Histoire et Patrimoine des Gendarmes

Histoire

L’histoire de la maréchaussée à travers les inventaires après décès

Claude Magre

Gendarme

Escadron de la gendarmerie mobile 26/1 de Maisons-Alfort


Alors que le chantier historique consacré à la gendarmerie témoigne d’un réel dynamisme depuis plus d’une dizaine d’années, celui relatif à la maréchaussée demeure plutôt en retrait, malgré quelques études comme celles de Jacques Lorgnier ou de Pascal Brouillet. Par ailleurs, les travaux réservent souvent une part importante aux aspects institutionnels ou aux missions, délaissant le cadre de vie et les préoccupations quotidiennes(1). Il existe pourtant des sources privilégiées pour approcher au plus près les gens de la maréchaussée (archer, lieutenant criminel de robe courte, greffier…).

Grâce aux inventaires après décès, il est possible d’entrer dans leur intimité en connaissant ce qu’ils laissent (habitat, mobilier, vêtements, armes…) au moment de leur disparition. Ainsi, pour Paris, dix-huit inventaires ont pu être trouvés pour la période située entre 1552 et 1667. Le présent article n’a pas la prétention d’éclairer toutes les zones d’ombre mais seulement d’apporter des constatations à partir des documents consultés. Comment, dans la ville la plus peuplée du royaume, les gens de la maréchaussée expriment-ils leurs différences ? Est-ce à travers leurs richesses, leurs vêtements ou leurs objets ? Sont-ils des « gens d’armes » ?

Aux portes de la mort, un document officiel pour les vivants

L’inventaire après décès est avant tout un acte notarié qui décrit et estime tous les biens d’un individu demeurés après sa mort ainsi que les papiers et titres en sa possession. Il est établi essentiellement afin de réaliser d’éventuels partages successoraux. Toutefois, il peut s’écouler parfois un certain temps entre le décès de la personne et la réalisation de son inventaire.

Les inventaires après décès se composent généralement de trois parties : la première est l’intitulé, la seconde est consacrée à la description et à la prisée des biens trouvés dans les diverses parties de la maison et la dernière concerne l’inventaire des papiers.

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Inventaire après décès de Robine Salomon,
femme de Jehan Gaucher dit d’Anjou,
capitaine du charroi de la reine et de Monseigneur le Connétable

Très riche d’enseignements, l’intitulé lui-même peut se subdiviser en plusieurs éléments, mais il est toujours présent selon un formulaire constant : d’abord, il renseigne sur la date (année, jour, mois) à laquelle l’inventaire a été fait. Communément, après la date, sont énumérées les personnes à la requête desquelles l’inventaire est dressé et qui sont la plupart du temps le conjoint, les enfants, les tuteurs d’enfants mineurs, les parents ou les exécuteurs testamentaires. Puis, sont généralement mentionnées l’identité du défunt, sa situation familiale (célibataire, marié, veuf, avec ou sans enfant) ainsi que les personnes qui prennent part à la confection de l’acte : les deux notaires sous la direction desquels il est rédigé et les priseurs qui procèdent à la prisée suivant leur spécialité. L’adresse où demeurait le défunt et où se trouvent les biens à inventorier est très précisément indiquée.

La seconde partie est consacrée à la description et à la prisée des biens trouvés dans les diverses parties de la maison. « L’inventaire » proprement dit comprend en premier lieu la prisée des biens meubles. Il se présente sous la forme d’une succession de paragraphes dont chacun comporte la description d’un objet et l’estimation de sa valeur. La description de l’objet, quoique très brève, doit suffire à le caractériser. L’ordre dans lequel sont inventoriés les biens d’une succession est presque toujours constant. L’inventaire s’effectue, sauf exception, de « bas en haut », c’est-à-dire que l’on visite en premier lieu la cave, puis la cour et les dépendances qui y sont situées, ensuite la cuisine, où seuls les meubles et les ustensiles sont considérés. Dans la maison même, c’est le mobilier qui, le premier, est passé en revue, pièce après pièce : salle, éventuellement boutique, chambre, étude, grenier… ; le plus souvent il s’agit de tables, de chaises et de literie. Sont ensuite examinés les habits du défunt et ceux du conjoint. Le linge de maison est également décrit avec précision. En revanche, les objets dont la prisée requiert l’appel à un spécialiste n’ont pas de place fixe dans l’inventaire : cheptel, livres, bijoux… Enfin, lorsque le disparu possède une ou plusieurs maisons dans les environs de Paris, elles sont visitées par les notaires parisiens (« les notaires du Châtelet de Paris ont le droit d’instrumenter dans toute la France »(2)), après qu’ils aient terminé l’inventaire des biens mobiliers se trouvant dans la capitale et bien souvent avant l’examen des papiers. Cette seconde partie de l’inventaire après décès représente le véritable « cœur » du document car c’est elle qui permet de faire revivre le cadre de vie matériel et culturel des gens de la maréchaussée.

La troisième partie est constituée par les « lettres, tiltres et enseignemens » appartenant au défunt, signalés à la fi n de l’acte. Parfois, ils ne sont pas mentionnés, soit parce que le mort n’en possédait pas, soit parce que les notaires ne les ont pas trouvés. Cependant l’inventaire des papiers joue un rôle important dans l’estimation de la succession. Il faut dire que les notaires recueillent les déclarations de dettes actives et passives et classent les cédules, brevets et lettres obligatoires relatifs aux mouvements d’argent. En outre, les baux de terres ou de maisons, les titres de propriété, l’existence de rente sont autant d’éléments pour reconstituer le patrimoine du décédé. Les papiers de famille sont mis à part : contrat de mariage, testament… ; en principe, le contrat de mariage est le premier inventorié car il fixe le régime matrimonial des époux.

Au final, l’inventaire après décès représente une source précieuse pour l’histoire de la maréchaussée, mais ce document possède aussi des lacunes qu’il convient de mentionner avant d’exposer les premiers résultats de notre étude.

Une source fiable ?

Certains historiens ont porté un jugement sévère sur les inventaires après décès, à l’image de Jean Favier qui a écrit : « Chacun sait ce que l’historien peut attendre des inventaires »(3). Il est vrai que ce type de documents comporte plusieurs défauts.

En premier lieu, on peut reprocher les omissions qui nuisent à l’analyse de ces sources. Ainsi, dès l’intitulé, la date du décès, l’âge du disparu ainsi que la cause de la mort sont rarement connus. De même, les historiens s’intéressant aux inventaires déplorent souvent l’absence de mention de certains objets tels que les réserves de combustibles, les denrées alimentaires (le vin est un bon indicateur de richesse), les objets du quotidien de faible valeur (peigne, balai…). Il en va de même pour les mentions d’état, de poids ou parfois de matière et de couleur, toutes variables, dont l’absence explique que des objets en apparence identique soient en fait prisés pour des sommes très différentes. L’inventaire après décès n’est pas non plus un bon indicateur en ce qui concerne la disposition intérieure du logement : les escaliers, les couloirs, le nombre d’étages et de fenêtres sont rarement mentionnés, étant souvent dépourvus d’objets à priser.

Autre lacune, cet acte est réservé à une catégorie sociale plutôt aisée, ce qui prive le chercheur d’une partie du panel visé. Le prix de l’inventaire après décès est estimé à 20 livres en 1700. Cela représente une somme dissuasive pour une grande partie de la population de l’époque. Par ailleurs, il faut se montrer prudent face au niveau de fortune apparent des défunts car tous les prix qui sont donnés dans l’inventaire sont sous-évalués, dans une proportion de l’ordre de 20 %(4).

Au-delà des lacunes intrinsèques des inventaires après décès, une autre difficulté tient à leur accès. Le nombre de sources disponibles apparaît plutôt restreint pour constituer le corpus souhaité. Avant 1547, aucun inventaire concernant un membre de la maréchaussée n’a été trouvé. Heureusement, la consultation de certains ouvrages a permis de trouver des références. C’est le cas du livre de Madeleine Jurgens qui a répertorié tous les inventaires après décès de 1547 à 1560 présentés sous forme d’un bref résumé(5). Par ailleurs, le corpus d’inventaire a pu être complété par les bases de données du Minutier Central (bases MINUTES et ARNO) : quatorze actes pour la période allant de 1552 à 1600 et quatre autres pour la période située entre 1601 à 1667.

Pour douze d’entre eux, la consultation a été rendue impossible du fait de leur détérioration avancée ou en raison du futur déménagement des Archives nationales de Paris à Pierrefittesur-Seine (Seine-Saint-Denis). Pourtant certaines informations concernant ces inventaires ont pu être récupérées : la date de l’acte, l’identité du défunt, son métier et son adresse ainsi que sa situation familiale. Grâce aux données recueillies, il a été possible de trouver des informations, parfois surprenantes, sur les gens de la maréchaussée.

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La rive droite de Paris en 1551 d’après le plan
de O. Truchet et de G. Hoyau

Une source riche de renseignements sur l’histoire de la maréchaussée

La première information, fournie par l’intitulé, renseigne sur la profession exacte du défunt. Sans surprise, les différents « métiers » de la maréchaussée sont évoqués. Ainsi, parmi les dix-huit inventaires après décès, douze concernent des archers de la maréchaussée (66 %). On y trouve aussi deux greffiers, un commissaire, un exempt, un capitaine et le prévôt de Paris (Antoine Duprat, seigneur de Nantouillet).

En revanche, la situation familiale de ces hommes apparaît plus surprenante. En effet, seulement 50 % d’entre eux sont mariés avec des enfants, les autres étant célibataires. Ce chiffre est à comparer à la situation matrimoniale des habitants du quartier de la place Maubert(6) où 80 % des hommes sont mariés avec ou sans enfant.

Autre particularité, la population de la maréchaussée réside exclusivement sur la rive droite de la Seine et plus précisément au sud de la rive droite (rue Saint Germain l’Auxerrois, rue Quiquetonne, rue des Lavandières…). Est-ce pour être au plus près du Châtelet et donc du lieu où la plupart exercent leurs fonctions ? On ne saurait le certifier. Mais il est utile de rappeler que la rive gauche ou quartier de l’Université, notamment au XVIe siècle, représente le monde universitaire et le monde de l’imprimerie. L’Université possède alors sa propre juridiction qui est indépendante de celle du prévôt de Paris. De plus, il semble que ces privilèges (qu’elle a acquis au cours des luttes qui ont marqué sa fondation au début du XIIIe siècle) interdisent aux sergents du roi de pénétrer dans le quartier universitaire et à plus forte raison d’arrêter un étudiant.

Concernant la fortune des défunts de la maréchaussée, elle ne peut être établie qu’approximativement grâce aux prisées de tout le contenu de leurs maisons effectuées par le notaire. Les six inventaires, dont l’analyse complète a été réalisée, montrent que les gens de la maréchaussée ne sont pas forcément des gens riches (la moyenne de leur prisée ne dépasse pas les 200 livres). Ce niveau de fortune est très en dessous du niveau moyen des habitants du quartier de la place Maubert entre 1547 et 1560 (483 livres). En revanche, il existe des exceptions, à l’image d’Étienne Lefort(7), « fourrier et archer du connétable de France » dont la valeur totale de la prisée est seulement estimée à 26 livres, alors que son testament daté du 24 août 1552, figurant la partie « papiers, tiltres et enseignemens », mentionne qu’il donne son château du Secrelin à « Monseigneur le connétable de France » ainsi que 124 écus (un peu plus de 250 livres) à un certain Jehan Dorléans pour qu’il lui fasse des « obsèques humbles ».

Au niveau vestimentaire, l’austérité semble la règle pour les gens de la maréchaussée. Cette pratique n’est guère singulière pour l’époque, puisque plusieurs édits, très sévères, restreignent par exemple, le luxe des habits sous Henri II. Par ailleurs, aucun inventaire ne signale la présence d’un costume particulier pour exercer les fonctions propres à la maréchaussée(8). Les armes, quant à elles, sont rarement mentionnées. En effet, mis à part Étienne Lefort(9), « fourrier et archer du connétable de France », qui détient plusieurs armes (une épée garnie de son fourreau, deux couteaux, une dague…), aucun autre membre de la maréchaussée parmi les six inventaires analysés ne possède d’armes. Ceci est particulièrement intéressant quand on compare ce résultat avec celui des habitants du quartier de la place Maubert. Plus de la moitié de ces défunts a possédé au moins une arme (56,5 %). Est-ce là l’indice d’une violence au quotidien et le signe de la carence de la police et de la maréchaussée parisiennes ? En tout cas, l’absence d’armes mentionnées pour le personnel de la maréchaussée ne signifie pas forcément qu’ils sont désarmés, car il se peut que cet armement soit entreposé dans des lieux particuliers.

En conclusion, l’inventaire après décès, comme tout acte notarié, possède certes des défauts mais il n’en demeure pas moins une source très riche pour l’étude du mode et du cadre de vie des gens de la maréchaussée. C’est une source est irremplaçable pour l’histoire sociale et celle de la culture matérielle d’une population. Pour affiner les recherches, elle doit toutefois être complétée par d’autres sources archivistiques (baux, saisies, contrats de mariage, testaments), littéraires ou picturales. L’enjeu est d’autant plus important que, parallèlement à la découverte et à la consultation d’autres inventaires et à leur analyse, on pourrait perfectionner les premières expériences, se poser de nouvelles questions. Par exemple, quelle est l’influence de la maréchaussée parisienne sur les environs de Paris ?

(1) Claude Sturgill, L’Organisation et l’administration de la maréchaussée et de la justice prévôtale dans la France des Bourbons (1720-1730), Vincennes, Service historique de l’armée de Terre, 1981, ou Bernard Drilleau, La Maréchaussée aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse de doctorat sous la direction de François Lebrun, Rennes II, 1985, 2 vol., 646 p.

(2) Madeleine Jurgens, Documents du Minutier Central des notaires de paris : les inventaires après décès, (1483-1547), tome I, Paris, Archives nationales, 1982, p. 7.

(3) Madeleine Jurgens, op. cit., p. 7.

(4) Annick Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime. 3000 foyers parisiens, 17e-18e siècles, Paris, PUF, 1988, 528 p.

(5) Madeleine Jurgens, Documents du Minutier Central des notaires de Paris : les inventaires après décès (1547-1560), Tome II, Paris, Archives nationales, 1982, 773 p.

(6) Claude Magre, Vivre dans le quartier de la place Maubert entre 1547 et 1560, maîtrise d’histoire, sous la direction de Robert Muchembled, Université de Paris-Nord, 2000, 170 p.

(7) A.N., E III, 303, 2 septembre 1552, Étienne Lefort.

(8) Il faut attendre 1720 pour que les cavaliers de la maréchaussée soient dotés d’un uniforme réglementaire.

(9) A.N., E III, 303, 2 septembre 1552, Étienne Lefort.

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