Histoire et Patrimoine des Gendarmes

Il y a 50 ans

Une saison de machettes

Sébastien Horner

Garde,

Service historique de la Défense - département de la Gendarmerie nationale

Le fait est assez peu connu : le Cameroun – alors sous tutelle de la France malgré un statut d’autonomie politique récent – est le théâtre d’une intense guérilla à la fin des années 1950. L’Union populaire camerounaise (UPC), d’obédience marxiste-léniniste, s’oppose militairement aux troupes françaises ainsi qu’aux forces locales encadrées par la Gendarmerie nationale. De véritables maquis se sont alors organisés, à l’imitation du Viêt-minh, dans la brousse bamiléké et la force publique doit affronter régulièrement de sanglantes émeutes urbaines comme à Douala au cours de l’été 1959.

Collection du ministère de la Défense/Service historique/département de la Gendarmerie nationale. © SHD sous réserve de droits réservés aux auteurs et ayant droit.

C’est dans ce contexte politique d’extrême tension que le camp Mboppi de la Garde camerounaise est attaqué dans la soirée du 30 décembre 1959 (l’avant-veille de la proclamation prévue de l’indépendance du pays) par plusieurs centaines d’assaillants armés de machettes et de fusils volés. Une opération militaire d’envergure est lancée ce soir-là contre l’ensemble des forces de sécurité cantonnées à Douala. Une brève diversion est tout d’abord effectuée à 19 heures par quelques éléments dans un quartier périphérique de la ville. Une heure plus tard, les commissariats, l’aéroport et divers objectifs administratifs sont simultanément attaqués par des détachements de plusieurs dizaines d’hommes.

En étudiant les rapports du capitaine Laval, commandant la compagnie de gendarmerie de Douala ainsi que les archives du commandement de la gendarmerie de la zone d’outre-mer n° 2, il est possible de faire un récit précis de cette attaque – qui entraînera la mort de plusieurs militaires dont celle particulièrement héroïque du maréchal des logis chef Sajas.

Une foule hostile et armée forte d’environ trois cents hommes attaque en plusieurs points le camp Mboppi : certains réussissent à s’infiltrer à l’intérieur de l’enceinte en passant par des marigots, tandis que le gros de la troupe prend d’assaut le poste de sécurité à l’entrée principale. Les gendarmes alertés arrivent alors de leur cantonnement en courant pour prêter main forte à leurs camarades encerclés : le maréchal des logis-chef Sajas et le gendarme Rabillier, du peloton mobile porté n° 22 chargés d’encadrer et d’instruire les élèves gardes camerounais, se précipitent vers l’entrée du camp. Alors qu’ils progressent, ils sont interceptés par des rebelles en embuscade : un bref et violent corps à corps s’engage, au cours duquel les deux gendarmes tuent plusieurs ennemis avec leur P.M. M.A.T. 49 mais ils tombent sous le nombre, massacrés à coup de machette. Sajas, encore vivant, est dégagé par des camarades qui dispersent le groupe au F.M. 24/29 ; il est évacué en jeep mais, dans la nuit, il décède à l’hôpital de ses nombreuses blessures. Les gendarmes parviennent par une action immédiate et énergique à repousser les assaillants et la situation est très rapidement rétablie à l’intérieur du camp : le bilan s’élève à cinq tués et seize blessés du côté gouvernemental tandis que dix-sept cadavres de rebelles sont relevés – auxquels ils faut ajouter les nombreux blessés qui ont pu s’enfuir après l’échec de l’attaque – et une dizaine d’insurgés a été capturée. Les divers rapports de gendarmerie notent avec regret que le comportement au combat des recrues et auxiliaires a été médiocre et hésitant dans l’ensemble, malgré quelques actions d’éclat individuelles.

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La brigade de Kékem au Cameroun

Pour son grand courage, le maréchal des logis-chef Sajas est décoré de la médaille de la Gendarmerie nationale et il reçoit la croix de chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume en 1961: le Livre d’Or de la Gendarmerie nationale de 1960 mentionne « qu’il s’est porté à la tête de ses hommes à la rencontre d’une importante bande de terroristes qui attaquaient le camp de la garde et de la gendarmerie » et « qu’il a succombé sous le nombre après avoir abattu plusieurs de ses adversaires ».

Enfin, magnifique exemple des plus hautes qualités morales, militaires et professionnelles en honneur dans la gendarmerie, son nom est donné à la 224e promotion de l’école de gendarmerie de Montluçon en 2000.

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