AF/IV/1470.

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