Force Publique

ÉDITION COMMENTÉE DU JOURNAL DE MARCHE DU GARDE GALLOT

GUERRES DE GENDARMES

Le gendarme, militaire, soldat, combattant ? C’est sans doute en suivant cette déclinaison que l’on saisit le mieux le lien entre le gendarme et la guerre et que l’on échappe au dialogue de sourds, fait d’affirmations péremptoires, entre les tenants du oui et ceux du non qui alimentent leur différend aux sources de la confusion sémantique entre les trois termes. Pour s’en tenir à celui de combattant, peut-on affirmer que la fonction de gendarmes intègre celle de combattant ? Si oui, est-il possible d’identifier, dans l’histoire, des situations offrant des formes de combat, des tactiques, des modalités d’exécution spécifiques susceptibles d’apporter une réponse à cette question ?

Pour éviter le piège dénoncé ci-dessus, l’historien posera la question autrement. Quel rapport existe-il, pour les gendarmes, entre la guerre de Vendée (1793-1796), la guerre d’Espagne (1808-1814), la guerre d’Indochine (1946-1954) et la guerre d’Algérie (1954-1962), quatre conflits, répartis sur 170 années, dans lesquels la gendarmerie fut fortement impliquée ? Tout en prenant en compte les réelles différences, géopolitiques notamment, on peut cependant mettre en évidence des analogies significatives.

Pour ce qui concerne la situation générale, à l’exception de la guerre d’Espagne, la gendarmerie est présente sur les lieux du conflit bien avant le déclenchement de celui-ci. Elle y exerce des missions que l’on peut qualifier de temps de paix, de sécurité publique et de maintien de l’ordre, au milieu d’une population et sur un territoire qu’elle connaît bien. C’est la détérioration de la situation qui la contraint naturellement et progressivement à passer du maintien de l’ordre à la guerre jusqu’à ce que, cette situation devenant incontrôlable avec ses seuls moyens et procédés traditionnels, d’autres armes prennent le relais. Ses unités vont alors se trouver naturellement et solidairement engagées avec ces dernières, la plupart du temps en sous-ordre. La gendarmerie apparaît ainsi, dans ces conflits, comme l’armée d’avant la guerre, l’armée de la crise qui la précède et qui, en s’aggravant, va faire passer le gendarme de soldat de la loi à soldat tout court puis à combattant, et la gendarmerie d’une militarité de statut à une militarité d’emploi.

Du point de vue de l’ennemi et de ses modes d’action, ce sont les mêmes. Quelles différences, en effet, entre les chouans de Vendée, les guérilleros d’Espagne, les rebelles d’Indochine ou d’Algérie ? Pas de grandes unités. Ne se risquant aux combats d’ampleur qu’après renfort, aide et soutien étrangers. Harcèlements, attaques de convoi, attaques de postes, embuscades… tels sont ses procédés. Quant à la population non engagée militairement, elle est bien souvent l’otage des uns et l’otage des autres, contrainte par les uns et les autres, traître, de toute manière, aux uns ou aux autres.

Et la gendarmerie dans ces guerres ? Devenant rapidement insuffisante pour faire face, avec ses seuls moyens territoriaux, à l’aggravation des situations, la gendarmerie monte en puissance, non seulement en effectif mais aussi en s’organisant autrement dans une double démarche : créer des unités adaptées tout en les intégrant dans le dispositif militaire du théâtre d’opération. Ce sont les 3 divisions de gendarmerie constituées en 1793 pour la guerre de Vendée, les 20 escadrons de la gendarmerie d’Espagne mis sur pied en 1809 qui formeront en 1812 les 6 légions de la gendarmerie d’Espagne, les 3 légions de marche de gendarmerie en Indochine, les escadrons de gendarmerie mobile et les commandos de chasse en Algérie. Quant aux missions, elles sont toujours les mêmes, d’une guerre à l’autre : protection d’itinéraires, ouverture de routes, escorte de convoi, défense de poste ou de points sensibles…

Oui, il existe bien, historiquement, des guerres de gendarmes qui s’intègrent naturellement, même si c’est à l’extrême, dans l’ensemble des missions de la gendarmerie. Militaire de tout temps, soldat de toutes les guerres sous différentes formes, il est le combattant particulièrement sollicité dans la lutte contre la guerre subversive et la guérilla. Pas de grandes batailles, mais de multiples combats dont on ne mesure la réalité qu’au total des tués au combat ou morts en service : 185 pour la guerre de Vendée, 900 pour la guerre d’Espagne, 660 pour l’Indochine, 541 pour l’Afrique du Nord.

Cette forme de conflit apparaît aujourd’hui bien éloignée, non seulement dans le temps, mais aussi dans les préoccupations des Français. Pourtant, le terrorisme, même avec ses modes d’action spécifiques, s’apparente, par de nombreux aspects, à ce type de guerre. Certes, au niveau actuel où il s’exerce en Europe, le traitement judiciaire traditionnel semble suffisant. Ce ne serait sans doute plus le cas si les actions venaient un jour à se multiplier simultanément. La gendarmerie a acquis au cours des deux siècles précédents une capacité particulière à renseigner et à intervenir dans de telles situations. Il n’en reste sans doute aujourd’hui qu’une proximité historique avec les autres armées, un certain état d’esprit et quelques procédés « génétiques ». À entretenir cependant ; on ne sait jamais !

Général (2s) Georges Philippot
Docteur en histoire
Président de la SNHPG

ÉDITION COMMENTÉE DU JOURNAL DE MARCHE DU GARDE GALLOT

L’ANNÉE 1950

François Gallot débarque sur les côtes de l’Indochine en septembre 1950, au moment où la guerre a déjà beaucoup évolué. Tout en s’engageant dans un long conflit, la France tente de trouver une solution politique pour mettre fin à l’affrontement. C’est ainsi que les accords du 5 juin 1948 et du 8 mars 1949 mettent en place un État vietnamien associé à l’union française et gouverné par Bao-Daï. Ces traités ne règlent pas la question du Vietminh, présent dans tout le pays, et contrôlant une grande partie du Tonkin.

Plus généralement, la guerre de Corée, qui se déclenche en juin 1950, incite les Américains à réviser totalement leur doctrine. Pour eux, la guerre d’Indochine s’insère désormais dans la lutte mondiale opposant les communistes au bloc du « monde libre ». Dès lors, les États-Unis, qui avaient plus ou moins soutenu Ho Chi Minh, apportent une aide financière et militaire aux Français, sans toutefois engager leurs troupes.

Sur le plan de la politique intérieure, la « sale guerre » est dénoncée par un parti communiste qui s’emploie à stigmatiser l’utilisation de l’armée en Indochine. Les dirigeants, mais aussi les organisations syndicales et la presse communiste, dénoncent journellement cette guerre. Des actions de sabotages du matériel militaire amènent le Gouvernement à adopter la loi du 8 mars 1950, punissant de réclusion ceux « qui se livrent à une entreprise de démoralisation de l’armée ». La violence des diatribes politiques redouble encore lors de l’arrestation d’Henri Martin. Ce jeune communiste, appréhendé pour son action dans la propagande et le sabotage d’un navire, est condamné à cinq ans de forteresse par le tribunal militaire de Toulon.

Sur le plan militaire, la victoire des communistes chinois permet au Vietminh d’obtenir un soutien de poids. Par ailleurs, la république démocratique du Vietnam obtient la reconnaissance diplomatique de l’URSS et des démocraties populaires. Le rapport pessimiste du général Revers, critiquant la politique suivie jusque-là, préconise l’abandon de la frontière sino-tonkinoise au Vietminh, de manière à regrouper les forces autour de la défense d’Hanoï et du delta du fleuve rouge.

La guerre change également de visage. Le Vietminh, qui jusqu’ici pratiquait principalement une guerre de partisans, peut désormais compter sur des unités régulières. Lors de l’évacuation du haut Tonkin, les troupes françaises essuient de sérieux revers, au moment même où le garde Gallot débute son séjour. La ville de Cao Bang, protégée par une quinzaine de postes, avait été reconquise par les Français en octobre 1947. Cette forteresse, regroupant 6 000 habitants, constitue un véritable verrou en cas d’invasion chinoise. Mais toute la vie de cette cité, régulièrement attaquée et harcelée depuis 1948, repose sur le cordon ombilical et le nœud routier de la route coloniale n° 4 (RC4). L’abandon du poste et de la région en octobre 1950 occasionne de très lourdes pertes françaises.

L’ANNÉE 1951

Alors que le garde Gallot vient de découvrir un nouveau pays, l’arrivée du général de Lattre de Tassigny, nommé haut commissaire et commandant suprême des troupes, change la donne en Indochine. Il parvient, en peu de temps, à redresser une situation très compromise. La bataille de Vinh Yen, du 12 au 17 janvier, est une incontestable victoire pour les Forces terrestres d’Extrême-Orient (FTEO). Après les succès d’octobre 1950, le général Giap pense pouvoir déborder l’armée française pour prendre Hanoï, ou attirer les troupes dans un guet-apens. Les forces françaises parviennent cependant à résister et à infliger une défaite au Vietminh qui, enhardi par ses succès précédents, a sous-estimé la capacité de résistance des FTEO. Cette bataille modifie les dispositions tactiques et stratégiques des combattants. Le Vietminh décide alors d’attaquer principalement en périphérie du delta en renforçant les actions de guérilla, menées par des soldats infiltrés dans les lignes françaises. Giap sollicite également les alliés chinois de lui fournir des moyens supplémentaires en artillerie. Du côté des troupes françaises, cette victoire contribue à renforcer le moral et incite de Lattre à construire une ligne fortifiée afin de défendre le delta et Haïphong. Cette ligne de défense, mobilisant de nombreuses troupes, n’est à nouveau réellement attaquée qu’à partir de 1953.

De Lattre fait encore placer l’armée de Bao-Daï sous une direction purement Vietnamienne. Cette politique de « vietnamisation » sera reprise en compte plus tard par les Américains. Mais de Lattre, malade, doit retourner en France où il décède, en janvier 1952. Il est remplacé par le général Salan, qui renforce la sécurisation de la zone du delta.

Cependant la guérilla et les combats se poursuivent. À l’automne, Giap possède encore des forces suffisantes pour croiser le fer. Mais le général de Lattre décide d’attaquer le secteur de Hoa Binh, la capitale du pays des Muong. Cette avancée doit permettre de rassurer le gouvernement français et les alliés occidentaux. Sur le plan stratégique, cet assaut doit encore contribuer à gêner le Vietminh dans ses axes de communication. Profitant de la proximité de la RC 6, favorisant un ravitaillement rapide, l’offensive débute le 9 novembre et Hoa Binh est repris le 15. La réaction de Giap, sollicitant ses troupes régulières de faire mouvement sur la rivière noire, est presque instantanée. Le 12 décembre, il attaque le Nord du dispositif français à Tu Vu. La garnison parvient à résister aux pris de lourdes pertes. La RC 6 est coupée à plusieurs reprises, mais à la fin du mois de décembre Giap rompt son dispositif d’attaque, sans toutefois que ses troupes ne disparaissent de la région. Ces combats causent la mort de mille soldats du Vietminh et de cent vingt militaires français.

L’ANNÉE 1952

Le gouvernement français poursuit sa politique de soutien à l’empereur Bao-Daï. L’effort financier est très important, malgré l’appui des États-Unis. Le conseil de l’OTAN reconnaît d’ailleurs en décembre la nécessité de soutenir les Français « sans défaillance ». L’avenir de l’union française semble alors reposer sur l’issue du conflit. La croissance des effectifs de part et d’autre des belligérants et la dotation d’armes aux troupes de l’armée vietnamienne caractérisent cette nouvelle année de guerre.

Nguyen Van Tam accède à la tête du gouvernement de Saigon en juin. Ancien fonctionnaire de la Cochinchine, il avait réprimé la révolte de novembre 1940. Torturé par les Japonais en 1945, puis incarcéré, il participe et organise la décapitation des réseaux du Vietminh à Saigon en 1950. Avec la promotion de Nguyen Van Tam, l’engagement dans la lutte contre les indépendantistes se précise et se renforce. Par ailleurs, le général Hinh crée des bataillons légers, encadrés uniquement par des Vietnamiens.

À l’automne 1952, le Vietminh réitère son action en Haute Région, mais avec des moyens supplémentaires. Après la chute de Nghia Lo, un repli s’impose aux Français. Des positions sont organisées dans l’ouest du Tonkin : à Laidhau et à Nasan où le général Salan repousse le Vietminh, entre le mois d’octobre et de décembre. Ce dernier poste, en pays thaï, adossé à une petite bourgade, est un lieu stratégique important couvrant le Laos. Giap y lance quatre divisions. L’opération Lorraine est un succès qui désorganise la logistique des indépendantistes. Le concept de base aéroterrestre, mis en place par Salan, s’avère très efficace et permet une victoire défensive. C’est d’ailleurs cette stratégie qui prévaudra à l’édification des môles aéroterrestres dans la plaine des Jarres et un peu plus tard à Dien Bien Phu.

Le Vietnam est soumis aux vicissitudes d’une guérilla quasiment généralisée. À la fin de l’année, les troupes françaises sont presque partout sur la défensive.

L’ANNÉE 1953

Tandis que le premier séjour du garde Gallot parvient à son terme, le Vietminh dispose d’une aide renforcée et permanente des Chinois, notamment en pièces d’artillerie antiaériennes. Par ailleurs, il contrôle une grande partie du Tonkin et le Nord de l’Annam. Le gouvernement français évoque une « opération de pacification » et augmente le nombre des soldats du corps expéditionnaire à plus de 250 000 hommes. Ce conflit qui se déroule dans des terres lointaines indiffère une bonne partie de l’opinion publique en France, d’autant que les troupes envoyées en Extrême-Orient sont composées de soldats de métier et non d’appelés du contingent.

L’affaire des piastres provoque un nouveau scandale en Indochine. Elle a pour source un décret du 25 décembre 1945, obligeant la banque d’Indochine à échanger une piastre contre 17 francs, alors que le taux avait été fixé en 1936 à 10 francs. Sur le marché, sa cote oscillait entre 7 et 8 francs. Il était donc intéressant de vendre en France ou en Indochine des piastres à l’étranger pour les introduire clandestinement. Cette situation, qui profite d’ailleurs aux militaires percevant une partie de leur solde en piastres, donne lieu à de véritables trafics dénoncés par la presse française, et conduisant le Gouvernement à rabaisser le taux de change de 17 à 10 francs.

Le général Navarre succède au général Salan à partir du mois de mai. Il a pour mission de sortir de la guerre tout en conservant une position de force afin de négocier une paix aux conditions favorables.

En Indochine, les premières élections tenues par le régime ne permettent pas de se faire une idée très précise de la puissance des diverses forces politiques. Le scrutin municipal ne concerne en effet qu’un million d’électeurs. Nguyen Van Tam tente de conférer une certaine légitimité démocratique à ce régime de palais, notamment pour améliorer l’image du gouvernement auprès des Occidentaux. Les réformes agraires ou sociales, lui valant des soutiens ponctuels, ne modifient cependant pas son image de féal de la France.

La situation militaire se dégrade durant cette année. En mai 1953, l’adversaire contrôle la majeure partie du nord de l’Indochine. Sur les sept mille villages du delta, cinq mille sont aux mains du Vietminh. La fin de la guerre de Corée, en juillet, laisse également présager un soutien chinois beaucoup plus important. L’état-major français est convaincu de la dureté de la future campagne de 1954, même si la pacification se poursuit au sud de l’Annam. Vers le mois d’octobre, Giap décide de porter ses efforts sur le Laos et non sur le Tonkin. Navarre ayant compris cette nouvelle orientation, occupe alors Dien Bien Phu à partir du 20 novembre 1953.

LE PÉRIPLE DE FRANÇOIS GALLOT EN INDOCHINE

Chef d’escadron Édouard Ebel
Docteur en histoire, chef du bureau Études, Enseignement, Recherches du département Gendarmerie du Service historique de la Défense.

Capitaine Benoît Haberbusch
Docteur en histoire, chef de la section Recherches du département Gendarmerie du Service historique de la Défense.

Les souvenirs d’un gendarme en Indochine

François Gallot a été mis en relation avec le général Philippot à la fin de l’année 1999, par l’intermédiaire du comité Indochine de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie. C’est à cette occasion que cet ancien gendarme a transmis au Service historique de la Gendarmerie nationale (SHGN) le journal de son premier séjour en Indochine, du 6 septembre 1950 au 21 avril 1953. Quatre carnets « d’écolier » reliés – le premier d’un format de 17x11 cm et les trois autres de 22x16 cm –, rédigés sur des feuilles à petits carreaux, d’une écriture fine, régulière et resserrée(1) réunissent les observations du gendarme. Au moment de sa retraite, François Gallot a rassemblé ses notes dans une version dactylographiée. Ce tapuscrit, reproduit par le SHGN dans une version informatique, a servi de base pour la présente édition. Il faut préciser que les carnets originaux et leur retranscription informatique ne varient presque pas. Dans la version légèrement remaniée, François Gallot conserve souvent le texte original des carnets, en modifiant parfois la syntaxe, pour recomposer et reformuler le style télégraphique des carnets(2).

La présente édition est une version abrégée des souvenirs de François Gallot. En effet, le texte original, constitué de près d’un million huit cent soixante mille signes, ne pouvait être intégré dans sa totalité au sein de la revue. Il a fallu opérer des choix douloureux pour réduire cet ouvrage à un peu plus de six cent mille signes et conserver finalement un tiers du manuscrit original. Les auteurs ont pris la décision de préserver la structure initiale du texte, et notamment sa trame chronologique. Ces coupes opérées dans le manuscrit n’ont pas facilité non plus la perception de l’écoulement du temps, dans toute sa lenteur, qui est pourtant une des richesses de ce manuscrit. Les passages supprimés font parfois l’objet – bien que cet emploi ne soit pas systématisé – d’une synthèse figurant entre crochets et en caractères italiques. Les coupures opérées dans le texte sont signalées par le symbole suivant : […]. Par ailleurs, des résumés plus généraux – signalés en caractères italiques et entre crochets – sur les événements politiques, économiques ou militaires ont été insérés au début de chaque année, de manière à éclairer le lecteur sur la trame historique et le cadre du récit. Plus généralement, nous avons tenté de conserver « l’esprit » de ces souvenirs en respectant la continuité et les thèmes de cette chronique : les aspects liés aux combats et aux sorties par exemple n’ont pas fait l’objet d’une focale particulière, ils figurent dans cette édition au même titre que les considérations du garde Gallot sur la population vietnamienne, ses coutumes ou encore sur la nourriture indochinoise.

Il s’agit donc d’un véritable journal. Tous les soirs, le garde Gallot résumait son quotidien dans son carnet, intitulé Journal de marche, à partir du second volume. Cette source de premier plan, offrant pour les historiens l’immense intérêt d’avoir été rédigée en Indochine, se distingue de la plupart des souvenirs, souvent écrits au terme d’une carrière, bien des années après les faits. Le processus de sédimentation de la mémoire, consistant à reconstruire sa propre histoire, est ici totalement absent. Ceci explique pour une bonne part la spontanéité de ce texte. La place réservée aux sentiments y est d’ailleurs remarquable : tour à tour le garde Gallot y évoque ses joies, ses regrets, ses inquiétudes, ses révoltes. La vie d’un jeune homme de vingt-quatre ans, confronté à la guerre, s’exprime ici sans fard, dans tout l’éclat de sa jeunesse, dans toute la saveur du vécu.

Ces souvenirs constituent un témoignage exceptionnel sur la gendarmerie en Indochine. La mémoire de cette guerre, encore chaude, est assez peu présente dans les débats historiographiques. Cette absence de récit est également observable pour cette institution militaire : en effet, les gendarmes se racontent peu, au grand regret des historiens ! Ce constat peut paraître paradoxal pour un corps où le domaine de l’écrit revêt une importance capitale. En effet, depuis l’Ancien Régime, un niveau d’alphabétisation minimum n’est-il pas exigé pour intégrer la maréchaussée, puis la gendarmerie(3) ? Si l’on se réfère au travail d’Aurélien Lignereux sur la Mémoire écrite de la gendarmerie, on s’aperçoit que les souvenirs des gendarmes sont peu nombreux, surtout au XIXe siècle(4). Ce chercheur repère ainsi 38 écrits pour la période 1789-1913 (23,31 % du total de la production mémorielle) et 125 pour la période 1914-2004 (76,68 %). Dans cet ensemble, la guerre d’Indochine est relativement peu représentée : Aurélien Lignereux a comptabilisé 13 souvenirs publiés sur cette période, soit 10,4 % des ouvrages relatifs au XXe siècle. C’est dire si le travail de collecte devrait être encore renforcé dans la mesure où : les archives de la gendarmerie sont principalement constituées de procès-verbaux, de rapports, de comptes rendus où l’individu s’efface(5). La publication des souvenirs comme le recueil de témoignages oraux permettent d’approcher les hommes au plus près. Ce matériel est évidemment utilisé par les historiens pour côtoyer les gendarmes dans leur quotidien, dans leurs pensées et dans leurs actes. C’est pourquoi les mémoires de François Gallot revêtent une grande importance : ils nous plongent dans la routine et dans l’intimité d’un gendarme.

Le manuscrit du garde Gallot vient donc compléter les rares souvenirs publiés sur l’Indochine. Si les mémoires du général Omnès(6) ou du général Beaudonnet(7) abordent la vie quotidienne des gendarmes, leur point de vue, plus stratégique, est celui d’officiers de l’arme. Avec le garde Gallot, les considérations se situent plutôt au niveau tactique. L’homme, dans son expérience singulière, y tient une importance primordiale. Rarement, il est question de l’organisation politique ou des structures du pouvoir. En revanche, le ressenti de la guerre est omniprésent. Une lecture diachronique du manuscrit permet également de comprendre le poids des rumeurs, de leur diffusion et de leur perception par le garde Gallot. La camaraderie propre à la guerre, l’esprit de groupe permettant de panser les souffrances des combattants, donnent les clés d’une meilleure compréhension de ce conflit. Ces aspects du manuscrit nous semblent particulièrement riches d’enseignements pour l’historien. Par-dessus tout, Thanatos rôde en Indochine. L’admirable travail du major Duplan(8), qui a exploré les moindres recoins des archives pour reconstituer son portrait de groupe des gendarmes morts en Indochine, nous montre également que cette guerre a été meurtrière. Le prix payé par l’institution a été très lourd puisque 654 gendarmes sont décédés en Extrême-Orient. La mort, omniprésente en Indochine, est évidemment perceptible dans ces mémoires. Néanmoins, et il s’agit peut-être là d’une constante dans les quelques récits de gendarmes sur la guerre d’Indochine, on ressent bien toute la fascination, toute l’empathie pour un pays et pour une population où les gendarmes ont passé leur jeunesse et, avec elle, une partie des plus belles années de leur vie.

Le parcours de François Gallot

François Gallot est né le 9 novembre 1926 à Époye, dans le département de la Marne. Issu d’une famille d’agriculteurs(9), il exerce lui-même cette profession avant d’effectuer son service militaire, à partir du 19 novembre 1946, au sein du service de santé à Bar-le-Duc(10). Muté à l’hôpital militaire de Metz le 10 avril 1947, il obtient la distinction de 1ère classe le 1er septembre 1947. Libéré le 16 février 1948, il est nommé élève-gendarme à pied le 23 août 1948. Affecté au sein de la 10e légion de gendarmerie, il rejoint dans un premier temps le centre d’instruction de Charenton, avant de se rendre à Tizi-Ouzou en Algérie. François Gallot est titularisé dans ses fonctions de gendarme à pied le 1er avril 1949. Sa carrière prend alors un nouveau tour : il est désigné pour rejoindre les légions de la Garde républicaine de marche (LGRM), à l’âge de 24 ans. Son embarquement se déroule à Marseille, le 6 septembre 1950. Après un voyage de trois semaines au bord du Pasteur, il débarque en Indochine le 24 septembre. Affecté au sein de la 1ère légion de marche, il rejoint le 7e groupe de compagnies du 3e régiment de la garde du Vietnam Sud le 30 septembre 1950. Le garde Gallot est alors envoyé au poste de Nuoc-Ngot, trente kilomètres à l’Est du cap Saint-Jacques. C’est ici que débute véritablement l’odyssée du gendarme. Au contact de la population vietnamienne, François Gallot va peu à peu se familiariser avec ce nouvel univers, ses règles, mais aussi ses dangers. Il obtient la médaille coloniale le 10 juillet 1951(11). François Gallot est cité à l’ordre du régiment par le lieutenant-colonel Morisot le 25 février 1953, alors qu’il se trouve au sein du détachement de Long-Dien, au sein du 3e groupe d’escadrons de la 1ère légion de marche de la Garde républicaine (LMGR) : « Sous-officier animé des plus belles qualités de chef, détaché à l’encadrement du 7e groupe de compagnies du 3e régiment de la garde du Vietnam Sud. Participe depuis 23 mois à la lutte contre les rebelles et vient de prolonger son séjour. Est volontaire pour toutes les sorties. Le 5 août 1952, à Long-My (province de Baria), au cours d’une reconnaissance dans le massif montagneux de Nuoc Ngot, ayant décelé un campement rebelle, à la tête de son groupe, l’a investi, récupérant des documents importants et mettant un rebelle hors de combat »(12). Cette citation lui vaut l’attribution de la croix de la vaillance avec étoile de bronze. Un mois plus tard, il est à nouveau félicité, toujours à l’ordre du régiment, par le général de division Bondis, commissaire de la République et commandant des forces terrestres du Sud-Vietnam : « Excellent chef de section et commandant de poste, a exécuté sans défaillance sa mission avec un allant et un courage dignes d’éloges. S’est distingué plus particulièrement dans la région de Long-My (province de Baria) les 22 juillet, 9 et 13 décembre 1952, au cours d’opérations de nettoyage en détruisant les abris rebelles, capturant un combattant, récupérant des documents, des mines et des munitions »(13). Cette citation lui permet d’obtenir la croix de guerre des TOE avec étoile de bronze.

La carrière de ce gendarme ne se résume pourtant pas à cet épisode de sa vie militaire. Le 23 août 1952, il est admis dans le corps des officiers de carrière. La même année, en septembre, il prolonge de six mois le temps de son séjour en Indochine. Mais le 30 mars 1953, il précise qu’après « deux ans, 6 mois et 6 jours, [il] quitte le sol d’Indochine et embarque vers 10 heures, à l’appel de [son] nom ». Il débarque à Marseille le 21 avril 1953 pour un congé de fin de campagne, puis rejoint sa nouvelle affectation à la légion de Garde républicaine de Paris, le 19 août 1953. Éprouvant peut-être une nostalgie pour ses années passées en Indochine, il est rayé des contrôles pour être muté, le 21 juin 1954, à sa demande, au sein de la 3e légion de marche de la Garde républicaine, au moment même des discussions internationales débouchant sur les accords de Genève. Le garde Gallot n’a pas laissé de souvenirs écrits sur cette seconde période en Indochine. Dans cette nouvelle affectation, il occupe plusieurs postes, notamment suite aux réorganisations consécutives aux accords de Genève et à la dissolution de la 1ère LMGR, le 31 décembre 1954, puis des 2e et 3e légions, le 31 mars 1955. Placé au 5e escadron des escadrons d’intervention le 1er mai 1955, il rejoint ensuite le 8e escadron le 16 juin suivant. Il passe, le 16 novembre 1955, au groupe prévôtal chargé de surveiller les prisons militaires. Il est autorisé à prolonger son séjour à deux reprises. Le périple indochinois s’achève définitivement pour lui le 28 février 1957, date à laquelle il rejoint la France. Une dernière lettre de félicitation, pour les services rendus en Indochine, lui est attribuée par le capitaine Mazéas en 1957, un officier que le garde Gallot avait croisé lors de ses différents séjours. Ce courrier, qui d’une certaine manière synthétise et résume l’activité de François Gallot en Indochine, est libellé ainsi : « Excellent gendarme qui, dans les diverses fonctions qu’il a occupées en Indochine, a toujours été un modèle de droiture et de conscience. Depuis plus d’un an secrétaire du détachement de garde de la prison militaire de Saigon et greffier de cet établissement a fourni dans des conditions difficiles une somme de travail considérable avec la plus grande abnégation et la plus grande modestie. Estimé de ses chefs et de ses camarades, mérite d’être cité en exemple »(14).

Après sa période réglementaire de congés, il est affecté au sein de la 10e légion de gendarmerie en Algérie, où il occupe un poste dans la brigade de Saint-Eugène à partir du 30 juillet 1957. Une attestation du 1er octobre 1957 lui accorde les fonctions d’officier de police judiciaire auxiliaire du procureur de la République(15). Cette qualité est confirmée ultérieurement par un arrêté interministériel du 6 août 1962(16). Le 30 août 1962, il obtient les félicitations écrites du commandant la 10e légion de gendarmerie : « Gendarme servant en Algérie depuis cinq ans, a obtenu en brigade de très bons résultats dans le domaine de la police judiciaire. S’est révélé par la suite un auxiliaire précieux du commandement par ses qualités d’ordre et de méthode dans les fonctions de secrétaire du groupe de commandement et du service de casernement d’Alger »(17).

Muté le 14 novembre 1958 à la brigade d’Alger, il est ensuite nommé au groupe de commandement du groupement d’Alger, le 20 mai 1961, où il gère les questions liées au casernement. Décoré de la médaille militaire le 10 avril 1962(18), il rejoint la brigade de gendarmerie de Limours, dans le département de Seine-et-Oise, le 12 août 1962, peu après la proclamation de l’indépendance de l’Algérie du 31 juillet. Nommé le 1er février 1963 au bureau du personnel sous-officier de la direction de la gendarmerie et de la justice militaire, il est promu au grade de maréchal des logis-chef le 1er janvier 1966.

François Gallot fait valoir ses droits à la retraite le 25 avril 1969. Il obtient le certificat de bonne conduite lui permettant de rejoindre l’administration. Pour clore sa carrière, un témoignage de satisfaction du directeur de la gendarmerie et de la justice militaire vient parachever son parcours. Ce document signale un « excellent gradé qui s’est toujours distingué par sa conscience professionnelle. A assuré pendant six ans les fonctions de secrétaire au service du recrutement des sous-officiers. Grâce à sa discrétion, son dévouement et son application, il s’est montré un collaborateur précieux de ses chefs et s’est attiré l’estime de ses pairs »(19).

Les extraits de la notation de François Gallot, effectués par une vingtaine d’officiers différents, ont été conservés pour la période 1949 à 1956. Ils relèvent des qualités que l’on perçoit d’ailleurs à la lecture des mémoires. L’instruction élémentaire est jugée très bonne, le caractère est franc, bien qu’une certaine timidité caractérise sa conduite au début de sa carrière. Ses chefs louent régulièrement sa conduite et la qualité de son travail. En Indochine notamment, le capitaine Mazéas retient, en 1951, sa volonté de développer ses connaissances et ses qualités militaires : « A de l’autorité sur son personnel qu’il commande avec tact »(20). Le jugement du capitaine Faure, commandant le détachement de la 1ère LMGR en 1952 ne varie guère : « Très bon élément, de tenue, conduite et moralité parfaites. Bien adapté à la vie de poste. A renouvelé son séjour pour six mois. Excellent camarade, caractère réservé, mais énergique. À beaucoup d’ascendant sur les autochtones qu’il commande avec tact. Courageux en opération »(21). Les traits du caractère de François Gallot sont consignés dans ces quelques lignes qui dressent le portrait des hommes, dans le style synthétique et si particulier des notations administratives.

Après la carrière dans la gendarmerie, une nouvelle vie débute alors pour lui. Cependant, comme en témoigne sa documentation privée, il reste en contact avec ses anciens camarades, notamment au travers de sa participation à l’association nationale des anciens d’Indochine et du souvenir indochinois. En 1973, il obtient le brevet du titre de reconnaissance de la nation, en témoignage des services rendus à l’occasion de sa participation « aux opérations de sécurité et de maintien de l’ordre en Algérie »(22).

Le départ de François Gallot pour l’Indochine s’inscrit dans le contexte plus général du déploiement de la gendarmerie sous la forme de trois légions de marche. Cet épisode de l’histoire de l’institution, ce moment fondateur d’une gendarmerie à nouveau amenée à combattre, mérite quelques développements.

La mise en place des légions de marche

À la veille de la guerre d’Indochine, la gendarmerie est déjà présente en Extrême-Orient à travers deux formations. D’une part, une prévôté accompagne le corps expéditionnaire venu sous les ordres du général Leclerc reprendre possession de ce vaste territoire confisqué par les Japonais au profit des nationalistes locaux. D’autre part, la gendarmerie coloniale, instituée dès le début de la conquête indochinois durant le Second Empire et anéantie lors du coup de force Japonais du 9 mars 1945, est reconstituée dès le retour des Français sur la péninsule indochinoise. Toutefois, si l’intervention française en Indochine débute comme une affaire coloniale, elle évolue rapidement sous la pression du contexte international marqué par la Guerre froide.

L’échec des conférences de Dalat en avril 1946 et de Fontainebleau en juillet 1946 conduit le gouvernement français à envisager un renforcement du dispositif militaire en Indochine pour empêcher cette région de tomber sous la coupe des communistes. Le haut-commandement décide une plus grande implication de la gendarmerie avec l’envoi de corps constitués. Le 20 novembre 1946, le ministre des Armées Félix Gouin ordonne de mettre en place « dans les meilleurs délais, une légion de Garde républicaine de marche destinée au corps expéditionnaire d’Extrême-Orient. Cette légion doit se retrouver prête à être mise en route pour l’Indochine à partir du 1er mars 1947. Elle doit être mise sur pied en désignant par priorité des volontaires »(23).

Le 19 décembre 1946, le coup de force d’Ho Chi Minh à Haïphong qui marque le début de la guerre d’Indochine, oblige à revoir le programme initial. Ce n’est plus une mais trois légions de Garde républicaine marche qui doivent être mises sur pied pour être envoyées en Extrême-Orient(24).

Le général Beaudonnet se souvient des contraintes imposées par l’urgence de la situation : « Cette charge subite, explique-t-il, on ne peut comme le voudraient certains, la confier exclusivement à la Garde républicaine de qui c’est le métier, mais dont les effectifs ne correspondent plus à une telle éventualité. On ne saurait attendre non plus la solution d’un quelconque volontariat car les délais sont trop mesurés. C’est donc à la gendarmerie tout entière qu’il faut faire appel sous la forme d’un tour de départ et désignations d’office. On tâchera néanmoins d’écarter de cette épreuve ceux qui rentrent de captivité ou de déportation et les pères de familles nombreuses. Pour le choix des officiers, on a la chance d’avoir une certaine marge de manœuvre avec les brillants sous-lieutenants des promotions Milbert et Kilstett, qui pour avoir été recrutés à la Libération, n’ont encore jamais fait campagne. Pour élargir un peu ce double créneau, on y joindra quelques vétérans de la promotion Vessières et une poignée d’élèves officiers trop heureux d’écourter leur stage à l’école d’application. La recherche des capitaines sera plus malaisée car la guerre s’est davantage acharnée sur eux. Pour le sommet de la hiérarchie, le jeu normal de l’avancement suffira à apporter ce qu’il faut de commandants et de colonels. Cependant, malgré le souci du bureau du personnel de partager au mieux les charges, on verra le capitaine Chiara, le lieutenant Xerri ou le sous-lieutenant Piquet repartir en guerre sans avoir dessanglé, tandis que d’autres resteront à jamais les rennes sur l’encolure »(25).

L’important contingent de gendarmes stationnés avec les troupes d’occupation en Allemagne permet de constituer rapidement la 1ère légion de Garde républicaine de marche. L’adjudant-chef Biaugeaud, alors simple garde, se rappelle de l’état d’esprit qui régnait alors : « Je me trouvais en Allemagne vers fin 1946, lorsque les premiers bruits d’un éventuel départ en Indochine vinrent troubler la quiétude d’une occupation de tout repos. Peu de temps après, la grande offensive des listes de départ se déclencha. Il y eut pas mal d’émotion parmi les intéressés, émotion qui alla même, chez beaucoup, jusqu’à la défaillance. Bref, ceux qui, en bons militaires, répondirent présent à l’appel de leur nom se retrouvèrent dans les premiers jours de janvier 1947 aux centres de rassemblement de Worms-Horb en Allemagne. J’étais du nombre »(26).

Le premier échelon de la 1ère LGRM est formé à Lorrach (Bade) dès le mois de décembre 1946. Il comprend une fraction de l’état-major de la légion et un groupe de deux escadrons, soit 312 hommes. Sous le commandement du chef d’escadron Monmasson, cet élément précurseur débarque à Saïgon le 12 janvier 1947. Le deuxième échelon est constitué à Worms et Horb à partir du complément de l’état-major légion et de trois groupes de deux escadrons, soit 796 hommes. Aux ordres du lieutenant-colonel Degré, chef de corps, ce deuxième échelon embarque sur le Pasteur avec la 2e LGRM et débarque à Saïgon le 11 mars 1947(27).

La mise sur pied de la 2e LGRM s’effectue aussi en deux échelons. Le premier est mis sur pied à l’école préparatoire de gendarmerie (EPG) de Romans (Ain) sous les ordres du chef de corps, le colonel Sérignan. Le second échelon se regroupe à l’EPG de Pamiers (Ariège) sous la responsabilité de son adjoint, le lieutenant-colonel Daniel. Officiellement créée le 17 janvier 1947, la 2e LGRM se rassemble au camp de Sathonay, près de Marseille, pour embarquer sur le Pasteur le 21 février 1947. Transbordée le 9 mars au cap Saint-Jacques, elle débarque à Saïgon le 11 mars 1947.

Pour sa part, la 3e LGRM est mise en place le 10 février 1947 à partir des deux centres de regroupements installés aux EPG de Pamiers et de Romans. Son acheminement vers la Cochinchine se déroule de manière dispersée et s’étale du 19 mars au 17 avril 1947.

La composition des troupes qui s’apprêtent à servir en Indochine possède plusieurs singularités. Près de 4/5e du personnel provient de la gendarmerie départementale et 1/5e est issu de la Garde républicaine. Une grande partie est composée de jeunes éléments dont certains avaient intégré la gendarmerie pour échapper au STO, tandis que d’autres ont rejoint des EPG à la Libération. Novices dans le service, ils ignorent totalement les missions qui les attendent en Indochine. Les gradés qui ont commandé des brigades ne sont guère plus préparés à la vie de brousse. Il en est de même pour les officiers subalternes qui reçoivent leur première affectation en Extrême-Orient. Pour tous, la découverte de la société asiatique provoque un grand étonnement.

L’équipement des gendarmes est particulièrement révélateur du contexte. Comme le raconte le général Beaudonnet, « de tous ces préalables, le plus riche en anecdotes sera sans doute celui de la distribution de l’habillement. Après avoir rendu à son corps d’origine tout ce qu’il détient, chaque postulant doit toucher, en échange de son képi et de ses leggins, un paquetage de campagne de type Nord-Est, avec une collection de draps kaki et tout le fourmillement habituel du soldat. Malheureusement, avec la misère des temps et la mauvaise volonté des syndicalistes qui gèrent les magasins de l’intendance, cette banale perception est devenue un véritable parcours du combattant. Jamais, on aura vu autant de chaussures du même pied, de vêtements dépareillés, ou d’équipements venus de toutes les armées du monde »(28). C’est effectivement au moment de l’embarquement à Marseille que se dévoile toute la pénurie du corps expéditionnaire en général, et de la gendarmerie en particulier. On trouve là réuni l’amalgame hétéroclite des matériels et des paquetages récupérés à partir des surplus de l’armée américaine du Pacifique, de l’armée britannique et même de l’Afrika Korps. En matière d’armement, les gendarmes ont encore en dotation les fusils MAS 36, les pistolets-mitrailleurs 38 et les fusils-mitrailleurs 24-29, alors que le reste du corps expéditionnaire dispose d’armes alliées modernes et performantes. Quant au matériel lourd, il est acheminé séparément, à bord des Liberty-Ships récupérés à la fin du conflit en Europe(29).

L’évolution des légions de marche

Les trois légions de Garde républicaine de marche débarquées en Indochine par échelons successifs au cours du premier semestre 1947 rassemblent à leur arrivée un effectif de 95 officiers et 2 840 gradés et gendarmes d’origines variées. Chaque légion de marche s’organise sur le modèle du bataillon d’infanterie de l’époque. Commandée par un colonel, assisté d’un lieutenant-colonel et d’un chef d’escadron, elle doit compter six escadrons, dont un escadron hors rang et un escadron porté d’accompagnement L’effectif réglementaire est de 30 officiers et 1041 gradés. L’existence de ces légions de marche représente un véritable défi pour la gendarmerie qui n’a pas envoyé de corps constitués aussi importants depuis la campagne de Crimée en 1855.

L’organisation et l’implantation initiales de ces légions subissent rapidement d’importants aménagements, liés aux missions diverses confiées par les autorités et le commandement militaire de la gendarmerie. Durant la guerre d’Indochine, l’organigramme des LGRM devient rapidement complexe et nécessite de trouver une formation capable de gérer l’ensemble des forces engagées par l’arme. Le 10 avril 1947, un poste de colonel inspecteur de la gendarmerie en Indochine est créé afin de coordonner les mouvements des unités et du personnel et de contrôler leurs différentes activités. Cette charge à haute responsabilité est confiée au colonel Sérignan. C’est à lui qu’il appartient de répartir les missions entre les cinq corps de gendarmerie qui servent dans la péninsule indochinoise (les trois LGRM, le détachement de gendarmerie et la prévôté). L’inspection doit surtout adapter continuellement les effectifs des unités aux besoins exprimés par le haut commandement(30). Elle assure notamment la gestion délicate des relèves en tenant compte de l’ordre d’arrivée des hommes et des situations particulières de chacun (accidents, décès, situation familiale, prolongation de séjour…). À son niveau, le garde Gallot a parfaitement retranscrit dans son carnet de bord les modalités des mouvements du personnel à cette époque.

L’originalité des LGRM est également visible à travers leur localisation géographique. En effet, il existe une grande dispersion des unités qui pèse sur la continuité du commandement de la gendarmerie. Ainsi, au début de son implantation, la 1ère LGRM est présente à la fois en Cochinchine, au Laos et au Cambodge avant de se regrouper en Cochinchine avec l’arrivée des deux autres légions de marche. De son côté, la 2e LGRM stationne à Nah Trang, Saïgon et Pnom Penh. Quant à la 3e LGRM, l’ensemble du corps est séparé de sa tête, puisque le colonel Daubigney, isolé à Saïgon, est un chef sans troupe. Il a peu d’influence sur ses propres unités qui reçoivent leurs ordres des chefs de secteur dont elles dépendent directement pour leur service. Les conditions d’emploi de la gendarmerie en Indochine représentent d’ailleurs une véritable originalité. Comme les autres unités militaires, les escadrons des LGRM sont affectés à différents secteurs opérationnels. Or, ces portions de territoire, de la taille d’un département français, sont toutes commandées par un officier supérieur de l’armée (infanterie, artillerie, cavalerie…), chef de corps d’un régiment. Par conséquent, les gendarmes ainsi dépêchés ne dépendent plus de leurs supérieurs hiérarchiques qui se trouvent à des centaines de kilomètres mais d’un commandant de secteur qui n’est pas gendarme. La gendarmerie est très certainement l’une des seules armes, sinon la seule, à avoir connu une telle situation(31). Son personnel est donc amené à faire preuve d’adaptation pour remplir sa mission. Dans ses notes, le garde Gallot décrit parfaitement cette réalité, qui entraîne parfois des dissensions entre le commandement de la gendarmerie et les autres militaires.

Le 1er juin 1949, les trois légions de Garde républicaine de marche (LGRM) deviennent trois légions de marche de Garde républicaine (LMGR). Malgré la dispersion de leurs membres à travers l’Indochine, les LMGR acquièrent au fil du temps une véritable identité, notamment vis-à-vis de la métropole. Du reste, afin de renforcer la cohésion de ces unités et d’honorer le service assuré par ses gardes, le directeur de la justice militaire et de la gendarmerie Gérard Turpault décide, le 18 novembre 1949, de confier aux LMGR la garde de l’étendard de la Garde républicaine. Cet honneur symbolique est d’abord accordé à la 1ère LMGR car elle a été la première engagée et compte déjà de nombreux disparus dans ses rangs. Le 1er décembre 1949, une cérémonie solennelle est organisée à l’école d’application de la gendarmerie à Melun. Devant tous les drapeaux de l’Arme exceptionnellement réunis, le général de division Duin, inspecteur général de la gendarmerie, remet l’étendard de la Garde républicaine aux représentants des légions de marche d’Indochine. Après une longue traversée, l’étendard tricolore est officiellement réceptionné par la 1ère LMGR le 23 février 1950, lors d’une imposante prise d’armes au camp Virgile à Saïgon. Toutes les composantes de la gendarmerie servant en Indochine sont représentées(32).

L’évolution de la situation militaire en Indochine pèse directement sur l’existence des LMGR. Le 7 mai 1954, la chute du camp retranché de Dien Bien Phu entraîne à Paris celle du cabinet Laniel et de son ministre des Affaires étrangères Georges Bidault. Nommé président du Conseil le 18 juin 1954, Pierre Mendès France engage son gouvernement dans la voie d’une paix négociée dont il est partisan depuis longtemps. Promettant d’obtenir la paix dans un délai d’un mois, il reprend les pourparlers à la conférence de Genève débutés en avril 1954. À l’aube du 21 juillet 1954, les accords de Genève mettent fin à la première guerre d’Indochine. Cela implique le retrait progressif des forces militaires françaises stationnées en Extrême-Orient. Le sort des LMGR est désormais scellé. Le 15 octobre 1954, les trois LMGR deviennent trois légions de marche de gendarmerie mobile (LMGM). En mars 1955, la dissolution des trois LMGM et de la prévôté des forces terrestres en Extrême-Orient (FTEO) entraîne la mise sur pied d’une légion mixte de gendarmerie d’Indochine à partir de l’amalgame des éléments qui ne sont pas encore rapatriés. Cette nouvelle légion comprend un détachement prévôtal de la prison militaire, un détachement prévôtal de sécurité de QG et un groupe d’intervention à quatre escadrons (mixtes chars) à Saïgon (périphérie) et au cap Saint-Jacques.

En avril 1955, les effectifs sont de 32 officiers et 1209 gradés et gendarmes. Ils vont s’amenuiser avec les dissolutions successives d’unités et les suppressions de poste. Le 1er janvier 1956, la légion mixte de gendarmerie d’Indochine devient par changement de dénomination la légion de gendarmerie d’Extrême-Orient qui est elle-même dissoute le 15 mars 1956.

Les spécificités du service au sein des légions de marche

Formations originales dans leur organisation, les légions de marche le sont tout autant dans leurs missions. Ces unités suscitent d’ailleurs de nombreuses interrogations auprès des militaires des différentes armes lors de leur arrivée en Indochine. Le général Sérignan a clairement résumé l’état d’esprit ambiant : « Ce n’est pas sans curiosité ou même sans quelque appréhension – il faut bien le dire – que les camarades des autres armes virent débarquer les formations de Garde républicaine. Selon les bruits qui couraient alors avec persistance, ces unités venaient pour assurer la police de la circulation et réprimer, au moyen de procès-verbaux, les infractions commises par les militaires des autres corps de troupe »(33).

Loin de se cantonner à des tâches policières, les gardes des légions de marche déploient une grande activité caractérisée par la diversité des missions exercées. Les militaires de l’arme se voient ainsi confier des emplois d’instructeurs, de combattants (fusiliers voltigeurs, parachutistes, tireurs, chefs de char…), de spécialistes (transmetteurs, chiffreurs, mécaniciens AEB, infirmier, pilote de vedettes blindées, pilote et mécanicien d’hélicoptère), de personnels administratifs dans les états-majors de tous niveaux, français ou des États associés, dans les missions d’organisation des armées nationales, dans les chancelleries et les commissions de toutes sortes (commission mixte d’armistice, commission d’exhumation de Tourane)(34).

Sur le plan strictement militaire, les gardes des légions de marche remplissent toutes les missions normalement dévolues aux combattants telles que les reconnaissances, les escortes, la garde de points sensibles… Disposant généralement d’une faible expérience dans ce domaine, ces hommes doivent rapidement s’adapter à ces nouvelles fonctions. Le témoignage suivant est révélateur à ce sujet : « Début novembre 1949, j’effectuais ma première ouverture de route. Suivant les indications de mes partisans, j’allais prendre position sur un piton. Manque de chance, les Viêt y étaient avant nous. Aussitôt ça tiraillait de partout, c’était la panique. Au bout d’un moment je me suis trouvé seul derrière une pile de bois, j’entendais siffler au-dessus de ma tête et sans attendre, j’ai pris la décision de traverser la route à toutes enjambées, toujours sous le tir des Viêts et j’ai plongé dans une espèce de marécage couvert de broussailles. J’ai « parcouru » encore quelques dizaines de mètres et j’ai attendu. Quelques instants après, je percevais un certain bruit. Une personne essayait de se frayer un passage. Je me posais la question, est-ce un Viêt ou un de mes partisans ? C’était un de mes partisans, mais je me méfiais, je ne les avais pas tous « photographiés ». Par la suite un détachement du poste est venu nous récupérer avec le restant des rescapés. Arrivé au poste et à peine remis de mes émotions, j’étais harcelé de questions par l’officier de renseignements : « Quelle est la couleur de la tenue des Viêts ? Combien étaient-ils ? Pourquoi je n’étais pas monté à l’assaut ? «. J’étais complètement décontenancé par cette question et mes réponses ont dû être évasives. Comme je l’ai signalé plus haut, c’était ma première sortie, je ne connaissais ni le terrain, ni la valeur combative de mes partisans, j’étais totalement dans l’inconnu »(35).

Les conditions d’emploi des gardes au niveau militaire sont extrêmement variables, puisque ceux-ci peuvent être détachés à deux ou trois dans des postes ou rejoindre des unités constituées. La grande diversité de ces formations montre, une fois de plus, la capacité d’adaptation de la gendarmerie. On trouve en effet :

- des escadrons portés ;

- des escadrons mixtes d’automitrailleuses ou de chars ;

- des escadrons de reconnaissance ;

- des escadrons de parachutistes ;

- des escadrons de commandos ;

- des escadrilles fluviales ;

- des compagnies d’infanterie ;

- des compagnies de combat du génie.


Par ailleurs, le rôle des gardes ne se limite pas aux seules fonctions de combattants mais s’étend à toutes les tâches induites par la guerre subversive qui caractérise le conflit indochinois. Dans ce type d’hostilités, l’adhésion des populations locales est un paramètre aussi important que les succès opérationnels militaires. Les gardes des légions de marche apprennent ainsi les subtilités de l’action psychologique où le renseignement et la propagande constituent des données essentielles. Dans ses carnets, le garde Gallot explique très bien le rôle joué par la gendarmerie dans ce domaine et toute la difficulté pour constituer un réseau de renseignement efficace. Il montre notamment que la population ne fournit aucune information tant que ses révélations la mettent directement en danger.

En dehors des missions militaires, la gendarmerie assure une autre tâche primordiale en Indochine, consistant à encadrer les différentes formations présentes sur ce territoire. Cet encadrement qui mobilise une grande partie du personnel des légions de marche, s’étend de la phase d’instruction lors de la mise en place de certaines unités à la phase d’emploi sur le terrain. En réalité, les légions de marche participent à la constitution des armées nationales du Laos, du Cambodge et du Sud-Vietnam. Là encore, la liste des troupes encadrées par la gendarmerie est impressionnante puisqu’elle comprend :

- les bataillons de l’armée vietnamienne ;

- les bataillons de chasseurs cambodgiens ;

- les bataillons de chasseurs laotiens ;

- les bataillons de gardes thaï ;

- les bataillons de gardes Nung ;

- les bataillons de prisonniers internés militaires (PIM) ;

- la Garde républicaine de Cochinchine, devenue GVNS

- la garde montagnarde(36) ;

- la garde nationale khmère ;

- la garde tonkinoise, devenue GVNS ;

- la garde des provinces méridionales du Centre Vietnam ;

- la garde frontalière de l’Est tonkinois ;

- le groupe d’escadrons Muong(37) ;

- la milice du Centre Annam ;

- les unités des partisans des plantations ;

- les écoles d’enfants de troupe ;

- les centres d’instruction des forces armées vietnamiennes ;

- le centre d’administration et le service auto du Vietnam Sud ;

- les écoles militaires vietnamiennes ;

- les tabors marocains ;

- les tirailleurs algériens ;

- les tirailleurs sénégalais ;

- les gendarmeries vietnamiennes, laotienne et cambodgienne(38).


L’importance et la diversité des missions confiées à la gendarmerie impliquent non seulement une grande faculté d’adaptation mais surtout une capacité à remplir des tâches à un niveau de responsabilité élevé. Comme l’explique le colonel Sérignan, « les légions de marche étaient composées de sous-officiers issus pour la plupart de la gendarmerie départementale, où la connaissance des gens et des lieux prime de loin l’expérience militaire. Ce sont des hommes, que rien ne préparait à une telle aventure, qui vont être chargés, sans transition et dans un moment redoutable, de missions où ils devront exercer des commandements très supérieurs à leur grade. Ils durent recruter des hommes, les instruire, bâtir des postes et procéder aux opérations de pacification, avec tout ce que ce mot recouvre de courage, d’obstination et de sens de l’humain »(39).

En effet, le simple garde est parfois chef de groupe, mais il est plus souvent chef de section, quand ce n’est pas commandant de compagnie. Il est donc amené à avoir sous ses ordres 50, 80, voire 100 hommes, ce qui ne se produit pas en métropole. Les gradés, quant à eux, reçoivent presque toujours des commandements d’officiers. Les officiers n’échappent pas non plus à cette inflation des responsabilités, puisque les sous-lieutenants ou les lieutenants commandent fréquemment des bataillons et les capitaines ou chefs d’escadron des régiments.

Les écrits du garde Gallot montrent bien le haut niveau de responsabilité des gendarmes en Indochine. Du reste, Johannes Peillon, qui possédait à peine une année d’expérience en brigade avant son départ pour l’Extrême-Orient, a lui aussi résumé la situation de manière significative : « Après notre débarquement à Saïgon où nous avons découvert un autre monde, l’escadron auquel j’appartenais a été expédié au Tonkin. Nous avons, dans un premier temps, été employés à des tâches diverses et nous avons suivi des cours de langue annamite. Fin août 1947, nous apprenions que nous étions destinés à l’encadrement de la garde Tonkinoise dont les éléments en cours de recrutement n’allaient pas tarder à arriver. Bientôt, les compagnies et les sections étaient formées. C’est ainsi que je devenais chef de section. J’avais un adjoint et 40 indigènes sous mes ordres. Sans aucune instruction, étant donné l’urgence, nous sommes partis en postes. Nous devions relever la coloniale. Dès notre arrivée sur les lieux, nous apprenions que nous avions deux postes à occuper distants de cent mètres, l’un de l’autre. Nous avions perçu l’armement collectif d’un seul poste. Le soir, je me suis retrouvé, seul Européen avec vingt-cinq autochtones qui me regardaient comme une bête curieuse. J’apprendrai plus tard que certains de ces garçons n’avaient jamais vu d’Européens »(40).

La 1ère légion de marche au cœur de l’action

Durant son séjour indochinois, le garde Gallot est affecté à la 1ère légion de marche de Garde républicaine (LMGR). À travers l’exemple de cette unité, il est possible de mieux comprendre les conditions d’emploi des légions de marche de gendarmerie en Indochine.

Arrivée au début de l’année 1947, la 1ère LGRM connaît d’abord une phase d’acclimatation de quinze jours dans les paillotes du camp de Petrus-Ky dans la banlieue saïgonnaise. Elle reçoit ensuite plusieurs missions d’encadrement concernant :

- la force de gendarmerie laotienne créée le 11 mars 1947 et articulée en deux compagnies du Laos-Nord et du Laos-Sud. Le capitaine Belloc et ses 48 gradés et gardes ont en charge de former 10 500 autochtones ;

- l’armée royale khmère et notamment la garde nationale articulée en douze sections d’intervention et les bataillons de chasseurs cambodgiens (BCC) ;

- les forces autonomes des Hauts Plateaux avec la garde montagnarde ;

- la Garde républicaine de Cochinchine héritière de la garde indochinoise de l’entre-deux-guerres et encadrée jusqu’à présent par la gendarmerie coloniale(41) ;

- des unités spéciales, telles que le groupe d’escadrons d’honneur de Chi Hoa, l’école des enfants de troupe du cap Saint-Jacques, le camp d’instruction de Nuoc Ngot, l’escadron parachutiste de la garde créé le 2 avril 1947, le groupe d’escadrons commandos créé le 1er octobre 1947, le groupe autonome d’escadrilles fluviales créé le 13 mars 1948.


Le déploiement des deux autres légions de marche en Indochine permet à la 1ère LGRM de se consacrer à partir de mai 1949 à l’encadrement de la Garde républicaine de Cochinchine, devenue la garde du Vietnam sud (GVNS) depuis juin 1948(42). Le 15 mai 1949, la 1ère légion transmet la mission d’encadrement de la gendarmerie laotienne et de la garde montagnarde des hauts plateaux à l’escadron hors rang de la 2e LGRM. Le 3e escadron de la 2e LGRM se charge quant à lui de l’instruction de l’armée royale khmère. Par ailleurs, dans le cadre du transfert de souveraineté aux nouveaux États associés, le groupe d’escadrons d’honneur de Chi Hoa, ainsi que l’école des enfants de troupe du cap Saint-Jacques perdent leur encadrement français au profit de cadres vietnamiens, le 1er novembre 1949. Enfin, le 15 février 1950, l’armée vietnamienne prend à sa charge le camp d’instruction de Nuoc Ngot.

Lorsque la 1ère LGRM reçoit la mission d’encadrer la GVNS, ce corps compte alors environ 3 500 hommes. Il s’agit pour les gardes de trouver 5 500 recrues supplémentaires afin de porter les effectifs de la GVNS à 9 000 hommes et de constituer ainsi l’embryon de l’armée nationale sud-vietnamienne. À cette époque, l’organisation de la GVNS est la suivante :

- un état-major PC à Saïgon Gia-Dinh ;

- un centre d’organisation et d’administration à Saïgon Tan-Dinh ;

- quatre régiments répartis de la manière suivante :

le 1er régiment à Cantho (province du Transbassac),

le 2e régiment à Mytho (province du delta du Mékong),

le 3e régiment à Giadinh (provinces du Centre),

le 4e régiment à Bien Hoa (province Est cochinchinois)(43).


Afin de remplir au mieux sa mission, la 1ère LGRM calque sa structure sur celle de la GVNS. Elle installe donc son état-major de légion à Saïgon Gia-Dinh et répartit ses groupes d’escadrons dans les quatre régiments de la GVNS. Une fois l’instruction de cette nouvelle troupe achevée, la 1ère LMGR doit la mener au combat. Là encore, la légion adapte son organisation aux conditions d’engagement de la GVNS. La structure de bataillon de la 1ère LMGR éclate au profit de détachements commandés par un officier et répartis dans les 21 provinces cochinchinoises. Ceux-ci sont eux-mêmes subdivisés en détachements élémentaires formés de deux à quatre gardes français, encadrant quelques dizaines autochtones de la GVNS dans des postes. Bientôt, près de 300 postes sont installés, formant un véritable maillage de Ca-Mau à Bu-Dop et de Ha-Tien à Baria. Les écrits du garde Gallot mettent exactement en lumière le rôle joué par la gendarmerie dans ce domaine.

Force de pacification, la GVNS compte dans ses rangs un personnel d’origine variée avec des Annamites, des Cambodgiens, des montagnards moï… La cohabitation entre ces différentes communautés n’est pas toujours aisée, et l’encadrement européen doit souvent assumer un rôle d’arbitrage, comme peut en témoigner lui-même le garde Gallot. La GVNS doit aussi s’appuyer sur des alliés encombrants que représentent les sectes telles que les Hoa-Hao de Tran Van Soai, les caodaïstes du pape de Tay-Ninh, Phan Cong Tac et même les Binh-Xuyen de l’ancien pirate Bay-Vien(44). Le garde Gallot confirme la confiance limitée accordée à ces troupes en raison de versatilité.

Avec le processus de « jaunissement » des troupes qui consiste à mettre en place des unités entièrement formées d’autochtones, le rôle de la 1ère LMGR évolue. À son niveau, le garde Gallot perçoit effectivement ces changements en voyant arriver dans les postes des officiers sud-vietnamiens. Le 1er janvier 1953, les unités de GVNS encore encadrées par la garde sont organisées de la manière suivante :

- le 1er régiment de la GVNS dont le PC est à Can-Tho. Il comprend :

le 1er groupe de compagnies à Can-Tho,

le 4e groupe de compagnies à Long-Xuyen,

le 7e groupe de compagnies à Ha-Tien,

le 8e groupe de compagnies à Cau-Ngam,

le 9e groupe de compagnies à Vinh-Long,

le 10e groupe de compagnies à Sa-Dec.


L’encadrement de ce que furent les 1er et 2e régiments est réduit à 140 officiers et sous-officiers sous les ordres du capitaine Perrot.

- 3e régiment dont le PC est à Gia-Dinh. Il rassemble :

le 1er groupe de compagnies à Hoc-Mon,

le 2e groupe de compagnies à Tay-Ninh,

le 5e groupe de compagnies à Thu-Dau-Mot,

le 6e groupe de compagnies à Bien-Hoa,

le 7e groupe de compagnies à Long-Dien.


L’encadrement est alors de 155 officiers et sous-officiers sous les ordres du chef d’escadron Dugravot.

En juin 1953, l’achèvement du transfert du commandement de la GVNS à des cadres vietnamiens fait perdre à la 1ère LMGR sa vocation initiale. Elle réoriente alors son action en créant un 4e escadron regroupant les gardes affectés jusque-là aux missions d’encadrement de la GVNS. Ils reçoivent de nouvelles affectations. Certains participent au contrôle des convois routiers et ferroviaires avec les fameux trains « Rafales » et fluviaux avec les groupes autonomes d’escadrilles fluviales (GAEF). Une partie des gardes rejoint aussi le peloton de chars de Saïgon ou la prison de Chi Hoa. D’autres encore assurent la protection des points sensibles de Saïgon.

Cette réorganisation est toutefois éphémère et ne se prolonge pas au-delà de l’été 1953. En effet, la note de service n° 2155/EMIFT/1/3214 du 23 août 1953 prévoit d’intervertir la zone d’implantation de la 1ère LMGR en Cochinchine avec celle de la 2e LMGR du centre Annam. La 1ère légion quitte donc le sud indochinois pour s’implanter dans le centre de la péninsule. Si les missions varient peu dans leurs principes (encadrement de troupes autochtones et postes de confiance auprès des états-majors, de l’administration civile et des installations militaires), les gardes doivent néanmoins se familiariser à nouveau avec l’environnement et la population du lieu de leur affectation.

À cette date, la 1ère LMGR établit son PC à Dalat, ainsi que son EHR et les services administratifs du corps. L’organisation est alors la suivante :

- le 1re groupe d’escadrons dont le PC s’installe à Hué avec une escadrille fluviale. Il comprend deux escadrons :

- le 1er escadron (ex-2e escadron de la 2e LGMR) est scindé en de nombreux détachements :

- un détachement de liaison fournit cinq sous-officiers par bataillon de la Garde du Vietnam (BGVN), ex-unités de la Garde nationale du centre Vietnam :

- divers autres détachements qui continuent à encadrer des compagnies de supplétifs militaires (CSM) à Hué (CSM n° 520, 526, 528), Tourane (CSM n° 502 à 505 plus un camp de 2000 PIM), Quang Tri (CSM n° 530), Dong Hoi (CSM n° 257 et 258 plus un camp de PIM), Quang Nam et au quartier autonome de prémontagne ;

- le 2e escadron (ex 1er escadron de la 2e légion) qui essaime de nombreux petits détachements dans le centre Vietnam à partir de son PC de Nha Trang (centre d’instruction de Suoi Dau, des CSM de cette région et des BGVN).

- le 2e groupe d’escadrons (ex 3e escadron de la 2e LGRM) dont le PC est implanté à Ban Me Thuot et les deux escadrons encadrent des bataillons de la garde montagnarde (BGM).

- le 3e escadron est chargé du 451e BGM à Djiring, du 452e BGM à Ban Me Thuot et du centre d’instruction régional n° 4 de Ban-Don.

- le 4e escadron s’occupe du 453e BGM à Pleiku, du 454e BGM à Kontum et du 455e BGM à Pleiku, puis à Cheo Reo.


Lors des six derniers mois de la guerre, le 2e groupe d’escadrons est le plus touché par l’offensive menée par les régiments vietminh n° 108 et 803 sur les plateaux montagnards. Les autochtones et leurs cadres français ont, une nouvelle fois, l’occasion de se distinguer au cours des très violents combats de janvier-février 1954 (région de An-Khé et de Kontum), de ceux de juin (autour de An-Khé et de Pleiku) et de ceux de juillet (région de Cheo Reo). La majorité des postes tenus par la gendarmerie et ses gardes autochtones tombent, totalement submergés. Ce sont ainsi des centaines d’hommes qui disparaissent, et une région entière qui passe aux mains de l’ennemi.

Mais l’écho de ces événements tragiques est assourdi par l’annonce de la chute et de la capitulation de Dien Bien Phu. Après cette défaite, le calendrier de Genève fixe la date du 1er août 1954 pour l’entrée en vigueur du cessez-le-feu au centre Vietnam. Dès lors, les dernières unités d’encadrement sont rapidement dissoutes et dirigées sur Hanoï. Toutefois, la 1ère LMGR fournit un ultime renfort de 100 gradés et gardes pour assurer la sécurité à Hanoï pendant la période du 1er au 15 octobre 1954, prévue pour le transfert des responsabilités à l’Armée Populaire du Vietnam. Ce détachement de renfort est mis à disposition du colonel commandant la 3e LMGR pour emploi.

Le 30 août 1954, la 1ère légion hérite du 2e escadron de la 3e légion. Elle le dirige sur Phan Ri et lui confie l’encadrement des bataillons Nung réfugiés dans le Sud Vietnam.

Le 1er novembre 1954, le 2e groupe d’escadrons recueille la 5e escadrille fluviale, composée de soldats Nung basés à Haïphong et qui rejoignent Tourane.

Le 15 décembre, le 2e escadron est officiellement dissous. Ses effectifs sont affectés au 7e escadron prévôtal de la 1ère légion des forces prévôtales d’Indochine (LFPI). Les gardes des 3e et 4e escadrons sont ensuite regroupés en un unique escadron qui encadre, jusqu’à l’ultime limite, les bataillons de garde montagnarde autour de Ban Me Thuot. Le 31 décembre 1954, la 1ère LMGM est solennellement dissoute(45). Ses effectifs non rapatriables sont répartis entre la 1ère légion des forces prévôtales d’Indochine (LFPI) et la 2e LMGM.

Au total, durant ses neuf années d’existence, la 1ère légion de marche compte 245 décès sur les 654 (soit 37,46 %) enregistrés par la gendarmerie entre 1946 et 1954(46).

JOURNAL DE MARCHE

Le pasteur

Le SS Pasteur est sorti des chantiers de Saint-Nazaire en 1939, pour le compte de la Compagnie des Chargeurs Réunis, dans le Sud-Atlantique (paquebot) Bordeaux-Buenos-Aires (Argentine). Il ne fera qu’un voyage d’essai sur cette ligne. Puis la guerre survient et le désastre de juin 1940 le trouve à Southampton. Le gouvernement britannique le réquisitionne comme transport de troupes et l’envoie au Canada pour transformation. Pendant toute la guerre, il travaillera au compte des Anglais (toutes les inscriptions sur le navire en témoignent, écrites en anglais et français). […]

C’est une véritable caserne flottante et à chaque voyage, il transporte en moyenne 4 500 passagers (tous militaires). Les officiers et sous-officiers supérieurs sont en première classe et logent au pont S (supérieur). Les sous-officiers aux ponts C et D et les hommes de troupes dans les cales et les entreponts (en 4e classe). C’est le plus gros navire assurant le service sur cette ligne. Un commandant d’armes est à bord pour réglementer le service. Entre autres, les gardes républicains assurent la PM au bar des sous-officiers et aux cuisines aux heures des repas, cependant que des hommes de troupes (passagers) assurent les corvées. Les divertissements ne sont pas oubliés et la salle de spectacles est sans cesse en service pour les spectacles de cinéma, théâtre et services religieux (un aumônier et un pasteur sont affectés sur le navire). Sur le pont supérieur, un cours pour tennis et un terrain de volley-ball sont aménagés. […]

Mercredi 6 septembre 1950

Depuis neuf heures du matin, l’ambiance règne dans le quartier des Aygalades (banlieue Nord de Marseille) où se trouve la caserne du 2e escadron de Garde républicaine de la 9e légion et où nous attendons, à 30 gardes républicains, notre embarquement pour l’Extrême-Orient (depuis 3 mois). Cette longue attente (nous étions de la maintenance des légions de marche d’EO) va enfin prendre fin et pour la plupart de nous, c’est avec plaisir que nous avons appris quelques jours plus tôt que nous embarquions sur le SS Pasteur le 6 septembre 1950.

Vers treize heures, deux camions transportant, l’un le personnel, l’autre les bagages, quittent la caserne et filent vers le port, au milieu des cris et des adieux prononcés par ceux qui partent et ceux que nous quittons. […]

Enfin, vers quinze heures, notre tour arrive et, après avoir perçu un ticket de cabine à notre passage au pied de l’échelle de coupée, nous pénétrons en file indienne dans le navire et prenons possession de notre cabine (D 6, bâbord hôpital). C’est une grande chambrée, bien aérée par des hublots où nous allons passer 18 jours, couchés dans des lits superposés à deux étages. Cette cabine est réservée aux rapatriés sanitaires blessés ou malades, revenant d’Indochine lors du retour du navire, aussi les couchettes sont bonnes et les compartiments sont propres. Un employé du bord s’occupe du nettoyage et nous n’aurons que nos bagages à ranger tous les jours au matin pour neuf heures, pendant l’inspection du commandant de bord (nous sommes considérés en 3e classe). […]

Jeudi 7 septembre 1950

[…] À seize heures trente, nous passons au large des Îles Baléares (Espagne), aperçues à bâbord (gauche). La mer est calme et le restera jusqu’à Aden.

Vendredi 8 septembre 1950

À six heures, nous accostons à la jetée de Mers El-Kébir (Oran) où comme avant-hier, nous retrouvons les quais encombrés d’unités nord-africaines et de légionnaires attendant leur embarquement au milieu des bagages. Parmi eux, je retrouverais plusieurs légionnaires du 2e BE parachutiste de Sétif. Personne n’est autorisé à descendre et, à onze heures, nous reprenons la mer avec cette fois, le chargement de personnel au complet (environ 4 500) de toutes armes et toutes races. Pendant la journée, nous longeons les côtes d’Algérie que nous apercevons parfaitement. […]

Lundi 11 septembre 1950

Vers deux heures de l’après-midi, nous apercevons les côtes d’Égypte et à quinze heures, nous nous engageons dans l’entrée du canal de Suez qui, sur 5 kilomètres, forme le port de Port-Saïd. […]

Durant cette escale, personne ne sera autorisé à descendre, mais cependant il sera permis à tout le monde de faire du commerce avec les indigènes (arabes). Dès que le navire a jeté l’ancre et pendant qu’il fait le plein de ravitaillement et de mazoutage, une multitude de barques indigènes transportant des produits du pays viennent accoster au flanc du navire et leurs occupants nous offrent leurs marchandises. Jusqu’à la nuit, nous entendrons un concert de cris venant de ces barques ou du navire, attestant que le commerce est florissant, notamment en boissons, car la chaleur est forte et les bars à bord du navire ne sont ouverts qu’à certaines heures.

Les commerçants indigènes ne pouvant monter à bord, l’achat se fait au moyen d’une corde au milieu de laquelle est attaché un panier. L’acheteur, après bien du marchandage, désigne l’objet qui lui convient (étalé au fond de la barque) et le commerçant lui lance un bout de la ficelle, l’acheteur met l’argent convenu dans le panier, puis renvoie celui-ci au vendeur, lequel compte l’argent, met l’objet convenu dans le panier et retourne celui-ci à l’acheteur. Bien entendu, il faut faire attention dans ce mode d’achat, car on ne peut voir ce qu’on achète que lorsqu’on le tient dans les mains et parfois il y a des déceptions. Parfois, un farceur hâle le panier jusqu’à bord sous le prétexte de mettre l’argent et coupe la ficelle et garde le panier, aussi quel concert d’invectives lorsque le cas se produit. […].

Mardi 12 septembre 1950

[Le garde Gallot passe le canal de Suez].

Puis le Pasteur reprend sa route et augmente sa vitesse et le port de Suez s’estompe rapidement dans la nuit tombante. Vers vingt heures trente, le navire change brusquement de direction et lance deux bouées de sauvetage lumineuses à la mer. Nous apprenons aussitôt qu’un homme vient de tomber à la mer. Le navire ralentit sa marche et tourne en rond. Il met un canot de sauvetage à la mer, mais ne retrouve pas le naufragé. Aussitôt, tout le monde est rappelé dans ses compartiments respectifs pour faire l’appel. Finalement nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait de trois légionnaires qui avaient tenté de déserter en se jetant à la mer et en tentant de rejoindre les rives, assez rapprochées du Golfe de Suez. Nous ne saurons pas, et pour cause, si ils ont réussi dans cette tentative (il est bien évident qu’ils ne s’en vanteront pas). […]

Jeudi 14 septembre 1950

Pour la première fois depuis le début du trajet, je suis de service de PM au bar des sous-officiers. Sur le soir, nous croisons des îlots volcaniques. Nous passons le Tropique du Cancer et la chaleur bat tous les records.

Vendredi 15 septembre 1950

Dans le courant de la nuit, le Pasteur ralentit sa marche et vers cinq heures nous pénétrons dans la rade d’Aden, cachée dans la brume matinale. Les installations portuaires situées au pied d’une montagne volcanique semblent écrasées par cette masse imposante. Le navire jette l’ancre au milieu de la rade et aussitôt de nombreuses barques indigènes se dirigent vers le navire, soit pour venir chercher les passagers permissionnaires, soit pour venir vendre des produits du pays de la même manière qu’à Port-Saïd. La plupart de ces articles sont anglais ou de fabrications locales (tapis d’Orient, maroquinerie, cartouches de cigarettes anglaises, etc.). Les prix sont avantageux (on trouve à acheter notamment des piastres à dix francs). L’argent français est apprécié, ainsi que les quelques livres et dollars que nous avons perçus avant notre embarquement. […]

[Du 16 au 19 septembre le garde Gallot passe au large des îles de Sokotra, Ceylan puis Colombo].

Mercredi 20 septembre 1950

Même temps que précédemment. Le soir à dix-sept heures, nous assistons à un match de volley-ball entre la Garde républicaine et la Légion étrangère. On s’amuse comme on peut.

Jeudi 21 septembre 1950

À l’aube, nous côtoyons l’île de Sumatra que nous apercevons très bien. […]

Vendredi 22 septembre 1950

Par un temps nuageux et très doux, nous passons entre des îlots recouverts d’une végétation très dense (sur notre droite) et entre la presqu’île de Malacca (sur notre gauche), de même aspect. À neuf heures trente, nous stoppons au centre de la baie de Singapour à 2 kilomètres environ de la ville et du port. Comme aux escales précédentes, une multitude de barques indigènes accostent sur le Pasteur et leurs occupants nous vendent leurs produits en partie exotiques. Tout le monde goûte aux ananas, noix de coco, bananes, etc., dont nombre de nous ignorait ce que c’était. Nous nous trouvons à un degré de l’Équateur (111 kilomètres). […]

Dimanche 24 septembre 1950

Ce matin, c’est le grand jour, tout le monde se précipite aux hublots au réveil (5 heures) pour contempler les côtes d’Indochine. Nous ne sommes pas déçus et apercevons une montagne très boisée, d’un côté (montagne du cap Saint-Jacques) et une côte basse également verdoyante, de l’autre (Gan-Gio). Le Pasteur ralentit sa marche et remonte de l’eau boueuse. Nous passons devant un village protégé par un poste militaire (Canh-Gio), puis nous jetons l’ancre.

Quelques pirogues annamites, conduites par des femmes, habillées de leur traditionnel pantalon noir et du chapeau conique, passent non loin de nous. Inutile de dire si nous les regardons avec curiosité, mais cependant, depuis le départ de Marseille, nous avons vu tellement de races différentes que nous en sommes un peu saturés. Des chalands à moteurs, conduits exclusivement par des Annamites viennent se ranger le long de notre bateau. Premier aspect de la guerre : ces embarcations sont protégées par des tirailleurs annamites en armes. Toute la famille du batelier loge sur le bateau. […]

À sept heures, un petit navire-hôpital du cap Saint-Jacques vient se ranger bord à bord avec le Pasteur et aussitôt le transbordement des passagers tombés malades au cours du trajet a lieu (parmi eux le garde Gallien, opéré de l’appendicite en cours de route). Vers dix heures, un Liberty-Ship (le Boucca) se range de l’autre côté pour le transbordement des passagers à destination de Saïgon. Aussitôt, à l’appel du détachement de chaque Arme par le mégaphone, le changement de navire s’effectue. Vers onze heures, nous prenons pied sur le Boucca. […]

La rivière aux eaux bourbeuses fait des méandres et après trois heures de trajet à ne voir que de la brousse, nous entrevoyons des cheminées d’usine qui nous signalent Saïgon. Mais la rivière fait des méandres et nous n’arrivons que vers dix-sept heures trente dans le port de Saïgon. Sur la rive gauche, les quais et les installations portuaires et sur la droite la rizière et la brousse. Nous passons devant des navires rouillés, à moitié immergés, coulés en 1945 par les Japonais. Après avoir croisé des navires de toutes nationalités amarrés aux quais à gauche, nous virons au centre du fleuve et venons accoster derrière eux.

C’est aujourd’hui dimanche, ce qui explique peut-être la grande animation qui existe sur les quais à cette heure (entre autres, une musique militaire qui doit probablement nous jouer un morceau pendant le débarquement). Déjà des passagers ont reconnu quelques copains venus les attendre et les exclamations fusent de tous côtés (entre autres, plusieurs copains connus à Marseille ou en Afrique du Nord). Les opérations de débarquement commencent, mais la musique qui voit le temps se gâter, brille par son absence et inévitablement une trombe d’eau s’abat sur nous lorsque notre tour arrive. En un rien de temps, les quais deviennent déserts et nos premiers contacts avec le sol d’Indochine sont plutôt piteux. Malles, bagages et nous-mêmes sommes transpercés, mais la pluie n’est pas froide. Mais pour tous, nous sommes tout de même au terme de notre voyage et chacun est content de pouvoir se détendre les jambes et de retrouver le plancher des vaches.

Ce n’est que vers vingt heures que nous effectuons les opérations de douanes, assez rapidement et sans accrocs […]. Bien entendu, nous avons recours aux anciens pour nous informer de la vie ici et eux s’informent de la vie en France. Grâce à eux, nous pouvons installer nos moustiquaires correctement et passons une bonne nuit. Vers vingt et une heure, nous entendons pour la première fois des détonations, ce qui nous inquiète un peu, mais il paraît qu’il ne faut pas s’en formaliser : ça arrive tous les soirs dans la banlieue de la ville.

Lundi 25 septembre 1950

Ce matin, nous changeons de place et revenons dans d’autres bâtiments à deux cents mètres d’où nous venons de passer la nuit et où nous retrouvons les copains arrivés hier avec nous (car nous avons été répartis dans diverses casernes de la ville à notre arrivée). Pour la première journée, ce sera notre seul travail. Nous sommes mis en garde par les anciens pour ne pas nous faire voler par les autochtones, car ce sont des roublards au point de vue commerce et ils nous voient arriver de loin (tout débarqué à une allure spéciale avec son teint clair et ses shorts plutôt longs qui n’échappent pas à l’œil de ces messieurs).

Dans l’après-midi, un officier vient nous mettre en garde pour les promenades en ville. Ne pas fréquenter certains quartiers et observer le couvre-feu (fixé à dix-neuf heures trente dans le quartier du port (Khannhoï). Ensuite, nous allons nous promener dans le quartier, tout en restant méfiant à l’égard de la population indigène dont on ignore les mœurs. À première vue, l’hygiène ne semble pas beaucoup employée dans ce pays et les gosses à moitié nus, jouant dans des mares d’eau stagnante situées aux portes de leurs habitations (genre cité lacustre), semblent s’en accommoder. Les paillotes, construites en une sorte de roseaux tressés en panneaux, on comprend comme les incendies doivent faire du dégât dans ces quartiers. Il est vrai que c’est la banlieue de Saïgon et je suppose que la ville est mieux. Les habitants ont l’aspect grêle et sont de petite taille, les yeux bridés et les pommettes saillantes, d’un teint jaune tirant sur le mat, les hommes habillés de toile noire, les femmes de la même couleur également en pantalon (Caï-Hoan). La plupart se protègent du soleil avec le chapeau conique en paille de riz.

La circulation est dense dans ce quartier, principalement des véhicules militaires qui transportent du matériel débarqué du port. Mais aussi des camions civils, dont la bâche est remplacée par une toiture en paille de riz tressée. Nous y voyons aussi des cyclo-pousses ou moto-pousses, genre de fauteuils roulants placés en triporteur et actionnés comme une bicyclette ou par un moteur. Le conducteur est assis à l’arrière. Ce mode de circulation est très employé par les gens de classe moyenne. On y voit également les « boîtes d’allumettes », appelées ainsi en raison de leur exiguïté et traînées par des poneys (seule race chevaline en Indochine) où les paysans aiment s’y entasser en se rendant au marché avec leurs marchandises. Les marchés rappellent un peu ceux d’Afrique du Nord par l’animation qui y règne, mais bien entendu, les produits ne sont plus les mêmes et ce sont plutôt les femmes qui y circulent. Là aussi, l’hygiène est peu respectée et on comprend parfaitement que tout produit ou fruit doit être lavé avant d’être consommé, en voyant des nuages de mouches et la poussière se poser sur la marchandise. Le soir, quelques coups de feu dans le quartier : les Viets se font entendre. Nous sommes assez étonnés de voir de petits lézards courir après les murs et les plafonds, mais nous apprendrons que ces animaux sont inoffensifs et qu’au contraire, ils mangent les moustiques. Certaines personnes en mettent un dans leur moustiquaire, lorsqu’ils dorment, pour avoir un ange gardien vis-à-vis des moustiques.

Mardi 26 septembre 1950

Ce matin, nous sommes emmenés en camion à la prison militaire de Saïgon (Chi-Hoa) pour être présentés au colonel Ferbœuf, inspecteur de la gendarmerie en Indochine. Cet établissement pénitentiaire sert également de caserne à des détachements de la 2e légion de marche de GR qui assurent la garde des prisonniers. Après un petit discours de bienvenue et une mise en garde contre les imprudences qui coûtent ici parfois bien cher, quelques-uns d’entre nous connaissent leurs affectations, notamment dans la 2e légion en Sud-Annam, dans les brigades fluviales, dans la prévôté, etc. Duquesne (de Warmeriville) est affecté à Nha-Trang en Sud-Annam et Neveux (de Vouziers) en prévôté au Cambodge. […]

Mercredi 27 septembre 1950

[Le garde gallot visite Saïgon].

Jeudi 28 septembre 1950

Nous nous rendons aujourd’hui à Tan-Dinh où se trouvent les bureaux de l’inspection de la gendarmerie pour toute l’Indochine, pour remplir des fiches et percevoir de l’habillement nécessaire dans ce pays (toile de tente et manteaux de pluie) et pour y passer une visite. L’après-midi, vers quinze heures trente, nous quittons notre quartier pour rejoindre un centre de passage dans un camp (Chi-Hoa) réservé aux GR de la 1ère légion de marche de GR dans lequel sont déjà cantonnés des gardes arrivés en même temps que nous. Je quitte Neveux et n’aurais plus de ses nouvelles jusqu’à mon retour en France. Le matériel de couchage est assez précaire et nous ne regrettons pas d’avoir touché des toiles de tente qui nous servent de matelas. À chaque nouveau cantonnement, je fais grand usage de poudre DDT, car ces lits de passage sont infestés de parasites.

Vendredi 29 septembre 1950

Ce matin, nous avons la visite du commandant de la 1ère légion de marche de GR, dont je fais partie (lieutenant-colonel Siman). Nous avons des précisions sur nos affectations : brigades fluviales, parachutistes et la plupart encadrement des troupes vietnamiennes dans les postes. À quinze heures, nous allons percevoir de l’habillement et reverser nos tenues de drap au camp PétrusS-Ky. Nous ne verrons plus de tenues de drap [Commentaire sur les tenues] pendant toute la durée de notre séjour. Les unités stationnées au Tonkin et en Annam en sont dotées en raison du climat plus froid pendant certaines périodes de l’année. […]

Samedi 30 septembre 1950

À huit heures, nous sommes présentés au commandant du 3e régiment (commandant Venay) à son PC situé en ville. Il nous fait un petit discours et nous donne un aperçu des régions où nous aurons à opérer et du travail que nous allons avoir à faire. Ce sera vraisemblablement la vie de poste pour la plupart d’entre nous.

Promenade en ville pour passer le temps.

Dimanche 1er octobre 1950

Cette fois, nous connaissons nos affectations définitives. Nous allons une nouvelle fois nous séparer : Lète part pour Bien-Hoa, à 25 kilomètres de Saïgon ; pour ma part, je suis affecté au 7e groupe de compagnies à Nuoc-Ngot, à 30 kilomètres à l’Est du cap Saint-Jacques (à 120 kilomètres de Saïgon). […]

Mardi 3 octobre 1950

Nous sommes embarqués ce matin à huit heures trente, par camion, après avoir fait nos adieux aux copains qui eux, partiront dans l’après-midi. Je pars avec Latry (qui a fait son stage de gendarmerie avec moi à Tizi-Ouzou, Collet (entré en même temps que moi dans la gendarmerie et qui a fait son stage en même temps que le mien à Oran) et Berguen (qui vient de la gendarmerie au Maroc). Le camion nous transporte au port de Saïgon, à l’embarcadère de la chaloupe qui assure le service entre Saïgon et le cap Saint-Jacques.

À dix heures trente, nous embarquons sur la chaloupe Pursat et nous quittons le port pour prendre le même chemin que nous avons connu à notre arrivée à Saïgon. […]

Après un trajet sans histoire, mais où la chaleur se fait sentir, nous abordons la baie de Canh-Gio, en face du cap Saint-Jacques, qu’il nous faut traverser pour atteindre le port. […]

Mercredi 4 octobre 1950

Nous profitons d’un camion qui assure le ravitaillement en riz pour la 17e compagnie GVNS stationnée à Baria pour rejoindre cette localité. Avant le départ, des grenades nous sont remises et avec nous, une escorte de soldats vietnamiens montent sur le camion, armés d’un fusil-mitrailleur et de fusils. À huit heures, nous quittons la ville et prenons la route par où nous sommes arrivés hier soir, du port. […]

Jeudi 5 octobre 1950

Nous demeurons à la caserne toute la journée, bien contents de ne pas être obligés de partir par un temps pareil (c’est actuellement la saison des pluies, mai à décembre, et on s’en aperçoit). Il pleut à torrent toute la journée et nous pensons aux collègues de l’escadron qui sont partis en ouverture de route à cinq heures et ne rentreront que le soir à dix-neuf heures, trempés jusqu’aux os. Quel métier ! Notre dernière étape est prévue pour demain. Nous avons du mal à nous endormir, gênés par le coassement des crapauds-buffles.

Vendredi 6 octobre 1950

Départ à sept heures avec un camion de riz destiné au PC du 7e groupe d’escadrons GVNS de Nuoc-Ngot où nous nous rendons. Pour le trajet, l’un de nous perçoit une mitraillette Sten [Note sur la Sten] et nous gardons nos grenades. Le temps est couvert, mais il ne pleut pas. Le camion va se placer dans le convoi qui se forme à l’entrée de la localité sur la route de Long-Dien. À sept heures trente, un scout-car vient se placer en tête, ainsi qu’une automitrailleuse à l’arrière et une ambulance et un camion transportant une section au milieu du convoi. Les blindés font partie du peloton du 5e Cuirassiers de Baria et l’escorte est constituée par une section de la 8e compagnie du 2/22e régiment d’Infanterie coloniale, cantonnée à Baria. Une escorte, plus ou moins importante suivant la grandeur du convoi, est constituée à chaque convoi qui se rend dans le secteur de Nuoc-Ngot, car c’est le quartier le plus éloigné dans cette zone contrôlée de Baria - cap Saint-Jacques. […]

Le convoi stoppe au centre du camp et des GR viennent nous accueillir. Le temps de décharger les bagages et le convoi continue jusqu’au village voisin, distant de 6 kilomètres, terminus du trajet (Long-Haï). Nous voici arrivés enfin au terme du voyage. Le site est enchanteur et aux dires des « anciens » qui nous reçoivent gentiment et ils l’avouent, avec plaisir, car pour certains c’est à leur tour d’entreprendre le grand voyage à l’inverse d’ici peu, le climat est bon et il ne fait pas trop chaud.

Les Européens, au nombre d’une vingtaine au camp, occupent plusieurs villas réparties à plusieurs endroits du camp. C’est dans celles-ci que nous sommes installés provisoirement. […]

Nous ne sommes qu’à 25 kilomètres du cap Saint-Jacques à vol d’oiseau et il nous a fallu 4 jours pour nous y rendre et faire 55 kilomètres. C’est un aspect de cette guerre d’Indochine et encore, nous n’avons pas eu d’accrochage, mais il arrive malheureusement que ces liaisons tombent dans des embuscades malgré le dispositif de protection.

Le climat est très sain [rajouter une note sur le climat], c’est un gros avantage, mais par contre, nous apprenons que le ravitaillement se fait environ une fois par semaine et de ce fait, le courrier n’arrive qu’avec beaucoup de retard. Un mess, installé comme pour les différents services dans une villa, est disposé dans le camp et sert en même temps de salle de réunion pour les Européens. […]

Vers dix-neuf heures, la jeep du capitaine rentre et je fais la connaissance du « pays ». Le Mdl-Chef Piccard, marié, trois enfants, originaire de Reims, auparavant à la 1ère légion de GR cantonnée à Drancy, dans la banlieue parisienne. Inutile de dire si nous reparlons du pays, d’autant plus que ça fait dix-sept mois qu’il a quitté la France. Il est employé comme secrétaire (munitions, armement et solde) au PC. Nous passons une bonne nuit due à l’air frais de la mer. Nous avons cependant du mal à nous endormir en raison du bruit de la mer (à 150 mètres de notre logement). […]

Samedi 7 octobre 1950

Après avoir bu le jus au mess, nous sommes présentés à huit heures au commandant du 7e groupe d’escadrons GVNS dont nous dépendons à présent (capitaine Pujol) qui nous interroge sur nos emplois précédents, nous donne un aperçu des travaux que nous aurons à faire et nous recommande la prudence en dehors du camp. Pour l’instant, nous devons rester une quinzaine de jours au camp pour nous habituer à la vie d’ici et nous serons répartis parmi les quatre compagnies du groupe (17e Baria - 18e cap Saint-Jacques - 19e Phuoc-Haï et 20e Nuoc-Ngot).

Le camp, étendu sur un hectare environ et dans la haie, passe d’un côté à 50 mètres de la plage et de l’autre, au pied de la montagne, est ombragé par de grands arbres. Nous apprenons qu’au mois de mai de cette année, une forte attaque a eu lieu contre le PC qui était plus étendu que maintenant et qui a permis aux VM d’incendier deux camions qui se trouvaient au garage. Il n’y a pas eu de victimes parmi nous, mais à la suite de cela, le camp a été rétréci pour en faciliter la défense.

Le dernier GR tué dans le coin est l’adjudant Tournbull (dont la photo est encadrée au mess) [rajouter une note, absent dans Duplan] qui a sauté sur une mine au cours d’une patrouille en zone VM dans la région de Long-My (village VM situé au pied de la montagne à 4 kilomètres de Phuoc-Haï). Ce sous-officier commandait la 19e compagnie GVNS et le sous-quartier de Phuoc-Haï et était cantonné au poste Sud de cette localité (au bord de la mer où nous avons aperçu une tombe). Il est inhumé au cimetière de Baria. […]

Lundi 9 octobre 1950

Toujours chômeurs, sauf Berguen qui travaille au bureau. L’après-midi, nous percevons chacun une mitraillette Sten et des cartouches. C’est l’armement individuel pour les sous-officiers européens. Nous allons les essayer sur la plage, mais pouvons constater que ce n’est pas du matériel neuf, bien au contraire : la mienne a l’air de marcher, mais les autres s’enrayent fréquemment. Cet armement, qui a servi vraisemblablement pendant la campagne 1940-1945, est en mauvais état. Il est difficile à entretenir dans de bonnes conditions dans un pays comme celui-ci et entre malheureusement pour une large ligne de compte dans les accrochages qui tournent à notre désavantage parfois et qui coûtent la vie à quelques-uns d’entre nous. Les munitions se détériorent très rapidement en raison de l’humidité très forte sur le littoral. Les chargeurs (au nombre de 8) ne sont pas fameux. […]

Mardi 10 octobre 1950

Le soir, tous les Européens sont invités par les gradés cambodgiens (un certain nombre de Cambodgiens sont enrôlés dans l’Armée vietnamienne par contrat de un ou deux ans, le Cambodge n’ayant pas encore d’Armée et la guérilla dans cet État étant pratiquement nulle (bandes Khmères-Issaraks moins bien organisées que les VM) à assister à un repas offert au mess des sous-officiers européen, en l’occasion de la Fête des eaux, une des plus grandes fête cambodgienne. Le menu est soigné, composé de plats français et il y a une bonne ambiance. […]

Mercredi 11 octobre 1950

Repos la journée. Nous nous familiarisons avec les autochtones qui, dans l’ensemble, nous laissent une bonne impression. Les Cambodgiens sont, paraît-il, plus francophiles que les Annamites, mais par contre, plus chauvins et se froissent plus facilement. S’ils sont plus sûrs au combat, ils se posent là pour faire les quatre cents coups, s’enivrer ou jouer aux cartes à l’argent (une des passions des Asiatiques). Ce jeu est interdit dans les postes, sauf en de rares occasions (fête du Têt : Nouvel An annamite) car ils jouent de fortes sommes et jusqu’à ce qu’ils n’en aient plus, ce qui pourrait les inciter à trahir pour de l’argent ou à vendre des munitions aux rebelles.

Ce soir, pour la première fois, je suis de service en Indochine. Celui-ci est peu dangereux, mais cependant fatigant lorsqu’on n’en a pas l’habitude. Il consiste à coucher au poste de police avec un autre Européen (GR Bondoux) et à assurer le quart de une heure trente à sept heures (Bondoux le prenant dans la première partie de la nuit). Nous avons à superviser le service des sentinelles, effectué par des VM. Nous faisons quatre ou cinq rondes pour nous assurer si les huit sentinelles, réparties sur le pourtour du camp, sont bien à leur place et si elles ne dorment pas (ce qui, paraît-il, leur arrive assez souvent, tout au moins pour certaines). Chaque sentinelle est armée d’un fusil (Mauser), nous de nos mitraillettes et nous avons en plus un FM (Bren). Les sentinelles qui ne sont pas de faction dorment au poste de police et un sous-officier autochtone s’occupe de la relève. En cas d’attaque, nous devons nous porter au point menacé avec le FM et résister en attendant que tout le personnel du camp prenne son emplacement de combat. La défense du camp est rendue difficile en raison de son étendue et par nuit noire, les VM ont la possibilité de s’approcher de la haie sans être vu. Il suffirait donc qu’une sentinelle dorme ou trahisse (comme le cas s’est déjà produit pour certains postes) pour que le camp soit investi. C’est la raison pour laquelle le capitaine préfère qu’il y ait toujours un Européen d’éveillé, c’est plus sûr et on dort plus tranquille. […]

Vendredi 13 octobre 1950

Petit à petit, le travail s’organise et aujourd’hui, je pars pour la première fois en ouverture de route avec un groupe de Vietnamiens (13 hommes armés de fusils et d’un FM). Pour la première fois, je marche en seconde position, étant précédé à deux cents mètres par un autre groupe sous les ordres d’un GR. Chaque homme marche à une distance de dix mètres de son prédécesseur, le FM un peu en retrait. Dès la sortie du camp, les voltigeurs du groupe de tête se déploient de chaque côté de la route, le FM en retrait, prêts à les protéger en cas d’attaque. Chacun regarde minutieusement devant lui et à ses pieds, si la route n’est pas coupée ou si il n’y a pas de mines de cachées sur la route (comme ça arrive de temps à autre), car c’est la nuit que les VM travaillent et tendent leurs embuscades. Ils ont un gros avantage sur nous, c’est qu’ils nous voient, alors que nous ignorons où ils sont. Comme les embuscades n’arrivent pas souvent, les VM qui font ce travail tous les jours à sept heures sur toutes les routes qui relient chaque poste finissent par retomber dans la routine et ne regardent plus si bien au cours des ouvertures. Si on ne les stimule pas sans cesse, ils ont vite fait de se laisser aller à une douce quiétude en criant bien haut qu’il n’y a pas de VM et il arrive un jour que ceux-ci, qui les observent, en profitent et leur tendent une embuscade maison qui se solde malheureusement parfois par de la casse. […]

Lundi 16 octobre 1950

Visite du commandant de groupement Baria-Cap qui vient en inspection et par la même occasion, passe dans notre piaule (commandant Devesbroot). Surveillance des travaux au camp dans la journée. RAS.

Mardi 17 octobre 1950

Aujourd’hui, journée très chargée, probablement en représailles pour l’engueulade que le capitaine a reçue de la part du commandant du GBC (groupement Barai-Cap) un peu à cause de nous (personne ne s’étant levé lorsque le commandant a pénétré dans notre piaule). À sept heures, ouverture de route sur Phuoc-Haï avec deux groupes. RAS.

À huit heures trente, nous nous rendons à deux groupes sur la route de Long-Haï où la route s’est affaissée à un certain endroit (à 800 mètres du poste Sud de Nuoc-Ngot) à la suite des pluies récentes. Nous voilà passés cantonniers. Décidément, nous ferons tous les métiers. Pendant qu’un groupe assure la protection, un autre coupe des branchages pour reboucher la coupure, assez importante. Le travail est terminé à midi trente. Retour vers une heure.

De quinze heures à dix-huit heures, je garde huit prisonniers venus de Phuoc-Haï avec un caporal-chef et deux soldats Annamites et occupés à débroussailler les abords de la route de Long-HaïÏ, entre le camp et le poste Sud de Nuoc-Ngot pour faciliter les ouvertures de route. À vingt heures, je pars en embuscade (ma première) avec Clément et sept soldats à 400 mètres du camp sur la route de Phuoc-Haï. Il fait un beau clair de lune et pas froid. Cela se passe bien, on ne voit rien et nous sommes rentrés à vingt-quatre heures.

Mercredi 18 octobre 1950

Pour me remettre de cette journée bien remplie, je n’ai rien à faire pour le lendemain, mais il faut toujours compter sur l’imprévu dans ce pays. En effet, je venais de me lever à sept heures trente, lorsque j’entends soudain une série de détonations et une vive fusillade en direction de Phuoc-Haï. Comme deux groupes viennent de partir en ouverture de route vers cette localité, on suppose que c’est eux qui sont tombés dans une embuscade. Pendant que le clairon sonne le rassemblement de tous les hommes non occupés, l’un de nous se précipite au téléphone pour appeler le poste Nord de Nuoc-Ngot, pendant que le radio fait des appels au poste Sud de Phuoc-Haï. Nous apprenons par ces derniers que c’est sur la route de Dat-Do, vraisemblablement, les groupes des postes Nord et Est de Phuoc-Haï qui sont tombés dans une embuscade. Les coups de feu s’espacent et on entend à présent les départs et éclatements des obus de mortiers, probablement tirés d’un des postes de Phuoc-Haï.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous sommes équipés et nous partons avec un groupe et demi, en camion, en direction de Phuoc-Haï (avec le Mdl-Chef Fèvre et le garde Clément). La fusillade, qui a duré environ cinq minutes, cesse pendant notre trajet. En cours de route, nous rencontrons les deux groupes de Nuoc-Ngot qui font l’ouverture de route et nous signalent que ce sont les groupes d’ouverture de route de Phuoc-Haï qui sont accrochés. Nous continuons notre chemin jusqu’au poste Sud de PH, où nous prenons l’adjudant Magnez, commandant du détachement GVNS de cette localité (19e escadron) et commandant du sous-quartier de PH. Il nous déclare avoir tiré à la mitrailleuse et au mortier, la veille, sur le village de Long-Phu (à la périphérie de la zone viet, à 1500 mètres du poste Sud). C’est probablement par représailles que ce coup a été monté par les VM.

Nous poursuivons notre chemin et un kilomètre plus loin, après avoir passé une petite crête et une tour de garde (tour TI), nous apercevons les groupes 200 mètres plus loin, (du poste Nord et Est de PH), 2 groupes placés en protection à la limite de la brousse, face à la montagne, pendant qu’un autre est occupé à enlever des mines. Nous les hélons et apprenons qu’il n’y a pas de casse de notre côté. C’est un endroit où il y a déjà eu plusieurs embuscades, aussi les soldats faisaient attention et ont réagi aussitôt. Toujours la même tactique des Viets qui profitent de la surprise et qui, si ils ratent leurs coups, se sauvent aussitôt. Comme à l’habitude, ils attaquent au moyen de mines télécommandées qu’ils ont fait exploser prématurément. Deux de celles-ci sont récupérées par nos groupes. Ce sont des mines antipersonnel amorcées au moyen d’une ficelle (en principe des fils de téléphone qu’ils récupèrent parfois sur nos lignes téléphoniques) dont un bout est accroché à la goupille de sûreté et l’autre tenu par les VM. Quand ceux-ci voient arriver le groupe au-dessus de la mine, ils tirent sur la ficelle, ce qui amorce la mine et provoque l’explosion. Par bonheur, ces mines sont construites par eux-mêmes et n’ont pas le pouvoir meurtrier des nôtres. Comme ce n’est pas grave et que les VM se sont enfuis, nous repartons aussitôt, déposons l’adjudant Magnez au poste Sud et regagnons Nuoc-Ngot.

Repos le reste de la journée. […]

Samedi 21 octobre 1950

À sept heures, ouverture de route sur Phuoc-Haï, toujours dans les mêmes conditions et avec les mêmes effectifs. RAS

À huit heures trente, surveillance de cinq prisonniers occupés à débroussailler les abords de la route de Long-Haï, entre le poste Sud Nuoc-Ngot et le camp. Vers dix heures, un tilbury (petite voiture faisant les marchés et traînée par un poney) transportant sept personnes, passe sur cette route en direction de LH. Environ une demi-heure après, elle repasse avec trois personnes et l’une d’elles nous signale que des arbres sont couchés en travers de la route, à deux kilomètres d’ici, empêchant le passage. Je lui fais préciser si c’est des arbres cassés par le grand vent de la nuit ou coupés par les Viets. C’est, paraît-il, des arbres coupés à dessein pour barrer la route. Il y a donc vraisemblablement une embuscade de tendue.

Comme je suis à 150 mètres du poste Sud de Nuoc-Ngot et qu’une jeep du camp s’y trouve actuellement, je vais les prévenir. La jeep retourne immédiatement au camp pour alerter le capitaine. À mon retour, vers onze heures trente, j’apprends effectivement que cette route est barrée par une vingtaine d’arbres. Comme un bataillon VM est signalé dans le coin par les services de renseignements du GBC, ce n’est pas étonnant.

J’apprends également qu’un VM a rallié le poste Nord de Phuoc-Haï et qu’il se trouve actuellement à Nuoc-Ngot, subissant en ce moment un interrogatoire. Il déclare qu’un bataillon de VM est en route pour aller en repos dans la région de Long-My, à huit kilomètres d’ici et dans la montagne, venant de la région du cap Saint-Jacques. À l’entendre, ils seraient assez bien armés. Pour sa part, il aurait tué un chef de section à la suite d’une dispute, c’est la raison pour laquelle il aurait déserté. Inutile de dire que ce dernier est mis aux arrêts, car il faut toujours se méfier et craindre le double jeu. Nous aurons raison, car nous apprendrons plus tard par les services de renseignements du GBC, où il a été transféré (comme tous les VM que nous capturons), qu’il nous avait menti et qu’il s’est suicidé par la suite en prison. […]

Lundi 23 octobre 1950

Surveillance des travaux dans la journée. Ceux-ci ne s’avancent pas vite en raison de l’effectif assez réduit qui se trouve au camp, une certaine partie du personnel étant employée aux différents services administratifs du PC. Pendant le repas du soir, nous sommes alertés par trois coups de feu provenant de la direction de Phuoc-Haï. Comme à chaque fois, nous demandons ce qui se passe au téléphone, au poste Nord de Nuoc-Ngot. Ce n’est pas grave, simplement un moyen de nous alerter quand leur téléphone est occupé ou qu’il n’y a personne à l’écoute chez nous. […]

Mardi 24 octobre 1950 (1 mois)

Déjà un mois de passé en Indochine, vraiment ce premier mois ne nous a pas paru long. Si ça se passe toujours comme cela, ça ira. La santé tient le coup et je supporte allègrement le climat qui n’est d’ailleurs pas rigoureux. Le travail, s’il comporte quelques risques, n’est pas déplaisant, toujours moins fatigant qu’en gendarmerie (où on ne cessait d’être de corvée ou de service). Ici, c’est les autochtones qui le font. Quant à la main-d’œuvre pour faire le lavage du linge ou le nettoyage de la piaule, on en trouve facilement pour quelques piastres. L’inconvénient, c’est le manque de nouvelles qui ne nous parviennent qu’au cours des liaisons en ville par le courrier que nous recevons. Quant à la marchandise qu’on ne trouve pas au marché de Nuoc-Ngot, nous la faisons ramener par les copains qui descendent en ville avec le convoi. […]

[Le 26 octobre, une opération à lieu dans la région de Co-My, tenue par le Vietminh].

Vendredi 27 octobre 1950

Dans la nuit du 26 au 27, service de quart au poste de police (2e tour). Repos le matin. L’après-midi, service de quart de jour. Ce matin, le boy, en faisant la chambre du Mdl-chef Fèvre, voisine de la nôtre, découvre un serpent sur la table de nuit. Nous faisons une chasse à courre et finissons par le tuer. Cependant, ça nous refroidit et inutile de dire que nous scrutons la literie et bordons soigneusement notre moustiquaire lorsque nous nous couchons. Ces reptiles recherchent un abri pendant la saison des pluies et pénètrent partout.

Samedi 28 octobre 1950

Ouverture des routes de Phuoc-Haï et Long-Haï, le matin, par la pluie battante. Heureusement qu’elle n’est pas froide. Nous terminons à onze heures, assez fatigués par ces onze kilomètres de marche sous la flotte. Repos la journée. Il continue de pleuvoir abondamment toute la nuit. Tant mieux, les puits vont se remplir et la saison sèche approche.

Dimanche 29 octobre 1950

Il pleut, il pleut à torrent pendant presque toute la journée, à tel point que l’eau ne s’infiltre plus dans le sable et inonde une partie du camp (1 mètre d’eau par endroits). Cela forme un véritable fleuve qui s’écoule dans la mer, rendant celle-ci toute jaune sur le rivage. Comme nous n’avons rien à faire, ça ne nous dérange pas et nous n’avons qu’à regarder tomber ou à faire d’interminables parties de cartes pour passer le temps. […]

Mardi 31 octobre 1950

Cela ne devait pas être du bluff quand même, puisque vers sept heures trente, nous entendons soudain une vive fusillade et des détonations. Nous apprenons par le poste Nord que c’est les groupes de chez nous qui sont tombés dans une embuscade à 300 mètres de leur poste en direction de Phuoc-Haï. Comme à l’habitude, le personnel disponible au camp est rassemblé au clairon et nous partons immédiatement en renfort en camion avec un groupe et demi. Lorsque nous arrivons sur les lieux, la fusillade vient juste de s’arrêter et nous apercevons des soldats du poste Nord servant un FM braqué en direction de la brousse, de dessus la terrasse. Des soldats de l’ouverture de route fouillent le terrain et la brousse et découvrent de nombreuses douilles vides de FM (Bren) attestant que les VM en étaient dotés, ce qui laisse supposer qu’ils étaient assez nombreux (vraisemblablement une section), dissimulés en lisière de la brousse. Nous retrouvons les emplacements qu’ils avaient faits au cours de la nuit et récupérons un chapeau avec la cocarde VM (étoile rouge sur fond jaune), un béret et un mouchoir.

Contrairement à d’habitude, ils n’avaient pas de mines et ont attaqué le groupe de tête, à trente mètres au FM et fusils, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas de fins tireurs pour ne pas avoir réussi à toucher seulement l’un des nôtres, alors que ces derniers étaient en terrain découvert. Le premier groupe s’est couché aussitôt et a répondu avec ses armes pendant que le second groupe débordait par la plage, traversait la route et donnait l’assaut vers la brousse. C’est probablement ce qui a déterminé l’issue du combat, car les VM n’ont pas insisté et se sont repliés précipitamment en direction de la montagne, salués par des rafales de FM tirées de la terrasse du poste Nord et par des obus de mortier de 60mm, tirés du camp de Nuoc-Ngot. Ces petits accrochages, lorsque ça se passe bien comme aujourd’hui, ne font pas de mal, car ça rappelle à la prudence et on peut être sûr que le lendemain, les autochtones ne regarderont pas en l’air pour faire l’ouverture. Dans l’ensemble, ils se sont bien comportés et Deflamme (qui commandait le 1er groupe) et Lorette (qui commandait le second) ne s’en plaignent pas.

Ce matin, sulfatage au DDT avec un appareil prêté par l’infirmerie dans nos piaules. Ce n’est pas du luxe, car elles commençaient à attaquer (pas les rebelles, mais les punaises). Cela se soldait par des nuits d’insomnie de plus en plus nombreuses. Cette fois, nous avons l’armement moderne en perspective et nous sommes sûrs de faire des victimes. L’adjudant-chef Rousseau (adjoint au commandant du 7e groupe) tue ce matin au fusil de chasse un serpent d’un mètre cinquante qui était perché dans un arbre. Décidément, ce gibier commence à fréquenter assidûment le quartier. […]

Jeudi 2 novembre 1950

Repos toute la journée. Le capitaine est pourtant rentré, mais le Mdl/Chef Fèvre (commandant de la 20e compagnie qui s’occupe du service général au camp) est absent et c’est l’adjudant-chef Rousseau qui le remplace et qui n’y entend rien.

Vers quatorze heures, le camion du service cinématographique des Forces Françaises du Vietnam Sud vient nous rendre visite. Les opérateurs sont tout à fait charmants : deux AFAT du service social de l’Armée qui ne font que cela et un sous-officier qui pilote la caravane et est responsable du matériel (un groupe électrogène, l’appareil et le camion).

Ils font presque tous les postes de Cochinchine et du Sud-Annam et nous déclarent que c’est un des sites les plus charmants qu’ils rencontrent ici. Bien entendu, en attendant le soir, elles vont se rôtir et se baigner sur la plage. Pour nous, nous en sommes un peu saturés, mais pour des étrangers, c’est différent, ils n’ont pas souvent l’occasion de se baigner dans la Mer de Chine.

Le soir, une représentation nous est donnée en plein air au centre du camp. Ce n’est pas souvent que nous entendons de la musique et ça égaye un peu. Ils nous passent un film de cow-boy (il fallait s’y attendre) et un documentaire. Je ne me serais certainement pas déplacé en France pour aller voir un film pareil, mais ici c’est différent, ça passe le temps. Et puis un film dynamique est très apprécié par les autochtones qui n’y comprennent rien, mais qui sont venus nombreux y assister avec leur famille. Bien entendu, le service de garde a été renforcé, car il faut toujours se méfier. […]

Jeudi 9 novembre 1950

Aujourd’hui, anniversaire de mes 24 ans. Pour cette journée mémorable, elle sera bien marquée puisque pour la première fois, j’aurais un accrochage et mon baptême du feu.

Le matin, je fais l’ouverture de route de Phoc-Haï. Rentré à huit heures trente, à neuf heures je repars en escorte en camion avec un groupe qui va rechercher un camion en panne à Dat-Do (voilà que je me lance dans les voyages). Le capitaine nous précède avec sa jeep et ce n’est pas une sinécure de le suivre ; il roule à vive allure sur une route en mauvais état et veut que nous gardions nos distances et que nous ne laissions pas distancer, ce qui n’est pas facile. Le voyage se passe bien et nous sommes rentrés pour midi.

L’après-midi, ouverture de la route de Long-Haï avec deux groupes. Le PC est prévenu par radio (du poste Sud de Long-Haï) que deux obus de mortier seront lancés sur le lieu-dit « l’Or Bleu » où nous nous rencontrons habituellement des coups de feu ayant été entendus le matin, provenant de cette direction.

Un camion nous mène jusqu’au poste Sud de Nuoc-Ngot et nous continuons à pied sur cette route encaissée, sinuant dans la brousse épaisse. Clément me précède de deux cents mètres avec le premier groupe. Arrivés à mi-chemin de notre destination, nous entendons l’éclatement des deux obus de mortier tirés à 1500 mètres de nous par le poste de Long-Haï. Les groupes sont très déployés, mais ne peuvent s’infiltrer sur les bas-côtés de la route en raison de la brousse épaisse. La température est lourde et on entend que le bruit des pas sur les bas-côtés de la route. Chacun redouble de prudence et scrute attentivement la brousse, car le coin se prête admirablement pour tendre des embuscades.

Alors que le premier groupe se perd à ma vue dans un tournant de la route, une vive fusillade éclate à l’avant sur notre droite. Instinctivement, ces détonations qui retentissent et dont on ne voit pas les départs nous font se camoufler en un rien de temps sur les bas-côtés et dans les fossés. Le FM du groupe de tête crache par rafales et j’entends des rafales de mitraillette. Mon groupe commence à tirailler en direction de la brousse à droite de la route, mais ne progresse plus. Je transpire à grosses gouttes et fait tirer une rafale de FM et plusieurs VB (Mauser) dont nous sommes dotés aujourd’hui pour la première fois. Puis, voyant que les coups de feu s’espacent (ça a duré à peu près trois minutes), je commence à regrouper mon monde en m’informant si il n’y a pas eu de touchés et nous reprenons notre chemin prudemment. La route tourne en descendant et passe sur un petit pont pour remonter aussitôt. C’est en abordant ce pont que les éléments de tête du 1er groupe ont été harcelés au fusil et à la mitraillette par des VM cachés à 50 mètres de la route en bordure de la brousse (la brousse étant coupée sur 50 mètres de chaque côté à partir du petit ruisseau). Clément a fait traverser le pont à son groupe en courant et en ripostant. Ils n’ont pas de casse chez eux. Les VM ne devaient pas être nombreux, peut-être une dizaine. Clément me dit qu’il se demandait ce que je devenais, ne me voyant pas arriver et m’entendant tirer. J’avais eu le tort de stopper au lieu de foncer au secours du premier groupe. Mais aussi, ce combat en brousse est effrayant pour la première fois et on se demande d’où proviennent les coups de feu, ne voyant pas les départs. Quelques instants plus tard, un camion de Nuoc-Ngot amène un groupe en renfort que je vois arriver, je l’avoue, avec plaisir.

Nous continuons notre chemin et je place mon groupe en contre-embuscade comme à l’habitude à 300 mètres en arrière du premier qui lui, fait liaison avec le groupe de Long-Haï. Inutile de dire si je fais attention, ainsi que les autochtones pour qui ce n’était pas la première fois qu’ils tombaient dans une embuscade. Si on veut se baser sur l’armement dont nous sommes dotés, il y a de quoi être un peu craintif car pour ma part, j’ai eu au moins cinq incidents de tir sur deux chargeurs de mitraillette, seuls cinq VB ont éclaté sur huit que j’ai fait tirer et la mitraillette Sten de Clément s’est enrayée après avoir vidé un demi-chargeur avec une balle de restée dans le canon. Quand on voit cet armement, on est tout de suite édifié. C’est la première fois que je suis à la bagarre, mais ce n’est certainement pas la dernière. J’aurais cependant préféré que ça se passe dans un endroit moins broussailleux, car ça fait une drôle d’impression. […]

Vendredi 10 novembre 1950

Je surveille le travail de trente coolies de Phuoc-Haï occupés à débroussailler les côtés de la route de Phuoc-Haï, entre le camp et le poste Nord de Nuoc-Ngot. Un caporal-chef Vietnamien et cinq soldats me sont adjoints pour surveiller les travaux. C’est une main-d’œuvre à bon marché puisqu’ils travaillent pour la nourriture et des cigarettes (ils sont mieux payés qu’à Phuoc-Haï, puisque là-bas, ils se nourrissent eux-mêmes). Pour ce prix-là, ils ne travaillent pas mal, toutefois à condition de leur fixer un travail défini, avec promesse de repos dès qu’ils ont fini.

Je visite le poste Nord qui est bâti sur une butte avec des pierres tombales en latérite. C’est un véritable fortin, mais c’est petit pour les deux groupes de Vietnamiens qui y logent avec leurs familles et pour les trois Européens (GR) qui vivent tous dans la même salle. C’est un aspect de cette vie en poste qui permet de connaître vraiment les mœurs des autochtones. […]

Lundi 13 novembre 1950

Ouverture de route de Phuoc-Haï le matin à sept heures pour se mettre en route. R.A.S.

Nuoc-Ngot étant un PC de quartier, les prisonniers VM capturés dans le quartier sont internés au camp. La semaine dernière, c’était un homme et une femme (faisant partie des brigades féminines et trouvée porteuse d’un pistolet automatique par les Cao-Daïstes de Long-Haï). En ce moment, c’est un jeune Annamite de 19 ans trouvé porteur de grenades par les Cao-Daïstes de Cho-Bo-Dap (limite du quartier de Nuoc-Ngot).

Ces prisonniers sont interrogés rapidement au quartier, puis transférés au service de renseignements du GBC à Baria. En principe, ce sont des fanatiques qui ne dévoilent pas leur organisation, aussi il est difficile de leur tirer des renseignements sur leur activité dans la région. Ces arrestations ont lieu principalement aux abords des villages, c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons manifester beaucoup d’activité au camp, étant en pleine nature. Pour avoir des résultats, il faut avoir des agents de renseignements et il n’y a que dans les localités qu’on peut en trouver. Les VM viennent se ravitailler la nuit dans les localités et tombent parfois dans nos embuscades, c’est de cette manière que nous arrivons à en capturer. La compagnie de Phuoc-Haï fait du bon travail, car elle est bien placée, tous les villages environnant cette localité sont en zone VM et les rebelles viennent se ravitailler au marché en poissons. […]

Mardi 21 novembre 1950

Ouverture de route sur Phuoc-Haï le matin et le soir, embuscade de nuit à 400 mètres en direction de la montagne et de Phuoc-Haï. R.A.S.

Jeudi 23 novembre 1950

Le capitaine Pujol étant rapatriable dans une quinzaine de jours (pour fin de séjour), il se rend l’après-midi à Dat-Do pour aller au-devant de son remplaçant à la tête du 7e groupe d’escadrons GVNS et du quartier de Nuoc-Ngot. Ils rentrent à la nuit après avoir visité les trois postes de Phuoc-Haï. C’est le capitaine Mazéas, Breton d’origine, commandant en France un escadron de Garde républicaine à Courbevoie (1ère Légion GR) et qui est débarqué voilà une quinzaine de jours. Il ne sera cependant pas trop dépaysé puisqu’il était dans la coloniale avant d’entrer dans la Garde républicaine et que sur les 16 ans de service aux colonies, il compte 8 ans de Tonkin (de 1938 à 1946). Étant à ce moment à Lang-Son, à la frontière du Tonkin, il a pu passer en Chine et éviter d’être pris par les Japonais. Je passe la nuit au poste de police, étant du 1er quart.

Vendredi 24 novembre 1950 (deux mois)

Déjà deux mois de passés sans accrocs. Santé et moral sont excellents, le travail est assez varié et nous n’avons pas le temps de nous ennuyer. Le climat très pluvieux en cette saison n’est pas terrible et facilement supportable. Le coin dans l’ensemble est assez calme, à part quelques petits accrochages qui n’ont pas eu de mauvaises suites, heureusement. Le camp est en pleine effervescence : les autochtones ont édifié un petit pagodon dédié « au génie de la GVNS » et le soir, nous entendons le tam-tam qui annonce l’inauguration pour le lendemain. Ce matin, un bonze (prêtre bouddhiste) est arrivé et a eu les cheveux rasés pour que l’esprit descende en lui (c’est la coutume bouddhiste qui veut cela). Toujours est-il que l’intérieur du pagodon a été richement décoré par les soldats qui ont peint des figurines et des dragons et sont adroits en peinture.

Le temps est au beau et le soir, nous admirons le magnifique clair de lune sur la mer étale.

Vers vingt et une heure, nous allons assister au spectacle offert à proximité de la nouvelle pagode par les autochtones. Ceux-ci s’affublent de masques de dragons grimaçants et miment le génie de la pagode, tentant de pénétrer en ce lieu. Des enfants également grimés, dansent ou marchent avec des échasses. Durant toute la cérémonie et jusqu’à l’aube, des fidèles se relayent au tam-tam pendant que d’autres vont offrir des présents en nature (porc laqué, poulets au sucre, fruits du pays (bananes, pamplemousses, papayes, etc.) et vont se prosterner devant l’autel à l’intérieur de la pagode. Le bonze est agenouillé devant l’autel et récite des prières à haute voix en frappant sur un tam-tam et en faisant brûler des bâtonnets d’encens et de santal.

Le capitaine, pour corser la fête, fait lancer des fusées blanches et rouges.

Samedi 25 novembre 1950

Ouverture de la route de Phuoc-Haï, puis aussitôt rentrés, celle de Long-Haï pour attendre le passage de Cao-Daïstes invités à la cérémonie. Un banquet est donné par les autochtones et le commandant du GBC de Baria, les officiers du 22e RIC qui se trouvent dans le secteur et le capitaine toubib y sont invités et arrivent vers midi. Une procession a lieu par les quelques civils qui apportent des présents au génie, suivis du dragon grimaçant, comprenant une énorme tête en papier peint allongée d’une sorte de traîne, sous laquelle deux gamins se sont placés et agitent le masque.

Pour la circonstance, le menu est soigné et il n’est pas question des conserves journalières, nous avons trouvé une vache à acheter. L’après-midi, après que les officiels sont repartis, je vais chercher en camion l’équipe de volley-ball du poste sud à Phuoc-Haï et nous assistons au match qui oppose cette équipe avec celle de Nuoc-Ngot et qui est arbitré par notre futur commandant de groupe (capitaine Mazéas). La fête se termine le soir par un banquet au cours duquel les présents offerts au génie sont mangés (il n’y a rien de perdu). Pendant ce temps, les soldats du poste Nord de Nuoc-Ngot lancent des sortes de ballonnets que nous voyons s’élever et se perdre de l’autre côté de la montagne. Ce sont des montgolfières qui s’élèvent grâce à la chaleur dégagée par une étoupe imbibée d’huile de coco enflammée. La fête se termine tard dans la nuit ; certains des autochtones sont bien gais, car ils ont abusé de leur boisson favorite (le choum fait avec de l’alcool de riz), mais une fois n’est pas coutume et le service de sentinelles est contrôlé fréquemment, car il ne faut pas s’endormir pour cela, les VM pourraient en profiter. […]

Mardi 28 novembre 1950

[Le garde gallot se rend à Co-May récupérer l’approvisionnement du camp].

Samedi 2 décembre 1950

Repos la journée. Départ du capitaine Pujol dans l’après-midi. Beaucoup parmi les anciens ne regrettent pas son départ, car il n’avait pas su se faire apprécier. D’ailleurs, les ¾ des Européens ne vont pas lui dire au revoir lorsqu’il part, ce qui paraît-il, l’a vexé profondément. Il avait d’ailleurs été muté disciplinairement du 5e groupe d’escadrons GVNS de Thu-Dau-Mot où il était auparavant. Il était à la tête du 7e groupe d’escadrons GVNS depuis cinq mois environ.

Des renforts VM nous sont signalés dans la région par le service de renseignements du GBC. Nous redoublons de prudence et le capitaine Mazéas, nouveau commandant de groupe d’escadrons, envoie Collet (arrivé en même temps que moi), un caporal et six soldats autochtones en renfort au poste Est de Phuoc-Haï. Ce poste est le plus proche de la zone VM de Phuoc-Buu, à 200 mètres de Phuoc-Haï, au-delà du poste Nord (à 400 mètres). Il est doté d’un canon de 57 mm qui lui sert pour tirer sur les barques de pêche qui s’aventurent en zone interdite à 1500 mètres du poste. En ce moment, le garde Gandrez est malade, aussi ils ne sont plus que deux Européens (garde Louvrier, chef de poste et Bondoux) et deux groupes de Vietnamiens.

Je suis de service de quart au poste de police (1er quart) pendant la nuit. R.A.S. […]

Jeudi 7 décembre 1950

Il pleut à torrent toute la journée. Interminables parties de cartes pour passer le temps et courrier, qui parfois attend trois ou quatre jours avant de partir car il n’y a pas de liaison en ville tous les jours.

Vendredi 8 décembre 1950

Repos toute la journée. Aujourd’hui, convoi au cap Saint-Jacques (c’est toujours un événement) pour ramener la solde. En même temps, il ramène le courrier et des nouvelles officielles intéressant particulièrement certains des anciens, puisqu’il leur annonce la date de leur rapatriement. Inutile de dire s’il y a de la joie au soir. 2e quart au poste de police (1h30 à 7h00). R.A.S. […]

Mardi 12 décembre 1950

Surveillance du camp le matin. Repos le reste de la journée. Le capitaine qui est allé en liaison à Baria ce matin rapporte un phonographe, ce qui nous permet de faire de la musique, surtout que nous avons de nombreux disques fournis par le Service social de l’Armée. La musique égaie un peu le quartier.

Mercredi 13 décembre 1950

Ce matin, convoi pour le cap Saint-Jacques et Baria pour aller chercher 51 autochtones et leurs familles et les ramener au camp. En même temps, le camion de Baria (GVNS) assure la relève du poste GVNS de Long-Haï, ce qui fait du remue-ménage dans le camp. Cet appoint est accepté avec plaisir, car l’effectif du groupe d’escadrons était réduit à l’extrême, à la suite de fins de contrat non renouvelés (les soldats sont tous des engagés et comme certains sont depuis trois ou quatre ans en poste, alors que d’autres sont depuis le même temps en ville, ça en décourage beaucoup). Les soldats du camp étaient obligés de prendre la garde toutes les deux nuits, sans oublier les ouvertures de route qui se faisaient en dernier avec un seul groupe. Il est à prévoir qu’avec cet appoint d’effectif, nous allons faire de petites opérations dans le voisinage, ce qui nous dérouillera un peu.

Tout le monde se case tant bien que mal dans les bâtiments du camp.

Jeudi 14 décembre 1950

Le matin, repos. J’en profite avec Espeluze, qui est un chasseur enragé, pour aller faire un petit tour à la chasse entre le poste Nord Nuoc-Ngot et le camp, au pied de la montagne, car on voit de plus en plus de biches et sangliers. Nous voyons des traces toutes fraîches de sangliers et de biches, tirons sur des singes que nous ratons et finalement ne ramenons… qu’une tortue. Nous hésitons à la manger, mais les autochtones l’acceptent volontiers, car préparée au curry, il paraît que ce n’est pas mauvais. Il est vrai qu’ils ne sont pas difficiles et qu’ils mangent un peu de tout (serpents, rats, chiens, etc.). […]

Vendredi 15 décembre 1950

Le matin, je pars en camion jusqu’à Phuoc-Haï Sud pour conduire à nouveau des coolies à Cho-Bo-Dap. Au retour, je prends au passage au poste Nord de Nuoc-Ngot et les ramène au camp. Je continue mon travail de déménageur, prends des gardes pour le poste Sud de Nuoc-Ngot et en ramène en échange. J’en emmène ensuite au poste Nord de Nuoc-Ngot. Ces relèves sont rendues obligatoires, car la vie dans ces différents postes se fait en commun. Les familles sont très resserrées et le calme ne règne pas toujours entre elles. De plus, en assurant la relève très souvent, on risque moins d’être surpris par une trahison intérieure.

L’après-midi, surveillance du camp. Le convoi de Nuoc-Ngot, parti ce matin au cap Saint-Jacques, a échappé de peu à une embuscade. Une mine a éclaté à six mètres de la jeep du commandant du GBC entre le CAP et Baria, alors que la jeep et le camion de Nuoc-Ngot venaient de passer quelques instants avant. […]

Lundi 18 décembre 1950

Le matin, surveillance des travaux au camp. À onze heures trente, les deux camions du camp transportent une section du camp (munie d’un mortier de 60mm) avec les gardes Quériault, Espeluze et Clément, le tout placé sous le commandement de l’adjudant-chef Rousseau au poste Sud de Phuoc-Haï. Pendant ce temps, quatre groupes GVNS de Phuoc-Haï (des trois postes) et une section de Cao-Daïstes de Cho-Bo-Dap partent du poste Est de Phuoc-Haï en direction de la zone VM en longeant la mer par les dunes, suivent celle-ci pendant 2 kilomètres 500 et se rabattent vers les terres, parallèlement à la route Phuoc-Haï – Cho-Bo-Dap en fouillant les villages en zone viet de Xom-Ray et Hoï-My. En même temps, la section de Nuoc-Ngot part du poste Sud de Phuoc-Haï jusqu’au poste Cao-Daïste de Cho-Bo-Dap et se place en bouchon à 500 mètres de celui-ci. Une section de la 7e compagnie du 2/22 RIC de Dat-Do bouche le secteur de l’opération à l’Ouest du village d’Hoï-My, à 1500 mètres de la route.

À treize heures, un grand drapeau VM est hissé au sommet de la montagne qui domine la région de Long-My (zone VM), vraisemblablement pour nous narguer. Le soir, au retour de l’opération, nous apprendrons que celle-ci aura eu d’heureux résultats puisque, en fouillant le village VM de Xom-Ray, la section GVNS de Phuoc-Haï qui se rabattait vers le bouchon constitué par la section de Nuoc-Ngot, a tué deux VM. C’est le garde Nicolas, du poste Sud de Phuoc-Haï qui n’a pas froid aux yeux et connaît particulièrement bien la région pour y avoir fait de nombreuses patrouilles depuis un an qu’il est à Phuoc-Haï qui, voyant s’enfuir deux Annamites lorsqu’ils fouillaient les paillotes, en a abattu un (son huitième depuis un an) et l’éclaireur de pointe de son groupe qui se trouvait à ses côtés, l’autre. En les fouillant, ils les trouvent porteurs de permissions VM et de divers papiers intéressants. L’un d’eux est chef de section chez les VM et l’autre 1ère classe. L’opération se termine à dix-sept heures. Inutile de dire s’il y a de la joie.

Cela faisait un certain temps qu’il n’y avait pas eu de coups de réussis dans ces conditions. Aucun accrochage de la part des rebelles et très peu de coups de feu de tirés de notre part. C’est un bon point pour le capitaine qui a l’air plus décidé de sortir que son prédécesseur.

Signalons que la veille, au cours de la nuit, les VM ont attaqué la tour T2 au FM et VB. Cette opération devait avoir lieu deux jours plus tôt, aussi les Viets qui devaient le savoir ne se méfiaient plus. Cependant, la plupart ont dû réussir à s’échapper. Nous apprenons également que pendant l’attaque de la tour T2 (entre Phuoc-Haï et Cho-Bo-Dap), un kilomètre de fil téléphonique a été pris par les VM (probablement pour piéger des mines un de ces jours) entre T2 et Cho-Bo-Dap.

Mardi 19 décembre 1950

Comme il fallait s’y attendre, les rebelles ont réagi contre l’échec d’hier. Ils ont lancé des tracts dans les rues de Phuoc-Haï et interdit l’accès du marché à la population. Pendant ce temps, ils harcelaient le poste Nord de Phuoc-Haï au FM et VB. Ce matin, le marché de Phuoc-Haï est inoccupé. […]

Le drapeau VM flotte toujours au sommet de la montagne et on l’aperçoit distinctement. Peut-être a-t-il été placé pour fêter l’anniversaire du coup d’État du Tonkin par Ho-Chi-Minh, car c’est aujourd’hui.

Jeudi 21 décembre 1950

[Le garde gallot se rend au cap Saint-Jacques durant la journée].

[…] J’apprends que des partisans (supplétifs enrôlés comme policiers pour garder les tours entre chaque poste, mais qui ne sont pas considérés comme militaires) sont arrivés ce matin en renfort [faire une note sur les partisans]. Cela va nous permettre de retirer les GVNS qui occupaient les tours jusqu’à présent. Ils sont affectés au quartier de Nuoc-Ngot (S/Q Nuoc-Ngot, S/Q Phuoc-Haï, S/Q Long-Haï et S/Q Cho-Bo-Dap) pour occuper les tours du quartier. Auparavant, nous aurons à les instruire, car la plupart n’ont jamais tenu de fusils et ont peur de toucher une grenade, même si elle n’est pas dégoupillée. La plupart sont des Cambodgiens qui sont plus fidèles que les Annamites.

Un coup de téléphone provenant de la tour Ly nous signale à neuf heures qu’un sanglier vient d’être tué à l’affût par un de ses occupants (du poste Nord de Nuoc-Ngot). Enfin, depuis le temps qu’on essaie d’en tuer. Une jeep du camp va le rechercher par un beau clair de lune. C’est une belle pièce (100 kg environ) tuée par un caporal vietnamien. La saison sèche arrive, la plupart des mares, dans la brousse, sont asséchées, aussi le gibier vient s’abreuver à proximité des postes et celui qui a la patience de se mettre à l’affût risque d’avoir des résultats.

Vendredi 22 décembre 1950

Ce matin, ouverture de route de Phuoc-Haï. R.A.S. Le camp se transforme en caserne comme en France : les partisans font leurs classes dans le camp sous les ordres des gradés vietnamiens et d’un garde européen.

À présent, les soirées semblent moins longues. Non seulement nous avons une phono et des disques, mais nous avons également un poste de TSF qui fonctionne sur accus avec un haut-parleur portatif et un tourne-disque. En plus de cela, le capitaine a réussi à nous faire affecter des lampes à gaz d’essence qui éclairent presque autant que l’électricité. Ainsi, depuis un mois que nous avons un nouveau commandant d’unité, on voit le changement et personne ne s’en plaint. Des phonographes sont également affectés dans les postes de Nuoc-Ngot (Nord et Sud) et de Phuoc-Haï. Il y en a un d’affecté aussi au mess des autochtones. Ces appareils et les disques sont prêtés par le service social du GBC. […]

Dimanche 24 décembre 1950

Trois mois d’Indochine. Il semble que le débarquement à Saïgon sous la pluie avait lieu hier.

Le matin, transport de Cao-Daïstes de Cho-Bo-Dap en jeep et camion de Phuoc-Haï à Long-Haï. L’après-midi, je vais reconduire le garde Bauchet à son poste à Long-Haï. Ce soir, réveillon de Noël (1er en Indochine et le cinquième qui n’est pas fait en famille). Nous n’avons pas de messe de minuit, l’aumônier n’ayant pu venir.

Nous commençons le réveillon à vingt et une heure par un gueuleton très soigné pour la circonstance. Nous sommes tous les Européens du camp réunis au mess (21 y compris le capitaine). Nous mangeons au son des disques du poste radio. Le repas est coupé de chants, chacun pousse la sienne, jusqu’au capitaine. Le repas terminé tard dans la nuit, nous restons jusqu’à sept heures du matin. Au moment de quitter la table, nous pensons que là-bas, en France, avec les sept heures de différence, les familles partent à la messe de minuit.

Eh bien, pour ce Noël passé loin de chez nous, si cette fête ne s’est pas faite dans les traditions, faute de moyens, il y a eu une belle ambiance et les dix heures passées à table ne nous ont pas semblées longues. Un nombre respectable de bouteilles de champagne fait les frais de la fête (cadeau de l’opération champagne). Il va sans dire que pendant tout ce temps, on se relayait à la chambrée pour garder le bâtiment qui contient armement, munitions et poste radio.

Lundi 25 décembre 1950

En quittant de table, je vais faire l’ouverture de la route de Phuoc-Haï avec deux groupes, les yeux quelque peu clignotants. Dès que je suis rentré, je me mets au lit jusqu’à midi, je vais casser la croûte et aussitôt… au lit. Je me réveille vers dix-sept heures et vais assister à la fête enfantine qui a lieu dans le camp en l’honneur de Noël, avec différents jeux et distributions de friandises aux enfants des Vietnamiens par les Européens.

Cet après-midi, le directeur de la Sûreté du cap Saint-Jacques, un des caïds de ce service qui opère depuis quelque temps dans ce secteur de Nuoc-Ngot et surtout Phuoc-Haï, vient se fixer avec plusieurs de ses subordonnés dans une villa à 100 mètres du camp. Il est un peu poussé par les événements : sa tête est mise à prix par les VM. Il paraît qu’il est déjà quatre fois condamné à mort par les VM. Comme toujours, le pognon joue pour beaucoup là-dedans. Après avoir arrêté la plupart des rebelles de petite et moyenne fortune dans la région du cap et de Baria, il ne peut s’attaquer à certains qui sont haut placés et inaccessibles. Il est donc obligé de venir travailler dans ce secteur particulièrement riche en Vietnamiens.

Mardi 26 décembre 1950

Repos le matin ; la présence de la Sûreté se fait déjà sentir et l’après-midi, je pars avec un camion et trois gardes prendre un groupe de Phuoc-Haï Sud avec le garde Nicolas, pour une mission inconnue. Arrivé à Phuoc-Haï (Sud), j’apprends qu’il me faut conduire ce groupe à Cô-Tre, (village placé sous la protection d’un poste tenu par des éléments de la coloniale de Dat-Do, entre cette localité et Cho-Bo-Dap). J’apprends que c’est pour aider le personnel de ce poste à faire une rafle dans le village de Puoc-Loï (à proximité de la tour de Cô-Tre). Celui-ci est disséminé au milieu de la rizière ; les habitations sont ombragées par de nombreux cocotiers et bananiers.

À trois groupes, nous le fouillons minutieusement en pénétrant dans toutes les caï-nhas. Comme de juste, nous ne trouvons pas beaucoup d’hommes, mais surtout des femmes et des enfants. Nous réussissons à trouver une trentaine d’hommes à qui nous retirons les laissez-passer (faisant fonction de carte d’identité) en les invitant à nous suivre au poste de Cô-Tre. Là, le chef de poste (sergent Schumaker) fait le tri au moyen d’une liste de suspects qui lui a été remise par les agents de la Sûreté de Nuoc-Ngot. Sept sont arrêtés tandis que les autres sont relâchés. Je reconduis le groupe de Phuoc-Haï à destination, ainsi que les prisonniers que je ramène à Nuoc-Ngot. Ce sont des types qui s’absentent bien souvent du village pour aller, soi-disant, dans la forêt couper du bois, mais certainement plutôt pour ravitailler les rebelles.

C’est donc la première fois que je faisais une patrouille dans un village annamite et j’ai pu constater la difficulté qu’il peut y avoir à s’y retrouver quand on est au milieu des habitations. Chaque caï-nha est entourée d’une haie et de jardinage ou de bananiers et de cannes à sucre. C’est en ce moment la saison sèche et on voit dans presque tous les foyers, les femmes tresser des feuilles de canne à sucre séchées pour en faire des nattes, paniers, etc. J’ai eu l’occasion de visiter une pagode où j’ai pu voir une multitude de statues de génie disposées sur des autels. Sur un grand autel, au centre, une statue de Bouddha dorée et des bâtonnets de santal et d’encens qui brûlent et de jolies peintures.

En rentrant, j’apprends qu’une opération a lieu demain matin dans le massif montagneux qui domine la région et qui abrite les VM (à l’endroit où se trouve toujours le drapeau viet). Une section de Nuoc-Ngot et du poste Nord de Nuoc-Ngot (deux groupes du camp et un du poste Nord) doit y participer, ainsi qu’une section de Phuoc-Haï et une de Dat-Do.

Ce soir, je suis de service au poste de police (2e quart). La Sûreté interroge les suspects arrêtés (les deux prisonniers les plus dangereux) qui, avec des moyens pas très recommandés, mais cependant très efficaces, donnent de précieux renseignements sur le Daï-Doï (compagnie VM) qui se trouve dans le secteur de Long-My. L’inconvénient, c’est le manque de cellule au camp qui nous oblige à les garder à vue toute la nuit au poste de police. […]

Jeudi 28 décembre 1950

Le matin, ouverture de route avec deux groupes sur Phuoc-Haï. R.A.S. Je perçois aujourd’hui une nouvelle mitraillette Sten pour remplacer la mienne défectueuse et je vais vider deux chargeurs sur la plage, mais je m’aperçois que si elle possède un canon neuf, ça ne l’empêche pas de ne pouvoir tirer que coup par coup. Je bricole un peu après et ça remarche, mais quand on pense que c’est une arme qui rentre de réparation. Ce n’est pas encore une merveille, mais elle est cependant un peu meilleure que l’autre. Enfin, advienne que pourra. […]

Dimanche 31 décembre 1950

Le matin, deux groupes de Nuoc-Ngot font une opération sur Long-My en coopération avec quatre groupes GVNS de Phuoc-Haï. Celle-ci a lieu uniquement pour récupérer de la viande en vue du réveillon du Nouvel An. Une réserve nous est fournie par le nombreux bétail qui se trouve dans la zone Long-Phu - Long-My (zone rebelle) qui fournit du ravitaillement pour les rebelles stationnés dans cette région.

Les groupes partent à l’aube du poste Sud de Phuoc-Haï et rentrent à midi, en camion, ramenant un certain nombre de quartiers de viande de bœuf qui sont débités entre les autochtones et les Européens du camp et ceux du poste Sud de Long-Haï. Les cuisses et les épaules de dix bœufs ont été ramenées, le reste abandonné sur place. Au cours de cette opération, les VM ne cherchent pas à nous inquiéter et seuls, deux ou trois guetteurs sont aperçus de loin qui se sauvent à notre approche. Je n’ai pas été désigné pour cette opération mais, comme tout le monde, je pourrai manger du bœuf à midi et au réveillon.

Les repas se feront à la santé des VM de Long-My et personne ne s’en plaint. Les trois postes de Phuoc-Haï ont eu également leur part dans cette razzia. […]

Ce matin, je me rends à Phuoc-Haï en jeep chercher la glace (nuoc-da en vietnamien) pour le mess de Nuoc-Ngot. En même temps, je mène le pain (fabriqué au camp) dans les trois postes de Phuoc-Haï. J’ai l’occasion de passer dans le village qui est le deuxième port de pêche de Cochinchine. Les habitations, serrées les unes sur les autres, sont construites non loin de la mer et les rues ne sont que des pistes de sable où sèchent d’innombrables filets de pêche. Plusieurs fabriques de « nuoc-mam » sont installées dans la localité. Cette sorte de sauce à l’odeur très forte que l’on retrouve sur toutes les tables Annamites et qui sert à assaisonner tous leurs plats, est constituée par de la saumure de certains poissons de mer, mélangée avec du sel. Le poisson est mis dans de grandes cuves et pourrit littéralement, formant cette saumure qui n’est autre que le nuoc-mam. Cet aliment, qui est repoussant par son odeur, est très riche en calcium et il est recommandé d’en prendre une cuillerée de temps à autre, car le climat de l’Indochine est malsain en de nombreux endroits et la transpiration abondante entraîne petit à petit une décalcification des os. Le nuoc-mam est donc excellent comme remède, mais peu d’Européens peuvent s’habituer à en manger. Un trafic important se fait entre Phuoc-Haï et l’intérieur où beaucoup de poissons ravitaillent les marchés, c’est la raison pour laquelle plusieurs fabriques de glace existent dans la région pour la conservation du poisson. […]

Repos l’après-midi en prévision du réveillon de ce soir. Comme à celui de Noël, celui-ci se passe dans une bonne ambiance. Les sous-officiers supérieurs et officiers Annamites du camp sont invités. Pour la circonstance, le menu est soigné et la cave est bien garnie. Tout le long du repas, ce ne sont que chansons, chœurs, disques, etc., qui entretiennent la gaieté et font un peu oublier le Nouvel An de France. […]

Lundi 1er janvier 1951

Je suis en pleine forme pour faire l’ouverture de route de Phuoc-Haï, alors que tout le monde est encore à table. Cela se passe bien et à mon retour, je les retrouve prêts à partir avec deux jeeps pour faire la tournée des postes GVNS du quartier de Nuoc-Ngot.

Je pars avec eux et nous commençons par le poste Sud de Long-Haï (exceptionnellement il n’y a pas d’ouverture de route ce jour-là, sur cette voie). La même opération se répète ensuite au poste Sud de Nuoc-Ngot, puis au poste Nord de Nuoc-Ngot et aux postes Sud, Est et Nord de Phuoc-Haï. Partout nous recommençons nos échanges de vœux avec les gardes qui n’ont pas la chance d’être au PC et qui ont passé le réveillon bien tranquillement à deux ou trois Européens par poste. Dans chacun de ceux-ci, la visite est arrosée, aussi il y a de la joie en rentrant. Ce qui fait plaisir, c’est cette franche camaraderie que l’on trouve entre le personnel européen et qu’on ne voit malheureusement pas toujours en France. Il faut dire que ça vient beaucoup du commandement et qu’il n’y a rien à dire au sujet du capitaine Mazéas qui est très dynamique et sait entretenir l’ambiance.

L’après-midi, sieste prolongée pour récupérer et le soir, deuxième quart au poste de police. […]

Vendredi 5 janvier 1951

[…] L’après-midi, je mène du ravitaillement en camion à Phuoc-Haï. Vers dix-sept heures, nous voyons passer trois chasseurs se dirigeant vers la zone rebelle de Phuoc-Buu. Peu de temps après, nous entendons une série d’explosions dont nous voyons les lueurs et la fumée au-delà de Phuoc-Haï, sur la côte de la pointe de Cu-My. Un avion est passé hier vers midi, à basse altitude au-dessus de la côte, peut-être était-ce un avion de reconnaissance qui a aperçu soit une usine, soit des concentrations de troupes rebelles, ce qui explique ce bombardement. Ils mitraillent également et une demi-heure après repassent au-dessus du camp. Pour l’aviation, cette zone n’est qu’à une demi-heure de vol de Saïgon, aussi ils ont belle de venir harceler les VM, d’autant plus que ceux-ci ne possèdent pas de DCA. À présent, la guerre s’intensifie, surtout depuis l’arrivée de De Lattre et on voit que des arrivées d’avions américains sont venus renforcer l’aviation en Indochine dernièrement.

À dix-neuf heures, je suis avisé de partir immédiatement avec un groupe de combat, en camion, rechercher les occupants de l’ambulance qui était partie mener un blessé au cap. Nous apprenons, en effet, qu’un militaire autochtone du poste Nord de Phuoc-Haï qui allait chercher de l’eau à un puits alimentant le poste et situé au dehors des défenses, à la lisière du village, a sauté sur une mine vers dix-sept heures. Blessé à la jambe et au bras, il avait été conduit à Baria par l’ambulance qui rentrait du cap. La mine avait été placée à dessein par les VM, vraisemblablement au cours de la nuit.

Nous partons à la lueur des phares, précédés par la jeep qui va rechercher le capitaine. Arrivés à Phuoc-Haï, nous apprenons que l’ambulance est restée à Dat-Do sur ordre du commandant du GBC et que c’est l’ambulance de Baria, escortée d’une AM qui est venue chercher le blessé à Dat-Do. Il est vrai que la nuit est complète et que ce n’est pas prudent de rouler à cette heure-ci sans escorte, d’autant plus que l’ambulance « marche sur trois pattes ».

Depuis que je suis ici, c’est le premier blessé qu’il y a. Par bonheur, c’était certainement une mine locale et les jours du blessé ne sont pas en danger. Quant à savoir qui et quand elle a été posée, c’est une autre affaire. […]

Samedi 6 janvier 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï ce matin. Trois mois à Nuoc-Ngot et quatre mois depuis le départ de France. Cette fois, nous commençons à être dans l’ambiance.

Le soir, nous apprenons qu’un groupe du poste Nord de Phuoc-Haï qui effectuait une patrouille du côté du village viet de Hoï-My est tombé dans une embuscade et a été sérieusement accroché pendant un quart d’heure. Il a réussi à décrocher sans être atteint et à récupérer une mine.

Cela fait pas mal de bruit au quartier, car ils étaient sortis sans avertir leur commandant de sous-quartier et beaucoup plus loin que la prudence l’imposait. Le chef de poste se fait sérieusement enguirlander par l’adjudant Magnier qui commande le sous-quartier de Phuoc-Haï et le capitaine fait du foin à Nuoc-Ngot. Il est évident que si chacun se met à sortir comme il veut, ils risquent de se faire tirer dessus et s’ils sont en difficulté, personne ne peut se rendre à leur secours sans risquer de se faire tirer dessus. Certes, actuellement, le calme règne dans le quartier, mais il ne faut pas croire que les VM sont partis. Ils seront d’autant plus agressifs qu’ils viennent de subir quelques échecs ces derniers temps.

Dimanche 7 janvier 1951

Ce matin, le capitaine qui se rend en jeep au cap Saint-Jacques rencontre entre Cô-Tre et Dat-Do, un gosse qui se sauve, gravement blessé. Il lui explique qu’une des tours situées entre ces deux localités a été l’objet d’une trahison. Le capitaine se rend immédiatement au poste de Dat-Do dont dépend la tour et signale les faits au commandant de quartier. Cette tour était tenue par cinq partisans Cambodgiens. L’un de ceux-ci étant tombé malade a été remplacé hier soir par un partisan Annamite.

Dans le courant de la nuit, celui-ci se dispute avec le chef de tour, au pied de la tour et le poignarde, puis, son coup fait, il monte dans la tour et lance à l’intérieur une grenade et profitant de la surprise, il égorge les trois autres Cambodgiens et une femme et blesse le gosse. Il s’enfuit alors avec deux fusils. Était-il affilié avec les VM ou était-ce au sujet d’une histoire de femme ou d’argent que la rixe a éclaté ? C’est ce qu’on ignore. Cependant, tout porte à croire que l’Annamite est passé au VM. Les Viets ont beaucoup de facilité pour contacter ces partisans qui sont livrés à eux-mêmes dans les tours. Ils dépendent des postes voisins, mais leur contrôle est aléatoire et ils ont peu de discipline. De plus, les VM payent très cher les trahisons et les armes, quitte à supprimer purement et simplement le traître s’il ne leur convient pas. L’essentiel pour eux est de récupérer de l’armement et des munitions dont ils manquent.

D’autre part, les Annamites et les Cambodgiens n’ont jamais pu s’accorder et à la moindre altercation, la discussion s’envenime. Chez les GVNS ou dans les unités régulières qui sont encadrées par des Européens, la discipline est plus rigoureuse et c’est nous qui tranchons le différend, mais chez les partisans qui sont un peu livrés à eux-mêmes, ça dégénère vite en bagarre. C’est la raison pour laquelle les tours sont tenues, en principe, par des partisans d’une même race.

Par la suite, la petite fille du chef de tour qui se trouvait à Dat-Do lorsque ses parents ont été tués, est recueillie par un Cambodgien qui est payé par les Européens de la 7e compagnie du 2/22 RIC pour la nourrir. C’est en somme la mascotte du poste de Dat-Do.

Repos le reste de la journée. Deuxième quart au poste de police. R.A.S. […]

Mercredi 10 janvier 1951

Le matin, je pars en protection de 44 coolies de Phuoc-Haï occupés à débroussailler les abords de la route de Long-Haï, à 1 kilomètre du poste Sud de Nuoc-Ngot. Nous partons avec deux camions jusqu’au poste Sud de Nuoc-Ngot et continuons à pied en ouvrant la route, jusqu’au lieu de travail. Repos l’après-midi, cependant qu’un camion transporte le ravitaillement pour les coolies et amène un groupe avec un autre Européen pour nous relever. Les travaux de débroussaillage continuent donc l’après-midi.

Je suis avisé par l’adjudant-chef Rousseau de préparer mes bagages, car je suis affecté au poste Nord de Nuoc-Ngot que je dois rejoindre demain matin. Heureusement que nous devions rejoindre les postes 15 jours après nos arrivées au camp et que notre affectation devait être un des postes de Phuoc-Haï.

En ce moment, il y a une série de mutations au 7e groupe de compagnies de Nuoc-Ngot. Tout d’abord, je dois remplacer le garde Deflamme, du poste Nord de Nuoc-Ngot ; ce dernier va prendre les consignes de chef de poste au poste GVNS de Long-Haï. Tout le personnel de ce poste rejoint le 16e escadron GVNS de Baria qui va devenir unité d’intervention et est remplacé par du personnel du camp de Nuoc-Ngot (19e escadron GVNS passé peu après 20e compagnie). D’autre part, un GR du poste Sud de Phuoc-Haï (GR Niederborn) doit rejoindre prochainement le PC du 3e régiment GVNS à Gia-Dinh (dont nous faisons partie) pour prospecter et enrôler des autochtones dans la région de Cochinchine, limitrophe du Cambodge, pour former la nouvelle armée vietnamienne, conformément aux nouveaux accords franco-vietnamiens. Ce sera sans aucun doute un petit travail intéressant qui permettra à celui qui l’effectuera de voir du pays. […]

Jeudi 11 janvier 1951

À six heures, le garde Bégel (chef de poste du poste Nord de Nuoc-Ngot) et son adjoint (le garde Deflamme que je dois remplacer aujourd’hui) arrivent au pas de course et nous apprennent que c’est la tour Ly qui a été dynamitée dans la nuit. Les Viets, à la faveur de la nuit noire et certainement de l’imprudence du soldat qui était de faction et qui devait être endormi, ont réussi en rampant à passer la barrière de défense en gaulettes et à appliquer une mine à charge creuse au sommet de la tour, sans éveiller l’attention de ses occupants (4 GVNS du poste Nord de Nuoc-Ngot). Ils ont alors provoqué l’explosion par contact électrique, rasant tout le sommet de la tour. Puis ils tirent des rafales de pistolet-mitrailleur et des coups de pistolet sur ses occupants. Ceux-ci, complètement affolés, réussissent à s’enfuir de la tour sous le feu des VM. Cependant, le poste Nord de Nuoc-Ngot, qui est harcelé au VB et fusil pendant ce temps, réagit et protège la tour par un tir précis d’obus de mortier de 60mm. De plus, le caporal (chef de tour) a la présence d’esprit de lancer les grenades défensives dont ils sont dotés, avant de sauter de la tour. Pendant que deux occupants de la tour, qui couchaient dans le bas avec le caporal, rejoignent le poste Nord par la plage (l’un d’eux, soldat Thach-San, est blessé assez sérieusement à la jambe), le caporal a la présence d’esprit de prendre un fusil au hasard et de le cacher dans le rach voisin avant de rejoindre le poste en passant par la place. Malheureusement, dans leur désarroi, les deux autres ont laissé leur fusil dans le fond de la tour, au milieu des plâtras. Quant au quatrième occupant qui était de faction et se trouvait à deux mètres de l’explosion, ils ne savent pas ce qu’il est devenu.

Peut-être tué par l’explosion ou tout au moins capturé par les VM ?

Toujours est-il que deux groupes se préparent activement à partir de Nuoc-Ngot pour aller aux nouvelles et essayer de retrouver les traces du soldat disparu, lorsque nous voyons arriver un groupe de Phuoc-Haï avec le GR Niederborn, du poste Sud de Phuoc-Haï. Ils arrivent tout essoufflés par une marche au pas de course et nous apprennent que la tour de Long-Phu (à gauche de la route Phuoc-Haï – Dat-Do, à hauteur du poste Nord de Phuoc-Haï), occupée par cinq GVNS du poste Sud a subi une attaque semblable à celle de la tour Ly, mais malheureusement plus meurtrière. Un des occupants est tué par l’explosion et l’autre est grièvement blessé (une jambe broyée). Ce sont eux qui ont lancé la fusée rouge pour demander l’ambulance et qui ont tiré jusqu’à l’aube pour aider les trois autres occupants de la tour, plus légèrement atteints, à se défendre.

L’ouverture étant faite, l’ambulance part immédiatement pour Phuoc-Haï, mais malheureusement, il sera trop tard et le blessé décédera au cours de son transfert sur l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques. Le commandant du GBC, alerté par radio, arrive à Nuoc-Ngot à huit heures avec scout-car, ambulance et groupe d’intervention de Baria. Le capitaine Mazéas (commandant du quartier de Nuoc-Ngot) qui était parti depuis hier pour le cap Saint-Jacques et devait prendre l’avion ce matin pour Saïgon, est rappelé par message et revient dans la matinée.

Les groupes qui ont été en reconnaissance à la tour Ly rapportent une bonne nouvelle : les VM n’ont pas tenté de pénétrer dans la tour après leur premier assaut et toutes les armes sont sauves. D’autre part, le quatrième occupant de la tour, qui n’avait pas rejoint le poste Nord après l’attaque, a été retrouvé ce matin dans la tour. Il en revient de loin : par l’explosion, il a été catapulté à vingt mètres de la tour, complètement assommé, mais pas blessé. Il s’est dissimulé dans la brousse, et ce matin il est rentré dans la tour en attendant du renfort. En somme, pour cette tour, ils auront eu une chance inouïe, cependant ils pourront tirer conclusion de cet événement. Sans aucun doute, que ce soit à la tour Ly, à la tour de Long-Phu ou à une des tours du pont de Cho-Bo-Dap qui a été également attaquée (sans dommage heureusement), les sentinelles devaient dormir, comme ça se produit bien souvent. […]

Dans l’après-midi, l’adjudant Magnier (commandant du sous-quartier de Phuoc-Haï) et le garde Nicolas, du poste Sud de Phuoc-Haï, se rendent avec deux groupes de combat sur le marché de Phuoc-Haï et rassemblent une partie de la population. Ils ont avec eux le rebelle qu’ils ont capturé hier et l’obligent à leur désigner ses camarades VM. L’un d’eux qui tente de s’enfuir est abattu sur-le-champ devant toute la population par le garde Nicolas.

Ils rassemblent ensuite les notabilités du village et interdisent formellement aux pêcheurs de sortir en mer jusqu’à nouvel ordre. Cette fois, la population, qui sympathise avec les rebelles, réfléchira peut-être et comprendra qu’elle n’a aucun intérêt à les soutenir.

La riposte ne se fait pas attendre et le soir, vers vingt-trois heures, nous sommes à nouveau alertés par des détonations provenant du poste Nord de Nuoc-Ngot et de la tour Ly. Encore une fois, il nous est impossible d’avoir des renseignements par téléphone, les piles étant trop faibles. Nous apprenons cependant que c’est là-bas que ça tire par les occupants de la tour Piquet qui nous le signalent téléphoniquement.

Pendant une heure, nous entendons des coups de feu par intermittence, puis tout rentre dans le calme, sans savoir exactement ce qui s’est passé. Pendant ce temps, les sentinelles du camp croient voir et entendre marcher à proximité des défenses et tirent des coups de feu, provoquant l’alerte générale dans le camp. La plupart de nous supposent que les occupants de la tour Ly, sous l’obsession des Viets causée par l’attaque de la veille supposent en voir et tirent à propos de rien. […]

Samedi 13 janvier 1951

[Le garde Gallot participe à une opération menée conjointement avec le 22e RIC, qui permet de récupérer une documentation relative à l’organisation du Vietminh et du matériel de guerre. Lors de cette opération le garde Gallot fait connaissance « avec la brousse indochinoise dans toute sa splendeur et [il] comprend parfaitement les difficultés qu’il peut y avoir à trouver les VM dans un terrain pareil qui se prête admirablement à la guérilla »].

Dimanche 14 janvier 1951

Le matin, je me rends à Nuoc-Ngot, distant d’un kilomètre, pour y rechercher quelques affaires oubliées, pendant que Bégel accompagne le convoi du cap avec un groupe d’escorte. Total, il ne reste plus que Latry et cinq autochtones pour garder le poste, ce qui est vraiment peu. Je ne m’absente pas trop longtemps à Nuoc-Ngot, juste le temps de faire mes commissions, d’autant plus que j’ai une occasion pour remonter à midi au poste.

Au moment de rentrer, un GVNS du poste Nord de Nuoc-Ngot vient signaler qu’un occupant de la tour Ly est dans le coma et a perdu l’usage de la parole. Un camion qui mène des planches pour réparer le pont s’y rend et me ramène en même temps. Plus tard, nous apprendrons que c’est le chef de tour qui, ayant tué une biche et celle-ci étant tombée dans le rach proche de la tour, a traversé le cours d’eau à gué et a été pris d’une syncope au beau milieu. Par bonheur, ses camarades qui assistaient à l’opération lui donnent un coup de main et le remontent sur la berge, mais il a absorbé pas mal de liquide. Sur la fin de la journée, il sera remis et tout le monde au poste pourra goûter à la biche.

Je passe une bonne partie de la journée à relater l’opération d’hier sur mon journal de marche et à faire la sieste pour récupérer des forces, après les fatigues d’hier.

La soupe nous est apportée du camp tous les jours à midi et au soir. Bien entendu, elle n’est pas toujours bien chaude, suivant que nous sommes servis les premiers ou après le poste Sud de Nuoc-Ngot qui est ravitaillé dans les mêmes conditions. Des consignes très strictes ont lieu, notamment pour l’armement. De jour, les militaires n’ont pas leurs armes et celles-ci sont enchaînées dans un local réservé à cet effet et placées sous le contrôle direct des Européens. Seuls ceux-ci possèdent la clé du magasin d’armes et de munitions et peuvent s’en servir. De nuit, les autochtones ont toujours leur fusil qu’ils doivent garder avec eux, attaché au bras lorsqu’ils dorment. Ces consignes sont nécessaires afin d’éviter des désertions avec des armes ou des trahisons intérieures. Il doit y avoir en permanence un Européen au poste, de manière à pouvoir répondre au téléphone si on est appelé du camp ou de la tour Ly avec lesquels nous sommes reliés téléphoniquement.

Un système de panneautage secret permet de faire des signaux avec l’aviation, au cas où nous serions attaqués et ne pourrions recevoir aucune aide des postes voisins. Sur les toits ou terrasses de chaque poste, le nom est inscrit en gros caractères peints à la chaux pour servir de repère à l’aviation. De plus, nous avons un code par fusées lumineuses pour signaler la situation au poste en cas d’attaque. […]

Mercredi 17 janvier 1951

Ma mitraillette ne fonctionne plus normalement (une pièce du mentonnet de cassée en la démontant), je me rends donc une nouvelle fois au camp, mais suis mieux accueilli qu’hier après-midi. Par la même occasion, je vais chercher des clous pour établir des défenses sur la terrasse pour protéger le mortier. Chaque commandant de quartier touche des subventions de l’armée pour l’entretien des postes qui sont sous leur contrôle.

Le menuisier étant actuellement occupé à la réfection de la tour Ly, je m’y rends en jeep et pousse jusqu’à Phuoc-Haï par la même occasion pour mener le pain dans les postes et ramener de la glace. […]

Vendredi 19 janvier 1951

Repos toute la journée. Le soir, de quart. Aujourd’hui, passe et repasse l’ambulance du PC de Nuoc-Ngot qui transporte le corps d’un soldat autochtone tué accidentellement par un camion dans le camp.

Le cimetière militaire pour le groupement Baria - Cap se trouve à Baria, où de nombreux autochtones et Européens y sont déjà enterrés.

Je commence à me faire à la vie de poste tout à fait différente de celle du camp. Là, nous sommes en contact permanent avec les autochtones et leurs familles qui logent tous dans le même bâtiment et font leur cuisine sous des appentis appliqués sur les faces Nord, Sud et Ouest de la maison. Celle-ci était auparavant un hôtel et les salles sont grandes, mais ça n’empêche pas les autochtones d’être serrés avec leur femme et leur « nhôs ». La plupart vivent en concubinage, aussi les femmes ont intérêt à se tenir tranquilles, car nous avons la possibilité de les flanquer à la porte si elles font du chahut. Il arrive parfois qu’une dispute éclate entre le mari et la femme, suivie bien souvent de coups de bâtons et de grands cris. En principe, nous évitons le plus possible de nous mêler de ces scènes de ménage, à moins que ça ne dure trop longtemps et que ça cause du trouble dans le poste. Dans l’ensemble, les Annamites sont beaucoup plus propres que les Cambodgiens et plus calmes, par contre, on risquera moins une trahison d’un Cambodgien que d’un Annamite. Malgré qu’ils ne s’aiment pas beaucoup, ils font bon ménage dans l’ensemble. […]

Mardi 23 janvier 1951

Nous apprenons que des éléments du poste Nord GVNS de Phuoc-Haï ont arrêté un agent de la Sûreté viet dans cette localité. Ils ont récupéré un pistolet et des grenades. Encore un bon point pour l’escadron GVNS de Phuoc-Haï qui mène la vie dure aux VM de la région. Nous apprenons par la suite que ce VM a réussi à s’échapper peu de temps après son arrestation et n’a pu être rattrapé. […]

Mercredi 24 janvier 1951 (4e mois)

Vers midi, le capitaine revient en jeep du cap Saint-Jacques où il ramène le commandant du 3e régiment GVNS de Gia-Dinh (commandant Venay) qui vient en inspection. Cela lui arrive environ une fois par an, car le coin est éloigné et peu sûr. Dans le fond, nous ne nous en plaignons pas. Il vaut mieux ne pas être trop près du soleil. Nous sommes avisés qu’il viendra peut-être cet après-midi. Bien entendu, nous briquons le poste comme il se doit. Par exemple, il n’est pas question de grande revue, comme en France, il suffit de ne pas le recevoir à coups de fusil, c’est l’essentiel.

Vers quatorze heures trente, les autochtones du poste qui étaient partis à un groupe, armés seulement de chacun deux grenades, pour aller couper des gaulettes pour consolider les défenses, entendent une explosion, tout près d’eux, dans la brousse. Nous l’avons entendue également et montons aussitôt sur la terrasse et scrutons le pied de la montagne, couverte de brousse, mais ne distinguons que le groupe qui rentre précipitamment et nous annonce, dès qu’il est à portée de voix, que c’est du côté de la RP 44, non loin d’une ancienne pagode, à 1 kilomètre du poste, à hauteur de la tour Ly, que l’explosion a eu lieu. Ce sont vraisemblablement des VM qui les ont harcelés avec un VB. Nous leur disons de rentrer au poste. Bien nous en prend, car peu de temps après, un coup de fil de Nuoc-Ngot nous signale que le commandant du 3e régiment GVNS va certainement venir en visite.

Nous nous mettons sur notre trente-et-un et une demi-heure après, il arrive en compagnie du capitaine Mazéas et d’une assistante sociale de la Garde républicaine et de la garde du Vietnam Sud. Pendant que le commandant confère avec le chef de poste et fait manœuvrer le groupe qui rend les honneurs, l’assistante distribue des friandises aux enfants des autochtones. La visite dure cinq minutes et les officiers repartent sans monter visiter les logements. […]

[Le garde Gallot participe ensuite à une opération dans la région de Cho-Bo-Dap].

Samedi 27 janvier 1951

Ce matin, ouverture de route de Phuoc-Haï. R.A.S. Ensuite, je me rends seul à la tour Ly pour diriger les travaux de réfection des barrières de défense. Celles-ci sont en partie pourries, c’est ce qui explique un peu la facilité avec laquelle les VM les ont passées lorsque la tour a été attaquée le 11 janvier dernier. Les partisans qui occupent la tour et qui sont renforcés toutes les nuits par deux GVNS du poste Nord Nuoc-Ngot ne sont pas très nerveux et si on ne les secouait pas, ils laisseraient bien tout à l’abandon.

L’après-midi, nouvelle visite à la tour Ly.

Au cours de la nuit, alors que Latry vient juste de me réveiller pour prendre le quart, vers deux heures dix, alors que je suis en train de mettre mes chaussures, un coup de feu est tiré par la sentinelle de la terrasse, déclenchant immédiatement une fusillade tirée des villas les plus proches du poste, à 150 mètres du poste. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le personnel du poste est en alerte et s’élance à ses emplacements de combat qu’il connaît parfaitement pour faire de nombreux exercices.

Pendant ce temps, les rebelles continuent à harceler le poste au fusil et VB, auxquels le personnel du poste qui occupe les emplacements de combat sur la face Sud (côté Nuoc-Ngot) répondent au fusil et FM La nuit est claire et n’est vraisemblablement qu’un harcèlement pour nous tâter, car si les VM comptent nous avoir par la force, ils auront fort à faire. À présent, ils cessent de tirer et se replient sous les obus de notre mortier qui se met de la partie. Je tire également deux chargeurs de FM (FM du blockhaus où se trouve la sentinelle, en bas, côté montagne) du côté de la montagne où un ou deux coups de fusil ont été tirés également. Au bout de cinq minutes de fusillade où les autochtones s’en sont donnés à cœur joie (car ça ne leur arrive pas souvent de pouvoir se servir de leurs armes), le combat cesse.

Bien entendu, le PC à Nuoc-Ngot nous téléphone pour savoir ce qui se passe. Nous lui expliquons le « topo ». En somme, nous ne risquions pas grand-chose et ça nous aura permis de faire un petit exercice réel. Tous les emplacements de combat sont abrités, aussi, tant que les rebelles ne disposeront pas de bazookas, ils ne risquent pas de nous faire beaucoup de mal. Les rebelles ne devaient pas être nombreux, peut-être un groupe, mais nous avons pu constater que les villas abandonnées qui se trouvent à proximité du poste pourraient leur servir d’emplacements idéaux pour une forte attaque. Le poste reste en alerte encore pendant une demi-heure, puis tout le monde se recouche, sauf les sentinelles et moi qui suis de quart.

Décidément, les Viets affectionnent tout particulièrement notre poste depuis quelque temps.

Dimanche 28 janvier 1951

Repos toute la journée. Le matin, le commandant du 19e escadron GVNS de Nuoc-Ngot (adjudant-chef Rousseau) vient aux nouvelles. À chaque attaque, harcèlement ou accrochage, un compte rendu doit être fourni au PC quartier par le chef de poste et un autre au commandant d’unité pour compléter les dépenses de munitions (ça ne change pas beaucoup des procès-verbaux).

Quart au cours de la nuit. R.A.S. […]

Mardi 30 janvier 1951

[…] Nous apprenons qu’un coup dur est arrivé hier après-midi entre le Cap et Baria. Un camion transportant un receveur escorté d’un groupe de Cao-Daïstes a été attaqué par un groupe important de VM. Le receveur a été tué et délesté de son revolver et des cent mille piastres qu’il transportait. Chose étrange, les Cao-Daïstes ne sont pas atteints. Cela étonne un peu les autorités du GBC qui convoquent le commandant des Cao-Daïstes du GBC, soupçonné d’être dans le coup. Il est bien facile parfois de cacher un acte de banditisme sur le compte des Viets, dans cette guerre de maquis où les lois de la guerre sont plus ou moins observées. Ce matin, lorsque nous sommes passés, la route était gardée et des recherches étaient effectuées par la Sûreté du cap, mais bien entendu, les « Yats » (piastres) sont bel et bien envolées. […]

Mercredi 31 janvier 1951

Repos toute la journée. L’après-midi, perception de la solde pour les autochtones. D’un côté, le payeur (Mdl/Chef Piccard, trésorier du 7e groupe), de l’autre, le gérant du groupement d’achat (GR Chagniot) qui se fait rembourser les différentes marchandises achetées à crédit dans son magasin. Aussi, pour beaucoup d’autochtones, lorsque tout est réglé, il ne reste pas grand-chose. Chaque fois qu’on avance de l’argent à un autochtone, il faut agir de cette manière, car si on réclame une semaine après, ils sont déjà fauchés, ce qui ne les empêche pas de jouer à l’argent, en cachette ; aussi à chaque solde, il y a de l’effervescence au poste, car qui dit jeux d’argent dit disputes, surtout que le choum n’est pas ménagé par certains. Le soir, service de quart. R.A.S. […]

Dimanche 4 février 1951

Nous apprenons ce matin qu’un soldat GVNS et sa femme se sont enfuis dans le courant de la nuit du poste GVNS de Long-Haï, emportant trois fusils « Mauser » et deux cartouchières contenant chacune 50 cartouches. C’est un coup dur pour le chef de poste qui est responsable de l’armement (garde Rapy, adjoint au GR Deflamme, chef de poste, qui était absent ce jour-là pour maladie). C’est également un coup dur pour tous, car ces fusils sont passés au VM sans aucun doute et ce sera de l’armement qui nous tirera sur la figure par la suite.

Le déserteur qui n’avait que trois mois de service, était auparavant à Nuoc-Ngot. Il avait été certainement contacté par les Viets. Il montait la garde au moment où il s’est enfui et il a pris les fusils de deux de ses camarades qui dormaient. Ces derniers risquent fort d’être inquiétés aussi, car ils sont responsables de leur arme et ne l’avaient certainement pas attachée à leur bras en dormant, comme c’était recommandé. Ce qui prouve qu’on ne se méfie jamais assez et qu’on ne fait jamais trop de rondes dans la nuit. […]

Lundi 5 février 1951

Le matin, à sept heures, ouverture de la route de Phuoc-Haï. R.A.S. Une section de Phuoc-Haï, formée comme à l’habitude par un groupe de chacun des trois postes de la localité, va améliorer ce matin son garde-manger à l’occasion de la fête du Têt, dans les réserves de bœufs de Long-Phu - Long-My (zone VM). […]

Le soir, au poste, c’est la grande « nouba » et c’est parmi les autochtones, à qui nous invitera à aller manger avec eux. Ils ont fait des frais et les mets et les friandises du pays sont en nombre sur les tables. Le jeu d’argent est autorisé exceptionnellement et les autochtones ne se font pas faute d’y jouer toute la nuit, aussi bien les hommes que les femmes et les enfants. Tout le monde a mis des habits neufs et les femmes, des bijoux de grande valeur.

Nous redoublons de vigilance (je suis de quart), mais les rebelles doivent également faire la fête, car il ne se passe rien.

Mardi 6 février 1951

La fête continue pour les autochtones et naturellement pour nous. La nuit n’a pas été aussi calme au poste Sud de Nuoc-Ngot où une sentinelle apercevant une ombre le long des barrières de gaulettes, tire dessus. L’ombre s’enfuit sans répondre, mais ce matin, il découvre une grenade F1 et des cartouches de mitraillettes à côté d’une large tache de sang. Celui-là se souviendra de la fête du Têt. Comme c’était à proximité du puits du poste (situé à l’extérieur des défenses), peut-être voulait-il piéger une grenade ?

Il y a quelques jours, Sihoan Alain, de ce poste, faisant un tour dans la montagne qui le domine avec cinq soldats Vietnamiens du poste Sud, a découvert un camp de passage VM abandonné et l’a détruit.

Quatre mois en Indochine, au 7e groupe à Nuoc-Ngot et cinq mois que j’ai quitté la France. Le soir, une bande de gosses des militaires autochtones du camp de Nuoc-Ngot viennent au poste Nord, affublés de masques grimaçants de dragon (qu’ils mettent toujours à l’occasion des fêtes locales). Les Annamites sont très habiles pour les travaux manuels et c’est eux-mêmes qui les font. Pendant la saison sèche, ils font d’immenses cerfs-volants que l’on voit voler au-dessus des villages, parfois très hauts, car ils ne manquent pas de ficelle, c’est la spécialité du pays. Le soir, de quart. R.A.S.

Jeudi 8 février 1951

Le matin, ouverture de la route de Phuoc-Haï. R.A.S. Et la fête continue. Il faut dire qu’elle se termine à midi au camp, mais au poste, nous leur accordons jusqu’au soir, puisqu’il n’y a pas grand-chose à faire. En temps de paix, la fête dure huit jours et elle est marquée de grandes cérémonies religieuses dans les grandes villes.

Au matin, nous entendons des coups de feu du côté de Phuoc-Haï. Probablement une ouverture de route qui est accrochée. Le soir, Phuoc-Haï tire au mortier, au moins en représailles. Je reçois aujourd’hui un colis en provenance d’Epoye, expédié du 27 décembre 1950. Il ne faut pas être pressé. Il est vrai que c’était les fêtes de fin d’année et que nous sommes nombreux en Indochine. […]

Lundi 12 février 1951

Repos toute la journée. Latry descend en consultation à Baria avec le convoi du camp qui se rend au cap Saint-Jacques. Il ne revient pas le soir, le toubib étant absent. Avec la nourriture exécrable que nous absorbons ici, la plupart ont mal à l’estomac ou au foie. C’est de cette maladie que l’on souffre le plus dans le coin, car question paludisme, il n’y a pas ou très peu de moustiques. Le soir, de quart. […]

Samedi 17 février 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï le matin à sept heures. R.A.S. Dans le courant de la matinée, descente au camp pour y faire des courses. J’apprends que les VM se seraient fait sérieusement étriller dans leur zone de Phuoc-Buu - Xuyen-Moc par des unités du 22e RIC qui étaient en opération. 150 VM auraient été surpris dans un camp de repos et se seraient enfuis devant nos troupes, mais pour tomber sur un bouchon fait par des unités amies. Un sergent-chef de la coloniale aurait descendu 8 VM à la carabine, cependant qu’une trentaine aurait été tuée au cours de cet accrochage.

Un des Viets qui participait à l’attaque de la tour Ly le 11 janvier 1951 a été arrêté par la Sûreté à Dat-Do. Après un sérieux passage à tabac, il aurait fourni des renseignements sur l’organisation VM de la région. À présent, la sûreté qui réside à Nuoc-Ngot est renforcée par un groupe de choc qui exploite les renseignements fournis par les prisonniers.

Vers vingt et une heure, je suis réveillé par une fusillade provenant du côté du camp et des sentinelles du poste. Tout le personnel du poste est en alerte et se précipite à son emplacement de combat. Cependant, les coups de feu ont cessé. Nuoc-Ngot nous téléphone qu’un prisonnier VM aux mains de la Sûreté a tenté de s’enfuir par la plage. Nous n’avons pas de plus amples renseignements et tout rentre dans l’ordre au poste. Les sentinelles du poste Nord, ayant vu les coups de fusil sur la plage et entendu la fusillade, ont cru que c’était des VM qui attaquaient le poste et ont ouvert le feu dans la direction. Bégel avait également tiré un obus de mortier vers les villas.

Nous apprendrons le lendemain que le prisonnier était déjà sorti des défenses du camp de Nuoc-Ngot, tout en étant poursuivi, mais que voyant qu’il allait être repris, il s’était jeté à la mer. Il n’a pu aller bien loin et la nuit étant claire, il a été repris facilement. […]

Mardi 20 février 1951

Ce matin, le GR Pivot, du poste Nord de Nuoc-Ngot, en faisant l’ouverture de route entre les tours T1 et T2 (entre Phuoc-Haï et Cho-Bo-Dap) saute sur une mine à l’endroit où le groupe de son poste se met en contre-embuscade habituellement. Il n’est heureusement que légèrement blessé aux jambes. Par bonheur, ce n’était qu’une mine locale à effet beaucoup moins meurtrier que les nôtres. Il l’a tout de même échappé belle.

Il est évident que les VM repèrent nos manières d’agir et les endroits où nous nous mettons fréquemment en embuscade. Après un pansement à l’infirmerie du camp de Nuoc-Ngot, il peut rejoindre son poste. Repos le reste de la journée. Un caporal du poste vient de partir aux bataillons vietnamiens (autre unité de l’Armée régulière vietnamienne), il ne reste plus qu’un caporal-chef et un caporal comme gradés autochtones, aussi nous prenons le quart toutes les nuits à partir d’aujourd’hui. Aujourd’hui, de zéro heure à deux heures. […]

Jeudi 22 février 1951

Ayant été avisé qu’une messe serait dite au camp de Nuoc-Ngot ce matin à sept heures trente, je m’y rends et reste au camp toute la matinée et ne rentre qu’à midi avec la jeep de la soupe. Dans le courant de la matinée, un quadrimoteur militaire passe tout bas, en longeant la côte, se dirigeant vers la zone rebelle de Phuoc-Buu. Peu de temps après, nous entendons une série de détonations et apercevons des chasseurs qui piquent et mitraillent au-dessus de cette zone. Pendant trois quarts d’heure, cette région est survolée et de temps en temps mitraillée. Des parachutistes sont largués par le quadrimoteur. L’aviation exploite sans aucun doute les renseignements fournis par les prisonniers arrêtés par la Sûreté et le rallié de dimanche.

Aux dires de ceux-ci, il existerait dans cette zone, le PC d’un bataillon VM (expliquer organisation viet) et plusieurs camps VM. Parmi ceux-ci se trouveraient des anciens légionnaires et des Marocains passés aux rebelles en 1946-47. Cette zone serait commandée par un capitaine italien (probablement un ancien légionnaire) et les deux tireurs au FM, des Japonais. Comme on peut le voir, le recrutement de toute la crapule ne rebute pas les rebelles qui ont besoin de cadres.

La série noire continue parmi les GR que j’ai connus à Marseille ou qui sont arrivés en même temps que moi, notamment Douas, de l’escadron parachutiste vietnamien, assassiné aux abords de son cantonnement, alors qu’il était au repos dans les environs de Saïgon [faire une note et voir Brunet]. Cependant, les pertes sont plus élevées au Tonkin où, après Manier, tué dans son lit au cours d’une trahison de son poste, un mois après être débarqué, Pétillon de la brigade motorisée de gendarmerie de Constantine, rencontré à Marseille et embarqué le 6 juin 1950 a eu une mort identique. Hervé, qui avait fait son stage en même temps que moi et que j’avais connu à Charenton en même temps que Pétillon, Manier et Lète, est mort de la fièvre typhoïde contractée en Indochine [faire une note sur les maladies]. Décidément, la troisième légion de Garde républicaine de marche y laisse des plumes, ce qui revient à dire que nous sommes des planqués à côté d’eux. Quart de 2h00 à 4h00. […]

Lundi 26 février 1951

Le matin, ouverture de route de Phuoc-Haï. R.A.S. À dix heures, survol de la côte par deux quadrimoteurs de l’aéronavale qui mitraillent des barques de pêche en zone interdite (au-delà de Phuoc-Haï, à proximité du cap de Saïgon-Moïnet de la pointe de Cu-My). Vers treize heures, c’est un patrouilleur de la Marine qui bombarde ce secteur, soutenant probablement une opération terrestre. De temps à autre, nous entendons des explosions et nous apercevons le navire, à la jumelle, ancré non loin de la côte viet. Il repasse au large du poste Nord de Nuoc-Ngot vers dix-sept heures. À dix-neuf heures, trois chasseurs mitraillent cette zone pendant vingt minutes. Décidément, les rebelles ont la vie dure en ce moment et passent un drôle de week-end s’ils sont au repos. […]

Vendredi 2 mars 1951

Repos toute la journée. La visite annoncée n’a pas lieu. Perception de la solde pour les autochtones qui, ce moi-ci, sont plus calmes que la fois précédente. L’après-midi, vers dix-huit heures, trois sangliers viennent manger à terrain découvert, à 150 mètres du poste Nord. Bégel les tire avec un FM Bren du haut de la terrasse et… les rates. Ce n’est pas encore avec un chasseur comme celui-là que nous améliorerons notre menu. Il est vrai que le tir fichant trompe beaucoup et que ce n’est pas si facile d’atteindre un animal avec des balles qu’avec des chevrotines. Quart de 22h00 à 1h00. R.A.S. […]

Mercredi 7 mars 1951

Ouverture de route Phuoc-Haï le matin par un groupe du poste Nord complété par des GVNS de Nuoc-Ngot. C’est nous qui faisons la liaison à la tour Ly avec le groupe de Phuoc-Haï Sud. Pendant ce temps, Nuoc-Ngot ouvre la route de Long-Haï pour le passage d’une liaison allant dans cette localité.

Le soir, à vingt heures trente, nous sommes intrigués par des coups sourds semblant venir du pied de la montagne, sur la RP 44, face au poste. Bégel, l’artilleur du poste tire un obus de mortier dans cette direction. Cependant le bruit continue. Nous recherchons ce que ça peut bien être et découvrons finalement que ce n’était qu’une tôle du poste, agitée par le vent. Cet état de choses se produit de temps à autre en raison du qui-vive où nous sommes obligés de vivre, étant toujours à la merci d’une attaque par surprise. Nous avions cru que c’était des VM qui creusaient des emplacements de tir au pied de la montagne. Quart de 1h00 à 4h00. R.A.S.

Jeudi 8 mars 1951

Nous apprenons que les Viets ont harcelé les postes Nord et Est de Phuoc-Haï dans le courant de la nuit dernière, sans faire de casse dans nos rangs. Ils ont tenté de pénétrer dans les défenses de la tour T1 en creusant dans le sol sablonneux, par-dessous les barrières de gaulettes. Mais ils ont été repoussés par les partisans qui occupent la tour. Un trou dans le milieu de la route, à 300 mètres de la tour Ly (direction Phuoc-Haï) est découvert par le groupe de Phuoc-Haï Sud en faisant l’ouverture de route. C’était probablement pour poser une mine, mais ils auront été dérangés par un tir de mortier de 4 pouces du poste Sud de Phuoc-Haï qui harcelait le village de Long-Phu pendant l’attaque de la tour T1.

La ménagerie du poste se monte. Après une meute de chiens, c’est un gros singe capturé vivant par les civils dans la montagne et acheté par un GVNS du poste. Je ne sais s’il s’apprivoisera, car il est vieux et a l’air sauvage, mais pour l’instant, il amuse la galerie.

Quart de 22h00 à 1h00. À cinq heures du matin, un coup de téléphone de Nuoc-Ngot nous avise que le capitaine Mazéas, commandant de quartier de Nuoc-Ngot va venir nous rendre visite au poste. Nous prenons nos dispositions pour qu’il le trouve tel qu’il le conçoit dans ses notes de service et je prends le quart puisque théoriquement, il doit y avoir un Européen d’éveillé toute la nuit. Il se ramène au petit jour, en s’éclairant de sa lampe électrique pour se faire reconnaître et arrive au poste à six heures, après avoir fouillé les quelques paillotes de civils qui se trouvent au bord de la route (entre celle-ci et la plage) à 400 mètres du poste Nord vers Nuoc-Ngot. Il y découvre quelques objets suspects. Comme ces habitations sont occupées par ces civils qui travaillent au camp et qu’il y a des vols de temps en temps, certains objets, notamment des montres-bracelets semblent bizarres entre leurs mains.

Le capitaine était venu également pour se rendre compte des signaux lumineux qu’il serait possible d’établir avec une lampe torche au cas où nous n’aurions plus de fusées lumineuses. Toujours aussi sympathique, il boit avec nous et les trois Européens de Nuoc-Ngot qui l’accompagnent. […]

Lundi 12 mars 1951

[…] À partir de maintenant, nous continuons à prendre le quart pendant trois heures, secondés par un gradé autochtone, conformément aux notes prescrites par le commandant de quartier et il ne pourra rien nous reprocher.

Le sous-lieutenant Nguyen-Van-Du, officier adjoint autochtone du commandant du 7e groupe d’escadrons de Nuoc-Ngot peut s’apercevoir que nous ne dormons pas et en fait l’expérience au cours de la nuit. Je prends le quart de 20h00 à 23h00 lorsque quelques minutes avant de le quitter, je vois arriver de la direction de N.N., une lumière qui quitte la route et se dirige vers les villas. Ignorant à qui j’ai affaire, je fais les sommations, mais comme ça ne répond pas et que les lumières continuent à avancer, je tire un coup de fusil en l’air avec le fusil de la sentinelle. Cette fois, les lumières se rapprochent du poste et les suspects nous appellent par notre nom et nous déclarent être de Nuoc-Ngot. Nous téléphonons au PC pour savoir si une patrouille est sortie dans le coin, car nous n’en avons pas été avisés. Sur l’affirmative, nous laissons approcher du poste et reconnaissons une demi-douzaine de sous-officiers de Nuoc-Ngot qui sont soi-disant en embuscade, mais plutôt à la chasse à l’affût.

C’était un malentendu qui aurait pu leur coûter cher. Le sous-lieutenant Du nous avait envoyé un militaire avec la jeep de la soupe pour nous avertir, mais il s’était mal expliqué et nous ne l’avions pas compris. Les gradés GVNS du poste le savaient mais, croyant que nous étions avisés, ne nous avaient rien dit. Comme ce sont des Cambodgiens qui ne se font pas faute de jouer un mauvais tour aux Annamites qu’ils n’aiment pas, ils se sont bien gardés de nous le dire. Cela leur sera une leçon qui prouvera à Nuoc-Ngot que nous nous tenons sur nos gardes.

Mardi 13 mars 1951

Ouverture normale de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Nous apprenons dans la journée qu’un gros coup dur est arrivé à la tour de Cô-Tre tenue par un sergent de la coloniale (Schumaker) et neuf autochtones de la 7e compagnie du 2/22e RIC dont le PC est à Dat-Do. Cette tour, qui est plutôt un petit poste, est située entre Cho-Bo-Dap et Dat-Do, au bord de la route et assure la protection du village de Phuoc-Loï, situé juste à proximité.

Vers une heure du matin, simultanément avec le harcèlement du poste de Dat-Do au mortier et FM et du poste de Cho-Bo-Dap (les postes voisins), les VM font sauter le poste de Cô-Tre à la mine. Ils avaient réussi, à la faveur de la nuit noire, à pénétrer à l’intérieur des défenses et à poser un chapelet de mines électriques à charge creuse autour de la muraille, sans éveiller l’attention des hommes de faction. Puis ils font sauter l’ouvrage, écrasant six tirailleurs autochtones et blessant les autres. L’Européen qui logeait au sommet de la tour se retrouve au milieu des défenses, blessé sérieusement. Pendant ce temps, les Viets donnent l’assaut, s’emparent de tout l’armement du poste (une mitrailleuse Reibel, un FM, la mitraillette du sergent et plusieurs fusils) et emmènent l’Européen. Ils l’entraînent jusqu’à 400 mètres du poste et l’abandonnent quelques instants, sans lui avoir fait de mal. L’Européen met ce répit à profit pour se sauver en rampant et réussira à rejoindre le poste de Dat-Do. Les VM récupèrent également presque toutes les munitions du poste. Ils étaient entrés en creusant sous les défenses.

C’est un gros coup dur pour le commandant de la 7e compagnie du 2/22 RIC mais aussi, il a une large part de responsabilité dans cette affaire, car l’effectif était trop réduit pour un armement aussi puissant. Normalement, ils ne devaient pas être moins d’une section. Il est évident que la sentinelle devait sommeiller et l’Européen ne pouvait monter le quart toute la nuit. Toujours est-il que le poste est entièrement détruit et que l’armement pris va renforcer sérieusement la puissance de tir des rebelles. Ils devaient être nombreux et avaient dû préparer leur coup depuis longtemps. Le soir, quart de 23h00 à 2h00. R.A.S. […]

Jeudi 15 mars 1951

Alors que l’ouverture de route de Phuoc-Haï est en train de se faire, nous sommes alertés par une explosion vers sept heures trente. Au retour du groupe d’ouverture, nous apprenons que c’est un chien de Nuoc-Ngot qui accompagnait le groupe de Nuoc-Ngot qui a fait sauter une mine placée au bord de la route, à 200 mètres de la tour Ly.

Le chien, qu’on a été obligé d’abattre à la suite de ses blessures, a rendu un fier service aux hommes de l’ouverture de route, car c’est peut-être eux qui auraient sauté sur la mine. Elle a explosé à dix mètres d’un voltigeur du groupe de Nuoc-Ngot, mais il n’a pas été touché. C’était une mine locale à effet peu meurtrier. Repos la journée. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

[Du 16 au 21 mars, plusieurs attaques du Vietminh menacent le camp de Nuoc-Ngot].

Jeudi 22 mars 1951

Aujourd’hui, je descends au cap Saint-Jacques avec le convoi du camp de Nuoc-Ngot. Cela permet de faire les achats et courses et ça change un peu de la vie monotone du poste. Nous partons à sept heures trente et après avoir pris l’escorte à Phuoc-Haï, nous filons sur Baria où nous arrivons à neuf heures. Après s’y être arrêté quelques instants, nous continuons sur le cap Saint-Jacques où nous arrivons à dix heures. […]

Lundi 26 mars 1951

Il n’est pas question de jour férié pour aujourd’hui, aussi le travail continue comme à l’habitude, c’est-à-dire : pour nous, Européens, repos la journée, toutefois, en surveillant le travail des autochtones. Ceux-ci sont occupés actuellement à construire une seconde barrière de défense tout autour du poste. Le travail n’avance pas vite. Ces barrières sont faites avec des gaulettes qu’il faut aller couper dans les bois voisins, au pied de la montagne. Comme nous ne pouvons laisser sortir plus de la moitié de l’effectif du poste et qu’il y a en a toujours qui sont malades ou en permission ou détachés à la tour Ly, nous ne pouvons compter que sur huit ou dix GVNS pour effectuer ce travail.

Ce matin, nous avons la visite de l’inspecteur des munitions (en l’occurrence un lieutenant du matériel), accompagné d’un adjudant de la même arme. Ils ne sont pas trop regardants et s’attardent surtout à regarder si les munitions ne sont pas en mauvais état et si les cahiers de munitions sont à jour. Bien entendu, nous ne sommes officiellement en possession que du nombre normal de munitions dont nous avons droit, mais en vérité, nous avons planqué le rabe dans nos cantines. Il est toujours utile d’en avoir en plus, car en cas d’attaque, on n’en aurait pas de trop. La dépense en munitions, lors d’un harcèlement ou d’un accrochage étant incontrôlable, il est facile d’en obtenir en plus.

Un GVNS a attrapé un iguane, gros lézard d’un mètre 20 de long, à chair très fine, qui vit dans le sable et la brousse et mange des insectes et des petits rongeurs. C’est un régal pour les autochtones qui mangent toutes sortes d’animaux. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S. […]

Mercredi 4 avril 1951

Repos toute la journée. Nous apprenons qu’une section GVNS de Phuoc-Haï, en opération du côté du village viet d’Hoï-My, a eu un engagement avec les rebelles qui lui a permis de tuer un Viet. Ceux-ci les avaient attaqués au fusil et VB et à la mitraillette. Encore un de moins. Nous apprenons également que la tour T2 (entre Phuoc-Haï et Cho-Bo-Dap) a été harcelée au cours de la nuit dernière. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S.

Vers neuf heures du soir, la femme d’un GVNS étant gravement malade, nous en avisons le PC par téléphone et peu de temps après, l’ambulance du camp vient la chercher et la mène à l’infirmerie de Nuoc-Ngot. Lorsqu’il s’agit de simples plaies ou abcès pas trop graves (et Dieu sait si les autochtones en sont toujours couverts), nous nous transformons en infirmiers et les soignons avec force alcool iodé, ouate, etc., mais lorsque c’est plus grave, les malades ou blessés sont envoyés à Nuoc-Ngot où un infirmier Vietnamien les soigne à l’infirmerie du 7e groupe d’escadrons GVNS. Lorsque c’est très grave, ils sont transférés à l’infirmerie de Baria ou à l’hôpital du cap Saint-Jacques. Les familles des autochtones, lorsque ce n’est pas trop grave et qu’elles peuvent être soignées à Nuoc-Ngot sont soignées gratuitement, toutefois, elles doivent se nourrir elles-mêmes.

La température change depuis quelques jours et au cours de la nuit, il tombe une petite averse, prélude aux cataractes d’eau qui vont s’abattre sur le pays pendant la saison des pluies. Cette saison arrive, la température est plus moite et nous transpirons davantage. C’est l’époque où nous avons le plus de malades et je m’explique pourquoi j’étais tout fiévreux ces derniers jours. C’était le changement de saison, le plus mauvais moment à passer pour les Européens. Ce n’est pas trop grave et avec quelques cachets de quinine, ça se passe rapidement. Nous n’omettons pas de mettre la moustiquaire lorsque nous nous couchons et prenons régulièrement nos deux cachets de paludrine ou de chloriguane par semaine. Remède préventif contre le paludisme… et de faire deux prisonniers (accrochage à HoÏ-My). […]

Vendredi 6 avril 1951

[Le garde Gallot participe à une opération dans le secteur de Xom-Ray, tenu par le Vietminh].

Mardi 10 avril 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï au matin et contre-embuscade pour attendre le passage d’un colonel, prévu pour neuf heures, mais qui ne passe finalement qu’à dix heures.

L’après-midi, le PC de Nuoc-Ngot nous signale téléphoniquement la venue du commandant Ourtha, commandant du 3e régiment GVNS pour seize heures. C’est le grand nettoyage au poste aussitôt cette nouvelle. Finalement, il n’arrive qu’à dix-sept heures quarante-cinq. Il visite le poste en vitesse, nous demande si ça va et repart un quart d’heure après pour le cap Saint-Jacques. Il est sympathique et très jeune (39 ans). Il termine son séjour à Gia-Dinh (banlieue de Saïgon) après avoir passé sept mois au Tonkin et un séjour à l’état-major de la 1ère Légion de Marche de Garde républicaine à Saïgon.

Le capitaine Mazéas qui l’accompagne reste au poste jusqu’à dix-neuf heures trente, à discuter avec nous. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S. […]

Samedi 14 avril 1951

Repos la journée. Cet après-midi, vers seize heures quinze, alors qu’un groupe du poste est retourné aux gaulettes dans la brousse, au pied de la montagne, nous entendons une explosion non loin du poste. Nous nous précipitons à la terrasse avec un FM, assez angoissés car les autochtones qui sont à cette corvée n’ont pas d’arme, sauf le gradé et n’ont même pas de grenades. Un quart d’heure après, nous les voyons revenir au complet. Dès qu’ils sont rentrés, nous tirons quatre chargeurs de FM dans la direction de la montagne. Cela dérouille les armes et ça donne à réfléchir aux Viets qui commencent à devenir ennuyants avec leurs harcèlements. Décidément, ils y prennent goût et nous allons être obligés de faire une patrouille dans cette région un de ces jours. C’était probablement un VB tiré par les VM.

Le convoi de Nuoc-Ngot qui était parti à douze heures trente pour aller chercher quarante nouveaux GVNS affectés à Nuoc-Ngot rentre à vingt heures. Comme le capitaine se trouve avec eux, nous l’avisons des événements de cet après-midi. Il nous donne l’ordre de faire demain matin une patrouille dans cette zone avec un groupe de Nuoc-Ngot qui fera l’ouverture de route.

Nous apprenons que la jeep du capitaine qui accompagnait le convoi s’est retournée en revenant et que ses quatre occupants sont à l’hôpital du cap Saint-Jacques, parmi lesquels le chef Cornebois, commandant du 10e escadron de Nuoc-Ngot dont je fais partie. C’est la série noire en ce moment, puisqu’un accident similaire était arrivé au début de la semaine à la jeep de Phuoc-Haï, pilotée par l’adjudant Magnier à Long-Dien. Un gradé Vietnamien avait été également blessé par une balle de sa mitraillette qui s’était déclenchée dans le choc et avait été hospitalisé au cap Saint-Jacques. L’adjudant Magnier et le GR Lemaître, tous deux du poste Sud de Phuoc-Haï avaient été légèrement blessés. Quart de 23h00 à 2h00. R.A.S. […]

Lundi 16 avril 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Nous apprenons que la femme d’un partisan de la tour T1 (Phuoc-Haï) a sauté sur une mine ce matin en sortant de la tour. Les VM avaient piégé une grenade à la porte d’entrée pendant la nuit. Décidément, les Viets sont passés maîtres dans l’art de poser les mines et il est heureux que ce ne sont que des mines locales qui ne font pas beaucoup d’effet. Nous ne pouvons leur faire la réplique, car il est interdit d’en placer (nous risquerions de blesser des civils).

Un VB tiré par les Viets tombe une nouvelle fois près de l’équipe du poste qui coupait des gaulettes au pied de la montagne vers dix heures quinze. Les GVNS commencent à trouver la plaisanterie de mauvais goût, aussi nous tirons deux obus de mortier à quatorze heures, avant qu’ils y retournent. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S. […]

Mercredi 18 avril 1951

Le matin, je vais à Phuoc-Haï avec la jeep du camp qui va au marché pour le mess. Alors que, pendant un certain moment, du temps du capitaine Pujol, il était hasardeux de se promener dans Phuoc-Haï sans armes, même en plein jour, à présent nous pouvons le faire, toutefois en ne cessant de se méfier. Il faut dire qu’à ce moment, les postes de Phuoc-Haï, sur l’ordre du capitaine, commandant de quartier, effectuaient des tirs sur la localité chaque fois qu’un coup dur nous arrivait du fait des rebelles. Ces représailles finissaient par mettre la population sur notre dos.

Tous les jours au matin, un groupe du poste Sud contrôle le marché. Celui-ci rappelle les marchés d’Algérie par la vitalité de son commerce, mais alors qu’en Afrique du Nord les marchands et clients ne sont que des hommes, ici, ce sont les femmes qui sont en majorité et font le commerce, venant des villages environnants (Long-Phu - Xom-Ray - Caû-Ba-Mia - Hoï-My, etc.). Les Arabes sont beaucoup plus bruyants que les Annamites et les tenues sont toutes différentes. Alors qu’en Afrique du Nord, le marché est dominé par la couleur blanche des burnous et turbans, ici, toutes les femmes sont habillées en noir et coiffées du traditionnel chapeau conique en paille de riz. Par exemple, que ce soit en AFN ou en Indochine, c’est aussi sale. Les fruits, légumes et poissons dominent sur le marché.

Au retour de Phuoc-Haï à dix heures, je trouve le poste en branle-bas, attendant la visite du commandant du secteur de Bien-Hoa dont dépend le quartier de Nuoc-Ngot. La ligne téléphonique est totalement renouvelée entre Nuoc-Ngot et le poste Nord, ainsi que les appareils de téléphone. Petit à petit, nous nous équipons, ce qui n’est pas du luxe. Les « huiles » qui doivent venir à quatorze heures trente, pendant qu’un groupe du poste va en contre-embuscade sur la route de Phuoc-Haï, entre le poste Nord et la tour Ly, nous attendons au poste, après l’avoir fait nettoyer par le personnel restant au poste. Ces messieurs sont à l’heure pour une fois, mais ils ne s’arrêtent pas au poste. On se passe de leur visite. Ils repassent vers dix-sept heures, sans s’arrêter. Vers dix-neuf heures, Phuoc-Haï tire au mortier. Quart de 20h00 à 23h00. Vers vingt-deux heures, le poste Sud de Phuoc-Haï tire une rafale de mitrailleuse en direction des dunes qui font face au poste, vers Long-Phu. Nous voyons les balles traçantes. Probablement un harcèlement. […]

Vendredi 20 avril 1951

Nous apprenons que les deux gardes et la femme, faits prisonniers par les Viets le 17 mars dernier lors de l’attaque de la tour T1 ont rejoint le poste Nord de Phuoc-Haï ce matin. Ils avaient été emmenés les yeux bandés à Phuoc-Buu (PC viet de la zone rebelle) et étaient restés là-bas depuis cette date. Ils n’ont pas été maltraités pendant ce séjour. Il est vrai qu’ils étaient tombés aux mains de réguliers viets. Les Viets les ont relâchés après les avoir interrogés sur l’armement des trois postes de Phuoc-Haï et les avoir photographiés en train de manger avec deux Européens passés aux Viets.

Ils leur ont donné les photos à charge de les faire voir dans les postes à titre de propagande. Dans l’ensemble, ils ont encore eu de la chance de s’en tirer à si bon compte. S’ils étaient tombés aux mains de troupes régionales rebelles, cela n’aurait peut-être pas si bien fini, car ceux-ci sont de vraies brutes. Ils sont recrutés sur place et comme il leur arrive d’avoir du matériel ou des animaux de détruits pendant des opérations, ils sont plus mauvais. Le GVNS qui avait trahi la tour est resté chez les Viets et aurait déjà participé à un coup de main lors de l’opération à Xom-Ray. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Lundi 23 avril 1951

Un coup de téléphone nous avise qu’une inspection d’armes doit avoir lieu au poste Nord à huit heures. Le lieutenant du matériel qui la fait ne vient qu’à quinze heures trente, inspecte toutes les armes du poste, trouve deux fusils sales et nous engueule. Ce sont les aléas de toutes les inspections. Quart de 23h00 à 2h00. R.A.S.

Mardi 24 avril 1951 (7 mois)

[…] Le soir, avec le convoi qui revient du cap Saint-Jacques, arrive la section cinématographique des Forces Françaises du Vietnam Sud avec un camion et un groupe électrogène. Un garde fait marcher l’appareil et donne une représentation le soir même. Un camion de Nuoc-Ngot passe à dix-neuf heures trente pour aller chercher des spectateurs à Phuoc-Haï et repasse peu après en emmenant Bégel et Latry et sept GVNS du poste Nord qui vont assister à la séance. Je reste au poste, étant de quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. Vers minuit et demi, nous voyons repasser les GVNS et leurs familles de Phuoc-Haï, ainsi que les quelques Européens des postes de cette localité. Un camion était allé les rechercher, mais ils repartent à pied par la plage, risquant moins de tomber dans une embuscade. Les spectateurs du poste Nord rentrent à 1h00. Depuis quelques jours, je suis atteint d’une sorte de dartres annamites, maladie de la peau locale, produite par l’échauffement de la peau dû à la transpiration et qui ne peut être guérie que par des produits et moyens énergiques. J’ai déjà essayé un peu tous les antiseptiques, mais comme ça n’a pas l’air de vouloir se passer, je mets de la teinture d’iode au moment de me coucher. Je fais une drôle de danse, ne peux m’endormir et finalement passe une nuit blanche. Ce sont tout de même des maladies bénignes, et rares sont les Européens qui n’en sont pas atteints dans ce pays. […]

Jeudi 26 avril 1951

J’essaie un peu tous les produits connus pour tenter d’enrayer ces dartres qui s’étendent de plus en plus et me paralysent pour marcher. Je m’étends sur le lit toute la journée, mets une nouvelle fois de la teinture d’iode, mais ça ne fait qu’empirer et sérieusement mal. Le convoi du cap Saint-Jacques me ramène un certain produit chinois, paraît-il infaillible. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ça fait sérieusement jouir lorsqu’on l’applique, la peau part littéralement en lambeau, mais un quart d’heure plus tard, le mal s’atténue. Je prends tout de même le quart de 20h00 à 23h00 en haut de la terrasse. Cela recommence à me faire mal de plus belle. Est-ce le temps pluvieux, le changement de saison n’y est certainement pas étranger. J’avais encore une demi-heure de quart à prendre, mais Latry qui me succède me remplace. […]

Vendredi 27 avril 1951

[…] L’après-midi, une jeep me conduit à Nuoc-Ngot et je vais passer la visite devant le toubib autochtone (civil) qui décèle de l’eczéma et me donne de la pommade comme médicament. Cela fait moins mal que les produits que j’ai mis jusqu’à présent et de toute façon, ça fera autant d’effet que ceux-là. Je rentre vers dix-sept heures et prends le quart au soir, de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Mardi 1er mai 1951

Ce matin, étant remis d’aplomb, je fais l’ouverture de route de Phuoc-Haï et vais en liaison jusqu’à la tour Ly, la section de Nuoc-Ngot étant partie en opération dans le courant de la nuit sur Long-Haï, en coopération avec une section GVNS de la compagnie d’intervention de Baria, arrivée hier au camp de Nuoc-Ngot. Les coolies de Phuoc-Haï semblent enchantés de travailler pour le poste, puisqu’ils reviennent au poste à vingt.

Il est vrai que si les avantages sont modestes, ils sont tout de même meilleurs qu’à Phuoc-Haï où ils ne sont même pas nourris.

Dans la matinée, nous entendons une série de détonations provenant d’au-delà de la montagne, probablement de l’opération en cours. Les GVNS qui accompagnaient les coolies aux gaulettes ce matin et rentrent à onze heures nous signalent que des Viets s’apprêtaient à poser des mines sur la RP 44 et se sont enfuis en entendant un coup de fusil tiré sur une biche par un caporal qui accompagnait la corvée. Les rebelles venant de Long-Phu en suivant la RP 44 se dirigeaient droit sur le sergent Cambodgien Kien-Thoï du poste qui accompagnait les coolies et était posté en embuscade. Ils n’étaient plus qu’à cent mètres de lui et ne l’avaient pas vu. En entendant le coup de fusil, ils se sont enfuis en abandonnant du fil téléphonique servant à piéger les mines à distance. Vers treize heures, la section de Baria et celle de Phuoc-Haï rentrent de l’opération. L’après-midi, les coolies vont seuls aux gaulettes pendant que les GVNS font les barrières au poste. Dans le courant de l’après-midi passe tout près de la côte le Pasteur qui se rend en baie d’Along pour débarquer les troupes au Tonkin. Quart de 23h00 à 2h00. […]

Samedi 5 mai 1951

À six heures, réveil en fanfare par Bégel qui est de quart et tire trois coups de fusil sur trois types aux gestes étranges. Ils sont sur les dunes (côté plage) en face du poste, se baissent et se relèvent comme si ils voulaient se cacher. Cela ne répond pas. Un GVNS du poste y va voir : ce ne sont finalement que des civils qui partent au marché de Phuoc-Haï par la plage, comme tous les jours au matin, et qui ont repéré des traces laissées par une tortue de mer qui est venue pondre sur la plage au cours de la nuit.

Ils se sont sauvés dès que Bégel a tiré et c’est les autochtones du poste qui profitent de l’aubaine. Ils découvrent, à une trentaine de mètres de la mer, environ deux cents œufs de tortue, enfouis dans des trous dans le sable. Ces œufs sont de la grosseur et de la forme d’une balle de ping-pong de la couleur d’un œuf de poule, mais la coquille est toute molle. Ces œufs éclosent d’eux-mêmes par le soleil et les petites tortues regagnent la mer par leurs propres moyens. Ces animaux sont paraît-il très craintifs et il est difficile de les capturer à terre. Leur chair est, paraît-il, très fine et la soupe de tortue est renommée. Il est facile de suivre les traces de la tortue sur le sable fin de la plage, car elle a des palmes en corne à la place des pattes et laboure le sable en se traînant. Ce devait être une belle pièce, car les deux tranchées laissées par les palmes ont 50 centimètres de large. Certaines grosses tortues font jusqu’à trois cents kilos. […]

Dimanche 6 mai 1951

[Le garde Gallot participe à une opération permettant de sauver le pilote d’un hydravion tombé sur la plage de Lo-Khan, dans la zone tenue par le Vietminh].

Jeudi 10 mai 1951

Ce matin, visite du GR Nicolas du poste Sud de Phuoc-Haï qui se rend au ravitaillement à Nuoc-Ngot et arrête au poste en repassant. Il nous narre l’odyssée de la section de Phuoc-Haï qu’il commandait, lors de la protection de l’épave de l’avion accidenté, dimanche dernier. Il nous apprend qu’avec des jumelles, ils voyaient encore des rebelles récupérer de la ferraille sur l’épave, avant-hier. Quart de 1h00 à 4h00. R.A.S. […]

Vendredi 11 mai 1951

[…] Un fait regrettable arrive au soir, pendant le travail, parmi le personnel autochtone du poste Nord. Il est évident que depuis quatre mois qu’ils vont continuellement couper des gaulettes dans la brousse et construire des barrières de défense, les GVNS finissent par se lasser de ce travail monotone. En plus de cela, le capitaine nous poussant à terminer ce travail au plus tôt, nous avons mis le maximum d’effectif et, de ce fait, restons au poste. Pour que ça aille plus vite, nous ne leur donnons pas d’armes pour qu’ils aient plus de facilité pour travailler, mais ils reviennent effrayés, à seize heures, ayant essuyé une nouvelle fois un coup de fusil de la part des Viets, au pied de la montagne. Bref, depuis deux jours, à la suite d’une réprimande, ils ont plutôt tendance à saboter leur travail. Or, en rentrant de cette corvée, ils trouvent le camion de Nuoc-Ngot qui les attend pour aller charger des gaulettes (coupées par les coolies de Phuoc-Haï) déposées à la tour Ly et destinées aux travaux de défenses du village de Phuoc-Haï.

Par la même occasion, ils doivent escorter le camion qui doit ramener de l’armement de Phuoc-Haï. Ils partent à dix GVNS et un 1ère classe à la tour Ly, ils refusent de travailler sauf le 1ère classe et deux GVNS. Ils escortent cependant le camion jusqu’au poste Sud de Phuoc-Haï, mais refusent de le décharger.

Un violent orage s’abat sur la région entre-temps, et Latry reste quelque temps au poste Sud pour se mettre à couvert et charger l’armement. Il donne l’ordre aux mutins de fermer la porte du camion, mais ils refusent en ricanant. Il faut que l’adjudant Magnier, commandant du sous-quartier de Phuoc-Haï et du 18e escadron GVNS en empoigne un par le col et fasse mine de le frapper pour qu’il se décide, sous la contrainte, à exécuter l’ordre. Jusqu’à présent, ils avaient bien marché, mais cette fois, ils se sont montés la tête, l’un l’autre. Ce sont la plupart des Cambodgiens et c’est un peu leur nature. Habituellement plus loyaux que les Annamites avec les Européens, il leur arrive fréquemment de se disputer et de faire le cirque dans les postes.

Pendant la halte à Phuoc-Haï Sud, quelques-uns ont bu du choum et certains se sont enivrés. Par mesure de sécurité, nous ne leur remettons pas leurs armes, au soir et nous ne sortons que quatre fusils du magasin d’arme pour les hommes de faction et les gradés. Nous évitons de leur faire des remontrances sur le moment et ils se calment d’eux-mêmes. Cependant, le capitaine qui a eu vent de l’histoire n’est, paraît-il, pas content après eux et il est à prévoir qu’à la suite de cet incident et du compte rendu que Latry va lui faire parvenir, des sanctions graves seront prises à titre d’exemple. Quart de 4h00 à 7h00. R.A.S.

Samedi 12 mai 1951

Perception de la solde au matin. L’après-midi, Bégel et Latry descendent à Nuoc-Ngot. Ce dernier va subir les foudres du capitaine qui l’engueule sérieusement et menace de le foutre dedans. Toujours le coup classique. Il exige, à présent, qu’un Européen sorte avec chaque corvée et pour commencer, il décide de muter les délinquants et peut-être tous les Cambodgiens du poste. Bref, la grande engueulade. Comme il nous a prévenus qu’il s’emportait facilement, mais qu’il ne fallait pas en tenir compte, nous attendons stoïquement la suite des événements. Quart de 19h00 à 22h00. R.A.S. […]

Lundi 14 mai 1951

À quatre heures trente, réveil et préparatifs hâtifs en vue de l’opération par les GVNS qui sont désignés. Ils aiment mieux faire cela que de faire des corvées et sont tous prêts […].

Vers midi trente, les camions de Nuoc-Ngot ramènent la section et déposent le groupe du poste en passant. Tout le monde jubile, les résultats doivent être bons. En effet, ils nous apprennent que guidés par un prisonnier, ils ont anéanti un camp rebelle dans la région de Long-My, au pied de la montagne. Huit VM, dont une femme, ont été tués et tout leur armement, comprenant un mousqueton français, un fusil anglais, deux fusils américains et un mousqueton japonais ont été récupérés, ainsi que deux tromblons, des mines, grenades, documents (15 musettes), etc.

Cette fois, les VM ont été surpris, les sections se sont approchées du camp par la pluie battante alors que les rebelles avaient relâché la surveillance. Malheureusement, nous apprenons que le garde Nicolas, du poste Sud de Phuoc-Haï a été blessé aux cuisses et au ventre au cours de l’assaut. Tous ces détails nous sont contés par les GVNS du poste qui ramènent tous des souvenirs (cartouches récupérées, réveils, sacs tyroliens bourrés de linge, etc.). D’après leurs dires, Nicolas (note sur son décès) n’est pas gravement atteint, aussi nous espérons que c’est vrai. Il est cependant transporté d’urgence à l’hôpital du cap par un camion qui avait amené la section à Phuoc-Haï, l’ambulance étant occupée avec le sergent du poste Nord.

Des tas de documents intéressants sont récupérés, ainsi que des munitions tout calibre, des chargeurs de mitraillette Sten, des poignards, etc. malgré tout, quelques VM ont réussi à s’échapper. Inutile de dire qu’il y a de l’ambiance, car ça fait longtemps que des armes avaient été récupérées dans le secteur et après le coup de main pour assurer la protection de l’avion accidenté, les actions de la GVNS vont remonter.

Cependant, vers treize heures, le camion qui avait transporté Nicolas repasse à vide, accompagné par l’adjudant Magnier, commandant du 18e escadron GVNS à Phuoc-Haï et du sous-quartier de Phuoc-Haï et qui dirigeait l’opération. Le camion ralentit, l’adjudant se dresse sur le marchepied, nous fait un signe et nous crie ce simple mot : « tué ». Cette nouvelle nous plonge dans la stupeur et c’est à peine si nous pouvons y croire. Certes, d’après les dires des GVNS, nous pensions que sa blessure était sérieuse, mais sans aller penser qu’il ne pourrait y survivre. Nous avions tellement pris l’habitude que chacune de ces opérations se passe sans accrocs et, malheureusement, la plupart du temps, sans résultats, qu’il nous semblait impossible que l’un de nous soit atteint. Cette nouvelle nous ramène cruellement à la réalité. Et c’est le cœur serré que nous rappelons la carrière de ce cher camarade, unanimement estimé de tous (tant Européens du 7e groupe d’escadrons GVNS que des Vietnamiens de cette unité et des Européens du 2/22e RIC avec lesquels il avait participé à de nombreuses opérations dans cette zone de Long-Phu - Long-My ou Hoï-My - Xom-Ray.

Il était l’adjoint du commandant d’escadron et du sous-quartier et, lors de l’absence de celui-ci, il commandait avec compétence. Il connaissait tout particulièrement ces zones rebelles pour y avoir effectué de nombreuses patrouilles et c’est lui qui organisait les opérations et qui les commandait (telle que sa dernière opération pour assurer la protection de l’avion accidenté). Il était toujours en tête et jamais plus fier pour cela. Avec lui en opération, on se sentait en sûreté et pour rien au monde, les autochtones n’auraient voulu quitter le poste Sud de Phuoc-Haï. Il s’était tout particulièrement distingué le lundi de Pâques, l’année dernière, alors qu’effectuant une patrouille dans le même secteur où il vient d’être blessé avec un groupe du poste Sud, il était tombé dans une forte embuscade. Son commandant d’escadron (adjudant Tournbull) tué sur une mine et un sergent GVNS, il n’avait pas hésité à charger le corps de son chef sur ses épaules et à se saisir du FM pour protéger le repli de son groupe, sous un violent feu ennemi, jusqu’au poste Sud à 3 kilomètres. Pour ce magnifique fait d’arme, il avait obtenu la croix de guerre. Il s’était juré d’abattre un groupe VM et en était à son neuvième, mais il n’avait pas réussi à récupérer des armes (sauf un pistolet). Par une ironie du sort, c’est au moment où il réussissait le plus beau coup dans le coin qu’il est abattu. Sa tête était mise à prix par les rebelles qui le craignaient tout particulièrement.

Avant d’être en Indochine (depuis dix-neuf mois), il avait déjà fait ses preuves. Ayant été requis pour le service du travail obligatoire, il s’était caché, mais avait été repris par les Allemands. Emmené dans un camp de concentration en Allemagne, il avait réussi à s’en évader et après être passé en Hongrie, il avait terminé la guerre avec les partisans yougoslaves. Décidément, les lundis de fête ne portent pas chance au poste Sud de Phuoc-Haï, puisque nous sommes le lundi de la Pentecôte et que le dernier Européen tué au groupe d’escadrons était l’adjudant Tournbull, du même poste, tué le lundi de Pâques 1950.

Certes, nous aurons eu un gros succès sur les Viets de la région, mais ce succès aura été chèrement acquis.

Dans le courant de l’après-midi passent le capitaine Mazéas, commandant du 7e groupe d’escadrons et plusieurs Européens qui se rendent en délégation et vont assister aux obsèques de Nicolas au cimetière militaire de Baria. Un groupe de GVNS y va également pour rendre les honneurs. Tous sont en grande tenue. L’enterrement a lieu dans l’après-midi. Bégel s’y rend également avec le convoi. Il nous apprendra le soir, au retour, qu’une foule très nombreuse y assistait, ainsi que toutes les personnalités militaires du GBC, le commandant du GBC, l’administrateur de la Province de Baria (Vietnamien), des délégations de toutes les unités cantonnées dans la région de Baria, Long-Dien, Dat-Do, etc., tant européennes que vietnamiennes ou supplétives. De nombreuses fleurs recouvraient le cercueil drapé du drapeau tricolore. Il était bien connu à Baria où il était resté quatre mois, au début de son séjour. Il est transporté par six GR du 7e groupe d’escadrons GVNS qui lui avait fait une garde d’honneur à la caserne GVNS de Baria (au camp 1). Le capitaine Mazéas a fait un discours, ainsi que le commandant du GBC.

Lorsqu’on voit la rapidité avec laquelle les événements se précipitent (blessé mortellement à neuf heures, enterré à seize heures), on a du mal à réaliser. En raison du climat, chaque personne décédée est enterrée dans les plus brefs délais pour éviter la décomposition, très rapide dans ce pays. Le corps repose dans le cimetière militaire de Baria, déjà très étendu, aux côtés de sept autres GR tués précédemment dans le secteur. Pendant toute la durée des obsèques, une section assure la protection autour du cimetière, car celui-ci est en dehors de la ville et il est déjà arrivé que des VM viennent troubler l’enterrement en tirant sur le convoi. Le soir, les camions repassent, ainsi que l’ambulance et la jeep du capitaine, revenant de l’enterrement. Quart de 3h00 à 6h00. R.A.S.

Mardi 15 mai 1951

Des renseignements complémentaires nous parviennent sur l’opération d’hier. Nicolas aurait été atteint par une grenade, lancée par un VM qui n’était que blessé. C’est, d’après les renseignements fournis par un VM fait prisonnier la veille à Long-Phu et qui faisait partie du groupe viet qui cantonnait à cet endroit, que l’opération a pu avoir lieu. Après beaucoup de réticence, il accepte finalement de guider les sections, sinon il aurait été pratiquement impossible de trouver ce camp, dissimulé dans un véritable maquis. Aux dires du prisonnier, presque tous les rebelles seraient exterminés et presque tout leur armement serait entre nos mains.

Ceux-ci ont été totalement surpris puisque le groupe de pointe, avec Nicolas et Espeluze (du poste Sud de Phuoc-Haï), s’était approché de la paillote à quatre mètres et entendaient les VM discuter. Ils ont ouvert le feu à travers l’habitation et c’est en s’élançant à l’intérieur que Nicolas a été atteint à la fesse par un éclat que l’on croit être un éclat de grenade. Son camarade de poste, Espeluze, qui était à deux mètres de lui, l’a entendu lui dire : « ça y est, je suis touché ». Il avait l’artère fémorale coupée et perdait son sang en abondance. Il avait toute sa lucidité et leur signalait un VM qu’il supposait avoir touché un peu plus loin. L’infirmier qui participait à l’opération lui fit tout de suite une piqûre pour calmer ses douleurs, car il souffrait. Malheureusement, le temps de le ramener sur une civière de fortune a été très long. Il fallait emprunter un sentier à peine frayé, dans un maquis inextricable, ainsi il fallut deux heures pour en sortir et arriver à un camion. Il est décédé pendant son transfert sur l’hôpital du cap Saint-Jacques, vers Dat-Do.

Pendant que les GVNS fouillaient la paillote, les Viets leur tiraient quelques VB. Que penser de la douleur des parents quand ils recevront cette nouvelle, quand on sait que Nicolas avait reçu un télégramme deux jours plus tôt lui annonçant le décès de son frère, âgé de vingt-deux ans. Ils n’étaient qu’eux deux dans la famille qui reste dans les Basses-Alpes (Barcelonnette). Nicolas était célibataire et âgé de vingt-neuf ans. Il avait été proposé comme Mdl/Chef par le capitaine, mais il avait toujours refusé, quoiqu’il était parfaitement capable, ayant fait des études comme instituteur. Il terminait son séjour en novembre prochain et était auparavant à la 9e légion de Garde républicaine de Marseille.

À la suite de ces événements, les douze GVNS qui devaient être mutés restent au poste et ne le seront que demain. Dans la matinée, notre « boy » Vietnamien Pham-Van-Non se plaint de violentes douleurs au ventre. Décidément, c’est une véritable épidémie. Nous faisons venir l’infirmier de Nuoc-Ngot, qui diagnostique un commencement d’appendicite le mène au camp de Nuoc-Ngot et le fait transférer à Baria.

À présent, les deux Européens du poste sont avisés officiellement de leur départ. Latry descend au cap Saint-Jacques, au 17e escadron GVNS, muté avec un GR qui reviendrait ici. Bégel doit passer les consignes du poste à Turpin qui doit assurer les fonctions de chef de poste comme plus ancien en Indochine. Dès que celles-ci seront passées, il rejoindra son nouveau poste à la place de son successeur au 16e escadron GVNS à Baria. […]

Vendredi 18 mai 1951

[…] Nous apprenons que la Sûreté du cap Saint-Jacques a arrêté le « bep » (cuistot) du mess européen de la GVNS de cette ville qui était contacté par les VM et devait empoisonner les Européens dans un avenir très proche. L’attaque récente de la tour Piquet était, paraît-il, prévue à la suite d’une trahison d’un partisan de cette tour. Par bonheur, il a été dénoncé à temps et la tour était relevée par des GVNS, lorsque les rebelles sont arrivés. Heureusement que les autres occupants ne dormaient pas. Toujours est-il que le traître a été mis en état d’arrestation. Quart de 19h00 à 24h00. R.A.S. Magnifique clair de lune de 21h00 à 2h30. […]

Lundi 21 mai 1951

Repos la journée. Surveillance construction barrière. La malchance continue à affecter le poste Sud de Phuoc-Haï. Alors que Espeluze, rapatriable dans une quinzaine de jours, nettoyait sa mitraillette, il ne prend pas la précaution réglementaire, c’est-à-dire qu’il nettoie le canon de son arme alors que celle-ci est armée et chargée et l’inévitable se produit : il raccroche la tête de gâchette avec la baguette et le coup part, envoyant la baguette au plafond et lui éraflant le bras. Il n’est qu’égratigné, mais il fera certainement attention une autre fois. […]

Mardi 22 mai 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Nous rentrons trempés comme des canards : l’eau n’est pas froide, mais les armes se passeraient bien de cette douche pour se maintenir en bon état, aussi je passe le reste de la matinée à nettoyer ma mitraillette et mes chargeurs, alors que les autochtones nettoient leurs fusils. Bégel descend au cap Saint-Jacques pour trois ou quatre jours pour passer la radio en vue de passer de carrière.

Nous percevons aujourd’hui quelques bricoles (savonnette, maillot de corps, lait en boîte, papier à cigarettes, etc.) offertes par les lecteurs du journal le Figaro aux troupes d’Indochine. Nous nous partageons ces cadeaux. Le geste est très bien et ce n’est certainement pas les lecteurs de l’Humanité qui nous feraient des cadeaux de ce genre. Ils préféreraient envoyer des armes aux Viets ou déléguer ses reporters dans les rangs des « opprimés » Viets comme il l’a déjà fait. Je reste au poste dans l’après-midi pendant que Latry va accompagner les corvées de gaulettes. Quart de 0h00 à 3h00. R.A.S.

Mercredi 23 mai 1951

Repos le matin. Surveillance coupe piquets l’après-midi. Sur le soir, un pugilat a lieu entre deux GVNS récemment arrivés au poste. L’un d’eux reconnaît des vêtements parmi les affaires des autres. Ils commencent à se battre, le sergent Kien-Thoï intervient et reçoit des coups de poing de la part du voleur. Cette fois, nous les séparons, les amenons au bureau et faisons passer une petite séance de boxe au voleur. Ensuite, rapport et vraisemblablement la prison et mutation du poste. Le Mdl/Chef Cornebois, commandant du 19e escadron GVNS à Nuoc-Ngot, avisé des faits, vient aussitôt et il ne freinera certainement pas beaucoup pour le punir. À présent, nous allons adopter la tactique de Phuoc-Haï. Lorsqu’un autochtone fait des bêtises, une bonne raclée, il n’y a rien de tel. Il n’y a que comme cela qu’ils comprennent ainsi que les heures de gardes supplémentaires. C’est contraire au règlement, mais il n’y a que comme cela qu’on ramène le calme au poste et que ça marche. Quart de 3h00 à 7h00. R.A.S. […]

Lundi 28 mai 1951

Descente ce matin à Nuoc-Ngot pour aller au coiffeur. Retour avec la jeep de la soupe. L’après-midi, les camions descendent à Co-May (poste GVNS entre Baria et le cap Saint-Jacques) et ramènent au soir huit nouveaux GR débarqués ces jours-ci, en Indochine et descendus à Co-May avec la chaloupe GVNS Kouffra. Dans quelques jours, une dizaine de GR du 7e groupe d’escadrons de Nuoc-Ngot rejoignent Saïgon en vue de leur embarquement le 11 juin sur le Jamaïque et le 26 juin sur le Pasteur. C’est l’époque des grandes relèves.

Vers seize heures arrive le remplaçant du sergent Cambodgien Kien-Thoï (sergent Annamite Nguyen-Van-Lang), celui-là ayant demandé sa mutation à la suite du départ du chef de poste Bégel. Décidément, si ça continue, je vais être le plus ancien du personnel du poste. Le soir, un coup de téléphone de Nuoc-Ngot nous avise que je dois descendre demain à Baria, comme chef d’escorte du convoi. Quart de 22h00 à 1h00. R.A.S.

Mardi 29 mai 1951

Départ à huit heures avec le convoi de Nuoc-Ngot en vue d’aller chercher de l’armement à Baria. Nous arrivons là-bas à neuf heures. Un groupe de combat se trouve dans chacun des deux camions, ainsi que trois Européens. À onze heures quinze, nous revenons, escortés par une AM et un scout-car de l’escadron du 5e Cuir. de Baria, ceci en raison de l’importance de ce que nous ramenons. En effet, tous les FM anglais (Bren) du 7e groupe d’escadrons GVNS de Nuoc-Ngot sont changés par des FM français 24-29, aussi nous ramenons seize FM neufs, en caisses, et 62 000 cartouches. Cet armement est destiné à l’escadron de Phuoc-Haï et à celui de Nuoc-Ngot (ceux de Baria et du cap Saint-Jacques en étant déjà dotés).

C’est un armement qu’il ne faudrait pas laisser tomber aux mains des Viets et il faut tout prévoir. À Phuoc-Haï, nous déchargeons la moitié de ce matériel pour le 16e escadron GVNS de cette localité et ramenons le reste à Nuoc-Ngot où nous arrivons à onze heures, après un voyage sans encombre. Quart de 3h00 à 6h00. R.A.S.

Mercredi 30 mai 1951

Ouverture normale de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Le matin, perception de deux FM 24-29 tout neufs, en échange des deux FM « Bren » assez usagés. L’après-midi, descente à Nuoc-Ngot pour échanger mes chargeurs de mitraillette contre ceux de Gauthier qui quitte le PC demain pour le cap Saint-Jacques, étant rapatriable le 11 juin. Ces chargeurs étant plus neufs que les miens, je les avais repérés d’avance, car si il faut attendre après la direction pour nous doter de matériel neuf, nous pouvons attendre encore longtemps (les FM sont compris comme armement vietnamien).

Je fais la connaissance des huit nouveaux GR récemment arrivés. Tajent, Buisson, Girard, Gazard, Marsault, Moigno, Frelon et Berger. Ce sont tous des anciens en service, ayant jusqu’à treize ans de service et le plus vieux, âgé de 39 ans. Plusieurs sont d’anciens prisonniers. Ils viennent de la légion d’Allemagne (Tajent, Gazard, Moigno et Girard), de la 8e Légion GR (Frelon), de la 6e Légion bis de GR (Buisson qui était à l’escadron de Reims), de la Légion de Tunisie (Marsault). Les rangs de la garde ou de la gendarmerie doivent être dégarnis en jeunes, c’est pourquoi c’est au tour des anciens d’y venir. Bien entendu, ils sont tous obligés d’y venir et personne n’est volontaire. Le matin, deux GVNS du poste nous sont retirés, l’effectif étant en excédant (26 au lieu de 24). […]

Dimanche 3 juin 1951

Nous apprenons que des éléments cao-daïstes de Cho-Bo-Dap ont été sérieusement accrochés par des VM armés d’un FM au cours d’une opération dans le secteur de Hoï-My hier après-midi. Un adjudant Cao-Daïste a été tué. Cet après-midi, les GR Deflamme, Dumont (chef de garage du 7e groupe GVNS remplacé par le GR Marsault, nouvellement arrivé), Bauchet de Nuoc-Ngot (camp) et Espeluze (du poste Sud de Phuoc-Haï) viennent nous faire leurs adieux. Ils rembarquent le 11 juin et quittent le PC demain pour rejoindre la Base militaire de Saïgon. Nous apprenons que le GR Mounin remplace le garde Chagniot qui est également rapatriable au groupement d’Achat. C’est le garde Sihoan Alain qui remplace le garde Gauthier comme gérant du mess des Européens. Les GR Piérantoni et Collet remplacent les GR Sihoan Alain et Guillaume au poste Sud de Nuoc-Ngot. Quart de 20h00 à 23h00. À vingt et une heure, le poste Sud de Phuoc-Haï tire plusieurs rafales de mitrailleuse sur les dunes, en direction de Long-Phu, nous apercevons les balles traçantes. Probablement, un harcèlement fictif pour fêter le départ du GR Espeluze. […]

Mercredi 6 juin 1951

Un coup de fil de Nuoc-Ngot nous signale que ce jour est férié pour les autochtones : c’est, paraît-il, la fête de leur indépendance. Il n’y a pas besoin de leur annoncer la nouvelle deux fois. Ils ont tout de suite compris. À neuf heures, deux patrouilleurs de la Marine viennent stopper non loin de la côte, entre le camp et le poste Nord de Nuoc-Ngot et leurs officiers descendent à terre pour rendre visite au capitaine, celui-ci ayant été invité à manger à bord, dimanche dernier, au large de Phuoc-Haï. Vers midi, trois sous-officiers mariniers viennent nous rendre visite au poste Nord. Ainsi la Garde républicaine et la Marine vivent en bons termes en ce moment. Les officiers mangent au PC de Nuoc-Ngot et restent jusqu’à la nuit, alors qu’un navire reprend le large, vers seize heures. […]

Samedi 9 juin 1951

Un groupe du poste Nord avec Latry, fait l’ouverture de route jusqu’à la tour Ly puis descend en escorte au cap Saint-Jacques avec le convoi de Nuoc-Ngot. Nous apprenons que deux Viets ont rallié un poste de Phuoc-Haï hier, avec un mousqueton japonais. Parmi les prisonniers arrêtés avant-hier par des éléments GVNS de Phuoc-Haï se trouve un agent de la Sûreté VM qui fournit des renseignements intéressants sur l’organisation VM de Phuoc-Haï, ce qui fait que des patrouilles GVNS des trois postes circulent toute la nuit.

Ils ont arrêté également deux femmes VM dont une, originaire de Dat-Do, avait le rang de capitaine dans les rangs de l’armée féminine VM Ainsi, la compagnie GVNS de Phuoc-Haï continue à manifester son activité. Tous ces prisonniers sont dirigés ce matin par le convoi, au service de renseignements du GBC à Baria. […]

Mercredi 13 juin 1951

Réveil pour ma part à cinq heures trente et à six heures pour les autochtones qui ne sont prévenus qu’au dernier moment, par mesure de sécurité. À six heures quinze, deux groupes de Nuoc-Ngot arrivent au poste sous le commandement du Mdl/Chef Cornebois et des GR Buisson et Moigno. J’apprends que cette opération est faite dans le secteur de Long-Phu, en coopération avec une section de Phuoc-Haï qui part de cette localité.

Nous devons tenter de récupérer des bœufs, ceux-ci (un troupeau d’une centaine de têtes) constituent un cheptel pour les VM, aussi le commandant du GBC a donné l’ordre de s’en emparer (sauf les bœufs de travail). Notre section suit la RP 44 en direction de Long-Phu, puis oblique par la piste Balh en abordant la rizière de Long-Phu. Cette piste contourne tout le massif montagneux, en passant en pleine brousse, au pied de la montagne, derrière les villages de Long-My et Phuoc-Trinh, en pleine zone VM sur le versant Nord, puis derrière le village de Cho-Ben (à présent détruit, mais où se trouve un poste tenu par des éléments de la 6e compagnie du 2/22e RIC pour aboutir sur la route Lo-Voï – Cho-Ben, sur l’autre versant de la montagne. Nous suivons cette piste qui longe la rizière de Long-Phu, au pied de la montagne, et arrivons à la plantation Laurent (plantation d’hévéas, arbre à caoutchouc), abandonnée depuis 1947 et qui se trouve à deux cents mètres à droite de la piste Balh, à hauteur du village de Long-My (à 1,5 kilomètre de celui-ci). Cette plantation représente une soixantaine d’hectares d’arbres plantés en ligne, espacés de six mètres les uns les autres. Ces arbres végètent, n’étant pas soignés.

Nous retrouvons la section de Phuoc-Haï que nous avons entendu tirer peu de temps avant. Celle-ci est placée sous le commandement du commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï, l’adjudant Magnier. Il nous apprend que quelques VM leur ont tiré des coups de fusil et des VB en abordant le village de Long-Phu, blessant un coolie réquisitionné pour attraper les bœufs, de deux balles dans la cuisse. Il avait été enrôlé avec une quinzaine d’autres hier au soir. Par une mésentente entre les deux commandants de section, la section de Phuoc-Haï qui avait beaucoup moins de chemin que nous à faire, est partie trop tôt, aussi les VM et les bœufs se sont échappés vers Long-My et la plantation Laurent.

Les deux sections se déploient dans la plantation et la remontent pour aller rechercher les bœufs. Nous faisons attention, car cet endroit est pratiquement à découvert au milieu des allées d’arbres et la plantation est enclavée dans la brousse, aussi des lisières de celle-ci, les VM ont belle de nous attendre et de nous « allumer » à bout portant. Arrivés à l’autre bout de la plantation, dans le sens de notre marche, nous faisons un mouvement tournant pour rabattre le troupeau de bœufs vers la rizière de Long-Phu et nous refaisons le trajet en sens inverse, en repoussant le troupeau devant nous. Les VM n’osent pas se montrer et nous laissent tranquilles.

Nous traversons la rizière de Long-Phu et revenons à proximité du village pour rattraper les bœufs qui se sont sauvés devant nous. Arrivés à deux cents mètres, la section de tête tire au FM sur le troupeau et abat une dizaine de bêtes. Le reste du troupeau, affolé par la fusillade, se disperse dans les dunes, entre le poste Sud de Phuoc-Haï et la rizière de Long-Phu. Comme nous avons suffisamment de viande pour ravitailler les deux compagnies GVNS de Phuoc-Haï et Nuoc-Ngot, nous cessons la poursuite. Certainement que plusieurs bêtes ont été blessées et se sont sauvées dans la brousse.

Les VM nous laissent tranquille pendant les opérations de débitage. C’est la vraie curée. Au plus débrouillard les meilleurs morceaux. Pendant que quelques groupes restent en protection, les autres posent leurs armes et armés de poignards et de couteaux, pratiquent le dépeçage. Il est assez difficile de contenir les GVNS qui assurent la protection et voudraient y participer. Ils coupent à tort et à travers dans les bons morceaux pour en ramener un pour eux et leurs familles et il faut se batailler pour leur faire laisser les cuisses et les épaules que nous ramenons sur une charrette réquisitionnée à son propriétaire.

Nous rejoignons le poste Sud de Phuoc-Haï (distant de 1 kilomètre des « abattoirs ») à onze heures quinze en repassant par la RP 44 et en débouchant en face du poste Nord de Phuoc-Haï. Le partage a lieu entre les compagnies de Phuoc-Haï et Nuoc-Ngot et les garde-manger seront complets lorsque la distribution sera terminée. En somme, une petite opération peu fatigante, il ne faisait pas chaud et nous avons toujours marché sur de belles pistes. Nous avons fait connaissance avec la rizière inondée (c’est la saison des pluies), mais n’avons pas pris trop de bains de pieds. Les camions de Nuoc-Ngot nous ramènent et à douze heures trente, nous sommes de retour au poste avec le ravitaillement.

Nous apprenons que l’adjudant Magnier et le GR Quériault l’ont échappé belle ces jours-ci, sur la plage de Phuoc-Haï. Alors qu’ils se rendaient du poste Sud au poste Est de Phuoc-Haï, en suivant la plage à la tombée de la nuit, et qu’ils étaient accompagnés par Espeluze et quatre GVNS à deux cents mètres en avant d’eux, ils ont essuyé une rafale de mitraillette et une grenade de la part de VM cachés dans une barque. L’adjudant et Quériault n’ont eu que le temps de se jeter à plat ventre et la grenade a explosé à trois mètres d’eux sans les atteindre. Les VM ont réussi à s’enfuir dans la barque. […]

Lundi 18 juin 1951

Nous apprenons que la jeep de Nuoc-Ngot qui faisait la liaison avec le vaguemestre du cap Saint-Jacques est arrivée entre Cô-Tre et Dat-Do, quelques instants après qu’un camion du GBC venait de sauter sur une mine, à sept heures trente. Après le même coup pour le chef de bataillon Lorrain, du 2/22e RIC, il va devenir prudent de ne circuler que lorsque la route sera ouverte et avec une bonne escorte. Les dégâts sont légers au véhicule et personne n’est atteint parmi ses occupants. Ce sont des mines télécommandées, électriques que les VM, cachés dans la brousse, font exploser au passage du véhicule qu’ils désirent atteindre. Bien entendu, il leur faut une certaine précision et c’est ce qui explique que les mines sautent parfois trop en avant ou à l’arrière du véhicule visé, lui causant peu de dégâts. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Jeudi 21 juin 1951

Ce matin, rappel de solde pour les autochtones et perception de la prime d’encadrement pour nous. Nous apprenons que les unités de Phuoc-Haï viennent de se distinguer une nouvelle fois. Dans l’après-midi, une patrouille formée de deux groupes GVNS de Phuoc-Haï, effectuée dans le village VM de Xom-Ray, permet d’arrêter un permissionnaire VM au cours de la fouille du village.

Celui-ci, ramené au poste Sud de Phuoc-Haï et habilement interrogé, fournit des renseignements intéressants sur les VM de la région Long-My-Phuoc-Trinh, puis sous la menace, accepte de servir de guide jusque son cantonnement situé en pleine brousse, entre les villages VM de Long-My-Phuoc-Trinh, à sept kilomètres de Phuoc-Haï et cinq kilomètres en zone VM L’adjudant Magnier décide de monter un commando et d’effectuer un raid sur ce camp, dans la nuit même. Il a cependant participé à l’opération du matin sur Long-Haï et à celle de cet après-midi sur Xom-Ray, mais il a décidé de venger Nicolas qu’il estimait beaucoup et il n’hésite pas. Ils partent à vingt-deux heures, à vingt, dont six Européens armés de mitraillettes, guidés par le prisonnier. Il fait un beau clair de lune qui facilite leur marche dans les débuts mais, après avoir dépassé Long-My, ils abordent le véritable maquis qui se trouve entre cette localité et Phuoc-Trinh. Ils sont en plein cœur de la zone rebelle et pour aborder le camp VM, il n’y a qu’un sentier qui n’est pas miné. Ils font de nombreux détours pour éviter d’autres camps et finalement, après avoir rampé sur quatre cents mètres en pleine brousse, ils abordent le campement qui, d’après les dires du prisonnier, loge une vingtaine de Viets armés d’un FM.

Heureusement, celui-ci ne les trahit pas et leur fait suivre le bon chemin. Ils aperçoivent vaguement dans la pénombre du sous-bois, une petite clairière au milieu de laquelle se trouve une paillote sous laquelle des VM sont en train de dormir. Ils ouvrent le feu avec leurs armes automatiques et le FM qu’ils ont emporté. Des VM réussissent à s’enfuir, blessés pour la plupart (ils apprendront plus tard par des renseignements que huit VM sont morts dans la brousse aux alentours du camp attaqué à la suite de leurs blessures, mais en emportant leurs armes), mais l’un d’eux reste sur le terrain, tué sur le coup.

Le commando GVNS donne l’assaut et récupère une mitraillette Sten avec huit chargeurs pleins, un fusil et des munitions, dix grenades, une charge d’explosif, de nombreux médicaments et des documents importants, etc. Ils ne s’attardent pas. Certainement qu’ils n’ont pas récupéré tout, car ils ne font pas de lumière pour ne pas se faire repérer. Ils rentrent à trois heures du matin au poste Sud, lourdement chargés avec les paquetages qu’ils ont barbotés aux rebelles.

C’est vraiment un joli coup de réussi, surtout quand on voit dans quelles conditions. Il aurait suffi que le prisonnier les trahisse en arrivant au camp rebelle pour les mettre dans une fâcheuse situation, avec la plupart des pistes minées. Il s’avère qu’il n’y a que ces coups de commando avec un petit effectif qui se dissimule facilement qui réussissent. Sans renseignements, on ne peut rien obtenir et si on se doute que des camps VM se trouvent dans la brousse, on ne peut les découvrir sans guide ou alors, les VM sont prévenus et déménagent leur cantonnement.

[…] Malheureusement, cette action d’éclat sera atténuée par une mauvaise nouvelle qui nous parvient de Baria par le convoi qui en revient. Nous apprenons que plusieurs GVNS de la section d’intervention de Baria ont été blessés au cours d’une opération dans le secteur de Phu-My (au Nord de Baria), zone VM importante coupée de nombreux cours d’eau qui contrôle la route de Baria-Saïgon (détruite en partie par les rebelles). Le garde Courieux, faisant fonction de chef de section, serait grièvement blessé au ventre par un accident survenu avec sa mitraillette, alors qu’il débarquait sur la berge d’un rach, en zone VM. En sautant d’un LCM (bateau de débarquement), sa mitraillette a heurté le sol et une rafale est partie, le blessant grièvement au bas-ventre. Il est hospitalisé à l’hôpital du cap Saint-Jacques et les médecins ne répondent de rien sur sa guérison.

Ainsi, si la GVNS remporte des succès, elle les paie chèrement. Courieux avait été longtemps au poste Est de Phuoc-Haï et venait de l’escadron de GR de Maison-Carrée (Ager). Il était à son deuxième séjour (son 1er dans la Marine) et avait déjà été blessé au cours d’un accrochage, ce qui lui avait valu une belle citation. Il était très ardent pour mener cette guerre et était très estimé comme combattant et comme camarade. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. Tir d’artillerie de 21h00 à 23h00. Probablement les canons de Marine du cap Saint-Jacques qui tirent sur un village VM dans la région de Long-Haï-Co-May, comme ça leur arrive bien souvent. […]

Vendredi 29 juin 1951

À la suite d’un coup de fil reçu hier soir de Nuoc-Ngot, je me prépare activement le matin, à six heures, en vue de participer aux travaux de la réfection de la route de Lo-Voï - Cho-Ben. Un camion vient nous chercher à sept heures avec le groupe du poste.

Nous prenons en passant deux groupes de Nuoc-Ngot et trois Européens et poursuivons notre route jusqu’à Long-Haï et le lieu de travail (à 4 kilomètres de cette localité). Je dépose les sections et reviens avec un camion prendre quarante coolies de Phuoc-Haï et un groupe du poste Sud de P.H. et repars à Lo-Voï (lieu de travail au-delà de Long-Haï). Pendant que deux groupes font la protection des coolies de Long-Haï qui rebouchent les coupures (et il y a du travail, car elles sont de taille : tous les dix mètres, deux trous de un mètre cinquante de profondeur ne laissant qu’un étroit passage inutilisable pour un véhicule). À cet endroit, la route est surélevée au-dessus des rizières et toute la terre enlevée est perdue en contrebas, dans le marécage de la rizière. Quelques GVNS vont surveiller et assurer la protection de coolies de Long-Haï (50) occupés à récupérer de grosses pierres provenant d’un ancien débarcadère sur les rives du rach Co-May qui traverse la route de Baria - cap Saint-Jacques et vient aboutir dans la mer, à deux kilomètres de Long-Haï. Il faut donc que la marée soit basse, pour que l’eau du rach suive le flux et qu’on puisse récupérer les pierres, car cette marchandise est rare dans ce coin d’Indochine et il y en a peu. Les deux camions du camp de Nuoc-Ngot sont employés à transporter ces pierres jusqu’aux coupures (à un kilomètre), ainsi que des charrettes à bœuf de Long-Haï, réquisitionnées avec leurs propriétaires.

Pendant ce temps, je pars ouvrir la piste parallèle à la route coupée par où la jeep était passée dernièrement. Depuis une semaine que ce véhicule est passé, les VM l’ont barré sur deux kilomètres avec des gros arbres qui la bordaient (elle passe en pleine brousse au pied de la montagne). Nous partons avec treize GVNS dont trois sont armés de mitraillettes, les autres de grenades. C’est vraiment peu pour protéger quarante coolies, en pleine brousse, à 2 kilomètres des autres éléments qui travaillent sur la route. Il y a du travail pour dégager cette voie de 3 mètres de large pour permettre à un véhicule de passer, d’autant plus que la piste, défoncée par les dernières pluies, est sinueuse et il faut raboter les coins de brousse, trop aigus. Je me demande vraiment pour quelle raison on nous fait faire ce travail, car ce ne seront certainement pas les convois qui passeront sur cette piste, ils resteraient embourbés et seraient certains de sauter sur des mines, car il nous serait impossible de les repérer et les VM sont chez eux, ils n’ont qu’à dévaler la montagne sous le couvert de la brousse épaisse pour arriver sur cette piste qui passe juste au pied. Enfin, il ne faut pas chercher à comprendre. Tout ce qu’il faut souhaiter, c’est que l’envie de nous jouer un mauvais tour ne prenne pas aux VM, car ils ont la nature avec eux.

Dans la matinée, je retourne sur les lieux des travaux où se trouve le plus gros des effectifs et réclame au Mdl/Chef Cornebois qui dirige les travaux, un peu de renfort car c’est un peu hardi de stationner pendant des heures avec 40 coolies, dont quelques-uns sont peut-être affiliés aux VM en pleine zone rebelle avec trois mitraillettes comme protection. Il me déclare qu’il n’a pas assez de personnel et je l’invite à venir avec moi pour se rendre compte des travaux et de l’endroit où nous travaillons. Il m’envoie une section de Cao-Daïstes de Long-Haï, mais ceux-ci ont bien soin de ne pas aller plus loin que sur la route à un kilomètre d’où nous sommes, aussi il ne faut pas compter sur eux. À midi, il revient avec moi et tout le personnel employé à ce travail jusqu’aux coupures, où tout le monde casse la croûte. La soupe nous est apportée par une jeep de Nuoc-Ngot, alors que les coolies sont nourris par la GVNS (seule gratification qui leur est accordée). Nous nous apprêtons à repartir à quatorze heures, lorsque quelques coups de fusil sont tirés de la lisière de la brousse, en face de nous, au pied de la montagne, par des VM qui se sont rapprochés pendant que l’on mangeait.

Quelques balles nous sifflent aux oreilles, mais les coups de feu sont tirés de 300 mètres et ont peu de précision. Les GVNS du poste Nord de Nuoc-Ngot qui assurent la protection de l’équipe de coolies qui rebouchent les coupures et qui ont aperçu les VM, tirent au FM, mais dès la première rafale, celui-ci s’enraye. Je suis un peu éloigné d’eux et me précipite à leur côté, alors que les VM se sont déjà enfuis. Je démonte le FM, le remonte, tire une rafale et ça remet cela. Heureusement que les Viets ne sont pas ardents. Je démonte mon FM qui continue à s’enrayer, faute de rodage probablement. En fin de compte, je le laisse « présumé » réparé, il ne craint rien puisque les deux FM des groupes de Nuoc-Ngot sont à côté, ainsi qu’un groupe de Cao-Daïstes de Long-Haï avec FM et mortier de 50mm japonais.

Je repars où j’étais le matin, mais par mesure de prudence, je prends cinq voltigeurs, armés de fusils avec moi. À quinze heures trente, alors que le travail s’avance (depuis le matin nous avons déblayé un kilomètre environ) et que nous nous avançons toujours plus loin en zone VM et que nous éloignons des autres unités, occupées sur la route, quelques coups de fusil sont tirés, entre l’endroit où nous nous trouvons et celui où les autres font les cantonniers. Nous redoublons de vigilance, restons jusqu’à seize heures dix et revenons, en espérant que le travail que nous avons fait aujourd’hui ne sera pas à refaire demain. Il est si simple pour les VM de récupérer des coolies au cours de la nuit et de leur faire barrer la piste une nouvelle fois. Espérons, pour les gardes qui assureront la protection demain, que les VM n’auront pas mis de mines au cours de la nuit sur la piste réparée, car le terrain s’y prête à souhait.

Au retour, au point d’embarquement où les autres équipes réparent la route, nous trouvons le capitaine Mazéas, venu inspecter les travaux en cours et qui nous déclare que ceux-ci doivent être terminés pour dimanche. À dix-huit heures, nous sommes rentrés à Nuoc-Ngot, puis toujours en camion, nous rejoignons le poste Nord. Rappelons que les coolies sont des Annamites de basse classe à qui nous retirons les laissez-passer qui leur tiennent lieu de pièce d’identité en les invitant à venir travailler quelques jours pour les récupérer. Ils sont pointés chaque jour et s’ils ne viennent pas un jour, ils sont obligés d’y venir le lendemain ou le surlendemain, car ils ne peuvent circuler sans pièce d’identité et si ils sont arrêtés, ils sont mis en prison. C’est un moyen comme un autre d’avoir de la main-d’œuvre à bon marché et il est tout à fait légal, vis-à-vis des autorités, à la condition toutefois, que ça soit pour faire un travail d’utilité publique. Pour ce travail, ça va permettre aux habitants de Long-Haï de reprendre le trafic avec Long-Dien.

Nous apprenons qu’un VM de Long-Phu a rallié la tour T1 ce matin avec un fusil « Mauser » et un sous-lieutenant Viet le poste Nord de Phuoc-Haï l’après-midi. À ce train-là, ça va déblayer de leur côté. Ils commencent à en avoir assez, le ravitaillement étant difficile chez eux et la monnaie n’ayant aucune valeur. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S. […]

Lundi 2 juillet 1951

Au cours des travaux d’hier, un GVNS du poste Nord de Nuoc-Ngot, qui était occupé à récupérer des poutres dans des décombres, a été piqué par un scorpion. Aussitôt son bras est paralysé et nous le faisons évacuer avec la jeep qui nous amène la soupe pour subir une piqûre antivenimeuse. Il aura la fièvre pendant deux jours, puis ça se passe. Ces animaux malfaisants pullulent dans les décombres, ainsi que les serpents. […]

Jeudi 12 juillet 1951

Bégel descend dans le courant de la matinée à Nuoc-Ngot. Vers huit heures trente, une jeep avec des Européens de Phuoc-Haï puis peu après, un camion transportant une section de Phuoc-Haï, se dirigent vers Nuoc-Ngot. Je suppose que ces troupes vont effectuer une opération au-delà de Long-Haï, à moins qu’elles n’assurent la protection des travaux de la route de Cho-Ben. Peu de temps après, l’ambulance de Nuoc-Ngot monte vers Phuoc-Haï. Je ne m’en formalise pas, supposant qu’elle transporte un malade, comme ça lui arrive de temps à autre.

Ce n’est que vers dix heures, en voyant une certaine animation parmi les autochtones du poste qui écoutent l’un des leurs qui rentre de Nuoc-Ngot que j’apprends par celui-ci, qu’un gros coup dur est arrivé ce matin sur les lieux de travail des éléments de Nuoc-Ngot qui réparent la route de Cho-Ben. Le camion, qui transportait ce matin à huit heures deux groupes de Nuoc-Ngot, s’engage au milieu des coupures récemment réparées, à l’endroit où les travaux sont en cours. En arrivant aux premiers bois, alors que le camion marche au ralenti en raison du mauvais état de la route, une mine télécommandée explose trois mètres devant le véhicule. Le camion n’a pas le temps de s’arrêter et vient s’échouer dans le trou. C’est une embuscade et immédiatement le GR Faure saute dans une coupure à proximité en même temps que le reste du personnel qui se trouvait à l’arrière du véhicule. Le chauffeur du camion (Cambodgien Kim-Ké) se planque également dans une coupure. Tout le personnel est à terre lorsque les VM commencent à tirer sur eux. Le GR Tajent qui se trouvait dans la cabine, au milieu, est blessé grièvement à la poitrine en se dégageant. Les deux Européens se trouvant à l’avant du camion séparé des autochtones qui ont sauté sur l’arrière, ces derniers s’affolent et commencent à se replier, sauf quelques-uns qui restent aux côtés des Européens. Pour l’instant, les rebelles ne font que tirer de 50 mètres à l’avant du camion. C’est alors que le chauffeur du camion crie au GR Faure « chef, attention grenade ». Celui-ci n’ayant probablement pas entendu avec la fusillade ne bouge pas et ne voit pas tomber le projectile à ses pieds. Alors que le chauffeur a le temps de faire un bond et n’est pas atteint, Faure est blessé à la jambe par l’explosion de la grenade. Celle-ci a été lancée des fourrés qui se trouvent au bord de la route, en face du camion, par des VM qui ne s’étaient pas encore dévoilés. Pendant ce temps, Tajent s’était planqué sous le camion et commence à tirer à la mitraillette, mais celle-ci s’enraye. Un FM atteint par un VB est mis hors de service, aussi le GR Tajent n’a plus que la ressource de faire comme les GVNS et il se replie. Il se camoufle derrière un buisson pendant que Faure commence à se replier en rampant dans le fossé.

Hélas, il est blessé et n’a pas le temps de rejoindre les groupes et il est assailli par une trentaine de rebelles qui donnent l’assaut en hurlant et qui s’emparent du camion. Ils se précipitent sur Faure et l’achèvent au coupe-coupe, sous les yeux de Tajent, impuissant. Ils montent dans le camion et s’emparent des musettes des GVNS, des chargeurs d’un FM et d’un fusil qu’un GVNS, dans son affolement, a oublié dans le camion. Ils déchaussent Faure et s’emparent de ses chaussures, de sa mitraillette et de ses chargeurs de mitraillette.

Plusieurs GVNS sont atteints par des éclats de grenades, mais cependant, les autres ne réagissent pas et, entre autres, le FM encore intact ne tire même pas sur les VM qui fouillent le camion à 100 mètres d’eux.

Puis cette tragique embuscade qui n’a pas duré dix minutes s’atténue et les GVNS réagissent, mais il est trop tard et ils ne trouveront plus que Faure, égorgé et affreusement défiguré (trois coups de poignard dans la poitrine et un coup de marteau sur la tête) et Tajent, évanoui et perdant son sang en abondance. Les VM ne se sont pas attardés et ont vite disparu dans la brousse.

Il est à déplorer que les Vietnamiens, à part quelques-uns, se sont affolés en voyant les deux Européens hors de combat et n’ont pas cherché à contre-attaquer lorsque les VM ont donné l’assaut, ce qui aurait peut-être permis à Faure de se sauver. Il est heureux que les rebelles n’aient pas aperçu Tajent, car il est évident qu’il aurait subi le même sort que son infortuné camarade. Il est blessé à la poitrine par un éclat et a une balle dans la cuisse. Ils ont été ramenés immédiatement par le camion jusqu’à Nuoc-Ngot et, pendant que les Cao-Daïstes commençaient à fouiller le terrain autour du lieu de l’embuscade, l’ambulance que j’ai vu passer emmenait Tajent à l’hôpital du cap Saint-Jacques.

Il est évident que les VM avaient repéré notre habitude de venir de Nuoc-Ngot à Lo-Voï en camion, tous les jours au matin à la même heure, sur une route qui passe en pleine brousse. Il y a eu une grosse imprudence de la part des Européens qui se sont engagés sur la route récemment réparée sans faire l’ouverture de route. Ce coin était dangereux et la mine qui avait été récupérée quelques jours avant, exactement au même endroit, aurait dû les rappeler à la prudence. Mais aussi, est-ce que la plus grosse part de responsabilité ne vient pas du commandement qui, sans souci des règles élémentaires de prudence, avait décidé que la route devait être ouverte dans un délai très court.

Trois jours avant, lorsque j’étais venu aux travaux et qu’en arrivant aux coupures, j’avais demandé au commandant du 19e escadron GVNS (Mdl/Chef Cornebois) s’il fallait faire descendre la section pour faire l’ouverture de route sur l’endroit récemment réparé, il m’avait répondu que nous n’avions pas le temps, car il fallait avoir fini pour vendredi. Faure et Tajent étant nouvellement arrivés en Indochine se sont fiés à cet ordre et en ont fait autant. Il est à déplorer que certains prennent cette guerre à la rigolade, sans souci des pertes en vie humaine et se laissent aller à une trop grande confiance dès qu’un calme relatif se fait dans une région. Il a été prouvé qu’il fallait être constamment sur ses gardes dans cette guerre d’embuscades, différente des guerres classiques et, malheureusement, la plupart de ceux qui tombent ici sont ceux qui ont oublié les règles. Ce gros coup dur vient nous le rappeler.

Résultat : une veuve et deux orphelins. Faure, originaire de Saint-Étienne faisait partie du 2e escadron de la 9e Légion de GR cantonné à la caserne des Aygalades à Marseille. Je le connaissais de nom, lorsque j’avais passé un mois et demi avant d’embarquer pour l’Indochine. Il était arrivé à Nuoc-Ngot le 22 mars 1951 et était père de deux enfants en bas âge. Cette situation de famille lui donnait le droit d’être dans des coins moins exposés et il devait être muté incessamment au 17e escadron GVNS au cap Saint-Jacques.

Quant à Tajent, grièvement blessé, il venait de la Gendarmerie d’occupation en Allemagne et était débarqué à Nuoc-Ngot le 28 mai dernier. Il est âgé de trente-neuf ans, célibataire et ancien prisonnier en Allemagne.

Vers treize heures, la section de Phuoc-Haï rentre. Elle avait été envoyée immédiatement sur les lieux de l’attaque, en vue de patrouiller sur les lieux et de tenter de retrouver trace des VM, mais sans résultats, car un terrain couvert sur des centaines d’hectares d’une brousse épaisse. Pendant l’attaque du camion, les éléments du 2/22e RIC qui réparaient la route à un kilomètre avaient été harcelés (vraisemblablement pour les empêcher d’aller porter secours). Les rebelles, qui avaient très bien organisé leur embuscade, devaient être au moins deux sections et bien armés.

Dans la matinée et toute la journée, ce ne sont que des allées et venues de véhicules entre Baria et Nuoc-Ngot. À onze heures, une ambulance du GBC passe devant le poste, transportant le corps de notre infortuné camarade à Baria où a lieu l’enterrement cet après-midi. Inutile de dire si cette nouvelle nous a plongés dans la consternation.

Bégel, rentré sur la fin de la matinée, se rend à l’enterrement avec une délégation d’Européens et d’autochtones de Nuoc-Ngot. Après l’escadron de Phuoc-Haï le 14 mai avec Nicolas, celui de Baria le 21 juin avec Courieux, cette fois c’est l’escadron de Nuoc-Ngot qui paye son tribut.

Bégel rentre le soir, ainsi que Latry (sorti de l’hôpital du cap Saint-Jacques hier et venu avec une délégation de GR de l’escadron du 17e escadron GVNS de cette ville). Faure repose aux côtés de Nicolas dans le cimetière militaire de Baria. Comme pour ce dernier, de nombreuses délégations de toutes les unités du GBC qui ont offert de nombreuses couronnes de fleurs assistaient aux obsèques. Un discours a été prononcé par le capitaine, ainsi que par le commandant Ourtha, commandant du 3e régiment GVNS dont nous faisons partie. J’apprends que l’état de Tajent ne mettrait pas ses jours en danger, quant à Courieux, son état est stationnaire.

Le soir, vers vingt-deux heures, nous entendons une série de rafales du côté de Cho-Bo-Dap pendant quelques minutes, suivies de quelques détonations. Nous apprendrons le lendemain que c’est une section de Phuoc-Haï qui partait en embuscade qui a eu un accrochage avec des VM entre les tours T1 et T2 sur la route Phuoc-Haï - Cho-Bo-Dap. Aucune perte de notre côté. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S.

Vendredi 13 juillet 1951

Ce matin, les autochtones descendent avec Latry au PC à Nuoc-Ngot pour percevoir des effets, pendant que Bégel descend avec un groupe d’escorte du poste au Cap Saint-Jacques. Je reste donc pour recevoir un adjudant inspecteur des munitions qui est déjà venu voilà trois mois. Il est de bonne humeur, nous félicite pour la bonne tenue du magasin d’armes et des munitions et a le plaisir de nous annoncer que la GVNS surpasse les autres Armes dans ce domaine. Il (adjudant Chigot) est avec le Mdl/Chef Piccard qui fait du rabe depuis un mois et n’a toujours pas de nouvelles sur son rapatriement.

C’est en ce moment la série des visites à Nuoc-Ngot et un capitaine dentiste (Martiniquais) est venu au camp depuis deux jours pour soigner les Européens et les GVNS, ainsi que leurs familles. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Lundi 16 juillet 1951

Latry descend à Nuoc-Ngot à sept heures et prend le commandement d’un groupe de Nuoc-Ngot qui assure la protection des travaux de la route Long-Haï - Cho-Ben. Deux sections de Baria restent pendant deux jours à Nuoc-Ngot pour assurer la protection de ces travaux. Alors qu’un groupe est parti à l’ouverture de route de Phuoc-Haï, je reçois un coup de fil de Nuoc-Ngot nous avisant de nous tenir prêts à recevoir le commandant du 3e régiment GVNS (commandant Ourtha) qui est depuis hier à Nuoc-Ngot. Je fais prévenir le groupe d’ouverture et c’est le branle-bas habituel qui précède chaque visite de ce genre.

Malgré toute notre diligence, il vient entre huit et neuf heures, alors que nous sommes à peine prêts. Il visite le poste après qu’un groupe lui présente les armes. L’inconvénient, c’est que, pris au dépourvu, les FM ne sont pas enchaînés au magasin d’armes comme les notes le prescrivent, ce qui fait l’objet d’une remarque de la part du commandant. Cependant, comme il n’est pas mauvais et que le capitaine Mazéas, qui l’accompagne, n’a pas sa langue dans sa poche, ça se passe bien et vingt minutes après, il repart.

Latry rentre à treize heures, les travaux de la route de Cho-Ben étant terminés. La route est rendue praticable pour le passage de véhicule et les véhicules hippo (tilburys) de Long-Haï et Long-Dien vont pouvoir reprendre leur trafic. Ces travaux nous auront tout de même coûté la vie de l’un des nôtres et des blessures à plusieurs (Tajent et six autochtones, blessés par éclats de grenade). Il n’aura pas fallu moins de quinze jours pour y parvenir. Latry, qui effectuait une patrouille avec un groupe renforcé par un groupe de Baria, sur la piste que nous avons ouverte au cours de ces travaux, aperçoit une dizaine de VM s’enfuir aux abords de celle-ci, à hauteur du kilomètre 6. À et endroit, la piste est encaissée entre des talus couverts de maquis, mais les rebelles les voyant en force se sont enfuis, sans tirer. Repos la journée. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Mercredi 18 juillet 1951

[…] Je retrouve Courieux de Baria qui se remet difficilement de sa blessure au bas-ventre et que j’ai peine à reconnaître. Tajent, récemment blessé au cours de l’embuscade sur la route de Cho-Ben, couvert de pansements à la suite de blessures multiples par éclats de grenade et Doumenc, sortant ces jours-ci, après avoir subi une opération de l’appendicite. Tous les jours, ils ont la visite des GR de l’escadron GVNS du cap Saint-Jacques qui vont s’informer de ce qu’ils ont besoin. Je rentre à midi à Nuoc-Ngot rapportant le courrier toujours attendu avec impatience. Au cours de l’aller, nous entendons le canon de Long-Dien qui effectue des tirs de harcèlement sur la montagne de Phuoc-Trinh, en zone VM. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S.

Jeudi 19 juillet 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Ce matin, descente à Nuoc-Ngot pour faire des courses. En arrivant au camp, je rencontre une jeep qui se dirige vers Phuoc-Haï et dans laquelle se trouve le Mdl/Chef Piccard, l’adjudant inspecteur des munitions, le Mdl/Chef Cornebois, etc. Comme ils font sauter de vieilles munitions depuis quelques jours, je suppose qu’ils y vont encore. Je fais mes courses dans Nuoc-Ngot et une heure après, vers dix heures trente, j’entends une formidable explosion et vois une grosse fumée s’élever sur la plage à quatre cents mètres du camp, entre celui-ci et le poste Nord de Nuoc-Ngot. Des éclats viennent retomber sur le camp, c’est dire la violence de l’explosion. Je n’y prête pas plus d’attention et continue mes courses.

Peu après, je vois un remue-ménage dans le camp et le GR Bergeun arrivé en même temps que moi en Indochine, secrétaire en chef du PC du 7e groupe et bras droit du commandant de groupe lorsque celui-ci n’est pas là (c’est le cas aujourd’hui) m’annonce que le Mdl/Chef Piccard et l’adjudant Chigot viennent de sauter avec les munitions. Cette nouvelle me plonge dans la stupeur et je m’offre pour accompagner le camion qui se rend sur les lieux de l’accident. Une équipe d’autochtones est déjà sur les lieux, ramassant les débris informes de nos infortunés camarades, sous les ordres du Mdl/Chef Cornebois. Sur un rayon de deux cents mètres du lieu de l’explosion, nous retrouvons des morceaux de chair gros comme le poing. À 150 mètres du lieu de l’explosion, nous retrouvons sur la plage (à vingt mètres de la mer), les deux jambes du Mdl/Chef Piccard. Les recherches sont facilitées par l’absence de végétation, le sol ne comprenant que du sable fin.

Le dépôt de munitions comprenant plusieurs obus de mortier de 4 pouces, des obus fumigènes, des grenades, etc. toutes des munitions jugées inutilisables par l’inspecteur des munitions qui avait donné l’ordre de les détruire, a explosé au pied d’un gros rocher, à trente mètres de la mer, aussi il est à déplorer que nous ne trouverons pas tous les restes, certains étant tombés vraisemblablement à la mer.

Aux dires du Mdl/Chef Cornebois qui se trouvait à 400 mètres de l’explosion, sur un petit monticule et comptait prendre une photo de la colonne de fumée, le Mdl/Chef Piccard et l’adjudant Chigot, qui avaient préparé la charge, avaient essayé la mèche lente avant pour voir si elle fonctionnait bien et l’avaient disposée après la charge. Pendant ce temps, les autres Européens qui se trouvaient sur la route (Nuoc-Ngot - Phuoc-Haï) s’étaient planqués. Après avoir allumé la mèche, l’adjudant et le chef étaient revenus en courant. Normalement, l’explosion devait avoir lieu trois minutes après que la mèche était allumée mais, pour une cause qu’on ne saura jamais, elle n’a pas fonctionné. Après avoir attendu dix minutes par mesure de sécurité, les deux hommes sont repartis à côté de la charge, en recommandant aux autres spectateurs de rester planqués. Ils se sont penchés sur la charge, ont touché à la mèche, provoquant l’explosion.

Après de minutieuses recherches, nous rassemblons les débris informes dans deux toiles de tente. Des sandales déchiquetées et un porte-monnaie appartenant au chef Piccard sont retrouvés, ainsi que des billets déchiquetés. Pendant ce temps, Bergeun envoie un télégramme au capitaine Mazéas qui était descendu au cap Saint-Jacques et au GBC L’ambulance, partie hier, étant restée en panne entre la tour T2 et Cho-Bo-Dap, une ambulance du GBC vient chercher les restes de nos infortunés camarades et les emmène à douze heures trente à Baria où doit avoir lieu l’enterrement.

Ainsi, la GVNS traverse en ce moment une série noire qui nous coûte cher. Chose bizarre, ce sont les Européens qui en font les frais à chaque fois. Si ça continue à ce train, nous allons reprendre le triste privilège que nous avions en 1948 (la Garde républicaine arrivait la deuxième après la Légion Étrangère comme perte en vies humaines). Par une sorte de fatalité, c’est encore un père de famille qui est tué. Depuis le 10 juin dernier, le Mfl/Chef Piccard était rapatriable et le matin, il disait justement que c’était la dernière fois qu’il faisait sauter des munitions et qu’il se reposait après. Il s’occupait des munitions du 7e groupe d’escadrons GVNS à Nuoc-Ngot depuis le début de son séjour et avait fait sauter plus d’une fois des munitions : c’est dire si il s’y connaissait. De plus, l’adjudant Chigot, qui assurait les fonctions d’inspecteur des munitions dans le groupement Baria-Cap n’en était pas à sa première destruction de munitions non plus, c’est dire que la fatalité y était.

C’est un accident stupide, car il aurait été plus simple et moins dangereux de réquisitionner une barque de pêche et d’aller balancer les munitions en mer. Le Mdl/Chef Piccard était originaire de Reims (Flechambaut), marié, père de trois enfants (dont l’aînée a sept ans) et venait de la Garde républicaine de Drancy (1ère Légion). Il était d’esprit jovial et n’avait pas son pareil pour égayer une réunion. Il était unanimement estimé par les Européens et autochtones du 7e groupe d’escadrons GVNS et par les Européens des autres unités de la région. Il était venu au poste dernièrement et m’avait promis de me rendre visite à Epoye.

L’adjudant Chigot, inspecteur des munitions dans le GBC, était également connu de toutes les unités. Il était également marié et avait un an de séjour en Indochine.

Je pars avec Latry à quatorze heures trente, plusieurs Européens de Nuoc-Ngot et une délégation d’autochtones (entre autres des civils qui travaillaient au camp et estimaient beaucoup le Mdl/Chef Piccard). En passant à Phuoc-Haï, nous prenons une délégation d’Européens de chacun des trois postes de cette localité et poursuivons notre route sur Baria où nous arrivons à quinze heures quarante-cinq. Le camion se rend à la caserne GVNS où nous retrouvons une délégation de l’escadron GVNS du cap Saint-Jacques et une de l’escadron GVNS de Baria. Nous nous rendons aussitôt à la morgue où deux groupes de GVNS, sous le commandement du GR Chevaucher, de l’escadron de GVNS de Baria, forment une haie d’honneur. Les deux cercueils reposent côte à côte, recouverts d’un drapeau tricolore.

À chaque officier qui va se recueillir devant les corps, les groupes d’honneur présentent les armes. Petit à petit, des délégations de toutes les unités de la région de Baria arrivent avec de nombreuses couronnes et des fleurs. Vers seize heures trente, le colonel Maréréraux, commandant du groupement Baria-Cap, le lieutenant-colonel Simon, commandant de la 1ère légion de marche de Garde républicaine, le commandant Lorrain, commandant du 2e bataillon du 22e RIC de Baria, les commandants de compagnie du 22e RIC, le commandant vietnamien des forces cao-daïstes du GBC, le commissaire de police, des délégations des forces supplétives, etc. L’administrateur vietnamien de la province de Baria arrive également et va s’incliner devant les corps, puis un prêtre autochtone qui va faire l’office religieux, secondé par deux enfants de chœur annamites, arrive et les obsèques commencent.

Je suis désigné avec cinq autres GR pour porter le cercueil du Mdl/Chef Piccard, tandis que six autres GR et sous-officiers du 2/22e RIC portent le cercueil de l’adjudant Chigot. Les corps sont posés dans deux Dodges 4x4 et le convoi s’ébranle en direction de l’église où une bénédiction est donnée, accompagnée de chants par des jeunes Annamites, sous la direction de sœurs Annamites. Le convoi continue lentement jusqu’au cimetière militaire situé à 300 mètres en dehors de la ville.

Là, les corps sont descendus des véhicules et transportés dans le coin du cimetière réservé aux Européens. Des discours sont prononcés par le capitaine Mazéas, commandant du 7e groupe d’escadrons de la garde du Vietnam Sud à Nuoc-Ngot par le colonel Maréréraux, commandant du groupement Baria - cap et par le chef de province vietnamien de la province de Baria. Les deux cercueils sont placés aux côtés des GR Nicolas et Faure, tués dernièrement. Dans ce coin de cimetière reposent de nombreux Européens du 2/22e RIC qui, depuis la guerre, ont toujours combattu dans le secteur, des anciens du CIFAC. Pendant toute la cérémonie, une section de la coloniale assure la défense du cimetière afin que les VM ne viennent pas troubler les obsèques.

Brève cérémonie qui se passe si rapidement en raison de la température que ça semble irréel. Celle-ci se termine à dix-huit heures trente et à dix-neuf heures quinze, nous sommes de retour dans nos cantonnements respectifs. Il m’a été donné de voir l’intérieur de l’église de Baria, hélas dans de tristes conditions, qui est très belle et richement décorée.

Cette nuit, je suis de repos. Nous prenons à présent le quart à quatre, en continuant à prendre le sergent autochtone avec nous, ce qui fait qu’il y en a un tous les soirs de repos.

Vendredi 20 juillet 1951

Nous apprenons hier à Baria que la GVNS de cette localité est en effervescence. Un GVNS cambodgien ayant reconnu un rallié VM de la région de Phuoc-Haï remis en liberté quelques jours après son ralliement et assurant la surveillance du marché de Baria, armé d’une mitraillette. C’est un de ses anciens tortionnaires alors qu’il avait été lui-même prisonnier des VM. Il s’élance sur lui et s’apprête à lui faire passer un sale quart d’heure. Par bonheur, un GR de l’escadron GVNS de Baria se trouvant à proximité l’en empêche. Cependant, le rallié regagne les bâtiments de l’Office de renseignement de Baria et le GVNS rejoint sa caserne et va chercher du renfort parmi ses coreligionnaires.

Avant que les GR qui les encadrent n’aient eu le temps d’intervenir, ils montent à l’assaut des bâtiments de l’OR, à une cinquantaine. Le lieutenant de l’OR (lieutenant Vallot) qui n’est pas très bien vu de la GVNS et qui commande le rallié, secondé par un GR de Baria, réussit à les empêcher d’entrer et finalement ceux-ci regagnent leur caserne.

Cependant, le lendemain, le Cambodgien et plusieurs de ses camarades de la GVNS tentent une nouvelle fois de pénétrer dans les bâtiments de l’OR Au cours de cette échauffourée, le lieutenant Vallot a la malencontreuse idée de frapper deux GVNS, aussi ceux-ci lui en veulent à mort. Inutile de dire que les GR sont ennuyés avec cette histoire-là, surtout le Mdl/Chef Fleurot, commandant du 16e escadron GVNS de Baria. Depuis quatre jours, les GVNS ne peuvent plus voir les officiers et sous-officiers Européens de la coloniale puisque le lieutenant qui les a frappés en fait partie. Hier matin, le Cambodgien qui était de faction à la caserne, apercevant le rallié dans la rue, s’élance sur lui et lui arrache la moitié de la figure d’un coup de crosse de son fusil.

Le commandant du GBC traite les gardes républicains qui encadrent la GVNS d’incapables pour ne pas savoir tenir leurs types et bien entendu, les rapports sont tendus entre la GVNS et l’EM du GBC Le Mdl/Chef Fleurot porte un rapport contre le lieutenant Vallot qui a frappé deux GVNS de son escadron et avec cela, les rapports ne sont pas prêts de s’améliorer.

Mais aussi, à qui la faute ? N’est-ce pas honteux de voir avec quelle inconscience le commandement arme des ralliés, quinze jours après qu’ils sont arrivés dans nos rangs. Certes, ils ont peut-être rapporté des renseignements ou des armes (souvent en mauvais état), mais si on tient à les enrôler, on pourrait tout au moins les enrôler dans une autre région et éviter de leur coller des mitraillettes dernier modèle dans les mains. Il faudrait naturellement que l’on donne une punition exemplaire à ce Cambodgien qui a eu un sentiment tout à fait normal, alors que cet ancien VM pourra se pavaner dans les rues de Baria. Il y a certaines décisions qui sont vraiment contre le bon sens. Qui sait si ce VM n’est pas venu en accord avec ses collègues pour nous espionner, faciliter l’évasion de prisonniers (puisqu’il est gardien de prisonniers) ou créer la pagaïe parmi nos troupes ? Et ce n’est pas le seul cas dans la région.

Nous apprenons également qu’un partisan d’une tour, entre Long-Dien et Dat-Do, a été décapité par un prisonnier occupé à faire une corvée de débroussaillage avec d’autres prisonniers. Bien entendu, ce dernier s’est enfui avec le fusil du gardien.

Dans le courant de la matinée, un pêcheur au filet retrouve, à marée basse, en face du lieu de l’accident d’hier, une main et une jambe rejetées par la mer. Ces restes sont enterrés à l’intérieur des défenses du camp de Nuoc-Ngot. La main est identifiée comme celle du Mdl/Chef Piccard par la bague qui s’y trouve encore. La jambe est celle de l’adjudant Chigot. Repos la journée. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Mercredi 25 juillet 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Après-midi, réfection du pont de la tour Ly avec les GVNS menuisiers de Nuoc-Ngot, trois GVNS de Nuoc-Ngot et quatre du poste Nord pour faire la protection. Avec les pluies diluviennes de ces derniers temps, le pont (en bois) pourrit et s’abîme, aussi de temps en temps, faut-il remplacer des traverses ou des planches. Quart de 23h00 à 2h00. R.A.S. […]

Dimanche 29 juillet 1951

Avertis hier qu’un cross devait avoir lieu ce matin entre les autochtones des trois postes de Nuoc-Ngot, je descends ce matin à huit heures trente, avec plusieurs GVNS du poste Nord volontaires pour participer à cette course. Cela les intéresse, les prix sont nombreux en argent et en espèce. Avant que cette course ait lieu, divers jeux d’enfants, (course aux sacs, pièce à retirer dans une cuvette d’eau, etc.) ont pour cadre le camp de Nuoc-Ngot qui a revêtu un air de fête, car il faut dire que c’est aujourd’hui la fête de la GVNS.

Ces jeux qui durent toute la matinée sont placés sous le patronage du capitaine Mazéas qui préside aux divertissements. Le camp est décoré et la cérémonie de la montée aux couleurs revêt un éclat tout particulier. Avec ces jeux et cet air de fête, on se croirait au 14 juillet. Une cérémonie religieuse a lieu à la pagode de la GVNS et les autochtones invitent plusieurs Européens pour le repas de midi, alors que ceux-ci font une invitation réciproque au repas du soir.

Au poste, pour que tout le monde prenne part à la fête sans dégarnir l’effectif, puisque les notes le prescrivent, la moitié y va le matin et l’autre moitié l’après-midi. La colonie autochtone, qui est importante au PC à Nuoc-Ngot, surtout les enfants, ne manque pas de venir assister à ces réjouissances. Les gradés Cao-Daïstes de Long-Haï sont également invités.

Vers dix heures, le cross a lieu entre le camp de Nuoc-Ngot et le poste Nord de Nuoc-Ngot (où Latry est délégué pour faire le contrôle) aller et retour. Je rentre à midi. L’après-midi, sélection de volley-ball poste Nord, poste Sud et Nuoc-Ngot camp contre une équipe Cao-Daïste de Long-Haï, puis tournoi entre les équipes des trois postes de Nuoc-Ngot. Ces divertissements changent un peu de la vie monotone du quartier et montrent aux autochtones qu’on s’occupe d’eux. […]

Mardi 31 juillet 1951

Latry va finir le matin les travaux à la tour Ly. L’après-midi, débroussaillage autour du poste. Le convoi de Nuoc-Ngot descend au cap Saint-Jacques le matin et rentre au soir, escorté de deux Blindés du 5e Cuir. de Baria. Nous apprenons qu’à la suite d’une embuscade presque identique à celle de Cho-Ben, survenue ces jours-ci sur la route Baria-cap, non loin de cette dernière ville, les VM ont arrêté un camion de la coloniale et l’ont attaqué à la grenade, causant la mort d’un sergent Européen, d’un sergent Martiniquais et blessant plusieurs soldats. Chaque convoi doit être escorté des blindés et le camp de Nuoc-Ngot n’est plus autorisé qu’à faire un seul convoi par semaine et une liaison courrier. […]

Mercredi 1er août 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Débroussaillage aux alentours du poste toute la journée. Dans la matinée, un coup de fil de Nuoc-Ngot nous avise de mettre les drapeaux en berne en signe de deuil, à la suite du décès du général Chanson (rajouter une note sur Chanson), gouverneur militaire du Sud-Vietnam (il vient d’être tué par une grenade portée par un fanatique VM qui a sauté avec, au cours d’une inspection à Sadec (Ouest de la Cochinchine). À onze heures trente, perception de la solde pour les autochtones. Vers dix-sept heures, un coup de téléphone de Nuoc-Ngot nous avise d’être demain matin à sept heures trente à Nuoc-Ngot, munis d’un repas froid, en vue d’une opération de la journée. C’est à mon tour d’y aller, aussi je révise mon armement et préviens les onze GVNS du poste qui doivent y participer. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S. […]

[Le garde Gallot participe à une sortie dans la région de Cho-Ben].

Vendredi 3 août 1951

Aujourd’hui, nettoyage des armes qui, après le bain d’hier, en ont sérieusement besoin. Dorénavant, je veillerais à mettre mes chargeurs hors de l’eau, lorsque je traverserai un arroyo à gué. J’en ai pour une bonne journée à les nettoyer, ainsi que les cartouches. Comme la plupart des régions inondées sur le littoral, l’eau est salée à une trentaine de kilomètres de la mer, c’est ce qui explique les marais salants qui se trouvent dans cette région.

Nous apprenons qu’une section de Phuoc-Haï (4 groupes) s’est fait sérieusement « allumer » cet après-midi, au cours d’une opération dans la région de Long-Phu. Nombreux VB (dont la plupart n’éclatent pas heureusement : FM, fusils, etc.). Probablement les groupes d’assaut VM qui voyagent dans le secteur et font des coups de main par-ci, par-là. Personne n’est blessé, mais ça chauffe pendant un quart d’heure.

La série noire continue parmi les GR arrivés en même temps que nous en Indochine et affectés à la 3e légion de marche de Garde républicaine au Tonkin. Cette fois, c’est le GR Dehay qui s’est tué accidentellement en pêchant avec une grenade locale VM. Quart de 23h00 à 2h00. R.A.S. […]

Dimanche 5 août 1951

Repos la journée. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. Deux nouveaux GR viennent d’arriver en renfort à Nuoc-Ngot, étant récemment débarqués en Indochine. Après les coups durs qui viennent de se passer dans le coin, cette affectation ne doit pas leur sourire. Depuis ces derniers temps, c’est le 7e groupe d’escadrons de Nuoc-Ngot qui a subi le plus de pertes en GR par rapport aux six autres groupes d’escadrons du 3e régiment de la garde du Vietnam Sud, disséminés en Cochinchine (zone Est et centre, Gia-Dinh, Cho-Lon, Tan-Ahn, Tay-Ninh, Thu-Dau-Mot, Bien-Hoa et Nuoc-Ngot). […]

Mardi 7 août 1951

[…] J’apprends qu’un coup dur serait arrivé récemment à des éléments du 2/22e RIC de Baria, en opération dans la zone VM de Phu-My (secteur rebelle important au Nord de Baria et qui contrôle la route coloniale (Baria-Saïgon). Cette unité, en liaison avec d’autres, effectuait des recherches en vue de découvrir une usine d’armement, à la suite de renseignements obtenus récemment. Elle s’est heurtée à une forte défense des VM armés de mitrailleuses. Elle aurait subi de lourdes pertes en hommes et en armes et une section se serait perdue dans la brousse et n’aurait rejoint le gros de nos forces que le lendemain. Hier, deux quadrimoteurs survolaient cette zone toute la matinée, à basse altitude. Probablement pour essayer de repérer l’usine, mais celle-ci est bien camouflée dans la brousse épaisse et les avions de reconnaissance n’ont pas encore réussi à la découvrir.

D’autre part, un patrouilleur de la Marine qui effectuait une reconnaissance sur un rach en zone VM aurait été bazooqué ces jours-ci. Cette zone étant incontrôlée, les VM y sont comme chez eux. Un hôpital divisionnaire serait à Xuyen-Moc, zone VM au-delà de Dat-Do, ce qui revient à dire que si notre coin est relativement tranquille, ça n’empêche pas les Viets d’être nombreux aux alentours et qu’il faut toujours se méfier. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S. […]

Vendredi 10 août 1951

Surveillance débroussaillement aux alentours du poste Nord toute la journée. Quart de 2h00 à 5h00. R.A.S.

Samedi 11 août 1951

Bégel est hospitalisé une nouvelle fois à Baria à la suite de brûlures provoquées par une application trop forte d’extrait de teinture d’iode sur de l’eczéma. Il faudra réviser nos connaissances d’infirmiers. Vers onze heures, alors que je surveille le débroussaillage non loin du poste Nord, au pied de la montagne, nous entendons une vive fusillade en direction de Long-Phu. Nous apprenons dans le courant de l’après-midi que la section de Phuoc-Haï (GVNS), en patrouille à côté de cette localité, voyant deux guetteurs s’enfuir à leur approche, en tue un (par le GR Descamp du poste Nord de Phuoc-Haï) et blesse l’autre qui réussit néanmoins à s’enfuir.

Cette fois, la section adopte une nouvelle méthode de combat qui s’avère efficace : pour ne pas se laisser surprendre par le camouflage des rebelles sur leur passage, lesquels réapparaissent dans leur dos lorsqu’ils sont passés, un groupe reste en embuscade sur l’arrière de la section, sans se faire voir et surprend les VM qui croyaient que toute la section était passée. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Lundi 13 août 1951

Ouverture normale de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Nettoyage des armes le matin. Surveillance débroussaillage l’après-midi. Quart de 2h00 à 5h00. À minuit trente, décès d’un bébé de deux mois du GVNS Cambodgien Tach-Song. Celui-ci nous demande s’il peut aller l’enterrer aussitôt, mais nous ne le laissons pas sortir avant l’aube. Les parents sont attristés pendant une heure, puis cassent la croûte à côté du cadavre et le lendemain matin, le père le prend sous son bras, sans plus de manière et va l’enterrer à côté du poste.

Mercredi 15 août 1951

Ce matin, grand’messe de l’Assomption à onze heures, à Nuoc-Ngot. J’y descends avec Bégel, ainsi que les quelques GVNS catholiques du poste Nord de Nuoc-Ngot. L’office a lieu, comme à l’habitude, au mess des Européens et est dit par un aumônier arrivé hier par le convoi. Nombreuse assistance, tant Européenne que Vietnamienne. Le lieutenant-colonel Maréréraux, commandant du GBC, le capitaine commandant la compagnie du 2/22e RIC de Dat-Do et plusieurs sous-officiers de cette unité, ainsi qu’un prêtre Vietnamien de Dat-Do y assistent. Cette messe est dite à l’intention des GR Nicolas et Faure et du Mdl/Chef Piccard, récemment tués (ainsi que pour l’adjudant Chigot). Auparavant, une messe est dite à Phuoc-Haï.

Visite avec la jeep de la soupe aux Européens du poste Sud de Nuoc-Ngot et retour au poste Nord à treize heures. Nous apprenons qu’une patrouille GVNS de l’escadron de Phuoc-Haï, effectuant une arrestation dans cette localité au cours de la nuit dernière, a abattu un Chinois qui se sauvait malgré les sommations pour s’arrêter. Ils croyaient avoir à faire à un VM. Pourvu que ça ne leur attire pas des incidents diplomatiques. Car ce sont des étrangers qui détiennent tout le commerce en Indochine et qui bien souvent, ravitaillent les VM. Mais pour nous, ce sont des intouchables. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. Beau clair de lune. […]

Samedi 18 août 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Aujourd’hui, fête vietnamienne. Repos pour tout le monde. Gueuleton à Nuoc-Ngot où un Européen de chaque poste est invité. C’est Bégel qui nous représente. Nous apprenons que le GR Wattecamps, du poste Est de Phuoc-Haï, s’est transformé ces jours-ci en marin pour aller contrôler six barques suspectes qui se trouvaient en zone interdite, au large de la pointe de Cu-My.

Avec trois GVNS de son poste, tous armés de mitraillette, il réquisitionne un pêcheur de Phuoc-Haï avec sa barque et va arraisonner ces barques, à huit kilomètres de Phuoc-Haï, en zone interdite. Les pêcheurs, croyant avoir affaire à des rebelles de Saïgon-Moï ou Lo-Khan offrent quatre poissons chacun à Wattecamps lorsqu’il s’approche d’eux. C’est la dîme imposée par les rebelles de cette zone à tout pêcheur qui s’aventure à proximité de leur zone. Ces pêcheurs n’étaient pas rassurés, car ils sont de Phuoc-Haï et ils avaient essuyé plusieurs coups de fusil de la part de VM embusqués sur la côte et ils croyaient avoir affaire à eux. Les six barques sont ramenées à Phuoc-Haï et leurs propriétaires sont relâchés, après contrôle de leurs papiers, non sans avoir payé une seconde dîme au poste Est, ce qui permet au chef de poste d’acheter les objets nécessaires à l’entretien de son poste, alors que pour nous qui n’avons pas cette chance, nous sommes obligés de les payer de notre poche.

Il n’empêche que Wattecamps et le chef de poste Est de Phuoc-Haï (Crumbach) se font sérieusement engueuler par leur commandant d’escadron (adjudant Magnier) pour s’être aventurés seuls si loin et sans prévenir le PC. Nous apprenons par la radio que plusieurs barques VM ont été arraisonnées par la Marine dans le secteur du cap Saint-Jacques, alors qu’elles transportaient un important armement et un stock de munitions. L’interdiction de pêcher la nuit facilite la surveillance de la côte et porte ses fruits. R.A.S. […]

Lundi 20 août 1951

Ce matin, descente à Nuoc-Ngot à huit heures pour y faire des courses. À onze heures, nous entendons une violente explosion en direction de Phuoc-Haï, suivie d’une vive fusillade. Le poste Nord tire au mortier. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une section de Nuoc-Ngot est rassemblée et armée et part en hâte en direction du poste Nord, sous le commandement du capitaine Mazéas (commandant du groupe 7/3 régiment GVNS).

Deux groupes ouvrent la marche, à pied, suivis d’un camion qui transporte le troisième groupe et sur lequel je suis monté, armé seulement d’une grenade OF, car j’étais parti du poste Nord sans arme. Entre-temps, nous apprenons par téléphone que le poste Nord est harcelé. Arrivés à mi-chemin du camp de Nuoc-Ngot au poste Nord de Nuoc-Ngot, un coup de feu est tiré du pied de la montagne, probablement un signal de la part de VM placés en guetteur. En approchant du poste Nord, la fusillade est déjà terminée et en arrivant au poste, j’aperçois le GR Doumenc, les cheveux plein de sable et un Vietnamien blessé. J’apprends que c’est la jeep du capitaine qui revenait du cap Saint-Jacques où elle venait de ramener un capitaine médecin qui est tombé dans une embuscade à 500 mètres du poste Nord, entre celui-ci et la tour Ly. De la terrasse, j’aperçois en effet la jeep sur le bas-côté de la route et la section de Nuoc-Ngot qui en approche.

J’apprends que cette jeep revenait à vive allure, lorsque les VM ont fait exploser une mine télécommandée juste à l’avant du véhicule. Le chauffeur a eu la présence d’esprit de braquer brusquement vers la droite et d’éviter le trou. Mais le véhicule s’est embourbé dans le sable fin. Heureusement qu’il n’y avait pas de fossé. Les VM en même temps tiraient sur le véhicule au fusil et VB. Les quatre occupants de la jeep sont projetés au sol au cours du brusque coup de volant pour éviter le trou de la mine. Ils sont en plein terrain découvert alors que les VM sont planqués sur les dunes, côté montagne, en lisière de la brousse, à 50 mètres d’eux.

Le GR Doumenc tire un chargeur sur les VM, mais ne peut continuer, car son arme s’enraye. Pendant ce temps, les VM harcèlent le poste Nord. Les occupants du véhicule commencent à se replier vers la plage sous la vive fusillade de leurs agresseurs. Puis ceux-ci se lancent à l’assaut de la jeep, mais rebroussent chemin presque aussitôt sous le tir à vue du mortier du poste Nord. Ils ne prennent que quelques vêtements et menu bricole, mais par bonheur, ils ne s’emparent pas du courrier.

Les rebelles se replient précipitamment quand les renforts commencent à arriver et disparaissent dans la brousse. Les quatre occupants de la jeep sont plus ou moins contusionnés, mais sans gravité. Heureusement que le mortier du poste Nord les a soutenus par son tir précis, car il n’en aurait peut-être pas été pareil pour eux. La jeep, à la suite du saut qu’elle a fait sur le bas-côté, est pleine de sable, mais intacte et elle revient par ses propres moyens.

Si les rebelles escomptaient récupérer de l’armement, ils en sont pour leurs frais, mais il faut reconnaître qu’ils étaient gonflés pour attaquer en terrain découvert. Latry, qui se trouvait avec un FM sur la terrasse, les voyait monter à l’assaut de la jeep, à une trentaine. C’était probablement le groupe d’assaut qui effectue des coups de main sur les véhicules depuis quelque temps dans la région. […]

Jeudi 23 août 1951

Aujourd’hui, descente au cap Saint-Jacques avec le convoi de Nuoc-Ngot. J’en ai été avisé hier soir, mais il faut toujours compter avec l’imprévu. Le convoi passe à huit heures et je l’attends devant le poste quand le capitaine, qui précède le convoi en jeep, s’informe où je vais en me voyant habillé. Sur ma réponse, il m’interdit de monter dans le convoi, sous le prétexte que nous ne sommes que trois au poste et qu’il y a une opération cet après-midi avec un groupe du poste et un Européen, ce qui fait qu’il n’y aurait plus qu’un Européen au poste. Motif peu valable quand on sait que pendant la réfection de la route de Cho-Ben, nous n’étions que deux Européens au poste (l’autre étant malade) et que ça ne nous empêchait pas d’y aller avec un groupe toute la journée. De plus, dans ces moments-là, l’effectif des Européens de Nuoc-Ngot au service général était de trois, alors qu’il est de sept actuellement. Enfin, comme il est Breton, ce n’est pas peu dire et il est inutile d’insister.

Étant donné que je suis un des trois Européens du poste qui descend le moins souvent en ville et qui a le moins d’interruptions, ça ne me fait pas beaucoup plaisir. Comme d’autre part, je commence à me lasser de cette vie monotone que nous menons au poste Nord de Nuoc-Ngot depuis sept mois et demi et qu’une demande de mutation dans un autre escadron (Baria – Phuoc-Haï) n’a pas eu de suite, je descends ce matin à Nuoc-Ngot et fais ma demande de mutation pour la 3e légion de marche de GR au Tonkin. Par rapport aux trois autres escadrons du 7e groupe GVNS de Nuoc-Ngot, c’est le 19e de Nuoc-Ngot qui est le plus défavorisé au point de vue distractions. Si nous avions un travail intéressant comme à Phuoc-Haï, ça pourrait aller, mais être condamné à surveiller des corvées pendant un an et sans aucune distraction, on finit par s’en lasser. Les Européens qui sont au PC sont plus nombreux et ont les nouvelles plus vite, mais il n’en est pas de même pour le poste Nord et le poste Sud de Nuoc-Ngot et on a tendance un peu trop à nous oublier pour nous faire parvenir le courrier (dernièrement une lettre est restée trois jours au PC, alors que la jeep de la soupe venait deux fois par jour, sans compter les autres liaisons). […]

Dimanche 26 août 1951

Bégel descend ce matin avec la jeep courrier pour passer une visite médicale. Il rentre à midi, mais doit être hospitalisé au cap Saint-Jacques avec le prochain convoi. Interminables parties de boules et de volley-ball pour passer le temps. Les autochtones, qui sont possédés du démon du jeu d’argent, trouvent le moyen de parier sur l’un ou sur l’autre quand ils jouent. Comme les jeux d’argent leur sont interdits, ils parient des bouteilles de bière ou d’orangeade, des cigarettes et même des boîtes de lait. […]

Mercredi 29 août 1951

Aujourd’hui, remue-ménage dans le quartier et déménagement. Le poste Sud et la tour Piquet sont occupés par des éléments Cao-Daïstes de Cho-Bo-Dap, alors que ce poste est occupé à présent par une section de la 19e compagnie GVNS de Nuoc-Ngot, formée par le groupe qui occupait le poste Sud de Nuoc-Ngot et deux groupes du camp. Ainsi, tous les postes à partir du camp en allant sur Long-Haï, sont occupés par les Cao-Daïstes, c’est-à-dire la tour Piquet, le poste Sud de Nuoc-Ngot et les trois postes de Long-Haï et la GVNS contrôle la route de Nuoc-Ngot à Cho-Bo-Dap (Nuoc-Ngot camp, poste Nord Nuoc-Ngot, les postes Sud, Nord et Est de Phuoc-Haï et le nouveau poste de Cho-Bo-Dap). Au-delà de celui-ci, se trouvent les postes de Cô-Tre et Dat-Do, An-Nhut, Long-Dien et Baria, tenus par des éléments des 6e et 7e compagnies du 2/22e RIC Le poste de Cho-Bo-Dap est le plus proche du village VM de Long-My (à un kilomètre) et est souvent harcelé. Entre ces différents postes sont placées des tours occupées par des partisans et placées sous le contrôle direct des postes voisins. Ainsi les occupants de Cho-Bo-Dap auront également le contrôle et la protection des deux ponts de Cho-Bo-Dap entre cette localité et Cô-Tre.

Le GR Sihoan Alain qui a cédé ses fonctions de popotier du PC au GR Frelon, récemment arrivé, assure les fonctions de chef de poste de Cho-Bo-Dap, secondé par les GR Doumenc et Gabiache. Quant aux GR Collet et Piérantoni, du poste Sud de Nuoc-Ngot, ils sont affectés au PC à Nuoc-Ngot.

Toute la journée, c’est un aller et venue de camions de la GVNS et du GBC, escortés d’AM qui effectuent la relève de ces deux postes (poste Sud Nuoc-Ngot avec poste Cho-Bo-Dap). Comme tous les Européens de Nuoc-Ngot sont occupés à ce déménagement, soit pour escorter les camions, soit pour rester en contre-embuscade sur la route de Long-Haï, j’assure la protection des travaux de réfection de la tour Lyavec un groupe du poste (suivant les notes du haut commandement, toutes les tours de contrôle situées au bord des routes entre chaque poste) doivent être entourées d’un mur d’enceinte de deux mètres de hauteur, surmonté de fil de fer barbelés, à un mètre de la tour proprement dite). Les travaux sont commencés depuis cinq jours par deux maçons GVNS de Nuoc-Ngot, secondés par d’autres GVNS. Je reste de sept heures à midi, cependant que Latry me remplace l’après-midi jusqu’à dix-huit heures trente. Les travaux sont poussés, mais demanderont encore une quinzaine de jours avant qu’ils ne soient terminés. Le matin, le capitaine Mazéas, en passant en jeep, vient inspecter les travaux, mais ne me parle pas de ma mutation. D’après le commandant du 19e escadron, il paraît qu’elle aurait peu de chance d’être acceptée, car le capitaine avait posé également sa mutation pour le Tonkin, mais elle a été refusée. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S. […]

Mercredi 5 septembre 1951

Les deux camions du PC descendent ce matin au cap Saint-Jacques pour aller chercher dix tonnes de barbelé, nécessaires pour établir les défenses accessoires du futur poste de Long-My. Toutes les défenses extérieures doivent être construites en barbelé qui s’avère beaucoup plus sûr que les barrières de gaulettes. L’après-midi, j’assure la protection des travaux de la tour Ly avec un groupe du poste Nord, de treize heures à dix-huit heures.

À mon retour, je trouve un nouvel affecté au poste venant provisoirement remplacer Bégel, hospitalisé au cap Saint-Jacques. C’est un des derniers affecté au 7e groupe GVNS de Nuoc-Ngot, le GR Le Gacq, arrivé depuis quinze jours en Indochine, célibataire, 34 ans, ancien prisonnier, 14 ans de service, auparavant à la Légion d’Occupation en Allemagne. Notre relève du poste va avoir lieu avant peu, les travaux pour la construction du poste de Long-My doivent commencer en principe le 17 septembre. Ce matin, le GR Caillard, de Nuoc-Ngot, descend à l’hôpital du cap Saint-Jacques avec le convoi, atteint d’une dysenterie, maladie assez rare dans cette région, heureusement. Repos la nuit. R.A.S.

Jeudi 6 septembre 1951

Aujourd’hui, anniversaire de notre embarquement sur le Pasteur à une heure de l’après-midi. Demain, un an que nous aurons quitté la France : le temps passe. Ce matin, ouverture de la route de Phuoc-Haï, accompagné par le nouveau GR du poste Nord, qu’il faut mettre au courant du boulot. R.A.S. Le capitaine, passant en jeep devant le poste, nous donne l’ordre de démonter des villas abandonnées entre le poste Nord et Nuoc-Ngot pour récupérer pierres, tuiles et charpente en vue de reconstruire des bâtiments à Phuoc-Haï pour loger le PC et le 19e escadron de Nuoc-Ngot. Ces destructions de villas seront mises sur le compte « d’une violente tempête » pour éviter les réclamations des propriétaires.

Nous apprenons que deux partisans de la tour T2, entre Phuoc-Haï et Cho-Bo-Dap, ont été kidnappés par les Viets, ce matin, alors qu’ils se rendaient de cette tour au marché de Phuoc-Haï, armés seulement de grenades. L’hypothèse d’une trahison serait à exclure. Quart de 20h00 à 23h00. R.A.S.

Vendredi 7 septembre 1951

Latry descend le matin à Nuoc-Ngot pour conduire un GVNS en « tôle ». Joueur d’argent invétéré qui s’obstine à jouer malgré plusieurs observations. Il escorte le camion de Nuoc-Ngot avec quatre GVNS du poste Nord et transporte à Phuoc-Haï des matériaux récupérés dans les villas voisines du poste. Les travaux de réfection de la villa de Phuoc-Haï qui va devenir le futur PC du 7e groupe GVNS sont déjà commencés par des GVNS du 7e groupe, cependant que des coolies de Phuoc-Haï ont presque terminé une barrière de défense autour de cette habitation.

Depuis deux jours, les travaux de débroussaillement à l’emplacement du futur poste de Long-My sont commencés par des coolies réquisitionnés de Phuoc-Haï, sous la protection de deux groupes de combat fournis par le poste de Cho-Bo-Dap et l’escadron GVNS de Phuoc-Haï. Hier, deux coups de feu ont été tirés à Long-My, sur l’adjudant Magnier et le GR Outhier, presque à bout portant, sans les atteindre. Cependant, les rebelles sont moins hargneux qu’auparavant dans cette zone et la population de ce village commence à venir à Phuoc-Haï pour se faire délivrer des laissez-passer, tenant lieu de pièces d’identité. Un VM a été fait prisonnier à Long-My par la section de Phuoc-Haï. Nous apprenons que cette même section, partie en opération à Xom-Ray en vue de trouver trace des deux partisans (dont l’un était chef de tour) de la tour T2, kidnappés hier matin, n’a donné aucun résultat. Cependant, une femme de Xom-Ray qui serait au courant, mais qui n’a rien voulu dire, a été ramenée à Phuoc-Haï et incarcérée.

Nous apprenons que le GR Courieux, de l’escadron d’intervention GVNS de Baria, grièvement blessé et hospitalisé au cap Saint-Jacques, serait rapatrié par avion en France sous peu. Son état s’est nettement amélioré, alors qu’il était à la mort pendant un moment. Quant au GR Tajent, blessé le 12 juillet au cours de l’embuscade de la route de Cho-Ben qui avait coûté la vie au GR Faure, son état est satisfaisant et il doit être rapatrié sanitaire avant peu. Cet après-midi, Latry et Le Gacq vont en protection de la tour Ly avec un groupe du poste. Ils sont copieusement arrosés toute l’après-midi et rentrent trempés comme des canards à dix-huit heures. Quart de 23h00 à 2h00. R.A.S.

Samedi 8 septembre 1951

Ouverture de la route de Phuoc-Haï à sept heures. R.A.S. Le matin, surveillance du démantèlement d’un marché couvert abandonné entre Nuoc-Ngot et le poste Nord. Celui-ci est destiné à être remonté comme garage au futur PC de Phuoc-Haï. Ensuite, promenade sur la place jusqu’à la tour Ly pour regarder les pêcheurs tirer les filets. Ceux-ci, d’une longueur de 200 mètres environ, terminés au centre par une poche et supportés par des flotteurs en bambou sont déposés à un kilomètre de la plage par deux barques. Ils sont ensuite hâlés sur la plage par des groupes d’une vingtaine d’Annamites qui restent constamment à terre. Ils tirent de grosses cordes de 300 mètres environ, attachées aux deux extrémités du filet. Il est à remarquer que les femmes travaillent autant que les hommes et tirent à reculons sur les cordes. Les deux groupes de « remorqueurs » placés à deux cents mètres les uns des autres au début se rapprochent petit à petit au fur et à mesure que le filet rapproche de la plage. C’est une véritable foule qui se trouve sur la plage pendant ces pêches. En plus des pêcheurs, de nombreuses commerçantes de Phuoc-Haï viennent acheter le poisson sur place. À chaque prise, ils récupèrent 150 à 200 kilos de poissons, parfois plus. Les poissons frétillent dans la poche du filet, de toutes sortes et de toutes espèces (raies, petits requins, fer à cheval, méduse, poisson-scie, poisson marteau, etc.). Des pêcheurs restent parfois deux ou trois heures dans l’eau pour soutenir les filets et les empêcher de s’accrocher après quelques rochers, lorsqu’il approche de la plage. Quart de 2h00 à 5h00. Dans le courant de la nuit, un patrouilleur de la Marine, muni d’un puissant projecteur, passe au large du poste et contrôle les barques de pêche. Une grenade et un peu plus tard, deux coups de fusil sont tirés à la tour Ly dans le courant de la nuit. […]

Mercredi 12 septembre 1951

Dès sept heures du matin, préparatifs en vue de l’inspection annoncée. Un groupe est mis sur pied en tenue pour présenter les armes. Latry descend au convoi ce matin et Bégel étant toujours au cap Saint-Jacques, c’est à moi qu’échoit la corvée de présenter le poste et le groupe, ce qui ne me sourit guère. Après avoir attendu toute la matinée, les officiers passent, escortés des blindés de Baria à onze heures trente et ne s’arrêtent pas au poste. Au même moment, un coup de fil de Nuoc-Ngot nous avise de fournir un demi-groupe, avec un Européen, en protection à la tour Ly pour remplacer celui de Nuoc-Ngot qui doit aller en contre-embuscade à Cho-Ben pour le passage du colonel qui repasse par Long-Haï. Nous apprenons que les ralliements se multiplient à Dat-Do et Baria ; 450 en deux jours, peu d’armes, mais beaucoup de grenades : des chefs de section avec leur section complète. Il est vrai qu’ils étaient tous enrôlés par les commissaires politiques VM et que tous les hommes avaient un emploi dans les troupes populaires régionales. Depuis quatre jours, dix-huit mines antipersonnel à pression ont été récupérées dans le sous-quartier de Phuoc-Haï - Cho-Bo-Dap, sans qu’aucune n’éclate. Il est vrai qu’elles sont facilement découvertes, la pluie les décache pendant la nuit. Quart de 2h00 à 5h00. Intrigué par du bruit dans les gaulettes, Latry tire un coup de fusil à une heure, mais il ne se passe rien, d’ailleurs, il fait un beau clair de lune. […]

Vendredi 14 septembre 1951

À huit heures, Bégel, rentré hier à la nuit avec le convoi de Nuoc-Ngot qui était descendu au cap Saint-Jacques et qui a couché la nuit à Nuoc-Ngot, vient rechercher ses affaires. Il est remplacé définitivement par Le Gacq, cependant que Latry prend les fonctions de chef de poste. Cela fait près d’un an que Bégel était au poste Nord de Nuoc-Ngot. Il est affecté provisoirement au camp de Nuoc-Ngot pour aller travailler par la suite à l’édification du poste de Long-My. Cependant, ce poste n’est peut-être pas près d’être implanté, faute d’effectif. En effet, à la suite d’une note émanant du 3e régiment GVNS de Gia-Dinh, demandant des volontaires pour servir dans les bataillons parachutistes vietnamiens : vingt-deux GVNS de l’escadron de Phuoc-Haï et vingt-trois de celui de Nuoc-Ngot se sont présentés, dont sept du poste Nord de Nuoc-Ngot. Comme ils doivent partir dans huit jours, il est à prévoir qu’avec une section en moins, si une relève ne vient pas, les effectifs vont être insuffisants pour commencer les travaux.

Nous apprenons que ce matin, à huit heures, deux groupes de Phuoc-Haï qui avaient obtenu des renseignements par une prisonnière et s’étaient placés en contre-embuscade à proximité de Xom-Ray ont tué quatre VM et en ont blessé un autre qui a été capturé. Ils faisaient partie d’un groupe de quinze VM qui transportaient du ravitaillement de la zone de Long-My à la zone rebelle de Phuoc-Buu. L’adjudant Magnier en a tué deux à la mitraillette, malheureusement celle-ci s’est enrayée au premier chargeur et les autres VM ont eu le temps de s’enfuir, non sans que le reste du groupe GVNS n’en tue deux autres. Aucune arme n’a été récupérée, les rebelles n’en ayant pas. Ils ne transportaient que des musettes bourrées de ravitaillement. Le prisonnier blessé est transporté à Baria en ambulance. Quart de 23h00 à 2h00. Vers vingt-heures trente, Phuoc-Haï lance une fusée rouge. Deux coups de fusil et une fusée blanche lancée du poste mettent la radio de Nuoc-Ngot en alerte. Vers deux heures quinze, léger harcèlement (fictif) du poste pendant dix minutes, ce qui nous met en alerte et nous permet de dérouiller les armes. Quelques obus de mortier et quelques chargeurs de FM sont tirés en direction de la RP 44, au pied de la montagne, où les coups de feu sont censés venir. Cela change un peu et les autochtones sont contents de tirer quelques coups de fusil.

Bien entendu, aux yeux du commandement, cette attaque était réelle, car ils n’aiment pas que l’on gaspille les munitions et qu’on mette le coin en alerte.

Samedi 15 septembre 1951

Le matin, nettoyage et inspection des armes pendant que Latry descend percevoir l’équivalent des munitions utilisées cette nuit, car la dotation en munitions stockées au magasin d’armes du poste doit être toujours au complet et doit être complétée après chaque tir. À Nuoc-Ngot, tout le monde est tombé dans le panneau (sauf peut-être Bégel qui étant au poste auparavant se méfie de Latry qui aime tirer à propos de rien), ainsi qu’à Phuoc-Haï où le capitaine Mazéas passait la soirée et croit que les VM l’attendaient hier soir sur la route et ne le voyant pas venir, seraient venus nous harceler.

Latry, en tant qu’ex-maçon (avant d’entrer dans la gendarmerie) doit aller diriger les travaux durant l’implantation du poste de Long-My qui doivent commencer lundi. Finalement, après avoir été le premier au poste à demander ma relève, je reste le plus ancien comme Européen au poste et vais avoir à assumer les fonctions de chef de poste pendant quelque temps, jusqu’à ce que Le Gacq soit au courant du travail, alors qu’un nouveau va être affecté ici en remplacement de Latry. Je n’ai toujours pas de nouvelles de ma mutation, mais espère toujours qu’elle aura une suite favorable qui sera encore le moyen le plus sûr pour quitter le poste.

Je suis désigné l’après-midi pour conduire quatre partisans de Phuoc-Haï et Nuoc-Ngot au GBC à Baria avec un camion de Nuoc-Ngot et six GVNS du poste Nord formant l’escorte. Départ à quatorze heures trente, arrêt à Phuoc-Haï et aux tours T1 et T2 pour y prendre les partisans qui doivent suivre un stage d’élèves gradés. Arrivée à Baria à seize heures quinze, visite à l’escadron GVNS de Baria le temps de faire quelques courses et, à dix-sept heures, nous prenons le chemin du retour. Arrêt au poste de Cho-Bo-Dap où j’apprends que les GR Devrieux, du poste Nord de Phuoc-Haï et Crumbach, du poste Est de Phuoc-Haï, ont été blessés hier à Long-My par une grenade piégée et ont été transportés d’urgence à l’hôpital du cap Saint-Jacques, où ils sont actuellement en traitement. Le premier aurait sept éclats dans un bras et une fracture et l’autre, des éclats dans la cuisse. Le GR Sihoan Alain se trouvait également avec eux, mais n’a pas été atteint. Les deux blessés qui accompagnaient les groupes de Phuoc-Haï assurant la protection du débroussaillement du terrain réservé au poste de Long-My s’étaient éloignés de cet endroit pour faire une petite reconnaissance et ont fait exploser une grenade piégée qu’ils n’avaient pas vue.

Ce matin, au cours d’une opération dans le même secteur, une grenade piégée a encore été découverte. Attention pour les futurs bâtisseurs de ce poste. Le GR Piérantoni (auparavant chef de poste du poste Sud de Nuoc-Ngot) prend les fonctions de chef de poste à Cho-Bo-Dap, en remplacement de Sihoan Alain, rapatriable le mois prochain. Retour au poste à seize heures trente. Le GR Tajent, blessé au cours de l’embuscade du 12 juillet dernier et actuellement hospitalisé au cap Saint-Jacques, doit être rapatrié ces jours-ci comme rapatrié sanitaire. Quart de 23h00 à 2h00. R.A.S. […]

Lundi 17 septembre 1951

Réveil à six heures. Les GVNS qui partent à Long-My se préparent activement, ainsi que Latry et embarquent dans les camions de Nuoc-Ngot à sept heures. Deux groupes de Nuoc-Ngot y sont déjà avec le Mdl/Chef Cornebois, commandant du 19e escadron et qui va diriger les travaux d’édification du nouveau poste de Long-My et les GR Collet, Horel et Bégel.

Pour moi commencent les fonctions de chef de poste avec les responsabilités qui en découlent (tout le personnel, l’armement et le matériel du poste). Celles-ci consistent pour l’instant à changer le tour de faction des GVNS qui restent au poste et qui, en raison du faible effectif, doivent prendre deux heures et demie au lieu de deux heures de garde par nuit. Il faut également changer les emplacements de combat en cas d’alerte.

Pour ma part, je m’occupe du mortier de 60mm sur la terrasse et Le Gacq s’occupe du seul FM restant au poste. Dans l’après-midi nous arrivent deux GVNS de Nuoc-Ngot, affectés provisoirement au poste Nord en renfort. À quatorze heures partent les deux GVNS du poste volontaires pour servir dans les Parachutistes. Ils n’auront certainement plus la vie si tranquille du poste Nord de Nuoc-Ngot. Bref, après toutes ces mutations, il reste onze GVNS au poste, dont un sergent et un caporal et deux Européens, alors qu’auparavant, nous étions à vingt-cinq.

Vers dix-huit heures, une grosse fumée noire s’élève sur la côte VM de Saïgon-Moï - pointe de Cu-My et peu après, un patrouilleur de la Marine vient stopper non loin du poste et plusieurs de ses occupants débarquent à terre et nous apprennent qu’ils ont effectué une patrouille sur la côte rebelle et ont tué un Viet et récupéré deux grenades. La fumée que l’on apercevait provenait d’une paillote qu’ils avaient incendiée. Vers vingt heures, la radio de Nuoc-Ngot nous avise par téléphone de lancer une fusée rouge en direction de Phuoc-Haï, ce que je fais aussitôt. C’est l’occasion pour moi de me familiariser avec un engin (lance-fusées) dont je ne m’étais jamais servi auparavant. Quart de 21h00 à 24h00. R.A.S. […]

Lundi 24 septembre 1951

Aujourd’hui, anniversaire de mon débarquement sur cette terre d’Indochine. À ce moment, j’ignorais que je serais affecté à trente kilomètres de l’endroit où j’ai aperçu les côtes de Cochinchine pour la première fois. Un an de brousse où les déplacements ont été assez rares. Le septième groupe d’escadrons du 3e régiment de la garde du Vietnam-Sud a une triste renommée à la 1ère légion de Garde républicaine de marche, c’est en effet l’unité qui a eu le plus de pertes en Européens depuis un an (Mdl/Chef Piccard, tué dans le quartier de Nuoc-Ngot le 19 juillet dernier, les GR Nicolas, tué le 14 mai, Faure, tué le 12 juillet) et quatre blessés (Courieux le 21 juin 1951, GR Tajent (rapatrié sanitaire) le 12 juillet 1951 et les GR Crumbach et Devrieux le 15 septembre 1951). En ajoutant l’inspecteur des munitions (adjudant Chigot) tué à Nuoc-Ngot en même temps que le Mdl/Chef Piccard, c’est un triste privilège que nous avons.

Question climat, c’est épatant : très peu de malades, pas de paludisme, peu de dysenterie. Pour ma part, je tiens le coup, pourvu que ça dure. Des quatre GR arrivés en même temps que moi à Nuoc-Ngot, deux sont à Long-My (Collet et Latry), Bergeun est secrétaire en chef au PC à Nuoc-Ngot et moi, je suis toujours dans ce poste Nord où j’espère ne plus y être bien longtemps.

Ce matin, je fais tirer trois cartouches sur cibles, à chacun des GVNS présents au poste, non sans avoir averti Nuoc-Ngot au préalable. Puis je leur fais nettoyer les fusils aussitôt, car ils en avaient bien besoin. Comme je m’en doutais, ce ne sont pas de fins tireurs, loin de là et ils auraient même besoin d’un sérieux entraînement. Inspection des armes à dix heures. Quart de 0h00 à 3h00. […]

Vendredi 28 septembre 1951

Dans le courant de l’après-midi, un coup de fil de Nuoc-Ngot, adressé à Le Gacq lui demande de descendre au bureau de suite où il apprend qu’il est muté au 2e régiment GVNS à My-Tho, à l’Ouest de Saïgon. Cette mutation à laquelle il ne s’attendait pas a lieu à la suite d’une intervention de son ancien commandant d’escadron à Berlin qui fait venir à ses côtés les GR qu’il avait eus sous son commandement.

Encore une fois, je vais rester seul au poste. Un nouveau va y être affecté, ce qui n’activera pas ma relève. Le Gacq doit rejoindre Saïgon par le prochain passage du Kouffra c’est-à-dire le 1er octobre. Comme toujours, alors qu’il se plaisait ici et ne demandait pas de quitter la région, il est muté et moi qui réclame ma mutation, il n’y a pas moyen de l’avoir. Quart de 3h00 à 6h00. R.A.S.

Samedi 29 septembre 1951

Aujourd’hui, une des plus grandes fêtes cambodgiennes avec habituellement repas et réjouissances (la fête des Eaux). Il n’est pas question de cesser le travail ici, car l’effectif du poste est déjà occupé avec la garde de nuit et de jour et ne fait aucun travail à part ceux-ci. Cependant, la vente des orangeades et boissons non alcoolisées bat son plein et me donne un peu d’occupations, puisque c’est moi qui ai repris la succession de Latry à la gérance du groupement d’achat du poste Nord (organisé depuis trois mois environ).

Le matin, descente à Nuoc-Ngot où je fais la connaissance d’un nouvel arrivé (Wallez) depuis quelques jours à Nuoc-Ngot. Il était auparavant à la 8e Légion de GR à Lyon. Le soir, repas chez le sergent Cambodgien Kien-Dua qui nous offre ce repas en l’honneur de la fête des Eaux. Le menu est fait à la française, mais les plats sont servis à rebours, ainsi que la boisson. Nous commençons par le cognac pour finir avec de la bière. Bref, ça se passe bien et à part cela, c’est très calme au poste. Quart de 21h00 à 24h00. R.A.S.

Dimanche 30 septembre 1951

L’après-midi, je suis à nouveau invité par les autochtones, mais cette fois, c’est un menu du pays et quoique ça ne me sourie guère, je suis obligé, pour leur faire plaisir, de goûter du chien. Viande très fade, assaisonnée avec du carry, coupée en petits morceaux, qu’il me faut manger avec des baguettes traditionnelles. C’est tout un problème pour s’emparer de la « barbaque » servie dans un plat commun et ce n’est pas un petit labeur pour la digérer. Inutile de dire que je n’attrape pas d’indigestion. Par exemple, je me refuse à boire du choum (eau-de-vie de riz très forte) dont les autochtones se servent pour absorber cette mangeaille. Il faut, parfois, ne pas être trop difficile pour leur faire plaisir.

Le Gacq prépare ses bagages en vue de son départ officieux pour demain matin, mais il n’a pas encore reçu de confirmation de la date de son départ. Le soir, à vingt heures, pluie diluvienne. Quand on pense aux troupes qui couchent dans la rizière à Long-My par exemple, il ne faut tout de même pas se plaindre. Comme à l’accoutumée, c’est une occasion pour les autochtones de remplir les touques et bidons disponibles et de prendre une douche, car la pluie n’est pas froide. Les gosses jusqu’à dix ans ne s’embarrassent pas et se baladent tout nu sous la pluie en poussant des cris. Ils sont heureux comme des canards. Habituellement, les autochtones vont chercher l’eau dans le suoï (ruisseau) qui descend de la montagne et passe à 200 mètres du poste (côté Phuoc-Haï). Ce cours d’eau serpente pendant un kilomètre pour se jeter à la mer à trois cents mètres du poste Nord. En été, il est presque à sec et c’est tout un problème pour les autochtones pour aller chercher l’eau dans des puits, à 500 mètres du poste, à proximité des villas, entre le poste Nord et Nuoc-Ngot. Quart de 0h00 à 3h00. R.A.S. […]

Vendredi 5 octobre 1951

Le groupe de Nuoc-Ngot qui fait l’ouverture de route de Phuoc-Haï tous les jours au matin nous signale en passant que la route est coupée à deux endroits, entre Nuoc-Ngot et le poste Nord à la suite des grosses pluies tombées au cours de la nuit. La route, qui n’est entretenue que difficilement avec des moyens de fortune, se dégrade rapidement à la suite de ce mauvais temps. On comprend les difficultés qu’il peut y avoir dans ce pays pour entretenir des routes en bon état, même en temps de paix. La saison des pluies en est la cause.

Wallez descend ce matin à Nuoc-Ngot et m’apprend à son retour avec la jeep de la soupe que notre poste n’en a plus pour longtemps à exister. Il sera toujours debout, mais nous allons être relevés par des supplétifs (partisans) dimanche prochain. Les familles des GVNS du poste doivent rejoindre le camp et y rester provisoirement, cependant que nous devons rejoindre le camp et y rester provisoirement, cependant que nous devons partir lundi matin à Long-Dien pour occuper le futur poste de Phuoc-Trinh avec deux groupes GVNS de Nuoc-Ngot. Je suis muté là-bas avec le groupe du poste et la section est placée sous le commandement du Mdl/Chef Durand, récemment arrivé à Nuoc-Ngot et secondé par deux autres Européens (Emeriaux et Sihoan Guillaume). Nous serons les voisins de poste de Long-My (actuellement en construction à 3 kilomètres). Ainsi, cette zone rebelle récemment ralliée va devenir notre nouveau quartier. Pour moi, ça ne sera jamais que quitter un poste pour aller dans un autre, mais le changement et une activité certainement plus grande feront passer le temps plus vite. Pour l’instant, rien d’officiel ne nous est parvenu au poste, mais la note est à Nuoc-Ngot. Quart de 21h00 à 24h00. R.A.S.

Samedi 6 octobre 1951

Un coup de fil de Nuoc-Ngot nous avise de faire prévenir toutes les familles des GVNS présents ou absents du poste, de préparer les bagages en vue de leur déménagement, demain matin, à sept heures. Voici aujourd’hui an que je prenais contact avec Nuoc-Ngot. Depuis, je n’ai pas souvent quitté le quartier de Nuoc-Ngot (3 mois au camp, 9 mois au poste Nord). Je n’ai jusqu’à présent eu aucune journée d’interruption. Un an de brousse, durant lequel je n’ai repris contact avec la ville (cap Saint-Jacques ou Baria) qu’une dizaine de fois. Quart de 0h00 à 3h00. R.A.S.

Dimanche 7 octobre 1951

Dès quatre heures du matin, tous les autochtones sont déjà debout et sortent leur matériel dehors, ce qui fait un véritable bric-à-brac. Heureusement qu’il ne pleut pas. Cette fois, je suis avisé officiellement de faire mes préparatifs et l’inventaire du matériel, de l’armement et des munitions que nous emmenons avec nous et celui que nous reversons à Nuoc-Ngot. Je suis occupé toute la journée dans les paperasses.

Après avoir eu de quoi remplir cinq camions, les familles sont en place à Nuoc-Ngot à midi. L’après-midi, nettoyage du poste par les GVNS qui restent et partent demain matin avec moi, pour Long-Dien. Je prépare également mes bagages, car il faut être prêt demain matin pour sept heures et nous devons partir dès que nos remplaçants seront arrivés (partisans commandés par un Européen de la coloniale). Nous percevons chacun une toile de tente dont nous allons avoir à nous servir prochainement.

Pour la dernière fois, je prends le quart de 3h00 à 6h00. Je perçois des effets que nous recevons tous les six mois. Le poste paraît désert depuis que les familles sont parties. R.A.S.

Lundi 8 octobre 1951

Cette fois, c’est moi qui prépare mes bagages pour embarquer à sept heures. Mais finalement, nous ne partons qu’à quinze heures, précédés par le capitaine en jeep, après avoir attendu en vain après les partisans. Je comptais emporter du matériel indispensable en poste (tonnes de 200 litres pour faire des douches, table, etc.), mais le capitaine nous interdit d’emporter ce matériel et celui-ci est finalement reversé à Nuoc-Ngot en même temps que les munitions et l’armement non emportés. Wallez rejoint Nuoc-Ngot avec un camion qui vient rechercher ce matériel. Le poste sera inoccupé la nuit et il est heureux que les VM l’ignoraient, car ils auraient pu venir prendre le téléphone et même détruire le poste.

Pour nous, nous arrivons au PC de la 6e compagnie du 2/22e RIC, au camp Petit, à Long-Dien et retrouvons les deux groupes de Nuoc-Ngot avec le Mdl/Chef Durand et les GR Emeriaux et Sihoan Guillaume, partis le matin. Dorénavant, nous dépendons du quartier de Long-Dien et n’avons plus rien à voir avec le capitaine Mazéas au point de vue opérationnel. Nous ne dépendons de Nuoc-Ngot qu’en ce qui concerne le service administratif. Nous nous installons dans ce poste, les 4 Européens dans un bâtiment, avec les sous-officiers de la coloniale et les autochtones dans un autre bâtiment (sans leurs familles restées à Nuoc-Ngot).

Pour commencer, notre pied à terre sera ce poste, en attendant que les travaux d’implantation du poste de Phuoc-Trinh commencent. Depuis trois semaines, trois sections de la 6e compagnie du 2/22e RIC assurent la protection et dirigent les travaux de réfection de la route Long-Dien - Phuoc-Trinh (4 kilomètres 500) qui est barrée par de multiples coupures dans les mêmes conditions que celles effectuées sur la route de Cho-Ben (touches de piano). Une centaine de coolies de Long-Dien sont occupés journellement à reboucher les coupures, sous la protection des sections de la coloniale. La route est ouverte à mi-chemin de Long-Dien à Phuoc-Trinh et notre rôle va consister à assurer la sécurité des travaux de la route, en coopération avec la coloniale et ensuite à occuper le poste de Phuoc-Trinh, au fur et à mesure de son édification. Nous apprenons que les rebelles qui étaient très nombreux durant ces dernières années ne se montrent plus beaucoup depuis quelque temps. D’ailleurs, le canon de 75, qui est en permanence au poste de Long-Dien où nous nous trouvons (camp Petit), se charge de les mettre en fuite s’ils approchaient.

[…] Le capitaine Billod-Laillet, depuis quatre mois en Indochine, ancien de la métropolitaine, versé provisoirement dans la coloniale, est sympathique. C’est à lui que nous allons avoir à faire, à partir de maintenant. Nous mangeons avec au mess des Européens où nous y trouvons une bonne ambiance. Nous passons une bonne nuit, malgré une température plus lourde qu’à Nuoc-Ngot (nous sommes à treize kilomètres de la mer et la température du littoral s’atténue). […]

Mercredi 10 octobre 1951

Départ à sept heures de la section qui se rend en protection des travaux de réfection de la route Long-Dien - Phuoc-Trinh. Pour commencer, nous fouillons une partie des paillotes du village de Long-Dien pour récupérer le plus de coolies possible pour travailler sur la route. Comme cette opération se répète depuis trois semaines, tous les jours, les hommes du village commencent à comprendre la combine et se camouflent dans les champs, en partant avant six heures, mais pour la première fois que nous effectuons ce travail, nous ne nous en tirons pas si mal que cela et récupérons une trentaine de coolies. À huit heures, nous rejoignons la sortie opposée de Long-Dien et nous retrouvons à l’entrée de la RP 44 (Long-Dien - Phuoc-Trinh). Une section de la coloniale précède une quarantaine de charrettes à bœufs accompagnées de leurs propriétaires.

Ces véhicules servent à charrier des décombres de pagodes abandonnées à proximité de la route, pour reboucher les coupures. La section de la coloniale passe en tête, alors que nous fermons la marche. Cette fois, nous allons connaître notre nouveau secteur. À travers la rizière, la route s’étend sur 4 kilomètres 500, jusqu’à Phuoc-Trinh. La partie de Long-Dien, qui se trouve à l’Ouest du village est dénommée An-Ngaï. Nous partons de cet endroit et passons devant une tour occupée par des partisans (An-Ngaï Nord) à trois cents mètres de la lisière Ouest du village, sur la RP 44. Puis nous nous engageons au milieu de la rizière, uniformément plate. Sur notre droite, la rizière à 400 mètres de large, puis commence une série de villages, parallèles à la route qui s’étendent en longueur en direction de Phuoc-Trinh. Ces villages sont cachés dans la verdure et à partir de ceux-ci commence la brousse qui s’étend jusqu’à la chaîne de montagnes dont nous étions à l’opposé, à Nuoc-Ngot. La route, parallèle à ce massif montagneux, passe à 1 kilomètre environ de celui-ci. […]

Nous reprenons nos travaux, mais le capitaine Billod-Laillet, alerté par les coups de feu, arrive dix minutes après en camionnette avec un groupe de combat et un mortier de 60mm. Le reste de la journée se passe sans accroc mais aussi, quelle chaleur ! Où se trouve la brise que nous avions copieusement sur le littoral ? Une bonne nuit nous remet d’aplomb.

Jeudi 11 octobre 1951

Une nuit courte quand même, puisque nous nous levons à cinq heures trente. Le secteur est en effervescence, le nouveau commandant de la zone Est (colonel Briand) devant venir en visite et notamment visiter les travaux en cours dans les futurs postes. Nous partons à six heures pour Long-Phuoc, à huit kilomètres de Baria pour relever une section de la 8e compagnie du 2/22e RIC de Baria qui a passé la nuit à l’emplacement du futur poste de Long-Phuoc pour venir défiler à Baria devant ces messieurs (comme si elle avait besoin de cela pour se remettre de sa nuit blanche).

[…] Le futur poste va être construit au milieu d’une clairière, constituée par un débroussement systématique et l’abattage d’arbres énormes, au moyen d’explosifs. Le village de Long-Phuoc, constitué de nombreux hameaux disséminés dans la brousse autour du poste, abrite six mille habitants. Les premières habitations sont en lisière de la clairière et on ne les aperçoit pas, car elles sont entourées de haies de bananiers et de multiples arbres fruitiers (pamplemousses, manguiers, papayers, etc.). C’est ce village récemment rallié qui ravitaille la province de Baria en fruits et légumes. La plupart de ses habitants ont été emmenés par les VM et les habitations sont saccagées et vides. Quelques vieillards sont restés et quelques femmes.

Nous apprenons par la section que nous relevons qu’il nous faut faire attention, car les VM viennent poser des mines sur le chantier pendant la nuit. Cette forêt épaisse qui enserre la clairière, ce village caché dans la verdure qu’on ne voit pas, mais où des VM rôdent et nous épient peut-être, l’éloignement du poste des autres postes de la province de Baria, contribuent à donner une sensation d’insécurité et chacun scrute attentivement cette brousse. Le futur poste qui va être construit en triangle est déjà délimité par une rangée de piquets destinés à supporter les barbelés sur deux faces. Nous plaçons un groupe à chaque angle, dans les emplacements laissés par la section que nous relevons.

Deux civils, qui s’étaient approchés imprudemment des groupes qui passaient la nuit, ont été tués par rafale de VM et je comprends parfaitement la coloniale qui se méfiait de VM venant placer des mines. C’était la première nuit qu’ils occupaient le terrain et hier matin, cinq mines avaient été récupérées sur l’emplacement du poste, posées au cours de la nuit par des VM. Le secteur n’étant pas sûr, il y a intérêt à avoir la détente facile. […]

Vendredi 12 octobre 1951

Départ aux abords de Phuoc-Trinh à six heures trente. Les coolies sont déjà rassemblés à l’entrée de la route, réquisitionnés par les policiers du commissariat. Cette fois, une section de l’escadron d’intervention GVNS de Baria est également avec nous. Arrivés sur les lieux, la section de la coloniale (en tête) récupère une grenade piégée sur la route, à l’endroit où les travaux ont été suspendus. Peu après, un tirailleur autochtone de la section de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien, en tirant un bambou pour se construire une petite tente pour s’abriter du soleil, fait exploser une grenade piégée. Par bonheur, il n’est pas atteint, bien qu’elle ait explosé à 1 mètre 50.

Vers dix heures, plusieurs coups de feu sont tirés de la lisière de la brousse, entre Phuoc-Trinh et le carrefour des écoles, sur mon groupe, ainsi que deux BP. Personne n’est atteint et quelques rafales de FM les calment. Comme la dernière fois, la section est en avant, vers Phuoc-Trinh, mais notre section est plus groupée et c’est la section GVNS de Baria qui assure la défense du chargement de décombres des charrettes au carrefour des Écoles. Après avoir déjeuné avec les victuailles apportées par un camion de la 6e compagnie de Long-Dien, nous partons en reconnaissance jusqu’à Phuoc-Trinh. Nous y allons avec deux groupes GVNS de Baria et un groupe de la coloniale, sous le commandement du Mdl/Chef Rigoulot qui dirige les travaux. Il connaît tout particulièrement le secteur pour en être à son deuxième séjour dans le coin et se trouve actuellement au poste de Cho-Ben, à deux kilomètres de Long-Dien. Le Mdl/Chef Durand et le GR Rapy, de Baria y vont également, ainsi que moi qui suis curieux de connaître le secteur où nous allons construire le futur poste de Phuoc-Trinh.

Alors que voici trois mois, il fallait un bataillon ou tout au moins deux compagnies pour circuler dans cette zone rebelle de Phuoc-Trinh, nous abordons le village sans entendre un seul coup de fusil. Nous partons en suivant la RP 44, puis prenons une petite route qui mène au village de Phuoc-Trinh, à 400 mètres de la RP 44. En abordant le village, nous distinguons un soubassement sur notre gauche (ancienne maison commune de Phuoc-Trinh qui va devenir le socle du futur poste de Phuoc-Trinh). Il est entouré à vingt mètres d’une haie. Il y aura du travail pour débroussailler les abords, car le village est comme la plupart de la région, coupé de multiples haies qui entourent chaque habitation et la brousse commence à 150 mètres de l’emplacement et s’étend, sur un kilomètre, jusqu’au pied de la montagne de Phuoc-Trinh. […]

Mercredi 17 octobre 1951

Nous apprenons par les GR de la section GVNS de Baria, venus comme à l’habitude en protection des travaux, que le GR Courieux, grièvement blessé accidentellement le 21 juin 1951 est décédé ces jours-ci dans un hôpital de Saïgon où il venait d’être transféré. Après avoir été à la mort et assez bien rétabli pendant les 4 mois qu’il a passés à l’hôpital du cap Saint-Jacques, il avait été transféré à Saïgon pour être rapatrié sanitaire en France, mais le voyage du cap Saint-Jacques à Saïgon a dû l’achever. C’est donc le 4e GR du 7e groupe d’escadrons GVNS de Nuoc-Ngot qui trouve la mort depuis un an. Il avait 27 ans, était célibataire et effectuait un deuxième séjour (ayant passé le premier de 18 mois dans la coloniale). Il venait de l’escadron de GR de Maison-Carrée, dans la banlieue d’Alger (10e légion de GR). […]

Dimanche 21 octobre 1951

Retour le matin à neuf heures avec la liaison courrier du cap Saint-Jacques jusqu’à Baria où je retrouve Bégel, venu faire la liaison de Nuoc-Ngot en jeep. Je repars avec lui jusqu’à Long-Dien où j’arrive à douze heures quarante-cinq. La section GVNS a été terminer les travaux hier avec les mêmes effectifs que précédemment, en se servant des décombres pris à Phuoc-Trinh même. Ils sont partis ce matin en patrouille dans Long-Dien pour protéger la mobilisation de 80 jeunes Annamites, enrôlés d’office dans la jeune armée vietnamienne, conformément aux accords prévus. Cette opération se passe sans incident. Repos l’après-midi. Dans le courant de la nuit, Sihoan Guillaume est atteint de violentes douleurs au ventre qui lui provoquent des vomissements. L’infirmier, qui lui fait une piqûre et lui donne des cachets, diagnostique un commencement de dysenterie. […]

Mercredi 24 octobre 1951 (13 mois)

Départ à sept heures. La section GVNS et un groupe de la coloniale restent en protection au carrefour des écoles. Nous emmenons une trentaine de coolies réquisitionnés comme à l’habitude le matin par les policiers vietnamiens du commissariat de Long-Dien. Dans les dernières caï-nhas, à la sortie du village (An-Ngaï), nous récupérons des houes et coupe-coupe pour équiper nos « ouvriers » bénévoles (tout de même payés onze piastres par jour par la Province). Trois charrettes viennent également. Nous sommes précédés une heure avant par une section de la 8e compagnie du 2/22e RIC de Baria et une section renforcée de la 6e compagnie de Long-Dien qui font une opération dans le secteur de Phuoc-Trinh, sous le commandement du capitaine Billod-Laillet, commandant du quartier de Long-Dien et de la 6e compagnie du 2/22 RIC.

Nous les retrouvons sur la route, en face Phuoc-Trinh et, pour notre part, nous poursuivons jusque l’emplacement du poste, sans rien voir de spécial. Les deux sections continuent peu après notre arrivée, vers Long-My. Nous restons toute la journée à Phuoc-Trinh avec deux groupes GVNS qui font la protection et la surveillance du débroussaillement des alentours de l’emplacement du poste et du chargement des décombres pris à l’emplacement du poste et servant à finir de reboucher quelques coupures sur la route, en face de Phuoc-Trinh. Le 3e groupe de la section GVNS resté sur la route, effectue ce travail. Pour ma part, je suis avec les deux groupes et m’occupe du débroussaillement à Phuoc-Trinh, alors qu’Emeriaux fait le cantonnier.

Dans la matinée, le commandant du 2/22e RIC (commandant Lafisse) vient nous rendre visite et peu après, les sections se trouvant en opération repassent à proximité de nous, débouchant de la brousse et précédés par le commando de ralliés du SR de Baria. Ils ont avec eux un prisonnier qui les a guidés jusqu’à un emplacement de guetteurs, à 600 mètres de l’endroit où je débroussaillais. Deux VM qui étaient en train de se doucher près d’un puits, au milieu d’une petite clairière ont été totalement surpris et n’ont eu que le temps de s’enfuir, en abandonnant leurs deux fusils et leur paquetage dans lequel se trouvent des documents. Ce sont un fusil anglais et un fusil japonais. La fuite des VM dans les rochers au pied de la montagne a été saluée par une fusillade des tirailleurs que je n’avais pas entendue, le vent ne portant pas. C’est un bon point pour la 6e compagnie du 2/22e RIC et encore une fois, il s’avère qu’il n’y a que sur renseignements qu’on peut obtenir des résultats. Il est dommage qu’un chien a signalé l’approche des sections et a alerté les VM, sinon ceux-ci auraient peut-être pu être capturés. Nous rentrons le soir après une journée bien remplie. Nuit calme. […]

Dimanche 28 octobre 1951

Contrairement à ce qu’il était prévu, nous nous apprêtons à partir à sept heures et les deux sections attendent les camions dans la cour du camp Petit (nous devions aller en opération sur la route de Saïgon, au-delà de Baria) lorsqu’une vive fusillade se fait entendre du côté de An-Nhut. Aussitôt, le lieutenant Le Pansé qui devait partir avec nous prend un groupe de combat de la coloniale et part avec le camion de la 6e compagnie. Il rentre une heure après et nous apprenons que c’est un petit groupe de tirailleurs cambodgiens de la 6e compagnie du 2/22e RIC qui occupent la tour Mère de An-Nhut qui sont tombés dans une embuscade en ouverture de route, entre cette tour et la tour de la mare aux éléphants, en revenant vers Long-Dien.

Les VM, au nombre d’une trentaine environ, les attaquent à trente mètres, au passage d’un petit pont, sur la route Long-Dien - Dat-Do qui passe en pleine rizière. Les huit tirailleurs, commandés par un caporal, armés d’une mitraillette Mat, d’un VB et de six fusils ripostent, tuent trois VM et récupèrent une mitraillette Sten avec deux chargeurs, des cartouches et grenades, et mettent les autres en fuite. Ceux-ci se sauvent en direction de Long-Phuoc, à travers la rizière, en entraînant l’un des leurs, blessé. C’est vraiment une belle action d’éclat de la part de ces huit Cambodgiens. Le VM disposant d’une mitraillette et qui a été tué devait être le chef de section. L’un des Cambodgiens était soi-disant Bouddha, c’est un genre de sorcier aux yeux de ses camarades. Pendant que les VM tiraient et que ses camarades se planquaient dans les fossés, il est resté debout au milieu de la route, ripostant avec sa mitraillette et tuant le chef de section VM. Ses camarades, en voyant cela, ont repris courage et ont riposté. Les VM étant dans la rizière, camouflés dans le riz (actuellement de 1 mètre de haut), était facilement repérables et ont été atteints par les VB et fusils des tirailleurs.

Dès que le camion rentre, nous repartons avec une section de la coloniale et notre section GVNS sur les lieux du combat pour fouiller le terrain. Alors que notre section reste sur la route, l’autre section s’avance en ligne dans la rizière pour voir si il n’y a pas d’autres armes de cachées dans l’eau et si il n’y a pas de morts. Un VM est découvert à trente mètres de la route, dans un suoï (ruisseau d’écoulement) qui passait sous le pont. Il a dû être atteint par un éclat de VB et s’est noyé. Un autre gît au milieu de la route, le crâne fracassé et est enterré sur le fossé de la route, sous nos yeux, par des prisonniers qui venaient de Baria en camion, escortés par des tirailleurs de la 8e compagnie du 2/22 RIC de Baria. Les fouilles effectuées minutieusement permettent de récupérer encore une grenade F1 viet et des cartouches. Pendant que la section de la coloniale se déploie dans la rizière, nous apercevons au loin, hors de portée de fusil, des VM qui s’agitent à la lisière de la brousse, en direction de Long-Phuoc.

Inutile de dire qu’il y a de la gaieté à la 6e compagnie et chez les tirailleurs, d’autant plus qu’il n’y a pas de casse chez eux. Vers dix heures, nous descendons les deux sections à Baria dans deux GMC et un Dodge 4x4 et, après avoir pris des ordres au PC du 2/22e RIC, nous faisons le tour par la route de Binh-Ba jusqu’au poste cao-daïste de Long-Kien, à 5 kilomètres de Baria et rejoignons Long-Dien par une petite route abandonnée, mais non coupée. Les massifs de bambous nous griffent la figure au passage, car la végétation a repris le dessus et il ne faudrait pas s’aviser d’y passer trop souvent, car nous pourrions y trouver des mines. Mais pour cette fois, nous ne verrons rien et le voyage est calme.

Bégel, qui était à Nuoc-Ngot, arrive ce matin en renfort, puisque le Mdl/Chef Durand et le GR Sihoan Guillaume sont toujours hospitalisés au cap Saint-Jacques. Repos l’après-midi, après être resté les deux sections en alerte pendant midi. Nuit calme. […]

Mardi 6 novembre 1951

Même travail que la veille, mais cette fois nous avons des coolies avec nous, cependant qu’un groupe de la coloniale assure la protection. Pour que ça aille plus vite, nous changeons de soubassement. Le soir, au retour, nous apprenons que la Sûreté et le SR du GBC de Baria viennent de faire une rafle dans Long-Dien et ont arrêté 17 suspects, dont trois Chinois représentants de la Chine communiste qui faisaient de la propagande parmi leurs compatriotes de la localité. Commenter

Mercredi 7 novembre 1951

Même travail qu’hier avec le soubassement d’une ancienne pagode. Le travail avance assez vite et le soir, il y a une bonne affaire de pierres de récupérées qui serviront à la construction du futur poste de Phuoc-Trinh (une dizaine de m3). Retour à midi au camp Petit (qui se trouve à 1500 mètres à l’autre bout du village).

Jeudi 8 novembre 1951

Même travail, mais avec des coolies. Par le convoi de Nuoc-Ngot qui s’arrête quelques instants au camp Petit en passant, nous apprenons que deux groupes de la compagnie GVNS de Phuoc-Haï ont détruit un état-major VM du secteur de Long-My - Phuoc-Trinh. Deux VM ont été tués et d’autres faits prisonniers. De précieux documents sur l’organisation de cette cellule ont été récupérés. Encore ça de moins qui nous ennuiera dans notre futur poste.

Vendredi 9 novembre 1951

Récupération de pierres après des soubassements dans le village d’An-Ngaï toute la journée avec les mêmes effectifs. […]

Samedi 10 novembre 1951

Départ à sept heures avec deux groupes de la section GVNS L’autre groupe est composé de malades et d’autochtones fatigués. Il est vrai qu’ils ne chôment pas en ce moment. L’un d’eux s’écroule dans les portes du poste au moment du départ et est acheminé par la suite à l’infirmerie de Baria où il est hospitalisé. La cause de ces maladies est probablement le changement de saison, car moi-même, je ne suis pas bien fort sur mes jambes en ce moment. Nous allons avec deux groupes jusqu’à Phuoc-Trinh, alors qu’un groupe de la coloniale nous accompagne et garde le carrefour des écoles et un autre, le tombeau. […]

Dimanche 11 novembre 1951

Jour de fête en France. Défilé à Baria où Bégel descend. Ici, revue d’armes le matin, puis gueuleton à midi, terminé à quinze heures par un coup de téléphone de la tour d’An-Nhut (Mère) qui signale apercevoir des types en train de couper la route de Phuoc-Trinh, à hauteur de cette localité. Je rassemble tant bien que mal deux groupes GVNS et la coloniale. Après un tir d’artillerie, nous partons au pas de course jusqu’à Phuoc-Trinh où nous ne voyons rien. […]

Mardi 13 novembre 1951

Aujourd’hui, repos pour les GVNS qui font leurs préparatifs en vue de notre départ définitif pour Phuoc-Trinh demain matin. Le matin, défilé et remise de décorations à Baria pour les différentes unités du GBC. Les GR Chevaucher et Rapy, de la compagnie GVNS d’intervention de Baria sont décorés de la Croix de Guerre des TOE, ainsi qu’un GVNS de notre section (Tran-Xu), Cambodgien, blessé au cours du coup dur de Cho-Ben qui a coûté la vie à Faure.

Mercredi 14 novembre 1951

À six heures, un groupe de la section GVNS va couvrir la route de Baria sur deux kilomètres et revient aussitôt. Pendant ce temps, le reste de la section se prépare en vue de son embarquement dans la matinée. À sept heures, quatre camions du GBC, transportant la 8e compagnie du 2/22e RIC de Baria, 80 prisonniers et prisonnières et la section GVNS de Baria, stationnent quelques instants devant l’entrée du camp Petit et chargent un groupe de la section GVNS de Long-Dien. Pour notre part, nous attendons jusqu’à dix heures avec les deux autres groupes de la section GVNS et Bégel (Moisand est parti avec le premier groupe) pour embarquer avec le reste des bagages et les munitions de la section, dans un camion qui vient de faire déjà une rotation jusqu’à Phuoc-Trinh.

Entre-temps, 250 coolies sont réquisitionnés de Long-Dien pour assurer le débroussaillement autour du poste, alors que les prisonniers travaillent à l’intérieur et sur le soubassement du poste, au désherbage du terrain. Les coolies sont venus d’eux-mêmes, contraints par le capitaine Billod-Laillet, délégué administratif du quartier de Long-Dien, de venir faire une journée de travail, avec interdiction pour eux de faire la récolte du riz, déjà commencée. Chaque cultivateur doit fournir un certain nombre de coolies suivant l’importance de ses propriétés.

À notre arrivée, vers dix heures trente au tombeau, le futur poste est déjà bien dégagé aux alentours et c’est une véritable fourmilière humaine dans le secteur de Phuoc-Trinh que nous voyons travailler. Nous trouvons un véritable changement avec ce que nous avons connu comme paysage jusqu’alors à cet emplacement. Tout le pourtour de la haie est déjà désherbé et des piquets sont déjà plantés entre les arbres de la haie, coupée à mi-hauteur (celle-ci entourait le soubassement). C’est la section GVNS de Baria qui est occupée à ce travail. Pendant ce temps, la coloniale assure la surveillance des prisonniers et la protection au carrefour des Écoles et aux alentours du chantier d’implantation. Les VM ne viennent pas s’y frotter. Tout autour du poste, dans un rayon de deux cents mètres, les deux cent cinquante coolies de Long-Dien débroussaillent et brûlent les massifs de bambous. Comme ce sont des haies pour la plupart, le poste est bien vite dégarni.

Le capitaine Billod-Laillet dirige le chantier (il y a pas moins de 600 personnes sur le terrain, les plans du travail avaient été établis minutieusement avant de commencer), fait le piquetage du poste avec le commandant Lafisse (commandant du 2/22e RIC). Notre matériel est déposé dans un véritable bric-à-brac à l’emplacement du futur poste et le groupe GVNS a déjà installé ses tentes individuelles dans un coin de cet emplacement. […]

À dix-huit heures, après une journée bien remplie, les camions commencent à rembarquer les coolies et les différentes unités occupées à travailler sur le chantier. Le terrain est bien dégagé sur deux cents mètres, tout le tour, l’emplacement du poste est désherbé et entouré d’une rangée verticale de barbelés. […]

Nous ne prenons même pas la peine d’établir nos tentes et dormons à la belle étoile, sur nos lits de camp. Sur le matin, la rosée tombe et nous endurons la couverture. Bien entendu, nous ne nous déshabillons pas pour être prêts à riposter en cas d’attaque. Le manger nous est apporté à midi de Long-Dien et le soir, nous mangeons un repas froid. Il ne se passera rien de la nuit, sauf un coup de fusil tiré à quatre heures quinze, probablement par une sentinelle du poste de Long-My. Nous sommes plus favorisés qu’eux, car nous avons le beau temps et n’avons pas un terrain marécageux comme eux (la côte est de 4 à Long-My et de 6 à Phuoc-Trinh). Les autochtones font leur tambouille individuellement et ne posent pas de tracas pour leur ravitaillement. Ils ont tous apporté vingt ou trente kilos de riz qu’ils font cuire dans une gamelle, sur deux pierres et ont apporté du poisson sec qui est, avec le riz, la base de leur nourriture. Si seulement nous pouvions avoir une nourriture aussi simple, ce serait moins embarrassant. Dès qu’ils ont un petit moment, ils vont tendre des lignes dans la rizière entre le poste et la RP 44) et se nourrissent des petits poissons ou crabes qu’ils pêchent et qui varient leur menu. À neuf heures du soir, nous faisons éteindre tous les foyers pour qu’ils ne servent pas de point de mire pour des VM qui voudraient nous harceler.

Le commandant du GBC était venu se rendre compte de l’avancement des travaux sur le soir. Vers minuit, nous apercevons deux ballonnets dans le ciel se dirigeant vers le Nord, lancés probablement par des GVNS de Nuoc-Ngot, Long-My, Phuoc-Haï ou Cho-Bo-Dap, à l’occasion de la fête des Eaux. En l’honneur de cette fête, les tirailleurs cambodgiens du camp Petit à Long-Dien avaient organisé une petite fête dans la cour du quartier avec, comme à l’habitude, un gueuleton avec tables décorées de fleurs et de bougies, etc.

Vendredi 16 novembre 1951

Ouverture de la route de Long-Dien à six heures trente. R.A.S. Effectif habituel avec soixante coolies de Long-Dien, en plus, qui continuent le débroussaillement. Je m’occupe avec la section de la rotation des cinq camions qui assurent le charroi des troncs d’hévéas de sable et de pierres amenés de Long-Dien. La 8e compagnie du 2/22e RIC de Baria continue à placer et construire la palissade en hévéas, pendant que les prisonniers creusent les fossés. Ceux-ci, de deux mètres de large et de profondeur, sont creusés à trois mètres des palissades, tout autour du poste et la terre est rejetée jusqu’en haut des palissades, formant un talus à la suite des fossés. Le capitaine Billod-Laillet qui mange avec nous et dirige le chantier se trouve avec une difficulté qu’il n’avait pas prévue. Il s’agit du terrain très humide qui entrave le creusage des fossés à un mètre de profondeur, l’eau apparaît et il faut creuser des fossés d’écoulement pour faire évacuer l’eau au fur et à mesure, dans la rizière légèrement plus basse, à proximité de la route de Long-Dien - Cho-Bo-Dap (RP 44). Cela fait une mare de boue dans le fond du fossé et les 80 prisonniers et prisonnières qui travaillent au fond ne sont pas dans un bel état à la fin de la journée. […]

Le soir, avec un groupe de Baria, nous avons plus de confiance pour passer la nuit : il fait un beau clair de lune et les palissades de deux mètres de hauteur sont presque terminées sur trois côtés, ce qui nous protégerait en cas d’attaque. De nombreux foyers allumés par les coolies qui ont éloigné encore un peu de la brousse, éclairent la nuit. Le matin, apercevant un buisson qui restait au milieu de la rizière, à 80 mètres du poste, j’envoie un coolie pour le couper, mais celui-ci a à peine commencé qu’il est attaqué par d’énormes frelons qui le piquent cruellement. Nous serons obligés de lui faire des piqûres de camphre pour le remonter et finalement, ce sont des GVNS de Baria, munis de mouchoirs sur la figure et de gants, qui iront incendier un énorme nid de frelons. Une fois ces indésirables insectes asphyxiés par la fumée, ils récupèrent les tables de cire, dont ils sont friands. Nous apprenons qu’un poste de Cao-Daïstes a été attaqué par les VM à la sortie de Baria (sur la route de Phu-My) la nuit dernière. Aucune casse chez eux (Cao-Daïstes). Survol et bombardement de la zone rebelle de Phuoc-Buu - Xuyen-Moc dans la journée. […]

Lundi 19 novembre 1951

Ouverture de route habituelle sur Long-Dien à six heures trente. Le capitaine Billod-Laillet nous avoue qu’il craignait que ce soit nous qui soyons attaqués hier soir. Il est vrai qu’il est responsable du poste qui se trouve dans son quartier. Les effectifs sont toujours sensiblement les mêmes : 2 sections de la 8e compagnie de Baria et 2 sections de la 6e compagnie du 2/22 RIC de Long-Dien, une section GVNS de Baria et 50 prisonniers de Baria (les prisonnières ne viennent plus).

Aujourd’hui, deux petits blockhaus d’angle, en rondins, pour guetteurs, sont commencés et presque terminés au soir, pendant que les deux blockhaus FM en dur, aux angles opposés sont commencés par des maçons civils de Long-Dien. Une section de la 8e compagnie du 2/22e RIC de Baria) fait une patrouille dans les environs sans rien voir.

Notre section est occupée au chargement et déchargement des pierres et du sable et a la garde des prisonniers, cependant que la section GVNS de Baria termine les réseaux de barbelés. Le soir, le commandant du GBC vient se rendre compte de l’état des travaux et félicite le capitaine Billod-Laillet pour la rapidité avec laquelle le poste se monte. Les prisonniers continuent à faire du terrassement, la plupart dans la boue des fossés et creusent des fossés d’écoulement pour l’évacuation de l’eau. Avec des chevaux de frise qui ferment la porte d’entrée du poste, nous sommes déjà plus en sécurité pour passer la nuit, d’autant plus que nous avons du renfort en la personne du Mdl/Chef Durand qui arrive aujourd’hui reprendre sa place au commandement de la section. Je la lui cède bien volontiers, car ce n’est pas un petit labeur, surtout en ce moment où on est appelé à tous bouts de champ. Nuit calme. […]

Samedi 24 novembre 1951 (14 mois).

Effectif habituel, mon travail pour aujourd’hui consiste à la surveillance des prisonniers qui sont toujours occupés au creusage des fossés, à l’extérieur des palissades. Il s’agit de le leur faire égaliser, ce qui n’est pas un petit travail à cause de la terre humide qui ne tient pas et s’éboule continuellement. Nous sommes obligés de laisser la terre du talus s’égoutter, avant de la reprendre pour la façonner et l’égaliser. Heureusement qu’il fait beau et ne pleut pas. Nous voici à présent à la saison sèche.

Les autres travaux se poursuivent. Un blockhaus FM surmonté d’une tour pour guetteur, le tout recouvert de terre, est terminé. Une voie d’accès permet de le joindre de l’intérieur, car les blockhaus sont éloignés des palissades, à deux angles, pour pouvoir flanquer les fossés. La petite tour de guetteur où on peut s’y rendre de l’intérieur peut servir éventuellement pour lancer des grenades en cas d’attaque. […]

Lundi 26 novembre 1951

Travaux avec les effectifs habituels. Patrouille d’une section de la 8e compagnie du 2/22e RIC de Baria dans la brousse, aux alentours du village qui découvre de nouvelles caï-nhas VM abandonnées. Vers dix heures, un Viet se rallie à Long-Dien (au camp Petit) avec une mitraillette Sten et quatre chargeurs pleins. Il donne des renseignements de la plus haute importance au commandant du quartier de Long-Dien (Billod-Laillet) en le prévenant qu’une embuscade est montée, ce jour, par un gros détachement viet armé de trois FM et d’une mitrailleuse. Cette embuscade doit avoir lieu entre Long-Dien et le poste de Cho-Ben, en vue d’attaquer le camion qui ramène, tous les soirs, le groupe du poste de Cho-Ben qui participe aux travaux avec la section de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien.

Une mine est posée, paraît-il, entre Cho-Ben et Long-Dien, à 400 mètres du poste de Cho-Ben. Elle doit exploser sur le passage du véhicule qui doit ramener le groupe, cependant que la mitrailleuse doit empêcher les occupants du poste de venir à leur aide. Depuis cinq heures du matin, 80 VM environ sont dans la brousse aux alentours de l’endroit choisi pour l’embuscade.

Comme on le voit, cette embuscade est préparée minutieusement par les rebelles et le renseignement est d’importance. Aussitôt que ce renseignement parvient, c’est le grand branle-bas pour la coloniale (pour nous, il n’y a rien de changé). L’état-major du GBC est alerté et pour tenter d’avoir un résultat sur ces VM, il décide de ne rien changer en ce qui concerne le passage du camion, mais pour renforcer le poste, un camion ramène le groupe, couché dans le fond pour faire croire aux VM qu’il est vide.

Du poste de Cho-Ben, la route est surveillée à la jumelle et il est constaté que les tilburys et les véhicules civils arrêtent à un certain endroit et passent sur le côté de la route, ce qui confirmerait la déclaration selon laquelle une mine serait posée. D’habitude, la population civile est prévenue par les VM quand une embuscade est tendue sur une route, aussi il y a toujours lieu de se méfier le matin, lorsque à l’ouverture de route, on ne voit aucun piéton sur la route. Bien entendu, la population se garde bien de nous prévenir.

À cinq heures du soir, comme prévu, la 8e compagnie et la 6e compagnie du 2/22e RIC contournent l’endroit où se trouvent les VM, cependant que les Blindés de Baria viennent en protection. Malheureusement, ce déploiement de force, insolite pour les rebelles, les alerte et ceux-ci se sauvent à l’approche des unités participant à cette opération. Un groupe de sept Viets entourant un FM passe non loin de nos forces, sans être atteint. Il eut été préférable de ne pas déployer tant de forces, car les Viets devaient déjà être sur leurs gardes à la suite de la désertion d’un des leurs. Toujours est-il que le renseignement était exact, puisqu’il y avait des VM et que la mine sera récupérée. Le rallié de ce matin annonce qu’une embuscade étant prévue également par les mêmes rebelles (de Phuoc-Buu) sur la route de Long-Dien - Long-Kien le 29, pour tenter d’intercepter le groupe de partisans de la délégation militaire de Long-Dien (poste au centre de la localité) qui coupe des hévéas pour le poste de Phuoc-Trinh depuis trois semaines dans la région de Long-Kien - Long-Phuoc (au Nord de Baria). Nuit calme. […]

Dimanche 2 décembre 1951

Repos toute la journée, sauf pour les deux groupes qui font l’ouverture de route de Long-Dien au matin. Dorénavant, nous ne prendrons plus qu’un groupe renforcé pour la faire, car il ne reste plus qu’un groupe au poste pendant que les deux autres sont partis. Nettoyage du chantier à l’intérieur du poste, le matin. Courrier, journal de marche, sieste et patrouille sur le soir dans le village nous occupent la journée. Tir du canon de 75 de Dat-Do à huit heures. Nous apprenons que celui de Long-Dien a repris sa place et est de nouveau pointé pour la protection du poste. Nuit calme.

Lundi 3 décembre 1951

Une opération sur Binh-Ba ayant lieu aujourd’hui (ouverture de route Baria - Binh-Ba qui se fait tous les dix jours avec deux compagnies et les Blindés), le personnel de Baria ne vient pas, sauf les maçons. Nous ne travaillons qu’avec le personnel du poste.

Mardi 4 décembre 1951

Aujourd’hui, effectif normal. Prisonniers de Baria, une section de la 5e compagnie du 2/22e RIC qui tenait des postes dans le quartier de Binh-Ba (Binh-Ba – Courtenay et Xa-Bang), secteur des plantations d’hévéas exploitées par la compagnie des terres rouges) qui prend la place de la 8e compagnie du 2/22e RIC, comme compagnie d’intervention et vice-versa (la 8e compagnie relève la 5e dans le quartier de Binh-Ba). Section d’intervention de Baria (GVNS) laquelle est occupée, le matin, à couper des bambous aux alentours du poste, en vue de faire des piquets épointés pour ficher dans les talus et fossés.

Le creusage de l’emplacement du soubassement, en vue de construire les logements des autochtones, se poursuit au moyen du Decauville. La section de la 5e compagnie du 2/22e RIC fait une petite patrouille le matin, jusqu’au pied de la montagne et fait l’inverse avec la section GVNS de Baria l’après-midi. Celle-ci, au cours de la patrouille, découvre quatre grosses cloches en bronze d’aluminium provenant probablement d’une pagode et camouflées par les VM en vue de les faire fondre pour être transformées en munitions. Nous en gardons une au poste en vue d’en faire un tam-tam, mais les GVNS du poste de Phuoc-Trinh, prédisent les plus grands malheurs sur le poste, si nous nous en servons à ces fins. Finalement, elle reste dans un coin. Les autochtones sont très superstitieux, surtout avec les objets en provenance des pagodes.

Sur le soir, l’officier de renseignements du GBC (lieutenant Vallot) arrive au poste avec le commando de ralliés du GBC (anciens VM qui se sont ralliés avec des armes et combattent dans la même tenue que les VM) venant de faire une patrouille dans la brousse, entre Long-My et Phuoc-Trinh. Ils ne découvrent que des camps VM abandonnés, à 400 mètres du poste de Phuoc-Trinh. À peine arrivé au poste, le groupe de ralliés repart seul en patrouille dans un autre coin (vers les villages de Phuoc-Huong et Hat-Lang) et nous apprendrons plus tard que le chef de ce groupe a été tué, soi-disant au cours d’un accrochage pendant cette patrouille, mais comme nous n’avons pas entendu tirer, tout le monde est persuadé que c’est au cours d’un règlement de compte qu’il a été abattu. D’ailleurs, il a été atteint d’une balle dans le dos, chose assez bizarre. Cette patrouille rejoint le carrefour des écoles.

Mercredi 5 décembre 1951

Continuation des travaux avec les mêmes effectifs, mais c’est un groupe de la GVNS de Baria qui reste en contre-embuscade au carrefour des écoles. Nous apprenons que le GR Frelon, popotier au mess du 7e groupe de compagnies à Nuoc-Ngot est décédé hier matin, des suites d’une crise d’urémie. Malgré une santé déficiente (il était obèse et pouvait à peine se mouvoir), il avait été envoyé en Indochine. Ces derniers temps, il était très fatigué, mais continuait son travail quand même. C’est sur l’ordre du capitaine Mazéas qu’il avait rejoint l’infirmerie de Baria avant-hier. Son état s’aggravant, il a été transféré hier matin à l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques et c’est en arrivant qu’il est décédé.

Il était célibataire, quatorze ans de service, se trouvait depuis 5 mois en Indochine et se trouvait dans la Garde républicaine à Lyon (8e Légion à Bourgoin), auparavant. C’est donc le cinquième GR qui meurt au 7e groupe de compagnies de Nuoc-Ngot depuis huit mois. Décidément, celui-ci paye un lourd tribut. L’enterrement a lieu ce matin au cap Saint-Jacques. […]

Jeudi 6 décembre 1951

Une opération étant en cours aujourd’hui, personne ne vient et seule la section du poste travaille. Dans le courant de la journée, nous avons la visite du capitaine Mazéas (commandant du 7e groupe de compagnie de Nuoc-Ngot) qui vient nous apporter la solde. Il est avec un groupe de Long-My, arrive par la route de Long-My et est accompagné du GR Buisson et du Mdl/Chef Cornebois, notre voisin de Long-My. Il visite le chantier en trouvant bien des critiques à faire (il y a toujours la question animosité entre Armes) et il n’est pas dans son quartier. […]

D’après de nouvelles notes, les gradés autochtones doivent avoir plus de liberté dans le commandement, afin de nous remplacer graduellement. Le groupe de Long-My, avec le capitaine, reste une heure et repart par le même chemin. […]

Lundi 10 décembre 1951

Comme prévu, personne ne vient, sauf les deux maçons militaires de Baria qui couchent au poste au soir. Ils préparent le coffrage de la terrasse du réduit. Une patrouille dans la rizière, à 500 mètres du poste, du côté d’An-Nhut, nous permet d’acheter des canards à bas prix pour varier notre menu. Un éleveur d’An-Ngaï en possède 8 500 en plusieurs bandes et une troupe de 2 500 sont à proximité de Phuoc-Trinh.

Mardi 11 décembre 1951

[…] Au début de la nuit, histoire de voir si les blockhaus FM sont pratiques, nous faisons une petite attaque fictive du poste. Bien entendu, cette attaque devient réelle aux yeux des voisins et du commandement, car celui-ci n’apprécie pas beaucoup les fausses alertes dans la nuit et les dépenses inutiles de munitions. Deux obus de mortier et deux chargeurs de FM sont tirés, ainsi que quelques coups de fusils. Clair de lune magnifique. Visite de l’assistante sociale du GBC qui vient avec le capitaine Billod-Laillet. Nous percevons un phare portatif à accus pour éclairer les abords du poste par nuit noire.

Mercredi 12 décembre 1951

Nous appréhendons un peu la rencontre avec nos voisins au sujet de l’attaque fictive d’hier, mais à notre étonnement, ils n’ont rien entendu, ce qui facilite l’explication. Vers huit heures, un groupe de partisans du poste de la délégation militaire de Long-Dien, avec un sergent de la 6e compagnie du 2/22e RIC de cette localité, vient faire une patrouille dans le secteur des villages de Phuoc-Trinh, Phuoc-Huong, Hat-Lang et An-Ngaï.

Nous apprenons que les partisans qui occupent la tour d’An-Ngaï Sud avaient trahi et étaient sur le point de livrer la tour aux Viets. Heureusement, le complot est découvert à temps. Les travaux se poursuivent avec la section du poste, personne ne venant des autres unités qui travaillent habituellement au chantier. Quant aux prisonniers, le commandant de quartier nous a dit hier qu’il ne fallait plus compter sur eux.

À midi, un groupe de ralliés du commando de l’OR de Baria, avec un sous-officier européen arrive avec un car chinois et part aussitôt en opération dans la montagne, guidé par un gosse de quatorze ans, fait prisonnier dernièrement. Ils rentrent vers seize heures, en possession de drapeaux VM (rouge avec l’étoile jaune au centre) et communistes (rouge avec la faucille et le marteau) récupérés ainsi que deux grenades, une mine, des paquetages, des documents, etc., dans un campement VM, à trois kilomètres d’ici, dans la montagne. Les occupants de ce camp alertés à temps à l’arrivée du groupe de ralliés par un coup de fusil tiré trop tôt par l’un des ralliés, réussissent à s’enfuir dans la brousse.

D’après ces trophées, la preuve est faite une fois de plus que les VM ne mènent pas cette guerre dans un esprit nationaliste, en vue de flanquer les Européens à la porte de l’Indochine, mais plutôt dans un esprit communiste. D’ailleurs, de grandes photos de Staline et de Lénine ont déjà été récupérées dans des camps d’instruction VM du secteur. […]

Lundi 17 décembre 1951

[…] Le camion de Long-Dien n’étant pas venu rechercher les maçons, comme à l’habitude au soir, ceux-ci passent la nuit au poste. Au début de la nuit, la lune n’étant pas encore levée, nous employons le phare sur la terrasse du réduit européen (presque terminé) pour éclairer les abords du poste, de temps à autre. À présent, le coffrage de la terrasse est enlevé et d’ici peu, nous allons pouvoir occuper notre nouvelle demeure.

Mardi 18 décembre 1951

Ouverture de la route de Long-Dien à sept heures. R.A.S. Nous apprenons que deux Viets ont rallié le poste de Dat-Do dimanche, l’un porteur d’un pistolet, l’autre de deux grenades. Après-midi, patrouille de reconnaissance sur la route de Long-My en compagnie de Bégel avec un groupe renforcé. Notre mission consiste à reconnaître les travaux qu’il reste à faire pour la réfection de la route jusqu’à la limite du quartier de Long-Dien - Nuoc-Ngot (lieu-dit « Terme Sud »).

À part deux grandes coupures élargies à la longue par l’eau d’un suoï, il y a peu de travail à faire pour la remettre en état. Le GBC doit, paraît-il, remettre deux camions à benne, à la disposition du commandant de quartier de Long-Dien pour terminer la réfection de la route, ce qui permettra de terminer les travaux plus rapidement. Le débroussaillement des abords de la route sera vite fait, celle-ci passant au milieu de la rizière parsemée de quelques buissons de bambous.

Il n’en est pas de même pour le quartier de Nuoc-Ngot qui, sur la portion de route, entre la limite du quartier de Nuoc-Ngot et Long-My, a un nombre plus important de coupures et une grosse haie de bambous qui longe la route et est propice aux embuscades. Les coupures sont pratiquement comblées avec la terre récupérée, mais il faudra y mettre encore des pierres sinon, les véhicules s’embourberont lorsqu’ils passeront.

Après un quart d’heure de marche, nous atteignons la limite du quartier de Long-Dien, puis, malgré les ordres que nous avons reçus, nous poursuivons jusqu’au poste de Long-My où nous arrivons après une demi-heure de marche. C’est la première fois que j’y viens et je peux constater que les travaux sont déjà bien avancés et qu’ils n’ont rien à nous envier au point de vue construction, car il présente bien. Nous retrouvons le Mdl/Chef Cornebois, commandant de la 20e compagnie GVNS et le chef de poste et qui a dirigé les travaux d’implantation du poste de Long-My, les GR Collet, Latry (à qui j’ai succédé comme chef de poste au poste Nord de Nuoc-Ngot où il a passé neuf mois avec moi) et Pignard, arrivé depuis peu de temps en Indochine.

Nous visitons le poste construit exclusivement par la section qui occupe le poste, secondée par quelques coolies du village et quelques GVNS du poste de Cho-Bo-Dap (distant de 1 kilomètre environ). Le poste, commencé le 17 décembre 1951 est presque terminé actuellement. Il est de forme triangulaire et plus grand que le nôtre. Les logements autochtones sont appuyés sur deux faces, aux murettes qui délimitent le poste proprement dit. À chaque angle, un blockhaus d’angle en dur est construit qui flanque chaque face du poste. Un mirador de 14 mètres de haut le domine et permet au guetteur qui se trouve en permanence de jour, de voir ce qui se passe dans la rizière, aux alentours du poste et sur la route de Phuoc-Trinh et de Cho-Bo-Dap. La murette est construite avec des planches de teck récupérées dans Long-My. Au centre du poste, un réduit en dur servant à abriter le magasin d’armes et de munitions, la chambre radio et les Européens. Comme à Phuoc-Trinh, une terrasse le domine. Actuellement, l’aménagement de l’intérieur est en train de se faire, notamment un parquet en ciment. Des coolies travaillent à creuser un fossé autour des murettes, mais il sera moins creux que celui de Phuoc-Trinh, car le sol est très sablonneux et en lisière de la rizière, aussi il n’est pas possible d’évacuer l’eau.

Toute la charpente des bâtiments est faite au moyen d’arbres récupérés dans la brousse et débités par deux GVNS, scieurs de long. Du haut du mirador, il est possible d’apercevoir le toit du poste Sud de Phuoc-Haï, distant de 5 kilomètres environ. La population de Long-My, ralliée depuis trois mois, est sensiblement à son effectif d’avant-guerre, avec près de cinq cents habitants. Depuis le début des travaux, le calme règne dans le coin et aucun accrochage n’a eu lieu. Tout le transport des matériaux s’est fait avec l’aide des charrettes à bœufs réquisitionnées dans Long-My. Par contre, les pierres étaient récupérées à trois cents mètres du poste, ce qui facilite les choses. Dimanche soir, un petit harcèlement a eu lieu contre le poste, mais sans faire de dégâts. Quelques VB et coups de feu ont été tirés sur le poste.

Lorsqu’on a connu ce secteur avant qu’il ne soit pacifié et qu’on le revoit maintenant, on trouve une réelle différence. Une grande rizière entre Long-My et Cho-Bo-Dap vient d’être remise en culture. À cette époque, un grand nombre de personnes travaille à la récolte du riz et de nombreux troupeaux de bœufs paissent dans la rizière. […]

Jeudi 20 décembre 1951

Le matin, Bégel descend à Baria pour aller percevoir des médicaments pour le poste et par la même occasion, ramène à midi le coiffeur GVNS de la compagnie d’intervention GVNS de Baria. L’après-midi, visite du capitaine Billod-Laillet qui vient faire visiter le poste à un jeune sous-lieutenant de la métropole, affecté à la 6e compagnie du 2/22e RIC à Long-Dien et qui doit rejoindre le poste de Long-Phuoc pour en prendre le commandement.

Le soir, nous faisons un exercice d’alerte à vingt-deux heures et, pour que celle-ci semble réelle aux yeux des autochtones (pour voir leur réaction en cas d’attaque), Bégel lance une grenade OF et tire plusieurs rafales de mitraillettes. Cela ne rend pas ce que ça devrait donner, les parados couverts qui protègent chaque créneau individuel sont obstrués par les GVNS et leurs familles (presque tous là, à présent) qui logent dedans, en attendant d’avoir des baraquements de construits. Il en résulte que l’accès des créneaux est difficile, ce qui serait gênant en cas d’attaque.

Environ dix minutes après que nous avons commencé l’alerte, des civils du village arrivent au poste, munis de lanternes et nous crient de loin qu’ils ont un blessé civil avec eux. Après avoir pris les mesures de sécurité pour éviter une ruse de la part de VM, nous laissons deux hommes entrer au poste, transportant dans un hamac une jeune annamite de 14 ans, blessée au côté par une balle perdue. Nous lui donnons les premiers soins, mais ne pouvons faire plus que de lui faire un pansement. La plaie ne saigne pas et la balle ne semble pas avoir pénétré profondément. La blessée garde tous ses sens et n’est pas évanouie.

Pour sauver la face aux yeux de la population du village, nous déclarons à celle-ci que les VM nous avaient tiré dessus de la lisière du village et que c’est en ripostant que la blessée a été touchée. Les habitants semblent convaincus que c’est vrai et ne protestent pas. Nous leur donnons rendez-vous le lendemain matin à proximité du poste avec la blessée, afin de transporter celle-ci avec le camion qui amène les maçons. Cet accident stupide jette tout de même un froid parmi nous. Il est regrettable que Bégel n’ait pas pensé à tirer dans une autre direction. Heureusement que cet accident ne semble pas mortel, mais tout de même cet accident donne à réfléchir au cas où nous aurions des blessés graves au poste. Nous serions obligés d’aller demander du secours en sortant avec un groupe. La blessée est ramenée dans sa caï-nha pour y passer la nuit, par ses gardes malades.

Vendredi 21 décembre 1951

Le matin, dès que le camion amène les maçons, les civils transportent la blessée jusqu’au poste et la charge dans le camion. Elle ne semble pas trop mal en point et nous l’évacuons sur Long-Dien. Bégel descend au quartier, au PC du camp Petit à Long-Dien pour faire un rapport, plus ou moins brodé sur cet accident. Pour tous, ce sera soi-disant une attaque du poste, d’ailleurs Long-Dien nous a entendus tirer, le village se trouvant dans la direction où nous avons tiré.

Il rentre à midi en nous apprenant une chose assez surprenante, à savoir que le commandant de quartier a trouvé la chose tout à fait normale et s’est même étonné qu’on se soit occupé de la blessée. Il y a tout de même une question d’humanité et si nous voulons nous mettre bien avec la population et être tranquilles par la suite, il vaut mieux s’en occuper.

Samedi 22 décembre 1951

Le matin, ouverture habituelle de la route de Long-Dien jusqu’au carrefour des écoles. J’accompagne le groupe et en profite pour repérer des soubassements où il est encore possible de récupérer des carrelages dont nous allons avoir besoin pour faire le parquet de notre réduit. J’en trouve quelques-uns qu’il faudra aller récupérer. Aujourd’hui, nous déménageons et prenons position, provisoirement, dans le réduit.

Une partie est pratiquement terminée (moitié du réduit, surmontée d’une terrasse) et, quoique l’intérieur ne soit pas fignolé et que nous soyons assez serrés, nous serons toujours plus abrités que dans la caï-nha que nous avions construite le premier jour de notre arrivée au poste. L’essentiel est surtout pour les munitions qui seront à l’abri des VB en cas d’attaque.

L’après-midi, je suis délégué pour faire le ravitaillement et vais acheter des canards dans la rizière, au-delà de la route Long-Dien - Long-My en face du poste. Je pars avec six GVNS et achète les volatiles à un gardien de canards qui a un troupeau de deux mille canards. Nous prenons un bon bain de pieds dans l’eau croupie de la rizière, mais rapportons une vingtaine de canards achetés à bas prix. Ces volatiles sont faciles à nourrir lorsqu’ils trouvent du menu fretin et des vermisseaux qui pullulent dans la rizière. Nous contrôlons les papiers de personnes coupant du riz et d’autres en repiquant (quel contraste), dans une mare d’eau disposée dans un endroit en contrebas. […]

Lundi 24 décembre 1951 (15 mois).

[…] Le soir, réveillon de Noël bien calme, puisque après avoir joué aux cartes et bu deux bonnes bouteilles, nous nous couchons à minuit. Que peut-on dire d’autre, à quatre Européens, dans un poste isolé.

Mardi 25 décembre 1951

L’ouverture de route journalière sur Long-Dien n’a pas lieu à sept heures, comme à l’habitude, mais à dix heures pour le passage du camion qui nous amène le ravitaillement. D’autre part, un groupe de Long-My avec Latry et Pignard viennent nous avertir à huit heures que le capitaine Mazéas, commandant du quartier de Nuoc-Ngot et du 7e groupe de compagnies GVNS vient nous rendre visite et manger à midi, accompagné du commandant de la 20e compagnie (Mdl/Chef Cornebois).

Nous nettoyons un peu le poste, cependant que Moisand accompagne le groupe d’ouverture de route, jusqu’à Long-Dien, afin d’acheter les aliments que nécessite cette réception. À midi, le capitaine Mazéas arrive en jeep avec le Mdl/Chef Cornebois. Deux colis expédiés d’Epoye me sont apportés par le capitaine. Ils permettent de corser la réception. À quatre heures, nos hôtes repartent après avoir fait un repas dans une bonne ambiance. C’était la première visite officielle qu’il nous faisait et, sachant que nous étions les plus isolés de l’unité actuellement (puisque détachés dans un quartier tenu par la coloniale), il a tenu à passer cette fête avec nous, ce qui nous fait plaisir, comme bien on pense.

[La construction du poste se poursuit].

Lundi 31 décembre 1951

Le commandant du 3e régiment GVNS devant venir nous rendre visite aujourd’hui, nous nous tenons prêts pour le recevoir, tout en continuant les travaux. Bégel descend à Baria et notre popotier Moisand, au ravitaillement à Long-Dien. À son retour à midi, Moisand nous rapporte une triste nouvelle : le GR Quériault Pierre, du poste Est de Phuoc-Haï (Voir Duplan), a été mortellement blessé hier soir, à vingt et une heure, en effectuant une liaison du poste Sud de Phuoc-Haï à son poste. Grièvement blessé par une rafale de mitraillette tirée de l’encoignure d’une porte, il est décédé trois heures après. Le VM qui a tiré a réussi à s’enfuir dans le dédale des caï-nhas de Phuoc-Haï.

Inutile de dire que cette triste nouvelle nous plonge dans la stupeur. Je connaissais particulièrement bien Quériault pour avoir vécu deux mois avec lui à Nuoc-Ngot, au début de mon arrivée. C’était un bon vivant qui avait fait pas mal de travail à Phuoc-Haï au poste Nord puis ensuite, au poste Est. Il s’était déjà distingué en participant au coup de main du 24 juin 1951 au cours duquel une mitraillette et un fusil avaient été récupérés dans la région de Long-My - Phuoc-Trinh, à ce moment pas encore pacifiée.

Il en était à son dix-neuvième mois de séjour et était le plus ancien des Européens à Phuoc-Haï. Célibataire, 27 ans, il était auparavant en France dans la Garde républicaine de Paris. Il est dit que l’année 1951 aura été lourde en pertes en Européens pour le 7e groupe de compagnies GVNS de Nuoc-Ngot qui a le triste privilège d’être le plus chargé en mort de la 1ère légion de marche de Garde républicaine. Cela fait le 6e Européen de tué depuis 6 mois. Sur une cinquantaine que nous sommes pour encadrer le 7e groupe de compagnies GVNS qui comprend 450 Vietnamiens environ, ça peut compter. De plus, un rapatrié sanitaire des suites de blessures reçues au combat (Tajent), deux autres Européens de blessés (Crumbach et Devrieux), deux GVNS de tués et six autochtones de blessés. Voilà le bilan 1951.

Certaines notes trouvées dans des camps VM recommandaient à ces derniers de viser tout particulièrement les Européens. Nous pouvons nous apercevoir malheureusement que c’est exact. Inutile de dire que le commandant du régiment ne vient pas au poste. L’enterrement a lieu le matin à Baria. Bégel y assiste, ainsi qu’une délégation des quatre compagnies GVNS du 7e groupe et des diverses unités du GBC. Il rentre à dix-huit heures avec le capitaine Billod-Laillet qui est venu nous souhaiter la bonne année. Le réveillon se passe bien tristement, car quoiqu’on sache que c’est le destin, on ne peut empêcher d’y penser. Les gradés autochtones font une petite réception le soir, à l’occasion du réveillon et viennent nous présenter leurs vœux.

Mardi 1er janvier 1952

Le commandant du régiment devant venir ce matin à sept heures, nous sommes sur le qui-vive, alors que Moisand fait l’ouverture de route de Long-Dien et reste en contre-embuscade au carrefour des écoles. Pendant ce temps, nous faisons nettoyer le chantier. Voyant que le commandant n’arrive pas, Moisand rentre à dix heures. Bien lui en prend puisque un quart d’heure plus tard, le capitaine Mazéas, le commandant Ourtha (commandant du 3e régiment GVNS de Gia-Dinh) et Latry arrivent au poste avec un groupe de Long-My. Ils arrivent de Long-My à pied. Comme à l’habitude, présentation d’un groupe en grande tenue et visite du poste. Échange de vœux, etc. Après avoir pris l’apéro, ils repartent et nous emmènent, le Mdl/Chef Durand et moi, casser la croûte à Long-My. Nous prenons un groupe du poste avec nous.

Au cours de leur visite, ils nous apprennent qu’un groupe de Cao-Daïstes de Nuoc-Ngot (ancien PC du 7e groupe de compagnies) a eu, lui aussi, un gros coup dur ce matin, à l’ouverture de route de Phuoc-Haï. Le groupe est tombé dans une embuscade entre le camp de Nuoc-Ngot et le poste Nord de Nuoc-Ngot et a eu un homme de tué et un fusil de perdu. Les VM étaient armés de pistolets-mitrailleurs et de grenades. Décidément, les VM sont entreprenants pour commencer l’année et le quartier de Nuoc-Ngot est bien servi à ce sujet.

D’autre part, nous apprenons que toute l’équipe de cuistots civils du mess européen du PC à Phuoc-Haï a été internée hier. En effet, un doute subsistait concernant ces derniers qui, depuis qu’ils étaient à Phuoc-Haï, étaient soupçonnés d’être contactés par les rebelles. C’est sur la dénonciation d’un autre civil que le complot a été découvert. Après interrogatoire, ils ont reconnu avoir été contactés par les VM, lesquels leur demandaient des renseignements concernant notre activité, les plats préférés des Européens mangeant au Mess, leur effectif, les heures des patrouilles, l’emplacement des armes automatiques dans les postes, etc. Il était temps de les arrêter car, tôt ou tard, ils auraient pu empoisonner le repas des Européens mangeant au Mess. Par la suite, le civil qui a dénoncé ses camarades et nous a rendu un fier service sera envoyé à Saïgon, où une place lui sera trouvée pour lui éviter des représailles de la part des VM.

Nous partons à onze heures trente du poste de Phuoc-Trinh et arrivons à midi et quart au poste de Long-My, après un voyage sans incident. Nous y retrouvons les collègues de ce poste, ainsi que ceux du poste de Cho-Bo-Dap, voisin de celui de Long-My. Les gradés autochtones sont également invités. Inutile de dire qu’il y a de l’ambiance au repas, présidé par le commandant du régiment. Après le départ de celui-ci avec le capitaine Mazéas vers seize heures, nous quittons le poste vers seize heures trente, accompagnés par un groupe de Long-My. C’était plus prudent, car nous emmenons deux mitraillettes Mat 1949 neuves pour les Européens du poste de Phuoc-Trinh (en remplacement des mitraillettes Sten appelées à disparaître complètement de l’armement des Européens), des munitions, un VB 36, des obus de VB. […]

Mercredi 2 janvier 1952

Ouverture de la route de Long-Dien où nous faisons liaison avec le groupe de tirailleurs de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien au carrefour des écoles. Nous apprenons par ceux-ci que la tour de Cau-Thu-Luu, tenue par des partisans Cambodgiens entre Long-Dien et Baria, à 2 kilomètres de Long-Dien, a été attaquée cette nuit vers deux heures trente par des VM. Ceux-ci ont miné les défenses de la tour et incendié celle-ci, sans toutefois réussir à en faire sortir les défenseurs (qui dépendent de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien), lesquels ont réussi à repousser l’attaque avec l’aide du tir au mortier effectué par le camp Petit à Long-Dien et à éteindre le feu. Une partie des défenses sont brûlées, mais la tour principale n’est pas atteinte. Des mines ont été récupérées, ainsi que des bidons d’essence.

Encore un moyen d’attaque qui n’avait pas encore été tenté par les VM dans la région. Décidément, ceux-ci sont agressifs ces derniers jours. […]

Samedi 5 janvier 1952

[…] Nous apprenons que les explosions entendues la nuit dernière du côté de Long-Haï provenaient d’une attaque VM contre la pagode Cao-Daïste de Long-Haï. Celle-ci saute sous l’explosion de quatre mines à charge creuse, cependant qu’un violent harcèlement a lieu sur les postes Cao-Daïstes voisins (quatre civils de Long-Haï auraient été tués au cours de l’attaque).

Décidément, les Cao-Daïstes du quartier de Nuoc-Ngot sont particulièrement visés par les Viets en ce moment et certainement que l’attaque de la pagode leur aura porté un gros coup à leur amour-propre. Récemment, une opération dans le secteur a permis la destruction de douze camps VM, la plupart abandonnés. Le soir, vers vingt et une heure, Long-My tire trois obus de mortier. Aucune rafale n’est tirée. […]

Lundi 7 janvier 1952

Comme prévu, l’aumônier arrive à huit heures, accompagné du capitaine Billod-Laillet, commandant du quartier de Long-Dien et d’un sergent-chef Vietnamien (Vang) de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien qui fait office de servant. La messe commence un quart d’heure après, sur un autel provisoire, sous le hangar appelé à devenir le bâtiment des autochtones.

Nous n’avons qu’un autochtone comme catholique qui assiste à la messe avec les quatre Européens du poste et le capitaine Billod-Laillet. L’aumônier et le capitaine Billod-Laillet déjeunent avec nous à l’issue de la messe et repartent vers neuf heures trente. Aussitôt, je pars en patrouille avec Bégel et cinq autochtones dans le village de Phuoc-Trinh pour prévenir leurs occupants qu’ils aillent encore couper 120 piquets et qu’ils les amènent au poste.

À présent et, malgré le coup dur qui est arrivé à une enfant du village, nous vivons en bons termes avec les habitants du village, notamment avec les enfants qui s’accrochent après nous et réclament des piastres. Les navets en cette saison forment le plus gros du jardinage des habitants et les plants sont très bien entretenus. L’après-midi, le Mdl/Chef Durand va acheter des canards dans la rizière, en face An-Nhut, avec un demi-groupe du poste de Phuoc-Trinh. Les rizières s’assèchent et ces volatiles commencent à se faire rares. […]

Mercredi 9 janvier 1952

[…] Avant-hier, dans le courant de l’après-midi, en effectuant une patrouille, le Mdl/Chef Cornebois (chef de poste de Long-My) et le GR Collet ont arrêté deux VM qui conversaient sur une petite piste, à 400 mètres du village de Long-My, entre cette localité et Long-Phu et ont été surpris par l’arrivée soudaine de la patrouille. Cuisinés sérieusement, ils se reconnaissent Viets, mais refusent de fournir des renseignements. Ils sont dirigés par la suite sur le service de renseignements du GBC à Baria. Ce qui prouve que si les rebelles ne se font pas trop voir dans le secteur, il est toujours profitable de faire des patrouilles dans les environs des villages récemment ralliés, où les VM continuent à venir.

Le groupe de Long-My, après avoir stationné une heure au poste de Phuoc-Trinh, rejoint Long-My. L’après-midi, vers quatorze heures, un car chinois de Long-Dien amène un groupe de commando de ralliés de Baria, muni d’un ordre de mission de l’officier de renseignements du GBC pour effectuer une patrouille dans les environs du poste, à un kilomètre au pied de la montagne. Ils laissent le car à proximité du poste et rentrent vers quinze heures, ayant découvert un camp (où plusieurs d’entre eux y avaient séjourné lorsqu’ils étaient encore dans les rangs VM) et récupèrent des grenades, une mine, un paquetage et des documents. Les rebelles, comme à l’habitude, se sont enfuis avant qu’ils arrivent. La petite blessée du village de Phuoc-Trinh est en bonne voie de guérison et vient se faire soigner au poste, après avoir été hospitalisée huit jours au cap Saint-Jacques. […]

Vendredi 11 janvier 1952

Ce matin, un groupe du poste descend à Long-Dien à pied pour assurer le ravitaillement du poste. Les véhicules de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien ne viennent pas apporter la soupe pendant la durée de l’opération en cours, la route étant considérée comme fermée. Depuis quelques jours, une biche vient manger la nuit, à proximité du poste de Phuoc-Trinh. À l’aube, une sentinelle l’aperçoit, à trois cents mètres du poste, en train de brouter dans une petite clairière. Nous la tirons au FM, mais sans résultat. Et dire qu’il y en a qui font des kilomètres pour aller à la chasse… !

À midi, le groupe du poste rentre au poste, en GMC, avec du renfort en la personne du GR Foubert Michel, ex-vaguemestre au cap Saint-Jacques, muté disciplinairement au poste de Phuoc-Trinh en remplacement du GR Moisand qui est affecté dans un des deux postes (usine des eaux ou tourelle de Baria) tenus par la 18e compagnie GVNS du cap Saint-Jacques. Il faut croire que le poste de Phuoc-Trinh n’est pas considéré comme un des meilleurs postes tenus par le 7e groupe de compagnies GVNS de Nuoc-Ngot.

D’autre part, j’apprends que je suis muté au poste Est de Phuoc-Haï depuis le 1er janvier 1952, en remplacement du GR Quériault, tué le 30 décembre 1951 à Phuoc-Haï. Je dois rejoindre ma nouvelle affectation dans les plus brefs délais, ce qui ne sourit pas beaucoup au Mdl/Chef Durand, chef de poste du poste de Phuoc-Trinh qui tient à me garder avec lui. Pour ma part, je ne dois pas être remplacé suite au récent passage du commandant du 3e régiment GVNS qui comprime l’encadrement européen dans son unité. Ils vont donc rester à trois (Mdl/Chef Durand, GR Bégel et Foubert) et il est possible qu’un groupe de GVNS soit retiré par la suite, en raison de l’espace restreint disponible pour construire les bâtiments des autochtones.

Pour ma part, ça ne me déplaît pas de changer de poste, ça fait passer le temps et au point de vue ravitaillement et sanitaire, ce sera toujours mieux qu’ici. Je reste tout de même encore quelques jours ici, pendant que le Mdl/Chef Durand va prendre un rappel de piqûre qui doit le tenir huit jours à Baria.

Foubert qui était arrivé en février 1951 était vaguemestre du 7e groupe au cap Saint-Jacques depuis le début de son séjour, venant de la Garde républicaine de Paris. L’après-midi, nous allons en patrouille dans les villages de Phuoc-Huong et Phuoc-Trinh. Contrôle de papiers, photos, sont à peu près tout ce qui nous occupe au cours de cette petite virée sans incident. […]

Dimanche 13 janvier 1952

Nous apprenons que la fusillade d’hier matin sur Dat-Do provenait d’une attaque de l’ouverture de route de Dat-Do - Cô-Tre. Quatre grenades piégées ont explosé et quelques coups de feu ont été échangés de part et d’autre, blessant un tirailleur autochtone qui participait à l’ouverture de route.

Nous faisons l’ouverture de route de Long-Dien à onze heures, de manière à protéger le passage du camion qui nous apporte la soupe. Je reste avec Moisand le temps que Bégel et Foubert font l’ouverture de route. Le chauffeur du camion me remet un pli m’enjoignant, ainsi qu’à Moisand, de rejoindre Long-Dien immédiatement en vue de notre acheminement sur nos nouvelles affectations. En cinq minutes, j’ai rassemblé mes bagages, chargé ceux-ci dans le camion et sans avoir pu régler quoique ce soit avec les Européens, en ce qui concerne la popote, nous quittons le poste en faisant un rapide adieu aux autochtones.

Sur la route, nous rencontrons le groupe du poste qui rentre de l’ouverture, faisons nos adieux en vitesse et arrivons à douze heures trente pour manger au mess de la coloniale au camp Petit à Long-Dien. Nous apprenons le décès du général Delattre de Tassigny en France et recevons les ordres de mettre les drapeaux en berne pendant un mois. J’apprends qu’une liaison de Phuoc-Haï doit me monter au PC à Phuoc-Haï. Quant à Moisand, son départ aujourd’hui est plus problématique et il est à prévoir qu’il faudra qu’il attende le passage d’un convoi de Phuoc-Haï se rendant au cap Saint-Jacques pour rejoindre sa nouvelle affectation.

Vers dix-sept heures, un camion et une jeep du PC de Phuoc-Haï passent et arrêtent au camp Petit, revenant du cap Saint-Jacques avec le capitaine Mazéas et son remplaçant qui arrive aujourd’hui. C’est le capitaine Faure Louis qui arrive de France où il commandait le 1er escadron de la 9e légion de Garde républicaine à la caserne Beauveau à Marseille. Il doit prendre le commandement du 7e groupe de compagnies GVNS de Phuoc-Haï dès que le capitaine Mazéas lui aura passé les consignes. […]

Mardi 15 janvier 1952

Aujourd’hui, convoi au cap Saint-Jacques. L’après-midi, Latry m’accompagne avec l’ambulance à mon nouveau poste. Je retrouve les GR Crumbach, chef de poste (blessé par une grenade le 15 septembre 1951 à Long-My dix mois de séjour) et Wattecamps (onze mois de séjour). Je les connaissais déjà, ayant eu leur visite au poste Nord de Nuoc-Ngot lors de leur arrivée. Depuis la mort de Quériault le 30 décembre, ils n’étaient plus qu’eux deux au poste Est, aussi ils voient arriver le renfort avec plaisir.

Je visite le poste de fond en comble, prends les premières consignes au point de vue emplacement de combat en cas d’alerte. Le poste Est de Phuoc-Haï qui est occupé par vingt-six GVNS et leurs familles, possède comme armement un canon de 57mm braqué sur la zone interdite qui commence à 1 kilomètre du poste en direction de la zone VM de Lo-Khan - Phuoc-Buu et qui est utilisé pour tirer sur les barques qui s’aventurent en zone interdite. Le poste Est est donc le dernier poste sur la côte Est de Cochinchine. Il possède également un mortier de 60mm et deux FM en plus de l’armement individuel des GVNS Pour s’y rendre, on passe devant le poste Nord de Phuoc-Haï qui, avec le poste Sud, forme un triangle qui encadre le village. Le poste Nord n’est qu’à 400 mètres du poste Est et est relié téléphoniquement avec le poste Sud où se trouve le PC du sous-quartier de Phuoc-Haï et le PC de la 19e compagnie GVNS.

Dès la sortie du poste Est en direction de la zone interdite, ce sont des dunes de sables fins sur 400 mètres, tout le long de la côte, sur laquelle la végétation n’a pas pris. Ce poste a été particulièrement éprouvé au point de vue personnel Européen, puisque Courieux, de la compagnie d’intervention GVNS de Baria, blessé grièvement et mort des suites de ses blessures en novembre dernier, y avait été comme chef de poste, Crumbach, chef de poste actuel a été blessé en septembre dernier et Quériault a été tué voilà une quinzaine de jours.

Au sujet de sa mort, j’apprends que c’est en ramenant la solde des autochtones du PC du poste Sud au poste Est en compagnie de Crumbach et d’un soldat autochtone qu’il a été mortellement blessé par une rafale de mitraillette. Il était le seul à porter une mitraillette, ses compagnons avaient chacun des grenades. Ils revenaient du poste Sud à la nuit, en traversant le village et c’est en passant devant une boutique éclairée que Quériault, qui venait de s’arrêter dans une boutique et était légèrement distancé par ses camarades, a été blessé par une rafale de mitraillette Sten, tirée de l’encoignure d’une porte par un VM caché dans l’ombre.

Crumbach, qui se trouvait à une centaine de mètres en avant revient sur ses pas en entendant la rafale et aperçoit Quériault qui gît au milieu de la chaussée. Il lance ses deux grenades dans la direction où le VM semble s’être enfui, prend la mitraillette de Quériault, endommagée par une balle et vide le chargeur qui était engagé, puis va demander du secours en courant au poste Est, distant de 400 mètres, pendant que le GVNS qui les accompagnait reste en protection du blessé.

Le personnel du poste Est qui a entendu les coups de feu et explosion des grenades est déjà en alerte et dès qu’ils voient rentrer Crumbach seul, se doutent d’un malheur et partent immédiatement sur les lieux de l’embuscade sous le commandement de Wattecamps. Ils estimaient tout particulièrement Quériault qui était ancien au poste et le sachant à la merci de ses agresseurs, ils se précipitent tous et il faut toute l’autorité du chef de poste pour qu’il en reste quelques-uns au poste. Ils trouvent Quériault râlant dans une mare de sang, soutenu par un commerçant chinois qui restait à côté. Ils le ramènent au poste Est et constatent qu’il est blessé d’une balle dans la tête et d’une balle au foie. Une autre balle est venue briser le boîtier chargeur de sa mitraillette.

Le PC, prévenu dès le début, envoie immédiatement une ambulance pour le transporter à l’infirmerie en attendant son acheminement vers l’hôpital du cap Saint-Jacques et des patrouilles des trois postes sont envoyées dans Phuoc-Haï, mais bien entendu, le ou les VM n’ont pas attendu et se sont enfuis dans le dédale des petites rues étroites. Quériault décédera deux heures après, sans avoir repris connaissance et sera emporté au début de la nuit par une ambulance du GBC, escortée de Blindés jusqu’à Baria.

En apprenant la mort de Quériault, les soldats GVNS sont littéralement déchaînés et il est difficile de les empêcher de commettre des excès. Si on les laissait faire, ils voudraient incendier le village. Il est vrai que Quériault était bien connu de la population et bien vu par elle. Mais aussi, si la population qui sait où sont les VM acceptait de nous donner des renseignements pour les prendre, elle en serait vite débarrassée et serait tranquille après. Résultats : les cinq ou six caï-nhas voisines de l’embuscade sont pillées et démontées, auparavant les tuiles et la charpente et tout ce qui peut servir sont expédiés au PC pour faire des baraquements et à la suite des tirs effectués sur toute lumière aperçue dans le village par l’un des trois postes, plusieurs habitants sont tués ou blessés. Le couvre-feu à dix-neuf heures qui avait été levé depuis l’arrivée du capitaine Mazéas à Phuoc-Haï est remis.

À la suite de toutes ces représailles, la population vient en délégation au PC du 7e groupe GVNS à proximité du poste Sud de Phuoc-Haï et donne sa parole d’honneur que plus aucun attentat n’aura lieu dans la localité. C’est peu probable, tant qu’ils ne nous dévoileront pas les VM qui y résident et qui collectent les impôts au profit de l’organisation rebelle du coin. Le capitaine Mazéas, qui est très pacificateur, lève les représailles et promet qu’on ne tirera plus sur eux. Il les autorise à nouveau à pratiquer la pêche de nuit et lève le couvre-feu.

Quelques jours plus tard, Wattecamps qui se trouve seul au poste Est et voit passer une barque de Phuoc-Haï trop près du poste Est, tire dessus au FM et tue l’un de ses occupants. Aussitôt re-délégation de 150 personnes de Phuoc-Haï avec protestation de ces derniers. Le capitaine Mazéas fait appeler Wattecamps au PC et lui passe un sérieux savon pour ne pas respecter les consignes. Il est évident que les largesses du capitaine vis-à-vis de la population incitent celle-ci à aider les rebelles ou tout au moins à ne pas les dévoiler.

D’après l’enquête effectuée aussitôt et par recoupement, ils apprennent par le Chinois qui soutenait Quériault lorsque les renforts sont arrivés et qui possède son magasin juste à côté que huit VM étaient venus manger chez lui une demi-heure avant et que c’est l’un d’eux, caché dans l’encoignure de la porte et apercevant Quériault paraître dans la lumière, qui a tiré. Ce Chinois est invité à se présenter au poste dans les huit jours, mais il s’empresse de prendre la poudre d’escampette, sous prétexte de maladie, pour Baria et n’est pas encore revenu.

Passé le temps qui lui avait été accordé pour se présenter, son magasin est totalement déménagé et démonté (il reviendra par la suite, mais ne s’en plaindra pas, heureux encore de s’en tirer à si bon compte). Nous apprendrons plus tard que ce petit déménagement lui aura coûté 20 000 piastres. Mais comme les Chinois sont pareils que les Juifs et savent s’entraider, il n’en pâtira pas pour cela et trois mois après, aura remonté un autre commerce. […]

Comme le logement des Européens se trouve au 1er étage et communique directement avec la terrasse (par une trappe) où se trouve le chef de faction (qui régulièrement frappe le gong auxquels les deux autres sentinelles répondent de la même façon), nous ne sommes pas obligés de quitter la chambre ou, tout au moins, si le gong des sentinelles ne répond pas, il nous suffit de passer notre tête par la trappe et d’engueuler le chef de faction qui est responsable des deux autres sentinelles. C’est donc moins fatigant que dans les deux postes où je viens de passer un an (poste Nord de Nuoc-Ngot et poste de Phuoc-Trinh).

Mercredi 16 janvier 1952

[…] L’après-midi, patrouille dans la région de Long-Phu avec Wattecamps et trois GVNS du poste Est et Mounin et deux GVNS du poste Nord choisis parmi les meilleurs tireurs. Nous fouillons le village de Long-Phu et en arrivant dans la grande rizière qui sépare le village du village de Long-My, la plantation Laurent (au Sud de Long-My) et le pied de la montagne, nous saluons de plusieurs coups de fusil une vingtaine de types qui se sauvent en direction de la montagne, à 400 mètres de nous. Deux coups de fusil sont tirés et deux fumées, probablement des VB, sont aperçues sur leur retraite, en arrière d’eux. Certainement des VM surpris qui nous croient plus près d’eux et qui ont tiré deux VB pour protéger leur retraite vers la montagne. Nous incendions deux abris de guetteurs sur la lisière de la brousse qui fait face au village de Long-Phu. Cette patrouille (un peu hardie vu l’effectif que nous étions, d’habitude nous n’allons pas à moins d’une section dans ce secteur) se termine à dix-sept heures au poste Sud de Phuoc-Haï. Nous y restons une demi-heure, rendons compte de cette mission autorisée par le commandant de sous-quartier) à ce dernier et regagnons le poste Est en passant par le village. Nous ne sommes plus que deux Européens et un autochtone (les autres et ceux du poste Nord étant repartis en tilbury par la route). Inutile de dire que nous nous tenons sur nos gardes. Le coup de Quériault nous est encore présent à la mémoire.

Un violent incendie de l’autre côté de Phuoc-Haï Sud (en direction de Nuoc-Ngot) et un coup de fil du poste Sud, à vingt et une heure, nous mettent en alerte. Un groupe reste en alerte, prêt à partir si on a besoin de nous. […]

Jeudi 17 janvier 1952

[Durant l’après-midi, le garde Gallot fait une sortie dans la montagne)].

Le capitaine Faure, pour sa première opération, a été servi d’autant plus qu’il n’a pas l’habitude de ces marches en montagne dans la brousse. Finalement, la visite des capitaines au poste Est est annulée. Quant à l’incendie d’hier soir, du côté de Nuoc-Ngot, ce n’était qu’un incendie de brousse. Cela a tout de même permis de faire un contrôle à la tour Ly en passant et de constater avec quelle « vigilance » les partisans qui l’occupent font leur travail. Deux groupes ouvrent les barrières et les referment, sans que les occupants de la tour s’en aperçoivent. Comment s’étonner que des tours soient dynamitées de temps à autre. Inutile de dire qu’ils se font passer un sérieux savon.

Vendredi 18 janvier 1952

[…] Nous apprenons que le GR Sihoan Guillaume, qui était tombé malade lorsqu’il était avec moi à Long-Dien et après être guéri, était rapatrié pour fin de séjour au début de décembre 1951, serait mort peu de temps après son arrivée en France. Après avoir passé deux jours chez des amis, il avait rejoint son pays en Bretagne et s’est trouvé mal en descendant du train. Pris d’une crise de fièvre pernicieuse, il décédait le lendemain.

Il aura à peine revu sa famille et on peut le considérer comme mort parmi nous. C’est donc le 7e GR du 7e groupe de compagnies de Phuoc-Haï qui meurt. Sa santé était très éprouvée sur la fin de son séjour, mais aussi, il est inadmissible que malgré les notes qui prévoient qu’on ne doit faire que la moitié du séjour en poste et le reste en ville, on laisse des GR faire tout leur séjour dans des postes isolés, alors que d’autres font tout leur séjour en ville. La santé s’en ressent, car on ne trouve pas à se soigner en poste comme en ville, les nuits sont plus fatigantes en poste, car il faut être toujours en éveil, alors qu’en ville, en raison du grand nombre de troupes qui s’y trouvent, les Européens ne sont pas obligés de prendre le quart toutes les nuits et leur tour revient moins souvent. D’autre part, le ravitaillement est tout de même plus facile en ville où il existe un marché, en principe, plutôt qu’en poste où il faut toujours batailler pour trouver des provisions et les conserves reviennent bien souvent dans les plats.

Il serait pourtant facile de faire des mutations dans les compagnies du 7e groupe, puisque deux compagnies (la 19e et la 20e) sont en poste et que les deux autres sont en ville (la 17e à Baria et la 18e au cap Saint-Jacques). Or, on voit des jeunes gardes comme Muller et Durocher qui sont au cap Saint-Jacques et à Baria depuis quinze mois qu’ils sont au 7e groupe de compagnies, alors que Sihoan a passé tout son séjour en poste, quoique ayant une santé déficiente sur la fin de son séjour. Il était ancien prisonnier en Allemagne pendant cinq ans, marié sans enfants.

Samedi 19 janvier 1952

Une opération prévue dans la montagne à la suite des déclarations du prisonnier capturé avant-hier dans la pagode doit avoir lieu aujourd’hui. Le prisonnier, sous la menace, accepte de servir de guide jusqu’à deux camps VM, dissimulés dans la montagne. À la suite de cela, une opération avec une section GVNS renforcée (4 groupes dont un du poste Est) devait partir à huit heures trente. Cependant, ce matin, un coup de téléphone du PC compagnie (poste Sud) retarde l’heure du départ, le prisonnier ayant tenté de se suicider cette nuit n’est pas en état de guider la section.

Cette fois, c’est Crumbach qui y participe. Ils partent à treize heures, rejoignent le poste Sud et rentrent le soir, vers dix-huit heures. Cette opération permet de découvrir deux camps VM dans la montagne. Le premier trouvé, magnifique observatoire pour les rebelles qui voient tout ce qui se passe et peuvent voir tout mouvement au pied de la montagne, jusqu’à la route Phuoc-Haï - Dat-Do est inoccupé, mais deux mines à cloche et un sac bourré de documents sont récupérés. L’autre camp, en dur, est probablement un lieu de passage pour les VM qui se déplacent d’une région à une autre.

Cette opération est moins fatigante que la précédente, le trajet étant moins long. Le soir, vers vingt heures trente, un coup de fil du poste Sud nous annonce que nous avons du courrier à ce poste, rapporté par un convoi descendu au cap Saint-Jacques. Nous décidons d’aller le chercher en compagnie du poste Nord (Mounin et six GVNS). Du poste, je pars avec Wattecamps et trois GVNS du poste Est. Nous passons par la route qui relie les trois postes et ceinture Phuoc-Haï. Au poste Sud, nous restons une demi-heure et repartons, mais en passant dans le village (contrairement à l’ordre donné par le commandant de compagnie), Wattecamps connaît les habitations de plusieurs suspects qui sont absents de chez eux, mais sont recherchés depuis longtemps.

Nous fouillons deux ou trois habitations en les encerclant et pendant cette opération, Mounin arrête un civil qui vient de la plage et se dirige vers le centre de la localité. Celui-ci, qui parle très bien le français, déclare tout d’abord qu’il est depuis huit jours à Phuoc-Haï et qu’il est chez son fils. Il porte un paquet assez volumineux que nous nous empressons de fouiller. Nous trouvons dans celui-ci une couverture mouillée et interrogeons le suspect sur la raison pour laquelle cette couverture est humide. Il s’embrouille dans ses réponses et finalement avoue qu’il arrive du village VM de Lo-Khan, à 6 kilomètres et qu’il vient de débarquer d’une barque viet. Celle-ci est encore sur la plage, d’après ses dires, et une autre est sur le point de débarquer.

Aussitôt, nous confions le prisonnier à la garde de deux GVNS et nous nous précipitons vers la plage, distante de 50 mètres environ. Au débouché de la ruelle, sur la plage, nous apercevons à 50 mètres, une barque, hissée en partie sur la plage et entourée de plusieurs personnes occupées à la monter sur la grève. Avec le bruit de la mer, ceux-ci ne nous entendent pas venir et n’entendent pas nos sommations. L’un d’eux nous aperçoit et aussitôt, c’est une envolée vers le dédale des barques hissées sur la grève. Nous ouvrons le feu de nos armes automatiques (presque tout le monde en est doté) et quoique plusieurs réussissent à s’enfuir, l’un d’eux s’écroule au pied de la barque, tué sur le coup et criblé de balles. Un autre fait quelques mètres et s’écroule, le bas-ventre et les jambes traversées par une rafale de mitraillette. Il se traînera encore une dizaine de mètres, au milieu des barques hissées sur la grève et mourra un quart d’heure après. Une femme reste sur le terrain, avec une balle dans les reins. Elle a toute sa lucidité et, sur le moment, nous ignorons qu’elle est blessée. Plusieurs autres ont réussi à s’enfuir, peut-être blessés. Pendant que trois GVNS vont alerter du poste Nord, le poste Sud par téléphone, nous assurons la protection de la barque et fouillons celle-ci et les cadavres. Cette perquisition est fructueuse, puisqu’elle nous permet de récupérer un ordre de mission VM, de Phuoc-Buu. Quant à la barque et son contenu, elle est, bien entendu, confisquée. Un quart d’heure après les coups de feu, un groupe du poste Sud, avec Robert et Latry, arrive sur les lieux et emmène les prisonniers (l’homme et la femme blessée) au PC compagnie.

Pendant ce temps, nous réquisitionnons des coolies dans les baraques environnantes pour garer la barque (qui n’est pas immatriculée à Phuoc-Haï) et transporter au poste Est tout son contenu. Le cadavre qui baignait dans le ressac au pied de la barque est amené aux côtés de l’autre, sur la grève par les coolies.

Il ne faut pas moins de trente coolies pour transporter tout le butin qui comprend des paniers de mandarines, provenant de la zone VM et destinés à être revendus sur le marché de Phuoc-Haï pour permettre aux VM d’obtenir de l’argent ayant de la valeur, la piastre Ho-Chi-Minh n’en ayant aucune en zone contrôlée. Nous récupérons également des rouleaux de Caïphen (papier de riz tressé), des cacahuètes, de la poix pour goudronner les barques, des cordages, etc. Nous ne laissons que la barque sur la grève et enlevons tout, car ça pourrait disparaître d’ici demain matin.

Au cours de la recherche de coolies dans les habitations environnantes du lieu de la bagarre, une femme suspecte, trouvée avec des habits humides est arrêtée et est ramenée au poste Est de Phuoc-Haï. Le civil arrêté le premier dans les rues de Phuoc-Haï nous signale qu’une autre barque devait également accoster cette nuit et que ces barques qui viennent de la zone de Lo-Khan - Phuoc-Buu viennent deux nuits dans une décade et transportent des marchandises et des légumes de la zone rebelle qui sont revendus en zone pacifiée pour obtenir de l’argent de valeur. Il est évident qu’auparavant, ces barques ne s’aventuraient pas à Phuoc-Haï en raison du couvre-feu mais, depuis que le capitaine Mazéas a ordonné de laisser accoster les barques la nuit, c’est beaucoup plus facile pour une barque rebelle de se camoufler parmi les autres.

Toutes ces pérégrinations nous font coucher à une heure du matin, car il faut encore interroger la prisonnière qui parle quelques mots de français et s’embrouille quelque peu dans ses déclarations. Par la suite, d’après les déclarations du prisonnier, celle-ci aurait débarqué de la première barque et serait une infirmière viet. Quant à l’autre blessée aux reins et qui décédera le lendemain, elle était de Phuoc-Haï et écoulait la marchandise apportée de la zone rebelle. […]

Lundi 21 janvier 1952

Ce matin, je descends en convoi au cap Saint-Jacques avec une escorte fournie par les deux postes (Nord et Est). Le poste Sud fournit un groupe également. Après avoir stationné un quart d’heure à Baria pour y déposer au GBC, les prisonniers VM capturés ces jours-ci, nous poursuivons notre route et arrivons au cap Saint-Jacques vers neuf heures quarante-cinq.

À la caserne GVNS, nous chargeons les deux camions de caisses d’armement et de munitions, destinés au 7e groupe de compagnies GVNS de Phuoc-Haï (fusils 1936 qui vont remplacer les Mauser des autochtones). Ensuite, nous rentrons vers onze heures, escortés par les AM du 2e Spahis de Baria. Comme il est déjà tard, nous mangeons au restaurant à Baria. À la GVNS, nous retrouvons les deux capitaines (Mazéas et Faure) en visite à la 18e compagnie. Après un voyage sans incident, nous rentrons à seize heures.

Là, j’apprends qu’une section formée avec un groupe des trois postes est partie en opération guidée par deux femmes de Xom-Ray, capturées ce matin sur renseignements du prisonnier d’hier (du poste Nord). Ces femmes et plusieurs autres prisonniers capturés au cours de l’opération formeraient un réseau qui ravitaille les VM de Phuoc-Buu. Cependant, ce ne sont pas les membres les plus importants de l’organisation rebelle du coin, ce ne sont que des intermédiaires qui, après quelques mois passés à Thu-Duc (à 15 kilomètres de Saïgon, centre d’internement des prisonniers VM pour la Cochinchine) seront relâchés.

Si on voulait arrêter tous les sympathisants Viets, il n’y aurait pas assez de prisons en Indochine, car 99 % de la population les soutient, soit par conviction, soit par crainte de représailles. À quinze heures quinze, l’opération est terminée et les groupes rentrent à leur poste, cependant que les prisonniers sont dirigés au PC compagnie (poste Sud). Le soir, signaux lumineux sur la côte viet de Saïgon-Moï - Pointe de Cu-My.

Mardi 22 janvier 1952

[…] Dans la matinée, un tailleur Annamite de Phuoc-Haï, soupçonné d’avoir hébergé l’agresseur de Quériault, est amené au poste Nord. Comme ça fait du travail à ce poste, nous nous en occupons et l’internons au poste Est. L’après-midi, nous procédons à son interrogatoire. Comme toujours, il ne sait rien ou nous donne des renseignements que nous connaissons déjà. Il connaît soi-disant le collecteur d’impôts viet qui ramasse une ou deux piastres par famille dans Phuoc-Haï tous les mois environ, mais ignore quand il vient et où il loge. […]

Jeudi 24 janvier 1952 (16 mois).

Un Annamite de 22 ans, voisin de notre prisonnier, vient au poste Est sur convocation. Il est interrogé sur l’activité VM à Phuoc-Haï. Il ne nous donne pas plus de précisions que son voisin et après interrogatoire du prisonnier, ils sont tous deux relâchés.

Dans le courant de l’après-midi, un guetteur VM chargé de surveiller les allers et venues du poste Nord, est arrêté à Phuoc-Haï par des autochtones de ce poste. « Cuisiné », le type dénonce un autre guetteur, chargé, celui-ci, de surveiller les sorties des Postes Sud et Est, de la plage. Nous savons que plusieurs collecteurs d’impôts Viets viennent récupérer de l’argent à Phuoc-Haï (une piastre par famille), à peu près une fois par mois. Tous les habitants le savent, mais aucun ne veut les dévoiler et nous dire où ils sont hébergés. À chaque interrogatoire, cette question est posée, mais comme un fait exprès, personne ne sait où ils restent. Par le prisonnier de ce matin qui recevait des ordres de l’un de ceux-ci, nous avons des renseignements plus précis aussi, le soir, à vingt et une heure, nous sortons avec Wattecamps et Mounin (du poste Nord) et 8 GVNS et allons fouiller plusieurs maisons de pêcheurs qui hébergeraient ces collecteurs. Nous patrouillons en même temps dans Phuoc-Haï et sur la plage, sans rien voir de spécial. Finalement, nous amenons au poste Est un homme et une femme, parents de l’un d’eux, qui interrogés, déclarent ignorer tout de ses agissements. Vers minuit, une barque fait des signaux lumineux pour aborder la plage. Nous repartons à 6 contrôler cette barque. Nous passons par la plage et arrivons juste quand elle aborde. Ce ne sont que des pêcheurs de Phuoc-Haï qui ont leurs papiers en règle. Au cours des fouilles des caï-nhas, nous perquisitionnons dans celle d’un Chinois, beau-père d’un des plus importants rebelles de Phuoc-Haï (Xa-Bay). […]

Samedi 26 janvier 1952

Ouverture de la route de Cho-Bo-Dap, comme à l’habitude, avec un groupe du poste Est et un du poste Nord. R.A.S. Repos pour tout le monde. Partout, dans Phuoc-Haï, on ne voit que guirlandes, fleurs, décorations de tous genres. L’après-midi, je suis invité avec Crumbach au poste Nord où une réception est offerte par les autochtones. Le commandant de la 19e compagnie (Mdl/Chef Paimpaud) et les GR Robert et Emeriaux sont également de la partie, venant du poste Sud. Nous restons une heure et quittons le poste Nord pour regagner nos postes respectifs.

Nous lisons aujourd’hui sur Caravelle (l’hebdomadaire diffusé gratuitement par le service de Presse et Information aux Combattants d’Extrême-Orient) le compte rendu de l’expédition qui avait permis de récupérer l’armement sur l’avion accidenté, en zone rebelle, le 6 mai 1951. Le compte rendu avait été envoyé par Bergeun à la Direction de Caravelle. Ainsi, le sous-quartier de Phuoc-Haï et la GVNS sont à l’honneur.

Dimanche 27 janvier 1952

La fête du Têt est commencée depuis une heure du matin. Cette année, celle-ci est consacrée au Dragon (chaque année, elle est consacrée à un animal différent (chat, cheval, serpent, bœuf, etc.). Tous les autochtones et leur famille ont revêtu leurs plus beaux habits pour la circonstance et mis leurs bijoux. Cette nuit, tout Phuoc-Haï était illuminé, contrairement à l’habitude et les pêcheurs ne sont pas sortis en mer.

Pour les civils, en temps de paix, cette fête dure huit jours, quant aux militaires, ils sont de repos pendant trois jours. À l’occasion de cette fête qui est la plus importante des fêtes annamites, les GVNS perçoivent la solde d’un mois d’avance, ce qui est certainement une vaste blague qu’on leur fait car, comme les jeux d’argent sont autorisés pendant ces trois jours, certains vont dépenser tout et tireront la langue pendant deux mois. Nous sommes invités chez une famille ou chez une autre à manger de leurs mets dont on se dégoûte vite. […]

Jeudi 31 janvier 1952

[…] Le soir, Wattecamps rejoint le poste Est venant de Baria et nous apprend qu’un gros coup dur est arrivé dans le GBC la nuit dernière. Le poste de Canh-Gio, situé en face du cap Saint-Jacques de l’autre côté de la baie à l’entrée de la rivière de Saïgon devant lequel on passe en arrivant en Indochine et qui, avec deux petits postes tenus par des éléments Cao-Daïstes, assure la protection du village de pêcheurs de Canh-Gio, a été pris au cours de la nuit. Il était occupé par une compagnie de la compagnie coloniale de Sécurité, cantonnée au cap Saint-Jacques.

Une représentation cinématographique était donnée au poste au soir et sur la proposition du chef de poste (un adjudant-chef de la coloniale qui avait encore seize jours à faire pour terminer son séjour), la séance de cinéma est faite en dehors du poste, au centre du village, pour que la population puisse y assister. Bien entendu, la garnison du poste est minime pour le garder pendant la représentation. Les VM qui étaient certainement au courant de cela attaquent dès que celle-ci est terminée, vers minuit. Ils pénètrent dans le poste, sans qu’il y ait de grosse résistance. Ils tuent les huit Européens et l’AFAT qui faisait le cinéma, ainsi que plusieurs autochtones et s’emparent de tout l’armement et les munitions du poste, soit un mortier de 81mm, un mortier de 60mm, une mitrailleuse 12,7, une mitrailleuse de trente et presque tous les FM du poste (une dizaine) et le poste radio. Ils emportent en même temps l’appareil de cinéma et détruisent le groupe électrogène qui servait à l’actionner. Un certain nombre de fusils de la garnison sont également emportés. Seul un sous-officier Européen, quoique blessé, réussit à emporter un FM et à se camoufler dans un rach, avec de l’eau jusqu’au cou, la tête cachée sous des racines de palétuviers.

Les Viets qui devaient être au moins deux compagnies pour faire l’attaque et transporter tout le butin sont entrés, sans coup férir, et la garnison a été surprise. On se demande s’il n’y a pas eu trahison. Chose bizarre, aucun autochtone n’est retrouvé sur le moment. Le poste étant isolé des autres postes du GBC, puisque se trouvant de l’autre côté de la baie, à trois kilomètres du cap Saint-Jacques, dans une région marécageuse et couverte de palétuviers et de palmiers d’eau, les renforts du Cap, alertés par les Cao-Daïstes, ne sont arrivés que deux heures après, sur des bateaux de débarquement de la Marine.

Ils ont retrouvé le radio, poignardé dans le dos, les écouteurs aux oreilles, attablé devant le bureau où se trouvait son poste radio. L’AFAT avait deux balles dans la tête. Chose bizarre, les deux postes Cao-Daïstes n’ont même pas été harcelés pendant l’attaque.

C’est un des plus gros coups durs que nous aurons subi dans le sous-secteur de Baria, surtout quand on sait quelles difficultés il y aura pour récupérer l’armement. Avec celui-ci, les rebelles vont pouvoir équiper une compagnie chez eux qui nous retombera sur la figure un de ces jours. Mais aussi, il y a eu une grosse part d’imprudence de la part du chef de poste qui, se fiant au calme qui régnait depuis quelque temps dans ce secteur, a fait faire la séance de cinéma en dehors du poste.

L’AFAT, que nous connaissions bien, était venue faire une séance de cinéma à Long-My et dans les postes de la région de Baria. Une semaine avant Wattecamps nous apprend également qu’un poste Cao-Daïste, sur la route de Binh-Ba, a été attaqué par les Viets, dans la nuit du 29 au 30 janvier 1952. Cette attaque a été repoussée, sans l’appui des unités d’intervention de Baria. Une section de la GVNS de Baria est partie en compagnie d’autres éléments d’intervention du GBC (5e compagnie du 2/22e RIC de Baria), en opération de plusieurs jours dans le secteur de Canh-Gio. […]

Samedi 2 février 1952

[…] Vers dix-heures, un ordre du commandant de compagnie (capitaine Billod-Laillet) nous avise de prévenir les autochtones qu’ils se munissent de quatre jours de vivres supplémentaires. Quelques hommes sont détachés sur le marché de Baria pour acheter le ravitaillement de la section de Phuoc-Haï. Cela va encore nous faire des embarras, car les autochtones n’ont plus d’argent liquide depuis belle lurette et la solde du mois de février qu’ils ont perçue pour la fête du Têt est dépensée depuis longtemps. Il nous faut donc leur avancer de l’argent personnel, mais il ne faudra pas oublier de la leur réclamer lorsqu’ils toucheront la solde, car certains pourraient peut-être bien ne plus y penser.

Dimanche 3 février 1952

Ouverture de la route habituelle à sept heures. R.A.S. Vers neuf heures, le Chinois qui avait hébergé les Viets qui ont tué Quériault le 30 décembre 1951 et qui avait été convoqué aussitôt l’attentat pour se présenter dans les huit jours et qui n’était jamais reparu, se pointe au poste Est. Naturellement, il ignorait que les personnes à qui il avait donné à manger étaient des rebelles ; quant à fournir leur signalement, il ne s’en souvient plus. Il invoque la maladie pour ne s’être pas présenté plus tôt au poste Est. Comme c’est un étranger, on ne peut l’interner et avec la promesse qu’il fera tout ce qu’il pourra pour trouver le nom des rebelles qui ont participé à l’embuscade, nous le relâchons avec ordre de se présenter une nouvelle fois au poste dans les huit jours. Si nous ne pouvons l’arrêter, faute de preuves suffisantes, nous aurons tout au moins la satisfaction de lui avoir rasé sa caï-nha et, à ce sujet, il ne s’en est pas plaint auprès de nous.

Vers vingt et une heure, des signaux, faits du poste Sud nous mettent en éveil, mais nous ne réussissons pas à avoir la communication. […]

Lundi 4 février 1952

[…] Vers dix-sept heures, je pars avec Wattecamps dans les dunes pour voir d’où venaient les traces que nous avons repérées ce matin. Nous avons du mal à les retrouver, celles-ci étant recachées par le sable soulevé par le vent. Finalement, celles-ci nous ramènent vers Phuoc-Haï pour se perdre dans un sentier qui passe entre le poste Est et le poste Nord pour rentrer dans la localité, en traversant la route qui relie les deux postes. Comme les collecteurs d’impôts VM viennent récupérer l’argent à chaque fin de mois annamite (d’après les derniers renseignements), il se peut que ce soit eux qui ont rejoint leur zone au cours de la nuit. Il faudra faire des embuscades de nuit un peu plus souvent.

Mardi 5 février 1952

Crumbach rentre à six heures sans avoir rien vu d’anormal. Branle-bas de bon matin dans le poste. Le lieutenant-colonel Morizot, commandant de la 1ère légion de marche de Garde républicaine vient en visite dans le quartier de Phuoc-Haï et doit visiter les trois postes de la localité.

À midi, Crumbach va au banquet offert par le 7e groupe de compagnies GVNS de Phuoc-Haï au PC à l’occasion de la visite du lieutenant-colonel. Sa visite au poste Est est signalée pour seize heures ou dix-sept heures. Nous mettons un groupe de GVNS sur pied en grande tenue pour lui rendre les honneurs. Finalement, il arrive au poste vers dix-sept heures trente, fait faire un exercice d’alerte, inspecte le poste de fond en comble et semble satisfait de la tenue du poste. Il est accompagné de l’assistante sociale de la 1ère LMGR et des deux capitaines (Mazéas et Faure), du commandement de la 19e compagnie (Mdl/Chef Paimpaud) et de l’adjoint au commandant du 7e groupe de compagnies GVNS (adjudant-chef Caillot) arrivé au 7e groupe ces jours-ci et qui vient pour la première fois au poste. […]

Jeudi 7 février 1952

Perceptions des petits vivres le matin, apportés par le popotier du mess des Européens du 7e groupe de compagnies (GR Caillard) qui s’en occupe pour les différents postes de la 19e et 20e compagnie GVNS Ceux-ci comprennent le tabac (trente paquets de cigarettes par mois), le sucre, café, chocolat, vin, légumes secs, etc., fournis par l’intendance militaire à bas prix. Par exemple, ces produits sont plus ou moins bons et il nous arrive parfois d’être obligés de jeter moitié de notre ration de pinard qui ne se conserve pas longtemps. Descente au tailleur à Phuoc-Haï l’après-midi pour me faire faire une tenue noire civile similaire aux tenues VM pour pouvoir sortir de nuit sans se faire repérer.

À dix-neuf heures trente, alors qu’il fait déjà clair de lune, nous partons en embuscade entre les tours T1 et T2 (entre Phuoc-Haï et Cho-Bo-Dap) sur ordre du commandant de compagnie et de sous-quartier de Phuoc-Haï (Mdl/Chef Paimpaud). Nous sommes un groupe avec FM et VB, un sergent-chef autochtone, Wattecamps et moi. Nous partons par les dunes, face au poste et après une demi-heure de marche et être passé à 300 mètres de la tour T1 (dont on entend les occupants discuter et prévenus téléphoniquement de notre passage pour qu’elle ne nous tire pas dessus), nous arrivons en bordure d’une piste charretière qui passe entre les deux tours et vient du village d’Hoï-My et continue sur Long-Phu - Long-My. Cette piste longe une grande rizière d’un côté et une brousse claire de l’autre. Après trois quarts d’heure d’attente, au bord de celle-ci, entendant les chiens hurler dans le village voisin de Cau-Ba-Mia et apercevant une lumière face à nous de l’autre côté de la rizière, nous allons nous rendre compte de ce que c’est. Nous avançons prudemment en longeant des buissons, à l’ombre de la lune, car il fait clair comme en plein jour. Nous abordons une caï-nha isolée (à hauteur de la tour T2) et l’encerclons sans se faire entendre de ses occupants. Ceux-ci, au nombre d’une dizaine, sont fouillés et leur habitation avec et les pièces d’identité sont contrôlées pendant que les trois quarts du groupe restent en embuscade autour de la maison. Rien de suspect n’est remarqué, sauf que certaines personnes sont de Long-My, mais sont, paraît-il, de la famille du propriétaire.

Nous allons en fouiller une autre 200 mètres plus loin et, sans avoir découvert rien de spécial, nous rentrons en passant sur la route de Phuoc-Haï - Dat-Do. En arrivant à proximité de la tour T1, nous donnons trois coups de torche électrique pour ne pas nous faire tirer dessus par la sentinelle qui est au courant du signal et nous laisse passer et nous abordons le village de Phuoc-Haï.

Sachant que le poste Nord fait une embuscade du côté de Long-Phu, nous hésitons à entrer dans le village, de crainte de se faire tirer sur la figure, au cas où ce groupe serait déjà rentré d’embuscade et patrouillerait dans la localité. Nous l’attendons une demi-heure à proximité de l’entrée du marché et, ne voyant rien venir, nous regagnons le poste Est à vingt-trois heures trente, en suivant la route qui passe devant le poste Nord. […]

Samedi 9 février 1952

Ouverture de la route de Cho-Bo-Dap à sept heures. R.A.S. Le matin, visite du commandant de compagnie (chef Paimpaud) qui vient à pied de Phuoc-Haï à la recherche de trois VM membres du comité d’assassinat de Phuoc-Haï signalés depuis quelques jours dans cette localité. Il nous apprend que le capitaine Mazéas viendra nous faire ses adieux dans le courant de l’après-midi. Après avoir commandé le 7e groupe de compagnies GVNS depuis le 2 décembre, il est muté à l’état-major de la 2e légion de marche de Garde républicaine pour y finir son séjour.

À une heure de l’après-midi, un coup de téléphone du PC compagnie nous avise de préparer un groupe de combat immédiatement et de descendre au PC pour une petite opération. J’y vais avec Wattecamps et nous prenons en passant un groupe du poste Nord avec Hanen. Arrivés au poste Sud, un camion nous attend et nous partons presque aussitôt. Cette opération est commandée par le Mdl/Chef Paimpaud, commandant du sous-quartier de Phuoc-Haï. Nous apprenons que le GR Wallez qui menait la soupe aux deux Européens du poste Nord de Nuoc-Ngot a aperçu, à proximité de la tour Ly, une douzaine de personnes suspectes pêchant dans le rach. Nous allons donc contrôler ces personnes qui pourraient être des VM venant repérer les agissements des occupants de la tour Ly, voisine de deux cents mètres environ.

Le poste Sud fournit un groupe qui, avec le nôtre et celui du poste Nord, forme une section. Le groupe du poste Sud, avec Robert et Latry, passe par la piste de Long-Phu (RP 44) et doit nous rejoindre au carrefour de la RP 44 et de la piste Bal, au pied de la montagne. Avec les deux autres groupes, nous sommes transportés jusqu’à la tour Ly où nous contrôlons les papiers de toutes ces personnes suspectes qui ne sont que des pêcheurs du village de Long-Phu, de l’autre côté des dunes en allant vers l’intérieur des terres, à 1500 mètres de la tour Ly. Nous arrêtons cependant un jeune Annamite d’une quinzaine d’années qui n’a pas de papiers.

Nous continuons notre route à pied, passons devant la tour Ly et deux cents mètres plus loin, pénétrons dans la brousse en suivant une petite piste qui mène à la rizière de Long-Phu en passant à droite du mamelon qui supporte le pagodon abandonné où je suis déjà allé en cours de patrouille, lorsque je me trouvais au poste Nord de Nuoc-Ngot. Comme je suis dans mon ancien secteur, je guide les groupes. Arrivés sur la RP 44 sans incident, nous patrouillons en direction de Nuoc-Ngot au pied de la montagne, jusqu’à 500 mètres du poste Nord de Nuoc-Ngot. Puis nous revenons sur nos pas en suivant la RP 44 sans rien voir de particulier.

Au carrefour de la RP 44 et de la piste Bal, nous retrouvons le groupe du poste Sud et revenons ensemble en suivant toujours la RP 44. Nous passons dans le village de Long-Phu où le jeune prisonnier nous présente des pièces d’identité. Nous le relâchons et continuons notre route pour aboutir à hauteur du poste Nord de Phuoc-Haï. Nous nous séparons et chaque groupe rejoint son poste respectif.

Nous arrivons au poste Est à dix-sept heures et apprenons que le capitaine Mazéas est venu nous faire ses adieux et nous invite à l’apéritif qu’il offre au PC en l’honneur de son départ. Un camion du PC vient nous chercher à dix-sept heures quinze et nous ramène à la nuit. Des délégations des divers postes y assistent, notamment des postes de Long-My et Cho-Bo-Dap. À vingt et une heure, patrouille dans Phuoc-Haï par un beau clair de lune avec Wattecamps, un gradé Vietnamien et quatre GVNS du poste Est. Nous fouillons plusieurs caï-nhas sans rien trouver d’anormal. Retour à une heure. R.A.S.

Dimanche 10 février 1952

Aujourd’hui, journée des réceptions. Pour commencer, un mariage entre la fille d’un GVNS du poste Est et un GVNS du poste Nord. Nous sommes invités à un apéritif offert par le père de la mariée. Tout le poste est de la fête et chacun a revêtu ses plus beaux atours et ses bijoux. Aujourd’hui, mariage civil suivant le rite bouddhiste. Le mari vient au domicile de la fiancée et alors que celle-ci est cachée, le futur est assis sur un tabouret et doit dire où elle se trouve. Pendant ce temps, l’autel des Ancêtres de la future est surchargé de dons en nature (fruits, boissons et gâteaux, etc.) et est encensé comme à l’habitude avec des bâtonnets de santal.

Finalement, les fiancés sont réunis et viennent se présenter à l’assemblée. Ils portent un plateau sur lequel se trouvent trois verres et une carafe d’alcool de riz (choum) et des fruits secs. Chacun doit boire un petit verre de choum sous l’œil impassible des fiancés, puis chacun met son obole dans une enveloppe de papier et la met sur le plateau. D’autre part, c’est aujourd’hui l’anniversaire de l’arrivée en Indochine de Wattecamps, du poste Est et de Mounin, du poste Nord, aussi il y a une grande réception à cette occasion aujourd’hui au poste Nord. Nous allons manger là-bas, laissant le poste à la garde d’un sergent Vietnamien, Crumbach étant descendu ce matin avec le convoi au cap Saint-Jacques.

Au poste Nord, nous retrouvons la plupart des Européens du poste Sud et du PC. Il y a une bonne ambiance, rompue pour nous à quinze heures trente, par un coup de fil du sergent qui a la garde du poste Est et nous signale que des GVNS sont en train de faire le « cirque » dans le poste et se disputent. C’est malheureux que dès que nous ne sommes plus là, ils ne peuvent plus s’accorder. C’est à se demander comment ils feront lorsqu’ils seront seuls. Et quand on pense qu’ils réclament leur indépendance à cor et à cri ! […]

Lundi 11 février 1952

Au retour d’ouverture de route, Crumbach m’apprend que cinq personnes, plus ou moins blessées, attendaient ce matin à la tour T1 le passage d’un véhicule pour descendre se faire soigner à Baria. Comme Wattecamps descendait justement au convoi au cap Saint-Jacques, il les a chargés dans le camion. D’après leurs dires, le VB lancé hier soir sur Cau-Ba-Mia aurait éclaté juste sur une caï-nha du village. Je vais rendre compte des faits au commandant de compagnie (chef Paimpaud) en allant changer ma mitraillette Sten (j’avais laissé la Mat au poste de Phuoc-Trinh quand je l’avais quitté) contre la mitraillette Mat 1949 de Quériault. Celle-ci avait été détériorée par une balle de mitraillette qui avait brisé le boîtier chargeur quand il avait été tué et elle sort de réparation. […]

Samedi 16 février 1952

Descente au PC compagnie le matin, où je trouve la plupart des Européens en effervescence. Ces derniers n’apprécient pas tout particulièrement les directives du nouveau commandant de groupe de compagnies (capitaine Faure) qui en train de tout changer dans le service, notamment au bureau. Nous voici de nouveau sous le charmant régime de la paperasserie. C’est à se demander si on est toujours en guerre. Le matin, de telle heure à telle heure, sport et corvées pour les Européens qui ne participent pas aux ouvertures de route. Peut-être a-t-il du mal à s’habituer à ce nouveau genre de vie, mais ce n’est pas parce qu’il est au bord de la mer qu’il faut qu’il se croit à Marseille. Inutile de dire que ce nouveau régime ne nous sourit pas beaucoup. On fait suffisamment de sport dans la rizière.

Il interdit toute sortie et patrouille sans son ordre, se figurant probablement qu’en restant bien sagement dans nos postes, les Viets ne chercheront plus à sortir. On en verra les résultats d’ici peu : les VM vont se regrouper et nous jouer un tour à leur façon.

L’après-midi, promenade en « ville ». Le soir, nous apercevons de nombreux signaux sur la côte viet de Saïgon-MoïÏ, à 7 kilomètres du poste. Normalement, nous devrions faire une patrouille dans Phuoc-Haï pour voir si les habitants de Phuoc-Haï ne répondent pas à ces signaux, mais puisqu’il ne faut plus sortir d’après les nouveaux ordres, inutile de faire de l’excès de zèle et nous attendons les ordres. […]

Mercredi 20 février 1952

[…] Là, nous apprenons qu’un coup dur est arrivé au poste de Long-My ce matin. Alors que six GVNS sous le commandement d’un sergent Vietnamien, sont occupés à faire la protection de coupe de bambous par des coolies de Long-My, à proximité de ce village, à 500 mètres du poste, les GR Collet et Pignard, du poste de Long-My, se rendent au ravitaillement dans le village avec le boy (un jeune civil de 17 ans, originaire de Long-Haï qui sert de boy aux Européens du 7e groupe depuis plusieurs années). Ils partent vers dix heures, comme ils en ont l’habitude tous les jours et rencontrent, dans le village, les GVNS qui doivent garder les coolies, mais qui se sont éloignés de leur travail et se promènent dans le village. Ils les rappellent à l’ordre et poursuivent leur chemin jusqu’à l’autre bout du village de Long-My (Lo-Gom). Ils entrent dans une habitation pour acheter des tomates, causent une dizaine de minutes, puis ressortent. Ils se sont engagés quelques mètres sur le chemin du retour, lorsqu’un ordre retentit en vietnamien, de derrière une haie, à proximité d’eux : « halte, haut les mains ». Le jeune boy qui a aperçu un VM dissimulé à une quinzaine de mètres devant eux crie aussitôt aux deux Européens : « attention, chef, embuscade ». Ils n’ont que le temps d’enjamber une haie et c’est la classique embuscade. Des rafales de mitraillettes claquent de tous côtés. Le boy qui n’a qu’une grenade la lance et se replie précipitamment, suivi des GR Pignard et Collet qui protègent leur repli avec leur mitraillette. Le village est très étendu et coupé de nombreuses pistes bordées de haies épaisses. Derrière celles-ci, des VM estimés au nombre d’une section, sont dissimulés sur 400 mètres de long jusqu’à trois cents mètres du poste.

Tout le long du retour, les deux Européens et le boy sont mitraillés. Par une chance inouïe, ils réussissent à rejoindre le poste, sans être atteints. Dès le début de l’attaque, Collet voit un VM traverser une piste à moins de dix mètres de lui. Il tire une rafale de mitraillette et le VM s’écroule, mais aussitôt les rafales claquent tout autour de lui et il ne lui sera pas possible de récupérer la mitraillette « Thompson » du VM. Les autres GVNS qui gardaient les coolies, dès les premiers coups de feu, se sont repliés en débandade et ont été accueillis par les VM en embuscade. Ils ne voient pas l’un d’eux qui tombe, blessé par une balle à la jambe et lorsque tout le monde a rejoint le poste de Long-My, ils s’aperçoivent qu’il n’a pas rejoint. Bien entendu, la fusillade a cessé et dès les premiers coups de feu, le Mdl/Chef Cornebois a mis un groupe sur pied.

Ils repartent à deux groupes pour essayer de retrouver le blessé. Les VM se sont déjà enfuis, mais des civils du village préviennent les nôtres qu’un soldat mort se trouve sur une piste, dans le village. Ils retrouvent le GVNS qui était blessé, lardé de coups de baïonnette. Les VM se sont emparés de son fusil lance-grenades et de sa cartouchière et l’ont achevé avec sa propre baïonnette.

Il est à déplorer la passivité avec laquelle les civils ont laissé faire cette embuscade. Il leur aurait été facile de prévenir tout au moins les GVNS qui gardaient les coolies, mais ils n’ont rien dit. Bien au contraire, alors qu’ils savaient que les VM étaient retranchés dans leurs caï-nhas, ils faisaient de grands sourires aux Européens quand ils sont passés. […]

Ainsi, la région de Long-My, déjà célèbre pour les coups durs qui s’y sont passés, aura été une nouvelle fois le théâtre d’une embuscade qui nous aura coûté un homme et un fusil. Certes, depuis que le poste est construit, il n’y avait pas eu un coup de feu de tiré, mais il ne fallait pas s’y fier. D’ailleurs, dernièrement, des VM étaient venus rôder la nuit autour du poste de Long-My, ainsi qu’à proximité des ponts de Cho-Bo-Dap. Voici deux jours, deux rebelles avaient été aperçus par les partisans de la tour T2 entre le poste de Cho-Bo-Dap et Phuoc-Haï, traversant la route et arrêtant des civils qui revenaient du marché.

Voilà le résultat de l’interruption des patrouilles et opérations dans le quartier de Nuoc-Ngot. Les rebelles y circulent comme ils veulent et se permettent de tendre des embuscades en plein jour, à 300 mètres d’un poste. Le demi-groupe du poste, parti en opération, rentre peu de temps après que je rejoins le poste Est. Vers vingt heures, un coup de fil du PC nous avise de ne pas nous inquiéter si nous entendons tirer dans le courant de la nuit, le commando de ralliés du GBC opérant dans le quartier. […]

Vendredi 22 février 1952

Au retour de l’ouverture de route habituelle, Wattecamps nous apprend que les Viets avaient déjà pénétré à l’intérieur de la première enceinte de gaulettes de la tour T1. Ils étaient, paraît-il, au nombre d’une dizaine, cependant que d’autres rebelles, avec un FM, étaient en protection plus en arrière. Les partisans de la tour les ayant aperçus, lancent une grenade qui a probablement fait un blessé, puisque des taches de sang sont découvertes ce matin, à proximité des gaulettes. Les rebelles, se voyant découverts, tirent plusieurs rafales de FM sur la tour et se replient sous le tir des obus de mortier du poste Nord. Les traces sont facilement découvertes ce matin, sur le sol sablonneux. Encore une fois, les grenades auront sauvé cette tour, ainsi que la vigilance du guetteur. Quand on pense que l’armement de ces cinq partisans Cambodgiens qui occupent cette tour ne comprend que cinq fusils et un nombre restreint de cartouches (de crainte des trahisons qui sont fréquentes parmi eux) et un petit nombre de grenades, ils ont tout intérêt à ne pas s’endormir. Chacune de ces tours est placée sous la protection d’un poste voisin (tour de Long-Phu et tour Ly, sous la protection du mortier de 81 mm du poste Sud de Phuoc-Haï, tour T1 sous la protection du mortier de 81 mm du poste Nord et tour T.2. sous la protection du mortier de 60 mm du poste Est. De plus, toutes les tours et postes sont sous la protection du canon de 75 de Dat-Do ou de celui de Long-Dien).

Étant toujours en alerte, nous ne nous absentons pas du poste dans la journée. Le travail ne cesse pas pour cela pour les autochtones, le PC groupe se charge de nous en fournir (plans du poste et des tours T1 et T2, à faire en quatre exemplaires, avec consignes du poste et de ces tours pour la défense). […]

Lundi 25 février 1952

Je descends ce matin au PC du 7e groupe GVNS pour acheter du ravitaillement et porter différents papiers au PC compagnie (au poste Sud). Je passe par le poste Nord qui me remet des papiers à porter en même temps pour la même destination. J’arrive en plein interrogatoire, huit arrestations ont eu lieu hier à Phuoc-Haï parmi lesquelles six hommes (dont plusieurs de la zone rebelle de Phu-My et un rallié du commando de ralliés du GBC trouvé en compagnie de rebelles, porteurs de papiers compromettants). C’est une bonne prise et les renseignements sont intéressants. La plupart sont des permissionnaires de la zone de Phu-My.

Vers dix heures, nous entendons de violentes explosions vers Phuoc-Buu et nous apercevons de grosses fumées s’élever au-dessus de cette zone. Quatre chasseurs bombardent et mitraillent en piqué au-dessus de cette région. Ils repartent une demi-heure après et sont remplacés par quatre autres chasseurs qui recommencent la même besogne pendant une demi-heure. Avec le bombardement de ces derniers jours, les rebelles qui descendent au repos du Tonkin et seraient en nombre important dans cette zone, ne doivent pas se reposer beaucoup. […]

Mardi 26 février 1952

Aujourd’hui, réfection des défenses accessoires du poste. Cela va un peu plus vite et c’est plus facile que dans les postes où j’ai été précédemment. Il nous suffit de récupérer une vingtaine de coolies de Phuoc-Haï en leur retirant leurs cartes d’identité, lesquels vont couper des gaulettes dans la brousse environnante et construisent les barrières de défense. Les GVNS, peu nombreux actuellement, ne peuvent sortir du poste et sont employés à construire les barrières avec les coolies.

Les défenses sont difficiles à entretenir en état, le poste se trouvant sur la plage, à une quinzaine de mètres de la mer. Celle-ci, à marée haute, ce qui est le cas actuellement, vient lécher les barrières extérieures du côté de la mer et emporte les gaulettes. Depuis un an, la mer gagne sur la côte et rapproche petit à petit du poste proprement dit. Elle a avancé d’une quinzaine de mètres depuis un an. Une tour, indépendante du poste, mais qui se trouve à l’intérieur des défenses pour la protection du canon de 57, tombera à la mer un jour ou l’autre si nous ne l’abattons pas, la mer entraînant le sable et les fondations étant mises à jour d’un côté. Si nous ne l’avions étayée, elle serait tombée à l’eau depuis longtemps. D’autre part, le vent violent en saison sèche chasse le sable dans les défenses et forme des dunes mouvantes à l’intérieur des défenses, recachant celles-ci. Nous sommes donc obligés d’occuper des coolies presque en permanence à dégager les barrières.

Comme chaque poste de Phuoc-Haï occupe des coolies et pour éviter que ce ne soit toujours les mêmes qui travaillent, nous leur délivrons un bon de repos de huit jours quand le travail est terminé, pour que les autres postes ne les réquisitionnent pas. Bien entendu, ces ouvriers « obligatoires » ne sont pas payés : nous ne touchons pas de crédits pour eux. Ils ne sont payés que lorsque les travaux sont faits au compte de l’administration, telle que la réfection de la route Long-Dien - Phuoc-Trinh, au profit des Ponts et Chaussées. Dans ce cas, une subvention était attribuée au commandant de quartier de Long-Dien par le chef de province de Baria (Vietnamien) et les coolies qui étaient occupés à ces travaux percevaient dix piastres par jour. […]

Vendredi 29 février 1952

[…] Je pars par la route à dix-neuf heures, avec Latry et le groupe pour nous placer en embuscade entre T1 et T2, à 300 mètres à droite de la route, Phuoc-Haï - Dat-Do et tenir les différentes pistes venant de la zone rebelle de Phuoc-Buu et qui se dirigent vers le massif montagneux de Nuoc-Ngot - Long-My - Phuoc-Trinh. D’autres embuscades sont faites simultanément par les postes de Long-My et Cho-Bo-Dap. En principe, nous devons passer toute la nuit et ne rentrer que demain matin, à cinq heures trente. Mais celui qui a donné cet ordre n’a probablement jamais fait une embuscade pour ignorer qu’il est pratiquement impossible de rester dix heures sur place, sans bouger et sans s’endormir. Deux heures après que nous sommes en place, il y en a déjà qui dorment et il nous faut faire de fréquentes rondes et les placer deux par deux pour les empêcher de s’endormir.

Comme de bien entendu, étant donné que nous nous sommes placés alors qu’il faisait encore jour, si les VM ont envie de passer, ils ne se jetteront pas dans nos jambes, aussi nous ne voyons rien. Vers minuit, nous décrochons et revenons par le même chemin. Arrivés au poste Nord de Phuoc-Haï, il nous arrive l’aventure de constater qu’un GVNS du poste Sud manque à l’appel. Aussitôt, nous repartons sur le lieu de l’embuscade, à 2 kilomètres et après des recherches, nous le retrouvons profondément endormi. Lors de notre départ, il ne s’était aperçu de rien. Inutile de se demander s’il observait une grande vigilance dans le guet. Nous rejoignons le poste Nord à une heure quinze et nous quittons à cet endroit pour rejoindre nos postes respectifs. Pour réussir dans ces embuscades, il faudrait y aller plusieurs jours de file, ne pas se faire voir en partant et en se plaçant et se relayer avec d’autres groupes à des heures différentes. L’après-midi, sur la demande du commandant du 7e groupe (capitaine Faure), un patrouilleur de la Marine vient contrôler des barques de pêcheurs aventurées en zone interdite. Le commandant de quartier fait réunir les notables du village de Phuoc-Haï et les informe que si des barques s’aventurent encore en zone interdite, la pêche sera interdite de jour comme de nuit jusqu’à nouvel ordre. […]

Lundi 3 mars 1952.

Un coup de fil du PC nous avise de nous tenir prêts, à neuf heures. Nous attendons un Européen en arme à attendre au passage de la jeep du capitaine au carrefour de la route qui mène au poste pour l’escorter. Wattecamps étant prêt, c’est lui qui y va. Ce matin, le lieutenant Vallot, officier de renseignement du GBC vient faire de la propagande et haranguer la foule sur le marché de Phuoc-Haï, escorté par un groupe GVNS de Phuoc-Haï. Il distribue également des tracts. […] Dans quelques jours, c’est le poste de Long-Phuoc, construit récemment et occupé par des éléments de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien qui doit être relevé par une section de la compagnie d’intervention GVNS de Baria. D’autre part, il est fortement question que le PC du 7e groupe de compagnies GVNS, actuellement à proximité du poste Sud de Phuoc-Haï, soit installé au camp Petit à Long-Dien en remplacement du PC de la 6e compagnie du 2/22e RIC de cette localité (où j’ai passé un mois avant d’aller implanter le poste de Phuoc-Trinh en octobre 1951). Ces mutations seraient faites conformément aux dernières prescriptions concernant l’armée vietnamienne, celle-ci devant s’imposer de plus en plus en occupant les postes, cependant que les unités de l’Union française doivent se regrouper dans les villes pour faire des unités d’intervention. La GVNS étant unité vietnamienne, nous finirons probablement notre séjour en poste, car presque toutes les compagnies (Phuoc-Haï, 19e - Long-My, 20e et Baria, 17e compagnie) occupent des postes et il n’y a plus que la 18e compagnie qui occupe en partie des postes et se trouve en ville, au cap Saint-Jacques. […]

Mardi 4 mars 1952

[…] Au retour d’ouverture de route, je me rends au PC groupe (à proximité du poste Sud de Phuoc-Haï) avec Crumbach. J’apprends que je suis désigné par le capitaine Faure, commandant du 7e groupe de compagnies GVNS [Commenter : garde et escorte des prisonniers] pour effectuer une escorte de prisonniers à Saïgon pour le compte du GBC demain ou après-demain. Je dois y passer plusieurs jours. Cela tombe bien et peut-être aurais-je la chance de rencontrer Robert Maloiseaux, rapatriable le 10 mars sur L’île d’Oléron. Et puis, ça changera un peu de cette vie monotone que l’on mène en poste. L’ennui, c’est que ces voyages s’effectuent la plupart du temps aux fins de mois, quand les fonds sont en baisse (surtout pour les autochtones qui ont mangé leur solde depuis longtemps et ne peuvent rien acheter à crédit à Saïgon). Je n’ai pas de plus amples détails et dois en recevoir ultérieurement. Retour à midi par Phuoc-Haï. L’après-midi, je fais mes préparatifs en vue de mon départ prévu pour demain à huit heures. […]

Samedi 8 mars 1952

Après avoir téléphoné au GBC à Baria pour obtenir un camion pour me ramener à Baria avec l’escorte, je reste en ville jusqu’à dix heures. C’est aujourd’hui l’anniversaire de l’indépendance du Vietnam, aussi un défilé a lieu en ville, avec la participation de presque toutes les unités de la ville, au son de la musique de l’école des enfants de troupe du cap Saint-Jacques.

À dix heures, un camion du GBC vient nous prendre et nous filons sur Baria. Au passage, le long du terrain d’aviation entre le cap et Rach-Dua, un avion largue des parachutistes au-dessus du terrain. Nous arrivons à onze heures à Baria. Je vais aussitôt rendre compte de ma mission au lieutenant Vallot, officier de renseignements du GBC et quitte l’escorte qui doit être acheminée par la suite à Long-Dien. Je prends l’apéritif chez le commissaire de Baria (gendarme Gruelle) qui fait partie de la gendarmerie coloniale et occupe un pavillon au centre de Baria avec sa femme et une petite fille. Il est seul actuellement et est secondé par des auxiliaires vietnamiens. Il se trouvait auparavant à Fort-National, en Kabylie, à la section de Tizi-Ouzou, ce qui nous permet de reparler de cette région où j’ai passé six mois pendant mon stage.

J’apprends que le poste de Long-Phuoc est occupé par une section de la 17e compagnie GVNS de Baria depuis deux jours, ainsi que la tour d’Anhut, entre Long-Dien et Dat-Do, par un groupe de Cho-Bo-Dap sous les ordres d’un sergent vietnamien (cette tour était occupée précédemment par un groupe de tirailleurs de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Long-Dien). D’autre part, le commandant de la 17e compagnie GVNS de Baria (Mdl/Chef Durand) est actuellement ennuyé avec une histoire de harcèlement fictif survenu au poste de l’usine des eaux, à 1 kilomètre 500 de Baria et tenu par un groupe de cette compagnie. Il y a dix jours, le poste avait été harcelé réellement par des VM, ce qui avait déclenché un tir d’artillerie et le déplacement des blindés. Les rebelles étaient déjà sauvés lorsque les renforts sont arrivés mais, avant-hier, une fusillade, soi-disant provenant d’un harcèlement du poste, mais qui, après enquête, s’est avérée fictive, a fait déclencher le tir d’artillerie et déplacer les unités d’intervention et les blindés de Baria. Le pot aux roses ayant été découvert, ça fait du bruit au GBC et les deux GR de ce poste ne vont pas recevoir des fleurs (GR Bureau et Lousteau).

[…] J’apprends que les trois postes ont été dégarnis pour former la section partie à Long-Dien. Au poste Est, un sergent Vietnamien et six autochtones sont partis. Nous apprenons que le poste Nord de Phuoc-Haï va être complètement détruit et son effectif va renforcer le poste Sud et le poste Est de Phuoc-Haï. À peine arrivé au poste, je repars au PC rendre compte de ma mission et percevoir ma solde. J’apprends que les VM ont harcelé la tour Ly (entre Phuoc-Haï et Nuoc-Ngot) hier, à dix-neuf heures, au moment de la fermeture des barrières. La femme d’un partisan qui montait à l’échelle pour rentrer dans la tour a été tuée sur le coup, atteinte par une balle. Une section renforcée de Phuoc-Haï formée par les trois postes GVNS de cette localité, s’est rendue sur les lieux, mais les rebelles étaient déjà partis. Alors qu’on attendait une attaque sur les tours T1 ou T2, c’est de l’autre côté que les Viets faisaient leur coup. Je regagne le poste Est à dix-sept heures en repassant par le village de Phuoc-Haï.

Dimanche 9 mars 1952

Ouverture de la route habituelle à sept heures quinze avec deux groupes de neuf hommes fournis par le poste Est et le poste Nord de Phuoc-Haï. Au réveil, à six heures quarante-cinq, nous entendons quelques coups de feu provenant du côté de Long-Phu, au-delà de la route Phuoc-Haï - Dat-Do. À l’ouverture de route, nous rencontrons un camion de l’infanterie coloniale qui ramène le Commando de ralliés du GBC. Ce doit être eux qui tiraient.

Dans la matinée, nous découvrons à marée basse un panier de mandarines sur la plage. Nous le signalons au PC, car lors de la prise de la barque viet qui venait de Lo-Khan fin janvier, celle-ci transportait également des mandarines en provenance de la zone rebelle, destinées à être vendues sur le marché de Phuoc-Haï pour renforcer la trésorerie VM, leur argent ayant peu de valeur.

À treize heures, Wattecamps et Crumbach font une patrouille dans Phuoc-Haï avec deux autochtones. Ils rentrent une heure après, sans avoir rien vu de spécial. Cependant, il n’y aurait rien d’étonnant que des Viets aient débarqué à Phuoc-Haï dans le courant de la nuit dernière, les patrouilles de nuit n’ayant plus lieu depuis trois semaines, sur ordre du commandant de quartier (capitaine Faure). […]

Mardi 11 mars 1952

La visite de l’inspecteur de l’armement étant annoncée pour aujourd’hui, nous faisons le nettoyage des armes le matin. À onze heures, un coup de fil du commandant de compagnie m’avise de me tenir prêt à partir avec un peu de linge de rechange et mes objets de toilette pour aller renforcer le personnel européen du poste de Cho-Bo-Dap, celui-ci étant réduit à deux actuellement et l’un d’eux étant tombé malade hier matin.

Je fais ma valise en laissant le plus gros des affaires au poste et je m’apprête pour partir cet après-midi. À douze heures, l’inspecteur de l’Armement vient au poste, regarde toutes les armes, mais n’est pas trop exigeant. À quatorze heures, un véhicule emmenant l’adjoint de l’inspecteur de l’Armement visiter l’armement de la tour T1 et des postes de Cho-Bo-Dap et Long-My vient me chercher et me transporte par la même occasion au poste de Cho-Bo-Dap où j’arrive vers quinze heures.

J’apprends que le chef de poste (GR Piérantoni) étant exempt de service pour dix jours, je viens en renfort au poste, alors que l’autre Européen (GR Sanchez) fait fonction de chef de poste. […]

[…] Le poste de Cho-Bo-Dap est un des postes les plus anciens du coin et aussi un des moins confortables. Tout le monde est logé dans des baraquements en planches mal jointes et les insectes et reptiles y pullulent. L’armement comprend une mitrailleuse « Hotchkiss », un mortier de 60 mm et deux FM en plus de l’armement individuel de chacun. Le quart de nuit y est assuré plus sérieusement qu’au poste Est de Phuoc-Haï. Les ponts sont gardés par des partisans Cambodgiens dans des tours construites à chaque extrémité de chacun d’eux et les partisans dépendent du poste de Cho-Bo-Dap. Je m’installe tant bien que mal, en espérant que ça ne sera pas pour longtemps. Le soir, le commandant de la 20e compagnie GVNS vient me signaler de me tenir prêt demain matin, à sept heures, pour prendre un groupe de Long-My et partir à Phuoc-Haï pour une opération. Quart de 4h00 à 7h00. R.A.S. […]

Jeudi 13 mars 1952

Le matin, distribution d’effets aux autochtones du poste de Cho-Bo-Dap. L’après-midi, le Mdl/Chef Cornebois et l’adjudant-chef Caillot viennent prendre les mesures à proximité du poste de Cho-Bo-Dap, en vue de la reconstruction complète de celui-ci. Il est actuellement délabré et sa réfection serait trop coûteuse aussi, il sera complètement détruit. Le soir, le capitaine Faure qui revient du cap Saint-Jacques, s’étonne de me voir au poste, n’ayant pas été avisé de ma mutation provisoire. Il ramène en camion des élèves gradés autochtones qui reviennent du stage avec des galons tout neuf de caporaux, caporaux-chefs et sergents. Vers vingt heures, des détonations proviennent de la direction de Long-Phu - Phuoc-Haï : probablement un harcèlement. Quart de vingt-trois heures à une heure. R.A.S. […]

Samedi 15 mars 1952

Repos la journée. Le soir, vers dix-sept heures, le commando de ralliés du GBC arrive au poste et part presque aussitôt pour effectuer une patrouille dans le secteur de Long-My - Hoï-My, cependant que le camion qui les a amenés et le chauffeur passent la nuit au poste de Cho-Bo-Dap. Parmi les ralliés se trouve le Viet rallié, voici une quinzaine de jours au poste de Long-My avec un fusil et cinquante cartouches. La plupart sont de la région et connaissent toutes les pistes, ce qui facilite leur tâche.

Nous apprenons qu’au cours d’une opération effectuée dans le secteur de Binh-Ba - Song-Ray (à une quinzaine de kilomètres au Nord de Baria) ces jours-ci par des éléments des 5e et 6e compagnies du 2/22e RIC de Baria et du 1/22e RIC de Bien-Hoa, un lieutenant européen a été tué et sept tirailleurs blessés. C’était la section de tête qui est tombée dans une embuscade montée par des VM habillés en kaki. Ils ont cru que c’était des éléments participant à l’opération et ont été mitraillés à bout portant. Décidément, le 22e RIC y laisse des plumes actuellement. […]

Mardi 18 mars 1952

À huit heures, un véritable pugilat éclate entre les partisans d’une des tours qui contrôle l’un des ponts de Cho-Bo-Dap et un civil transporté dans un car chinois. Les partisans, qui sont de véritables pirates, font payer illégalement la dîme à la plupart des véhicules qui passent sur la route Phuoc-Haï - Dat-Do. Tantôt c’est un poisson, tantôt ce sont des légumes, des fruits ou de la viande. Bien entendu, ce genre d’impôt n’est pas prévu dans les consignes de la tour. Au contraire, il est interdit aux gardiens des ponts de faire stationner les véhicules sur ceux-ci, afin que des VM n’en profitent pas pour les faire sauter. C’est donc ce qui s’est passé ce matin, mais comme les passagers sont obligés de payer cette dîme à presque toutes les tours qui se trouvent tous les deux kilomètres le long de la route, ils finissent par trouver l’impôt un peu lourd. L’un d’eux ayant refusé de payer, plusieurs partisans le frappent sauvagement et si nous n’étions pas intervenus, ils étaient prêts à lui faire passer un mauvais moment, brandissant déjà un coupe-coupe pour le tuer.

Comme il se trouve que le civil attaqué était un caporal de la GVNS qui se trouve à fin de contrat et est en instance de rengagement au poste Sud de Phuoc-Haï, ça pourrait peut-être bien coûter cher aux assaillants. Dans la matinée, le Mdl/Chef Cornebois, commandant de la 20e compagnie stationnée au poste de Long-My, vient régler l’affaire et mange avec nous à midi. Ce matin passe le commissaire de Baria, accompagnant une mission américaine en jeep qui va visiter Phuoc-Haï.

Nous apprenons qu’au cours d’une ouverture de route ces derniers jours, dix Cao-Daïstes de Long-Kien (entre Baria et Long-Phuoc) sont tombés dans une forte embuscade. Trois Cao-Daïstes ont été tués et deux autres ont été blessés (dont un lieutenant) venus du poste Cao-Daïste de Long-Kien), en renfort au secours du groupe attaqué. Un fusil a été perdu. Les rebelles étaient au nombre d’une cinquantaine. L’inspecteur des munitions étant signalé aujourd’hui s’amène l’après-midi au poste de Cho-Bo-Dap. Il n’est pas trop exigeant et tout se passe bien. Le soir, avec un convoi, le GR Piérantoni, chef de poste de Cho-Bo-Dap, que je remplaçais depuis huit jours, rentre au poste de Cho-Bo-Dap. Pour ce soir, nous sommes donc à quatre, puisque Rapy est toujours là.

Mercredi 19 mars 1952

Au matin, un coup de fil de Long-My m’avise de me préparer à partir pour Phuoc-Trinh où je suis muté. Je n’en crois pas un mot, mais comme il faut s’attendre à tout avec le capitaine Faure, je fais mes valises (ce qui est vite fait puisque je n’ai emmené que le strict nécessaire du poste Est). Tout d’abord, je crois que je ne suis que détaché en renfort pour remplacer Bégel qui est malade, mais la jeep du PC groupe de Phuoc-Haï arrive vers dix heures avec l’adjudant-chef Caillot et le Mdl/Chef Paimpaud, lesquels m’apprennent que je suis bel et bien muté, malgré la remarque que le Mdl/Chef Paimpaud a fait au capitaine, en lui signalant que ça faisait à peine deux mois que j’étais à Phuoc-Haï Est, sur ordre de son prédécesseur, le capitaine Mazéas, qui avait jugé que je n’avais pas été particulièrement favorisé au point de vue des trois postes où je venais de passer quinze mois (Nuoc-Ngot camp, poste Nord Nuoc-Ngot et poste de Phuoc-Trinh).

Mais peine perdue avec le capitaine Faure qui a réussi à se faire mésestimer par presque tous les Européens du 7e groupe GVNS et des autres unités du sous-secteur. Bien au contraire, il m’enjoint de partir de Cho-Bo-Dap sans repasser par Phuoc-Haï, donc sans effet, puisque j’étais en déplacement. La jeep qui me conduit à Long-My où je dois partir de là à pied pour Phuoc-Trinh, ne m’est même pas accordée pour deux heures, pour aller rechercher mes affaires et régler mes comptes de la popote, au poste Est de Phuoc-Haï. Quand on sait que Phuoc-Trinh est un des postes du 7e groupe le plus mal servi en liaison, on comprend que ça ne m’enchante guère d’y retourner et que malgré les promesses qui me sont faites que mes affaires me seront acheminées par convoi par la suite, ça ne me sourit pas beaucoup. Finalement, je suis embarqué dans la jeep et dirigé sur Long-My. Là, je passe la journée et la nuit, le commandant de la 20e compagnie (chef Cornebois) ne m’ayant pas pressé pour partir à Phuoc-Trinh, distant de trois kilomètres. […]

Dimanche 23 mars 1952

À sept heures, nous descendons en liaison à Long-My avec un groupe et Moigno pour raccompagner le coiffeur venu avec nous lorsque je suis arrivé à Phuoc-Trinh. J’apprends que les deux Européens du poste de Cho-Bo-Dap sont actuellement malades, aussi c’est le GR Collet, de Long-My, qui les remplace. Décidément, les effectifs en Européens de la 20e compagnie GVNS de Long-My fondent à vue d’œil et il était temps que je quitte le poste de Cho-Bo-Dap si je ne voulais pas y être affecté. Au départ, le voltigeur de pointe du groupe tire un coq de bruyère et… le rate. Ces volatiles pullulent dans le coin et bien des chasseurs de France voudraient avoir autant de gibier sur leurs terres. Quatre biches ont déjà été tuées à proximité du poste de Phuoc-Trinh, ce qui a permis de ravitailler celui-ci à bon compte. Retour à dix heures trente, sans incident.

L’après-midi, toute la population de Phuoc-Trinh ayant été avisée par Foubert que si elle ne se décidait pas à couper les haies dans le village, un tir au mortier serait effectué sur celui-ci, toute la population en met un coup et brûle les broussailles, ce qui permet de voir du poste ce qui se passe dans le village. […]

Mardi 25 mars 1952

Descente à Baria à sept heures avec l’ouverture de route jusqu’à Long-Dien, puis avec un taxi chinois du camp Petit jusqu’à Baria. La visite de carrière que nous allons passer est obligatoire, lorsque nous atteignons cinq ans de service dans l’armée, que ce soit dans n’importe quelle arme. En France, celle-ci est très sévère et certains gardes ou gendarmes qui avaient déjà plusieurs années dans la Gendarmerie ont été éliminés de l’arme pour raison de santé. C’est toujours intéressant d’y passer, car nous risquons moins d’être éliminés de l’Arme comme ça peut se produire avant qu’on ne soit de carrière.

Nous arrivons à huit heures trente, précédant de peu le convoi de Phuoc-Haï qui amène également Collet pour le même motif. Latry, qui a déjà passé la visite, mais qui n’a pas passé la radio, est descendu avec moi. Nous ne restons que quelques instants à l’infirmerie de garnison, le temps de se faire établir une fiche de consultation radio, mais comme cette visite n’a lieu qu’au cap Saint-Jacques à l’hôpital militaire le jeudi et que la visite ne peut avoir lieu qu’après avoir passé la radio, nous faisons faux bond. Nous retrouvons Bégel, atteint d’une dysenterie amibienne en bonne voie de guérison et passons la journée ensemble à Baria. À onze heures, je profite que le Mdl/Chef Durand descend à Co-May pour aller rendre visite au GR Durocher, de la 18e compagnie GVNS du cap Saint-Jacques qui occupe ce poste avec deux groupes de sa compagnie. Nous mangeons à midi, au mess des GR de la 17e compagnie de Baria.

Au retour du convoi du cap Saint-Jacques et sur ma demande, vu les difficultés présentées pour venir de Phuoc-Trinh, je suis autorisé par le capitaine Faure à rester à Baria jusqu’à ce que je passe la visite de carrière. Quelques échos me parviennent sur la soi-disant attaque du groupe de Phuoc-Trinh, entre ce poste et Long-My. Le capitaine m’en parle deux mots et ce n’est pas pour me féliciter. C’est même un sérieux savon qu’il me passe. Comme si j’étais responsable des actes commis par le GR Foubert. Le tir d’artillerie avait été déclenché sur Long-My à la suite d’un coup de téléphone de la tour d’An-Hut qui, de l’autre côté de la rizière, avait aperçu des balles traçantes tirées par le GR Foubert et les avait prises pour des fusées lancées de Long-My. À Long-My, le poste était en alerte, ignorant d’où provenait ce tir. Certainement qu’à la suite de cela, le GR qui a déjà été muté à Phuoc-Trinh disciplinairement ne va certainement pas récolter des fleurs.

Le GR Lousteau étant actuellement à l’hôpital du cap Saint-Jacques, je vais le remplacer la nuit au poste de l’usine des Eaux de Baria, tenu par un groupe de la 17e compagnie GVNS de Baria, emmené par le camion qui porte la soupe aux Européens.

Ce poste est situé à deux kilomètres au Nord de Baria. C’est l’occasion, pour moi de le visiter, car je ne le connaissais pas encore et je tiens compagnie au GR Bureau, chef de poste, resté seul pour la circonstance. Je mange au soir avec lui, puis visite le poste. Celui-ci est formé de deux tours disposées aux deux extrémités de l’usine. Celle-ci alimente la ville de Baria en eau potable puisée dans un rach qui passe à proximité de l’usine. Elle est dirigée par des employés des travaux publics de la province de Baria. En ce moment, l’effectif du poste qui est normalement d’un groupe de GVNS est renforcé par un demi-groupe de tirailleurs du 2/22e RIC de Baria qui viennent passer la nuit et repartent dans la journée. La nuit, l’effectif est réparti par moitié dans chacune des deux tours, avec mission de n’en sortir sous aucun prétexte, cependant que les familles de la garnison autochtone logent dans l’usine. Le poste a été attaqué il y a un mois environ par une section VM qui était venue pour tenter de faire sauter l’usine. L’attaque avait été repoussée avec l’appui de l’artillerie de Baria. L’armement collectif comprend en tout et pour tout, un FM et un VB avec des munitions au compte-gouttes, aussi ils ne pourraient pas résister seuls longtemps à une forte attaque. […]

Mercredi 26 mars 1952

Le camion de la 17e compagnie GVNS vient me rechercher à huit heures et me ramène à Baria. Je sais à présent à quoi m’en tenir sur ce poste qui manque un peu de confort et qui, vu l’effectif réduit, n’effectue pas beaucoup de sorties. Ce n’est pas là que je souhaite terminer mon séjour. Aujourd’hui, visite annoncée du colonel Pélabon qui inspecte les postes du 7e groupe de compagnies GVNS de Phuoc-Haï. C’est le grand patron, puisqu’il commande toutes les forces de gendarmerie, prévôté et légions de marche de Garde républicaine en Indochine. Le camion de Baria, descendant au ravitaillement au cap Saint-Jacques, je profite de cette occasion pour descendre dans cette ville. En cours de route, nous rencontrons les blindés de Baria et l’escorte du colonel inspecteur stationnés devant le poste de Co-May, alors que le colonel inspecte le poste. […]

Jeudi 27 mars 1952

Pendant que le colonel Pélabon vient inspecter la GVNS au cap Saint-Jacques à la caserne de la 18e compagnie où je mange, j’en profite pour faire mes courses en ville en compagnie de Rapy (actuellement en permission de fin de séjour) et Hanen (en convalescence). Collet n’arrive que l’après-midi avec un camion de Phuoc-Haï et me rejoint à l’hôpital militaire à seize heures. Dans cet établissement, je retrouve les GR Horel et Lousteau. Visite radio satisfaisante pour tous deux et retour aussitôt avec le camion après un arrêt de quelques minutes à la caserne GVNS.

Départ du cap Saint-Jacques à dix-sept heures, arrêt de quelques minutes à Rach-Dua et Baria et nous filons sur Cho-Bo-Dap et Phuoc-Haï. Nous nous arrêtons quelques minutes à Long-Dien où nous apprenons par Latry qu’ils ont eu un accrochage hier soir au cours d’une patrouille dans Long-Dien. Plusieurs coups de fusil sont tirés sur le groupe, sans les atteindre. La riposte ne se fait pas attendre et les Viets se sauvent. Plusieurs pannes en cours de route nous font rentrer à la nuit à Cho-Bo-Dap. Par le groupe d’escorte du camion (Wattecamps, du poste Est de Phuoc-Haï), nous apprenons que les Viets, nullement inquiétés depuis plus d’un mois, sont venus poser des affiches dans Phuoc-Haï. Je retrouve le GR Piérantoni et j’apprends que le GR Sanchez, hospitalisé depuis mon départ, était dirigé actuellement en traitement pour les yeux dans le même établissement. Nuit calme. R.A.S. […]

Dimanche 30 mars 1952

Alors que nous sommes prêts à descendre pour passer la visite à Baria, le capitaine Faure, qui passe avec le convoi, en juge autrement et nous donne l’ordre d’y aller demain, avec un autre convoi. Avec Collet, je vais le matin à Long-My pour acheter des volailles. Dans le village, nous retrouvons Pignard, du poste de Long-My, venu pour les mêmes motifs. Nous remontons le village en partant de Cho-Bo-Dap et repassons par le poste de Long-My avant de rentrer. Nous retrouvons Foubert, affecté au poste et Bégel qui l’a escorté avec un groupe de Phuoc-Trinh. Nous ramenons le suspect pour le remettre au convoi lorsqu’il repassera le soir, mais le capitaine Faure, lorsqu’il repasse, en décide autrement. Il semble en colère et nous envoie au diable lorsque nous lui demandons ce qu’il faut en faire. Faites-en des confitures. Voilà la réponse qui nous laisse un peu sceptique sur les facultés de commandement du capitaine Louis Faure. Sur l’ordre du commandant de compagnie, nous le relâchons illico. Le garde Pignard mange avec nous le soir, joue aux cartes et à vingt-deux heures trente, nous le raccompagnons à son poste, Collet et moi. Retour à vingt-trois heures trente, sans incident. […]

Mercredi 2 avril 1952

[…] Le Mdl/Chef Paimpaud, commandant de la 19e compagnie Phuoc-Haï, qui va prendre le poste de Cho-Bo-Dap et celui de Long-My à son compte m’apprend que je suis désigné provisoirement pour prendre les consignes de chef de poste au poste Long-My pour le compte de la 19e compagnie. Le chef de poste actuel, Mdl/Chef Cornebois, prenant ses nouveaux quartiers à Long-Dien au camp Petit vendredi prochain. Ainsi, me voici muté dans un septième poste et il va me falloir aller rechercher mes affaires à Phuoc-Trinh. Décidément, je vais être obligé d’adapter des roulettes sous ma malle.

Je ne dois assurer ces fonctions que provisoirement, en attendant la venue probable du GR Lemaître, actuel chef de poste du poste Nord de Phuoc-Haï, ce poste devant être détruit incessamment. […]

Lundi 7 avril 1952

Le matin, je reste au poste pour diriger les travaux en cours (rehaussement des blockhaus d’angle avec le peu de ciment qui nous est attribué, confections de palissades autour de divers puits, etc. pour pouvoir prendre sa douche correctement, etc.). […]. Nous essayons de correspondre avec Levrette (désignation radio du PC de la 19e compagnie à Phuoc-Haï, celle de notre poste radio est Légiste. C’est tout un labeur, étant assez novice dans la question et nous n’avons pas encore pu communiquer quoique que ce soit avec eux […]. Mais comme ce qui nous intéresse directement, c’est le PC compagnie, nous sommes assez ennuyés pour transmettre le BQR tous les jours au matin, à sept heures trente (bulletin quotidien de renseignements) et les messages aux vacations suivantes (9h30 - 13h00 - 17h30 et 20h30). Une écoute permanente a lieu au service de transmission du sous-secteur de Baria et en cas de message urgent à passer, nous devons l’appeler, mais notre poste radio (SCR 694) ne permet pas de prendre sa fréquence. Ce poste radio est actionné par une génératrice à pédale, ce qui est moins ennuyant que les batteries qu’il faut faire recharger à tout moment au PC compagnie, à la merci des liaisons qui n’ont pas lieu tous les jours, mais par contre, il faut deux personnes tous les jours, à chaque vacation pour tourner la génératrice. […]

Le BQR, que l’on passe tous les jours au matin, relate tous les faits qui se sont passés dans la zone d’influence du poste au cours de la veille et de la nuit. Un système de code est prévu pour correspondre avec l’aviation, en cas de forte attaque du poste qui nécessiterait un appui aérien. À chaque fusillade ou harcèlement que nous entendons dans la zone d’influence des postes voisins, même si ça ne concerne pas directement le poste, nous devons prendre l’écoute radio de manière à retransmettre les messages et appels de postes voisins qui ne pourraient être captés par le central radio du quartier ou du sous-secteur. De plus, dans chaque poste, nous disposons de panneaux de différentes grandeurs qui, disposés suivant un code secret, peuvent suppléer le poste radio en cas de détérioration de celui-ci, en correspondant avec l’aviation. Certains messages secrets doivent être passés en codé, suivant un code secret changé tous les deux mois environ, car les rebelles disposent de quelques postes radio, notamment au Tonkin et pourraient capter nos messages. Le poste de Long-My transmet le BQR et les messages du poste de Cho-Bo-Dap, celui-ci ne disposant pas de poste radio et étant relié téléphoniquement avec le poste de Long-My.

Mardi 8 avril 1952

Le matin, à huit heures, distribution de la solde aux autochtones. Pendant ce temps, les coolies convoqués pour huit heures arrivent au poste, munis de coupe-coupe. À neuf heures, je pars avec le groupe de protection pour me rendre compte des travaux en cours. À l’aller, à six cents mètres du poste de Long-My, les soldats de pointe s’immobilisent et scrutent un buisson de bambou situé à trente mètres de la route, en poussant des exclamations. Puis ils s’élancent vers celui-ci et l’encerclent.

Je suis tout de suite mis au courant de ce qu’il se passe en voyant s’enfuir en sifflant, un serpent de trois mètres de long environ, de la grosseur du bras, qui passe au travers du cercle et s’enfuit à toute vitesse en direction d’une grosse termitière, à trente mètres plus loin, poursuivi par les soldats. Ceux-ci tirent trois coups de fusil sur lui, au moment où il rentre dans un terrier, au pied de la termitière, mais une balle le coupe en deux et un morceau reste dans les mains d’un soldat pendant que la tête et moitié du corps du reptile disparaît dans le terrier. C’est la première fois que je vois un serpent de cette taille. Les Cambodgiens sont les plus acharnés à le poursuivre car ils vont le manger. Par contre, les Annamites sont outrés de cet état de choses car pour eux, cette race de reptiles est considérée comme Bouddha, c’est-à-dire qu’elle est sacrée et d’après eux, tous les malheurs possibles et inimaginables vont leur arriver. […]

Jeudi 10 avril 1952

À l’occasion de la fête du Têt cambodgien (16 avril du calendrier annamite), les soldats du poste me demandent deux jours de repos. N’ayant pas pu en parler au commandant de la 19e compagnie (Mdl/Chef Paimpaud à Phuoc-Haï), je leur accorde une journée. Cho-Bo-Dap en fait autant de leur côté. Les coolies qui n’avaient pas été prévenus sont occupés le matin à débroussailler aux alentours du poste de Long-My. Pignard va chercher du ravitaillement dans le village de Long-My à neuf heures avec deux GVNS […]

Vendredi 11 avril 1952

Sur leur demande, j’autorise les autochtones à continuer la fête aujourd’hui. Bien entendu, ils travaillent demain, alors que les GVNS de Phuoc-Haï se reposeront. Le matin, un GVNS du poste ramène un serpent de trois mètres de longueur, écrasé probablement par un bœuf. Décidément, ces reptiles ne manquent pas dans le coin. C’est l’occasion de faire la photographie qu’on aimera revoir plus tard.

L’après-midi, les autochtones, nullement découragés par l’échec d’hier soir, fabriquent à nouveau trois montgolfières qu’ils lancent le soir, vers vingt et une heure. Cette fois, deux partent très bien et vont se perdre au-delà de Dat-Do. Le vent est faible et gonflés par la chaleur qui se dégage par le Kapok imbibé de pétrole et d’huile de coco enflammés, le tout fixé astucieusement sur des fils de fer, sous la montgolfière en papier, ils montent très haut. Le troisième s’enflamme au sol.

Presque toutes les nuits, les chiens hurlent dans la partie Sud du village, à l’opposé du poste, par rapport au village (hameaux de Bau-Taï et Lo-Gom). Comme la moisson du paddy vient d’être terminée, il se peut que ce soit des Viets qui viennent en récupérer pour composer des stocks de ravitaillement en vue de se nourrir. Malheureusement, faute de personnel suffisant, nous ne pouvons faire de patrouilles dans la nuit, ni d’embuscades. Il y aurait pourtant certainement de jolis coups à faire.

Samedi 12 avril 1952

Alors que jusqu’à présent, l’ouverture de route n’était pas effectuée le matin sur Cho-Bo-Dap dorénavant, je la fais faire par quatre hommes armés de grenades qui font liaison avec le poste de Cho-Bo-Dap. […] Instruction pour le personnel vietnamien du poste, le matin (depuis quelque temps, des notes impératives émanant du colonel Briant, commandant de la zone Est, prescrivent de pousser l’instruction militaire aux autochtones : ça ne leur fait pas de mal, car la plupart n’ont que deux mois de classe et n’ont pratiquement jamais tiré au fusil). D’autre part, la plupart des gradés vietnamiens passent au grade supérieur dans un temps record. On voit qu’on veut en finir une bonne fois pour toutes avec cette armée vietnamienne, mais reste à savoir comment elle se comportera lorsqu’elle sera seule pour se mesurer aux adversaires vietminh, car ce n’est certainement pas avec des officiers formés en six mois de temps qu’elle sera suffisamment mûre. Les Viets sont plus avancés, car ça fait six ans qu’ils font la guerre et sont mieux organisés. Leur discipline est beaucoup plus dure et ils sont fanatisés par la propagande communiste. […]

Mercredi 16 avril 1952

[…] À onze heures, un coup de fil de Cho-Bo-Dap m’avise de me tenir prêt pour recevoir des officiers supérieurs en visite d’inspection et qui se dirigent vers Phuoc-Haï. Pendant que les GVNS disponibles au poste font un brin de toilette au poste, je me mets en tenue et, comme ces messieurs n’arrivent pas encore, je me mets à table.

Vers douze heures trente, les véhicules me sont signalés par la sentinelle du mirador (il y en a une en permanence au mirador et une autre au blockhaus Sud du poste (côté village) et quelques instants plus tard, deux jeeps et un Dodge 4x4, escortés de deux blindés stoppent devant le poste. En descendent : un général de brigade, le colonel Deleu, commandant le sous-secteur de Baria, un autre colonel et le capitaine Faure, commandant du quartier de Long-Dien. Après m’être présenté, le général passe en revue le groupe d’honneur qui lui présente les armes et inspecte le poste, sauf le réduit des Européens. Il me demande quelles sont les principales difficultés que je rencontre dans le commandement du poste. Je lui réponds que c’est le ravitaillement et les liaisons qui nous manquent le plus. Dix minutes après, ils continuent vers Phuoc-Trinh. Décidément, nous ne voyons pas grand monde dans le coin, mais lorsqu’il vient quelqu’un, ce n’est pas du menu fretin. […]

Vendredi 18 avril 1952

Les coolies ne s’étant présentés ce matin qu’à cinq au lieu de vingt-cinq habituellement, Pignard, avec un demi-groupe et un sous-officier autochtone va faire une rafle dans les caï-nhas les plus proches du poste (partie Nord du village de Long-My (hameau de Baû-Cang et Baû-Sang). Ceux qui viennent habituellement sont des hameaux Sud de Long-My (Baû-Tay et Lo-Gom). Le groupe part à neuf heures et rentre à dix heures. R.A.S.

L’après-midi, à quinze heures, je vais faire une patrouille dans la partie Ouest de Long-My (Lo-Gom) avec un demi-groupe du poste de Long-My et réquisitionne une dizaine de coolies et deux charrettes à bœufs. De grosses touffes de bambou se trouvant dans le coin, je leur en fais couper deux bonnes charrettes pendant que le reste du groupe reste en protection, en lisière du village, car derrière ces haies, nous ne verrions arriver des VM qu’au dernier moment et il faut être prudent car c’est dans ce coin que l’embuscade contre Collet et Pignard a eu lieu le 20 février 1952. Heureusement, les chiens des caï-nhas sont là pour nous avertir. Finalement, il ne se passe rien de spécial […].

Mardi 22 avril 1952

[…] Après mûres réflexions, je mets le capitaine et le chef au courant de mon intention de prolonger mon séjour de six mois.

En effet, la question de rentrer en France en hiver ne m’enchante pas (fin de séjour le 24 septembre 1952 – rentrée probable fin octobre – permissions novembre, décembre, janvier), alors qu’en prolongeant, je termine le 24 mars et passerai toutes mes permissions à la belle saison. Il me reste à présent à m’informer des dispositions à prendre pour établir une demande auprès du secrétaire du PC du 7e groupe de compagnies GVNS à Long-Dien. Théoriquement, cette demande se fait trois mois et demi avant la fin du séjour. J’ai été obligé de faire ma demande plus tôt, car je passe de carrière dans trois mois et demi et suis dans l’obligation de faire une demande de changement de taux de délégation de solde. Or, ceux qui sont rapatriables en septembre 1952 ne peuvent faire ce changement et doivent au contraire annuler leur délégation trois mois d’avance. Quant au point de vue santé, je ne me suis jamais si bien porté que maintenant et le moral est excellent. […]

Jeudi 24 avril 1952 (19 mois)

Alors que je termine ma toilette, à huit heures quarante-cinq, un véhicule nous est signalé par la sentinelle du mirador et peu après arrive au poste le capitaine Faure, commandant de groupe de compagnies qui nous signale qu’un tir d’artillerie va avoir lieu, sous la direction d’un officier d’artillerie. En attendant que cet officier arrive, j’envoie une patrouille aux alentours du poste pour faire rentrer les troupeaux de buffles et de bœufs qui paissent dans la rizière et pour interdire aux habitants de s’approcher, afin de ne pas être atteints.

Avec le capitaine se trouvent deux aspirants vietnamiens, appelés dans un avenir très proche à me remplacer dans le commandement de ce poste, celui-ci devant être entièrement jauni (encore un déménagement en perspective). L’officier artilleur arrive en camion un quart d’heure après et casse la croûte au poste avec les autres officiers en attendant que la patrouille revienne.

De dix heures à onze heures quinze, je reste pendu à l’écoute du poste radio pour communiquer les éléments de tir au centraliste à Long-Dien (GR Doucet), lequel les transmet aux artilleurs (canon de 75 de Long-Dien). Une quinzaine d’obus sont tirés et explosent à 150 mètres du poste, avec rectification de tir à chaque coup. Jusqu’à présent, seule la pièce de Long-Dien assurait la protection du poste de Long-My, alors qu’à présent les deux pièces de 75 (Long-Dien et Dat-Do) encadrent le poste. […]

Mardi 29 avril 1952

Aujourd’hui, messe dite par l’aumônier du secteur de Bien-Hoa à Cho-Bo-Dap. Je m’y rends à dix heures et mange là-bas, après la messe, avec l’aumônier et les GR Collet et Gelle, de ce poste. Celui-ci (aumônier) me ramène ensuite avec sa jeep jusqu’à Long-My où il reste un quart d’heure. Nous assistons au baptême d’une petite fille vietnamienne de famille catholique (les parents Nguyen-Van-Minh (Pierre) et la mère Catherine, prénommée Marie (elle a un nom vietnamien, mais a ce surnom chrétien).

Mercredi 30 avril 1952

[…] Au cours d’un gros orage survenu à midi, nous sommes complètement inondés par la pluie fine qui arrive en biais par les fenêtres. La citerne de 4000 litres construite à l’intérieur du réduit pour recueillir l’eau qui coule sur la terrasse du réduit est aux trois quarts pleine lorsque l’orage est terminé.

Le poste ayant été terminé en saison sèche (décembre 1951), la toiture n’a pas encore été éprouvée à la pluie et nous découvrons de petites gouttières faciles à reboucher avec du goudron, dont nous disposons. Les baraquements des autochtones ne se comportent pas mal. La cour est passablement inondée d’un côté (côté route Phuoc-Trinh-Trinh, légèrement en contrebas), mais ça s’écoule vite dans les fossés qui entourent le poste. […]

Jeudi 1er mai 1952

En principe, repos pour tout le monde, mais comme les coolies sont venus nombreux au travail, nous en profitons pour les faire débroussailler les abords de la route Long My - Phuoc-Trinh, sous la protection habituelle d’un groupe du poste. […] Un autre groupe est occupé toute la journée à confectionner des volets en caï-phen pour boucher les fenêtres du réduit européen. Il faut tirer parti de tout et nous récupérons les clous auprès des vieilles caisses et caï-phen après les panneaux de signalisation (Terre-Avion).

Comme nous avons toujours besoin de quelques bricoles pour le poste et que nous ne percevons pas d’argent, (je ne tiens pas à payer de ma poche), nous imposons d’une demi-piastre de dîme deux fois par semaine, les femmes de Long-Dien qui transportent du sel sans autorisation à Phuoc-Haï, ceci après accord du commandant de la 19e compagnie GVNS de Phuoc-Haï. Cela nous permet d’acheter des piles pour les torches des sentinelles et des pointes pour nos constructions.

En rentrant à midi, j’apprends par Pignard qui a pris la radio à neuf heures trente, qu’un coup dur est arrivé à un camion de Baria du 2/22e RIC, ce matin, sur la route de Long-Phuoc. Celui-ci, transportant une section de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Baria, a sauté sur une mine télécommandée et trois Européens qui se trouvaient dans la cabine avant ont été tués. Ce sont le lieutenant Vignot, affecté dans cette unité depuis trois semaines, le sergent-chef Ledoux (arrivé depuis 4 mois pour un deuxième séjour dans la région de Baria, que j’avais connu quelques jours à la 6e compagnie du 2/22e RIC, lorsque cette unité était encore à Long-Dien et que j’étais avec une section GVNS pour implanter le poste de Phuoc-Trinh) et le soldat de 1ère classe Véraud, chauffeur du camion, qui était venu au poste et avait passé la nuit trois jours plus tôt, alors qu’il amenait le commando de l’O.R. de Baria. […]

Vendredi 2 mai 1952

La fête du 1er mai est reportée aujourd’hui pour le personnel du poste de Long-My, sauf le groupe de sécurité du poste qui en assure la garde dans la journée et fournit une sentinelle au mirador et une autre au blockhaus Sud (côté village de Long-My). Il est composé de six soldats sous le commandement d’un gradé vietnamien et rend les honneurs aux gradés qui viennent en visite au poste, sauf cas exceptionnel où le groupe est au complet lorsque nous en sommes avisés par radio.

Collet, en patrouille ce matin, dans la partie Nord de Long-My (hameau de Bau-Sang) procède sur renseignements à l’arrestation d’un suspect qui, après interrogatoire, fournit des renseignements intéressants. En ce moment, se trouverait dans la montagne une section VM qui viendrait se ravitailler toutes les nuits dans le village de Long-My et dans celui de Long-Phu. […]

Le soir, nous décidons de monter une embuscade autour de la caï-nha du suspect arrêté ce matin, mais au moment de partir, il se met à pleuvoir, ce qui nous laisse indécis pour savoir si nous y allons ou n’y allons pas. […] Gros orage sur le soir et dans le courant de la nuit. Finalement, nous n’effectuons pas d’embuscade. […]

Mercredi 7 mai 1952

Toute la journée, travaux au poste. L’après-midi, Pignard va tout de même faire une petite patrouille avec un demi-groupe du poste dans Long-My pour récupérer deux petits bananiers, commandés par le capitaine Faure et destinés à être replantés à l’intérieur du PC de la GVNS au camp Petit à Long-Dien (nous voici pépiniéristes à présent. Décidément, il faut savoir faire tous les métiers dans cette guerre).

[…] L’après-midi, j’ai une sérieuse altercation avec un sergent autochtone qui est soi-disant mon adjoint, mais qui se distingue pour exciter le personnel à ne pas m’écouter quand je donne des ordres et qui sème la discorde entre Cambodgiens et Annamites dans le poste. Heureusement pour lui qu’il part d’ici quelques jours en permission de quinze jours, ce qui sera un bon débarras pour moi et lui évitera des ennuis (sergent cambodgien Thach Suong).

Vendredi 9 mai 1952

Vers neuf heures, visite du commandant de la 19e compagnie Phuoc-Haï, avisé par message radio de se trouver à Long-My pour cette heure. Probablement la visite du capitaine Faure. Il nous apprend qu’hier après-midi, un groupe du poste Sud de Phuoc-Haï, avec le GR Robert, a été au secours d’une section de commando de la Marine qui effectuait une opération depuis quatre heures du matin, dans le secteur viet de Lo-Khan - Phuoc-Buu et qui était bloquée sur la rive du rach Song-Ray, à six kilomètres de Phuoc-Haï, n’ayant pas de moyen pour le traverser. Un soldat Européen du commando avait réussi à traverser le rach à la nage au risque d’être entraîné par le courant et était venu prévenir, seul, le poste Est de Phuoc-Haï (premier poste sur la côte en zone contrôlée) de la situation dont se trouvait son unité.

Après confirmation des déclarations de ce militaire par le haut commandement par message radio, afin de ne pas tomber dans un traquenard, Robert part à leur secours pour leur faire traverser le rach avec des barques de pêche de Phuoc-Haï, réquisitionnées pour la circonstance. La situation du commando est assez critique quand on sait, d’après les renseignements, que cette zone rebelle est occupée, paraît-il, par trois bataillons de réguliers Viets et qu’ils ne sont qu’à trente sous le commandement d’un adjudant-chef, presque tous d’anciens ralliés qui ont passé un certain temps dans les rangs VM dans cette zone. Ils ont été débarqués à quatre heures du matin par un patrouilleur de la Marine, sur la côte rebelle de la Pointe de Cu-My et s’étaient perdus au retour. Avec eux, ils ont huit prisonniers et ont récupéré des documents importants, après avoir tué onze rebelles dans un camp. Ajoutons qu’ils étaient à court de munitions et, le rach formant deux bras à son embouchure, le plus large mesurant 600 mètres, ils avaient traversé un bras avec des barques et croyant être arrivés sur l’autre rive, alors qu’ils ne se trouvaient que sur l’île qui sépare les deux bras du rach, ils coulent les barques. Les secours leur arrivent vers dix-huit heures et ils rentrent à la nuit, à pied, en longeant la plage, très fatigués en arrivant à Phuoc-Haï, car ils ont quelque chose comme 30 à 25 kilomètres dans les jambes de la même journée, dans un terrain qui n’est pas très indiqué pour faire du cross. Un camion du sous-secteur de Baria vient les rechercher à vingt et une heure et les transporte directement à Baria, car leurs renseignements sont de grande importance. Ainsi, après que la compagnie de Phuoc-Haï avait eu à intervenir l’année dernière (6 mai 1951) pour aller assurer la protection d’un avion accidenté dans le même secteur viet, cette fois, c’est à la Marine (commando) qu’elle va porter secours. […]

Lundi 19 mai 1952

Le GR Hanen nous amène ce matin le ravitaillement dont nous avions bien besoin. Le gérant du GA étant malade, il le remplace depuis huit jours. Nous apprenons que le poste Nord de Nuoc-Ngot et la tour Ly (entre ce poste et Phuoc-Haï Sud) ont été harcelés au pistolet-mitrailleur et fusil. […]

Un message codé nous avise de redoubler de vigilance, car c’est aujourd’hui un anniversaire Viet-Minh et il se pourrait qu’ils tentent un coup quelque part. Vers dix-huit heures, nous entendons des rafales de FM et détonations du côté de Phuoc-Trinh. Le PC groupe de Long-Dien lance des appels aussitôt par radio que nous captions avec le nôtre, mais nous n’entendons pas les réponses de Phuoc-Trinh, les ondes étant très brouillées. Théoriquement, dès que nous entendons des explosions aux alentours de notre poste, nous devons prendre immédiatement l’écoute, soit pour renseigner le PC si ça se passe aux abords du poste (accrochage d’un élément du poste), soit pour capter le message d’un des postes voisins, si c’est un de leurs éléments qui est accroché pour le retransmettre au PC au cas où celui-ci n’arrive pas à le capter. N’étant qu’à deux Européens au poste, ce n’est pas toujours facile pour prendre l’écoute, le mortier et la radio ne pouvant être servis que par des Européens, il ne reste plus personne pour surveiller les autochtones, la confiance étant toujours assez limitée vis-à-vis des gradés Vietnamiens qui n’ont pas beaucoup d’autorité sur leurs hommes. […]

Mercredi 21 mai 1952

Depuis quelques jours, je suis littéralement à plat : plus de force, plus d’appétit et aucun courage. La chaleur étouffante qui règne depuis huit jours n’y est certainement pas pour rien. Au réveil, une bonne averse rafraîchit la température et je me trouve nettement mieux. Écriture et « jeux de patience » toute la journée. Nous recevons par radio plusieurs messages codés d’exercice et c’est un véritable problème pour les déchiffrer et les prendre à l’écoute, car il ne s’agit pas de faire d’erreurs, sinon la solution est impossible à trouver. Tout le personnel travaille au poste toute la journée. […]

Jeudi 29 mai 1952

[…] Vers seize heures arrive l’équipe cinématographique du 22e RIC de Bien-Hoa, qui a donné une représentation hier à Phuoc-Haï et doit en donner une ce soir au poste et passer la nuit ici. Le commandant de la 19e compagnie (Mdl/Chef Paimpaud) l’escorte jusqu’ici. Cette équipe, composée d’un sergent du 1/22e RIC de Anh-Loc (tous Européens) effectue, à partir de maintenant, des tournées dans tous les secteurs de Bien-Hoa et est dotée d’une caravane offerte par le Noël des combattants 1951 (collecte instituée et patronnée par le général de Lattre de Tassigny et qui a permis de fournir 25 caravanes cinématographiques au corps expéditionnaire d’Extrême Orient, sans compter de nombreux colis). Cette équipe doit passer en principe, toutes les six semaines, si tout va bien. Ils installent leur matériel dans la soirée, mettant le camion le long du fossé, à l’extérieur du poste, le groupe électrogène à côté et l’écran contre la façade du réduit, côté Nord, l’appareil sous le mirador, abrité en cas de pluie sous un toit en toile de tente. Gelle, du poste de Cho-Bo-Dap, avec quelques familles et militaires de ce poste, viennent assister à la séance qui a lieu en plein air et commence à vingt et une heure, dès qu’ils arrivent. Documentaires et un film de cow-boys pour les autochtones qui, ne comprenant pas le français, ont besoin de voir les films d’action pour être intéressés. Par mesure de sécurité, le service de garde est renforcé, un FM dans chaque blockhaus et tous les soldats qui assistent à la séance sont en possession de leurs armes, de manière à faire face rapidement à toutes éventualités.

Vendredi 30 mai 1952

Comme à l’habitude, ouverture sur Cho-Bo-Dap et Phuoc-Trinh, avec liaison avec ces deux postes. Nous apprenons par la radio que le poste Est de Phoc-Haï a tiré deux coups de canon hier soir, (canon de 57 mm) sur des barques qui pêchaient en zone interdite. Avec le bruit du moteur entraînant le cinéma (groupe électrogène), nous n’avions rien entendu. […]

Vers dix heures, arrive le commissaire de police de Baria, en l’occurrence un gendarme (Gruelle), qui a fait trois ans à la brigade de compagnie de Fort National (Section Tizi-Ouzou), où j’ai fait mon stage, qui vient faire une petite enquête au poste. Nous envoyons une patrouille dans Long-My, pour aller chercher les personnes à interroger et il reste jusqu’à midi. Il est accompagné d’un interprète Annamite, son auxiliaire. Il est seul comme Européen au poste de gendarmerie coloniale de Baria. Il est escorté par un camion du PC groupe de Long-Dien avec le GR Horel comme chef d’escorte. […]

Samedi 31 mai 1952

Ouvertures de routes et liaisons habituelles. R.A.S. À neuf heures trente, le nouveau commandant de compagnie (adjudant Holtzinger) et un sergent cambodgien (Ly-Helle) arrivent avec la jeep de la 19e compagnie GVNS de Phuoc-Haï, escortés de deux soldats. Ils nous apportent des piles pour le détecteur à mines et une batterie d’accus. Collet, qui est arrivé une demi-heure avant, repart avec eux, vers dix heures quinze. À peine dix minutes après, nous entendons une violente explosion en direction de Phuoc-Haï et voyons s’élever une grosse colonne de fumée noire au-delà de Cho-Bo-Dap.

Sans aucun doute, c’est la jeep qui vient de tomber dans une embuscade et vient de sauter sur une mine ? Cependant, nous n’entendons pas tirer, ce qui laisse supposer, soit que la jeep et tous ses occupants ont été tués sur le coup, soit que les rebelles ne sont pas nombreux et n’essayent pas de s’emparer des occupants de la jeep. Un groupe de combat est mis sur pied immédiatement, pendant que je me précipite au téléphone pour essayer d’avoir des nouvelles par Cho-Bo-Dap. Confirmation m’est donnée qu’une mine vient d’exploser sur le passage de la jeep.

Je pars aussitôt au pas de course avec le groupe du poste et FM, en direction du lieu présumé de l’embuscade, en suivant la route et m’arrête quelques instants à Cho-Bo-Dap pour apprendre par la bouche de Gelle que Collet est déjà parti sur les lieux avec un groupe de combat de ce poste. Je continue en direction de Phuoc-Haï et à un détour de la route, 400 mètres avant d’arriver à T2, (à 1600 mètres environ de Long-My et 500 mètres du poste de Cho-Bo-Dap), j’aperçois la jeep qui redémarre en direction de Phuoc-Haï, un attroupement formé par des voyageurs d’un car chinois qui sont réquisitionnés pour reboucher un trou formé par l’explosion de la mine, sous la protection du groupe de Cho-Bo-Dap. Cette mine a explosé à soixante centimètres de l’arrière de la jeep, sans atteindre celle-ci, ni ses occupants. Une autre mine est découverte à un mètre du trou, qui fait la largeur de la route sur un mètre de profondeur. Cette mine, qui était couplée avec celle qui a explosé est récupérée, ainsi que 300 mètres de fil téléphonique, qui avait servi à la mise à feu électrique et était enterré sur toute sa longueur, à 30 centimètres de profondeur. De ce fait, l’ouverture de route de Cho-Bo-Dap n’avait rien vu le matin, quoique la mine devait déjà être posée et les Viets postés à la lisière de la brousse. […]

Dimanche 1er juin 1952 (Pentecôte)

Les coolies, en nombre encore plus restreint qu’hier, viennent travailler et sont employés à débrousser dans le virage, entre Long-My et Cho-Bo-Dap, non loin de ce poste. Une dizaine de femmes désherbent dans les barbelés du poste de Long-My. Parmi elles, une jeune Annamite qui n’est pas venue travailler hier et a le toupet de me réclamer son laissez-passer pour se rendre au cap. Comme il faut des exemples, je l’embauche toute la journée, quoiqu’elle soit habillée en dimanche. […]

Le soir, une certaine animosité règne entre les GVNS Annamites et Cambodgiens du poste et le poste est un peu en révolution, sans toutefois qu’il ne se produise d’incidents. Chaque clan se rassemble dans un blockhaus différent et se regarde en chiens de faïence. À tout moment, les membres du clan annamite viennent me casser les oreilles en accusant les Cambodgiens d’être armés de poignards et de vouloir les attaquer. Ces derniers se plaignent que le sergent Annamite les défavorise en établissant le service de garde de nuit. Bref, je suis obligé de dévoiler mes talents de négociateur pour les calmer et de demander la mutation d’un sergent Cambodgien qui, en tant que mon adjoint, met cette situation privilégiée à profit pour pousser ses compatriotes au désordre. Je suis obligé de le mettre en garde et de lui signaler qu’en cas de dispute, je le rendrai responsable, pour ne pas faire un geste près de ses compatriotes pour les raisonner alors qu’il est mon adjoint et seul gradé Cambodgien au poste de Long-My. Je demande sa mutation au commandant de compagnie en signalant les faits.

Mardi 3 juin 1952

Nous apprenons à la vacation de sept heures trente que des éléments Cao-Daïstes du poste de Nuoc-Ngot ont été harcelés, alors qu’ils effectuaient une corvée de gaulettes dans la montagne, derrière le poste Nord de Nuoc-Ngot. Celui-ci, qui a essuyé plusieurs coups de fusils également, a riposté au FM. Pertes amies : néant – pertes ennemies : ignorées. Les coolies viennent encore travailler toute la journée. Le matin, ils ne sont pas encore le compte, mais l’après-midi, avec la promesse que leurs laissez-passer leur seront rendus, ils se présentent tous et font le même travail qu’hier. L’après-midi, je vais me rendre compte de l’état d’avancement des travaux dirigés par Collet de Cho-Bo-Dap et constate qu’il y a eu tout de même du travail de fait, un bon coin d’éclairci qui sera appréciable pour la sécurité de l’ouverture de route de Cho-Bo-Dap, lorsque ce poste sera complètement détruit. Je me rends également jusqu’à Cho-Bo-Dap et revient avec la jeep du PC 19e compagnie (Phuoc-Haï-Sud) qui vient en liaison à Long-My. […]

Le soir, il y a foule au poste. C’est un véritable défilé qui vient rechercher ses laissez-passer. Le travail n’est pas tout à fait terminé, mais il ne faut pas abuser et le reste sera fait par les habitants de Hoï-My qui seront réquisitionnés par un groupe de Cho-Bo-Dap avec Collet.

Vendredi 6 juin 1952

Vers sept heures quarante-cinq, nous entendons des détonations et une vive fusillade et voyons s’élever de grosses fumées dans la montagne, en face Long-My. Probablement le commando qui a découvert ce qu’il recherchait. Ils étaient tombés sur un campement d’une partie de la section VM cantonnée dans la montagne, à 1500 mètres du poste de Cho-Ben voici dix jours environ et avaient récupéré deux fusils et deux tromblons, ainsi que de nombreuses munitions. Les VM, qui avaient été surpris au cours de l’attaque, se sont ressaisis et ont violemment harcelé le commando au VB et fusil, pendant que celui-ci fouillait le campement. Quand ils ont décroché, les rebelles ont fait exploser plusieurs mines sur leur passage, blessant légèrement un rallié du commando.

Vers neuf heures, une fusillade au pied de la montagne nous signale sans aucun doute le retour du commando. À la vacation de neuf heures trente, à la radio, le PC compagnie nous signale que deux groupes, sous les ordres du commandant de la 19e compagnie, sont partis en direction de Long-My en passant par Long-Phu, alertés par les coups de feu et supposant que c’est un groupe de chez nous (Long-My) qui est accroché. Je leur signale le commando dans les parages, car ils l’ignoraient et j’espère qu’ils ne se rencontreront pas avec celui-ci, car les ralliés étant habillés en Viet, ils pourraient leur tirer sur la figure et faire de la casse.

Heureusement, cinq minutes après, celui-ci rejoint le poste et nous apprenons qu’ils ont détruit un camp VM à flanc de montagne, composé d’une dizaine de paillotes. […]

Alors que le commando a rejoint Cho-Bo-Dap sans s’arrêter au poste de Long-My, les deux groupes du poste Sud de Phuoc-Haï arrivent peu après, ramenant un habitant de Long-My qui s’enfuyait à leur approche. […]

Dimanche 8 juin 1952

À neuf heures, l’adjudant-chef Caillot, adjoint au commandant du 7e groupe de compagnies GVNS apporte la solde aux Européens et autochtones de la 19e compagnie GVNS à Phuoc-Haï. Le commandant de compagnie, venu à sa rencontre à Cho-Bo-Dap, nous apprend que sa venue au poste de Long-My doit être faite en principe mardi prochain. Le sous-quartier de Phuoc-Haï (poste Sud et Est de Phuoc-Haï) doit être rattaché au quartier et passer sous les ordres du capitaine Bonvalet, commandant de la 7e compagnie du 2/22e RIC de Dat-Do. Les unités GVNS de Phuoc-Haï seront donc opérationnellement sous les ordres de cet officier et administrativement sous les ordres du capitaine Faure, commandant du 7e groupe de compagnies GVNS et commandant de quartier de Long-Dien. Le PC de la 19e compagnie va être à Long-My qui deviendra sous-quartier de Long-My. D’autre part, le poste Nord de Nuoc-Ngot serait tenu par les Cao-Daïstes du sous-quartier de Long-Haï, ce qui permettra de récupérer les deux GR (Wattecamps et Muller) qui encadraient les partisans de ce poste. Quant aux tours, tenues par les partisans, entre Dat-Do et Phuoc-Haï, ainsi que la tour Ly (entre Phuoc-Haï et Nuoc-Ngot), elles passeraient sous le contrôle du commandant de quartier de Dat-Do. […]

Gelle m’apprend, vers treize heures, que Collet de Cho-Bo-Dap, dans un moment de cafard, était parti du côté d’Hoï-My, seul, armé de sa mitraillette, ce qui n’est pas particulièrement prudent. Il ne rentre que vers seize heures sans avoir rien vu. Un message radio nous signale de ne pas sortir demain matin, le commando de l’O.R. de Baria opérant dans le coin. Bien entendu, ça n’exclut pas les ouvertures de routes. […]

Lundi 9 juin 1952.

[…] Le Mdl/Chef Cornebois, commandant de la 20e compagnie GVNS à Long-Dien, vient nous rendre visite avec le GR Doumenc vers seize heures et reste un quart d’heure. Ils nous apprennent que le lundi de la Pentecôte, jour néfaste pour le 7e groupe de compagnies (anniversaire de la mort de Nicolas, tué en 1951), ils ont eu un nouveau coup dur qui si, il n’a pas été tragique pour nous, a coûté néanmoins la vie à une jeune Annamite de quatorze ans. Alors qu’un camion du PC groupe de Long-Dien revenait de porter du ravitaillement au poste de Long-Phuoc, il a raccroché un camion de la SIPH (Société industrielle de plantations d’hévéas) de Binh-Ba dans lequel se trouvaient des ouvriers de cette plantation. La route étant étroite et l’un des camions ne s’étant pas suffisamment dérangé, ils se sont frôlés et une jeune Annamite qui passait la tête au même moment, a été littéralement décapitée.

Mardi 10 juin 1952

L’ouverture de route de Phuoc-Trinh découvre de nombreux tracts rebelles distribués au cours de la nuit. Perception de la solde pour autochtones et Européens, apportée vers huit heures quarante-cinq, par le commandant de la 19e compagnie accompagné du GR Muller, du poste Nord de Nuoc-Ngot.

Vers dix heures quinze, alors que le commandant de compagnie s’apprête à porter la solde au poste de Cho-Bo-Dap, le capitaine Tournier, adjoint au commandant de secteur Baria - cap arrive et entre au poste dix minutes pour inspecter les nouveaux bâtiments en provenance de Cho-Bo-Dap, en cours de construction. […]

À peine cinq minutes après qu’ils nous ont quittés, nous entendons une violente explosion au-delà de Cho-Bo-Dap et voyons monter une grosse fumée noire. […]

[…] Les Viets, qui ont mis le contact à la mine électrique, étaient placés, cette fois, du côté d’Hoï-My, cependant que deux ou trois coups de fusil étaient tirés d’en face, en lisière de la brousse, côté Long-My. Comme la dernière fois, les Viets, qui avaient enterré le fil téléphonique servant à la mise à feu, ont raté leur coup et pour les occupants de la jeep, au nombre de trois, ils en seront quittes pour la peur. Mais le chef de poste de Cho-Bo-Dap, GR Collet, n’a pas fini de faire des rapports pour expliquer comment se font les ouvertures de routes. Heureusement qu’il ne possède pas de détecteur à mines, car il aurait dérouillé, quoiqu’il n’y pouvait rien.

Le plus fort, c’est qu’un groupe était resté en contre-embuscade, au passage de la jeep du commandant de la 19e compagnie qui apportait la solde. Il est probable que les Viets, qui le visaient certainement pour s’emparer de la solde, ont été dérangés par cette contre-embuscade placée à 150 mètres du lieu de l’explosion. Les rebelles ne devaient pas être nombreux, puisqu’ils n’ont pas daigné attaquer ce groupe. Les mines avaient dû être posées au cours de l’une des dernières nuits. […]

Mercredi 11 juin 1952

À sept heures quinze, je pars avec le groupe du poste qui effectue l’ouverture de route jusqu’à Phuoc-Trinh. Nous prenons pour la première fois le détecteur à mine (« appelé communément poêle à frire »). J’apprends à quelques soldats à s’en servir. Il faudrait un temps infini pour passer toute la route, aussi nous ne fouillons que l’endroit où il y avait d’anciennes coupures et où des mines seraient plus facilement camouflées. Nous ne pourrons pas le prendre tous les jours en raison de la perte de temps que ça occasionne, mais comme on peut supposer que les rebelles ne placent pas toujours ces engins la veille de l’embuscade, mais parfois plusieurs jours d’avance, il nous suffira de prendre le détecteur tous les deux ou trois jours.

Jeudi 12 juin 1952

Le matin, descente à Cho-Bo-Dap à dix heures avec le groupe qui fait l’ouverture de route de Phuoc-Trinh (de sept heures à neuf heures). Celui-ci va aider au démantèlement de Cho-Bo-Dap.

J’apprends peu après que le commandant de compagnie vient de passer à Cho-Bo-Dap et était en colère, parce que les coolies de Long-My n’étaient pas encore au travail entre Cho-Bo-Dap et Phuoc-Haï, comme il me l’avait prescrit. Cependant, comme il m’avait prescrit bien des choses, notamment de pousser la construction des bâtiments et que nous manquions de pointes pour effectuer ces travaux, nous sommes obligés de rattraper le temps perdu. Finalement, je pars l’après-midi, vers quatorze heures trente avec un groupe et vais rafler une soixantaine de coolies dans Long-My et les emmène avec moi en direction de Cho-Bo-Dap. […]

Vendredi 13 juin 1952

[…] Vers neuf heures, un camion de Long-Dien transporte au poste l’adjoint au commandant de la 19e compagnie (adjudant-chef Hoaï) et le sergent Cambodgien Ly-Helle qui s’occupe des partisans des tours. Ils s’installent, tant bien que mal, dans les bâtiments, insuffisants actuellement. Heureusement, le sergent Cambodgien, dont j’avais demandé la mutation pour sa mauvaise manière de servir est muté disciplinairement à Phuoc-Haï Sud (ses états de service ne seront pas plus appréciés dans son nouveau poste et il sera reconnu que c’est une véritable nullité au point de vue commandement).

Le travail aux nouveaux bâtiments en provenance de Cho-Bo-Dap est poussé, car il ne reste plus grand-chose dans ce poste et les soldats qui restent sont serrés. Par contre, ici, c’est le même cas, mais heureusement, il y a de la place pour construire. Avec ces travaux et le débroussement de la route Cho-Bo-Dap - Long-My, le personnel est bien occupé toute la journée. […]

Mardi 17 juin 1952

[…] Nous apprenons qu’un rallié du commando de l’O.R. de Baria, qui était parti en permission dans sa famille à Phuoc-Haï, a été kidnappé par les Viets dans la nuit du 28 mai et a été égorgé près du rach Song-Ray, non loin du village viet de Lo-Khan. D’autre part, la 7e compagnie de Dat-Do, depuis qu’elle a la charge du village et du sous-quartier de Phuoc-Haï, fait preuve d’une vive activité. Le chef des Chinois de Phuoc-Haï, qui avait des intelligences avec les Viets, est arrêté. À partir de maintenant, les Chinois sont réquisitionnés comme coolies, au même rang que les Annamites.

Jeudi 19 juin 1952

Dès neuf heures, deux camions du PC groupe de Long-Dien sont mis à la disposition de la 19e compagnie pour le déménagement du poste de Cho-Bo-Dap (matériel, armement, munitions et matériaux) qui est complètement rasé aujourd’hui. Pour que ça aille plus vite, onze charrettes à bœufs sont réquisitionnées pour le transport des tuiles.

Une centaine de coolies de Phuoc-Haï aide au démantèlement du poste et des murettes et au chargement des matériaux. Alors que Collet est le grand « manitou » du déblaiement de Cho-Bo-Dap, moi je réceptionne les matériaux au poste de Long-My (les deux postes sont distants d’un kilomètre environ l’un de l’autre), ce qui n’est pas un petit travail, car si on laisse faire ces messieurs, ils ont vite fait d’encombrer le passage et il y en aurait sur un hectare.

Nous apprenons par le premier camion qui arrive de Long-Dien que les explosions entendues hier soir provenaient de l’attaque de la tour de Bau-Tray (à 1500 mètres du PC groupe GVNS de Long-Dien sur la route de Baria). Celle-ci a été dynamitée au moyen de trois mines à charges creuses, appliquées contre les murs de la tour. Les cinq partisans cambodgiens qui occupaient cette tour et qui devaient dormir ou jouer aux cartes, sans aucune vigilance de la part de la sentinelle, ont été tués sur le coup et pris sous les décombres. La tour est complètement rasée. Les Viets, qui n’ont pas eu beaucoup de mal à donner l’assaut aussitôt, ont emporté trois fusils, mais il est à prévoir qu’ils étaient plus ou moins abîmés par l’explosion. Ils avaient pénétré à l’intérieur des défenses, en écartant les barrières en bambou, ainsi que les troncs d’aréquiers qui protégeaient la tour contre les mines et avaient appliqué les mines à la base de la tour. Quoique la nuit était noire hier soir, il est probable que les occupants de la tour dormaient ou jouaient aux cartes, alors qu’ils doivent assurer la faction à tour de rôle. […]

Dimanche 22 juin 1952

Nous apprenons que les occupants du poste de Phuoc-Trinh ont arrêté un rebelle de Phuoc-Buu qui se rendait soi-disant à Baria pour se rallier et qui avait passé la nuit du 20 au 21 à Long-My dans une caï-nha. C’est encore une nouvelle preuve que la population marche de connivence avec eux, car si c’était réellement son intention de rallier, elle pouvait le diriger sur le poste le plus proche. C’est une manière comme une autre pour se défendre quand on est pris.

Depuis que le poste de Cho-Bo-Dap est détruit, c’est un problème pour se ravitailler en pain et viande, car auparavant, c’était les occupants de ce poste qui nous en prenaient lorsque les marchands de Phuoc-Haï ou Dat-Do sillonnaient la route. À présent, notre popotier (Pignard) est obligé d’attendre le passage de ces véhicules, au carrefour de Cho-Bo-Dap. L’adjudant Holtzinger, Crumbach et Collet se rendent à Phuoc-Haï en jeep ce matin. Repos pour tout le personnel disponible toute la journée.

Lundi 23 juin 1952

Collet descend ce matin au cap Saint-Jacques avec la jeep de la 19e compagnie pour la mener au graissage au centre d’instruction du Train. Il rentre le soir accompagné par un camion de Long-Dien qui amène un nouvel affecté au poste de Long-My. C’est le GR Crispet Jean-Marie, Auvergnat d’origine (Moriat, Puy-de-Dôme), célibataire, 30 ans, venant de la 8e Légion de GR à Romans et qui est arrivé dernièrement avec les nouveaux arrivés au 7e groupe. Nous sommes donc à six Européens au poste de Long-My, ce qui anime un peu plus le poste que lorsque j’étais seul avec Pignard. […]

Samedi 28 juin 1952

Ayant reçu l’ordre de me tenir prêt à fournir une escorte pour le poste de Long-Phuoc à huit heures trente au camp I, je quitte le camp II à sept heures quinze et me rends, comme hier, sur le marché de Baria où j’en profite pour aller rendre visite à Loquais. À huit heures trente, un camion de Long-Dien vient me chercher et après avoir attendu à proximité du cimetière militaire de Baria, sur la route de Binh-Ba, après un camion des transmissions du sous-secteur qui transporte une équipe qui va dépanner le groupe de recharge du poste radio de Long-Phuoc, nous filons ensemble vers ce poste où nous arrivons à dix heures, sans incident. Nous apportons en même temps du ravitaillement. C’est un des postes le plus isolé de la zone contrôlée de Co-May. J’y retrouve les GR Croguennec (chef de poste), Mounin (adjoint) et Villiers (nouvellement affecté au 7e groupe de compagnies GVNS de Long-Dien). Je peux m’apercevoir que ce poste n’est pas plus intéressant à habiter en saison des pluies qu’en saison sèche. Lorsque j’étais venu le visiter au mois de mars, il était envahi par une poussière rouge qui s’infiltrait partout, cette fois, en cette saison, c’est une boue grasse qui rend l’hygiène difficile. Le paysage est toujours morne, le poste étant entouré de toutes parts d’une végétation luxuriante qui borne son horizon à 300 mètres du poste. Le secteur est calme actuellement, heureusement, car il serait facile aux VM d’attaquer ce poste qui se trouve sur la périphérie de la zone contrôlée. […]

Mardi 1er juillet 1952

Départ du camp I à sept heures quinze pour escorter un convoi de trois camions du PC groupe de Long-Dien qui se rendent au ravitaillement au cap Saint-Jacques. Courses en ville pour charger les camions à bloc. Retour sans incident à treize heures à Long-Dien. Apprenons sur le soir que l’opération était terminée, nous téléphonons au PC du sous-secteur BC pour savoir si ils ont encore besoin de notre groupe. Sur l’affirmative, les tirailleurs étant très fatigués par cinq jours de marche, souvent sous la pluie, je pars une nouvelle fois pour le camp II.

J’apprends que cette opération, menée avec les effectifs de trois bataillons et les parachutistes n’a pas payé, comme bien souvent, par rapport aux moyens engagés. Chaque unité opérait séparément. Une usine a été détruite malgré les nombreuses mines qui en défendaient l’approche. Cette usine, construite dans la montagne de Phu-My et actionnée par une turbine et une route à aube, entraînée par un petit torrent, servait probablement à rechaper des étuis de cartouches et à fabriquer des mines composées d’obus de mortier de 3 pouces. Le chef de la Sûreté VM de Baria-Cholon est fait prisonnier, malgré ses quatre gardes du corps, ainsi qu’un ingénieur chimiste diplômé qui dirigeait l’usine.

Une vingtaine de personnes sont arrêtées, des mines sont récupérées, des camps rebelles détruits, ainsi que tout le bétail des villages, mais comme à l’habitude, le gros des forces viets s’est enfui, tout en harcelant nos colonnes.

Mercredi 2 juillet 1952

[…] J’apprends qu’à la suite de l’accident survenu sur la route de Long-Phuoc, entre un camion de Long-Dien et un camion des plantations de Binh-Ba qui avait causé la mort d’une jeune Annamite de 14 ans, le Mdl/Chef Cornebois, le GR Horel et les autres Européens qui se trouvaient dans le camion sont convoqués à Saïgon pour interrogatoire devant le juge d’instruction le 15 juillet 1952. Nuit calme.

Dimanche 6 juillet 1952

Après que Crispet, notre popotier, va faire le marché de Phuoc-Haï pour acheter notre ravitaillement avec la jeep de la compagnie, l’adjudant Holtzinger et Crumbach se rendent à Long-Dien pour aller chercher le Mdl/Chef Cornebois que nous avons invité à venir manger. Ils rentrent vers douze heures trente. Nous apprenons qu’un rallié VM qui se trouvait en permission à Long-Dien a été retrouvé poignardé, ce matin, sur la route de Cho-Ben à Long-Dien. Il était tailladé de toute part et une inscription sur un morceau de papier épinglé sur lui signalait que voilà ce qu’il en coûtait de trahir les rangs Viets, ce qui prouve que la justice est expéditive dans leurs rangs. […]

Mardi 8 juillet 1952

Visite du capitaine Faure, commandant du 7/3 régiment GVNS à Long-Dien, à dix heures trente. Sa visite nous avait été annoncée hier soir, aussi, tout le monde était sur pied pour le recevoir et la section de Long-My, qui doit défiler au 14 juillet, défile devant lui, afin qu’il ait un aperçu de la manière dont elle manœuvre. Dans l’ensemble, ça ne marche pas mal et il a l’air satisfait.

Avec lui sont arrivés deux jeunes sous-lieutenants vietnamiens âgés de vingt et un an qui vont passer un stage de huit jours à Long-My pour s’initier à la vie en poste. Ce sont des étudiants de Saïgon, mobilisés pour dix-huit mois qui viennent de l’École d’officiers interarmes de Dalat où ils viennent de faire un stage de six mois et qui comptent les jours et attendent la « quille » avec impatience. On se demande quelle valeur ils peuvent avoir pour commander quand on sait qu’en France, il faut plusieurs années pour former un officier et surtout, quand on voit avec quelle « ferveur » ils servent leur pays. Alors que nous leur demandons s’ils n’auraient pas préféré l’artillerie ou l’aviation au lieu de l’infanterie, ils nous déclarent qu’ils préfèrent cette arme, car ils craignent qu’en servant dans l’artillerie ou l’aviation, ils ne soient considérés comme techniciens et maintenus plus longtemps sous les drapeaux, puisque l’armée vietnamienne, en formation, manque de techniciens.

En somme, leur raisonnement se résume en cette maxime : « Faites-vous casser la figure si vous l’entendez, l’essentiel est que nous puissions mener notre petite vie tranquille à Saïgon ». […]

Mercredi 9 juillet 1952

[…] Nous recevons l’ordre de fournir deux groupes de combat pour dix-sept heures, pour se rendre au PC à Long-Dien, en vue d’une opération de nuit. D’autre part, une série de mutations a lieu actuellement. Vendredi prochain, la garnison du poste Nord de Nuoc-Ngot (partisans encadrés par les GR Wattecamps et Muller) est relevée par des Cao-Daïstes du sous-quartier de Long-Haï et va relever la garnison GVNS du poste Est de Phuoc-Haï. Ainsi, les derniers postes tenus par la GVNS n’iront plus que jusqu’à Phuoc-Haï et à partir de cette localité jusqu’à Cho-Ben, en passant par Nuoc-Ngot, Long-Haï et Lo-Voï, tous ces postes seront occupés par des Cao-Daïstes. Il ne restera plus qu’une section GVNS dans le sous-quartier de Phuoc-Haï avec deux GR (Thomas et Bureau), les GR Muller et Wattecamps étant mutés au poste de la Délégation militaire à Long-Dien (partisans des tours du quartier de Long-Dien), Lemaître et Bosc (du poste Est de Phuoc-Haï) au poste de Long-My (probablement en remplacement de Collet, en fin de séjour) et au poste de Long-Phuoc. La 19e compagnie ne comprendra plus que le poste Sud de Phuoc-Haï et le poste de Long-My, la garnison GVNS du poste de Phuoc-Haï-Est étant rattachée à la 20e compagnie et logée provisoirement au poste de Cho-Ben.

Il est question que le poste de Long-Kien, à six kilomètres sur la route Baria - Binh-Ba, occupée actuellement par des Cao-Daïstes soit relevé par la GVNS et qu’un sous-quartier soit formé avec Long-Phuoc et Long-Kien sous le commandement d’un sous-lieutenant (Boulet), de la 6e compagnie du 2/22e RIC de Baria. Une tour va être construite incessamment par la GVNS au carrefour des Cinq Pistes, à la lisière Nord-Ouest de Long-Dien. L’après-midi, je remmène Muller au poste Nord de Nuoc-Ngot et m’arrête au poste Est et Sud de Phuoc-Haï pour apporter le courrier à Bosc, Thomas et Bureau. […]

Vendredi 11 juillet 1952

À la suite d’un message nous signalant de nous tenir prêts ce matin pour sept heures trente, avec deux groupes en grande tenue (pantalon et chemise de toile crème, guêtres et ceinturon blanc) Crumbach, Pignard et moi, nous embarquons dans un camion de Long-Dien venu nous chercher. Nous passons par Phuoc-Trinh et arrivés à Long-Dien, nous constatons que les notables de Long-Dien ont bien fait les choses à l’occasion de la visite du général Bondis. Des arcs de triomphe, des drapeaux français et vietnamiens, etc. décorent la localité. Les notables, en grande tenue (pantalon de soie blanc, grande robe noire en soie et turban noir sur la tête) sont déjà rassemblés à côté du marché, au centre de la localité et les enfants des écoles forment une double haie de chaque côté de la route, cependant que la police locale assure le maintien de l’ordre. D’importantes mesures de sécurité ont été prises. Nous arrivons au camp Petit à huit heures quinze et apprenons que notre mission va être de renforcer les forces de police aux abords du marché couvert, alors que des unités du 2/22e RIC de Baria sont en protection derrière nous, aux abords du village et dans le village. Certes, l’exemple de la mort du général Chanson, prédécesseur du général Bondis, survenue à Sadec l’année dernière n’est pas exclu de la mémoire de l’état-major du sous-secteur et des mesures très strictes sont prises, de manière que ce fait ne se reproduise pas (un volontaire de la mort Viet s’était précipité sur le général Chanson au moment où il descendait d’auto et s’était fait sauter avec une grenade, tuant le général et le gouverneur civil vietnamien du Sud-Vietnam et blessant plusieurs personnes).

À neuf heures, nous allons nous placer, deux groupes avec Pignard et Crumbach, le long de la route, les hommes espacés de 50 mètres de chaque côté, du camp Petit au marché couvert, quant à moi, je fais dégager les voies d’accès autour du marché couvert avec un autre groupe. Le passage du général est prévu pour 10h00, cependant un contre-ordre arrive à neuf heures trente et sous le prétexte qu’il n’arrête pas à Long-Dien, un camion nous prend et dépose la section, disséminée le long de la route, entre les dernières habitations de Long-Dien (tour Cassagnaud) jusqu’aux premières caï-nhas de An-Nhut sur 2500 mètres, les hommes espacés de cent mètres chacun. Comme chaque fois qu’il y a une inspection, les officiers sont dans leurs petits souliers et notre capitaine n’échappe pas à la règle. Il fulmine et donne un ordre pour le décommander aussitôt. De An-Nhut à Dat-Do, la route est gardée par des éléments de la 7e compagnie du 2/22e RIC de Dat-Do. Mais le capitaine Bonvalet (commandant de ce quartier) n’a pas eu la mauvaise idée du capitaine Faure de nous faire habiller en grande tenue et ses hommes sont en tenue de brousse, disséminés dans la brousse. Ils seront certainement mieux placés pour défendre une attaque possible des Viets que de la manière où nous sommes placés. D’autre part, ils sont plus à l’aise dans leur tenue que nous, avec nos guêtres blanches.

Pour ma part, je reste à proximité de la tour de la mare aux éléphants, à 1500 mètres de Long-Dien. Notre rôle consiste à interdire toute circulation sur la route et à faire éloigner les civils qui travaillent dans les champs et qui pourraient posséder des grenades. Vers dix heures quinze, le cortège officiel arrive, escorté de Blindés du 2e Spahis de Baria et d’éléments embarqués du 2/22e RIC de Baria et de la sûreté vietnamienne du cap. En tout, une vingtaine de voitures. Je ne fais qu’entrevoir le général Bondis dans une grosse voiture américaine, assis à côté d’un civil vietnamien que je suppose être le gouverneur civil du Sud-Vietnam. Sur l’auto, une plaque rouge à quatre étoiles et une cocarde aux couleurs vietnamiennes. Ce cortège se dirige vers Dat-Do. Nous apprenons qu’il nous faut attendre, car le cortège repassera peut-être par le même chemin. Finalement, nous attendrons jusqu’à midi quinze, transpirant à grosses gouttes, heure à laquelle un camion du PC vient nous rechercher, le cortège étant passé par Long-Than - Long-Phuoc - Long-Kien et Baria. Après être restés en panne en cours de route, nous rejoignons le PC groupe à Long-Dien à treize heures trente.

Nous apprenons que, contrairement à ce qui avait été prévu, le général a stationné un quart d’heure au centre de Long-Dien et s’est entretenu avec les notables de la localité qui lui ont offert un champagne d’honneur. Nous mangeons au PC au camp Petit à Long-Dien et remontons à Long-My en camion.

Samedi 12 juillet 1952

[…] Nous apprenons qu’au cours de la nuit, un jeune Chinois de Long-Dien, qui fournissait des renseignements à la police sur l’action des VM est venu s’écrouler et mourir devant le commissariat de police, la poitrine traversée d’une balle, probablement des suites d’un règlement de compte de la part des rebelles. Décidément, ceux-ci ont une justice expéditive en ce moment. Retour à Long-My à douze heures trente en s’arrêtant quelques instants à Phuoc-Trinh. Repos l’après-midi. […]

Lundi 14 juillet 1952

Un groupe du poste de Co-May qui participe au défilé est transporté, ainsi que moi, tous en grande tenue, par le camion de Long-Dien qui m’a amené ici hier soir et a passé la nuit au poste. Les défenses du poste de Co-May englobent des magasins appartenant aux plantations d’hévéas de Binh-Ba qui entreposent leurs balles de caoutchouc pour les embarquer sur des jonques qui remontent le rach de Co-May jusqu’à ce poste. Arrivée au camp I à sept heures trente. Toutes les rues de Baria sont pavoisées aux couleurs franco-vietnamiennes. La section de Long-My est déjà dans les rangs, ainsi que le groupe de Long-Dien.

[…] Puis le défilé commence. En tête : les deux compagnies du 2/22e RIC, puis notre compagnie, les supplétifs (partisans), les Cao-Daïstes et enfin les Blindés du 2e Spahis. En passant sur la place du marché, un tête gauche pour saluer les personnalités civiles et militaires et nous prenons des petites ruelles pour rejoindre nos cantonnements respectifs. Dans l’ensemble, nous n’avons pas mal marché et n’avons rien à envier vis-à-vis des autres unités. Par bonheur, il ne faisait pas trop chaud (il commençait même à pleuvoir pendant l’exercice de défilé). Cependant que le capitaine et les commandants des autres compagnies vont assister à un vin d’honneur offert par le sous-secteur Baria-cap, nous regagnons Long-Dien où nous cassons la croûte à midi. Ainsi, quoique éloignés de la métropole, nous aurons tout de même marqué cette fête. Retour à Long-My vers seize heures, précédés par le capitaine Faure en jeep. Arrêt de quelques minutes à Phuoc-Trinh, puis le capitaine poursuit sa route jusqu’à Phuoc-Haï. Je ramène le poste radio, cette fois réparé et qui fonctionne. […]

Mardi 15 juillet 1952

Repos la journée. À la suite des défilés de ces derniers jours qui m’ont obligé de mettre des souliers, alors que ça faisait plus d’un an que je n’en portais plus, je me suis écorché les pieds et ne puis plus porter quoique ce soit pendant quelques jours. Je porte habituellement des nu-pieds au poste et des pataugas ou chaussures de basket en patrouille. […]

Mardi 22 juillet 1952

Repos le matin. Comme ça fait quelque temps que je ne suis pas sorti en patrouille, je décide, avec l’accord de l’adjudant Holtzinger, de faire une patrouille du côté de la rizière de Long-Phu, dans la brousse entre celle-ci et Long-My. […]

Je pars à onze heures avec onze hommes, dont deux sergents armés de mitraillette. Je prends également un VB, mais vu l’effectif réduit, je ne prends pas de FM (d’après les nouvelles notes, on ne peut sortir moins de vingt avec un FM).

[La patrouille contrôle les papiers de plusieurs habitants de Long-My occupés à repiquer du riz dans une rizière près de Long-Phu. Elle se dirige ensuite jusqu’à la plantation Laurent qui est abandonnée et située au pied de la montagne. Peu après, le garde Gallot découvre une paillote camouflée dans la brousse dans laquelle il récupère des documents et des équipements appartenant au vietminh].

[…] Inutile de dire si nous jubilons. Depuis le temps que nous faisions des patrouilles et embuscades sans succès, ça fait plaisir. Nous fouillons toutes les paperasses, lesquelles sont traduites par notre interprète, le sergent Ly-Helle. Il a de l’occupation à traduire. Nous avons le paquetage complet du Viet (vêtements propres, hamac, boudin de riz (dans une sorte de bas, lié aux deux extrémités), un nécessaire de toilette, une lampe électrique, etc.). Ces effets sont partagés parmi les soldats du groupe qui ont participé à la patrouille. Mais le plus intéressant, ce sont les papiers (ordres de mission viet, journal de marche relevant toutes les patrouilles et sorties des postes de Phuoc-Haï, une lettre prête à être remise à des notables de Phuoc-Haï, l’état de l’armement et des munitions des postes Sud et Est de Phuoc-Haï, les passages de camion, etc.). Dans le sac tyrolien où nous avons trouvé ces paperasses, nous découvrons un petit carnet sur la couverture duquel est imprimé un faucille et le marteau et renfermant les doctrines d’Ho-Chi-Minh, une boîte contenant des cartouches de revolver, etc. un stylo, de l’encre. Sur l’album à photo, nous trouvons des photos de VM en groupe, armés de FM Bren, une cérémonie dans un village viet, autour d’un monument, la photo d’Ho-Chi-Minh, des photos de poste, etc. Une photo de l’avion accidenté en zone rebelle, sur la place de Phuoc-Buu. L’arrivée de l’adjudant Holtzinger à la 19e compagnie à Phuoc-Haï est signalée à la date exacte. D’ailleurs, ce journal de marche est arrêté à la date d’hier, ce qui prouve que ce ne sont pas de vieux documents. Sur le soir, la pluie se met à tomber, aussi je ne vais pas en embuscade comme je l’avais prévu. […]

Mercredi 23 juillet 1952

Ce matin, avec plaisir, je passe les résultats de la patrouille d’hier qui habituellement sont négatifs, à la vacation radio à sept heures trente. Ils ne pourront pas dire qu’on se tourne les pouces et que nos patrouilles sont fictives. Les documents vont être transmis au service de renseignements du sous-secteur Baria - cap. Cela peut être intéressant, notamment en comparant les photos récupérées avec d’autres et en tentant d’identifier les VM qui se trouvent sur ces photos en les faisant voir à des ralliés du commando de l’O.R. […]

Jeudi 24 juillet 1952 (22 mois)

[…] Des échos nous parviennent sur l’attentat survenu au cap Saint-Jacques contre le centre de repos hébergeant des militaires européens et leurs familles. Le bilan est de vingt et un morts et de vingt-cinq blessés. Cet acte de sauvagerie aura eu des répercussions profondes dans la presse française et étrangère. Nous apprenons que le lendemain de ce fait mémorable, le haut commissaire de France en Indochine, Monsieur Letourneau, le commandant en chef en Indochine, le général Salan, sont venus participer aux obsèques. Des bruits courent que le colonel, commandant de la place du cap Saint-Jacques, serait relevé de ses fonctions. Toute sa responsabilité serait engagée, puisqu’il n’y avait aucune protection autour de cet établissement, situé sur la périphérie de la ville, au pied de la montagne (Grand Massif), donc plus facilement accessible pour les rebelles. Certes, cet établissement était considéré comme bâtiment de la Croix Rouge, protégé par les conventions internationales de Genève, mais a-t-on vu souvent ces conventions respectées par les Viets (peut-être par les troupes régulières, mais rarement par les troupes régionales et troupes populaires du Viet-Minh) et ne convenait-il pas d’assurer une sécurité autour de ces établissements ? Quand on pense que l’hôpital militaire n’était même pas gardé : il a fallu ce coup dur pour que le commandant de la Place se décide à prendre cette guerre un peu moins à la légère. Le coup dur survenu dernièrement à la sûreté vietnamienne en pleine ville aurait dû lui mettre la puce à l’oreille.

Mais aussi, que viennent faire toutes ces familles de militaires, plus précisément d’officiers qui ne sont d’aucune utilité en Indochine et qui courent des risques inutiles ? Le personnel ne manque pourtant pas pour effectuer la protection de la ville avec le centre d’instruction du Train, le centre d’instruction de l’Arme Blindée, les commandos Marines et Parachutistes, etc. Comme toujours, là où on devrait trouver le maximum de sécurité, avec le minimum d’effort, c’est là qu’on s’en fiche le plus. Je m’aperçois qu’on risque encore moins en poste où on est constamment sur ses gardes. […]

Les faits se seraient passés de la façon suivante : les Viets étaient au nombre d’un groupe, sous le commandement d’un Hindou ou Martiniquais, tous habillés en uniformes français et armés de mitraillettes Mat. En approchant du centre de repos, ils ont passé à côté d’un officier français et le chef de détachement viet l’a salué, sans éveiller l’attention. Quelques instants plus tard, cet officier entendait une vive fusillade, des éclatements de grenades accompagnés de cris. Le groupe viet, arrivé devant l’établissement, aperçoit un groupe de trois jeunes enfants Européens et les abat aussitôt à la mitraillette. En même temps, ils cernent l’établissement, puis lancent des grenades à l’intérieur sur les occupants sans défense qui n’ont même pas la ressource de se protéger. Ceux qui ne sont pas tués sur le coup se cachent comme ils peuvent sous les tables, mais les Viets pénètrent à l’intérieur et en achèvent un grand nombre. Cette tuerie n’aura duré que quelques minutes et les renforts qui arriveront sur les lieux pour le dégager ne trouveront plus que 21 morts et 25 blessés, mais plus trace de Viets qui se seront déjà évanouis dans la montagne toute proche. Bien entendu, une opération montée aussitôt ne permettra pas de retrouver leurs traces. Parmi les victimes se trouvent un garde républicain (Naly), la femme et les 4 enfants d’un commandant, les quatre boys Annamites de l’établissement, etc. […]

Mardi 29 juillet 1952

Le matin, Collet et Pignard vont chercher des troncs d’arbres destinés à être débités en planches, au virage de Cho-Bo-Dap. Trois charrettes réquisitionnées hier et une quinzaine de coolies de Long-My font le travail. Pour mon compte, je fais le bureaucrate pour le compte de la compagnie (19e). Visite de l’adjudant-chef Caillot l’après-midi, qui vient chercher un groupe de combat et un Européen dans un camion. C’est Crispet qui est délégué. Nous apprenons que les rebelles ont coupé la ligne téléphonique à proximité de Long-Dien, dans le courant de la nuit et se sont emparés de 500 mètres de fil. Encore des mines en perspective…

Mardi 5 août 1952

À sept heures, départ de deux groupes de combat, sous le commandement du Mdl/Chef Crumbach. Pignard et moi commandons chacun un groupe. Nous avons projeté cette petite patrouille dans le massif de Longis avec l’intention bien arrêtée de gravir la montagne jusqu’au sommet, sans se presser, pour jouir du panorama et faire de la photo. […]. Nous partons en contournant la rizière de Phuoc-Trinh par la brousse et débouchons au bout de Lo-Gom dans les clairières qui bordent la piste Bulle et où nous avons raté un fusil l’autre jour. Là, nous suivons cette piste jusqu’à la piste Balh au pied de la montagne et commençons à gravir la montagne, face à Long-My. […]

Après avoir fait 300 mètres, j’aperçois soudain à 35 mètres de moi, entre les arbres, une paillote. Nous ne pouvons voir si elle est occupée, mais elle en a l’air, car nous apercevons un pantalon noir, pendu à l’intérieur. […] Après avoir fait encore quelques mètres, nous constatons qu’il n’y a personne dedans. Nous en apercevons une autre vingt mètres plus loin, toujours à flanc de montagne, juste au pied du grand rocher que nous avions l’intention de visiter. […]

Nous investissons ces deux abris dans lesquels nous trouvons du ravitaillement, des ustensiles de cuisine, des paquetages, des documents, des effets d’habillement, couvertures, etc. Les deux groupes progressent au-delà des caï-nhas, sans s’arrêter et se placent en embuscade autour de ce campement, à 50 mètres de celui-ci.

Pendant ce temps, nous commençons à rassembler les documents et fouillons ces deux habitations qui doivent abriter une dizaine de VM vraisemblablement. Nous ne trouvons pas d’armes ni de grenades. Elles sont admirablement bien placées, entre deux gros rochers, dont un seul (celui du haut) est visible, l’autre étant recouvert par une sorte de vigne vierge qui les camoufle. Du poisson sec sèche sur ce rocher. […] Les VM ne doivent pas être loin et ils pourraient s’amner d’un moment à l’autre.

Le cas se produit quelques instants plus tard ; brusquement, deux ou trois coups de fusil et une grenade sont lancés sur les groupes en protection, ce qui déclenche une vive fusillade de la part de ceux-ci. Les FM crachent par rafales. Le combat est très rapproché au milieu des rochers et ce n’est pas facile de repérer nos groupes. Au même moment, j’aperçois distinctement un VM qui ne semble pas armé et se dirige droit sur l’habitation où je me trouve avec Crumbach. Il dévale de la montagne et n’est qu’à une trentaine de mètres de nous. Crumbach l’a aperçu en même temps que moi. Il ne nous voit qu’au dernier moment et rebrousse chemin, salué par les rafales de mitraillette tirées par Crumbach et moi. Il tombe à plusieurs reprises, mais on ne peut savoir si c’est de trébucher ou si il est touché. […]

Il serait tout de même étonnant qu’il n’ait pas été atteint. Il était habillé en noir (en civil), mais ne semblait pas posséder d’arme. Peut-être venait-il récupérer des objets dans les paillotes ou nous lancer une grenade. La fusillade a cessé. Nous fouillons le terrain vers l’Ouest, d’où les premiers coups de feu ont été tirés. […]

Les VM étaient encouragés par l’un des leur, probablement un chef de groupe ou de section qui leur criait à haute voix, en annamite, de tirer à la tête. Au dire du sergent Nguyen-Van-Canh (Annamite), qui commandait l’un des groupes de protection, deux VM se seraient écroulés en donnant l’assaut, mais auraient été entraînés par leurs collègues. […]

Les rebelles qui doivent être une quinzaine recommencent à nous harceler, mais sans nous faire de mal, car ils tirent de loin. Nos deux groupes ripostent. Dès que nous constatons que les paillotes sont bien enflammées, nous commençons à décrocher en empruntant le même chemin que par où nous sommes arrivés. […]

Nous rapportons de nombreux documents, tracts, cartes du Tonkin, liste d’habitants de Long-My ne collaborant pas avec les Viets et à surveiller par ces derniers, cartouches, ordres de mission, etc. journaux de marche, photo dédicacée représentant des VM poussant un canon de 75 au Tonkin. Tous les paquetages ont été raflés et un important ravitaillement (comprenant sucre, paddy, choum, poisson sec) détruit. La plupart des tracts et documents datent de 1951, mais laissent supposer que les VM sont en relation avec le gros des forces viets qui se trouvent au Tonkin. Peut-être en vient-il de temps à autre pour se reposer dans la région, quoiqu’il y a 1200 kilomètres qui les séparent. […]

Depuis quinze jours, nous avons la « baracca » avec nous. Et puis, ces petits accrochages, qui n’ont peut-être pas encore de grands résultats, à part la destruction de cantonnements VM, encouragent à persévérer dans ces petites patrouilles et aguerrissent nos hommes, qui se sont bien comportés. […]

Jeudi 7 août 1952

[Avec deux groupes de Long-My et des éléments du 2/22e RIC, le garde Gallot prend part à une opération rassemblant près de 300 hommes, sous le commandement du capitaine Tournier adjoint au colonel Delu, commandant du sous-secteur Baria-Cap. Il s’agit de rechercher le contact avec deux sections « rebelles » signalées dans le secteur vietminh de la plaine de Chau-Fa, à l’est de la montagne de Baria – Phu-My. Le garde Gallot stationne au départ à la plantation Gallia, à six kilomètres de Binh-Ba, qui est placée sous la protection de partisans encadrés par des gardes de la 2e LGRM. La colonne s’ébranle en début d’après-midi et marche jusqu’à 18 heures 30. Les militaires français prennent ensuite leurs dispositions pour passer la nuit sur un petit mamelon. Ils s’installent en hérisson, les sections groupées les unes à côté des autres, de manière à pouvoir se soutenir en cas d’attaque. Ils forment un vaste triangle au milieu duquel sont installés l’état-major, le poste radio, les mortiers et les prisonniers].

Vendredi 8 août 1952

[…] Nous poursuivons notre marche en cherchant de ne pas nous faire distancer par les éléments de tête, car je n’ai pas de cartes et ignore où je me trouve. Heureusement que les traces où nous passons sont facilement visibles dans le terrain humide. Après trois quarts d’heure de marche, nous entendons soudain cinq coups de feu (les 1er depuis le début de l’opération), probablement un signal des rebelles. À présent, les stationnements sont plus longs et plus fréquents […]. En lisière de ces cultures (de maïs), on trouve quelques habitations qui logent les paysans du coin et sont méthodiquement incendiées. […]

À chaque arrêt, ma section fait face à l’arrière pour prévenir toute attaque de rebelles qui pourrait laisser passer le gros des éléments et nous harceler à l’arrière, mais il n’en est rien. À chaque rays (et nous en passons une dizaine), la même opération se reproduit (destruction systématique des caï-nhas par les éléments de tête). Des billets Viets qui n’ont aucune valeur dans la zone contrôlée sont trouvés et déchirés, ainsi que quelques documents et tracts. À présent, l’ordre m’est donné d’incendier les habitations, alors que les éléments de tête marchent plus vite en suivant des pistes charretières. Je brûle ce que je peux, car j’ai déjà du mal à garder le contact avec la colonne, surtout à un certain moment où j’ai à passer un pont de singe au-dessus d’un song étroit, mais très profond. Mon tireur au FM en fait l’expérience (Thach-Song) qui glisse et pique une tête dans le ruisseau et a tout juste pied. […] Je ne m’attarde plus à incendier les habitations et je file au pas de course pour rejoindre la colonne qui ne m’a pas attendu. La fatigue commence à se faire sentir et les hommes ne marchent plus si vite. On voit qu’ils n’ont pas l’entraînement comme les tirailleurs de la coloniale. […]

[…] Cette fois, toute la 6e compagnie progresse en terrain découvert, en face de nous, à 400 mètres en lisière de la plaine et se dirige vers le Sud, en redescendant celle-ci. Deux sections progressent en bordure et incendient les paillotes, cependant que les deux autres se déploient dans la rizière. De notre côté, nous en faisons autant. Notre section s’engage dans la plaine et fait jonction avec les éléments de la 6e compagnie, cependant que les sections de la CCS et de la 7e compagnie du 2/22e RIC longent la rive Est de la plaine, à hauteur des éléments de la 6e compagnie. Lorsque la 6e compagnie arrive à notre hauteur et alors que nous venons de nous engager à terrain découvert pour faire jonction avec eux, les VM se dévoilent et lancent une grêle de VB sur les éléments de la 6e compagnie. Ils sont postés sur la lisière qui nous fait face et les projectiles explosent à 80 mètres de nous en faisant de la fumée noire, mais sans atteindre personne. Quelques rafales de FM les font taire, ainsi qu’un tir au mortier de 60 mm effectué par la section mortier de la 6e compagnie.

Nous progressons lentement sous un chaud soleil, dans un véritable bourbier où il n’est pas question de marcher en file indienne sur les diguettes à cause des VB ou rafales qui pourraient nous atteindre plus facilement. Notre avance est marquée par de grosses fumées des abris incendiés sur toute la lisière de la plaine. […] À tout moment, les Viets harcèlent les éléments de la 6e compagnie qui suit la lisière Ouest de la plaine au fusil FM et VB. Ce sont vraisemblablement les sections qui nous étaient signalées et que nous avions mission de contacter. Le mortier de 60mm de la 6e compagnie les met à la raison pendant quelques instants, mais ils recommencent un peu plus loin. Là, ils sont chez eux et ne regardent pas aux munitions, comme les régionaux qui sillonnent les zones contrôlées autour des postes.

Sur la rive Est où progresse notre compagnie, aucun coup de feu n’est tiré. Il est évident que les VM ont plus de facilités pour se dérober sur l’autre rive et peuvent regagner la montagne, mais ils ne se doutent pas qu’ils ont la 5e compagnie dans leur dos. Parmi les buissons qui se trouvent parsemés dans la plaine et que nous avons mission de fouiller (section GVNS), presque tous renferment un abri. Il est évident que des guetteurs se mettent dedans pour signaler toute présence suspecte dans la plaine ou servent aux VM qui travaillent dans la rizière pour se dérober à la vue des avions. […]

Vers treize heures, alors que nous avons fouillé la rizière sur 1200 mètres de long, nous stationnons pendant 20 minutes et c’est avec plaisir, car mes types n’en peuvent plus et sont toujours à la traîne. Il est vrai que la chaleur se fait sentir et de marcher dans un marécage pareil n’est pas de tout repos. On a un kilo de terre après chaque soulier et comme il faut franchir toutes les trente ou quarante mètres une diguette de 0,50m, c’est éreintant et pour ma part, je ne sens plus mes jambes. Nous profitons de cette pause pour casser la croûte, mais ça ne descend pas vite, car ce sont des conserves, des rations qu’il faut absorber sans pain, avec des biscuits et comme le bidon est presque vide, nous n’avons pas grand appétit. […]

Nous reprenons notre marche, toujours sur la rive Est et nous enfonçons dans la brousse pour fouiller quelques rays, toujours sans recevoir un seul coup de fusil, pendant que la 6e compagnie qui est arrivée au bout de la rizière, continue vers le Sud, saluée par quelques coups de fusil. […]

Nous rapprochons des zones contrôlées et les VM ne se font plus entendre. Nous débouchons dans la rizière de Long-Kien, à 8 kilomètres de Baria. La 6e compagnie, passée devant nous, y est déjà et plus à l’Ouest, au pied de la montagne, la 5e compagnie brûle des abris en lisière de la plaine. Une explosion en avant de nous se fait entendre, à hauteur de la 6e compagnie et nous apprenons qu’un adjudant (adjudant Bariaud, ancien du CIFAC, à Nuoc-Ngot au 1er séjour) est blessé par une grenade piégée en allant mettre le feu à une paillote dans un buisson de bambou. Cela ne semble pas grave, paraît-il, mais il est atteint à la cuisse et ne peut pas marcher et il faut le transporter sur un brancard. Les prisonniers sont astreints à ce travail. Heureusement qu’on a retrouvé les bonnes pistes et que ça va mieux à marcher. Pas un poil d’ombre dans cette rizière, mais les diguettes sont sèches et ça ne va pas trop mal à marcher. […]

Cette fois, ma section passe en tête. Nous abordons la rizière de Long-Dien (zone contrôlée), ce qui n’empêche pas le capitaine Tournier de lancer une vingtaine d’obus de mortier de 60mm sur une caï-nha isolée, en plein milieu de cette zone à 800 mètres, ce qui nous fait stationner une demi-heure. Puis nous reprenons notre marche et à dix-huit heures quarante-cinq, alors que le soleil se couche, nous débouchons face au poste Cao-Daïste de Long-Kien, où les unités sont déjà groupées en attendant les véhicules. Ceux-ci arrivent presque aussitôt notre arrivée et nous rejoignons Baria en un long convoi d’une quinzaine de Dodge et GMC.

Le véhicule qui nous transporte et celui qui transporte la section de la 7e compagnie du 2/22e RIC de Dat-Do n’arrêtent pas et filent directement sur nos cantonnements respectifs. […] Cette opération aura permis de détruire un grand nombre d’abris rebelles et peut-être y a-t-il eu des VM de tués par les obus de mortier, mais de toute façon, le dommage qui leur a été causé n’est pas bien grand et l’essentiel serait si on pouvait leur barboter de l’armement. Cette opération m’aura permis de faire connaissance avec une zone rebelle abritant le régiment 300, une des unités Viets régulières qui nous donne le plus de fil à retordre. Cela m’aura permis de faire connaissance avec la forêt indochinoise dans toute sa splendeur et dans l’ensemble, si je suis rentré harassé, ainsi que les GVNS, ça vient plus d’un manque d’entraînement qu’à cause de la température assez clémente.

[…] Je ne garderai pas un bon souvenir du groupe qui m’avait été adjoint en renfort par la 20e compagnie et était fourni par le poste de Cho-Ben. Je ne me fais pas faute de le signaler au Mdl/Chef Cornebois, commandant de cette compagnie. Le sergent annamite, ex-caporal qui vient de passer sergent sans suivre les cours de l’école de cadre et qui était soi-disant d’une grande lumière ne m’a été d’aucun service, n’ayant aucune autorité sur les hommes de son groupe.

Un bon repas et une bonne nuit me remettent d’aplomb.

Jeudi 14 août 1952

[…] Avant-hier soir, sur la piste principale de Cho-Bo-Dap à Hoï-My, une section de cette unité (la 7e compagnie du 2/22e RIC) est tombée dans une embuscade en abordant Hoï-My. Simultanément, deux mines télécommandées ont explosé sur leur passage, causant la mort d’un tirailleur autochtone et en blessant deux autres. D’autre part, la fusillade et le tir au mortier entendus ce matin provenait de l’attaque d’un groupe de partisans de la tour de Xa-Bang, entre Long-Than et Long-Phuoc (sur la route Dat-Do - Long-Phuoc). Cette grosse embuscade particulièrement violente, effectuée dans un terrain broussailleux qui s’y prêtait à merveille, a causé la mort de deux partisans, a fait deux disparus et trois blessés, dont un caporal-chef européen du 2/22e RIC. 8 fusils ont été perdus.

Voici la version qui nous a été communiquée par le service de renseignements du sous-secteur peu de temps après, à titre d’exemple. Cette embuscade montée minutieusement et astucieusement par un effectif rebelle évalué à une compagnie s’est effectuée pratiquement sans perte et presque sans un coup de fusil par les VM Alors que le groupe d’ouverture de route progressait comme à l’habitude et était composé d’une dizaine de partisans sous le commandement d’un caporal-chef Européen du 2/22e RIC du poste de Long-Thanh, les rebelles avaient disposé une rangée de grenades piégées dans le fond du fossé qui longeait la route et s’étaient placés en retraite, se dissimulant dans la brousse, à une quinzaine de mètres derrière cette rangée de mines. Alors que le groupe de partisans était bien engagé à hauteur de l’embuscade, des VM dissimulés du côté où il n’y avait pas de mines et légèrement en avant, par rapport au sens de marche de l’ouverture de route, tiraient plusieurs coups de revolver sur les éléments de tête de ce groupe. Automatiquement, les partisans se jetaient dans le fossé pour se protéger et sautaient sur les mines. Les VM dissimulés derrière ce rideau de mines se dévoilaient et profitant du désarroi du groupe attaqué, les encerclaient et s’emparaient de leurs armes. Ainsi, sans avoir pu se défendre, ils étaient obligés de se rendre et seuls le caporal-chef et deux partisans réussissaient à s’enfuir, salués par une vive fusillade tirée par les rebelles. Le caporal-chef européen était blessé de trois balles dans la cuisse, mais réussissait néanmoins à camoufler sa mitraillette dans un buisson et abandonnait ses porte-chargeurs sur place. Il réussissait à rejoindre le poste voisin. Lorsque les renforts des postes voisins sont arrivés, le porte-chargeur était retrouvé, mais les Viets l’avaient miné. Alors qu’il y avait huit hommes hors de combat de notre côté, seul un VM avait été tué sur une des mines qu’il avait posée.

Certes, les rebelles avaient l’avantage sur nous de surveiller tous nos mouvements, mais il faut reconnaître qu’ils savent monter une embuscade avec le minimum de risques de leur côté. Ils avaient facile de le faire, ayant tout le loisir d’observer la manière dont nos groupes font les ouvertures de route. Celle-ci se faisant tous les jours à la même heure et avec le même effectif, ils peuvent préparer leurs coups longtemps d’avance. Si nous avions la possibilité d’en faire autant, nous pourrions leur rendre la pareille, mais nous ne savons absolument rien sur leurs agissements.

Le service de renseignements nous signale également une recrudescence d’activité de la part des rebelles dans le secteur et une réorganisation dans leur rang. Mais comme toujours, ces renseignements sont toujours aléatoires et sont récupérés d’après des documents ou des prisonniers, aussi il est à prévoir que les rebelles changent leur organisation chaque fois qu’ils perdent des documents de valeur. […]

Samedi 16 août 1952

Crumbach et Collet vont faire une embuscade de cinq heures à sept heures trente avec un groupe avec l’espoir de descendre une biche, à défaut de Viets, mais ils rentrent bredouilles. Le poste de Phuoc-Trinh se défend mieux à ce sujet, tuant une biche ou un sanglier presque toutes les semaines. Il faut dire qu’ils sont beaucoup plus chasseurs que nous et s’en occupent plus souvent. La brousse enserre leur poste plus près, aussi ils n’ont pas loin pour se mettre à l’affût. Comme ils ont des difficultés pour se ravitailler, ça leur rend bien service.

Un soldat du poste de Long-My (anciennement à Cho-Bo-Dap), envoyé hier en permission de la journée à Long-Dien, n’a pas encore rejoint le poste à treize heures. Est-ce une désertion ? Est-il passé dans les rangs Viets ? Ou a-t-il été kidnappé par les rebelles ? C’est difficile à le savoir. […]

Lundi 18 août 1952

Le matin, vers huit heures, nous entendons une vive fusillade, des rafales de FM et des détonations du côté de la montagne de Cho-Ben. […] Cela a l’air sérieux, car les munitions ne semblent pas ménagées et ça dure un bon quart d’heure. Puis ça se tasse et nous n’entendons plus tirer.

L’adjudant s’apprête à descendre à treize heures, lorsque un GMC du PC Long-Dien s’amène au poste. Les GR Douillard et Moigno, du poste de Phuoc-Trinh l’escortent et du plus loin qu’ils nous voyent brandissent chacun un casque Viet. Ils sont joyeux et ont dû certainement réussir un coup ce matin. En effet, ils nous apprennent qu’une section formée d’un groupe de Phuoc-Trinh avec Moigno et de deux groupes de Cho-Ben, le tout sous le commandement du GR Douillard, a détruit un camp viet composé de six caï-nhas accrochées au flanc de montagne, sur le versant Sud-Est de la montagne de Cho-Ben, à la limite des sous-quartiers de Long-Haï - Long-My et Long-Dien.

La section a abordé ce camp en venant du sommet de la montagne, au milieu d’une végétation très dense. […] En arrivant aux abords du campement rebelle, le voltigeur de pointe de la section est arrêté par une voix qui lui crie : « Qui vive » en Annamite. Aussitôt, les hommes de pointe qui ne voyent rien en raison du maquis très dense, tirent dans la direction d’où la voix est partie.

Puis les groupes se déploient autant il est possible de manœuvrer dans un terrain pareil et partent à l’assaut en arrosant le coin au FM. En même temps, les VM, certainement très surpris, opposent une vive résistance au moyen de VB et d’armes automatiques. D’après l’importance du camp, on suppose qu’ils étaient une vingtaine. Devant la puissance de feu de la section, les rebelles se replient en arrosant le coin au VB sans blesser personne de notre côté. Par contre deux VM sont abattus, dont un qui s’enfuyait en emportant une musette de documents importants.

La section fouille le terrain et récupère de nombreux paquetages, de nombreux documents, un important ravitaillement, des munitions, mais les rebelles ont eu le temps d’emporter leurs armes. Plusieurs casques viets (casques japonais recouverts du filet de camouflage) portant la cocarde viet (étoile jaune sur fond rouge) sont récupérés, ce qui prouve que les rebelles ont été complètement surpris. Deux femmes se trouvaient également parmi eux. Le camp est entièrement détruit et tout ce qui est transportable ramené à Cho-Ben, poste le plus proche du camp rebelle.

Inutile de dire que la joie est partagée et que le capitaine, lorsqu’il apprend cet heureux coup de main, congratule Douillard de vives félicitations. Il en est revenu d’interdire les sorties comme au début de sa prise de commandement et il peut s’apercevoir qu’en multipliant les patrouilles, on finit par obtenir des résultats. […]

Mercredi 20 août 1952

[…] À seize heures, je pars en embuscade à proximité de l’endroit où j’ai brûlé un abri rebelle le 14 août dernier, en lisière de la rizière de Long-Phu. […]

Nous nous camouflons en bordure de la rizière, dans les buissons et avons un magnifique observatoire pour voir ce qui se passe dans la rizière jusqu’au pied de la montagne. En face de nous, à 800 mètres au-delà de celle-ci, nous apercevons les habitations de Long-Phu. […]

Vers dix-sept heures trente, plusieurs rafales sont tirées du côté de la piste Bulh, là où Crumbach est en embuscade. Peut-être a-t-il plus de chance que nous. Aucun coup de fusil isolé, c’est donc eux qui bénéficient de la surprise. Espérons qu’ils auront réussi.

En rentrant au poste, je trouve tout le monde dans la joie et j’apprends que je ne m’étais pas trompé en supposant que les rebelles venaient à Long-My, entre dix-sept heures et vingt heures.

[Le garde Crumbach et son groupe voient passer six vietminhs dont deux en civil. Après leur avoir demandé de se rendre, ils ouvrent le feu en s’apercevant que les vietminhs cherchent à s’enfuir].

[…] Le premier VM abattu, âgé d’une vingtaine d’années, habillé en nha-qué, était blessé grièvement à la poitrine et au bras. Il avait toute sa lucidité, mais ne pouvait parler, ayant le poumon traversé. Il portait un panier sur son épaule, qu’il n’avait pas lâché. Dans celui-ci, une grenade VM (F1) des médicaments, du ravitaillement, du tabac, du tissu, ainsi qu’un pli intéressant un homme d’An-Ngaï (entre Phuoc-Trinh et Long-Dien) sont découverts. Après une demi-heure de recherches pour trouver l’autre VM certainement atteint, le groupe regagne le poste en abandonnant le rebelle au ¾ mort. En passant dans le village, Crumbach donne l’ordre à six habitants d’aller le rechercher et de le ramener au poste de Long-My s’il est encore en vie ou de l’enterrer si il est mort, ce qui est probable. En effet, une heure et demie après, les personnes mobilisées viennent nous annoncer que le rebelle était mort lorsqu’ils sont arrivés. Ils l’ont enterré sur place.

Ainsi, les Viets de la montagne se seront sérieusement fait étriller ces derniers temps (trois tués et certainement plusieurs blessés). Nous apprenons par l’adjudant rentré de Long-Dien qu’une grosse réunion VM était signalée demain soir par les services de renseignements et que la section Viet qui se trouvait dans la montagne devait rallier la zone viet de Phuoc-Buu, demain au cours de la nuit. Un dispositif d’embuscade est prévu pour demain toute la nuit pour barrer toutes les pistes entre Cho-Bo-Dap et Phuoc-Haï. Il se pourrait que les rebelles aient devancé leurs projets, ce qui expliquerait le passage des deux rebelles sur la piste Bulh ce soir et qui n’allaient certainement pas chercher du ravitaillement puisqu’ils en avaient avec eux.

Jeudi 21 août 1952

La visite d’un général au poste nous est annoncée pour l’après-midi, aussi le nettoyage bat son plein au poste. Pendant que deux groupes partent en contre-embuscade au Terme Sud et au carrefour de Cho-Bo-Dap à treize heures, pour ne rentrer qu’après le passage des officiers à 18h00. […]

À quatorze heures, […] le général Gardet (général de brigade) arrive presqu’aussitôt escorté de deux AM de Baria […]. Il passe une demi-heure au poste, est très pointilleux et s’informe de tout. Il fait quelques remarques au sujet des défenses du poste (qui ne sont pas des séchoirs à linge… à cause de deux pantalons qu’une con-gaïe avait fait sécher sur les barbelés et que nous avions omis de faire retirer pour cette journée « mémorable ») et s’informe de l’effectif des familles des autochtones. Il s’étonne que nous l’ignorions (c’est bien la première fois qu’on nous posait une question pareille). Il feuillette le journal de marche du poste, ne fait aucune allusion au VM que nous avons tué hier, mais nous fait remarquer que nous ne faisons pas souvent des embuscades entre minuit et trois heures du matin. Il s’informe de ce que nous ferons cette nuit et, sur notre réponse que nous devons faire une embuscade de nuit, il nous fait aller chercher le sergent autochtone, adjoint au chef de poste (Mdl/Chef Crumbach qui se trouve dans ses petits souliers en ce moment) pour voir si c’est exact que nous avons l’intention d’aller en embuscade et s’informer si nous en avons déjà parlé à ce gradé autochtone. Bref, on préfère ne pas le recevoir trop souvent. […]

Vendredi 22 août 1952

Le soldat, qui n’avait pas rejoint le poste de Long-My à l’issue de sa permission de 24h le 15 août, n’a toujours pas reparu et est considéré comme absent illégal. C’était pourtant un bon élément. Heureusement, si c’est une désertion, il n’a pas emporté son arme, ni ses munitions et a laissé presque tout son paquetage. Une histoire de femme est certainement la cause de tout cela. Enfin, il vaut mieux que ça se passe comme cela, plutôt que le soldat qui était passé aux Viets avec sa femme, en emportant trois fusils et trois cartouchières en janvier 1951 au poste GVNS de Long-Haï. […]

Samedi 30 août 1952

À la suite de la visite récente du commandant de sous-secteur, le contrôle des véhicules civils qui circulent sur la route de Cho-Bo-Dap à Long-Dien et passent dans le poste de Long-My doit être effectué par un Européen et un Vietnamien, alors que jusqu’à présent, ce n’était que le gradé autochtone du poste de police qui le faisait. Les véhicules et personnes doivent être fouillés minutieusement et toutes celles trouvées porteuses de pénicilline, paludrine, quinine, etc. doivent être immédiatement arrêtées, car ces médicaments sont destinés aux rebelles qui en manquent. Cela ne va pas être un petit travail, surtout avec les cars chinois qui transportent tout un matériel hétéroclite qui demandera un certain temps pour les contrôler. Aussi, comme c’est pratiquement impossible de les contrôler tous, nous effectuerons des sondages de temps à autre. […]

Dimanche 31 août 1952

À quatre heures cinq, nous entendons une sourde explosion au loin, du côté de Dat-Do, suivie, peu de temps après, de rafales d’armes automatiques. Probablement une tour ou un pont d’attaqués par les rebelles qui veulent marquer leur anniversaire du 2 septembre et redoublent d’activité en ce moment.

Vers sept heures quarante-cinq, nous entendons une vive fusillade, rafales de FM et détonations de l’autre côté de la montagne, vers Cho-Ben - Baria. C’est l’heure des ouvertures de route, probablement l’une d’elles qui est attaquée. Pendant vingt minutes, ça tire sérieusement, puis ça se calme. Le canon tirait également. Décidément, les VM deviennent agressifs. La vigilance et la prudence nous sont rappelées par le haut commandement, notamment pour les ouvertures de routes et jusqu’au 5 septembre, des sections Viets sont signalées dans le coin. […]

Vendredi 5 septembre 1952

L’adjudant Holtzinger va distribuer la solde ce matin à Phuoc-Haï et apprendre à Bureau, du poste Sud de Phuoc-Haï, qu’il doit rejoindre le PC de Long-Dien, étant muté à Saïgon, ainsi que le Mdl/Chef Paimpaud, ex-commandant de la 19e compagnie à Phuoc-Haï et actuellement commandant de la 17e compagnie à Co-May. Voici donc l’ère des mutations qui reprend, mais cette fois, ça semble sérieux puisque ça vient du PC régiment.

Ainsi, conformément aux prescriptions, les unités GVNS vont être de plus en plus jaunies et à Co-May, c’est un lieutenant annamite qui va commander la 17e compagnie. L’adjudant rentre à neuf heures trente et repart aussitôt pour Baria. Décidément, la jeep est bien utile à la compagnie.

Nous apprenons que le vaguemestre du 7e groupe qui résidait à la caserne de la 17e compagnie au cap Saint-Jacques vient d’établir sa résidence au PC à Long-Dien et ira chercher le courrier tous les jours au cap. Nous l’aurons peut-être plus régulièrement, mais attention aux embuscades sur le passage de la jeep qui se rendra au courrier. […]

Lundi 8 septembre 1952

À dix heures, l’assistante sociale du sous-secteur Baria - cap (Mlle Blanc) vient nous rendre visite pendant une heure. Elle nous apporte des livres, revues et des disques. Elle nous apprend que lors de l’attaque du poste cao-daïste de Long-Khien, dix occupants de ce poste (dont les femmes et des enfants) avaient été blessés par l’explosion de la mine. C’était une attaque en règle et les Viets avaient traversé cinq rangées de barbelés pour venir disposer des mines contre l’enceinte même du poste. Une seule mine a explosé. Heureusement, car les dégâts auraient pu être plus importants en créant une large brèche dans les défenses qui aurait permis le passage des groupes d’assaut Viets. Grâce à une vive réaction de la part de la garnison de ce poste, les rebelles ont dû se replier.

D’autre part, une mine aurait encore été découverte ces jours-ci dans les défenses de ce poste. Décidément, les Viets ont pris ce poste en affection et ne doivent pas être en odeur de sainteté avec les Cao-Daïstes. Plusieurs Cao-Daïstes, anciens ralliés Viet-Minh de ce poste sont considérés comme suspects et l’un d’eux a été mis en prison. […]

Vendredi 12 septembre 1952

[Le capitaine Faure est venu la veille au poste pour commander une patrouille].

Réveil à cinq heures trente pour prendre le temps de se préparer, pendant qu’un groupe va faire l’ouverture de route de Cho – Bo – Dap au clair de lune, car il ne restera au poste que deux Européens et onze autochtones (ce n’est pas très prudent, mais le capitaine aime bien avoir du monde autour de lui, quand il participe à une rare opération).

Nous avons rendez-vous avec la section de Phuoc-Trinh - Cho-Ben et un groupe de Long-Dien au Terme Sud, entre Long-My et Phuoc-Trinh. Départ de Long-My à six heures trente avec la section, le capitaine et son boy et jonction à sept heures avec Tennier et un groupe de Phuoc-Trinh, à l’endroit convenu. Le capitaine, qui a entendu comme nous, les explosions, est tout de même inquiet et comme ça a dû passer dans son quartier (Long-Dien), il décide de retarder l’opération et d’aller écouter la vacation radio de sept heures trente au poste de Phuoc-Trinh, distant d’un kilomètre. Il continue donc sa route avec quelques hommes jusqu’à ce poste. Nous attendons sur place trois quarts d’heure, puis le capitaine revient vers nous, avec le groupe de Phuoc-Trinh et Douillard. Au moment où il va nous rejoindre, une jeep arrive de Long-Dien avec Gazard, pour le rechercher. C’est alors que nous apprenons qu’un gros coup dur vient de nous atteindre une nouvelle fois.

[…] Il ne nous faudra pas longtemps pour rejoindre ce poste au pas de course, car nous avons hâte de connaître de plus amples détails.

[…] Vers huit heures quarante-cinq, nous approchons de ce qui reste du poste et l’apercevons au sortir de la brousse, à 400 mètres de nous. Nous faisons stationner la section et le groupe de Phuoc-Trinh, venu avec nous, puis continuons à pied, juste les gradés Européens, jusqu’au poste. Plusieurs camions du sous-secteur et des ambulances sont stationnés à proximité. Une centaine de coolies de Long-Dien, sous la garde de soldats du 2/22e régiment et de GVNS de Long-Dien, sont occupés à déblayer les décombres sous lesquels se trouvent encore de nombreux cadavres. Nous apprenons que sur la garnison de trente-cinq hommes qui se trouvaient dans ce poste avec leurs familles (soit 75 personnes environ), seules six personnes sont saines et sauves, encore sont-elles à moitié abruties par les détonations. Pour l’instant, dix-neuf cadavres de militaires, femmes et enfants sont alignés à proximité du poste et dix-neuf blessés sont hospitalisés à l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques.

Du poste composé de deux maisons identiques en dur (ancienne résidence du propriétaire des salines de Cho-Ben, entre cette localité et Lo-Voï), il ne reste que trois pans de mur sur lesquels nous apercevons des trous de deux mètres de diamètre causés par l’explosion des mines à charge creuse. Les défenses, composées de bambous entrelacés, sont détruites par place et de nombreux fils électriques courent sur le sol, ayant servis à faire exploser les charges creuses au moyen d’une pile. L’un de ces fils passe par un trou causé par une mine, dans un pan de mur, à un mètre du sol et va se perdre à l’intérieur, ce qui laisse supposer qu’après les premières explosions, les rebelles profitant de la confusion qui régnait dans le poste, ont pénétré à l’intérieur par les brèches et ont posé d’autres mines qu’ils ont fait exploser pour parfaire leur travail de destruction.

Inutile de dire dans quel état les cadavres sont retrouvés, la plupart horriblement mutilés. Comment ne pas avoir un serrement de cœur en assistant à l’identification des victimes par des membres de leurs familles, d’autant plus que je connaissais la plupart de ceux-ci. Une partie de la garnison provenait du poste Est de Phuoc-Haï où j’avais passé trois mois. Ainsi, de la famille de notre ancien « bep » (cuistot) (Von) composé de six personnes (sa femme et quatre enfants), il ne reste plus qu’un petit orphelin de deux ans.

L’adjudant-chef Hoaï, muté de Long-My voici à peine trois semaines et qui faisait fonction d’adjoint au chef de poste a été blessé sérieusement et est hospitalisé au cap Saint-Jacques, alors qu’il reste avec une petite fille de 4 ans, sa femme et un petit garçon ayant été tués. On finit par s’attacher à ces enfants avec lesquels on vit des mois et des mois avec eux. Quoiqu’ils soient d’une race différente, c’est un peu notre famille ici et ils nous égayaient en poste.

Le terrain est truffé de grenades piégées. Saura-t-on un jour comment cette attaque s’est produite ?… Est-ce la négligence de l’une des deux sentinelles qui est la cause de ce massacre ?… Est-ce une trahison, toujours possible ?… Au fur et à mesure du déblaiement, des objets et des armes sont récupérés. C’est la chose qui nous inquiète le plus et au premier abord, d’après les mitraillettes et fusils récupérés, qui sont presque tous abîmés, il semble que l’armement qui a été emporté par les Viets devait être en mauvais état. Pour l’instant, la mitrailleuse « Reibel » et le mortier de 60mm qui composaient l’armement lourd de ce poste ne sont pas encore retrouvés.

Toutes les huiles du sous-secteur de Baria se trouvent sur les lieux et sont assez anxieuses des résultats. Des caisses de munitions à moitié éventrées sont récupérées. Il semble que si les VM ont effectué ce coup de main pour récupérer des armes, ils ont échoué en partie, car les déflagrations ont été trop violentes et ont détruit ce qui se trouvait à l’intérieur. Les rescapés sont encore trop choqués pour expliquer ce qui s’est passé et il est probable que nous le saurons qu’en récupérant des documents rebelles ou d’après le récit de prisonniers ou de ralliés. Un certain nombre de bouteilles d’essence sont découvertes abandonnées dans les défenses, ce qui laisse supposer que les Viets avaient l’intention d’incendier ce qui restait avant de repartir. Ceux-ci avaient dressé trois gros barrages en terre entre le poste et Long-Dien pour ralentir l’arrivée des renforts. […]

Dimanche 14 septembre 1952

[…] À onze heures quinze, le groupe parti du poste de Long-My avec Crispet, rentre en camion. Ils ont participé aux obsèques des trente-quatre victimes de l’attaque du poste de Cho-Ben (10 soldats, 8 femmes et 16 enfants) et ont effectué plusieurs patrouilles et embuscades dans Long-Dien.

[…] Il y a tout lieu de supposer qu’il y a eu trahison de la part de deux soldats qui sont disparus et n’ont pas été retrouvés parmi les victimes. L’une des sentinelles avait été égorgée, ce qui aurait pu être fait par un occupant du poste, de connivence avec les Viets, et aurait permis à ceux-ci d’approcher du poste et de poser leurs mines sans danger.

La première explosion a ouvert une brèche dans le mur du poste et presque aussitôt, une seconde explosion a eu lieu au premier étage dans le magasin d’armes, or il était pratiquement impossible aux Viets de pénétrer à l’intérieur du poste et de poser une mine dans le magasin d’armes. Il fallait donc que quelqu’un l’ait mis de l’intérieur.

Dès la première explosion, les occupants du poste, qui n’étaient pas atteints, se sont précipités au magasin d’armes pour retirer leurs armes et c’est alors que la seconde mine a explosé à cet endroit, mettant presque tout le monde hors de combat. Seuls quelques militaires du poste, non atteints, ont rejoint le poste de Long-Dien et ont donné l’alerte. Les secours sont arrivés à temps, car un début d’incendie avait lieu et des cartouches commençaient à éclater au milieu des blessés qui étaient pris sous les décombres.

Pendant qu’une équipe d’assaut viet pénétrait à l’intérieur et s’emparait de tout l’armement qu’elle pouvait récupérer, une autre plaçait un chapelet de mines à charges creuses autour du poste et piégeait des grenades dans les défenses. Puis, au moment de quitter les lieux, ils faisaient sauter le restant. Il y a tout lieu de supposer que les rebelles devaient être au moins deux compagnies (200) pour effectuer de coup de main et qu’ils n’ont pas dû regagner leur zone d’une seule traite. Il se peut qu’ils aient passé la journée dans la montagne pour repartir la nuit suivante.

Mardi 16 septembre 1952

À treize heures, le GR Wattecamps vient chercher l’adjudant et Crumbach, convoqués avec les autres chefs de poste pour recevoir les ordres au PC à Long-Dien. Ils rentrent vers dix-sept heures trente et le camion remmène cinq autochtones du poste, mutés à Long-Phuoc ou volontaires pour suivre un stage de parachutistes. Ainsi, nous allons rester vingt-six au poste de Long-My. Les chiens hurlent dans le village dans le courant de la nuit, mais avec l’effectif réduit dont nous disposons, il ne nous est pas possible de nous aventurer en embuscade, car les hommes sont déjà suffisamment fatigués avec les factions.

Le capitaine reprend la même tactique qu’à son arrivée et à sa prise de commandement au 7e groupe de compagnies : « vous n’avez pas assez d’effectifs, vous n’avez qu’à renforcer les défenses du poste et ne plus sortir »… […]

Samedi 20 septembre 1952

Nous apprenons que depuis plusieurs nuits, des Viets viennent jeter des pierres dans les défenses des tours, entre Cho-Bo-Dap et Phuoc-Haï (tours T1 et T2), probablement pour repérer les tours où les guetteurs dorment, afin de les attaquer un de ces jours. Les travaux continuent au poste et chose étonnante, quelques coolies viennent comme volontaires. Pour certains riziculteurs, c’est actuellement la période creuse et ils préfèrent travailler maintenant et être tranquilles après, car, pour trois jours de travail au poste, ils sont assurés d’être tranquilles pendant huit ou dix jours, suivant le travail qu’il y a à faire au poste et naturellement, si ils viennent pendant huit jours de file, ils seront tranquilles pendant un mois ou six semaines. […]

Mercredi 24 septembre 1952 (deux ans)

Ce soir, à dix-sept heures trente, je termine mon séjour normal de deux ans. Le temps aura passé assez vite et la santé se maintient assez facilement, quoique ces derniers jours, je me sens assez faible. Faiblesse due sans aucun doute aux fortes chaleurs qui règnent actuellement. Cet état de choses vient beaucoup du moral qui a toujours été excellent durant ce séjour, sauf pendant la 1ère année, lorsque j’étais à Nuoc-Ngot (camp) ou Nuoc-Ngot (Nord) et que l’activité était pratiquement nulle. […]

Jeudi 25 septembre 1952

Vers neuf heures quarante-cinq, un groupe part en patrouille dans Long-My pour récupérer des coolies. Wattecamps vient nous rendre visite avec un 6x6 et nous apprend que le tir entendu hier soir avait lieu pour dégager la tour d’An-Ngaï, soi-disant attaquée (partie Nord-Est du village de Long-Dien). D’autre part, nous apprenons qu’un poste important de Binh-Bah aurait été attaqué dans le courant de la nuit dernière. On ignore actuellement les dégâts.

Le groupe du poste parti en patrouille à Long-My rentre vers douze heures trente et nous signale qu’ils ont tiré sur deux ravitailleuses Viets qui se dirigeaient vers la brousse, côté montagne et ne s’étaient pas arrêtées malgré les sommations. Un vieux bonze de Long-My qui, par deux fois, a fourni des renseignements exacts (avant mon arrivée au poste) signale au sergent Dinh-Van-Phuoc qui faisait fonction de chef de groupe de la patrouille, qu’un grand nombre de VM bien armés sont arrivés hier soir à Long-My et ont donné l’ordre aux habitants du village de les ravitailler. D’autre part, des Viets auraient arraisonné les passantes qui revenaient du marché de Long-Dien ce matin à dix heures au Terme Sud (à 1500 mètres du poste sur la route de Phuoc-Trinh) pour leur prendre du ravitaillement.

De tous ces renseignements, il résulte que la section viet est arrivée dans le secteur et dans la montagne. Attention aux véhicules et à l’ouverture de route circulant entre Long-Dien et Phuoc-Haï. Un message radio nous avise à dix-sept heures trente de ne plus réquisitionner de coolies. Avec l’effectif réduit, dont nous disposons actuellement au poste, nous nous demandons avec qui nous allons faire nos gros travaux, notamment le débroussement de la route de Cho-Bo-Dap - Phuoc-Trinh. Wattecamps vient chercher Pignard vers dix-sept heures avec le 6x6.

À partir d’hier, nous avons désigné quatre notables (dont un instituteur) pour faire nos porte-parole près de la population de Long-My. Vont-ils faire comme le chef de village de Phuoc-Trinh qui, menacé par les Viets, s’est enfui ?… Nous redoublons de vigilance la nuit et faisons de fréquentes rondes dans les barbelés.

Vendredi 26 septembre 1952

[…] J’apprends […] que le commando de ralliés de l’O.R. de Baria est parti faire une patrouille dans la montagne, renforcé par quelques GVNS de Long-Dien, le tout sous le commandement d’un sergent-chef Européen du service de renseignements du sous-secteur Baria - cap. Peu après, un 6x6 vient au poste et nous signale qu’ils effectuent une patrouille sur l’axe Long-Dien - Long-My. Décidément, le coin est en effervescence. Nous apprenons que douze hommes nous sont affectés en renfort demain dans la journée. Cette fois, ça va aller mieux et nous pourrons reprendre plus fréquemment nos patrouilles et embuscades. Vers treize heures, Wattecamps vient une nouvelle fois en 6x6, effectuant une nouvelle patrouille.

Il nous apprend qu’un Viet ayant participé au coup de Cho-Ben a été arrêté par la GVNS ces jours-ci au carrefour des cinq pistes à Long-Dien. D’après ses dires, ils étaient cent cinquante. Vers dix-sept heures, un camion de Long-Dien amène cinq militaires et leurs familles venant de la 18e compagnie du cap Saint-Jacques. Il doit en revenir quatre autres demain et les trois futurs parachutistes restés en carafe au cap Saint-Jacques.

Lundi 29 septembre 1952

Ce matin, vers sept heures vingt, alors que l’ouverture de route de Cho-Bo-Dap est partie depuis une demi-heure, nous entendons soudain une vive fusillade dans cette direction. […]

Trois quarts d’heure après, les deux groupes reviennent et nous apprennent que c’est le groupe de partisans de la tour Lay (ponts de Cho-Bo-Dap) qui a été accroché entre le carrefour de Cho-Bo-Dap et la tour T2, alors qu’ils revenaient de l’ouverture de route […]. Les 10 partisans, dont sept nouvellement engagés, faisaient triste figure, sachant à peine se servir de leurs armes. Heureusement que le groupe d’ouverture de route de Long-My se trouvait à 400 mètres, au carrefour de Cho-Bo-Dap et est intervenu aussitôt, mettant les rebelles en fuite. Il leur suffit de tirer deux chargeurs de FM, trois VB et quelques coups de fusil et les VM n’insistent pas. Aucun partisan n’est atteint.

[…] Il est probable que sans leur intervention énergique, les partisans étaient dans une situation critique, la plupart s’étant planquée dans les fossés de la route et ne sachant pas se servir de leur fusil.

Mercredi 1er octobre 1952

Après avoir passé une bonne nuit, un camion vient nous chercher à sept heures trente pour nous ramener à Long-Dien. […] Nous apprenons qu’une section de la 5e compagnie a récupéré un fusil et fait trois prisonniers dans le secteur de la plaine de Chau-Fa (zone VM au Nord-Ouest de Long-Kien) au cours d’une embuscade. Cette section, sous les ordres du sergent-chef Conrad (métis Eurasien), était partie à minuit jusqu’au lendemain à midi. Pendant la nuit, ils s’étaient avancés assez loin en zone rebelle sans éveiller l’attention des Viets et à l’aube, ils avaient aperçu 2 VM en civil, occupés à travailler la rizière à 200 mètres d’eux. Ils se sont bien gardés de se dévoiler, d’autant plus qu’ils apercevaient un autre Viet faisant les cent pas, l’arme sur l’épaule, dans le fond de la rizière.

Ils ont capturé les deux VM et leur ont intimé l’ordre d’appeler leur collègue. Celui-ci s’est rapproché sans méfiance et a été fait prisonnier sans tirer un coup de fusil. La preuve en est, une nouvelle fois qu’il n’y a que ces petits coups de commando qui payent, mais il faut connaître parfaitement les lieux. […]

Jeudi 2 octobre 1952

Pas beaucoup plus de succès à la vacation radio de sept heures trente et je ne peux pas passer mon BQR (bulletin quotidien de renseignements). Comme une difficulté n’arrive jamais seule, le radio de Phuoc-Trinh casse la pédale de sa génératrice radio et ne peut plus me relayer. Il ne faudrait pas qu’il y ait un coup dur au poste, car sans radio, ce serait assez difficile de communiquer avec le PC. […]

Samedi 4 octobre 1952

[…] Pluies diluviennes presque toute la nuit qui nous empêchent de faire une embuscade que nous avions projetée. Elle est néanmoins marquée au BQR, car nous avions reçu un message nous prescrivant d’accentuer les patrouilles et embuscades de nuit.

Lundi 6 octobre 1952

Avisés par radio hier soir que de gros dégâts avaient eu lieu au poste de Phuoc-Trinh à la suite des dernières pluies (queue de typhon qui a fait de gros dégâts dans la région de Phan-Tiet, Bien-Hoa et dans plusieurs régions de l’Indochine), Crumbach se rend à ce poste avec le groupe d’ouverture de route pour constater les dégâts. Peu après, visite du capitaine Faure, commandant de quartier de Long-Dien qui est passé par l’autre route et va se rendre également compte des méfaits de ces trombes d’eau au poste de Phuoc-Trinh.

[…] Fortes pluies dans le courant de la nuit qui causent pas mal de dégâts aux murettes et inondent le magasin d’armes.

Vendredi 10 octobre 1952

[…] Un groupe travaille à Phuoc-Trinh toute la journée, mais revient vers seize heures, renvoyé par le GR Douillard, chef de poste de Phuoc-Trinh, quelques-uns de ces messieurs ayant refusé de travailler. Cela leur arrive un peu trop souvent maintenant et il y a intérêt à ce que la discipline soit plus stricte, car je me demande ce que le Vietnam fera avec une armée pareille, lorsque nous ne serons plus là. Il est vrai qu’ils ne chôment pas beaucoup et que ça ne leur dit rien d’aller travailler dans un autre poste, alors qu’ils se rendent bien compte qu’il y a également du travail à faire dans le poste qu’ils occupent. D’autre part, vu les effectifs réduits, plusieurs caporaux partent en patrouille dans le même groupe et se croient dispensés de travail, vu leur grade.

Le soir, à vingt heures trente, je vais en embuscade avec six hommes derrière Cho-Bo-Dap, à mi-chemin de Bau-Sang et la rizière de Long-Phu. La nuit est claire, il ne fait pas froid, mais finalement, nous ne verrons rien, malgré la fouille des caï-nhas proches de l’endroit où nous avons vu un guetteur dernièrement, à la limite du village de Bau-Sang.

Lundi 13 octobre 1952

[…] Wattecamps […] nous apprend que le commando de ralliés du quartier de Dat-Do, stationné à Phuoc-Haï, vient de réussir un joli coup aux dépends des rebelles.

Ils étaient en embuscade sur les rives du Song-Ray (au Nord-Est de Hoï-My) qui délimite la zone rebelle de Phuoc-Buu - Xuyen-Moc, à douze kilomètres de Cho-Bo-Dap lorsqu’ils ont surpris un groupe de VM armés qui traversaient le rach dans des sampans pour venir dans notre zone. Ils les ont laissés s’engager bien au milieu du fleuve, puis les ont mitraillés à bout portant, récupérant une mitraillette, deux fusils et plusieurs grenades. C’est un coup sensible pour les Viets qui ne disposent pas de beaucoup d’armement. C’est dommage que nous ne puissions en faire autant dans la montagne, car c’est sans aucun doute le meilleur moyen de se défendre. Mais les Viets sont beaucoup plus méfiants dans nos parages qu’aux abords de leur zone, c’est pourquoi il serait difficile de réussir des coups de ce genre de notre côté.

Actuellement, l’effectif réel du poste, si il est de cinquante-deux hommes, n’est en réalité que de trente hommes de disponibles et le travail au poste ne manque pas. Un groupe est pratiquement en permanence, occupé à la disposition du PC à Long-Dien.

Mercredi 15 octobre 1952

Violente explosion à cinq heures du côté de Baria (probablement une mine). Les propriétaires des cars chinois qui passent en grand nombre sur la route de Cho-Bo-Dap - Long-My - Phuoc-Trinh - Long-Dien, nous proposent de faire réparer la route de Phuoc-Trinh qui s’est affaissée à la suite des dernières pluies, par des coolies que nous réquisitionnerions à Long-My et qu’ils payeraient. […] Comme cette proposition nous arrange, nous envoyons un groupe dans le village de Long-My pour ramasser des coolies. […]

Nous apprenons qu’un soldat de Phuoc-Haï qui se déplaçait seul dans la localité a été attaqué par trois VM au cours de la nuit. L’un de ceux-ci était armé d’un pistolet et a tiré sur lui sans l’atteindre. Le soldat s’est enfui en lançant une grenade, mais celle-ci n’a malheureusement pas éclaté. Ainsi, malgré la grande activité manifestée par les unités de Phuoc-Haï, ça n’empêche pas les Viets de venir faire des coups de main dans le village. Il est vrai qu’ils en veulent tout particulièrement au commando de ralliés du quartier de Dat-Do qui opère le plus souvent dans la zone de Hoï-My et est stationné à Phuoc-Haï.

Nous apprenons également qu’un partisan d’une tour du sous-quartier de Phuoc-Haï a sauté sur une grenade piégée et a été grièvement blessé à une jambe, nécessitant l’amputation. […]

Jeudi 16 octobre 1952

[À seize heures, le garde Gallot part avec douze hommes faire une patrouille dans la brousse autour du village de Long-My. Il souhaite fouiller la brousse entre le village et la montagne. Après avoir incendié une caï-nha vietminh inoccupée, il monte une embuscade dans une clairière qui borde la piste Bulh. Trois quarts d’heures après, alors que la nuit commence à tomber, un VB est tiré de l’autre côté de la piste Bulh par le Vietminh].

Quelques minutes après que le VB a été tiré, les deux soldats placés au bout du dispositif côté montagne voient arriver vers eux deux VM coiffés du casque viet et dont l’un est armé d’une mitraillette « Thompson ». Ils sont à 40 mètres d’eux et avancent prudemment, le doigt sur la détente, en venant dans notre direction. Aussitôt, les deux guetteurs qui sont les seuls à les voir pour le moment, tirent dessus et, d’après leurs dires, le VM armé de la mitraillette, s’écroule et est entraîné par son collègue en arrière. En même temps, une volée de VB passe au-dessus de nous, mais le tir est trop long et va se perdre de l’autre côté de la piste Buhl, à 80 mètres de nous. En même temps, de nombreux coups de feu sont tirés de dedans le bois, derrière nous. Nous ripostons au VB et de toutes nos armes, malheureusement, le FM s’enraye dès les premières rafales.

Pendant que le sergent s’occupe de le remettre en marche, je tire une rafale vers le sous-bois, dans la direction où les Viets tirent. Aussitôt, j’aperçois un de mes hommes qui s’écroule à mes pieds et qui me dit de cesser de tirer, que je viens de le blesser. Je vois en effet qu’il est blessé à la tête et commence à saigner abondamment. Ce soldat, qui se trouvait être le guetteur qui avait vu le premier les deux VM, s’était replié dès qu’il avait tiré et était passé dans mon champ de tir. Comme la nuit était tombée et que je n’entendais rien avec la fusillade, je ne l’ai ni vu ni entendu dans le sous-bois. Inutile de dire si cette situation m’embarrasse sérieusement. […]

Les VM qui n’ont pas continué dans notre direction tirent mais de plus loin, vers la montagne. Comme notre position est toujours scabreuse, étant donné que nous sommes en terrain découvert, je commence à faire replier mon groupe pour sortir de la brousse et rejoindre la rizière de Lo-Gom (au sud de Long-My) de manière que si des VM tentaient de nous couper la route, nous puissions nous replier plus facilement. Il est à craindre, en effet, que les VM soient assez nombreux pour manœuvrer en deux groupes et que pendant que l’un nous attaque, l’autre nous prenne à revers ou nous tende une embuscade sur notre retour.

Le blessé, qui marche tout seul, perd son sang en abondance, aussi nous rejoignons le village en vitesse, en passant à travers la rizière pour éviter de tomber dans une embuscade sur le chemin. Le FM tire tant que nous sommes dans le couvert et que nous ne nous sommes pas éloignés de la brousse, mais les VM n’insistent pas.

Je ne pense pas que la blessure soit grave, car j’ai tiré la rafale debout alors que le blessé se trouvait accroupi, à sept ou huit mètres de moi (d’après ses dires, si il avait une balle dans la tête, il serait tué). La rafale n’a dû que lui raser la nuque. J’étais en retrait, près du FM mais il est évident que si il ne s’était pas déplacé dans le bois, ça ne lui serait pas arrivé. Espérons tout de même que ce n’est pas grave, car ça pourrait m’attirer des ennuis et de plus, la victime était un bon soldat (Nguyen-Van-My, Annamite).

Vers vingt et une heure quinze, deux AM de Baria et un camion transportant une section de protection arrivent au poste, escortant une ambulance de Baria. […] Le blessé, qui se porte bien, va être transféré directement à l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques. Le temps de le charger et le convoi repart par le même chemin. Tout rentre dans le calme, autant on puisse l’être, après un coup malheureux comme celui-ci.

Samedi 18 octobre 1952

À huit heures, huit civils de Long-My viennent nous apprendre qu’un grand nombre de VM armés (probablement la section signalée dans le coin) sont venus hier soir, vers vingt heures, dans le village de Long-My et ont emmené quatre hommes et une femme de Bau-Tay, membres de leurs familles, âgés de 18 à 58 ans. C’est la première fois que les habitants viennent nous parler ouvertement de VM. Bien entendu, ils ne savent pas de quel côté ils sont partis. Ils n’ont pas été frappés, mais ignorent pour quelles raisons ceux-ci ont été emmenés.

Peut-être la section se déplaçait-elle et a-t-elle récupéré des coolies pour porter du ravitaillement, comme elle a l’habitude de le faire. Peut-être les hommes sont-ils ramassés pour être enrôlés dans les rangs VM ? Peut-être est-ce, tout simplement, une mise en scène et étaient-ils de connivence avec les Viets ?… Ce qu’il y a de certain, c’est que si les habitants de Long-My nous fournissaient des renseignements sur les VM, nous pourrions les protéger plus efficacement. Nous signalons les faits au PC du quartier à Long-Dien, par message radio à neuf heures trente. […]

Dimanche 26 octobre 1952

Repos pour tout le monde. À la vacation de treize heures, le GR Doucet qui assure les fonctions de centraliste radio près du PC Long-Dien, me demande à la fin de l’émission si je suis au courant de ce qui s’est passé hier. Sur ma réponse négative, il m’apprend, sans plus de détails, que le vaguemestre est mort. Comme il est interdit de parler à propos de rien à la radio, je n’insiste pas. Est-ce un accident au cours d’une liaison courrier au cap Saint-Jacques ?… Est-ce une maladie ?… Est-ce une embuscade sur la route ?… Nous n’avons aucune précision.

Inutile de dire si cette nouvelle nous consterne. C’est le GR Talichet, marié, un enfant, qui assurait ces fonctions depuis 10 mois au cap Saint-Jacques. Dernièrement, le capitaine Faure, trouvant soi-disant que le courrier n’arrivait pas régulièrement, l’avait fait revenir au PC groupe de compagnies à Long-Dien et de là, trois ou quatre fois par semaine, il se rendait en liaison au cap Saint-Jacques, profitant bien souvent qu’un camion du PC se rende au ravitaillement dans cette ville, pour y aller. Cela fait donc le huitième Européen du 7e groupe de compagnies GVNS de mort depuis 18 mois.

Ces derniers temps, c’était surtout les autochtones qui dérouillaient dans notre unité (coup de Cho-Ben le 12 septembre dernier), le dernier Européen tué étant le GR Quériault du poste Est de Phuoc-Haï, tué dans une embuscade le 30 décembre 1951. Par une femme rentrant vers quinze heures de Long-Dien, nous apprenons que c’est un camion du PC Long-Dien qui a sauté sur une mine, sur la route entre Baria et le cap Saint-Jacques, vers dix-sept heures, alors qu’il revenait du Cap.

Lundi 27 octobre 1952

La version exacte du coup dur survenu samedi dernier nous parvient par l’assistante sociale du sous-secteur Baria-Cap en visite au poste de Long-My ce matin et qui nous apporte un phono et des disques.

[…] C’est à midi que le coup s’est produit, alors que le camion revenait du cap Saint-Jacques. Celui-ci s’était arrêté au poste de la Tourelle de Baria, à 6 kilomètres du Cap, en face du terrain d’aviation et de Rach-Dua (poste tenu par une section GVNS de la 18e compagnie du Cap).

Dans le camion se trouvaient le GR Talichet, vaguemestre du 7e groupe et Hanen, popotier et gérant du mess européen au PC à Long-Dien. Talichet, qui était chef de voiture et se trouvait dans la cabine jusqu’au poste de la Tourelle de Baria avait cédé sa place à Hanen au moment de repartir de ce poste, ce qui lui fut fatal. Trois kilomètres plus loin, sur une portion de route placée sous la protection de tours Cao-Daïstes, le camion tombait dans l’embuscade. Depuis deux jours, les autorités du sous-secteur de Baria-Cap étaient prévenues qu’une embuscade devait avoir lieu sur cette route et le matin, l’ouverture de route avait été faite avec deux AM du CIAB (Centre d’instruction de l’arme blindée) du cap Saint-Jacques.

La mine a explosé juste entre les quatre roues et a mis hors de combat les sept hommes qui se trouvaient derrière (Talichet et six hommes d’escorte), Talichet et deux Vietnamiens étaient tués sur le coup et les quatre autres blessés plus ou moins gravement. Seuls Hanen et le chauffeur, placés dans la cabine, étaient sains et saufs.

Le véhicule qui circulait à vive allure a fait encore une centaine de mètres en roue libre et s’est immobilisé sur le bas-côté de la route. Immédiatement, les VM se sont lancés à l’assaut en tirant au FM, VB et fusil. Hanen et le chauffeur n’ont plus eu que la ressource de se replier en tirant jusqu’à la tour Cao-Daïste voisine, poursuivis par les VM. Ceux-ci sont alors montés dans le véhicule resté sans défense et se sont emparés du PM Mas 48 du sergent Nguyen-Van-Sau (ainsi que de son pistolet personnel P.08, ancien revolver de Quériault), de la mitraillette « Osten » de Talichet et de quatre fusils de l’escorte, puis se sont repliés aussitôt, car les renforts venant des tours Cao-Daïstes voisines ont contre-attaqué cinq minutes après, ainsi que des Blindés du cap Saint-Jacques arrivés dix minutes après le début de l’engagement.

Aussitôt, une opération est montée dans le secteur de Rach-Dua - Co-May par un bataillon de parachutistes en repos au cap Saint-Jacques depuis quelques jours, revenant du Tonkin. Aujourd’hui, une opération est en cours dans le même secteur, mais bien entendu, il est trop tard et encore une fois, les VM évalués à une forte section auront récupéré un armement à bon compte qu’il nous sera difficile de récupérer.

L’enterrement des victimes a eu lieu hier à Baria. Nous apprenons que le cas du sergent Nguyen-Van-Sau serait très grave et qu’il est amputé d’un pied, quant aux autres (parmi lesquels le caporal-chef Nguyen-Van-Cang, ancien du poste de Long-My), ce n’est pas si grave. Ils sont cependant tous hospitalisés à l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques.

Les VM étaient habillés en kaki, ce qui laisse supposer que c’était des réguliers (Armée régulière Viet-Minh) mieux armés que les locaux. Pendant ce temps, on parle sérieusement de commencer les travaux de réparation de la route Baria - Long-Than - Saïgon, actuellement détruite sur une trentaine de kilomètres, avec de nombreux ponts de sautés et qui se trouve en zone VM (au pied de la montagne de Phu-My). Cette route serait réouverte et des postes seraient implantés pour en assurer la protection. Les crédits seraient arrivés au sous-secteur Baria-Cap et les travaux seraient commencés au 1er janvier 1953. D’autre part, il est question officieusement que le sous-quartier de Long-My soit rattaché au quartier de Dat-Do. Toutes ces nouvelles nous sont apportées par l’assistante sociale qui reste une heure au poste.

Samedi 1er novembre 1952

Un message radio nous signale à sept heures trente que le sous-quartier de Long-My est rattaché au quartier de Dat-Do à compter d’aujourd’hui. […]

À quinze heures trente arrive le capitaine Bonvalet, notre nouveau commandant de quartier, accompagné du commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï (sous-lieutenant Fardel, également du 2/22e RIC et qui sera notre nouveau commandant de sous-quartier, car le sous-quartier de Long-My est dissous) […]. Presqu’aussitôt arrive le capitaine Faure (notre ex-commandant de quartier (Long-Dien) qui vient passer les consignes du poste de Long-My à son successeur. […] Le passage de ces consignes se fait cordialement. La coloniale n’y perd rien, car elle prend en compte un poste neuf, en bon état. Alors que cette opération s’effectue arrive le Lt-colonel Deleu, commandant du sous-secteur Baria-Cap.

J’apprends, comme je m’en doutais, que j’assure dorénavant les fonctions de chef de poste avec Crispet comme adjoint, cependant que Crumbach commande la compagnie à Phuoc-Haï. […]

Dimanche 2 novembre 1952

[…] Vers quinze heures, les GR Doucet et Navari et le Mdl/Chef Briois nous amènent du ravitaillement, ainsi que pour le poste Sud de Phuoc-Haï. Notre ravitaillement continuera à se faire par les véhicules de notre unité, quoique nous soyons sous les ordres du commandant d’une autre unité. Ils ramènent les volontaires GVNS à Long-Dien.

Sur le soir, le capitaine Bonvalet vient nous rendre visite et nous donne l’ordre de ramasser le plus de laissez-passer dans Long-My pour réquisitionner des coolies qui doivent débrousser demain au carrefour de Cho-Bo-Dap. Nous y allons à vingt heures trente au clair de lune et ramassons 120 LP après avoir parcouru tout le village Crispet, moi et un groupe renforcé de Long-My. Retour à minuit quarante-cinq. Les habitants de Long-My ne vont plus avoir la quiétude qu’ils avaient avant et vont avoir intérêt à marcher droit, car le commandant de quartier de Dat-Do ne badine pas et aime le rendement.

Mardi 4 novembre 1952

Je reste au poste le matin, cependant que Ouazzène, spécialiste de ce travail pour l’avoir fait fréquemment à Phuoc-Haï va surveiller les coolies au carrefour de Cho-Bo-Dap. Lorsque l’ouverture de route de Phuoc-Trinh rentre, le groupe repart avec Crispet dans le village de Long-My pour coller des affiches délivrées par le commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï.

La population de Long-My, âgée de 18 à 60 ans, hommes et femmes, doit rendre tous ses laissez-passer de manière à ce qu’ils soient échangés à Phuoc-Haï. Elle doit également fournir deux photos d’identité par personne, de manière à pouvoir en coller une sur la nouvelle carte d’identité et une autre sur un fichier qui sera gardé au sous-quartier de Phuoc-Haï pour pouvoir faire un contrôle plus rigoureux de la population. […]

Les habitants se plaignent que les ralliés du commando noir de Dat-Do (appelé commando noir car il est habillé en civil) les auraient soi-disant frappés et ils menacent de se plaindre au chef de province de Baria. C’est une chose qui ressort du commandant de quartier de Dat-Do et pour mon compte, je n’y peux rien car ils ne sont pas de mon unité. […]

Mercredi 5 novembre 1952

Crispet part en embuscade au Terme Sud (limite de notre quartier avec celui de Long-Dien, sur la route Long-My - Phuoc-Trinh) avec un groupe de Long-My, à quatre heures trente. Il reste jusqu’à six heures et continue jusqu’au poste de Phuoc-Trinh pour y retirer le courrier pour la 19e compagnie. Ouazzène part avec le groupe d’ouverture de route de Cho-Bo-Dap et reste avec sur le chantier de débroussement pour y surveiller les coolies.

L’après-midi, un aspirant vietnamien de Long-Dien vient apporter la solde pour les autochtones, laquelle est distribuée au personnel présent au poste, sur le soir. Vers dix-sept heures trente, le Mdl/Chef Crumbach et le sous-lieutenant Fardel (commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï) viennent nous apporter un nombre imposant de barbelés pour renforcer les défenses du poste de Long-My.

Il est tout de même un peu bizarre que certains quartiers peuvent percevoir ces matériaux près du sous-secteur de Baria-Cap, pourtant assez difficiles à obtenir, alors que d’autres en ont au compte-gouttes. Le quartier de Dat-Do semble plus favorisé que celui de Long-Dien, à ce sujet. Il est vrai que le premier est tenu par la garde, alors que l’autre est tenu par la 7e compagnie du 2/22e RIC. Nous recevons l’ordre de faire un autre réseau de barbelés pour renforcer les défenses.

Le commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï nous conseille également de multiplier les patrouilles pendant le couvre-feu, fixé dans le village de Long-My de dix-neuf heures à six heures du matin (il n’existait pas avant que nous passions dans le quartier de Dat-Do). Tout civil ramassé entre ces heures doit être arrêté pendant quelques jours et employé pour le poste. C’est une méthode qui ne me déplaît pas, d’autant plus que la main-d’œuvre fait plutôt défaut […].

Jeudi 6 novembre 1952

Avant le lever du couvre-feu, à cinq heures, patrouille dans Long-My avec un groupe sous le commandement d’un caporal-chef autochtone, puis ouverture de route de Phuoc-Trinh et retour au poste à sept heures quarante-cinq. R.A.S. Crispet fait la surveillance des coolies de Long-My sur le chantier de Cho-Bo-Dap avec un groupe du poste. Un message radio de Dat-Do nous avise de la visite probable du commandant du secteur de Bien-Hoa dans la matinée. Il passe à Phuoc-Haï, mais ne vient pas le matin au poste. Ouazzène profite du passage d’une jeep GVNS de Long-Dien pour aller chercher sa solde à Phuoc-Haï Sud.

Au retour, il nous apprend que le commando de renseignements GVNS de Phuoc-Haï (formé de GVNS qui ne font exclusivement que des patrouilles et du renseignement et ne font pas de corvées ni de gardes) a arrêté l’instituteur de Phuoc-Buu (zone Viet au-delà de Phuoc-Haï en suivant la côte) à Long-Phu ce matin. Il tente de s’enfuir, mais ceux-ci le rattrapent et le ramènent plutôt en mauvais état (lardé de coups de poignard) à Phuoc-Haï Sud. La visite du commandant de secteur devant avoir lieu cet après-midi, Crispet reste au poste. […]

Samedi 8 novembre 1952

Même travail qu’hier, avec façonnage de piquets apportés par des coolies et destinés à renforcer les réseaux de barbelés. La fusée lancée hier au cours de la nuit était destinée à demander l’évacuation de la femme d’un soldat de Phuoc-Trinh, gravement malade.

Visite à neuf heures trente du « gendarme » Pignard, ancien du poste, muté en gendarmerie coloniale depuis deux mois et qui est affecté au commissariat de Baria. Il est accompagné par un de ses collègues. La gendarmerie en Indochine est renforcée actuellement et, chose qui ne s’était pas encore vue à Baria, même avant guerre, ils sont à quatre Européens pour encadrer les auxiliaires vietnamiens, alors qu’auparavant, ils n’étaient qu’à deux et bien souvent seuls. […]

Mardi 11 novembre 1952

Alors que tout le monde est au travail, un message radio nous avise à neuf heures trente, de cesser le travail à l’occasion de la fête de l’Armistice. L’après-midi, le commando noir GVNS de Phuoc-Haï est envoyé en mission dans Long-My. Ils commencent à interroger un coolie qui travaillait mal et que j’avais gardé comme prisonnier pour servir d’exemple aux autres. Après maintes réticences, ce dernier donne le nom de plusieurs habitants de Long-My, faisant partie d’une organisation VM.

Sur le soir, à la tombée de la nuit, le commando, renforcé par trois GVNS de Long-My, habillés en civils (ils sont donc à huit hommes) part en patrouille dans le village. Ils reviennent vers vingt-trois heures trente, ramenant trois femmes et un homme. Ils mangent et aussitôt, commencent l’interrogatoire. Leur mission a été facilitée du fait que les hommes du commando ne sont pas connus par les habitants de Long-My. Ils se font donc passer pour VM cherchant une maison pour se ravitailler et des personnes leur indiquent une maison où les Viets ont l’habitude de se ravitailler. Ce n’est donc plus qu’un jeu pour eux, pour arrêter les occupants de cette habitation.

Avec des moyens, pas très légaux, mais cependant décisifs, les suspects, plus ou moins réticents et qui jurent leur grand dieu qu’il est faux qu’ils ravitaillent les VM, finissent par donner les noms de onze personnes de Long-My, travaillant pour les VM. L’interrogatoire se poursuit jusqu’à une heure trente du matin. Grâce au laissez-passer de tous les coolies de Long-My et d’après les photos qui y sont apposées, les VM sont facilement identifiés.

Jeudi 20 novembre 1952

À neuf heures, visite en trombe du capitaine Faure, commandant du 7/3e régiment GVNS de Long-Dien accompagné de son adjoint, l’adjudant-chef Caillot qui s’amène en furie au poste, pousse de grandes gueulantes au sujet de l’ouverture de route de Phuoc-Trinh que nous n’avons pas faite (comme si ça le regardait puisque nous ne dépendons plus de lui qu’administrativement) et exige que nous présentions un groupe de combat lors du passage du colonel Vietnamien.

Il oublie un peu trop que je dépends opérationnellement du commandant de quartier de Dat-Do et que je ne peux, en tant que sous-officier sous ses ordres, empêcher ce dernier de disposer de l’effectif qu’il veut prélever sur le poste. Mais le capitaine Faure n’a jamais été en bons termes avec les autres armes et voudrait que nous suivions sa trace, alors que je n’ai absolument rien à reprocher au capitaine Bonvalet, commandant de la 7e compagnie du 2/22e RIC de Dat-Do. Il a toujours été très correct avec moi et j’éprouve beaucoup plus de plaisir à travailler sous ses ordres que lorsque j’étais commandé par le capitaine Faure. Ce dernier est vexé de voir les grands travaux entrepris dans son ancien quartier depuis que celui-ci est passé dans les mains de la coloniale et me déclare que ça sera sanglant si je marche contre la garde. […]

Mardi 25 novembre 1952

[…] J’apprends que la section de Dat-Do qui participait à l’opération est rentrée hier. Des détails nous parviennent sur la mort du capitaine Tournier. Celui-ci a été tué alors qu’il venait d’être avisé par un petit avion d’observation du GAOA (Groupe aérien d’observation artillerie) qui participait à l’opération qu’une centaine de VM se trouvaient en embuscade à un kilomètre environ, des éléments de tête de nos unités. Le pilote de l’avion demandait si il fallait régler un tir d’artillerie dessus. Le capitaine Tournier répondait négativement et décidait d’approcher encore un peu. Il partait en tête, avec le commando de ralliés de l’O.R. de Baria et avançait prudemment dans cette direction.

C’est alors qu’il tombait dans une première embuscade qui n’avait pas été décelée par l’avion. Les VM tirent à bout portant au FM et à la mitraillette, tuant le capitaine sur le coup, ainsi qu’un homme du commando et blessant le tireur FM de cette unité. Heureusement les ralliés réagissent très bien et l’un d’eux reprend le FM et tirant debout au milieu de la piste, brise l’assaut des Viets. En même temps, les renforts fournis par les unités d’intervention qui suivaient derrière, affluent et les VM sont contraints de décrocher, abandonnant un fusil sur le terrain et plusieurs morts. Aux dires des occupants de l’avion, de nombreux VM seraient emportés par leurs camarades. Aussitôt, l’artillerie intervient et leur inflige d’autres pertes. Cela se passait vers midi et les unités forment le carré à cet endroit, en attendant qu’un hélicoptère de Saïgon, vienne rechercher plusieurs blessés parmi les ralliés. Lorsque ceux-ci sont évacués, les colonnes amies abrègent l’opération pour ramener les morts, mais se trouvent cependant encore au cœur de la zone viet pour passer la nuit. Ils découvrent un grand camp VM du côté de Phu-My et décident de passer la nuit à cet endroit. Comme à l’habitude, ils se placent en triangle. Les sections placées côte à côte en hérisson puis l’artillerie ajuste un tir de protection pour pouvoir intervenir si ils sont attaqués.

Malheureusement, un gros coup dur arrive au cours de ce tir. Les deux premiers obus sont bien tirés et tombent à cent mètres des unités en position pour passer la nuit, mais le troisième obus, mal ajusté, vient éclater juste sur le groupe de pointe, placé dans l’angle de cette sorte de triangle, mettant le groupe littéralement hors de combat. Il était formé par une section de la 1ère compagnie du 65e BVN (ex-5e compagnie du 2/22e RIC) et cinq soldats sont tués sur le coup et six autres grièvement blessés. C’était un obus de 88mm tiré par l’artillerie de la Marine, placée sur un bâtiment de la Marine dans un rach. Inutile de dire que l’artilleur ne va certainement pas recevoir des fleurs après ce coup-là. Cela se passait à vingt heures et l’évacuation des blessés par hélicoptère est impossible aussi, les unités sont obligées de rester sur place la nuit. […]

Jeudi 27 novembre 1952

Une patrouille conduit les deux suspects arrêtés hier au poste à Phuoc-Haï, cependant que Crispet va soigner le commandant de quartier de Dat-Do, malade dans ce poste. Retour de la patrouille à midi (un groupe sous commandement vietnamien) qui repasse par les villages de Long-Phu et Long-My. R.A.S. […]

Dès que Crispet rentre vers dix-huit heures dix, je pars en embuscade sur une piste qui mène à la montagne, à 400 mètres de la pagode de Bau-Tay (Sud-Est de Long-My) avec un groupe et demi et un FM. Il fait un beau clair de lune et on ne voit personne, quoique les chiens hurlent dans le village. Patrouille dans Long-My au retour et rentrée au poste à vingt-trois heures trente. J’arrête au passage dans la localité, le VM qui devait soi-disant nous fournir des renseignements dans les dix jours qui suivaient sa remise en liberté, mais qui reporte toujours à plus tard le moment de nous en fournir. Il nous apprendra par la suite, qu’il a été contacté par deux VM, la veille, dans la nuit chez lui, au sujet d’un rallié du commando de l’O.R. de Baria, libéré depuis peu et qu’ils voulaient prendre.

Dimanche 30 novembre 1952

Repos pour tout le personnel. Je fais de la paperasserie pour m’occuper. C’est la fin du mois et il faut établir le journal de marche du poste de Long-My pour être envoyé au sous-secteur Baria-Cap. Sur celui-ci, nous fournissons l’effectif en militaires du poste ainsi que celui des familles qui vivent avec eux, la situation de l’armement et des munitions, toutes les patrouilles et embuscades faites au cours du mois avec les heures de sorties et de rentrées et les résultats, l’activité VM contre le poste et dans la zone contrôlée du poste, ainsi que contre la population. Nous devons également fournir l’état d’esprit de la population placée sous notre contrôle.

Cela m’occupe toute la journée. […]

Dimanche 7 décembre 1952

Nous apprenons que l’ouverture de route de Long-Tranh - Xa-Bang, sur la route de Baria - Dat-Do, en passant par Long-Phuoc a été attaquée hier matin. Elle était faite par un groupe de partisans du poste de Long-Nhuong (abords de Long-Tranh, à six kilomètres de Dat-Do) et grâce à une diversion dans l’ouverture de route, les VM ont raté leur coup, ne blessant qu’un partisan, tout en ayant un tué et un prisonnier. Le groupe était parti en embuscade sur le matin et faisait l’ouverture de route en sens contraire, ce qui a surpris les VM qui les attendaient dans le sens opposé. Une preuve que les diversions dans les ouvertures de route sont parfois appréciables et que les VM ne réussissent pas à chaque fois. Repos toute la journée. […]

Lundi 8 décembre 1952

[…] Ce matin, la section fouille le terrain et fait des découvertes fructueuses. À une vingtaine de mètres de la section en embuscade, ils découvrent un VM tenant une grenade dans sa main, qui a passé toute la nuit à côté d’eux et n’a pas osé s’enfuir, de crainte de se faire repérer et abattre. Il est âgé d’une vingtaine d’années et déclare faire partie de la 1ère section VM de la zone rebelle de Phuoc-Buu, venir de la montagne de Baria pour transférer un blessé et du ravitaillement (le blessé a été atteint au cours d’un bombardement aérien avant-hier). Ils étaient dix, étaient passés par Long-Dien et étaient armés de trois fusils et de grenades. L’un d’eux aurait été blessé au cours de l’accrochage (un pansement déchiré est retrouvé sur place).

Une mine électrique et un important ravitaillement et équipement sont retrouvés sur le terrain. Ainsi, la section Lamlet, formée exclusivement de Cambodgiens et qui ne fait que l’intervention dans le quartier de Dat-Do, vient de se signaler une nouvelle fois. Le sergent-chef Lamlet, qui commande cette section depuis vingt-huit mois dans le quartier de Dat-Do et s’est signalé à maintes reprises en effectuant des incursions en zone rebelle et en infligeant de lourdes pertes aux Viets (une quinzaine d’armes récupérées) est titulaire de la Croix de Guerre 39-45 avec deux citations et de la Croix de Guerre des TOE avec deux autres citations. Il est proposé pour une autre citation et pour la médaille militaire. […]

Mardi 9 décembre 1952

Ce matin, à sept heures, le Commando Noir regagne Dat-Do. Au BQR de sept heures trente de Phuoc-Trinh à la radio, nous apprenons que des éléments de Phuoc-Trinh, en coopération avec le Commando Noir (service de renseignements de Long-Dien) a détruit un camp VM dans le secteur de Dinh-Co, récupérant 25 kilos de riz, trois grenades, de nombreux documents, un drapeau, etc. Ainsi, les VM sont en train de se faire sérieusement étriller dans le coin et si parmi les résultats de ces accrochages, on voit rarement la récupération d’armes, ces destructions de cantonnement et ces embuscades fructueuses finiront peut-être par les démoraliser.

[…] Vers dix-sept heures quinze, des rafales de mitraillettes, VB et coups de fusils sont tirés à l’extrémité du village, du côté de Lo-Gom. Cela dure deux ou trois minutes, puis ça reprend dix minutes après. Cela a l’air sérieux et c’est certainement le Commando Noir qui est accroché une nouvelle fois. C’est l’heure de la radio, aussi j’avise Phuoc-Haï Sud avec qui je corresponds. Il me demande de faire une vacation supplémentaire à dix-huit heures quinze, pour les mettre au courant de ce qui se passe. Entre-temps, le Commando rentre au Poste et nous apprend qu’ils ont surpris trois VM en kaki, à l’extrémité du village, qui venaient dans leur direction. Le Commando venait juste de contrôler les pièces d’identité de civils coupant du riz. Ils ont tiré sur les VM qui se sont enfuis, perdant trois grenades FI., dont deux locales et une Française.

[…] Je mange […] et pars à dix-neuf heures quinze, alors que la nuit est tombée, avec un groupe de combat et FM. Le Commando Noir ouvre la marche et nous avons décidé, avant de partir, de ne pas aller sur la piste Buhl, comme l’ordre nous en a été donné et de rester en embuscade sur la lisière Sud du village, car les VM, si ils sont en nombre, pourraient fort bien nous tendre une embuscade que nous aurions du mal à déceler par cette nuit noire et nous préférons faire le chasseur que le lapin.

Nous nous plaçons aux dernières caï-nhas du village, en bordure de la piste Buhl (piste principale du Col de Long-My) […].

Vers vingt et une heure dix, alors que la nuit est assez sombre, je vois apparaître sur la piste que nous contrôlons, un homme habillé en noir, venant du centre du village et se dirigeant vers la sortie. Il est juste en face de mon groupe en embuscade et je m’étonne que personne ne tire. Sur le moment j’hésite et crois que c’est un membre du Commando venu en liaison. Alors que je suis à deux mètres de lui et que je me trouve dans un petit fossé au bord de la piste, je lui crie : « Halte ». Il ne fait pas un signe, ni un pas plus vite. C’est alors que j’aperçois un gros sac sur son dos, ce qui m’enlève tous mes doutes et je réalise que je suis bel et bien en face d’un VM. Celui-ci continue sa marche et va dépasser notre embuscade. Je réitère mon ordre, alors je n’ai plus un moment d’hésitation et lâche une rafale de mitraillette dans sa direction, ce qui déclenche une vive fusillade du groupe en embuscade. Le VM s’abat sur mon tir.

Pendant deux minutes, je ne sais pas si il y a d’autres VM, car tout le groupe tire, mais comme je sais qu’ils sont prodigues de coups de fusils, je fais cesser le tir et j’apprends qu’il y avait un autre type qui suivait à une quinzaine de mètres du premier et qui, en entendant ma rafale, s’est sauvé, alors qu’il n’était pas complètement engagé dans l’embuscade. Nous commençons à fouiller le terrain et sur le moment, ne voyant pas le VM abattu, je me demande ou il est passé. Je suis pourtant certain qu’il est tombé dès que j’ai tiré (il se trouvait à huit mètres de moi et si il n’avait pas été atteint par moi, il l’aurait été automatiquement par le FM, car il se trouvait juste dans son champ de tir.

Je trouve son sac, m’approche d’un gros tas de paille et entends ces mots prononcés en mauvais français : « Cep, c’est beaucoup mal la jambe ». Cette fois, mon lascar est découvert et nous le portons aussitôt dans une caï-nha qui se trouve à proximité pour le soigner et voir sa binette. Il a la jambe sérieusement atteinte par ma rafale de mitraillette (une balle dans le genou et une autre qui lui a traversé le mollet) et perd son sang en abondance. Nous lui faisons aussitôt un pansement sommaire et l’interrogeons. Il a toute sa lucidité et nous dit qu’il était en effet avec un autre. Quelle n’est pas la surprise de certains membres du Commando de reconnaître un ancien tirailleur de Dat-Do (boy d’un lieutenant Européen) qui avait déserté avec un fusil et cinquante cartouches, en 1947. Nous le fouillons et découvrons deux plis dans ses poches.

Sur le terrain, nous récupérons le paquet qui contient du ravitaillement, tissu et médicaments, mais nous ne retrouvons pas l’autre VM disparu et qui réussit à s’enfuir. Nous réquisitionnons deux coolies pour transporter le prisonnier dans un hamac et rentrons au poste à vingt-deux heures. Inutile de dire si il y a de la joie, car cette fois c’est le GVNS qui a réussi le coup. Le VM n’avait pas d’armes ni de grenades, déclare venir de Long-Dien, être parti de là-bas à dix-sept heures et se rendre à Phuoc-Buu. Les deux plis s’adressent à des habitants de Phuoc-Lang (village entre Phuoc-Trinh et Long-Dien) et signalent que la section du coin n’a pas encore emporté les trois blessés (un blessé par le Commando Noir de Dat-Do dans la montagne du Dinh-Co, un blessé par la section Lamlet, de Dat-Do dans la nuit de dimanche à lundi et un blessé hier par le Commando Noir de Dat-Do). Le prisonnier, ex-secrétaire de l’état-major VM à Phu-My, (au Nord de Baria) est âgé de vingt-trois ans et nous donne quelques précisions sur les VM qui circulent dans le coin.

Crispet est à son article et lui fait un pansement et des piqûres de camphre et de morphine. Il est assez gravement blessé, mais pas au point de faire déplacer une ambulance et des véhicules d’escorte, en pleine nuit. Il faudra qu’il tienne le coup et pourra s’estimer heureux d’être soigné comme ici. Depuis vingt-six mois que je suis dans le coin et que je fais patrouilles sur embuscades, ça fait tout de même plaisir d’en liquider un. […]

Mercredi 10 décembre 1952

Nous envoyons un demi-groupe avec le Commando Noir sur les lieux de l’embuscade, dans Long-My, pour récupérer les étuis des cartouches tirées hier soir et une grenade OF perdue par un soldat. Ils rentrent à huit heures, ayant retrouvé la grenade qui n’avait pas explosé. Au BQR du matin, passé à la radio à sept heures trente, je signale les résultats de l’embuscade et demande un véhicule pour transporter le Commando Noir et le prisonnier.

Vers neuf heures, le sergent-chef Vietnamien Bao, chef du service de Renseignements du quartier de Dat-Do, arrive au poste et nous apprend que le chef des Montagnards de Long-Nhuong (près de Long-Tranh) a été assassiné cette nuit dans le village de Long-Nhuong, au pistolet, ce qui a provoqué le tir d’artillerie du canon de 75 de Dat-Do entendu hier soir. Des signaux lumineux étaient aperçus aux abords du village. La population, placée sous la protection du poste de Long-Nhuong, est une tribu montagnarde Moï, des hauts plateaux de l’Annam, qui avait demandé à se rallier, étant sans cesse l’objet de représailles de la part des VM.

Nous apprenons d’autre part que le Commando de Renseignements du quartier de Long-Dien a tué un VM, en a blessé un autre et récupéré une mitraillette « Sten » hier, du côté de Dinh-Co et de la montagne de Phuoc-Trinh, derrière le village de Phuoc-Huong (entre Phuoc-Trinh et Long-Dien). Ainsi, ces petits commandos de renseignements, institués depuis peu de temps dans le sous-secteur Baria-Cap, font leurs preuves et infligent beaucoup plus de pertes aux VM que les unités régulières d’intervention qui opèrent en zone viet. C’est en somme la tactique des Viets qui est adoptée. Les VM ne doivent plus se sentir trop en sécurité dans le coin. Un camion de Dat-Do vient chercher le commando et le blessé à dix heures. Il sera temps que ce dernier arrive à l’hôpital, car sa jambe est sérieusement enflée et il boitera certainement toujours par la suite, s’il n’est pas amputé. […]

Samedi 13 décembre 1952

[Le garde Gallot participe à une opération organisée par le lieutenant-colonel Deleu dans la montagne].

Avant le départ, chaque section perçoit deux fusées destinées à être employées dans le cas où, au cours de l’embuscade, on se trouverait en présence des troupes inconnues qui peuvent être aussi bien des troupes amies que des troupes vietminh habillées comme nous. (Ces mesures sont prises à la suite d’un gros coup dur survenu dans le Sud-Vietnam pendant une opération : un commando a été décimé par une compagnie VM habillée exactement pareil que les unités qui participaient à l’opération et que le commando avait laissé approcher à proximité d’eux. Le chef de cette compagnie VM était habillé également en officier français (c’était un Européen passé aux Viets) et ils ont attaqué le commando qui n’a pas eu le temps de réagir et a perdu 27 hommes de mort et presque tout son armement).

Nous partons, la section GVNS en tête (deux groupes de Long-My et un groupe de Phuoc-Haï Sud) avec le sous-lieutenant Fardel, suivie de la section du sergent-chef Lamlet, de Dat-Do. Nous passons dans le village de Long-My, suivons la piste Buhl jusqu’à 600 mètres au-delà du village, puis coupons dans la brousse, en direction de la rizière de Long-Phu, entre la plantation Laurent au pied de la montagne et la rizière, au Sud du village de Long-My. Nous quittons la section Lamlet dès que nous nous engageons dans la brousse et ceux-ci occupent les pistes depuis la piste Buhl jusqu’à nous.

[Plusieurs emplacements de FM récemment creusés par le Vietminh sont découverts. Le garde Gallot reçoit l’ordre de placer deux groupes sur le bord de la piste qu’ils empruntent. Il découvre un abri vietminh inoccupé en plein marécage. Vers quinze heures, il entend une vive fusillade sur sa gauche].

[…] J’apprends que ce sont six Viets, portant des ballots et armés de 2 fusils qui sont apparus, longeant la brousse et se dirigeant droit sur l’embuscade tendue par le groupe de Long-My, à l’extrémité. Malheureusement, en arrivant à 40 mètres du groupe, le VM qui se trouvait en tête a dû apercevoir quelque chose d’insolite (probablement un homme du groupe de Long-My mal camouflé) et a averti ses collègues qui ont fait immédiatement demi-tour et se sont enfuis par le même chemin qu’ils venaient, salués par une vive fusillade de la part du groupe. Le sergent Nguyen-Van-Thoï, chef de ce groupe, se lance aux trousses des VM. Ceux-ci abandonnent leurs ballots et entraînent l’un des leurs certainement blessé. Ils s’engagent dans la brousse, dans le coin où j’ai découvert l’abri ce matin. Les ballots contiennent les paquetages des VM (habillement noir, ravitaillement, objets de toilettes, hamacs, etc.). C’est vraiment dommage que le groupe n’était pas doté d’un FM, car nous aurions peut-être pu descendre plus de Viets et il y en aurait peut-être qui seraient restés sur le carreau. Le groupe n’était doté que d’une arme automatique individuelle (le PM Mas 38 du sergent) qui s’est enrayée dès les premières cartouches. Comme les soldats ne sont pas de fins tireurs, ils n’ont réussi à abattre qu’un VM à 50 mètres en terrain découvert, alors qu’ils avaient tout le temps pour les mettre en joue. Comme le 24 juillet 1952 au cours d’une embuscade, nous avons raté des VM par la faute d’un soldat qui s’était mal camouflé ou qui a fait du bruit. Enfin, dans l’ensemble, les Vietnamiens n’ont pas mal marché et il ne faut pas encore se plaindre. […]

Le sous-lieutenant Fardel me demande de lui montrer l’abri VM découvert ce matin pour aller le détruire. Il est tellement bien caché que j’arrive difficilement à le retrouver. […]

Le sous-lieutenant Fardel nous recommande de nous éloigner, car il pourrait rester des projectiles dans le feu et bien nous en prend, car nous avons à peine fait vingt mètres, alors que la caï-nha est bien enflammée, que retentit une forte explosion provenant certainement d’une mine ou d’une grenade, cachée dans la toiture et que nous n’avions pas vue. […]

[…] Nous rentrons à dix-sept heures trente, à Long-My, pour retrouver le Lt-colonel Deleu, commandant du sous-secteur de Baria et qui dirigeait les opérations du poste, une partie de la journée. Nous n’avons presque pas marché et ne sommes pas beaucoup fatigués. Les résultats, si ils sont minimes sont tout à l’honneur de la GVNS. […]

Lundi 15 décembre 1952 (100 au jus…)

[…] Le soir, à dix-sept heures quarante-cinq, je pars avec Crispet et deux groupes pour coller des affiches enjoignant à la population de Long-My de fournir quatre photos d’identité et les laissez-passer dans les cinq jours qui suivent, sous peine d’être emprisonnés. Pendant que je me place en embuscade avec cinq soldats à la lisière Sud-Ouest du village, Crispet, avec le groupe et demi qui reste (réparti en trois équipes) ramassent les laissez-passer des habitants et collent des affiches aux carrefours des pistes, dans le village de Long-My. Les chiens hurlent et signalent le passage des équipes dans le village.

Le contrôle de la population sera plus facile, un fichier va être constitué et chaque famille sera astreinte à coller une affiche dans les habitations avec le nom de ses occupants. Les groupes rentrent vers huit heures trente et, ne me voyant pas rentrer, tire trois coups de fusil, signal pour rejoindre le poste. Je suis bien placé en embuscade et ça m’ennuie de quitter l’embuscade surtout que c’est à cette heure que les VM entrent dans le village. Finalement, une nouvelle série étant tirée du poste, je n’insiste pas et rentre au poste à vingt et une heure. R.A.S. 170 laissez-passer sont ramassés et classés pour être envoyés au PC sous-quartier à Phuoc-Haï pour être renouvelés.

Jeudi 18 décembre 1952

[…] Vers dix heures quinze, Navari, du PC Long-Dien, nous apporte du ravitaillement et du riz pour les autochtones. […]

Avec Navari arrive le GR Busquet, Normand d’origine, marié, un enfant, auparavant à l’escadron de Romans (8e légion de GR) ex-copain d’esc. de Crispet. Il a déjà quatre mois de séjour et était auparavant à Can-Ghioc (près de Saïgon) dans un groupe de compagnies GVNS qui vient d’être entièrement jauni (encadrement vietnamien). Nous apprenons qu’un partisan du poste de la Délégation militaire de Long-Dien s’est tué cette nuit en dégoupillant une grenade au cours de sa faction, alors qu’il était ivre.

[…] À dix-huit heures, j’apprends par un soldat de Long-My descendu en permission à Baria qu’un gros coup dur viendrait d’atteindre une nouvelle fois le 7e groupe de compagnies de la garde du Viet-Nam Sud de Long-Dien. Un dodge 4x4 de Long-Dien qui assurait une liaison au poste GVNS (pas encore relevé par la coloniale) de Long-Phuoc aurait sauté sur une mine et le Mdl/Chef Cornebois et le GR Croguennec (chef de poste du poste de Long-Phuoc) seraient tués, ainsi que plusieurs autochtones. Aucune précision pour l’instant sur ce gros coup dur qui nous endeuille une nouvelle fois. […]

Vendredi 19 décembre 1952

[…] Cette fois, la triste nouvelle d’hier soir nous est confirmée et même amplifiée à la radio, à la vacation de sept heures quarante avec le PC du sous-quartier de Phuoc-Haï Sud. Nous sommes en effet avisés de nous tenir prêts, à un Européen en tenue de ville, pour être pris en camion à huit heures trente pour assister aux obsèques de l’adjudant-chef Caillot, du Mdl/Chef Cornebois et du garde Croguennec.

C’est avec émotion que nous recevons ce message qui nous atteint tout particulièrement, puisque ce sont des gradés que nous voyions fréquemment en liaison, au poste. À huit heures trente, le GR Busquet, nouvellement affecté au 7e groupe de Long-Dien, arrive avec un camion et Crumbach, venant du poste Sud de Phuoc-Haï et passe me prendre au poste de Long-My. Nous filons sur Long-Dien en passant par Dat-Do. Cela fait au moins six mois que je n’étais pas passé sur cette route. Il est malheureux que ce soit dans de telles conditions que je la revois.

Nous arrivons à Long-Dien vers neuf heures, trouvons tout le monde en grande tenue, Wattecamps avec un piquet d’honneur de GVNS de Long-Dien (20e compagnie). J’apprends que c’est hier matin, à dix heures trente, que le 4x4 transportant les trois Européens, un sergent, un caporal-chef, un caporal et un soldat vietnamien et deux femmes et trois enfants, a sauté sur la mine. Ce véhicule revenait du poste de Long-Phuoc et ramenait, entre autres, le GR Croguennec, chef de poste de ce poste, qui n’avait pas redescendu en ville depuis six mois et qui partait en permission. Après avoir dépassé le carrefour de Long-Xuyen (sur la route Bara - Binh-Ba) et revenir vers Long-Kien (poste tenu par les Cao-Daïstes). En arrivant sur une portion de route ouverte régulièrement le matin par les Cao-Daïstes, le 4x4 saute. À voir ce qu’il en reste (il est ramené à Long-Dien et je puis le voir dans la cour du poste), on peut se rendre compte de la violence de l’explosion. Tout l’avant du 4x4 est intact jusqu’au pare-brise, le reste est littéralement volatilisé, la caisse disparue et il ne reste que des morceaux du pont arrière et des deux roues.

Les douze occupants du véhicule ont été soufflés à trente ou quarante mètres du lieu de l’explosion et le véhicule à vingt-cinq mètres. Seul l’adjudant-chef Caillot vivait encore, moitié de la face emportée et une Vietnamienne qui avait les seins ouverts et est morte un quart d’heure après. L’adjudant-chef a été transporté immédiatement à l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques et est mort en arrivant, sans avoir repris connaissance. Le GR Croguennec était le plus atteint, littéralement déchiqueté. On comprendra la violence de l’explosion en sachant que le corps du Mdl/Chef Cornebois (difficilement reconnaissable) a été retrouvé à 25 mètres du lieu de l’explosion, derrière un gros arbre, ce qui laisse supposer que son corps a fait une trajectoire au-dessus de l’arbre (de 20 mètres de hauteur). Un corps a été retrouvé dans un arbre, à 15 mètres de haut, dans les branches. […]

Avec tous les gardes Européens du PC Long-Dien, ainsi que des postes GVNS voisins (il ne reste qu’un GR par poste), nous partons vers neuf heures trente pour Bara, où ont lieu les obsèques et sommes dirigés directement à la morgue. Déjà, plusieurs officiels sont sur place. Le corps de l’adjudant-chef Caillot vient d’être ramené du cap Saint-Jacques pour être enterré avec ses camarades d’infortune.

Un détachement d’honneur de GVNS en grande tenue, sous le commandement du GR Wattecamps, est rangé en ligne de chaque côté de l’entrée de la morgue et présente les armes chaque fois qu’un officiel se présente. Les corps sont rangés côte à côte, les Européens recouverts du drapeau tricolore d’un côté et les Vietnamiens recouverts du drapeau vietnamien de l’autre. À onze heures, le Lt-colonel, commandant le sous-secteur Baria-Cap (Deleu) arrive, suivi de l’administrateur Vietnamien de la Province de Baria et du capitaine aumônier du cap Saint-Jacques. Celui-ci donne l’absoute et la levée des corps a lieu à onze heures cinq. Le convoi mortuaire traverse une partie de la ville sous le regard fermé des civils, parmi lesquels certainement des VM qui se gardent bien de montrer leur joie (ils n’ont pas de difficulté pour connaître nos pertes, alors que nous ignorons les trois quarts du temps lorsque nous les accrochons, si ils ont des blessés ou des morts).

Deux dodge 4x4 du sous-secteur transportent les corps des trois Européens et d’une femme et d’un enfant catholiques jusqu’à l’église où a lieu une bénédiction. Les autres cercueils ne vont pas jusqu’à l’église et sont transportés dans un GMC qui se sépare du convoi et l’attend en ville pour se joindre de nouveau à lui, lorsque nous irons au cimetière. […]

La chaleur se fait sentir. Au cimetière, les corps des cinq civils (trois femmes et deux enfants) sont transportés dans le cimetière civil attenant au cimetière militaire, cependant que les corps des Européens sont transportés dans un tertre du cimetière réservé à eux et que les cercueils des autochtones sont placés en bas. Depuis l’enterrement du Mdl/Chef Piccard, le 19 juillet 1951, je ne suis pas venu dans ce cimetière et puis constater qu’il est malheureusement sérieusement rallongé depuis, bien que des corps soient exhumés de temps en temps pour être rapatriés en France. […]

Dimanche 21 décembre 1952

Dat-Do transporte six camions de piquets à Phuoc-Haï Sud, le matin. Crispet accompagne également l’ouverture de route de Phuoc-Trinh le matin, car les groupes ont pris la mauvaise habitude de ne pas l’ouvrir jusqu’à la limite exacte du sous-quartier de Phuoc-Haï avec celle du sous-quartier de Long-Dien et Douillard qui ouvre cette portion de route, me l’avait fait remarquer, aussi Crispet va leur montrer la limite exacte. Je suis persuadé que les sous-officiers Vietnamiens qui accompagnent les groupes en ouverture de route savaient parfaitement la limite, mais par paresse et inconscience, ils n’allaient pas jusqu’au bout, se souciant peu si il y aurait une mine à cet endroit. L’exemple des dégâts que ces explosifs peuvent faire n’est pourtant pas si loin et ils devraient tout de même faire attention. Dire que si on n’est pas sans cesse derrière eux, ils font leur travail à moitié. Repos la journée pour tout le personnel. Écritures pour passer le temps. […]

Lundi 22 décembre 1952

[…] Je fais établir le service de protection du poste de nuit, rigoureusement comme il doit être fait, alors que je ne suivais pas les notes formelles à ce sujet pour leur alléger le service. À partir de cette nuit, en plus des trois sentinelles fixes placées chacune dans les trois blockhaus d’angles du poste, j’institue une ronde permanente de deux soldats à l’extérieur des défenses, entre le réseau de barbelés et les fossés. Au lieu de prendre le service de garde de nuit, une nuit sur trois, ils le prendront une nuit sur deux, ce qui n’empêcherait pas les patrouilles et embuscades comme à l’habitude. Ils n’auront pas à se plaindre car les notes émanant du commandant de la zone Est prescrivent qu’un poste d’une section (ce qui est le cas pour nous) doit fournir une ronde permanente d’un gradé et trois soldats dans les défenses extérieures, en plus des sentinelles fixes. Si j’appliquais ces mesures, ils ne dormiraient plus de la nuit.

Pour qu’ils ne refusent pas de prendre ces gardes, je fais lire les notes de service le prévoyant, aux trois sergents autochtones du poste pour qu’ils voient que ça ne vient pas de moi et que si ils ne marchent pas, ils sont passibles de faire de la tôle pour insoumission. Au rapport à dix-huit heures, je leur fais commenter ces notes et, à part deux ou trois meneurs, les autres regrettent déjà ce qu’ils ont fait (ou plutôt ce qu’ils n’ont pas fait). […]

Mercredi 24 décembre 1952 (27 mois)

À deux heures, je vais avec un groupe sans FM au Terme Sud, en bordure de la route Long-My - Phuoc-Trinh à la limite du sous-quartier de Phuoc-Haï, jusqu’au lever du jour à six heures trente. Contrôle de gardiens de canards logeant à la belle étoile à trois cents mètres de l’embuscade (et qui gardent 5000 canards dans la rizière pour un éleveur de canards d’An-Ngaï (partie Est de Long-Dien). Contrôle également de femmes de Long-My qui se rendent au marché de Long-Dien, à 8 kilomètres avec une charge de 30 kilos de légumes (principalement des navets) qu’elles portent dans leurs balancelles tous les jours au matin. Je leur rappelle qu’il est interdit de circuler avant le couvre-feu et comme nous les contrôlons à six heures et que le couvre-feu est fixé à cette heure, elles sont parties avant le couvre-feu. Ouverture de route de Phuoc-Trinh au retour. R.A.S.

Crispet se rend à Phuoc-Haï à pied le matin. L’après-midi, visite du commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï, accompagné de l’artilleur de Dat-Do, qui nous apportent des cadeaux de Noël offerts par le commandant de quartier (capitaine Bonvalet). Il a pensé à tout le monde : de la bière pour les soldats autochtones (bière de France, très chère en Indochine), vin rosé et cognac pour les gradés vietnamiens, champagne et biscuits pour les Européens, plus un petit paquet et une enveloppe à ouvrir à minuit une. Nous attendrons stoïquement jusqu’à cette heure et vaincrons notre curiosité.

Le soir, en attendant minuit, Crispet va faire une embuscade dans Long-My avec un groupe de vingt heures trente à vingt-quatre heures. Le matin, j’étais occupé à classer les laissez-passer et photos d’identité des habitants de Long-My pour les envoyer à Phuoc-Haï Sud pour être renouvelés. […]

C’est donc le troisième Noël que je passe en poste. […]

Nous ouvrons le fameux colis reçu cet après-midi et trouvons dans une enveloppe, une carte de vœux de Noël en provenance du commandant de quartier de Dat-Do et chacun un paquet à notre nom. Crispet trouve une jolie montre-bracelet. Pour ma part, c’est un nécessaire à fumeur dans un écrin, style cambodgien (fume-cigarette - porte-cigarettes et briquet). Le geste est très chic de sa part et nous n’en aurions certainement pas eu autant du commandant de quartier de Long-Dien. Nous buvons tous deux à sa santé, la bouteille de champagne accompagnée de biscuits. Puis ce réveillon est terminé pour nous. Il aura été bien simple, mais nous commençons à en avoir l’habitude et nous aurons eu la joie de voir que nous n’étions pas oubliés. […]

Vendredi 26 décembre 1952

À neuf heures quarante-cinq, un sous-officier de Dat-Do vient nous avertir en jeep de prévenir immédiatement la population de Long-My qu’elle se rende à Cho-Bo-Dap de suite pour entendre le chef de province Vietnamien de Baria qui doit les haranguer au sujet des futures élections. Aussitôt, j’envoie deux demi-groupes en patrouille dans le village, sous les ordres de gradés vietnamiens, lesquels rentrent à onze heures trente. Finalement, nous apprenons que ça ne concernait pas les habitants de Long-My, jugés probablement insuffisamment pacifiés.

La plupart des habitants s’y étaient rendus. […]

Samedi 27 décembre 1952

Aujourd’hui, repas d’adieu du capitaine Faure, notre commandant d’unité depuis près d’un an (7e groupe de compagnies GVNS de Long-Dien et commandant de ce quartier). Je vais donc passer sous le commandement d’un quatrième commandant d’unité (capitaine Hourmant). Les officiers et sous-officiers Vietnamiens offrent ce repas. […]

Dimanche 28 décembre 1952

[…] Visite du Mdl/Chef Briois et du GR Tennier (à présent au poste de la Délégation militaire à la place de Gelle qui l’a relevé à Phuoc-Trinh) tous les deux à Long-Dien. Ils viennent de faire une tournée pour visiter les tours du quartier de Long-Dien, notamment la tour d’An-Nhut, où un partisan avait l’intention de déserter. La nuit précédente, un partisan de la tour d’An-Ngaï Sud (partie Est de Long-Dien) a déserté avec un fusil. Décidément, cette armée à la Bourbaki nous coûte cher en arme. C’était des partisans du poste de la Délégation militaire de Dat-Do.

Il en va de même pour les unités Cao-Daïstes à qui l’armement de l’Union Française va leur être retiré sur ordre du général Bondis, gouverneur militaire du Sud-Vietnam. Toutes ces unités de supplétifs ne font pas partie de l’armée régulière vietnamienne et ne sont pas considérées comme militaires, mais comme Forces de police. Ils sont pressés de plus en plus pour s’intégrer dans l’armée régulière vietnamienne et marcher plus sérieusement avec nous, car il arrive qu’ils se mettent avec les VM pour nous tirer dans le dos, alors qu’ils nous font des grands sourires par-devant. […]

Lundi 29 décembre 1952

[…] Un camion de Dat-Do amène le sous-lieutenant Fardel, commandant du sous-quartier de Phuoc-Haï à dix heures, au poste de Long-My, lequel nous donne l’ordre d’envoyer deux groupes en patrouille dans Long-My et de rafler tous les habitants pour les ramener au poste, afin d’y voir clair au sujet de ce recensement et renouvellement de laissez-passer qui traîne en longueur (bien malgré nous). Il mange avec nous à midi, repart à Dat-Do ensuite pour faire signer les nouveaux laissez-passer déjà établis après des notables de Phuoc-Haï et revient au poste après pour rester jusqu’à dix-huit heures. La plus grande partie des habitants est rassemblée et les nouveaux LP sont distribués. […]

Mardi 30 décembre 1952

De trois heures trente à sept heures, embuscade dans Long-My et ouverture de route de Cho-Bo-Dap au retour. R.A.S. […] Paperasserie de fin de mois. Cahier de poste qui passe dans les mains des commandants de sous-quartier Phuoc-Haï, de quartier Dat-Do et de sous-secteur Baria-Cap, état munitions, armement, situation des familles, etc. […]

Jeudi 1er janvier 1953

[…] Échange de vœux avec les sous-officiers européens et vietnamiens du poste de Dat-Do et le capitaine Bonvalet. Visite d’une partie du village de Dat-Do, comparable à Long-Dien par son marché couvert et sa maison commune et ses magasins chinois, mais différent par sa végétation très dense, sa verdure et sa terre très rouge (ocre). À onze heures, grande réception dans l’ancien marché de Dat-Do, aménagé et décoré à cet effet (en face le poste militaire de Dat-Do, de l’autre côté de la route). […]

Pendant deux heures, ce ne sont que discours, échanges de vœux, chants français et vietnamiens, scénettes faites par des hommes du commando noir, etc. tout en sirotant un cocktail « maison » fabriqué par le capitaine Bonvalet, avec des quartiers de mandarines et un amalgame de boissons alcoolisées, le tout servi très frais et consommé avec des petits gâteaux. Bref, il y a une bonne ambiance et il reste à souhaiter que cette collaboration au cours de cette fête soit aussi durable, le lendemain, entre civils et militaires pour faire la chasse aux Viets. Il faut reconnaître que le capitaine Bonvalet est très dynamique et très diplomate et qu’il a compris que le meilleur moyen de rallier la population est de rester ferme avec eux, tout en collaborant étroitement avec. Et on en verra les résultats un mois plus tard, au cours des élections. Nulle part dans le sous-secteur de Baria-Cap, il n’y aura eu autant d’électeurs que dans le quartier de Dat-Do. Et pourtant, il ne ménage pas la population. Pour la rallier, il la réquisitionne à tout bout de champ, arrête les éléments douteux, tout en restant très correct avec la population qui marche avec nous. Finalement, elle demande à être protégée et commence à nous fournir des renseignements (exemple : le village d’Hoï-My qui était tiraillé par les VM et par nous et qui n’est plus inquiété depuis qu’il est regroupé). Par contre, à Long-My, à 1500 mètres de ce village, la population qui continue à ravitailler les VM est sans cesse en butte à des réquisitions de coolies et à des rafles de personnes. Un jour ou l’autre, la population de ce village acceptera d’être regroupée à proximité du poste de Long-My et commencera à fournir des renseignements. Il est évident que la population préfère être de notre côté, car ils ont vécu sous la coupe VM et savent de quelle manière on y vit. L’argent Ho-Chi-Minh n’a aucune valeur, les récoltes sont réquisitionnées dès qu’elles sont récoltées, les médicaments font défaut et ils sont en butte à l’aviation qui vient les mitrailler et aux opérations effectuées par nos troupes, au cours desquelles leurs animaux sont abattus et leurs villages flambés. Par contre, en zone contrôlée, dès qu’ils sont regroupés à proximité des postes, des maisons communes sont édifiées, marchés, écoles, etc. Ils vivent dans la quiétude (troublée cependant de temps en temps par les incursions VM… mais c’est alors à eux de nous renseigner) des dispensaires de la Croix-Rouge qui sont créés pour les soigner. […]

Dimanche 4 janvier 1953

Un camion de Baria vient chercher des pierres à proximité du poste de Long-My à sept heures trente. Deux touques d’essence gélifiée (napalm) nous sont apportées le matin, destinées à être posées de chaque côté du poste à un minimum de soixante mètres du poste proprement dit, de manière à être employée pour briser un assaut, en cas d’attaque du poste, au moyen d’une mise à feu électrique. Ce produit brûlerait, paraît-il, pendant 20 minutes, ce qui ferait une barrière de feu difficile à franchir pour les Viets et éclairerait les défenses. Nous ne pouvons malheureusement pas le poser pour l’instant, car il se trouverait à l’extérieur des défenses (celles-ci étant concentrées autour du poste proprement dit) et, par nuit très noire, les VM pourraient venir nous le prendre ou couper le fil électrique qui le relie au poste. Il faudra que nous trouvions un moyen pour le piéger. […]

Mercredi 7 janvier 1953

À sept heures quinze, nous sommes à la morgue où les camions du sous-secteur Baria-Cap attendent pour transporter les cercueils et les mener à l’église pour une simple bénédiction. Cette fois, les cercueils sont potables, zingués à l’intérieur, cerclés et scellés.

De nombreuses délégations assistent à cette cérémonie toute simple. Puis les corps sont ramenés à la morgue où les cercueils sont placés dans des caisses pour le transport en France. À neuf heures quarante-cinq, un convoi formé par les deux camions transportant les cercueils, d’autres véhicules transportant les diverses délégations, le tout escorté par deux Blindés du 2e Spahis de Baria se rend au port d’embarquement de Rach-Dua (à 6 kilomètres avant la ville du cap Saint-Jacques). Le transport, jusqu’à Saïgon sera effectué par la chaloupe Pursay où les cercueils seront transbordés sur un navire de haute mer, pour être rapatriés en métropole. Une section de la 2e compagnie du 65e BVN de Baria, sous les ordres du sergent-chef Rigoulot, rend les honneurs, pendant que nous transbordons les cercueils dans les cales de la chaloupe.

Nous pensons une nouvelle fois à ces trois camarades qui ne pensaient certainement pas à un rapatriement dans de telles conditions. […]

Vendredi 9 janvier 1953

Travaux habituels aux barbelés et fossés. L’après-midi, visite du capitaine Bonvalet qui nous apprend que le poste de Long-Nhuong (où je suis allé au 1er janvier 1953) a été attaqué avant-hier par une compagnie VM, munie d’échelles pliantes pour traverser les barbelés et défenses. Deux VM ont été tués dans les barbelés, huit grenades, un poignard et des échelles ont été récupérés.

Dès que l’alerte a été donnée par une sentinelle qui a aperçu un VM dans les défenses du poste, celui-ci a riposté alors que les VM, se voyant décelés, tiraient au mortier de 60mm sur le poste. Un obus de mortier est tombé sur le réduit en dur, traversant les deux chambres des Européens, sans exploser. Il était grand temps que le poste réagisse, car les VM, qui venaient vraisemblablement de la zone rebelle voisine, étaient nombreux et avançaient déjà dans les défenses. Ce poste, tenu par une compagnie de supplétifs sous les ordres d’un adjudant Européen et d’un caporal-chef Français, est souvent harcelé. Dernièrement, c’était une ouverture de route de ce poste qui perdait un homme, un prisonnier et un fusil. Cette fois, les VM ont raté leur coup et espérons que ça leur donnera à réfléchir. […]

Mardi 13 janvier 1953

[…] Le commandant de quartier de Dat-Do (capitaine Bonvalet) prend des dispositions pour le regroupement du village de Long-My qui doit avoir lieu incessamment (la semaine prochaine). Il va encore y avoir un gros travail à fournir pour le piquetage et le tracé du nouveau village et l’édification d’une maison commune (école – hall d’information – bureau des notables et logement des notables). […]

Mercredi 14 janvier 1953

[…] Dans la matinée, je cours 400 mètres à travers la rizière avec cinq hommes pour poursuivre deux hommes aperçus, traversant la rizière avec une démarche suspecte. Nous nous lançons à leurs trousses et les contrôlons, mais ce ne sont que deux habitants de Long-My qui se rendent à Long-Phu. Toute la journée, nous entendons le bruit des charrettes, les coups frappés pour démanteler les maisons et le bruit des moteurs de camions qui aident au déménagement (camion du sous-secteur de Baria - cap). […]

Samedi 17 janvier 1953

Le dernier arbre qui se trouvait à l’intérieur des défenses est abattu. Nous ne l’avions pas abattu, car il se trouvait en plein milieu du réseau de barbelés et il nous a fallu démonter celui-ci pour pouvoir l’abattre. À présent, il ne reste plus aucune verdure dans le poste. La peinture à la chaux de tous les piquets des barbelés continue. Si ce n’est pas bien au point de vue camouflage, il faut reconnaître que ça fait plus propre et que la visibilité est meilleure la nuit (le blanc reflétant à la lumière des torches des sentinelles). Par exemple, il est à prévoir que dès les premières pluies, la chaux va s’en aller et qu’il ne sera pas possible de les tenir blanc à la saison des pluies. Enfin, d’ici là, je serai en France. […]

Dimanche 18 janvier 1953

Comme convenu, dès sept heures, les habitants du village de Long-My arrivent pour que je leur désigne le lot de terrain, de manière à en caser le plus possible dans le moins de place possible, afin que la protection soit plus facile. Ce n’est pas un petit labeur. […]

Dans du terrain jardiné auparavant et à la place des clairières, le sol est propre, mais à l’endroit de la brousse, débroussée dernièrement, il reste énormément de culées et de broussailles, aussi lorsque j’arrive à un terrain propre, j’ai beaucoup d’amateurs pour le prendre, mais lorsque je suis dans la broussaille, je ne vois plus personne autour de moi. Je procède de la façon suivante. Je commence au plus près du poste, suivant la limite prévue (80 mètres du poste, parallèlement à celui-ci) et avec un bâton de deux mètres me servant de mètres, je demande à l’indigène combien il possède de bœufs et buffles et combien il veut de surface de terrain. En suivant une limite fixée soit pour la lisière du futur village, soit pour la limite des rues, je mesure 15 ou 20 mètres suivant l’importance de terrain demandé par l’autochtone du village. Je ne me base que sur la limite et ne me soucie pas de la profondeur (en longueur) de terrain qu’ils veulent. Nous avons fixé les rues à 40 mètres les unes des autres, approximativement, ce qui permet de faire deux maisons dans la largeur.

Dès que j’ai mesuré dix, quinze ou vingt mètres de terrain, je place un jalon et continue en suivant la limite. Par moments, je tombe sur du terrain potable où j’ai de nombreux clients, mais lorsque j’arrive dans la broussaille, il me faut tempêter pour réussir à trouver des acquéreurs. Il faut que j’en désigne d’office, mais lorsque j’arrive à nouveau dans du bon terrain, le type à qui j’ai donné un mauvais lot se retrouve derrière moi et comme je ne prends pas le temps d’inscrire les noms des propriétaires, je lui en attribue un à nouveau, mais dans du bon terrain. Finalement, lorsque j’aurai placé les trois quarts de mon monde, je m’apercevrai que certains coins de broussailles ne sont pas occupés, alors que quelqu’un était désigné pour y venir. Bien entendu, si on ne désigne que les bons terrains, on va encore s’étendre sur le double de surface qu’il faudrait et le regroupement du village n’aura plus sa raison d’être. D’autre part, puisque nous tombons dans le village actuel de Bau-Sang, certaines habitations construites dans les limites du nouveau village ne bougent pas de place, par contre, il est difficile de faire déménager des maisons qui se trouvent à trente ou quarante mètres à l’extérieur des limites du nouveau village et les habitants viennent réclamer sans cesse pour une de ces choses ou pour une autre. Comme le terrain ne coûte pas si cher ici qu’à Paris, je suis tout de même assez large et ils auront de quoi se retourner. Par exemple, lorsque j’arrive à l’emplacement d’une ancienne pagode ou de vieilles tombes, personne ne veut se placer à cet endroit, car ils sont très superstitieux et craignent les mauvais génies. Finalement, je réussirai à caser deux vieux bonzes à l’emplacement des pagodes et laisserai un terrain où se trouvent des tombes au milieu du futur village.

[…] À la fin de ce dimanche bien chargé, j’ai réussi à caser tant bien que mal la moitié des caï-nhas du village de Long-My, dans la presque totalité du terrain désigné par le commandant de quartier de Dat-Do, pour caser les propriétaires de bétail. Il faudra donc aller plus loin que nous avions prévu. Déjà, quelques matériaux sont acheminés vers le terrain dans la journée. […]

L’essentiel, c’est que la population semble avoir répondu d’emblée à notre ordre de venir repérer leurs emplacements et n’est pas trop réticente pour changer ses habitations de place. De nombreuses personnes travaillent à nettoyer leur lot de terrain pour y construire leur maison. […]

Mardi 20 janvier 1953

[…] Le soir, après avoir passé pratiquement toute la journée sur l’emplacement du nouveau village et avoir distribué à nouveau des lots de terrain, en s’éloignant toujours un peu plus du poste vers Cho-Bo-Dap, au milieu d’un nuage de fumée dégagée par les feux de broussailles, j’ai le plaisir de voir l’édification de plusieurs caï-nhas et un grand nombre de silos à paddy, première chose transportée par les habitants. Tout le monde travaille, les hommes, les femmes et jusqu’aux enfants qui transportent deux ou trois tuiles dans leurs balancelles ou un objet quelconque. Des menuisiers des villages environnants viennent aider certains habitants de Long-My à reconstruire leur habitation. Certains propriétaires possèdent plusieurs maisons à Long-My et n’en reconstruisent qu’une, aussi des files de charrettes à bœufs de Long-Dien ou des villages environnants viennent les chercher pour des Annamites qui les ont rachetées.

Les pistes étant trop étroites dans le village et celui-ci étant peu éloigné du nouveau village, il n’y a pas de camions de fournis par le sous-secteur de Baria-Cap pour les aider à déménager. Tous les matériaux lourds, charpente et tuiles, sont transportés par les charrettes à bœufs. Certains habitants seront un peu plus longs pour déménager, car ils ne possèdent pas d’attelages, mais ils louent des charrettes fournies par les habitants du nouveau village de Hoï-My. C’est une véritable fourmilière qui travaille et circule sur l’emplacement du nouveau village. […]

Mercredi 21 janvier 1953

Travaux habituels au poste. Patrouille d’un groupe dans Long-My assurant la protection du déménagement de Long-My toute la journée. Sur ordre du commandant de sous-quartier de Phuoc-Haï, je constitue un commando de renseignements constitué par un caporal et quatre soldats GVNS de Long-My qui ne feront aucune corvée, ni n’assureront pas la garde, mais seront sans cesse en patrouille dans les parages du poste et principalement dans le village pour tenter de recueillir des renseignements sur l’activité VM près des habitants. Je choisis cinq hommes sérieux, car il ne s’agit pas qu’ils en profitent pour s’amuser avec la population, sans rien faire. Il ne s’agit pas non plus qu’ils aient peur et n’osent pas effectuer ce travail. Ils s’habillent en civil et porteront le nom de commando noir. […]

L’armée vietnamienne est équipée par l’Amérique et depuis quelque temps, perçoit un important matériel. Alors qu’au PC du groupe de compagnies GVNS à Long-Dien, nous ne disposions que de deux camions, nous avons 4 GMC neufs, deux 6x6, un 4x4 et plusieurs jeeps. Tout ce matériel est tout neuf. Le 4x4 qui a sauté sur la mine le 17 décembre 1952 et qui a été totalement détruit, sortait juste de rodage et était tout neuf. Dans les autres unités vietnamiennes, c’est pareil. Si ça continue, ils seront mieux armés que les unités constituées de l’Union française (Légion étrangère, Goums et Tirailleurs Marocains, Parachutistes, etc.). Pourvu que ça ne leur serve pas à nous mettre à la porte un de ces jours. […]

Dimanche 25 janvier 1953

Pour la première fois en Indochine, des élections municipales ont lieu dans certaines localités du Sud-Vietnam et du reste de l’Indochine. Seuls les villages ralliés depuis un certain temps y participent, ce qui fait que le village de Long-My n’y participe pas, alors que les habitants de Hoï-My, à 500 mètres, vont voter. Les candidats notables, qui assumeront les délicates fonctions de maires et conseillers de ces villages ne sont pas légion, craignant les représailles de la part des VM, aussi, le commandant de quartier de Dat-Do, secondé par le chef de canton de Phuoc-Huong-Thuong, dont font partie les villages du quartier de Dat-Do, en désignent d’office pour se présenter. Pour leur inspirer confiance, nous assurons la protection des villages, car les VM ne vont pas manquer de venir semer la perturbation. Les trois demi-groupes du poste, partis en embuscade hier soir, restent toute la journée jusqu’au dépouillement du scrutin qui doit avoir lieu à seize heures au nouveau village de Hoï-My. […]

Lundi 26 janvier 1953

Promenade habituelle dans le nouveau village, le matin et l’après-midi, alors que Crispet accompagne le groupe en patrouille de protection du déménagement, le matin et l’après-midi, dans l’ancien village. Cette fois, nous pouvons nous promener sans crainte dans le nouveau village (à Bau-Sang). Il n’est pas éloigné du poste et le groupe en assure la protection. À présent, il ne me suffit plus que de veiller à ce que les habitants de Long-My ne construisent par leur habitation en plein milieu d’une rue, car celles-ci ne sont délimitées que par des jalons peints en blanc et il est facile de les déplacer. Mais, ça va, nos charpentiers sont assez disciplinés et je m’entends assez bien avec eux, d’autant plus que je les connais pour la plupart par leur nom à force de les voir sur les laissez-passer, lorsque nous les réquisitionnons comme coolies et lorsque je leur ai attribué un lot de terrain dans le nouveau village. C’est dommage, à présent que je commence à bien les connaître, je vais quitter le coin dans un mois. […]

Nous apprenons que 85 % d’électeurs ont voté dans l’ensemble du quartier de Dat-Do, ce qui est une belle réussite, pour la première fois. Il est vrai qu’ils étaient un peu forcés, les habitants de ces villages étant refoulés s’ils tentaient de sortir des villages. Par contre, à Long-Dien, où rien n’avait été fait, les élections n’ont pas eu lieu. […]

Jeudi 29 janvier 1953

[…] J’apprends que plusieurs nouveaux débarqués de France sont affectés au 5e Groupe de Cies GVNS de Long-Dien. L’un d’eux serait affecté à Long-My et un autre au poste Sud de Phuoc-Haï. Au point de vue jaunissement, c’est plutôt le contraire. Le commandant de quartier repasse à douze heures quinze et m’avise qu’il me faut fournir un groupe, avec Crispet et Baudry (comme punition) pour faire une patrouille de reconnaissance dans la brousse, à l’Ouest et au Sud de Long-My, pour tenter de contacter la section VM repérée dans le coin. Auparavant, un tir d’artillerie de Dat-Do sera effectué.

À treize heures quinze, ce tir au canon de 75 a lieu sur les carrefours de piste, au pied de la montagne. Puis la section d’intervention GVNS de Phuoc-Haï arrive, commandée par un adjudant Vietnamien. Avec elle se trouve le GR Viard, nouvellement affecté au poste Sud de Phuoc-Haï et qui effectue sa première sortie en brousse. La section renforcée par le groupe de Long-My part presque aussitôt en suivant la route de Phuoc-Trinh pendant 400 mètres et en obliquant vers la montagne pour contourner le village de Long-My de loin.

Les travaux à la maison commune se poursuivent et la couverture en tôle ondulée est posée. Retour du groupe de Long-My avec Crispet et Baudry, à vingt heures quinze, laquelle s’est fractionnée avec la section d’intervention de Phuoc-Haï pour regagner son poste chacun de son côté. À part un petit dépôt de paddy (vide) dans la brousse, au Sud de Long-My, qu’ils ont détruit, ils n’ont rien découvert de spécial. La section a dû se réfugier dans la montagne.

Lundi 2 février 1953

Même travaux qu’hier qui se poursuivent activement. Mais aussi, quels cris et démarches il faut faire pour décider les habitants du village à abandonner leur travail personnel pour la construction de leurs caï-nhas dans le nouveau village et travailler pour la collectivité. En effet, cette large aire débroussée sur trois cents mètres autour de leur village facilitera la protection de celui-ci et nous permettra de mettre moins d’hommes pour les embuscades (la partie la plus éloignée du village à l’opposé du poste sera de 450 mètres environ). Bien entendu, c’est assez ennuyant pour les habitants de travailler ailleurs que pour eux, alors que beaucoup n’ont pas encore construit leur habitation et dorment à la belle étoile. Heureusement que nous sommes en saison sèche et qu’il ne pleut pas. […]

Jeudi 5 février 1953

Visite annoncée d’un ministre vietnamien dans la matinée. Je me mets en tenue et l’attends devant la Maison Commune en construction. Finalement, il s’arrête toute la matinée à Hoï-My, Cho-Bo-Dap, file à Phuoc-Haï et ne repasse pas à Long-My, sauf l’adjoint au lieutenant-colonel, commandant du sous-secteur Bara-Cap, accompagné du colonel Lé, commandant Vietnamien de la 2e Région militaire vietnamienne (zone centre du Sud-Vietnam), adjoint au général Nguyen-Van-Hinh, commandant en chef des Forces vietnamiennes. Le Mdl/Chef Pissart, nouvellement affecté au 5e groupe à Long-Dien, récemment débarqué pour un deuxième séjour et qui prend le commandement de la 16e compagnie GVNS à Long-Dien, les accompagnent.

Inspection rapide du poste, photos des défenses, notamment des niches à chiens (sur ordre du commandant de la zone Est). Nous devons avoir des chiens attachés en permanence sur chaque face du poste dans les défenses. Ils n’y sont jamais, quoique nous affirmions le contraire lorsqu’une inspection nous le demande (dans ce cas, nous leur disons que nous les avons détachés pour prendre l’air, mais s’ils allaient voir de plus près, ils constateraient qu’il y a beaucoup plus d’herbe qu’il ne faudrait à l’intérieur de la niche). Ces niches, édifiées depuis une quinzaine de jours, sont construites à proximité d’un grand fil, tendu parallèlement à la face du poste et une chaîne y est passée avec un anneau, ce qui permet au chien de courir le long. Nous n’avons pas suffisamment de chiens, si ce n’est des « can-thio » locaux qui aboient à longueur de journée, en tirant sur leurs chaînes et ne gueulent pas quand il y a quelque chose. Nous en élevons actuellement pour les y attacher, mais ils sont encore trop petits. Pour la circonstance, nous les avons attachés quand même et je suis à me demander si ce n’est pas plutôt le chien que la niche, que l’inspecteur a photographié. Bref, ça fait encore une inspection de plus et je n’en aurais plus beaucoup à passer maintenant. […]

Vendredi 6 février 1953

Par le BQR de Phuoc-Haï, passé à la radio, nous apprenons que c’est le poste Sud de Phuoc-Haï, P.C. de la 15e compagnie GVNS et du sous-quartier de Phuoc-Haï qui a été attaqué à la mine, bazooka, grenades et FM pendant que le poste Est de Phuoc-Haï et la Maison Commune étaient harcelés. Les VM ont été repoussés et se sont retirés avec un mort. Aucune perte chez nous, sauf des dégâts matériels. Trois mines, des grenades et du matériel divers sont récupérés.

C’était donc une attaque en règle, genre de celle du poste de Long-Nhuong, qui aura encore coûté cher aux Viets et qui les calmera peut-être. Ils devaient être nombreux, car ils n’ont pas hésité à s’attaquer à un gros morceau. Heureusement que ce poste venait d’être aménagé et renforcé dernièrement. L’armement de ce poste comprend une mitrailleuse « Vickers », un mortier de 81mm et 4 FM, plus l’armement individuel et les VB. Sa garnison est de cinq groupes GVNS.

Crispet et Roger, qui profitent d’une liaison pour aller se rendre compte des dégâts, me disent au retour que ce n’était pas de la rigolade et qu’il était grand temps que la défense réagisse, certains VM après avoir fait sauter les défenses en barbelé avec des bungalores (charges de plastic dans des bambous creux) avaient réussi à s’approcher à trois mètres des murettes et blockhaus d’angle du poste et ont abandonné des mines à charge creuse (à allumage électrique), prêtes à être employées. Pendant l’attaque, sept obus de bazookas étaient tirés sur le poste, mais par bonheur, un seul a explosé. Ils tiraient également au FM, dont l’un était disposé en face du poste, derrière un tombeau chinois, dans les dunes.

Un obus est arrivé sans exploser, dans un gros pilier qui supporte le blockhaus mitrailleuse, au premier étage, alors que deux FM et la mitrailleuse étaient en action dans ce blockhaus. Un autre obus est arrivé sans exploser, sur le plafond (renforcé dernièrement) de la chambre radio et un obus a traversé la chambre des Européens (Baudry et Matuzewsky), alors que ceux-ci venaient de la quitter un instant avant pour aller prendre leurs emplacements de combat. Cette pièce était auparavant le magasin à munitions, ce qui prouve que les rebelles connaissaient les anciens plans du poste et s’attaquaient, en premier lieu, aux principaux points du poste (magasin d’armes et munitions, salle radio, blockhaus mitrailleuse).

Deux groupes du poste étaient en embuscade et sont rentrés le lendemain matin, c’est la raison pour laquelle l’artillerie n’a pas été demandée. Les VM, qui devaient être au nombre d’une compagnie, ont attaqué principalement du côté de la mer (sur la plage du côté du village). De larges taches de sang prouvent qu’il y a dû avoir de la casse parmi eux. Un chargeur de mitraillette « Sten », un casque viet, deux mines, des bungalores et des grenades ont été abandonnés par les Viets sur le terrain. De cette attaque, il en résulte que certains GVNS (surtout parmi les nouvelles recrues) ont besoin d’apprendre à lancer des grenades, car plusieurs d’entre elles ont été lancées, sans être dégoupillées, d’où effet nul.

Des coolies de Phuoc-Haï avaient été réquisitionnés par les rebelles, vraisemblablement pour porter du matériel au cas où le poste aurait été pris. C’est la première fois que je vois une attaque aussi violente dans le quartier depuis vingt-huit mois que je m’y trouve. Il paraît, d’après le lieutenant Fardel qui s’y connaît en la matière, que ça fait très vite et qu’il n’y a pas lieu de s’endormir. […]

Samedi 7 février 1953

Visite dans l’après-midi de l’équipe transmission du sous-secteur Baria - Cap qui vient régler notre poste de radio, les fréquences étant changées depuis le 1er février. Ils nous apprennent qu’un gros coup dur est arrivé ce matin, à l’ouverture de route Long-Xuyen - Long-Kien, sur la route de Binh-Ba, faite par des partisans qui occupent le nouveau poste du carrefour de Long-Xuyen.

Une compagnie VM a attaqué l’ouverture, à 500 mètres du poste de Long-Xuyen, tuant huit partisans, faisant quatre prisonniers et récupérant 7 fusils et un FM. Seuls deux partisans sont indemnes (dont un ancien GVNS du poste de Long-My). Simultanément avec l’attaque du groupe d’ouverture, ils harcelaient les postes voisins (Long-Xuyen et Long-Kien) au mortier et empêchaient les renforts d’approcher.

Une des AM de Bara, envoyée immédiatement sur les lieux, a été bazookée et n’a pu approcher, sa tourelle étant bloquée et deux FM viets tirant dessus à bout portant. Ce sont les autres blindés de Bara qui l’ont dégagée et ont mis les rebelles en fuite. Décidément, si ça continue, on va se croire au Tonkin. D’ailleurs, ce sont probablement des unités qui viennent de par-là, puisque deux VM tués étaient Tonkinois. […]

Mercredi 11 février 1953

Travaux au poste. Passage des consignes (matériel et armement du poste) que j’avais en compte au GR Thomas, lequel prend dorénavant le commandement du poste de Long-My à ma place, ce qui me soulage. Inutile de dire que je ne ferai plus grand-chose jusqu’à mon départ dans huit jours. […]

Mercredi 18 février 1953

J’achève de préparer les bagages ce matin pendant que notre popotier (Crispet) prépare le repas que j’offre à l’occasion de mon départ. À dix heures, apéritif avec les autochtones du poste parmi lesquels certains que je connais depuis vingt-huit mois. À midi, le lieutenant Fardel, qui se trouvait à Cho-Bo-Dap vient manger avec nous, ainsi que le Mdl/Chef Briois (commandant de la 15e compagnie GVNS de Phuoc-Haï), les GR Baudry et Matuzwesky, du poste Sud de Phuoc-Haï et les trois autres Européens de Long-My, les GR Thomas, Crispet et Roger. Repas qui se passe dans une belle ambiance, comme il se doit. À l’issue de celui-ci, je me rends à Phuoc-Haï Sud pour aller dire au revoir au GR Viard qui gardait le poste Sud et n’a pu assister à ce repas.

Partout, ce sont des grands adieux, aussi bien avec les Européens que les Vietnamiens et ces derniers insistent pour me faire prendre une petite boisson. Finalement, mon départ est assez joyeux, car la chaleur se fait sentir et tous ces mélanges me font pas mal d’effets. […]

Jeudi 19 février 1953

Repos toute la journée. J’en ai bien besoin, car j’ai une bonne « gueule de bois ». L’ambulance de Long-Dien va chercher un GVNS de Phuoc-Haï Sud, blessé accidentellement (fracture du bras) l’après-midi. Le Mdl/Chef Crumbach (ex-commandant de la 15e compagnie de Phuoc-Haï et longtemps en poste avec moi) rapatriable en même temps que Lemaître et moi, rentre de l’hôpital militaire du cap Saint-Jacques à peine guéri d’une sérieuse crise de foie. Mais pour prendre cette direction, ça va toujours. […]

Vendredi 20 février 1953

Je fais ma toilette en cinq-sept, mes adieux à tout le personnel européen et même autochtone de Long-Dien […]

Ce n’est pas sans un certain brin de nostalgie que l’on quitte ce coin de Long-Dien où nous venons de passer vingt-deux mois pour Crumbach et Lemaître et vingt-huit mois pour ma part. Parmi tous ceux à qui nous venons de faire nos adieux, tous rentreront-ils en France en bonne condition ? Espérons que la réouverture de la route de Saïgon va chasser les VM qui nous causaient tant de dégâts ces derniers temps et que la série des victimes est terminée. Certes, la guerre n’est pas terminée et il est à prévoir qu’il y en aura encore. Espérons que ces coups durs seront rares.

[…] Nous apprenons que nous allons passer un mois à la caserne GVNS de Chi-Hoa dans la banlieue de Saïgon, sur la route de Pnom-Penh, là où nous avons passé deux ou trois jours à notre arrivée, début octobre 1950. Un bâtiment est réservé pour les GR de la 1ère légion de marche de Garde républicaine, dont nous faisons partie. […]

Nous nous installons tant bien que mal dans les lits plus ou moins bons. Ce sont des lits de passagers, ce qui n’est pas peu dire. Nous mangeons au mess dans le même bâtiment, une nourriture qui laisse à désirer. Ce n’est plus la vie de poste. Nous apprenons qu’il nous est interdit de sortir du quartier sans autorisation, de huit heures à dix-sept heures.

[Le garde Gallot reste à la caserne de la GVNS à Chi-Hoa jusqu’au 20 mars 1953. Il explique que cette attente d’un mois à Saïgon, avant le rapatriement en métropole, est voulue par le commandement afin d’éviter qu’il arrive des « coups durs » avant la fin du séjour. Durant cette phase d’attente, les gardes sont amenés à exécuter différents services liés à la vie en caserne. « Ce nouveau travail, explique-t-il le 25 février 1953, ne va pas sans pagaille au début et ne nous enchante pas beaucoup. Quoique nous n’avons pas grand-chose à faire, nous trouvons un peu dur de nous remettre à un travail qui nous rappelle beaucoup celui que nous referons en France. Quand on quitte des postes où on avait toute liberté de travail et qu’on retrouve un soupçon de discipline, on accueille cette nouvelle méthode de travail assez froidement. Certains vont jusqu’à regretter la vie de poste et fulminent contre l’idiot qui a eu l’idée de nous relever de poste pour nous faire faire du maniement d’armes. D’autant plus que la nourriture à Chi-Hoa n’est pas fameuse et peu abondante. Nous avons toutefois l’avantage d’être en sécurité et pour ma part, qui vient de passer vingt-huit mois isolé en brousse et qui ne connaît pas la ville, je ne regrette pas d’y passer un mois pour pouvoir dire que je connais Saïgon ».

Le garde Gallot profite de ses temps libres pour visiter Saïgon ou rendre visite à des connaissances comme le gendarme Moisand affecté à la gendarmerie coloniale de Saïgon].

Vendredi 20 mars 1953

Départ comme prévu à 8 heures pour Gia-Dinh avec nos bagages. Je suis dans le 1er des 3 voyages. Nous reversons des affaires à la Légion, accomplissons plusieurs formalités administratives (j’apprends notamment que j’ai 3 mois et 28 jours de congés à prendre à mon retour en France), puis nous rejoignons la base militaire de Saïgon. Cette fois, nous avons presque un pied dans le bateau. Nous arrivons à la Base à 10 heures 30. Elle est située au Boulevard Norodom, au centre de Saïgon et accueille tous les militaires de l’armée de Terre arrivant de métropole ou y repartant. J’y étais passé à mon arrivée en Indochine en septembre 1950. Inutile de dire que je suis un peu plus bronzé maintenant ! Nous accomplissons encore diverses formalités de rembarquement et d’hébergement à la Base, dans des bureaux installés dans la BMS. Ici, c’est la tour de Babel, on y rencontre des militaires de l’armée de Terre de toutes armes, de toutes races et de toutes couleurs (Algériens, Tirailleurs Africains, Européens, etc.). Nous logeons dans de grandes chambrées, dans des lits à 3 étages. C’est le centre de passage, aussi ce n’est pas très reluisant et les paillasses ne sont pas très engageantes. Espérons que nous n’y resterons pas trop longtemps. Il y a intérêt à fermer ses cantines et valises à clé. Un détachement de GR de la 2e LMGR est déjà cantonné ici. Nous mangeons à midi au mess des sous-officiers de la Garnison, sis à Dakao, Boulevard Albert 1er, à 300 mètres de la BMS. Une nombreuse clientèle y mange (bon repas, copieux et moins cher qu’à Chi-Hoa). L’après-midi, un important détachement de rapatriables arrive à la Base, venant du Tonkin et de l’Annam. Ils débarquent du S/S Gascogne et doivent rembarquer avec nous sur le Skaugum (1200 Nord-Africains et entre autres, 19 GR de la 3e légion de marche de Garde républicaine stationnée au Tonkin). Cette fois, la base est presque à saturation et tous les bâtiments sont complets. Les Nord-Africains se logent sous des grandes paillotes dans la Base. Le soir, repas au mess et cinéma gratuit en plein air dans la Base. Nous sommes consignés de 2h30 à 19 heures, avec appel à 7h30 et 14h. Quelques-uns parmi nous sont réquisitionnés pour le service de garde. Nuit assez mauvaise, car il y a des occupants dans la paillasse (punaises).

[Du 21 au 30 mars 1953, le garde Gallot est consigné à la base du boulevard Nordom à Saïgon. Durant ce laps de temps, il accomplit les dernières formalités nécessaires avant son embarquement (perception de draps usagés, opération de change, expédition des cantines). La consigne étant relâchée, il peut faire des courses en ville].

Lundi 30 mars 1953

À 7 heures 30, nous quittons la Base militaire de Saïgon pour l’embarquement au port de Khan-Hoï. Les Nord-Africains sont transportés les premiers par un long convoi de camions. Le transport de 1500 militaires, dont 250 GR et leurs bagages dure un certain temps et nous ne quittons la BMS que vers 9 heures 30, étant transportés les derniers.

[…] Après 2 ans, 6 mois et 6 jours, je quitte le sol d’Indochine et embarque vers 10 heures, à l’appel de mon nom et vais prendre possession de ma cabine (pont D, cabine n° 27) signalée sur mon ticket d’embarquement perçu à la BMS. Tout le monde s’engage en file indienne sur la passerelle et nous sommes contrôlés en arrivant à la coupée sur le pont. La renommée du S.S. Skaugum n’est pas fameuse et nous pouvons constater qu’il n’y a pas beaucoup d’aération, d’autant plus que le navire est immobilisé et que la chaleur se fait sentir. Les cabines ne possèdent pas de hublots, c’est paraît-il un ancien bateau allemand, cédé aux Norvégiens à titre de dommages de guerre et conçu pour les Mers du Nord et la Baltique où il fallait se protéger du froid. Nous logeons à 24 dans des couchettes à 2 étages, munies de draps et d’oreiller. Chaque lit possède une ceinture de sauvetage que nous devrons mettre en cas d’exercice de sauvetage (genre de corset en toile supportant des plaques de liège). Des camarades qui n’ont pas la même chance que nous et n’ont pas terminé leur séjour, viennent nous rendre visite à bord pendant que l’échelle de coupée n’est pas encore retirée (notamment le GR Foucaut, de l’escorte du HCF, ancien de Baria). Munis d’un ticket spécial de repas qui nous a été remis à la coupée en montant sur le navire, nous allons manger à la cafétéria au pont « D », c’est-à-dire en cale, dans une véritable étuve. Le manger est bon, le repas est servi sur un plateau comme dans un self-service, mais nous transpirons à grosses gouttes et l’appétit est mince.

À 13 heures 10, un remorqueur déhale le Gascogne pour le mettre au centre de la rivière, puis à 13h30, c’est notre tour. Des camarades qui n’ont pas eu notre chance nous font des adieux des quais et sont salués de cris et de coups de sifflet. Pour tous ceux du bateau, il y a de la joie et cependant, ce n’est pas sans un certain brin de nostalgie qu’on s’éloigne des quais en pensant aux camarades qui restent ici et dont certains ne reviendront peut-être pas. Le Gascogne, qui nous précède d’un quart d’heure, s’éloigne et nous voyons au loin ses superstructures au-dessus des arbres, alors qu’il emprunte une des nombreuses méandres de la rivière de Saïgon. Nous sommes suivis par un navire anglais. Nous abordons rapidement la campagne et Saïgon s’estompe dès que nous nous engageons dans une boucle de la rivière. Nous n’allons pas bien vite et au cours du trajet, nous devons descendre en cale en raison des rives rapprochées du fleuve qui sont recouvertes d’une végétation dense de palétuviers et de palmiers d’eau et sont propices aux embuscades. Avant notre départ de Saïgon, une escadrille fluviale montée par le 4e dragon défile devant nous dans la rivière. Nous ne sommes pas escortés par des navires, mais un groupe de combat, armé d’un FM, est monté à bord. À plusieurs reprises, des navires ont déjà été mitraillés par les VM, alors qu’ils circulaient sur le fleuve, c’est la raison pour laquelle on nous fait descendre dans nos cabines aux endroits réputés dangereux. Il serait tout de même malheureux que l’on se fasse atteindre par des balles, après avoir passé au travers pendant le séjour. J’ai déjà parcouru ce trajet cinq fois, il m’est familier, aussi je ne m’attarde pas beaucoup à le regarder. Il est d’ailleurs uniforme, quelques rares rizières du côté de Saïgon et ensuite la végétation dense et marécageuse jusqu’à la baie de Can-Gioh (cap Saint-Jacques). De place en place, un poste enserré dans la brousse. Quelques singes apparaissent sur les rives et de nombreux oiseaux. L’eau du fleuve est boueuse. C’est pourtant la dernière fois que je vois des rizières (à moins que je n’aille admirer celles de Camargue ?…). La chaleur est étouffante. À part les cabines du pont supérieur attribuées aux passagers de 1ère classe (officiers et membres de l’équipage), aucune des autres cabines n’a de hublots. L’aération fait donc défaut et c’est une véritable fournaise à l’intérieur des cabines. Je me familiarise avec l’argent français, seul argent valable sur le navire et pour la plupart d’entre nous, les prix nous paraissent exorbitants. Ils ont peut-être augmenté depuis que nous avons quitté la France, d’autre part les prix pratiqués sur le navire sont plus chers que dans les mess et la piastre vaut 17 francs, aussi lorsque nous achetions un article à Saïgon, il paraissait moins cher. […]

Mercredi 1er avril 1953

À l’aube, nous côtoyons le détroit de Malacca se présentant à nos yeux à tribord par une côte basse dominée en retrait par des montagnes cachées dans la brume et à bâbord par de nombreux petits îlots de verdure, la plupart dominés par des installations portuaires (phare, dépôts de carburant dont on voit les grandes citernes blanches). Vers huit heures, nous passons au large de Singapour dans la baie duquel se trouvent de nombreux navires. Nous stoppons vers 13 heures à un endroit éloigné des terres, sans savoir exactement pour quelle raison. Je commence à voir que ce n’était pas du bluff et que ce navire s’essouffle rapidement. Ce n’est pas étonnant qu’il a souvent du retard et que le commandant du navire s’est fait, paraît-il, engueuler pour avoir eu tant de retard à l’arrivée à Saïgon par le général Salan, commandant en chef en Indochine. Il est vrai qu’avec le manque d’aération, les moteurs doivent chauffer, d’autant plus que la chaleur est forte. Nous restons en panne de 13 heures à 20 heures, puis continuons notre route. Au cours de la nuit, nous avons quelques averses provenant probablement d’orages, car la nuit est sombre et striée d’éclairs. Quoique la nuit soit plus fraîche, la plupart d’entre nous couchons sur les ponts, car c’est intenable dans les cabines.

Mercredi 15 avril 1953

Au matin, en me réveillant, je découvre par le hublot le port de Suez à l’avant du navire et de nombreux navires dans la baie. Un convoi se forme pour traverser le Canal de Suez. De nombreux commerçants égyptiens viennent offrir leur marchandise aux passagers du Skaugum. Ils pratiquent toujours de la même manière, leurs marchandises sont étalées au fond de leurs barcasses, venues se ranger au pied de notre bateau. Lorsqu’un passager est tenté par leurs produits, le dialogue s’engage pour en connaître la valeur, puis si la transaction a lieu, une longue corde est lancée au passager qui la saisit et hisse le panier à laquelle elle est accrochée. Il y place l’argent et prend la marchandise placée dans le panier. Comme c’est de l’achat à distance, inutile de dire que ce commerce se fait au milieu d’une cacophonie digne de nos marchés. De temps en temps, le ton hausse lorsqu’un petit plaisantin coupe la ficelle et garde le panier et la marchandise ou lorsqu’un commerçant, après s’être fait adresser l’argent, oublie d’envoyer la marchandise et se sauve avec sa barcasse, sous une pluie de projectiles divers, notamment des bouteilles vides. Les commerçants ne sont pas autorisés à monter à bord, c’est aussi bien, car la plupart sont de redoutables pickpockets. Vers 8 heures, le convoi s’engage dans le canal et passe à quelques encablures de la ville de Suez. Paysage familier que nous avons vu à l’aller. […]

Lundi 20 avril 1953

À l’aube, nous longeons la côte, cachée dans la brume et à 9 heures 30, nous pénétrons dans le port d’Alger. La brume se dissipe lorsque nous sommes au centre du port et nous voyons Alger-la-Blanche. Inutile de dire qu’il y a de l’ambiance à bord, surtout parmi les Nord-Africains et « pieds-noirs » qui touchent au terme de leur voyage. Deux remorqueurs aident le Skaugum à se ranger le long des quais. Sur celui-ci, à hauteur du débarcadère, une musique militaire est en grande tenue et entonne une marche militaire lorsque nous accostons. Ce n’est pas sans une certaine émotion que nous l’entendons. La plus grande partie des passagers doit descendre ici. Ils ont été formés en détachements constitués à la Base militaire de Saïgon au moment du retour et se tiennent prêts à débarquer, cependant que des camions vides sont garés sur les quais, à proximité du débarcadère pour assurer le transport des rapatriables. Une demi-heure après l’accostage, pendant qu’une grue décharge les malles et cantines de cales des passagers devant débarquer, les 1er rapatriables descendent. Pour eux, le voyage est pratiquement terminé. Deux assistantes sociales distribuent un paquet de cigarettes à chaque rapatriable. De nombreuses personnes, parents ou amis de rapatriables sont venus attendre l’un des leurs et sont contenus à une centaine de mètres du débarcadère par des barrières blanches. Des porteurs, en majorité Nord-Africains, montent à bord et proposent leurs services aux passagers qui descendent. Beaucoup d’entre eux les utilisent pour les aider à descendre leurs nombreux bagages (paquetage, valises, etc.). Le froid, qui était assez vif au matin, s’atténue et la brume a disparu, dévoilant ce joli panorama, pour moi familier pour y être déjà venu deux fois par mer. Aucun des passagers à destination de Marseille n’est autorisé à descendre. Cependant, quelques-uns d’entre nous vont se dégourdir les jambes sur le quai pour diviser encore avec quelques compagnons de traversée et faire connaissance avec leurs parents. Deux GR de notre détachement, dont le GR Romegialli, originaire de Ludes (Marne), descendent avec un autre GR de leurs camarades qui termine son voyage à Alger. Ses parents sont venus le chercher au port et proposent aux deux GR de les accompagner avec eux, puisqu’ils demeurent à Alger. Après quelques hésitations et avec promesse d’être ramenés au port pour midi, heure à laquelle nous devons continuer notre route sur Marseille, ils acceptent. Malheureusement pour eux, le Skaugum quitte une demi-heure avant l’heure prévue et ils arrivent au port pour voir s’éloigner le navire. Ils en seront quittes pour prendre un avion demain matin et arriveront avant nous. […]

Mardi 21 avril 1953

À l’aube, nous apercevons sur notre gauche les îles Baléares, ce qui nous laisse supposer que nous n’arriverons pas de bonne heure à Marseille. […] Pendant ce temps, les employés du bord refont les couchettes, replient les draps. La brume est dense, ce qui ne facilite pas le guet des passagers, transformés en vigies de Christophe Colomb, avec l’espoir d’être le premier à apercevoir la terre. Certains s’inquiètent de l’arrivée du Skaugum à Marseille. Aura-t-on la possibilité de prendre le train de Paris ce soir ? Les formalités seront-elles faites à temps et serons-nous condamnés à coucher à Marseille ? Enfin, vers 16 heures, dans une échancrure de brume, nous apercevons une masse diffuse. Est-ce la côte ? Oui ! « Terre, Terre !… ». Enfin, nous y voilà. Cette fois, la côte se précise. Mais que fait donc ce navire ? Veut-il battre les records de lenteur ? Pourquoi va-t-il passer si loin de la « Bonne Mère » que nous apercevons, dominant le vieux port ? Ce sont les réflexions que l’on entend parmi les passagers. Il n’y en a pas beaucoup dans les cabines. Cette fois, on distingue parfaitement la côte assez escarpée et les installations portuaires de Marseille. De nombreuses grues attestent l’activité de ce port important. Une vedette de la Marine vient à notre rencontre. Probablement comme dans chaque port, vient-elle s’assurer s’il n’y a pas d’épidémie à bord. À présent, nous avons un soleil radieux pour nous accueillir, ce qui ajoute à notre joie de retrouver la métropole. […]

À seize heures trente-cinq, le Skaugum s’immobilise le long du quai. Nous descendons dans nos cabines pour récupérer nos bagages et c’est le cœur joyeux que nous nous chargeons comme des mulets et nous rangeons en file indienne sur le pont. […]

À 16 heures quarante-cinq, les premiers d’entre nous mettent le pied sur le sol marseillais. Des camions les transportent au camp Sainte-Marthe, Base des militaires isolés pour accomplir les dernières formalités. Auparavant, il nous faut passer à la Douane. Formalité rapidement accomplie. Des camions de la 9e légion de Garde républicaine nous embarquent avec nos bagages et nous transportent à la caserne Beauvau où siège l’état-major de la 9e LGR où nous passons une visite d’aptitude pour prendre nos permissions. Grâce à Dieu, aucun d’entre nous n’est malade et c’est tambour battant que nous accomplissons les diverses formalités pour nous libérer et prendre bien vite nos permissions. Perception d’un viatique en bon argent français sonnant et trébuchant, permission de 3 mois et 28 jours à prendre dès maintenant, reversement d’une partie de notre paquetage et un camion de la 9e LGR nous reconduit à la gare Saint-Charles où j’aurai une place de justesse pour le train de Paris de 21 heures. Pas beaucoup le temps pour manger, mais qu’importe, vivement que ce voyage se termine et que j’ai le plaisir de revoir le clocher d’Epoye.

CHRONOLOGIE SOMMAIRE DE L’HISTOIRE DE LA GENDARMERIE DURANT LA GUERRE D’INDOCHINE

Chef d’escadron Édouard Ebel
Docteur en histoire, chef du bureau Études, Enseignement, Recherches du département Gendarmerie du Service historique de la Défense

1945

9 mars 1945 : Coup de force Japonais en Indochine, renversant l’administration coloniale française.

11 mars 1945 : Proclamation de l’indépendance du Vietnam par l’empereur Bao Daï.

18 mars 1945 : Mort de Jean d’Hers.

13-14 août 1945 : Capitulation japonaise et début de l’insurrection vietnamienne.

19 août 1945 : Prise de Hanoï par le Vietminh.

25 août 1945 : Abdication de Bao Daï.

2 septembre 1945 : Ho Chi Minh proclame à Hanoï l’avènement de la République du Vietnam.

1946

22 février 1946 : Feuille de renseignements n° 10013/Gend/T relative à l’établissement des « listes de tours de départ » pour les colonies, les territoires occupés, l’AFN, la Corse (Mémorial, 1946, vol. 65, p. 28).

25 février 1946 : Modificatif provisoire à la dépêche ministérielle n° 61365/Gend/T. du 27 octobre 1945, relative aux désignations individuelles du personnel appelé à servir dans les formations stationnées en Corse, en AFN, aux colonies et dans les pays occupés (Mémorial, 1946, vol. 65, pp. 28-29).

6 mars 1946 : Débarquement français à Haïphong. Accord Ho Chi Minh-Santeny.

1er juin 1946 : Proclamation de la République de Cochinchine.

6 juin 1946 : Décret fixant pour le temps de paix : 1° le nombre, le siège et le ressort des tribunaux militaires permanents ; 2° les autorités militaires auxquelles sont dévolus les pouvoirs attribués par la loi au général commandant la circonscription territoriale (Mémorial, 1946, vol. 65, pp. 105-107).

6 juillet 1946 : Début de la conférence de Fontainebleau

5 août 1946 : Décret portant attribution de la médaille coloniale avec agrafe « Extrême-Orient », (Mémorial, 1946, vol. 65, p. 166).

7 août 1946 : Circulaire n° 22930 Cab./Mil./Guer./Déco., relative à l’attribution de la médaille coloniale sans agrafe (Mémorial, 1946, vol. 65, p. 162).

3 décembre 1946 : Instruction provisoire n° 17172-R S/1 relative aux engagements et rengagements des Français dans les troupes métropolitaines et coloniales (Mémorial, 1947, vol. 66, p. 106-129).

10 décembre 1946 : Instruction n° 36200/Cab./Gue./Déco., relative à l’application du décret du 5 août 1946 portant attribution de la médaille coloniale avec agrafe « Extrême-Orient » (Mémorial, 1946, vol. 65, pp. 219-220).

19 décembre 1946 : Attaque du Viet Minh à Hanoï.

27 décembre 1946 : Création de légions de Garde républicaine de marche pour l’Indochine.

1947

Janvier-février 1947 : opérations de dégagement des principales villes du Tonkin.

15-22 mars : Débats à l’Assemblée nationale sur l’Indochine.

22 mars 1947 : Vote de crédits militaires pour l’Indochine.

5 août 1947 : Circulaire n° 38560/Gend. T. P. A. relative à l’affectation dans la métropole des militaires rapatriés des TOE (Mémorial, 1947, vol. 66, pp. 282-284).

23 décembre 1947 : Le Laos et le Cambodge adhèrent à l’union française. La France refuse les négociations avec Ho Chi Minh.

23 décembre 1947 : Instruction pour l’application de l’arrêté du 27 novembre 1946 portant définition des services accomplis en opérations de guerre ou sur le pied de guerre à partir du 26 juin 1940 (Mémorial, 1948, vol. 66, p. 51).

1948

Janvier 1948 : Indépendance de la Birmanie.

5 février 1948 : Mise à jour de la circulaire n° 10400 T. C./B.T.L. relative aux engagements et aux rengagements des réservistes dans leurs foyers pour le service général des troupes coloniales (Mémorial, 1949, vol 68, p. 452-472).

14 au 18 février 1948 : Opération Véga dans la plaine des Joncs.

21 mars 1948 : Mise à jour de la loi portant prise en charge par l’État de la rémunération des gouverneurs généraux, des gouverneurs, des inspecteurs généraux des affaires administratives, des secrétaires généraux, des administrateurs et des magistrats, ainsi que des dépenses de gendarmerie dans les territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer (Mémorial, 1950, vol. 69, p. 39).

Mars-avril 1948 : Révolte des membres de la secte Hoa Hao en Cochinchine.

13 avril 1948 : Feuille de renseignements relative au temps de séjour dans les territoires d’outre-mer des militaires des unités aériennes et maritimes de gendarmerie (Mémorial, 1948, vol. 67, p. 136).

23 avril 1948 : Circulaire relative au rapatriement des restes mortels des membres des familles de militaires décédés aux colonies (Mémorial, 1948, vol. 67, p. 266).

20-26 juillet 1948 : Combats dans le Tonkin autour de Phu Tong Hoa.

5 juin 1948 : Accords de la baie d’Along.

1949

20 janvier 1949 : Les troupes de Mao entrent à Pékin.

14 mars 1949 : Instruction relative aux engagements et rengagements des Français dans les troupes métropolitaines et coloniales (Mémorial, 1949, vol. 68, p. 82).

1er juin 1949 : Les trois légions de Garde républicaine de marche (LGRM) deviennent trois légions de marche de Garde républicaine (LMGR).

12 juillet 1949 : Feuille de renseignements relative à l’établissement des titres de congé de fin de campagne et des titres de permission de départ colonial (Mémorial, 1949, vol. 68, p. 256).

19 juillet 1949 : Le Laos devient État associé.

29 juillet 1949 : Instruction sur les désignations individuelles pour les T.O.E des militaires de la Gendarmerie nationale (Mémorial, 1949, vol. 68, p. 291).

2 août 1949 : Circulaire relative aux désignations individuelles pour les T.O.E des militaires de la Gendarmerie nationale (Mémorial, 1949, vol. 68, p. 280).

21 septembre 1949 : Feuille de renseignements relative aux désignations individuelles pour les T.O.E (Mémorial, 1949, vol. 68, p. 322).

8 novembre 1949 : Le Cambodge devient État associé.

Décembre 1949 : Arrivée des troupes communistes chinoises à la frontière du Tonkin.

1950

Janvier 1950 : Reconnaissance d’Ho Chi Minh par la Chine, puis par l’URSS.

7 février 1950 : Reconnaissance du Vietnam de Bao Daï par le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

8-25 février 1950 : Combats dans le Tonkin.

5 mai 1950 : Décret portant suppression de l’ordre colonial du Dragon d’Annam (Mémorial, 1950, vol. 69, p. 79).

6 mai 1950 : Instruction interministérielle sur le fonctionnement du service de l’habillement dans les formations de gendarmerie relevant du ministère de la France d’outre-mer (Mémorial, 1950, vol. 69, p. 80).

16 juin 1950 : Circulaire relative aux engagements et rengagements des réservistes retirés dans leurs foyers, au titre des troupes coloniales (Mémorial, 1950, vol. 69, p. 339).

25 juin 1950 : Début de la guerre de Corée.

29 juin 1950 : Conférence de Pau pour la détermination des transferts de pouvoir de la France aux États associés.

3 août 1950 : Instruction relative aux modalités d’attribution et de payement des indemnités de bicyclette aux militaires non-officiers de la gendarmerie en service dans les territoires et départements relevant du ministère de la France d’outre-mer (Mémorial, 1950, vol. 69, p. 470).

4-8 octobre 1950 : Désastre de Cao Bang et défaite française sur la route coloniale n° 4.

4 novembre 1950 : Évacuation de Hoa Binh.

22 novembre 1950 : Circulaire relative aux vaccinations exigées au départ de la métropole pour les personnels se rendant en Afrique du Nord et dans les territoires lointains de l’Union française (Mémorial, 1951, vol. 70, p. 5).

1951

12 au 17 janvier 1951 : Bataille de Vinh Yen et incontestable victoire des FTEO sur le Vietminh.

6 février 1951 : Instruction concernant les autorisations spéciales de servir en Indochine et les rengagements spéciaux pour ce territoire (Mémorial, 1951, vol. 70, p. 34).

15-26 mars 1951 : Déplacement du général de Lattre à Paris pour obtenir des moyens supplémentaires.

23-24 mars 1951 : Début de la bataille de Dong Trieu et échec du Vietminh.

28-29 mai 1951 : Début de la bataille du Day et nouvel échec du Vietminh.

5 juillet 1951 : Instruction interministérielle pour l’application du décret du 20 janvier 1950 modifiant le décret du 10 janvier 1949, relatif aux commandants régionaux et à l’inspection générale de la gendarmerie, en ce qui concerne l’inspection des formations de gendarmerie des territoires relevant du Ministre de la France d’outre-mer et des départements d’outre-mer (Mémorial, 1951, vol. 70, p. 164).

31 juillet 1951 : Assassinat du général Chanson.

1er octobre-2 novembre 1951 : Offensive du Vietminh en pays Thaï et échec devant Nghia Lo.

10-15 novembre 1951 : Occupation française du pays Muong.

11-14 décembre 1951 : Échec de la tentative du Vietminh pour s’emparer de Hoa Binh.

1952

11 janvier 1952 : mort du général de Lattre.

24 février 1952 : La garnison de Hoa Binh se replie et le Vietminh est maître de la RC 6.

15 avril 1952 : Feuille de renseignements relative à l’avancement des gendarmes, en service aux légions de marche et prévôtés d’Extrême-Orient ou rapatriés de ces unités, ne possédant pas le titre d’officier de police judiciaire (Mémorial, 1952, vol. 71, p. 78).

13 mai 1952 : Décret relatif à l’administration des corps de gendarmerie stationnés dans les territoires relevant du Ministre de la France d’outre-mer et dans les départements d’outre-mer (Mémorial, 1952, vol. 71, p. 124).

9 juin 1952 : Feuille de renseignements fixant les conditions d’avancement des militaires de l’arme servant dans les détachements de gendarmerie d’outre-mer (Mémorial, 1952, vol 71, p. 95).

30 juin 1952 : Instruction relative aux engagements et rengagements dans les troupes coloniales (personnels soumis au statut militaire intégral), (Mémorial, 1952, vol. 71, p. 218).

18 juillet 1952 : Loi faisant bénéficier les combattants d’Indochine et de Corée de toutes les dispositions relatives aux combattants (Mémorial, 1954, vol. 73, p. 444).

13 octobre 1952 : Décret organisant le détachement de gendarmerie d’Extrême-Orient (Mémorial, 1952, vol. 71, p. 293).

Octobre 1952 : Offensive Vietminh en pays thaï.

Novembre 1952 : Opération « Lorraine ». Installation de la base de Na San.

1953

8 janvier 1953 : Circulaire relative aux vaccinations exigées au départ pour les personnels se rendant en Afrique du Nord et dans les territoires lointains de l’Union française (Mémorial, 1953, vol. 72, p. 40).

31 janvier 1953 : Instruction organisant le service du détachement de gendarmerie d’Extrême-Orient et l’administration de son personnel, en application du décret n° 52-1143 du 13 octobre 1952 (Mémorial, 1953, vol. 72, p. 56).

27 mars 1953 : Décret fixant l’organisation et le service de la gendarmerie stationnée dans les territoires relevant du Ministre de la France d’outre-mer et dans les départements d’outre-mer, ainsi que les règles d’administration de son personnel (Mémorial, 1953, vol. 72, p. 93).

27 avril 1953 : Création d’un poste de commissaire général de France en Indochine.

1er août 1953 : Décret portant création d’une médaille dite « Médaille commémorative de la campagne d’Indochine » (Mémorial, 1953, vol. 72, p. 204).

4-7 décembre 1953 : Conférence des Bermudes.

1954

Janvier 1954 : Début de l’opération « Atlante ».

25 janvier 1954 : Conférence de Berlin.

13 mars 1954 : Début de la bataille de Dien Bien Phu.

25 mars 1954 : Circulaire relative aux vaccinations exigées au départ pour les personnels se rendant en Afrique du Nord et dans les territoires lointains de l’Union française (Mémorial, 1954, vol. 73, p. 61).

26 avril 1954 : Ouverture de la conférence de Genève.

7 mai 1954 : Reddition de Dien Bien Phu.

18 mai 1954 : mission Ely-Salan en Indochine.

24-30 juin 1954 : Bataille d’An Khé.

7 juillet 1954 : Instruction relative aux engagements et rengagements dans les troupes coloniales (personnels de statut militaire général), (Mémorial, 1954, vol. 73, p. 300).

20 juillet 1954 : Signature des accords de Genève décidant la cessation des combats en Indochine.

27 juillet 1954 : Cessez-le-feu au Nord Vietnam.

1er août 1954 : Cessez-le-feu au Centre Vietnam.

7 août 1954 : Cessez-le-feu au Sud Vietnam et au Cambodge.

11 août 1954 : Cessez-le-feu au Cochinchine.

22 septembre 1954 : Instruction interministérielle sur le fonctionnement du service de l’habillement dans les formations de gendarmerie relevant du ministère de la France d’outre-mer (Mémorial, 1954, vol. 73, p. 354).

9 octobre 1954 : Évacuation d’Hanoï par les Français.

24 décembre 1954 : Décret portant application de la loi du 18 juillet 1952 faisant bénéficier les combattants d’Indochine et de Corée de toutes les dispositions relatives aux combattants (Mémorial, 1954, vol. 73, p. 445).

1955

Mars-avril 1955 : Guerre des sectes en Indochine

15 mai 1955 : Les dernières troupes quittent le Nord du Vietnam

21 novembre 1955 : Circulaire relative à l’attribution des ordres de la France d’outre-mer (Mémorial, 1956, vol. 74, p. 44).

1956

11 mai 1956 : Circulaire relative à la détermination de la période pendant laquelle les services accomplis en Indochine donnent droit aux majorations pour services, (Mémorial, 1956, vol. 75, p. 371).

14 septembre 1956 : Évacuation totale du Vietnam par les troupes françaises.

LA GENDARMERIE EN INDOCHINE : PISTES BIBLIOGRAPHIQUES

Chef d’escadron Édouard Ebel
Docteur en histoire, chef du bureau Études, Enseignement, Recherches du département Gendarmerie du Service historique de la Défense

Nombre d’auteurs se plaignent du relatif abandon de l’historiographie pour la guerre d’Indochine. Cependant, à examiner le très volumineux état des sources bibliographiques, imprimées et filmographiques établi sous la direction d’Alain Ruscio, on s’aperçoit que la présence de la France en Indochine a généré un vaste champ de recherches. Dans cet impressionnant corpus, l’activité de la gendarmerie fait figure de parent pauvre. Ce bilan traduit en réalité la jeunesse du chantier sur l’histoire de la gendarmerie. Le séminaire sur l’histoire de la gendarmerie mis en place par les professeurs Jean-Noël Luc et Jacques Frémeaux en 1999-2000 a permis de multiplier les études sur la gendarmerie au XIXe et XXe siècles. Parallèlement, le volume des études universitaires sur l’outre-mer ou les conflits de la décolonisation tend à augmenter et a déjà fait l’objet de travaux récents et remarquables(47), mais les études sur cette gendarmerie des confins mériteraient probablement d’être encore développées.

La présente bibliographie ne vise évidemment pas l’exhaustivité. Les nombreux ouvrages ou manuels sur l’histoire générale de l’Indochine ne figurent pas dans cet état. En revanche, ce travail rassemble probablement une grande partie de la documentation disponible sur la gendarmerie. Si les études universitaires sont encore relativement peu développées, c’est peut-être en raison d’un accès difficile aux sources. Les archives de la gendarmerie ont fait l’objet d’un récolement, effectué avant la création du SHGN. Cet ensemble documentaire mériterait probablement d’être rationalisé selon les normes d’archivages contemporaines. Par ailleurs, les sources relatives à la gendarmerie en Indochine sont multiples et nécessitent des investigations dans les dépôts du département armée de Terre du service historique de la Défense, aux Archives nationales, aux archives des affaires étrangères et au centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, ce qui ne facilite pas non plus la tâche de chercheurs.

I) SOURCES MANUSCRITES ET INSTRUMENTS DE TRAVAIL

Sources

Récolement des archives de la Gendarmerie nationale en Extrême-Orient, Chine et Indochine (1903 à 1956), 115 p.

Instruments de travail

LUC Jean-Noël (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, 1005 p.

RUSCIO Alain (dir.), La guerre « française » d’Indochine (1945-1954). Les sources de la connaissance. Bibliographie, filmographie, documents divers, Paris, Les Indes savantes, 2002, 1174 p.

Manuels, dictionnaires

BODIN Michel, Dictionnaire de la guerre d’Indochine, 1945-1954, Paris, Economica, 2004, 319 p.

BROUILLET Pascal (dir.), De la maréchaussée à la gendarmerie. Histoire et patrimoine, Maisons-Alfort, SHGN, 2003, 216 p.

DALLOZ Jacques, La guerre d’Indochine, 1945-1954, Paris, Seuil, Collection « Points histoire », 1987, 316 p.

EOGN, Historique de la gendarmerie d’Indochine, de 1947 à 1955, annexe au cours d’histoire et de traditions de la Gendarmerie nationale, s.d., inédit, 27 p., DGN 6 Mud. doc.24.

II) SOURCES IMPRIMÉES

1) Ouvrages et manuscrits publiés ou inédits

BEAUDONNET Louis (général), Souvenirs du général Louis Beaudonnet. De Verdun à Saïgon (1923-1954), Vincennes, SHD, 2008, 331 p.

COUEDËL Maurice, Une carrière de gendarme, Paris, La Musse, 1987, 93 p.

DUPLAN Raymond (adjudant-chef), Ceux d’Indochine : livre d’or des gendarmes morts en Indochine (1946-1956), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, 345 p.

FORGEAT Marcel, Quelques années au service de la gendarmerie, s.l.n.d., 102 p., DGN 7 Mud. doc.02.

FRAUD Raymond (colonel ER), Souffle le vent de la mousson : poème d’Indochine, s.l.n.d., 158 p., DGN 7 Mud. doc.02.

GALLOT François, Journal de poste d’un garde républicain en Indochine (septembre 1950-avril 1953), 742 p.

MABON A. (lieutenant honoraire de la Gendarmerie nationale), Vietnam d’aujourd’hui. Indochine d’hier. Notre Indochine. Action de la Gendarmerie en Indochine, 2000, 13 p., DGN 7 doc 11.

MALARTHE François, Images d’un printemps (1924-1950). T. I : 8 juillet 1924 à fin 1947, s.l.s.n., 1988, 183 p., DGN : 7 Mud. doc.05.

NGÔ DÌNH-CHIÊN, Gendarmerie en Indochine, rapports, procès-verbaux, Hànôi, Mai-lính, 1936, 54 p.

OMNÈS René (général), L’Indochine avant l’oubli…, Paris, ABST, 1993, 254 p.

OMNÈS René (général de division), Pourquoi as-tu fait cela, mon fils ?, Paris, La Musse, 1991, 205 p., DGN 58 Mud. li.70.

RAMPON Fernand, Journal d’un prévôt au Tonkin (1947-1949), s.l.s.n., 1983, 14 p., DGN 7 doc 7.

VALENTIN René (chef d’escadron en retraite), Vingt ans pour Ouallou ! Au service de la France (1938-1958). D’après les récits de Bouchta Ben Ali, Issy-les-Moulineaux, Muller édition, 2000, 403 p., DAT : 103815.

VERMEREN Patrice (éd.), Un gendarme aux colonies, Madagascar-Indochine, 1895-1907. Mémoires commentés par Patrice Vermeren, Paris, Albin Michel, 2003, 259 p., DAT 104930.

2) Souvenirs publiés sous la forme d’articles

BALMIER Jacques, « En souvenir d’Ap-Taï », L’Essor, n° 357, avril 2004, pp. 23-25.

BEAUDONNET Louis (général), « Avec la 3e légion de Garde républicaine de marche en 1947 ou les souvenirs d’Indochine du lieutenant Mabon », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 98, 2001, pp. 22-23.

BEAUDONNET Louis (général), « Gardes, planteurs et missionnaires d’Indochine dans le même combat », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 19, 1994, pp. 14-15.

BEAUDONNET Louis (général), « Il y a cinquante ans… Nos légions de marche étaient en route pour l’Extrême-Orient », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 53, 1997, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « Il y a cinquante ans… Nos légions de marche étaient en route pour l’Extrême-Orient (suite) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 54, 1997, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « Il y a cinquante ans… Nos légions de marche étaient en route pour l’Extrême-Orient (suite) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 55, 1997, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « Il y a cinquante ans… Nos légions de marche étaient en route pour l’Extrême-Orient (suite et fin) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 56, 1997, pp. 12-13.

BIAUGEAUD (adjudant-chef), « Encadrement de la garde du Viet-Nam (Sud) », GNREI, n° 9, 3e trimestre 1951, pp. 27-33.

BOUTALAVANT Jean-Claude, « L’affaire de Uong Bi dans le secteur de la 3e légion de marche en 1954 », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 91, 2000, p. 12.

FORGEAT (maréchal des logis-chef), « Le garde Lang : souvenirs d’Indochine », GNREI, n° 22, 4e trimestre 1954, pp. 70-71.

HUBERT (chef d’escadron), « La Garde montagnarde », GNREI, n° 16, 2e trimestre 1953, pp. 28-29.

JAYET Louis, « Un gendarme en Afrique », GNREI, n° 185, 3e trimestre 1997, Les gardiens de la mémoire, pp. 35-36.

QUÉVA Henri, « Dans l’horreur de Diên Biên Phu », GNREI, n° 185, 3e trimestre 1997, Les gardiens de la mémoire, pp. 29-31.

RAGUIDEAU Joseph, « De Huong-Can à Alger », GNREI, n° 185, 3e trimestre 1997, Les gardiens de la mémoire, pp. 32-34.

« Réception de l’étendard de la Garde républicaine par la 1ère légion de marche de Garde républicaine », GNREI, n° 4, 2e trimestre 1950.

SÉRIGNAN (général), « La gendarmerie française en Indochine », GNREI, n° 13, 3e trimestre 1952, pp. 25-26.

THOMASSET Francis (colonel), « Quelques réflexions sur le passé ‘‘Indochine’’ », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 149, 2006, p. 25.

TOUZEAU Jean, « L’Indochine », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 136, 2004, p. 24.

TOUZEAU Jean, « L’Indochine : janvier 1954, l’opération Atlante », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 145, 2005, p. 27.

TOUZEAU Jean, « Souvenirs d’Indochine (1949-1951) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 100, 2001, p. 23.

TOUZEAU Jean, « Souvenirs d’Indochine de novembre 1949 à octobre 1950 », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 115, 2002, p. 23.

TOUZEAU Jean, « Souvenirs d’Indochine de novembre 1949 à octobre 1950 (suite) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 116, 2003, p. 23.

TOUZEAU Jean, « Souvenirs d’Indochine de novembre 1949 à octobre 1950 (suite) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 117, 2003, p. 23.

TOUZEAU Jean, « Souvenirs d’Indochine de novembre 1949 à octobre 1950 (suite) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 118, 2003, p. 23.

TOUZEAU Jean, « Souvenirs d’Indochine de novembre 1949 à octobre 1950 (suite et fin) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 119, 2003, p. 25.

Un groupe d’anciens d’Hoa-Binh, « Nouvelle sur les débuts du Groupe d’escadrons Muong », GNREI, n° 13, 3e trimestre 1952, pp. 23-26.

VANHECKE Alfred, « Itinéraire indochinois de 1947 à 1949 », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 158, 2006, p. 24.

VANHECKE Alfred, « Itinéraire indochinois de 1947 à 1949 (suite et fin) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 159, 2006, p. 27.

VERDIER Pierre, « Devoir de mémoire : souvenir tragique d’Indochine », Le Progrès, n° 985, juin 2006, pp. 32-33.

VERDIER Pierre, « Indochine, le peloton spécial de gendarmerie, 1953-1954 », Avenir et Gendarmerie, n°32, février 2010, pp.16-17.

III) TRAVAUX UNIVERSITAIRES

BLOT Nicolas (sous-lieutenant), La gendarmerie et la pacification en Indochine : étude monographique des postes de Tay Ninh, sous-secteur de Tay Ninh, Cochinchine, de 1947 à 1954, mémoire de l’EOGN, 3e voie, sous la dir. de Édouard Ebel, Melun, 2007-2008, 76 p.

BUCHBINDER Olivier, « Les parrains de promotion de l’école des officiers de la gendarmerie nationale », dans Claude d’Abzac et Édouard Ebel (dir.), La représentation du héros dans la culture de la gendarmerie, XIXe-XXe siècles, Cahiers du CEHD, 2008, n° 35, pp. 77-84.

DUBOIS Marc, Les peuples d’Indochine au milieu du XXe siècle à travers les rapports de gendarmerie de la brigade de Hanoï, maîtrise, sous la dir. de Jacques Frémeaux, Paris IV, 2001, 140 p.

FRANCQ Henri (chef d’escadron), La Gendarmerie en Indochine, 1945-1956, diplôme technique, Enseignement militaire supérieur scientifique et technique, 1986, 101 p. (inédit).

LACAN Marie, La gendarmerie en Indochine : le cas particulier des gendarmes du détachement d’Extrême-Orient de la région des hauts plateaux (1947-1954), maîtrise, sous la dir. de Jacques Frémeaux, Paris IV, 2001.

LONGUET Thibault, La gendarmerie en Indochine. De l’ordre colonial à la guerre révolutionnaire : le cas particulier des hauts plateaux (1947-1954), DEA, sous la dir. de Jacques Frémeaux, Paris IV, 2000, 117 p.

LONGUET Thibault, « “Comme un poisson dans l’eau” ? Les gendarmes des hauts plateaux face à la guerre révolutionnaire en Indochine », dans Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie et gendarmes du XXe siècle, actes du colloque de la Sorbonne, juin 2003, à paraître.

THOUVENOT Bertrand, La gendarmerie française dans les combats d’Indochine, 1945-1955, maîtrise, sous la dir. de Jean Ganiage, Paris IV, 1991, 185 p.

IV) LA GENDARMERIE EN INDOCHINE

BEAUDONNET Louis (général), « La gendarmerie d’Indochine, de l’ère des amiraux au coup de force Japonais », RHA, n° 213, décembre 1998, Gendarmerie nationale, réédité comme numéro spécial en 2000, pp. 26-42.

BEAUDONNET Louis (général), « L’Indochine il y a cinquante ans. Ou la mort héroïque du capitaine Jean d’Hers », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 31, 1995, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général) et MALABRE Jean (général), « La gendarmerie en Indochine », RHA, n° 4, 1987, pp. 57-67.

BERGOT Erwan, Gendarmes au combat. 1. Indochine, 1945-1955, Paris, Presses de la Cité, 1985, 268 p.

BERNIER Jean-Pierre, GM 100 : combats d’Indochine après Diên Biên Phu, Paris, Presses de la Cité, 1977, 284 p

BONFILS Charles-Henri, « Indochine 1940-1945 : la fin d’un empire », RGN, n° 177, 2e trimestre 1995, Indochine, 1850-1945, pp. 42-47.

BRUNET Jean-Christophe, Gendarmes-parachutistes en Indochine, 1947-1953, Paris, Indo Éditions, 2004, 345 p.

BUI YUAN QUANG, « La France en Indochine : un siècle de relations en perspective », RGN, n° 177, 2e trimestre 1995, Indochine, 1850-1945, pp. 21-24.

DIETRICH Robert, « La gendarmerie française en Indochine », RGN, n° 157, 4e trimestre 1988, pp. 24-27.

ERZEN Frédéric, « La célébration de la figure du gendarme au travers des lieux de mémoire », dans Claude d’Abzac et Édouard Ebel (dir.), La représentation du héros dans la culture de la gendarmerie, XIXe-XXe siècles, Cahiers du CEHD, 2008, n° 35, pp. 95-105.

FRIANG Brigitte, « Gendarmes, gens d’armes », Indochine Sud-Est asiatique, Saigon, août 1952.

GALVAN Yves-Olivier, Avec ceux d’Indochine. Les gendarmes en Indochine au travers des articles parus dans la Revue d’études et d’informations de la Gendarmerie nationale entre 1949 et 1955, 1. En opérations (1949-1956), 2. Le souvenir (1961-1995), Maisons-Alfort, SHGN, 1997.

GRANDJEAN Philippe, « L’Indochine dans la littérature », RGN, n° 177, 2e trimestre 1995, pp. 12-20.

GUILARD Pierre, « Esprit Moustier (1905-1978) », RGN, n° 120, 2e trimestre 1979, p. 38.

HABERBUSCH Benoît (capitaine), « Le coup de force Japonais en Indochine du 9 mars 1945 », Gend’info, n° 275, mars 2005, p. 43.

HABERBUSCH Benoît (lieutenant), « Les gendarmes à Dien Bien Phu », Gend’info, n° 267 mai 2004, p. 43.

HABERBUSCH Benoît (sous-lieutenant), « L’imaginaire colonial de la gendarmerie à travers la Revue de la gendarmerie, 1928-2000 », Sociétés & Représentations, n° 16, septembre 2003, Figures de gendarmes, sous la dir. de Jean-Noël Luc, pp. 295-306.

INDOCHINE, 1850-1945, RGN, n° 177, 2e trimestre 1995 (sans titre d’auteur : « Colonisation et gendarmerie », pp. 25-28, « L’apparente résignation, 1940-1945 », pp. 29-32 et « 9 mars 1945 : le coup de force Japonais », pp. 44-47).

« L’Indochine des pionniers », Gend’info, n° 165, décembre 1994, pp. 18-19.

LONGUET Thibault, « Gendarmerie et renseignement en Indochine : atouts théoriques, faiblesses pratiques », RGN, hors série histoire n° 3, 3e trimestre 2002, La gendarmerie, de l’entre-deux-guerres aux années soixante, sous la dir. du chef d’escadron Édouard Ebel, pp. 79-85.

MALABRE Jean (général), La gendarmerie française en Indochine, Paris, Comité national du souvenir de Verdun et Almanach du combattant, 1984, 149 p.

MALABRE (général), « La gendarmerie française en Indochine », Almanach du Combattant, 1984, pp. 125-149.

MORÈRE Claude, Le dialogue interrompu. Auguste Morère, un destin d’exception. Le journal de marche du gendarme-administrateur au milieu des rebelles Stiengs. Indochine, 1921-1923, Connaissances et savoirs, Paris, 2008, 311 p.

PETITPIERRE Jules (capitaine), « Coup de force Japonais du 9 mars 1945 : des héros oubliés du bout du monde, le maquis du Transbassac (Cochinchine) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 132, 2004, p. 22.

PETITPIERRE Jules (capitaine), « Coup de force Japonais du 9 mars 1945 : des héros oubliés du bout du monde, le maquis du Transbassac (Cochinchine) (suite et fin) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 134, 2004, p. 23.

SCHILTE (chef d’escadron), « Un gendarme colonisateur : le maréchal des logis-chef Morère », RG, n° 43, janvier 1935, pp. 71-88.

VESTIEUX Ludovic (lieutenant), « La gendarmerie au Tonkin. Les combats de la Garde républicaine à Hoa-Binh (janvier-mars 1951) », Armées d’aujourd’hui, n° 262, juillet-août 2001, pp. 67-69.

V) BIOGRAPHIES DE PARRAINS DE PROMOTIONS

Cette rubrique est composée principalement par des articles nécrologiques ou des commémorations ayant eu lieu en mémoire des soldats de l’Indochine. Ces contributions entremêlent parfois souvenirs personnels des auteurs et portraits biographiques.

BEAUDONNET Louis (général), « À Châteaulin, promotion adjudant-chef Caillot (1911-1952) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 152, 2006, pp. 22-23.

BEAUDONNET Louis (général), « À Châtellerault, une promotion garde Georges Bouzon (1922-1950) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 133, 2004, pp. 16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À Chaumont, le baptême de promotion garde Pierre Ducas (1923-1949) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 172, 2008, pp. 16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À Chaumont, le baptême de promotion garde Pierre Ducas (1923-1949) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 172, 2008, pp. 16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À l’école de gendarmerie du Mans, l’hommage au groupe d’escadrons Muong et au garde Boisnard », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 167, 2007, pp. 26-27.

BEAUDONNET Louis (général), « À l’école des sous-officiers du Mans avec la promotion du garde Jean Faivre (1924-1949) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 79, 1999, pp. 4-5.

BEAUDONNET Louis (général), « À Libourne, la sortie de la promotion garde Alquier (1926-1951) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 131, 2004, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « À Libourne, l’hommage de la 16e promotion au garde Marcel Carreyre (1923-1950) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 160, 2007, pp. 16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À Montluçon, avec la promotion Jouhannel (1924-1948) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 114, 2002, pp. 26-27.

BEAUDONNET Louis (général), « À Montluçon, honneur et gloire à Auguste Morère et aux gendarmes coloniaux (1897-1933) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 92, 2000, pp. 8-9.

BEAUDONNET Louis (général), « À Montluçon, la promotion des frères Bugnani (1923-1947) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 178, 2008, pp. 16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À Montluçon, la sortie de la 250e promotion, garde Robert Malineau (1923-1953) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 127, 2004, pp.16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À Montluçon, le baptême de la promotion garde Yon (1923-1949) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 136, 2004, p.12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « À Montluçon, une promotion Roger Potel en hommage au garde du Sud-Annam », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 141, 2005, pp. 16-17.

BEAUDONNET Louis (général), « À Saint-Gaudens, le baptême du quartier sous-lieutenant Marcel Piquet », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 113, 2002, pp. 26-27.

BEAUDONNET Louis (général), « Au fort de Charenton, avec l’école des sous-officiers de la gendarmerie de Chaumont, promotion adjudant-chef Guillamon (1908-1951) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 116, 2003, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « En Indochine il y a 50 ans avec le capitaine Mazet et le groupe d’escadrons cochinchinois », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 76, 1999, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « L’adieu des anciens d’Indochine au général Gilbert Pacot », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 50, 1997, pp. 12-13.

BEAUDONNET Louis (général), « Le baptême de la promotion garde Roland Avenel (1924-1948) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 80, 1999, pp. 4-5.

BEAUDONNET Louis (général), « Le baptême de la promotion maréchal des logis-chef Bidron », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 104, 2001, pp. 22-23.

BEAUDONNET Louis (général), « Le carnet noir de l’été 1997, hommages au général Daniel Puthoste (1911-1997), au colonel Xavier de la Garde, au général André Tran Van Don (1917-1997) et au général Paul Brouiller (1911-1997) », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 60, 1997, p. 22.

BEAUDONNET Louis (général), « Requiem pour nos paladins de Bentré », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 72, 1999, p. 27.

BEAUDONNET Louis (général), ROUBY Marcel (adjudant-chef) et LE BRAS Émile, « Réhabilitation du souvenir du garde Bernard Boisnard », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 154, 2006, pp. 15-17.

CASTEL René, « Inhumation du corps du capitaine Jean d’Hers », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 88, 2000, pp. 14-15.

DIEU Richard, « Promotion Delphis (1929-1954) de l’école de Châtellerault », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 162, 2007, p. 9.

DUBOIS Gustave, « Un breton à l’honneur : le garde Morellec (1919-1948), parrain de la 76e promotion de l’école de gendarmerie du Mans », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 114, 2002, p.17.

DUBOIS Jean, « Le gendarme mort-vivant en Indochine », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 74, 1999, p. 9.

« Une promotion MDL-chef Blanc Pinget (1924-1952), héros d’Indochine à l’école des sous-officiers du Mans », Gendarmes d’Hier et d’Aujourd’hui, n° 109, 2002, pp. 12-13.

HABERBUSCH Benoît, sous-lieutenant (dir.), Pour la patrie, l’honneur et le droit : les parrains de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (1919-2004), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, 227 p.

VI) TRAVAUX SUR LA SYMBOLIQUE DE L’INDOCHINE

BONNET des CLAUSTRES E. et al., Insignes de l’armée française, 3. L’Indochine. Les femmes en Indochine, les fanions, la gendarmerie, le matériel, les troupes aéroportées, Bobigny, Sogico, 1984, 144 p.

FILMOTTE Richard (maréchal des logis-chef), Aux sources de la tradition : gendarmerie et symbolique, Maisons Alfort, SHGN-Phénix Éditions, 2001, 59 p.

FILMOTTE Richard (maréchal des logis-chef), « Indochine et gendarmerie, un siècle de sacrifices » RHA, 3-2000, septembre 2000, pp. 128-129.

FILMOTTE Richard (maréchal des logis-chef), « La gendarmerie en Extrême Orient, un souvenir vivace », RHA, 1-2003, mars 2003, pp. 120-121.

FILMOTTE Richard (maréchal des logis-chef), Insignes homologués par le Service historique de la Gendarmerie nationale (1996-2001), Maisons-Alfort, SHGN, 2002, 120 p.

FILMOTTE Richard (adjudant-chef), « Les légions de marche en Indochine à travers les insignes », Gend’Info, n° 313, janvier 2009, p. 43.

FILMOTTE Richard (maréchal des logis-chef), Les insignes de la Gendarmerie nationale, tome I : Les origines ; Insignes homologués par le SHGN (1996-2004), Maisons-Alfort, SHGN, collection Patrimoines, 2004 ; tome II : Les insignes de tradition de la Gendarmerie nationale en 2004, Maisons-Alfort, SHGN, collection Patrimoines, 2004, 168 p. 

(1) Le premier carnet du format 17x11 cm concerne la période du 6 septembre 1950 au samedi 17 février 1951, le second du 18 février 1951 au 7 mai 1952, le troisième du 8 mai 1952 au 2 janvier 1953 et enfin le dernier cahier du 3 janvier 1953 au 20 avril 1953.

(2) Lorsque les carnets originaux rédigés en Indochine mentionnent par exemple pour le 29 octobre 1952 : « Liaison d’un camion du PC à 9 heures 15, accompagné par le chef Cornebois et Navari », la version dactylographiée retouche légèrement la version originale comme suit : « À neuf heures quinze, liaison d’un camion du PC Long-Dien, accompagné par le Mdl/Chef Cornebois et le GR Navari ». Les deux versions sont similaires et ne concernent que quelques retouches relatives au style ou à la formulation des phrases.

(3) Sur ces questions, le lecteur pourra se reporter aux ouvrages et articles suivants : BROUILLET Pascal, La maréchaussée dans la généralité de Paris au XVIIIe siècle (1718-1791). Étude institutionnelle et sociale, doctorat, sous la dir. de Jean Chagniot, EPHE, 2002, 3 vol., 871 p. EMSLEY Clive, « La maréchaussée à la fin de l’Ancien Régime. Note sur la composition du corps », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1986, t. 23, octobre-décembre, pp. 622-644. HOUTE Arnaud-Dominique, Le métier de gendarme national au XIXe siècle. Pratiques professionnelles, esprit de corps et insertion sociale de la Monarchie de Juillet à la Grande Guerre, doctorat, sous la dir. de Jean-Noël Luc et de Jean-Marc Berlière, Université de Paris IV-Sorbonne, 2006, 978 p. EBEL Édouard, « La formation et la professionnalisation dans la maréchaussée et la gendarmerie (du XVIIIe siècle au début du XXe siècle) », Le Trèfle, n° 120, 2009, pp. 38-44. EBEL Édouard et HABERBUSCH Benoît, « Rationalisation et professionnalisation dans la formation de la gendarmerie au XXe siècle », Le Trèfle, n° 121, 2009, pp. 61-67.

(4) LIGNEREUX Aurélien, « La mémoire écrite de la gendarmerie », dans LUC Jean Noël (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, pp. 742-778. Pour l’établissement des statistiques, nous avons utilisé l’index chronologique des périodes concernées (pp. 775-776).

(5) On mesure d’ailleurs toute la différence entre la vivacité du style du texte de François Gallot et l’utilisation d’un langage administratif dans les Journaux de marche et opérations. Voir à ce titre DGN 2007 ZM1 000195, 1ère légion de marche de la Garde républicaine, 3e groupe d’escadrons. Détachement de Nuoc-Ngot du 1er janvier 1952 au 30 avril 1952.

(6) OMNÈS René (général), L’Indochine avant l’oubli…, Paris, ABST, 1993, 254 p.

(7) BEAUDONNET Louis (général), Souvenirs du général Louis Beaudonnet. De Verdun à Saigon (1923-1954), Vincennes, SHD, 2008, 331 p.

(8) DUPLAN Raymond (adjudant-chef), Ceux d’Indochine : livre d’or des gendarmes morts en Indochine (1946-1956), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, 345 p.

(9) Archives privées de la famille de François Gallot.

(10) Bureau central d’archives administratives militaires (BCAAM), Dossier de François Gallot, s.d., et archives privées de la famille Gallot, livret individuel des chefs de brigade et gendarmes.

(11) Archives privées de la famille Gallot, ministère de la Défense nationale, bureau des décorations, n° 301060 du 10 juillet 1951.

(12) Archives privées de la famille Gallot, Citation à l’ordre du régiment, Ordre général n° 3 du 25 février 1953 du colonel, commandant la 1ère région militaire des forces armées vietnamiennes et BCAAM, extrait des services de François Gallot.

(13) Archives privées de la famille Gallot, Citation à l’ordre du régiment, Ordre général n° 263 du 16 mars 1953, du général de division Bondis et BCAAM, extrait des services de François Gallot.

(14) Archives privées de la famille Gallot, Lettre de félicitations du n° 30/4 du 13 février 1957 au gendarme François Gallot et BCAAM, extrait des services de François Gallot.

(15) Archives privées, copie de l’attestation délivrée à Saint-Eugène le 1er mars 1958 et signée par le colonel commandant la 10e légion de gendarmerie départementale.

(16) Journal Officiel, 11 août 1962.

(17) Archives privées de la famille Gallot, Félicitations écrites du commandant de légion, courrier n° 2707/2 du 30 août 1962 et BCAAM, extrait des services de François Gallot.

(18) Archives privées de la famille Gallot, Diplôme attribuant la médaille militaire, Paris, le 10 avril 1962, scellé et enregistré sous le n° 3926 MA 62 et BCAAM, extrait des services de François Gallot.

(19) Archives privées de la famille Gallot, décision n° 8 du directeur de la gendarmerie et de la justice militaire edu 1er juillet 1969.

(20) Archives privées de la famille Gallot.

(21) Archives privées de la famille Gallot.

(22) Archives privées de la famille Gallot, office nation des anciens combattants, dossier n° 935153, le 17 octobre 1973.

(23) Décision n°59.668/Gend. P. du ministre des Armées, direction de la gendarmerie, bureau du personnel, Paris, le 20 novembre 1946.

(24) Décisions ministérielles du 27 décembre 1946 et du 17 janvier 1947.

(25) BEAUDONNET Louis (général), « Il y a cinquante ans… Nos légions de marche étaient en route pour l’Extrême-Orient », Gendarmes d’hier et d’aujourd’hui, n° 53, 1997, pp. 12-13.

(26) BIAUGEAUD (adjudant-chef), « Encadrement de la garde du Viet-Nam (Sud) », Gendarmerie nationale, Revue d’Études et d’Informations, n° 9, 3e trimestre 1951, pp. 27-33.

(27) FRANCQ Henri (chef d’escadron), La gendarmerie en Indochine, 1945-1956, diplôme technique option Sciences de l’homme, enseignement militaire supérieur scientifique et technique, 1986, p. 28.

(28) BEAUDONNET Louis (général), « Il y a cinquante ans… Nos légions de marche étaient en route pour l’Extrême-Orient », Gendarmes d’hier et d’aujourd’hui, n° 53, 1997, pp. 12-13.

(29) THOUVENOT Bertrand, La gendarmerie dans les combats d’Indochine, 1945-1955, maîtrise d’histoire, sous la direction de J. Ganiage, Université de Paris IV-Sorbonne, 1991, p. 37.

(30) FRANCQ Henri (chef d’escadron), op. cit., pp. 24-25.

(31) THOUVENOT, op. cit., p. 73.

(32) « Réception de l’étendard de la Garde républicaine par la 1ère légion de marche de Garde républicaine », Gendarmerie nationale, Revue d’études et d’informations, n° 4, 2e trimestre 1950.

(33) SÉRIGNAN (général), « La Gendarmerie française en Indochine », Gendarmerie nationale, Revue d’Études et d’Informations, n° 13, 3e trimestre 1952, p. 25.

(34) FRANCQ Henri (chef d’escadron), op. cit., p. 82.

(35) TOUEAU Jean, « L’Indochine », Gendarmes d’hier et d’aujourd’hui, n° 115, 2002, p. 23.

(36) HUBERT (chef d’escadron), « La Garde montagnarde », Gendarmerie nationale, Revue d’Études et d’Informations, n° 16, 2e trimestre 1953, pp. 28-29.

(37) Un groupe d’anciens d’Hoa-Binh, « Nouvelle sur les débuts du Groupe d’escadrons Muong », Gendarmerie nationale, Revues d’Études et d’Informations, n° 13, 3e trimestre 1952, pp. 23-26.

(38) MALABRE (général), « La gendarmerie française en Indochine », Almanach du Combattant, 1984, pp. 125-149.

(39) Cité par Henri FRANCQ (chef d’escadron), op. cit., p. 85.

(40) BEAUDONNET Louis (général), « Avec la 3e légion de Garde républicaine de marche en 1947 », Gendarmes d’hier et d’aujourd’hui, n° 98, 2001, pp. 22-23.

(41) FRANCQ Henri (chef d’escadron), op. cit., p. 32.

(42) Note n° 358 du 31 mars 1949.

(43) « La gendarmerie française en Indochine », Gendarmerie nationale, Revue d’Études et d’Informations, n°160, 4e trimestre 1989, p. 38.

(44) BEAUDONNET Louis (général), Souvenirs du général Louis Beaudonnet, de Verdun à Saïgon, 1923-1954, Vincennes, SHD, 2007, p. 87

(45) LUC Jean-Noël (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie, guide de recherche, préface du général d’armée Guy Parayre, Maisons-Alfort, Service historique de la Gendarmerie nationale, 2005, p. 1021

(46) DUPLAN Raymond, Ceux d’Indochine, livre d’or des gendarmes morts en Indochine, Maisons-Alfort, Service historique de la Gendarmerie nationale, 2005, 352 p.

(47) Ces nouvelles recherches, sur l’Algérie par exemple, dévoilent des pans peu connus de l’intervention de la gendarmerie. Voir à ce propos la thèse d’Emmanuel Jaulin, dirigée par le professeur Jacques Frémeaux : JAULIN Emmanuel, La gendarmerie dans la guerre d’Algérie. Dépendance et autonomie au sein des forces armées, Panazol, Lavauzelle, 2009, 494 p.