Force Publique

Présentée par le chef d’escadron Édouard EBEL

La table ronde(1) porte sur le rôle et l’avenir de la gendarmerie dans les zones urbaines et périurbaines. Présidée par Pierre Mercier, journaliste de France Culture, elle rassemble les interventions des sénateurs Jean-Jacques Hyest, élu UMP de Seine-et-Marne et Jean-Pierre Masseret, élu PS de Moselle, du général d’armée (2s) Jean-Marc Denizot, ancien inspecteur général des armées, du général (2s) Georges Philippot, président de la SNHPG et du sociologue François Dieu, maître de conférences à l’institut d’études politiques de Toulouse.

La question de la place de la gendarmerie dans les zones urbaines relève des problématiques politiques et sociales de notre pays. La crise des banlieues, le rôle des forces de l’ordre soulèvent des polémiques et des discussions, qui ont connu une médiatisation importante lors des présidentielles. Le débat est introduit par le général Philippot.

Général Philippot :

« Les gendarmes dans la ville » est une formule quasi paradoxale, pouvant paraître provocatrice au premier abord. Les gendarmes dans la montagne, les gendarmes plongeurs, les gendarmes sur les routes, les gendarmes des campagnes, bien sûr, mais les gendarmes des villes ! Quand a-t-on vu le dernier et où ? Certes, on retrouve les gendarmes mobiles autour de la Sorbonne, lieu privilégié de rencontres périodiques avec les étudiants. Mais leur présence dans les agglomérations suscite une série d’interrogations. Tout d’abord se pose le problème de la définition de la ville. Qu’est-ce qu’une zone urbaine, où se situe la frontière entre l’urbain et le périurbain, de quel type de ville parle-t-on ? De la capitale, de la grande ville de province, de la préfecture, de la sous-préfecture ou de la petite ville ? Doit-on considérer le facteur démographique ou le statut administratif des cités ? L’importance de la délinquance délimite-t-elle des frontières dans les villes ?

Le rapport entre le centre et sa périphérie est tout aussi problématique. Le cœur de la ville est le lieu du pouvoir et de ses rites, c’est pourquoi les gouvernements le protègent lors des émotions populaires, des contestations, des grèves, des émeutes ou des révolutions.

Parallèlement, le terme « banlieue » est d’une grande richesse étymologique. Il désigne ceux qui sont au-delà du ban et de la proclamation de la loi et des coutumes. Ce mot comporte une signification péjorative, il implique la notion d’une marge, d’une frontière où le droit n’est plus respecté.

Dans cet ensemble ville/banlieue, la gendarmerie joue un rôle important. Encore faut-il rappeler que les cavaliers de la maréchaussée, interdits de séjour dans les villes au XVIIe siècle, ont progressivement conquis l’espace citadin au siècle suivant. Paris est un cas à part. Alors que la présence de la maréchaussée remonte au XVIIIe siècle, on dénombre encore trente brigades de gendarmerie dans la capitale et soixante-quinze dans la petite couronne en 1930. Pour quelles raisons ce réseau a-t-il disparu de nos jours ? En raison de l’inadaptation du système en zone urbaine ou périurbaine, sous la pression croissante de la Police nationale ou pour quelque autre motif ?

Une autre problématique concerne les différentes forces en présence : Gendarmerie nationale et Police nationale. Quel est le système le mieux adapté, le plus performant en termes de proximité, de prévention et d’intervention pour conserver la paix dans les zones urbaines et périurbaines ? Cet inventaire thématique peut servir de guide à ce débat, mais je souhaiterais auparavant établir quelques constats et poser des questions volontairement provocatrices. J’ai cru comprendre, dans un discours politique prononcé récemment à Lyon, qu’en zone périurbaine, la gendarmerie n’était guère susceptible d’assumer ses missions. Cette affirmation m’a surpris, d’autant plus que l’exemple de la brigade de Rillieux-la-Pape(2), à quelques kilomètres de Lyon, montre une capacité indéniable de la gendarmerie à répondre aux nécessités et aux difficultés de gérer des situations difficiles. Il me semble que le redéploiement des unités de gendarmerie en direction des zones périurbaines doit être conduit de manière volontariste, comme le préconisait en 1998 le rapport du sénateur Jean-Jacques Hyest et du député Roland Carraz. En se penchant sur les statistiques des années qui ont suivi les recommandations formulées dans ce texte, on peut constater, dans certains départements, que la gendarmerie a quasiment disparu des zones périurbaines. Je me suis fondé sur deux départements réputés, le « neuf-trois » (Seine-Saint-Denis) et le « neuf-quatre » (Val-de-Marne), pour reprendre la terminologie d’aujourd’hui. Le premier département comprend un effectif de deux cent quatorze militaires en 1995 et de cent trente en 2007. Dans le Val-de-Marne, on dénombre deux cent soixante-sept gendarmes en 1995 et cent vingt-deux aujourd’hui. Je pense que le général Denizot, mieux placé que quiconque pour évoquer ces questions, nous proposera des explications. D’autres départements ont-ils été touchés par cette politique ? Ces vides ont-ils été comblés ? Peut-on établir une relation de cause à conséquence entre le départ des gendarmes et les émeutes de 2005 ? Enfin, pour synthétiser mon propos et demeurer dans l’impertinence, je pose la question de savoir dans quelle mesure ces émeutes des banlieues ne sont pas la conséquence de dysfonctionnements dans les dispositifs de maintien de l’ordre ?

Pierre Mercier :

En effet, vos remarques pertinentes et polémiques permettent d’ouvrir ce débat. Mais avant de laisser la place à la discussion, serait-il possible que le sociologue François Dieu évoque la problématique ville/campagne ?

François Dieu :

La question de la place de la gendarmerie dans les zones périurbaines n’est pas nouvelle. Elle est même assez ancienne. Dès la fin des années 1980 et le début des années 1990, on peut dire que la périurbanité a été inscrite sur l’agenda de la gendarmerie. Cette institution a commencé à s’interroger, en se fondant notamment sur les travaux précurseurs de ma collègue Sophie Tiévant, qui avait réalisé une étude novatrice au début des années 1990, et sur le diagnostic établi au sein de l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure (IHESI) devenu depuis l’Institut Nationale des Hautes Études de Sécurité (INHES). La gendarmerie a également réfléchi à ce sujet, en particulier au sein d’une commission présidée et animée par le général Jullien, qui a réalisé un gros travail d’inventaire, de typologisation et de mise en perspective de la question de la périurbanité pour tenter d’anticiper des évolutions, lesquelles depuis lors se sont d’ailleurs concrétisées.

D’autres études, auxquelles il m’a été donné de participer, ont attiré l’attention des responsables de la gendarmerie, même si ces derniers, pour reprendre la formule d’un ancien directeur général, n’avaient pas toujours la compétence de leur compétence : je veux dire qu’ils étaient tributaires des orientations budgétaires et politiques, susceptibles de corriger les options prédéfinies. Bref, la direction n’est pas toujours libre dans ses choix et il est nécessaire d’opérer des ajustements. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le débat se fonde sur des questions discutées depuis une bonne quinzaine d’années et pour lesquelles on n’a manifestement pas encore trouvé de solution satisfaisante. La périurbanité est une vraie lame de fond, que les sociologues et les géographes ont parfois du mal à identifier en raison de la pluralité de ses formes. On évoquait auparavant le département de la Seine-Saint-Denis, mais une ville comme Poitiers est également concernée. Je travaille dans une agglomération toulousaine qui constitue un véritable laboratoire de cette diversité. La périurbanité est par nature diverse, elle s’applique au quartier, à la périphérie de la ville, jusqu’à la zone pavillonnaire résidentielle. Ces ensembles ne se policent pas de la même manière, alors que les territoires voient cohabiter une pluralité de populations dont les attentes et les demandes sont très différentes. Cependant, et c’est un vrai problème, les forces de l’ordre – Police nationale, Gendarmerie nationale et polices municipales – ne se comportent pas d’une manière identique. Il faut prendre la mesure de cette hétérogénéité.

Plusieurs exemples illustrent mon propos. Lorsque l’on examine les statistiques d’activité des groupements de gendarmerie dans la région Midi-Pyrénées, confrontés à une extension des zones urbaines, on s’aperçoit que les conflits de voisinage consomment un volume considérable du potentiel des unités, notamment en termes d’interventions situées en fin d’après-midi, en début de soirée, et surtout d’interventions diurnes. Ces antagonismes renvoient d’ailleurs à une amélioration et une restauration du lien social et à la construction d’une politique de « prévention communautaire », autrement dit, à la fabrication d’un esprit de quartier favorisant les liens sociaux. Celui qui s’intéresse à ces problématiques s’aperçoit rapidement qu’il est en face de problèmes sociaux dont le spectre est très large. Les populations venant s’installer dans la périphérie des villes ont des attentes quasiment rurales, des modes de comportement fondamentalement urbains, et souvent un déficit d’intégration dans leurs zones de résidence. Ces personnes, en effet, ne sont pas toujours intégrées et ne souhaitent d’ailleurs pas forcément être intégrées. Leur existence est dictée par la mobilité : pour se rendre au travail, aller faire des achats au supermarché, etc. Le souhait de ces personnes se résume souvent à vivre isolément. Lorsqu’un problème survient, on fait appel aux services de secours pour le réguler. Le phénomène de l’individualisme, en particulier, caractérise le mode de vie pavillonnaire et l’habitat pendulaire.

Les zones périurbaines sont occupées par des personnes se situant dans les classes moyennes où les couples occupent deux emplois. Les habitations sont désertées durant la journée, ce qui pose le problème des cambriolages ou de garde des enfants après l’école. D’autres questions liées aux contraintes de la vie périurbaine viennent perturber le quotidien de ces personnes : la congestion des réseaux de transports incite à utiliser de paisibles ruelles et les prendre pour de véritables autoroutes. L’agitation suscitée par le mode de vie provoque fatigues et énervement, si bien que l’on ne supporte plus le barbecue du voisin.

La proximité des institutions avec la population est une nécessité. J’ai mené quelques recherches sur ces questions-là. Globalement, sur le territoire français, les contacts avec la population périurbaine sont difficiles à établir. Les gendarmes circulent la journée et ne rencontrent pas grand monde. Les gens sont au travail et ne sont pas toujours enclins à engager des relations de voisinage quand ils rentrent chez eux le soir. Il est donc particulièrement difficile pour les gendarmes de maintenir un contact régulier et constant. Finalement, on peut redouter le spectre d’une gendarmerie mécanique, énoncé à la fin des années 1970 dans l’ouvrage de Lafont et Meyer(3), privilégiant la réactivité à l’immersion sociale.

Pierre Mercier :

Merci d’avoir ainsi posé le décor. Je souhaiterais demander au général Denizot de réagir par rapport aux propos du général Philippot et de François Dieu. Pourriez-vous évoquer votre expérience à la tête de la région d’Île-de-France ? Selon vous, quel rôle doit tenir la gendarmerie dans les zones urbaines et périurbaines ?

Général Denizot :

Avant d’apporter des éléments de réponse sur le rôle qui pourrait être celui de la gendarmerie dans les zones urbaines et périurbaines, je voudrais quand même répondre au constat établi par le général Philippot dans son propos introductif, laissant entendre, en prenant l’exemple de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, que la gendarmerie a fui les espaces urbains et périurbains depuis quelques années. Établissons un rapide bilan de ce qui a été réalisé, sans faire un plaidoyer pro domo. Il se trouve que j’ai été un modeste acteur de ces redéploiements et en tout cas un observateur assez attentif. Dans un premier temps, pourquoi avons-nous redéployé nos effectifs en Île-de-France ? Ce mouvement répondait à une double nécessité. Il y avait d’abord l’impératif de clarifier une situation complexe et un enchevêtrement des forces nuisant à leur efficacité – les exemples historiques, dénonçant les chevauchements ou les conflits de compétence ont été largement développés durant cette journée d’études. Il a donc fallu prendre des décisions. J’ai d’ailleurs été associé en 1996 à la rédaction d’un décret permettant de clarifier la situation en matière d’exécution des missions de sécurité publique. Il a été clairement indiqué que la police et la gendarmerie exécutaient seules les missions de sécurité publique dans leurs zones de compétence. Il était nécessaire de faire en sorte que chacun des acteurs joue son rôle en matière de sécurité générale – je n’évoque pas la police judiciaire ou d’autres missions – mais de manière précisément complète et totale, hormis le cas de quelques opérations nécessitant une main-forte réciproque. Nous étions par ailleurs confrontés à un accroissement considérable de la population dans les zones périurbaines, comme l’a évoqué Jean-Noël Luc dans son introduction.

Effectivement, en ce qui concerne l’Île-de-France, nous avons quitté en partie la petite couronne pour redéployer nos effectifs dans la grande couronne. En l’an 2000 par exemple, les 270 gendarmes du Val-de-Marne n’exécutaient pratiquement pas de mission de sécurité générale. J’ai beaucoup apprécié ce matin la formule d’Arnaud-Dominique Houte, qui prenait l’exemple de la brigade de la ville de Montpellier à la fin du XIXe siècle, où les gendarmes exécutaient des réquisitions et opéraient des translations judiciaires au détriment des missions de surveillance générale. La situation de la petite couronne parisienne présentait des points communs avec le constat d’Arnaud-Dominique Houte. Lorsque l’on vous confie la gestion de la frange ouest et nord de la Seine-et-Marne, du nord des Yvelines, du nord de l’Essonne, du sud et de l’est du Val-d’Oise, il faut renforcer considérablement les capacités des unités de manière à réagir plus efficacement. D’autres opérations ont été conduites au plan national.

Entre 2002-2005, après une première vague de redéploiements ayant plus ou moins échoué, les restructurations ont porté sur environ 2 500 emplois. La Gendarmerie nationale a récupéré quarante circonscriptions de sécurité publique tenues par la police. Cette dernière a étendu sa zone de compétence dans l’urbain à proprement parler. En ce qui nous concerne, les redéploiements internes ont permis de renforcer de manière significative nos capacités dans le monde périurbain. Certes, la réussite n’est pas totale, mais une politique volontariste a été conduite dans ce domaine. Comme le soulignait le commandant de la brigade de Rillieux-la-Pape pour sa brigade, un effort considérable a été réalisé afin de renforcer nos capacités dans ces zones. Il reste cependant beaucoup à faire, surtout si l’on tient compte de la future augmentation du volume de la population dans les banlieues. Je ne suis pas sûr que nous trouvions dans les cinq années à venir, au travers des redéploiements, les effectifs nécessaires pour répondre à une augmentation de 1 200 000 habitants dans les zones périurbaines.

Je pense que les propos du lieutenant commandant la brigade de Rillieux-la-Pape ont été révélateurs du fonctionnement d’une brigade dans l’exercice de sa mission de sécurité publique. Voilà un officier expérimenté, ayant pris le commandement de la brigade de Rillieux-la-Pape alors qu’il a commandé précédemment une brigade rurale. Il a d’une certaine manière découvert les problèmes liés aux zones périurbaines dans sa nouvelle affectation. Il a simplement transposé, me semble-t-il, les modes d’action qu’il remplissait dans une brigade traditionnelle de gendarmerie, tout en se soumettant sans doute à une approche du commandement et une organisation un peu particulières. Je pense que les modes d’organisation traditionnels de la gendarmerie doivent permettre de répondre de manière satisfaisante sans bouleverser nos « fondamentaux ».

Pourquoi avons-nous entretenu un léger dispositif dans les zones de la Police nationale ? Principalement pour répondre à la compétence générale de la gendarmerie en matière de police judiciaire notamment et permettre la poursuite des enquêtes initiées en province. Il s’est avéré nécessaire ensuite de conserver un maillage minimum pour garantir une éventuelle montée en puissance de la gendarmerie, en cas de crise. Il est plus aisé de s’appuyer sur un réseau préexistant n’ignorant rien du milieu et des acteurs locaux.

Pierre Mercier :

On a l’impression que Rillieux-la-Pape rayonne sur tout le territoire ! Je souhaiterais donner un petit droit de réponse au Général Philippot sur cette question.

Général Philippot :

Je voudrais évoquer la question des zones de compétence, dont je vois le périmètre et la définition varier tous les cinq ou dix ans. Qui définit – et comment – les zones de compétence ? Si vous le permettez, je vais évoquer mon expérience. J’ai vu apparaître, enfin j’ai suivi régulièrement, deux stratégies différentes dans ce domaine. La politique de la gendarmerie repose d’une certaine manière sur l’axiome suivant : « Je ne prends pas si je n’ai pas les moyens, et, si je ne dispose pas de moyens, je me replie ». Au cours de ma carrière, j’ai également pu observer la stratégie de la Police nationale, qui consiste à dire : « Je n’ai pas les moyens, mais je prends quand même, et on finira bien par m’accorder ces moyens ». Cette double stratégie n’a-t-elle pas contribué en définitive à favoriser l’apparition de zones de non-droit ?

Pierre Mercier :

Toutes ces questions sont au cœur de notre débat. Le général Philippot faisait allusion, dans son propos introductif, au rapport rédigé par le sénateur Jean-Jacques Hyest et le député Roland Carraz le 10 avril 1998. Il s’intitulait Une meilleure répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure sécurité. Le général Philippot a noté que ce texte préconisait un redéploiement de la gendarmerie en direction des zones périurbaines à conduire de manière plus volontariste. Ce vœu a-t-il été en partie exaucé, comment concevez-vous, dix ans après votre rapport, la situation actuelle ?

Sénateur Hyest :

Je pense que le général Denizot a fourni en grande partie la réponse. Quel était le but du Gouvernement en 1998 ? C’était de souligner qu’en matière de sécurité publique on relevait de gros déséquilibres. Les gendarmes d’Issy-les-Moulineaux, par exemple, effectuaient des tâches de police judiciaire, mais se retrouvaient en surnombre sur le plan de leur activité. En revanche, dans la grande couronne, et notamment dans les départements de Seine-et-Marne et des Yvelines, les effectifs nécessaires faisaient défaut, en raison de l’augmentation de la population périurbaine. Pour prendre l’exemple de la Seine-et-Marne, on constate que sa population passe de 800 000 habitants à 1 400 000 entre 1968 et 2007. Ce département a opéré une mue en devenant périurbain.

Les zones rurales deviennent de plus en plus des zones rurbaines. Personnellement, j’habite à quatre-vingt-cinq kilomètres de Paris, et les propos de François Dieu résument parfaitement la situation des habitants des villes et villages périurbains. Cette situation a nécessité des redéploiements et un partage des zones entre la police et la gendarmerie. Cette répartition a été établie sur la base d’une égalité de traitement. Je remarque également que les effectifs ne sont pas toujours bien utilisés. On pourrait peut-être supprimer, pour les gendarmes et les policiers, les missions de transfert de détenus, qui obèrent l’emploi de temps quotidien des forces de l’ordre. On pourrait encore recommander aux magistrats d’agir de manière plus rationnelle en ce qui concerne les transferts.

Vous disiez, mon général, que plusieurs stratégies se sont entrecroisées. Je pense que la gendarmerie était prête depuis un certain nombre d’années, mais il est difficile de bouger lorsque votre partenaire ne bouge pas. On disposait par ailleurs d’un héritage extraordinaire ; au sein de la gendarmerie, les deuxièmes, voire troisièmes brigades par canton, ou encore les brigades à six, avaient induit des changements profonds. Il a donc fallu trouver des formules pour regrouper les forces et les rendre efficaces. Le système de la communauté de brigade, malgré quelques tâtonnements au début, fonctionne parfaitement dans mon canton. Mais, parallèlement, la présence de la gendarmerie s’étend sur tout le territoire. Cette institution est tout à fait capable de s’adapter dans les zones urbaines avec des populations difficiles. Rappelez-vous qu’il y a cinquante ans, 80 % de la population était rurale et 20 % urbaine. De nos jours, la situation s’est inversée. Les jeunes gendarmes recrutés aujourd’hui sont principalement issus des zones urbaines et périurbaines et ont des points communs avec le profil social et géographique du reste de la population. Ils possèdent ainsi une culture identique, qui leur permet de s’adapter parfaitement. Inversement, je suis convaincu qu’il est souvent difficile pour les jeunes issus d’un milieu urbain de se retrouver dans les brigades rurales. Pour des raisons familiales d’abord, en raison du travail des épouses ; pour des raisons professionnelles aussi, dans les régions enclavées, où le manque d’activité risque rapidement de susciter l’ennui. On s’est beaucoup interrogé sur la police de proximité. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’elle était indispensable. La police de proximité c’est la gendarmerie ! Si l’on applique le schéma d’organisation de la gendarmerie, implantée au sein de la population, logeant sur place avec les familles, on fait de la police de proximité. C’est une des raisons qui expliquent la popularité de cette institution, notamment dans les zones rurales, en raison de sa présence permanente et d’une certaine stabilité du personnel. Je crois qu’on ne peut pas se permettre de perdre ces acquis et je suis prêt à en convaincre Madame le ministre de l’Intérieur.

Pierre Mercier :

Puisqu’il s’agit d’un débat, je vais demander à Jean-Pierre Masseret d’intervenir à son tour. Ce qu’a dit le sénateur Hyest à l’instant laisse penser qu’il y a peut-être une possibilité de redéfinition, peut-être de redéploiement de la gendarmerie dans certaines zones qui ne sont pas vraiment des zones urbaines, mais des zones d’urbanisation forte – avec des difficultés particulières délitement du lien social, individualisation dont on a beaucoup parlé –, dans lesquelles la gendarmerie serait peut-être plus à même que la Police nationale, quand bien même ce serait une zone urbaine, d’assumer cette fonction de sécurité.

Sénateur Masseret :

J’ai été un peu secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants et naturellement, quand c’était un peu chaud dans la gendarmerie, on me disait qu’il fallait aller visiter une gendarmerie. Croirez-vous que je suis allé à Rillieux-la-Pape ! C’était tout à fait remarquable. Je comprends maintenant pourquoi on y passait tous puisque c’était la vitrine qu’il fallait montrer, mais une vitrine qui reflète quand même des réalités observées sur d’autres espaces du territoire. Il n’y a pas trop de débats avec Jean-Jacques Hyest. Je veux dire que les élus sont confrontés à des situations identiques et se posent donc les mêmes questions. Les réformes ont été faites. Celles dont parlait Jean-Jacques Hyest à l’instant. Dans certains endroits, elles se sont déroulées dans de très bonnes conditions. Je peux apporter mon témoignage de sénateur d’un département de plus d’un million d’habitants, comprenant des zones rurales importantes en Moselle, notamment dans l’arrondissement de Sarrebourg où je vis. Depuis la dernière réforme, les élus – à tort ou à raison, je l’ignore – se plaignent des délais d’intervention. Est-ce la conséquence des regroupements ? Pour joindre la gendarmerie, il faut faire un numéro qui vous renvoie à Metz, où l’on ne connaît pas forcément la gendarmerie de permanence. Certaines gendarmeries sont fermées et cela semble préoccuper les élus. Mais là n’est pas l’essentiel. Les élus, qui se situent à l’interface des citoyens et des décideurs, sont confrontés aux questions et aux problèmes de la sécurité publique. La population a besoin d’être protégée pour vivre tranquillement sans se méfier de son voisin. Par conséquent, le problème réside dans la meilleure organisation susceptible d’apporter la tranquillité en zone urbaine, périurbaine ou rurale. C’est donc dans la définition d’une stratégie, qui se trouve au croisement d’objectifs et de moyens, que résident les solutions. Or, j’ai parfois le sentiment – à droite d’ailleurs comme à gauche – que les stratégies évoluent moins par rapport à l’efficacité recherchée que par rapport aux moyens dont on dispose.

En zone rurale, je me souviens de la réforme qu’évoque Jean-Jacques Hyest. Les maires disaient en l’occurrence : « Nous, on a plus de sécurité parce qu’on a les gendarmes et si vous nous enlevez nos gendarmes, on va se retrouver comme les zones périurbaines ou les zones urbaines ». Ce débat était forcément biseauté, puisque personne ne veut perdre jamais rien, ni son gendarme, ni son maréchal-ferrant, ni son policier… Je peux parler de mon expérience de plus de quarante ans de vie politique. J’ai pu observer toutes ces évolutions. La question qui est posée est celle de la sécurité publique : il faut que les pouvoirs publics apportent des réponses aux citoyens dans une société donnée et par rapport au périurbain. Le grand avantage de la gendarmerie – Jean-Jacques Hyest l’a affirmé et tout le monde l’a dit – réside dans la présence physique des familles qui vivent, qui achètent, qui partagent avec les autres, qui ont une connaissance fabuleuse de leur circonscription. Et si vous demandiez aujourd’hui à des citoyens le statut du gendarme, pas un sur dix ne vous dirait que ce sont des militaires, pas un sur dix ne vous dirait qu’il s’agit de policiers : ce sont des gendarmes. C’est presque un statut sui generis ! Les gendarmes ne sont pas militaires, ne sont pas policiers, ils sont gendarmes. Ils vivent avec nous, on les connaît. Cette question est essentielle. Pourquoi ne pas placer des gendarmes dans le périurbain, si cette mesure semble la plus éprouvée, la plus efficace ? Cette présence physique, on l’observe à Rillieux-la-Pape, et j’ai pu constater qu’elle était efficace. Il ne faut cependant pas négliger les questions de formation et de qualification, car on ne travaille pas dans un canton périurbain comme dans un canton rural, même si la proximité avec la population demeure essentielle. Le maire des Ulis, qui est un collègue sénateur, prônait ce système, qui en contrepartie représente aussi de la formation, de la qualification, de la patience, de la psychologie et des moyens humains en nombre suffisant pour parvenir à un résultat. Pour résumer mon propos, je pense que les politiques doivent proposer la meilleure organisation possible pour répondre au défi de la sécurité publique, et qu’il est nécessaire de s’attribuer les moyens de ses ambitions pour parvenir à cet objectif.

Pierre Mercier :

On a le sentiment, Monsieur le sénateur Hyest, que la pertinence des fondamentaux de la gendarmerie s’exprime assez bien dans ces zones nouvelles d’urbanisation forte, où s’impose la nécessité d’une proximité avec la population. N’y a-t-il pas un nouveau rapport à faire sur cette question ?

Sénateur Hyest :

Je crois qu’on a vu des organisations s’adapter. Dans ma région, d’anciens villages sont devenus des communes de près de 10 000 habitants, pourvues d’une brigade. Le tout est de placer des effectifs correspondant aux besoins. Lorsque l’on observe aujourd’hui les brigades de Seine-et-Marne de trente-deux/trente-trois gendarmes, on ne peut plus guère parler de brigade rurale ; l’organisation n’est plus la même. Je me réjouis d’ailleurs de l’amélioration et de l’augmentation de l’encadrement de la gendarmerie.

Les zones périurbaines ne sont pas homogènes. D’une manière générale, on peut souligner les problèmes de l’urbanisme. Les nombreux pavillons construits le long des routes rassemblent des gens isolés et ne forment pas pour autant des ensembles urbains, des villes ou de villages. Par ailleurs, il est extrêmement difficile pour la gendarmerie et la police de gérer de tels ensembles qui favorisent l’individualisme. Auparavant, le lien social était plus fort ; désormais, les gens ne se connaissent plus et n’entretiennent plus de relations entre eux. Je suis maire d’un gros village de trois cent cinquante habitants où les problèmes de voisinage sont bien plus nombreux depuis six ans que depuis mes vingt ans de mandats précédents. La population venue habiter les anciennes zones rurales provient de la petite couronne ou des zones urbaines de Seine-et-Marne. Cet afflux s’explique pour des raisons économiques, mais aussi de tranquillité et de sécurité. Les gens ont l’impression de mieux vivre dans nos villages, et leur niveau d’exigence en termes de sécurité est important ; en réalité, ils posent de nombreux problèmes aux élus et aux gendarmes. On se trouve finalement dans un territoire périurbain, qui ne possède ni les caractéristiques de la ruralité, ni celles de l’urbanité. Heureusement, les relations entre la gendarmerie et les élus locaux sont souvent bonnes.

Pierre Mercier :

En ce qui concerne la situation actuelle, j’avais envie de poser une question au général Denizot. Peut-on redéfinir aujourd’hui la fonction de la gendarmerie dans le contexte que l’on connaît. Finalement, à quoi sert la gendarmerie ?

Général Denizot :

La question qui se pose aujourd’hui est de répondre à la problématique du périurbain. Les évolutions, les questions liées à l’environnement nécessitent beaucoup d’attention et d’adaptation de la part de la gendarmerie, mais il ne faut pas remettre en cause les « fondamentaux » de notre institution. Les attentes de nos concitoyens vivant dans les zones périurbaines sont celles des populations des siècles derniers : les gens recherchent la tranquillité et la paix publique. C’est là que se situent les missions de la gendarmerie : arrêter les malveillants et les criminels et les déférer devant la justice. Voilà l’objectif et le métier du gendarme.

Pierre Mercier :

Ces missions, sont-elles différentes pour la police ?

Général Denizot :

Non, ce n’est pas différent de la police. En revanche, les approches peuvent se différencier selon le milieu et l’environnement. À mon sens, la problématique du périurbain réside effectivement dans le constat – développé par François Dieu tout à l’heure – d’une population et d’un environnement modifiés par l’absence des populations durant la journée. Les gendarmes interviennent de plus en plus dans des actions de médiation, etc. Cela nous amène d’ailleurs à mieux préparer le personnel, à adopter des modes de fonctionnement internes différents, tels que la connaissance de contextes précis, la recherche du renseignement, la proximité avec la population. Cela nécessite également une implication plus importante dans l’action partenariale en matière de sécurité, alors que le nombre d’acteurs concernés par ces questions augmente. En tout état de cause, je pense que la gendarmerie est susceptible de réagir rapidement et de monter en puissance par rapport à un événement exceptionnel risquant d’embraser la situation. Nous faisions précédemment référence aux événements dans la banlieue en novembre 1995. En termes d’organisation, je demeure assez traditionaliste en restant favorable aux évolutions, mais sans remettre en cause les fondements de notre institution. Je suis très attaché à la polyvalence du gendarme, qui possède des vertus. Dans certains milieux, très urbanisés et difficiles, il faudrait sans doute dégager davantage de temps de présence et de contact pour favoriser le dialogue. Peut-être même faudrait-il aller plus en avant dans la dissociation de certaines fonctions et de certaines spécialisations – ce mouvement est par ailleurs déjà entamé – et développer les fonctions d’intervention ou de police judiciaire. Il serait sans doute nécessaire de professionnaliser certaines cellules en matière de médiation, ou bien encore faire appel à des capacités extérieures à la gendarmerie, comme les travailleurs sociaux. Pour résumer, il faudrait revoir les modes de fonctionnement sans remettre en cause nos fondamentaux et ce qui doit faire notre action en matière de proximité, de prévention et d’intervention.

François Dieu :

La périurbanité, comme d’ailleurs la sécurité, n’est pas une problématique spécifique à la gendarmerie. Monsieur Hyest l’indiquait auparavant, la périurbanité est également un problème qui se pose aux maires. Ceci explique le constat établi par le général Denizot : les voies d’amélioration des prestations de sécurité dans les zones périurbaines passent par un recours systématique aux dispositifs partenariaux et par une inscription de la gendarmerie dans ce processus. Les conventions avec la police municipale, la participation aux contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance sont indispensables. Il faut garder à l’esprit que les solutions que nous pourrons trouver font nécessairement appel à une pluralité des acteurs. Dans les communes ayant connu un processus de périurbanisation, suite à la spéculation foncière ou à l’absence de politique d’aménagement territorial, les maires jouent parfois leur rôle traditionnel de médiateur ; ils sont souvent rabroués par des populations périurbaines, c’est-à-dire essentiellement urbaines, qui ne supportent pas les rappels à la loi. Ces incompréhensions, ces difficultés, sont celles que rencontre la pluralité des acteurs publics.

La gendarmerie tente de faire pour le mieux, comme toute administration s’inscrivant dans une logique de rationalité de l’action publique. Les réflexions internes qui ont été menées sont intéressantes, comme le rapport de la commission Jullien par exemple. La gendarmerie a également adapté ses effectifs et son service, comme le montre l’exemple de Rillieux-la-Pape.

Par ailleurs, les politiques nationales menées par l’autorité politique jouent un grand rôle. Elles préconisent le redéploiement ou non des effectifs, choisissent d’opérer des changements d’organisation, etc. La gendarmerie est tributaire de ces injonctions. Elle a également des intérêts stratégiques, qui justifient notamment sa présence dans les zones périurbaines, c’est-à-dire dans des lieux de concentration de population et d’activité. La tentation d’évincer la gendarmerie au profit de la police dans les zones périurbaines constituerait une catastrophe stratégique pour la gendarmerie.

Lorsque j’effectuais mes recherches, il y a dix ans, on m’emmenait à Méru, dans l’Oise. Les gendarmes m’ont d’abord demandé s’ils étaient des bêtes curieuses qu’on allait observer. Leurs conditions de travail étaient véritablement dégradées. Les choses se sont fort heureusement bien améliorées depuis. Je veux dire qu’il faut bien garder à l’esprit, dans la prise en compte d’un problème de société comme celui-là, que les situations sont très variables et que toute une série d’éléments interfère dans la question de la périurbanité.

La dernière observation que je ferai concerne les modes d’action de la gendarmerie en milieu périurbain. Sont-ils adaptés ? Il s’agit d’une question extraordinairement complexe. Au moment où j’avais réalisé l’étude sur la surveillance générale avec Paul Mignon, nous avions remarqué que la surveillance dans les zones périurbaines semblait un peu surréaliste, dans la mesure où les populations étaient absentes durant la journée ! Comment faire de la surveillance générale dans ces conditions ? Il a été nécessaire d’imaginer de nouveaux modes d’action pour les adapter aux réalités. Il faut aussi tenir compte des évolutions sociales qu’a connues la gendarmerie. Depuis la fin des années 1980, l’institution a réalisé d’importants efforts pour améliorer les conditions de travail et de vie du personnel, en partie sous la revendication de celui-ci. Il s’agit probablement d’une très bonne chose. Mais on peut constater parallèlement une sorte d’injonction contradictoire : on limite le temps de travail et il faut en même temps accroître une prestation de sécurité dans les zones périurbaines. D’où la nécessité d’imaginer de nouveaux modes d’action.

Pour illustrer mon propos, je vais prendre deux exemples volontairement provocateurs. La première question concerne l’ouverture des brigades en soirée. Nos unités fonctionnent en milieu périurbain comme ailleurs sur le territoire. Les locaux de service doivent fermer à 18 heures, alors que la vie dans les zones périurbaines débute véritablement entre 17 et 20 heures. Il est donc nécessaire – des expériences sont d’ailleurs menées dans ce sens – de prévoir une ouverture des locaux de service un peu plus tardive. En contrepartie, la gendarmerie est confrontée à des problèmes d’organisation de service.

Par ailleurs, il faudra peut-être imaginer un système d’ouverture de nuit dans certaines grosses brigades périurbaines, s’apparentant aux centres opérationnels de la Police nationale, qui correspond à l’ensemble du département, sauf pour certaines unités devant gérer elles-mêmes leurs appels téléphoniques et leurs interventions. Il s’agit de véritables questions et il me semble qu’on ne peut faire l’économie d’une grande réflexion sur la remise en cause de certains principes de fonctionnement de la gendarmerie, comme le montre d’ailleurs le rapport de la commission Jullien en 1997-1998.

Pierre Mercier :

Merci beaucoup d’avoir remis ces questions complexes dans leur dimension concrète. Je souhaite donner la parole à Jean-Pierre Masseret.

Sénateur Masseret :

La Gendarmerie nationale a toute sa place dans les zones périurbaines, il y a même de fortes probabilités qu’elle soit plus adaptée que la Police nationale à s’occuper de ces endroits, sous condition toutefois qu’elle évolue. Dans ces conditions, comment interpréter la volonté du ministère de l’Intérieur de récupérer la gendarmerie, sans en modifier le statut ? On voit bien l’évolution qui semble se dessiner et la volonté du ministère de l’Intérieur – pour différentes raisons que je ne juge pas – de s’approprier les forces de gendarmerie, sans modifier le statut. Ce mouvement d’intégration aura-t-il ou non des conséquences sur les fondamentaux de la gendarmerie, et par conséquent sur la gestion des zones périurbaines ?

Pierre Mercier :

Le sénateur Hyest peut-il apporter une réponse à cette question ?

Sénateur Hyest :

Je pense qu’au plan de la coordination des forces de sécurité, sous l’autorité des préfets dans les départements, tout le monde admet et préconise une meilleure coordination entre la gendarmerie, la police ou d’autres services. Cela va de soi. Mais il faut laisser à chacun ensuite ses modes d’organisation. Je le dis franchement, le jour où on homogénéisera totalement dans notre pays les modes de fonctionnement des forces de sécurité sur celles de la Police nationale, je crois qu’il y aura une perte immense pour l’ensemble du territoire français. C’est tout ce que j’ai à dire, mais je rejoins en cela Jean-Pierre Masseret, tout en le disant autrement.

Pierre Mercier :

Très bien, je pense que tout le monde va être d’accord sur ce point.

Général Denizot :

Je souhaitais simplement rebondir sur les propos de François Dieu à propos des modes d’action. Je suis en accord avec son analyse et ses conclusions. Je pense qu’il serait nécessaire d’entamer une réflexion au niveau de l’administration centrale – qui a déjà débuté, je crois – sur les modes d’action, la proximité, le contact. Je crois aussi qu’une autre évolution se dessine. Nous sommes sortis d’une période – le général Parayre ne manque jamais de le répéter – où toutes les règles sont fixées par l’administration centrale. Chaque milieu urbain possède ses spécificités et la situation de Rillieux-la-Pape n’est pas celle d’autres communes. Je pense qu’il est nécessaire de responsabiliser davantage les échelons locaux de manière à livrer une analyse fine de l’environnement et du milieu dans lequel on travaille. Il est encore indispensable que les pratiques, à l’instar du témoignage du lieutenant Cavazza de Rillieux-la-Pape, se fondent sur la concertation et se focalisent sur les modes d’action appropriés. Je crois beaucoup plus à l’efficacité d’une réflexion déconcentrée, tenant compte des réalités locales et s’effectuant en liaison avec les partenaires et les élus, qu’aux grandes réflexions du niveau central.

Général Philippot :

Au-delà des considérations très importantes sur les fondamentaux de la gendarmerie ou sur le cadre réglementaire, je me pose la question des résultats concrets du rapport Hyest-Carraz. Il serait intéressant d’examiner un bilan chiffré. Peut-on avoir une idée sur la quantité de postes de gendarmerie et de police ayant fait l’objet d’un redéploiement ?

Général Denizot :

Même si je ne suis plus aux affaires, je dois dire honnêtement qu’à la suite du rapport Hyest-Carraz, la première vague de redéploiement fut un échec, puisque sur le grand nombre de propositions faites dans le rapport, sept seulement ont été suivies d’effet, si ma mémoire est fidèle. En revanche, au cours des trois dernières années et de nos jours, des redéploiements nombreux ont été effectués. Je ne possède pas les chiffres exacts mais la gendarmerie, indépendamment des redéploiements police-gendarmerie, a procédé à un grand nombre de réorganisations. L’exemple de Nantes est caractéristique. Des trois brigades territoriales en zone police, une seule est restée en ville, alors que deux ou trois nouvelles unités ont été instaurées dans la périphérie et dans le périurbain. Ce mouvement s’est opéré dans la grande majorité des métropoles françaises et dans les chefs-lieux de départements.

En ce qui concerne les échéances police-gendarmerie, les opérations ont porté à la fin de l’année 2006, sur quarante et une reprises de circonscriptions de sécurité publique par la gendarmerie, ce qui a nécessité l’affectation de 2 486 postes supplémentaires pour reprendre possession des circonscriptions de sécurité publique et pour renforcer notre dispositif. J’ignore cependant le nombre de communes passées de la Gendarmerie nationale à la Police nationale.

Pierre Mercier :

Comment qualifiez-vous ce bilan ?

Général Denizot :

Autant j’ai connu une première phase décevante, autant je considère que la deuxième phase a été un succès. Je ne pense pas que nous puissions retirer aujourd’hui – mais ce n’est pas à moi de l’apprécier – des effectifs nombreux dans les espaces ruraux, sauf à modifier le contrat opérationnel de manière à ce que le politique accepte que les gendarmes interviennent dans un délai de 45 minutes au lieu de 20 minutes en moyenne. Je ne suis pas sûr que nous puissions redéployer des effectifs suffisants pour nous installer dans les zones urbaines. Certaines niches existent cependant : il est certainement possible de récupérer des emplois dans les missions de translations judiciaires – qui occupent quand même mille gendarmes en permanence –, sans parler des gardes statiques. Mais là, on se situe dans le domaine d’action de la direction générale et du plan stratégique qu’elle met en œuvre.

Pierre Mercier :

On comprend effectivement que les marges sont très réduites.

Sénateur Hyest :

Je rappelle quand même que si le plan a pu être mis en œuvre sérieusement à partir de 2002, c’est grâce à la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, qui a permis d’octroyer des moyens en personnel et de lisser les mutations. Sans les moyens qui ont été accordés, les revendications des élus locaux auraient été plus fortes. Je considère globalement que l’objectif a été mené quasiment jusqu’à son terme. On ne peut pas nier, de nos jours, l’utilité des brigades de gendarmerie dans les zones de la Police nationale. Inversement, on a supprimé des commissariats dont les modes de fonctionnement n’étaient plus adaptés aux missions.

François Dieu :

Je souhaiterais revenir sur l’application du rapport Hyest-Carraz. C’est un travail extrêmement courageux et intéressant, même s’il n’a pas donné lieu à un résultat immédiat. Le rapport Hyest-Carraz a donné lieu à une interprétation un peu malheureuse de la part du gouvernement Jospin, qui a défini un plan national et s’est heurté à la résistance d’élus locaux et de syndicats de police. Effectivement, le précédent Gouvernement, avec comme ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, a opté pour une méthode plus souple, consistant à effectuer un travail de proximité, en demandant aux préfets notamment de réunir les acteurs locaux et de travailler avec eux. Par pragmatisme aussi, il a évacué les situations plus conflictuelles. Les redéploiements ont été organisés avec une certaine sagesse, sans précipitation et dans un climat de négociation. Je pense que tout cela s’inscrit dans la continuité du sillon tracé par le rapport Hyest-Carraz.

Pierre Mercier :

Je crois qu’il faut maintenant terminer ce débat. Général Philippot, pourriez-vous conclure ce débat ?

Général Philippot :

Je pense qu’on est loin d’avoir fait tout le tour du problème. Ceci étant, ce débat a permis d’éclairer les uns et les autres sur la mise en œuvre des réformes récentes de la première LOPSI.

Merci beaucoup et merci à tous ceux, et en particulier à nos deux sénateurs, qui ont bien voulu prendre sur leur temps pour venir participer au débat et nous apporter leur point de vue.

(1) Le texte oral du débat a été retranscrit et partiellement recomposé dans cette présente édition.

(2) Voir supra la communication du lieutenant Cavazza.

(3) Hubert Lafont et Philippe Meyer Philippe, Le nouvel ordre gendarmique, Paris, Seuil, 1980, 220 p.