ÉDITORIAL
Gendarmerie/maréchaussée cinq siècles de police judiciaire
Nos rois vous ont établi, Messieurs, comme Protecteurs du Public
... pour arrêter et combattre le crime et faire la guerre aux malfaicteurs
Saugrain, Epistre aux officiers de maréchaussée(1), 1697
Si le caractère militaire est constitutif de l’identité de la gendarmerie, son action en police judiciaire n’en est pas moins une « mission essentielle », pour reprendre les termes de la loi du 3 août 2009. La recherche des criminels et le rassemblement des preuves lui sont consubstantiels. Elle a été créée pour cela. Elle exerce cette mission, sans discontinuer, depuis la fin du Moyen-âge. Aussi, les prétentions hégémoniques, venues d’ailleurs, qui réapparaissent de manière assez régulière, dans ce secteur d’activité, aujourd’hui partagé, pourraient laisser à sourire si elles ne trouvaient quelque audience auprès de politiques, certainement soucieux de l’intérêt général, mais dont on se demande parfois, lorsqu’ils se font l’écho de telles prétentions, s’ils sont crédules par ignorance ou complices par intérêt ou tout simplement complaisants et laxistes par manque de courage. Il n’est donc sans doute pas inutile de rappeler que la gendarmerie fait de la police judiciaire depuis quelques siècles.
C’est au cours de la guerre de Cent ans que cette fonction de police et de justice attribuée aux prévôts des maréchaux, va se développer. Initialement compétente seulement à l’encontre des « gens de guerre » ou des soldats débandés, « vivans sur le pôvre peuple », qui tuent, pillent et violent, cette justice prévôtale, qui juge sans appel, est implacable. Célérité, sévérité et exemplarité en sont les maîtres mots. Tristan L’Hermite, prévôt des maréchaux, prévôt de l’Hôtel, celui que Louis XI appelait « mon compère », plus connu que Gallois de Fougières, mais de sinistre mémoire, arrête, juge et fait décapiter, noyer ou pendre haut et court, dans des formes rudimentaires de police et de justice, non seulement ces grands criminels mais parfois aussi des personnes dont la culpabilité ne repose que sur les aveux obtenus par la seule soumission à la question.
Il faudra attendre la première moitié du XVIe siècle pour voir les compétences des maréchaussées, territorialisées à partir de 1514, étendues à tous les grands criminels « de quelque état ou condition qu’ils soient ». C’est à cette époque que, progressivement, la nature du crime, ce que l’on appellera plus tard « les cas prévôtaux », se substitue à la qualité de l’auteur, dans les compétences de cette juridiction qui exerce à la fois les deux fonctions de police et de justice. On cite souvent, en référence, la Déclaration de François Ier, du 25 janvier 1536, mais ce n’est pas la seule. Toutes les décisions qu’il prendra ultérieurement,en la matière, vont aussi bien multiplier les implantations des maréchaussées qu’accroître leur domaine de compétences. Chaque édit de création de nouveaux prévôts est en effet l’occasion de préciser et d’étendre les attributions de ces derniers, tel par exemple l’édit de juin 1540 « Portant création de Prévôts à Meaux, Soissons, Rheims, Château-Thierry, Provins, Melun et Laon » qui confère aux prévôts, à leurs lieutenants et archers la charge de « purger et nettoyer les crimes et délits…qui se commettent journellement tant dedans lesditesvilles que hors d’icelles ». L’analyse de ces textes fait bien ressortir les raisons de ce développement : l’augmentation de la criminalité, certes, mais aussi l’incapacité le la justice ordinaire et de ses moyens de police à maîtriser l’insécurité qui s’accroît. Ainsi, apparaît, dès l’origine, l’une des caractéristiques de la maréchaussée/gendarmerie, constante tout au long de son histoire : une aptitude spécifique à intervenir avec efficacité et à se substituer aux moyens ordinaires de police et de justice (pour ce qui concerne la maréchaussée), dans les situations et territoires difficiles. Cette extension territoriale et de compétences va entraîner la réaction des justices ordinaires. L’édit du 15 février 1549 (Henri II) tente bien de régler certains conflits de compétence entre juges présidiaux et prévôts des maréchaux ; mais l’édit de novembre 1554 supprime les prévôts provinciaux et établis auprès des présidiaux des lieutenants criminels. Les prévôts des maréchaux, supprimés dans les provinces, seront ultérieurement rétablis et les conflits de compétences entre justice ordinaire et maréchaussée réglés par une procédure stricte faisant obligation aux prévôts de faire valider auprès des juges présidiaux leur compétence à chaque « cas » dont ils sont saisis.
Cette justice et police des maréchaussées confirmée par l’ordonnance criminelle de Colbert du 26 août 1670 (art. 12 pour ses compétences et titre II pour la procédure), réformée dans son organisation par l’édit et l’ordonnance de 1720, va fonctionner, non sans conflit avec la justice « ordinaire », jusqu’à la Révolution. La séparation des pouvoirs mettra un terme à la fonction de justice de la maréchaussée générant ainsi sa nouvelle dénomination : « gendarmerie », consacrée par la loi du 16 février 1791.
Réduite à sa seule fonction de police par l’Assemblée constituante, la gendarmerie va progressivement intégrer, au cours des décennies suivantes, deux autres fonctions : la défense de la nation et la garde de l’État. Ces nouvelles orientations, qui vont servir de bases à la construction de la gendarmerie contemporaine, ne seront pas sans conséquences sur son niveau d’engagement en police judiciaire au cours des XIXe et XXe siècles et ce pour deux raisons principales.
La première tient à la limitation en moyens juridiques imposée par le Code d’Instruction Criminelle de 1808. A l’exception de quelques situations particulières, la qualité d’officier de police judiciaire n’est attribuée qu’aux officiers de gendarmerie. Il faudra attendre une loi de juillet 1949 et surtout la mise en œuvre du Code de Procédure Pénale, à partir de 1958, pour voir conférer cette capacité juridique à des sous-officiers ayant subi un examen et rendre ainsi possible un engagement de la gendarmerie, de grande ampleur, en police judiciaire.
La seconde est plus conjoncturelle. Dans ce triptyque de missions, l’effort principal de la gendarmerie se déplace de l’une à l’autre en fonction des situations du moment. Ceci se vérifie aisément. Au début du XXe siècle, la défense de la nation, avec le rôle déterminant confié à la gendarmerie dans la mobilisation, et la montée des troubles à l’ordre public absorbent toute son énergie et ses moyens. Dans ces circonstances, la police judiciaire n’est pas prioritaire pour elle. Ceci transparaît très nettement dans le décret du 20 mai 1903. Et ce sont « les brigades du Tigre » qui se verront confier la lutte contre la grande criminalité, en 1907. Après la Première Guerre mondiale, on sent bien, chez la toute nouvelle direction de la gendarmerie, un élan vers la police judiciaire, mais, là encore, les menaces à l’ordre public et la guerre inéluctable, qui se profile après 1930, interrompent le mouvement et ce pour longtemps. Seconde Guerre mondiale, Indochine, Algérie vont, pendant plus de vingt ans, absorber une bonne partie de l’énergie de la gendarmerie. Ce n’est que vers la fin des années soixante que l’Institution, dûment dotée des moyens juridiques que lui donne le Code de Procédure Pénale, va pouvoir consacrer ses forces, prioritairement, à cette troisième mission : la protection du citoyen et, au sein de celle-ci, l’exercice de la police judiciaire.
Est-ce à dire que la gendarmerie a été absente de la lutte contre la criminalité et la délinquance au XIXe et au début du XXe siècle. Loin de là. Au XIXe siècle, la gendarmerie est la première force de police judiciaire en France. La création, en 1907, des Brigades Régionales de Police Mobile, au ministère de l’Intérieur, réduira ensuite quelque peu son activité dans ce domaine, mais de nombreuses et importantes affaires criminelles de la première moitié du XXe siècle sont à mettre à son crédit.
Depuis cinq siècles, la gendarmerie exerce donc, sans discontinuer et sur tout le territoire, sa mission de police judiciaire. Sa longue expérience dans ce domaine, sa connaissance quasi génétique des criminels et des délinquants, la qualité de ses personnels, ses moyens techniques et d’intervention spécifiques, sa répartition territoriale, mais surtout la structure hiérarchique qu’elle tient de son état militaire lui donnent aujourd’hui des capacités d’action inégalables.
Général (2s) Georges PHILIPPOT
Président de la SNHPG
Ancien chef du Service Historique de la Gendarmerie Nationale
Docteur en histoire
(1) G. Saugrain, La Maréchaussée de France, Recueil des Ordonnances, Edits,…, 1144 pages, Paris, 1697