Force Publique

PANDORE CITADIN ? IMPLANTATION ET MISSIONS DE LA GENDARMERIE DANS LES VILLES AU XIXe siècle

Arnaud-Dominique Houte
Docteur en histoire, ATER à l’Université de Paris IV-Sorbonne, CRH XIXe.

Aurélien Lignereux
Docteur en histoire, ATER à l’Université de Savoie, LHAMANS-CERHIO.

À partir du second tiers du XIXe siècle, émerge une presse corporatiste, qui entend œuvrer à la reconsidération de la gendarmerie auprès de l’opinion. Si le fruit de ses efforts se fait sentir dès la Deuxième République en termes de valorisation de l’action des gendarmes et de sensibilisation à leur condition matérielle, l’entreprise de familiarisation bute encore sur des représentations bien établies, qui réduisent le gendarme à « quelque chose comme un garde champêtre, ou approchant », du moins aux yeux « de la société officielle, de la société des villes, de la société gouvernementale vivant à Paris »(1). Cette précision suggère un décalage non seulement entre le cliché d’un ancrage foncièrement rural du corps et la réalité d’une implantation plus diversifiée, mais encore entre la figure du gendarme que véhicule par exemple le théâtre auprès d’une élite et celle née de l’expérience quotidienne de la grande masse des Français.

Il est en effet possible de retourner le miroir des représentations et de citer a contrario des jugements qui, à l’instar des paroles d’outrage, assimilent la gendarmerie au monde citadin, tant il est vrai qu’en période de tensions, politiques ou fiscales, les villes apparaissent « dans l’opinion rustique comme l’asile des fonctionnaires, des agents d’un État prédateur »(2). Le sort réservé à deux gendarmes de Langres (Haute-Marne), le 17 septembre 1848, est révélateur. Alors qu’ils allaient arrêter un braconnier à Celsoy, village de 300 habitants situé à quatorze kilomètres de leur résidence, ces militaires sont entourés par une trentaine d’individus, jeunes en tête, qui, une heure durant, les maltraitent et les humilient, avant de les dépouiller, de les attacher sur leur cheval et de les renvoyer ainsi à la sous-préfecture non sans les avertir de ne plus revenir au village(3).

Bref, les représentations, riches d’assignations et d’enjeux identitaires, ne sauraient à elles seules éclairer l’état de la gendarmerie(4). Au-delà des idées reçues sur la ruralité d’un corps et que refléterait Pandore, acteur emblématique du décor champêtre, il y a lieu de procéder à une révision systématique, sur le modèle des perspectives ouvertes sur la maréchaussée. Il est désormais bien admis que cette dernière constituait une force urbaine, que l’on considère l’implantation des brigades(5), ou que l’on envisage certaines de ses missions et surtout l’enracinement social des cavaliers et de leurs officiers, bien présents au cœur des réseaux de relations urbains(6). Un tel constat historiographique serait de nature à atténuer la portée de la révélation d’une gendarmerie urbaine, mais ce serait omettre la rupture fondamentale que constitue la Révolution. De la maréchaussée à la gendarmerie, le changement ne se limite pas au nom de l’institution, mais il affecte ses attributions ou son degré de militarisation. Surtout, le corps atteint une nouvelle dimension. En dix ans, les effectifs triplent : on comptait 4 100 cavaliers de la maréchaussée en 1789, on compte 12 300 gendarmes en 1800 pour s’en tenir aux frontières de l’ancienne France. Ce changement d’échelle a eu pour conséquence de répandre nombre des nouvelles brigades dans l’intérieur du pays, pour en surveiller à demeure les campagnes. Cette crue des effectifs est donc propre à ruraliser en profondeur la gendarmerie.

Peut-on pour autant se satisfaire de ce qui reste une simple supposition ? N’y a-t-il pas lieu de mener une enquête spécifique et systématique sur l’implantation de la gendarmerie au cours du XIXe siècle et sur ses enjeux institutionnels et identitaires ? Prolongeant les perspectives convergentes ouvertes par deux thèses récentes(7), le présent travail repose sur l’inventaire exhaustif, à différents intervalles, des communes abritant des brigades départementales, Corse exclue, soit 2 017 unités en 1810, 2 154 en 1830, 3 300 en 1853, et 4 004 en 1896. Le rang administratif et la population ont été systématiquement relevés afin d’évaluer et de comparer le statut et la stature de ces résidences(8). Un tel décompte est d’autant plus nécessaire qu’à la différence de l’installation des commissaires de police par exemple, aucun seuil démographique ne détermine les communes devant abriter un poste de gendarmerie.

Cette masse documentaire va permettre dans un premier temps de passer en revue l’implantation des brigades, de dégager ses évolutions et d’en interroger les paradoxes et les faux-semblants. Une fois ce cadre posé, il s’agira d’appréhender cette vocation urbaine inattendue à l’échelle du personnel, en suivant les parcours des gendarmes, qu’il s’agisse de leurs patrouilles ou de leurs carrières, et en sondant, en définitive, l’origine et l’horizon de ces hommes.

Des brigades urbaines dans une France rurale

Aussi rigoureuse soit-elle, force est de reconnaître que la présente enquête repose sur des fondements discutables. Il s’agit là du reste d’un préalable auquel se heurte l’histoire sociale du XIXe siècle tant il est vrai que, sans même discuter de la fiabilité et de la continuité des recensements(9), la définition, et même, plus prosaïquement, la délimitation de l’urbain et du rural, est problématique. Les villages varois n’ont-ils pas la sociabilité prêtée aux villes ? Combien de gros bourgs relèvent au contraire de l’univers rural ? Les problèmes d’approche sont redoublés en pays d’habitat dispersé par les rapports entre le chef-lieu communal et les hameaux. La destruction ou la désuétude des anciens remparts rendent caduque la distinction entre la ville close et le plat pays qui prévalait sous l’Ancien Régime. De fait, nombreuses sont les marques d’interpénétration entre la ville et la campagne, à l’heure du développement des faubourgs(10). De telles réserves invitent à ne considérer les données suivantes qu’à titre de repères conventionnels. Le constat qui ressort n’en est pas moins net : au niveau de son implantation, la gendarmerie constitue une force urbaine tout au long du XIXe siècle, et ce quelle que soit la définition retenue de la ville.

En effet, si l’on adopte une conception administrative de la ville, pour considérer comme telle toute commune ayant au moins rang de chef-lieu cantonal, ce qui se justifie non seulement par le siège de la justice de paix mais aussi par la tenue d’un marché, par le regroupement des services et d’une petite bourgeoisie(11), on constate que, tout au long du siècle, 78 à 82 % des brigades sont encasernées dans un chef-lieu. Cette domination, encore accrue en termes d’effectifs par la présence des officiers et par la polarisation des unités fortes de six ou sept hommes, n’a rien de surprenant à la différence de la stabilité de ce chiffre : l’effort entrepris durant la première moitié du XIXe siècle pour doter chaque canton d’une brigade propre a profité dans une même proportion aux chefs-lieux et aux communes périphériques(12). Deux phénomènes se sont équilibrés : d’une part, l’augmentation de la dotation des compagnies a permis d’installer des brigades jusque dans des communes sans titre administratif, mais stratégiques en termes d’ordre public ou de contrôle des voies de communication ; d’autre part, la confirmation de la primauté des chefs-lieux dont l’importance relative a été maintenue grâce au doublement des postes, phénomène général dans le cas des sous-préfectures.

Résidences de gendarmerie et rang administratif des communes (1810, 1830, 1853, 1896)

Communes ayant au moins rang de :

% des brigades et des effectifs qui y sont encasernées

1810*

1830

1853

1896

chef-lieu de canton

80,3

82 (83,5)

80,4 (82)

77,9 (78,8)

sous-préfecture

23,7

25,3 (29,8)

20,2 (24,4)

23,4 (26,1)

préfecture

7,8

11,5 (13,4)

9,3 (11,1)

9,5 (11,4)

* L’ampleur et la nature structurelle du sous-effectif des compagnies sous Napoléon contraignent à ne considérer que le nombre de brigades, et non pas le total du personnel.

L’urbanité des gendarmes est sans équivoque pour ceux qui sont encasernés dans l’un des 358 chefs-lieux d’arrondissement. Cette part oscille entre un cinquième et un quart des postes. Au niveau des effectifs, elle monte à près de 30 % en 1830. Bref, dans une France de 36 900 communes en 1836, 1 % des communes concentre trois gendarmes sur dix. Dans l’Aube, le Cantal, la Gironde, le Lot-et-Garonne, la Marne, le Pas-de-Calais, la Vienne et les Vosges, l’Arme fait figure de force de l’administration avec 40 % au moins de ses effectifs placés sous la surveillance directe des officiers et à la réquisition immédiate du sous-préfet ou du procureur. Les départements bien dotés en brigades échappent à cette polarisation, comme dans l’Ouest ou en Ardèche où 18 % seulement du personnel sert dans un chef-lieu d’arrondissement.

Plus largement, en dépit du vœu des préfets et de leurs efforts répétés pour constituer un dépôt à la préfecture, noyau d’une réserve rapidement mobilisable en cas de besoin, la gendarmerie n’est pas structurée sur un modèle centralisé - seules 10 % environ de ses forces étant polarisée au chef-lieu. Le regroupement n’est substantiel que ponctuellement, notamment lorsque la préfecture est aussi une ville ouvrière : dans la Seine-Inférieure, le Rhône et l’Aube, un gendarme sur cinq est respectivement fixé à Rouen, à Lyon et à Troyes(13). Cela confirme la vocation de la gendarmerie, destinée à couvrir tout le territoire par une présence continue, modèle qui, au cours du XIXe siècle, a toujours supplanté l’ambition de constituer une force d’intervention mobile. Cette conception explique la présence des gendarmes dans tous les types de communes, quelle que soit la population qu’elles abritent.

En effet, si l’on préfère une définition démographique de la ville, à partir du seuil de 2 000 habitants agglomérés, officiel depuis 1846(14), on note que le taux de brigades urbaines est de 50 % en 1800, 57 % en 1830, 56 % en 1853, 58 % en 1896. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que le mouvement démographique général fait entrer dans la catégorie urbaine des résidences qui, auparavant, comptaient moins de 2 000 habitants et étaient par conséquent classées comme rurales. Deux autres constats se dégagent d’un tableau séculaire : la diversité des communes d’accueil ; la stabilité de la répartition des unités.

Résidences de gendarmerie et population communale (1810, 1830, 1853, 1896)

Population communale

Répartition des brigades (%)

1810

1830

1853

1896

< 300 hab.

1,4

19,4

50

1,1

15

42,8

1,1

15,3

43,8

1,1

16,8

42,3

300-500

3,9

2,2

1,9

2,7

500-800

8,3

6,1

6,7

7,8

800-1 000

5,8

5,6

5,6

5,2

1 000-1 500

16,2

30,6

15

27,8

14,1

28,5

13,6

25,5

1 500-2 000

14,4

12,8

14,4

11,9

2 000-3 000

16,6

30,3

50

18,5

34,7

57,2

17,2

33,8

56,2

14,9

29,3

57,7

3 000-5 000

13,7

16,2

16,6

14,4

5 000-10 000

11,9

16,3

11,2

16,9

9,4

15,6

10,9

17,3

10 000-20 000

4,4

5,7

6,2

6,4

20 000-50 000

2,2

3,4

3,5

5,6

3,7

6,8

5,4

11,1

> 50 000

1,2

2,1

3,1

5,7

Au-delà de ces enseignements globaux, ce tableau cerne le centre de gravité des brigades. Le caractère quelque peu artificiel d’une ligne de démarcation fixée à 2 000 habitants ressort nettement, puisque le cadre de vie ordinaire d’une brigade s’avère être l’ensemble des gros villages et des petites villes, de 1 000 et 5 000 habitants, qui accueillent entre 61 et 62 % des unités, tout au long du premier XIXe siècle. Cet ancrage prédominant favorise l’unité du corps et lui confère son identité. Les modestes villages comme les cités importantes ne fixent qu’une faible minorité de gendarmes, mais encore faut-il remarquer que la place de ces dernières profite de la croissance démographique générale.

Une évolution démographique à contre-courant : la ruralisation de la gendarmerie

De fait, en dépit de l’apparente continuité qui prévaut en matière de localisation des unités, un double glissement, porteur d’infléchissements significatifs, se dessine.

En premier lieu, il convient de souligner l’atténuation progressive du contraste entre des gendarmes majoritairement urbains et une population française majoritairement rurale. On comprend mieux dans ces conditions la fonction de relais que les contemporains, marqués par le paradigme alors dominant de la civilisation, ont volontiers assigné aux gendarmes durant toute la première moitié du siècle. Cette vocation à se fixer sur les bourgs de province ne désigne-t-elle pas la gendarmerie au rôle d’intermédiaire entre la capitale et la France rurale ? De fait, au-delà des tâches d’ordre public, le corps est investi d’une mission plus large, au point qu’il apparaisse comme l’instrument par excellence non seulement de l’acculturation judiciaire mais aussi comme un propagateur de l’État, un vecteur de francisation auprès des paysans(15). Il importe en tout cas de noter que le hiatus peut être source de tensions et d’incompréhension ; il n’est pas anodin de constater que, sur un corpus de 3 725 rébellions violentes et collectives contre des gendarmes dans la France des années 1800-1859, 63 % d’entre elles ont éclaté dans des communes de moins de 2 000 habitants(16).

Parts des citadins au sein de la gendarmerie et au sein de la population au XIXe siècle

1806/1810

1830/1831

1851/1853

1896

% du personnel urbain

51

60,6

59

59,6

% de la population urbaine*

17,6

19,9

24,9

39,2

* Jean-Pierre Bardet et Jacques Dupâquier (dir.), Histoire des populations de l’Europe. II. La révolution démographique, 1750-1914, Paris, Fayard, 1998, p. 300.

Ce décalage est à son comble au début des années 1830, avant de se réduire progressivement. En 1896, son amplitude a été divisée par deux. Cette tendance à l’homogénéisation des cadres de vie ne résulte nullement d’une ruralisation des gendarmes. C’est l’urbanisation de la population française qui en est la cause ; ce même mouvement démographique est également à l’origine de l’image champêtre de la gendarmerie, parce que la stabilité de son implantation, le maintien de ses positions dans les communes rurales, contrastent avec ce que l’on a appelé, non sans excès, l’exode rural. Ce glissement est essentiel : dans la seconde moitié du siècle, la gendarmerie peut faire figure d’une force de proximité, elle offre même l’amorce d’un service public, défendu comme tel à la Belle Époque par les autorités locales à chaque menace de redéploiement, en assurant un pôle administratif dans des campagnes en déclin, déclin qui touche même une partie des chefs-lieux de canton.

En second lieu, la gendarmerie n’échappe pas tout à fait à l’évolution globale. L’épine dorsale du corps repose sur le socle de résidences dont la population comprend entre 1 000 et 5 000 habitants, or cette part s’effrite à moins de 55 % en 1896. Cette érosion s’est opérée au profit des deux extrémités : la part des petites communes de moins de 800 habitants augmente de 9 % en 1830 à 12 % en 1896, tandis que celle des villes de plus de 20 000 habitants progresse de 6 % à 11 % dans le même temps. Bien qu’il ne s’agisse là, pour l’essentiel, que du décalque des glissements qui affectent l’armature communale française, ce mouvement de fond ne menace pas moins, à terme, le corps d’écartèlement. C’est là un risque d’autant plus mal perçu que, depuis les années 1840, l’administration préfectorale et les responsables de la gendarmerie ont cherché à freiner la polarisation croissante des brigades sur les grandes villes, dont elles estiment que la charge ne devrait pas leur incomber.

L’identité de l’Arme en question

Il importe en effet de suivre les aléas des ambitions de la gendarmerie et les débats que suscite la définition de sa vocation. C’est la Révolution qui, par la loi du 16 février 1791, assigne au corps une vocation rurale, tout en préservant la possibilité d’exploiter son potentiel dans les villes, en cas de besoin : « Le service de la Gendarmerie nationale est essentiellement destiné à la sûreté des campagnes, et néanmoins la Gendarmerie nationale prêtera, dans l’intérieur des villes, toute main-forte dont elle sera légalement requise » (titre VIII, art. 12). La loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798) entérine ce service « particulièrement destiné à la sûreté des campagnes et des grandes routes » (titre Ier, art. 3). Ce principe, absent des textes régissant l’emploi de la maréchaussée, est à l’origine de la dissociation entre un cadre de vie urbain et un champ d’activité rural, dans la mesure où il ne s’en est pas pour autant suivi de redéploiement des unités. Un tel hiatus peut être source de confusion, que certains s’emploient à dissiper, à l’exemple de May d’Aulnay, officier de gendarmerie en retraite et auteur d’un manuel d’instruction professionnelle :

« La gendarmerie, dont le service n’est spécial que pour le dehors des villes, c’est-à-dire sur les grandes routes, dans l’intérieur du pays et les communes rurales, n’intervient dans celui des villes que lorsqu’il y a lieu à des arrestations portant peine correctionnelle ou criminelle, ainsi que pour la vérification des passeports d’étrangers, et enfin pour les événements majeurs, tels que les rixes, émeutes, et généralement toutes voies de fait marquantes »(17).

Non sans cohérence avec la réalité de son implantation, l’ordonnance du 29 octobre 1820 rompt avec ce qui n’a pas encore la force d’une tradition, ouvrant ainsi une conception expansionniste. Le corps a en charge la sûreté publique « dans toute l’étendue du royaume », sans autre restriction (art. 1er). Cette révision ouvre toutefois sur des ambitions trop vastes pour un corps au dispositif étroitement limité.

Les demandes répétées de brigades, la concurrence à laquelle se livrent les communes, l’arbitrage auquel se prêtent des préfets qui restent toutefois sans prises directes avec les moyens effectivement consentis, poussent le ministère de la Guerre a une gestion parcimonieuse des unités. Dans ce contexte, il refuse que la gendarmerie endosse l’accompagnement de la croissance des villes, rôle jugé coûteux et même dénaturant. À la fin de la Restauration, c’est une manière pour le ministère de la Guerre de répondre aux critiques de l’opposition, critiques qui visaient surtout le détournement du corps hors de ses attributions originelles et la présence pesante des gendarmes dans les villes. La révision générale de l’assiette des brigades, en 1828-1830, est l’occasion d’affirmer avec force ce principe directeur :

« Il est au surplus une considération qui domine toutes les autres, et que perdent la plupart des fonctionnaires ayant action sur la gendarmerie : c’est que cette Arme a été expressément instituée pour veiller à la sûreté des routes et à la tranquillité des campagnes. Il existe généralement dans les villes des moyens de police et de répression, dont on pourrait tirer plus de parti si l’on ne s’était habitué, sur beaucoup de points, à regarder la gendarmerie comme l’unique ressource de l’autorité »(18).

Il s’agit de rééquilibrer les plaintes des édiles. Les conséquences de l’essor urbain ne se restreignent pas à des menaces en termes de sécurité. L’enrichissement des villes doit aussi permettre de développer leur police, et ne plus solliciter ainsi des brigades entretenues par le ministère de la Guerre et logées aux frais des départements. Cette réaction reste d’actualité dans l’instruction du 17 avril 1843 : « L’importance des villes ne doit pas être un motif pour y grouper plus de brigades que n’en exigent les relations de service avec les postes qui convergent avec les cités. D’après la loi constitutive du 28 germinal an VI, le service de la gendarmerie est particulièrement destiné à la sûreté des campagnes et des grandes routes. Quant aux villes industrieuses ou populeuses, elles peuvent, en raison de leurs revenus, contribuer à la sécurité intérieure en donnant plus de développement aux moyens d’action de la police municipale »(19).

Ce passage est repris mot pour mot par l’instruction du 24 février 1847, qui ajoute que les villes importantes sont dotées d’une garnison, en mesure d’assurer des tâches de maintien de l’ordre. En renonçant à encadrer la croissance des villes, la gendarmerie risque à terme de perdre sa domination de fait sur les forces de l’ordre.

Cette polarisation rurale est cependant vouée à l’échec en raison de la contradiction des directives. Le ministère de la Guerre entend freiner l’implantation des brigades en ville mais les états statistiques destinés à étayer leur travail orientent pourtant les commissions consultatives en ce sens. Ces grilles pré-imprimées incitent à la hiérarchisation urbaine en demandant la « population du lieu de résidence » et des « détails statistiques », c’est-à-dire ses diverses fonctions administratives, industrielles ou commerciales (poste, tribunaux, hôpitaux, garnison, marchés, port fluvial, carrefour routier, industries, etc.). Cet inventaire prévaut de la fin de la Restauration à la Deuxième République(20). La présence d’une brigade est une norme d’urbanité ; réciproquement, on conçoit mal l’existence d’une brigade dans une localité sans importance.

La réinterprétation identitaire des textes réglementaires et le mot d’ordre d’un retour aux sources de l’institution sont ainsi voués à l’échec, du moins en ce qui concerne l’implantation des postes. La gendarmerie reste donc partie intégrante du dispositif du maintien de l’ordre urbain, ce qui suscite l’incompréhension. Un administrateur spécialiste de l’Arme tel qu’Alfred Germond de Lavigne met en garde contre ce qu’il juge être une « anomalie, source de conflits », liée au fait que « la gendarmerie a été depuis peu de temps, et irrégulièrement, introduite dans l’exercice de la police urbaine »(21). En définitive, la gendarmerie reste donc bien présente dans les villes, mais elle ne doit cependant pas s’y substituer à l’action de la police. La seconde moitié du siècle conforte ce statu quo, consacré par les articles liminaires des décrets du 1er mars 1854 et du 20 mai 1903. Ces positions s’imposent en normes, auxquelles veillent jalousement, à leur niveau, les officiers de gendarmerie. L’argumentaire du chef d’escadron Gandon, opposé à la demande du sous-préfet de La Flèche d’adjoindre un poste de supplémentaire à la brigade à cheval de Sablé (chef-lieu de canton de 5 500 habitants), durant la durée de travaux ferroviaires, est exemplaire à ce titre : « Il semble que la municipalité de Sablé s’est faite à ce sujet une idée erronée du service que doit fournir la gendarmerie. Il existe en effet un commissaire de police à Sablé, mais ce commissaire n’étant malheureusement secondé par aucun agent ne peut exercer aucun rôle répressif. Or la police d’une ville appartient essentiellement à la municipalité, et on ne saurait imposer à la gendarmerie, qui est particulièrement destinée à la sûreté des campagnes et des voies de communication (décret du 20 mai 1903, art. 1er), le soin d’assurer la surveillance constante d’une ville comme Sablé […] si le commissaire de police de Sablé est impuissant à assurer la surveillance et le rôle répressif qui lui incombent, il pourrait être utilement secondé par un ou deux agents nommés par la municipalité. La ville de Sablé a certainement trouvé plus économique pour ses finances, de faire appel à la gendarmerie, puisque, sans bourse délier, elle compte faire assurer le service de la ville par des gendarmes payés par l’État, et dont le logement serait assuré par le département. Je ne veux pas dire par là que la gendarmerie n’a pas du tout de service à faire dans les villes, mais j’estime que ce service ne peut être que réduit de façon à laisser à nos hommes le plus de temps possible pour la surveillance des routes et des campagnes »(22).

Loin de convoiter un monopole sur l’ordre public, la stratégie de la gendarmerie s’avère restrictive, et, pour tout dire, malthusienne. Elle s’aligne sur la réalité de ses moyens, moyens qui sont réservés en priorité au service des campagnes.

« Particulièrement destiné à la sûreté des campagnes »

À ce stade de l’enquête, on peut déjà affirmer que la gendarmerie est une force urbaine qui se rapproche de plus en plus de la campagne et qui s’efforce de privilégier le monde rural. Le constat est clair, il est parfaitement assimilé, à la toute fin du XIXe siècle, par ce gendarme malicieux qui résume d’une fort jolie manière l’essence du corps : « La gendarmerie est une force particulièrement destinée à la sûreté des campagnes faisant tout son service dans les gares et dans les parquets des villes »(23). C’est une chose, en effet, que de définir la nature du métier ; c’en est une autre, de comprendre la réalité des missions accomplies. Il faut rappeler, d’abord, que les gendarmes départementaux sont mobiles… Mauvais jeu de mots, sans doute, mais constat essentiel : que les hommes soient casernés dans les villes ne signifie pas qu’ils y consacrent leur service. Second élément à garder en mémoire, les officiers peuvent promulguer des règlements et multiplier des consignes, rien ne garantit que leurs subordonnés les appliquent à la lettre. Si l’on accepte de prendre en considération ces remarques préalables, on admettra qu’il ne suffit pas d’identifier les principes, ni même de reconstituer l’état des emplacements des brigades, mais qu’il faut aussi comprendre les pratiques et les perceptions du métier.

Que sait-on d’abord du rayon d’action réel des brigades de gendarmerie ? Casernées dans les villes ou, du moins, dans les bourgs, les unités peuvent-elles et veulent-elles surveiller les villages et les hameaux voisins ? Les sources ne permettent pas de répondre à cette question avec toute la précision requise, mais on peut tenter de dresser un cadre général que d’autres études pourront compléter(24). Dans un premier temps, au moins jusqu’aux années 1840, les gendarmes exercent essentiellement au chef-lieu de brigade, c’est-à-dire presque toujours dans une ville. Ils sont de toute façon trop peu nombreux – sinon trop mal accueillis – pour patrouiller facilement dans les chemins reculés. Sortant chaque jour de leurs casernes par groupes de deux à quatre cavaliers, ils sont tenus de surveiller des circonscriptions de grande taille et de sillonner des routes de médiocre qualité. Aussi contraignant soit-il, ce travail n’est pas négligé. Le règlement n’a-t-il pas prévu de faire contrôler le passage bimensuel de la brigade dans chaque commune de la circonscription (décret de 1854, art. 234) ? Chargés d’apposer leur signature sur les feuilles de service, les maires garantissent le respect des consignes, et les officiers redoublent la surveillance en menant des vérifications périodiques. On peut donc penser que la plupart des gendarmes accomplissent cette mission. Mais la « chasse aux visas » l’emporte souvent sur la visite des hameaux les plus reculés : une fois le maire rencontré et la signature obtenue, la patrouille ne s’attarde pas forcément sur les lieux. Seules les communes les plus proches du chef-lieu peuvent espérer bénéficier d’une visite hebdomadaire de la gendarmerie.

Ce déséquilibre s’atténue sensiblement à partir des années 1840 – « années décisives », comme le suggérait l’historien américain David Pinkney(25). Durant cette décennie, de fortes augmentations d’effectif permettent de renforcer la couverture territoriale du pays : l’essentiel est déjà fait, en 1850, quand on fixe officiellement l’objectif d’une brigade par canton. À cela s’ajoute une mutation plus profonde, la modernisation du réseau routier engagée par la loi de 1836 qui jette les bases d’un lacis de chemins vicinaux susceptibles de désenclaver les terroirs isolés. Plus présents et disséminés dans un espace mieux maîtrisé, les gendarmes gagnent la possibilité technique de battre la campagne. Ils y sont, de plus, poussés par le besoin de conforter l’assise de leur institution. Incapable de s’imposer dans le domaine de la police judiciaire(26), l’Arme se voit, en effet, concurrencée dans les grandes villes, où se développent des polices civiles étoffées et reprises en main, ainsi que dans les gros bourgs, où apparaissent en 1852 des commissaires de police cantonaux(27). Moins indispensables qu’auparavant au cœur de la cité, les gendarmes affirment, en revanche, leur légitimité en privilégiant la surveillance de ces campagnes délaissées par la réorganisation du dispositif de sécurité publique. Quand les uns gagnent une sorte de priorité urbaine, les autres s’arrogent le monopole de la surveillance rurale : ce partage des tâches reste aussi souple que tacite. Mobilisé à des fins instrumentales par certains officiers, il permet surtout d’abandonner quelques corvées aux agents de police et de cloîtrer certains commissaires cantonaux dans l’enceinte de la cité(28).

Le virage rural de la gendarmerie n’est pourtant pas pure rhétorique, il se lit dans les statistiques de la répression. Observons, par exemple, les lieux d’intervention des brigades, tels qu’ils apparaissent dans les procès-verbaux. Autour de 60 % des contraventions sont relevées dans les communes rurales du canton, à Solre-le-Château (Nord), à Mennetou (Loir-et-Cher) ou à Villers-Cotterêts (Aisne). Pour cette dernière brigade, seuls 2 des 17 villages de la circonscription ne conservent aucune trace directe du passage de la brigade(29). Comme le prouve cette remarquable dispersion, les gendarmes parcourent bien l’ensemble du territoire confié à leur surveillance. Pratiquement inchangés jusqu’à la Belle Époque, ces ordres de grandeur ne donnent pourtant qu’une idée imparfaite de la géographie quotidienne du métier. Si l’on mesure, non plus la répression, mais la surveillance générale, on constate, en effet, que la balance penche plus nettement en faveur des communes rurales. En témoigne le relevé des services accomplis à l’automne 1909 par le brigadier Guilbert. Malade et dispensé des missions les plus fatigantes, ce gradé n’en consacre pas moins les deux tiers de son temps de service à l’exploration des neuf communes rurales que compte sa circonscription bretonne. Un seul village échappe à sa vigilance, tous les autres bénéficiant d’au moins deux heures de patrouille(30).

L’équilibre qui s’est construit durant le second tiers du XIXe siècle et qui se pérennise ensuite veut que les brigades partagent leur activité entre la police de la résidence – pour un tiers – et la surveillance des communes externes – pour deux tiers. Approximative et destinée à être redéfinie en fonction du contexte local, cette proportion n’en devient pas moins une sorte de norme informelle qui est citée comme telle au début de la Troisième République, tant par la presse corporatiste de la gendarmerie(31) que par des responsables de la police(32). Elle fonde la direction du service et justifie la colère des officiers, quand leurs hommes s’écartent trop ouvertement des usages(33). Longtemps confinée au service particulier des petites villes, la gendarmerie apprend ainsi à devenir une véritable force polyvalente et à se conformer aux instructions répétées qui la destinent « particulièrement » à la sûreté des campagnes. C’est ce que montrent notamment les propos cités plus haut du chef d’escadron Gandon.

Comment faut-il comprendre, en ce cas, les nombreuses protestations qui fusent au début du XXe siècle et qui dénoncent la « confiscation » de la gendarmerie au profit des villes ? On peut sans doute invoquer le poids considérable des services de maintien de l’ordre qui attirent une proportion significative de gendarmes dans les grands centres urbains. À certaines dates, en particulier en 1906, les brigades rurales sont réduites à deux à trois unités, les autres étant appelées en renfort face aux grandes grèves qui agitent le pays. La répétition des réquisitions complique assurément le service rural de la gendarmerie, à tel point que certains y voient un argument supplémentaire en faveur de la création d’une troupe spécialisée dans la gestion du maintien de l’ordre(34). Mais l’impression d’une réorientation citadine du service naît aussi de la spécialisation de plus en plus marquée qui distingue la gendarmerie des grandes villes.

L’exception citadine

Les grandes villes ne concentrent qu’une minorité des effectifs de la gendarmerie. Mais le service qui s’y développe se différencie nettement du travail des autres gendarmes. Tout est question d’échelle : cas particulier, Paris et sa banlieue sont presque complètement dissociés de la gendarmerie départementale. L’originalité de la Garde est précocement reconnue, de même que « le caractère d’exception » des brigades du département de la Seine(35). À l’autre extrémité, les sous-préfectures constituent le seuil du monde urbain. On y retrouve une petite société de fonctionnaires, un tribunal, un officier et la coexistence d’au moins deux brigades – autant de particularismes qu’il ne faut pourtant pas exagérer : si la brigade à pied y privilégie le service de la résidence, les gendarmes à cheval parcourent les chemins, ni plus ni moins que leurs homologues des chefs-lieux de canton. La frontière de l’exception citadine se situe donc un cran au-dessus, au niveau des préfectures et plus encore des chefs-lieux de légion. À cette échelle, on atteint une masse critique qui définit l’originalité du métier en contexte urbain.

Retenons, au premier rang des critères de différenciation, la charge de travail qui accable les brigades citadines. L’argumentation se fonde sur un constat largement partagé et vérifié du début à la fin du siècle : on procède à un plus grand nombre d’interventions répressives dans les villes que dans les campagnes. À la tête du paisible arrondissement rural de Pontarlier, le lieutenant Forestier ne s’étonne pas d’« indiquer le chiffre zéro au total des procès-verbaux dressés dans le mois ». Mais cette quiétude indigne le chef d’escadron, « qui venait de la section de Montrouge [voisine de Paris], où pullulent mendiants, vagabonds, escarpes et souteneurs » : « Pas de mendiants ? ! Pas de vagabonds ? ! Brigade de paresseux ! »(36). Jugement aussi hâtif qu’injuste, explique pourtant Forestier : comment dissocier le volume de la répression du travail effectué en amont ? Là où les brigades rurales doivent multiplier les tournées pour repérer une infraction, les gendarmes des villes n’ont qu’à sortir de leur caserne pour identifier des délits. Contraints de rédiger un plus grand nombre d’actes, ils peuvent au moins se féliciter d’exercer dans des « postes sédentaires »(37) où certains ont conquis la réputation d’« attendre la retraite plus tranquillement »(38). Travaillent-ils plus ? Travaillent-ils moins ? Tout dépend de ce que l’on place derrière la définition du service.

Vient en second lieu l’incontestable spécificité des activités urbaines. La réalité des pratiques et des besoins contredit souvent l’uniformité nationale des missions : qui s’étonnera de découvrir, par exemple, que les brigades de Bordeaux n’interpellent ni braconniers ni maraudeurs ? Comme le préfet Grimaud qui jugeait bon de publier un arrêté d’ouverture de la chasse à Paris dans les années 1960(39), les officiers de gendarmerie n’hésitent pourtant pas à transmettre les mêmes consignes dans les postes ruraux et dans les villes. Mais on peut aller au-delà de ce premier constat en montrant que les gendarmes citadins sont relativement peu concernés par la petite délinquance de voie publique. Surtout à partir du milieu du XIXe siècle, ils cèdent ce domaine aux polices civiles et se consacrent plus souvent aux services commandés. Dès 1857, on note ainsi que les arrestations en vertu de mandats de justice sont deux fois plus fréquentes en ville qu’à la campagne(40). C’est dire que les gendarmes des villes agissent moins souvent de leur propre chef.

Il est vrai qu’ils sont soumis à des contraintes sans équivalent dans le monde rural. Sous le Second Empire, tous les officiers signalent le poids considérable des services judiciaires – transferts de prisonniers et gardes au Palais de Justice(41). À Amiens, le commandant de la compagnie se déclare même contraint d’abandonner tout autre service « lorsque les assises ont lieu » (42). Et la palme du surmenage revient incontestablement aux cinquante gendarmes de Marseille qui ne parviennent plus à assurer « les innombrables transfèrements de prisonniers dirigés vers la Corse et l’Algérie »(43). Spécifiques aux villes, ces charges se développent considérablement dans la seconde moitié du siècle. C’est au nom de ces astreintes que l’on recommande une forte augmentation des effectifs urbains dans les années 1870 et que l’on demande ensuite l’octroi de renforts ponctuels, notamment pour le service exclusif des palais de justice(44). Thémis n’est pas seule en cause, puisque l’administration de la Guerre mobilise à son tour les gendarmes des villes, chargés, comme leurs collègues des champs, de remettre les papiers militaires et de gérer les dossiers de réservistes. Si les brigades rurales parviennent à fondre ce surcroît de travail dans leurs tournées ordinaires, les unités urbaines sont contraintes d’en faire une mission à part entière. À cela s’ajoutent les besoins du maintien de l’ordre et les nombreux services de planton. Dans les petits bourgs, il suffit de consigner un agent, chargé de garder la caserne et de visiter la gare aux heures de passage des trains. Rien de tel en ville, où l’on dénombre plusieurs plantons de gares, de casernes et même d’écuries(45).

Les différences entre gendarmerie des villes et gendarmerie des champs se matérialisent, enfin, dans l’organisation quotidienne de la vie professionnelle. Quoi de comparable entre la brigade d’une petite ville isolée qui subit deux ou trois inspections par an et celle d’une sous-préfecture où réside habituellement un lieutenant ? La direction du service et la discipline quotidienne n’y ont évidemment pas la même rigueur. Le commandant des Hautes-Alpes l’admet volontiers, quand il salue « cette forte surveillance et ces nombreuses théories »(46) qui caractérisent à ses yeux les postes placés sous le regard des officiers. C’est pour cette raison qu’il suggère d’affecter débutants et brebis galeuses « sous le regard des chefs ». Appliqué par de nombreux officiers, ce mode de gestion des effectifs fait toutefois débat. Dans l’Hérault, on estime, au contraire, que « les postes où résident des officiers doivent être réservés aux plus capables »(47). En vertu de ce même principe, les gendarmes nommés à Rennes doivent « justifier d’une instruction irréprochable »(48). Après avoir refusé la mutation d’un vétéran, le colonel de la 8e légion explique à son tour que « le service un peu spécial des brigades de Bourges, particulièrement en ce qui concerne les conduites nombreuses de prisonniers, demande de la part du personnel une surveillance très active »(49) et une parfaite santé.

Que faut-il penser de ces argumentations contradictoires ? Les villes ont-elles besoin de gendarmes d’élite ou peuvent-elles se contenter du rebut de la compagnie ? Le service urbain exige-t-il de la routine ou de l’intelligence ? Peu importe à vrai dire, et l’on serait en peine de trancher cette épineuse question. En revanche, l’essentiel est bien que tous les observateurs revendiquent la particularité du métier de gendarme en milieu urbain et qu’ils recommandent la mise en place d’une gestion spécifique des hommes. L’idée est remarquable dans une institution qui s’est construite sur une utopie d’uniformité nationale. Elle confirme mieux que toute statistique l’inéluctable spécialisation des brigades urbaines.

Les gendarmes, entre tradition rurale et lumières de la ville

On en revient ainsi à l’hypothèse d’un écartèlement entre, d’un côté, une gendarmerie des villes moins nombreuse mais peut-être mieux cotée, de l’autre, une gendarmerie des champs, majoritaire, centrale dans l’imaginaire du métier mais relativement délaissée. C’est le même type de dualité que l’on retrouve dans les autres administrations du pays et notamment dans le corps des instituteurs publics(50). Les travaux de Jacques et Mona Ozouf, prolongés et discutés par Jean-François Chanet, ont justement montré comment les « hussards noirs » oscillaient entre ville et campagne, comment les « lumières de la ville » finissaient par les éloigner de cet univers rural dans laquelle la Troisième République avait voulu les acclimater. En s’inspirant de cette démarche, on peut reformuler la question de l’image campagnarde de la gendarmerie en s’interrogeant sur l’identité sociale des gendarmes : Pandore s’imaginait-il citadin ?

La réponse négative s’impose si l’on s’en tient à la sociologie du corps. Si les cavaliers de maréchaussée du XVIIIe siècle étaient le plus souvent originaires des villes(51), la tendance se renverse radicalement au tournant du siècle(52). Des années 1830 jusqu’à l’aube du XXe siècle, ce sont les deux tiers des nouveaux admis qui proviennent des communes rurales. En y ajoutant les natifs des bourgs qui exercent dans l’univers agricole ou artisanal, on obtient une écrasante prédominance des campagnes. Issus du monde rural, les jeunes gendarmes ne le quittent presque jamais avant leur passage sous les drapeaux. De retour du service militaire, la plupart y reviennent jusqu’à leur admission dans la gendarmerie.

Origine géographique des recrues de la gendarmerie actives en 1857 et en 1890

Date de recrutement

Effectif*

Communes rurales (%)

Chefs-lieux de canton (%)

Sous-préfectures (%)

Préfectures (%)

1831-40

228

60,1

28,9

2,6

8,3

1840-47

394

70,3

19,0

2,5

8,1

1848-51

291

66,7

22,7

4,1

6,5

1852-54

321

66,4

22,7

3,1

7,8

1855-57

276

66,7

21,7

4,3

7,2

1870-74

315

72,4

15,6

2,2

9,8

1875-79

518

69,1

15,4

4,4

11,0

1880-84

634

73,7

15,1

4,7

6,5

1885-89

376

73,7

16,5

2,9

6,9

* Ce tableau repose sur le recensement de tous les gendarmes présents au corps au 1er janvier 1857 et au 1er janvier 1889 dans les compagnies de la Gironde, des Hautes-Alpes, de l’Hérault, de l’Ille-et-Vilaine, du Loir-et-Cher, de la Marne et du Nord. SHD-DAT, registres matricules de contrôle des troupes, sous-série 42 Yc.

La profondeur de cet ancrage se vérifie encore à l’heure du mariage, puisque plus de la moitié des épouses de gendarmes proviennent d’une famille d’agriculteurs. Cette attraction conjugale mérite toutefois attention. Si les gendarmes trouvent facilement à se marier, c’est aussi, comme l’a montré Pierre Bourdieu, que les filles de la campagne cherchent à épouser un fonctionnaire(53). Dans son beau roman, Monsieur le Gendarme, paru en 1891, Clovis Hugues présente ainsi les sentiments de la Louison, amoureuse du gendarme Marius : « Pour elle, un gendarme était bien réellement un ‘monsieur’ du moment qu’il ne piochait pas la terre ni ne fauchait les prairies, et c’était bien d’un monsieur qu’elle rêvait »(54). Et l’oncle de la jeune fille s’oppose précisément au mariage parce que Marius, n’étant pas attaché à la terre, risque de rejoindre la ville. De fait, le gendarme est un fonctionnaire dont l’engagement prend des airs d’exode rural. Une fois coiffé du bicorne, ce campagnard mal dégrossi change d’univers. Voyageant régulièrement, il connaît plusieurs résidences urbaines et bat occasionnellement le pavé des grandes villes, en service comme en permission.

Type de destination des gendarmes en permission au début du XXe siècle

Compagnie

Commune rurale (%)

Chef-lieu de canton (%)

Sous-préfecture ou préfecture (%)

Hautes-Alpes

46,9

33,0

20,1

Hérault

59,6

29,3

11,1

Ille-et-Vilaine

53,4

33,3

13,3

Loir-et-Cher

62,8

23,8

13,4

Quand on examine les villégiatures préférées des gendarmes au début du XXe siècle(55), on relève bien sûr la très forte prédominance du monde rural. Quoi d’étonnant ? Ces hommes rejoignent le plus souvent leur village natal – ou celui de leur épouse. L’ancrage campagnard reste ainsi le trait dominant des gendarmes de la Belle Époque, mais il n’en est pas moins significatif de constater la timide percée des voyages urbains. Agents des Hautes-Alpes prenant leur congé à Marseille, gendarmes du Loir-et-Cher rejoignant Paris : autrefois marginales, ces excursions se banalisent à la veille de la Première Guerre mondiale. Il est encore plus intéressant de noter qu’elles sont généralement l’apanage des gendarmes les plus âgés, et plus spécifiquement de ceux qui préparent leur retraite. Au moment de quitter l’Arme, les vieux serviteurs ont rarement plus de cinquante ans. Aussi entament-ils fréquemment une seconde carrière qui les mène de plus en plus souvent à la ville. Si moins du quart des retraités de la gendarmerie s’installent dans une commune rurale, plus du tiers fixent leur résidence dans des sous-préfectures ou dans des préfectures(56). Popularisée par Léon Bloy, l’image du vieux brigadier qui « vivait isolé sur la lisière de la grande forêt d’Orléans »(57) ne correspond pas – ou plus ? – à la réalité.

Le destin de ces campagnards attirés par les lumières de la ville – ou du moins par les commodités du bourg – invite à reconsidérer l’identité rurale des gendarmes. Les observateurs s’attardent couramment sur le désarroi des recrues affectées en ville et sur le lien naturel qui unit les gendarmes à la campagne. L’idée est un lieu commun que démentent ces nombreux rapports d’officiers qui soulignent la déception des gendarmes nommés dans un « trou perdu » et désireux de se rapprocher d’un poste urbain.

Rotation des effectifs au début du XXe siècle

Brigade externe (%)

Chef-lieu d’arrondissement (%)

Chef-lieu de compagnie (%)

Stabilité à 4 ans

33,4

45,6

50,0

Stabilité à 8 ans

13,1

22,5

16,7

Stabilité à 12 ans

4,5

8,2

0,0

Se lit : 33,4 % des gendarmes d’une brigade externe restent en poste au moins quatre ans dans cette unité ; 13,1 % restent au moins 8 ans ; etc.

Le constat s’impose : on reste plus longtemps à la ville qu’à la campagne. Et pour cause, les agglomérations urbaines comportent de nombreux avantages susceptibles de séduire et de retenir les gendarmes : dessertes ferroviaires permettant de rejoindre plus facilement le pays natal, proximité des établissements scolaires, indemnité de cherté de vie, magasins de garnison et cantines à bon marché. À quoi s’opposent l’isolement social des gendarmes affectés à la campagne, leur difficulté, parfois, à se procurer un ravitaillement satisfaisant. Ainsi s’explique l’étonnement des officiers informés du désir du brigadier Forestier de quitter le confort de sa préfecture pour prendre la tête d’une brigade rurale : « Brigadier, ce n’est pas sérieux ce que vous faites là ! »(58).

Rien d’original à cela : la plupart des fonctionnaires de la fin du XIXe siècle partagent cet espoir d’une affectation urbaine. Si les gendarmes se distinguent malgré tout des instituteurs ou des percepteurs, c’est plutôt par leur attachement maintenu au monde rural. On retiendra, en effet, que les taux de rotation ne sont pas tellement plus élevés dans les brigades rurales que dans les brigades urbaines. De plus, il faut signaler que les premières englobent un certain nombre de postes très isolés qui sont massivement fuis par les gendarmes, ce qui surévalue la proportion des militaires quittant précocement leur brigade. Si l’on ne tient pas compte de ces bourgs déshérités, les brigades rurales ne souffrent pas d’une désaffection des candidatures, ni d’une désertion accélérée des agents. Elles gardent leurs attraits : relativement loin des chefs, ce qui n’est pas un mince avantage dans un corps soumis à de strictes exigences de discipline, les gendarmes y disposent d’une bien plus grande autonomie professionnelle. Ils bénéficient également d’une petite notoriété locale liée au prestige de l’uniforme. Mieux encore, la plupart des hommes cultivent un jardin potager dont on ne saurait sous-estimer l’importance. Nul doute que les lumières de la ville ne se fassent plus scintillantes, mais les gendarmes savent encore y résister à la veille de la Première Guerre mondiale.

À cheval sur la ville et sur la campagne : on cède à la facilité en empruntant cette expression au registre des chansonniers, mais quelle meilleure formule pour résumer la profonde ambiguïté qui définit la gendarmerie du XIXe siècle ? Car il s’agit bien d’une force urbaine, nul doute là-dessus : les implantations le prouvent, l’examen des missions réelles le confirme. Mais l’Arme est aussi rurale, au moins à partir de la Monarchie de Juillet. Casernée dans les bourgs plutôt que dans les cités, elle s’efforce de couvrir l’ensemble du territoire et de sillonner les routes et les chemins vicinaux. Cette synthèse d’une assise urbaine ancienne et d’une identité rurale revendiquée distingue la gendarmerie des autres forces de police – les gardes champêtres restant enfermés dans leurs finages, de même que les agents de police dans leurs agglomérations. Elle contribue surtout à faire des gendarmes des acteurs privilégiés de l’acculturation des sociétés rurales et, de manière plus générale, des intermédiaires entre villes et campagnes.

Reste à comprendre le paradoxe qui était au point de départ de cet article : pourquoi a-t-on oublié la gendarmerie des villes ? Pourquoi les journalistes, les écrivains, les chansonniers, ont-ils méconnu le profond ancrage urbain de l’institution ? Les hypothèses ne manquent pas. Peut-être faudrait-il se pencher, en aval, sur la gendarmerie de l’Entre-Deux-Guerres, que l’on est tenté d’imaginer plus rurale que son aînée et qui aurait fini par imposer dans l’imaginaire social la réputation d’une police des campagnes ? À moins que l’on ne préfère étudier, en amont, l’ombre portée laissée par la mythologie du soldat laboureur(59). Dans tous les cas, l’essentiel reste de comprendre que la gendarmerie des écrivains est un objet culturel à part entière qui a souvent moins de rapports avec la réalité des faits qu’avec les systèmes idéologiques qui la confrontent à la police civile et qui l’associent à une certaine idée de la France provinciale(60). Largement autonomes, ces représentations n’en contribuent pas moins à façonner la réalité qu’elles prétendaient décrire : sans cesse assigné au village, le gendarme finit par se conformer au rôle qu’on veut lui faire jouer.

(1) « La retraite du gendarme et du sous-officier », Bulletin de la gendarmerie, mars 1849, p. 74.

(2) Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds, les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard-Julliard, 1974, p. 188.

(3) Dossiers de grâce de François Verbecq, Pierre Bourceau et Nicolas Lamotte, AN, BB24 348-360 (8788).

(4) Jean-Noël Luc, « Du bon usage de l’histoire des représentations des gendarmes », Sociétés & Représentations, septembre 2003, n° 16, Figures de gendarmes, sous la dir. Jean-Noël Luc, p. 5-35.

(5) Nicole Dyonet, « La maréchaussée et la ville en France au XVIIIe siècle », Le Pénal dans tous ses états : justice, États et sociétés en Europe (XIIe-XXe siècles), Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1997, p. 323-336.

(6) Voir la contribution de Pascal Brouillet dans ce même recueil : « Aux origines de l’enracinement urbain de la gendarmerie : la maréchaussée ».

(7) Arnaud-Dominique Houte, Le Métier de gendarme national au XIXe siècle. Pratiques professionnelles, esprit de corps et insertion sociale de la Monarchie de Juillet à la Grande Guerre, doctorat, Histoire, sous la dir. de Jean-Noël Luc, Paris IV-Sorbonne, 2006, 978 p. ; Aurélien Lignereux, « Force à la loi » ? Rébellions à la gendarmerie et autorité de l’État dans la France du premier XIXe siècle (1800-1859), doctorat, Histoire, sous la dir. de Nadine Vivier et de Jean-Noël Luc, Université du Maine, 2006, 926 p.

(8) Ce travail est désormais facilité par le site « cassini. ehess. fr/cassini/fr/html/1_navigation. php. », merveilleux outil de travail pour suivre aussi bien l’évolution de la population de chaque commune que celle des contours administratifs.

(9) Pour une introduction à « la connaissance des faits démographiques », Jean Dupâquier (dir.), Histoire de la population française. III : De 1789 à 1814, Paris, PUF, 1988, p. 15-61.

(10) John M. Merriman, Aux Marges de la ville. Faubourgs et banlieues en France (1815-1870), Paris, Seuil, 1994, 408 p. ; « La campagne, l’armée et la ville. Le rural et le militaire dans les villes de la première moitié du XIXe siècle à travers les enquêtes militaires : images, clichés et réalités », Histoire urbaine, décembre 2003, n° 8, p. 142.

(11) Pour une illustration minutieuse des fonctions d’un chef-lieu de canton : Corinne Marache, Les Métamorphoses du rural. L’exemple de la Double en Périgord (1830-1939), Paris, Éd. du CTHS, 2006, 562 p. Sur la structuration de l’espace cantonal par son chef-lieu : Yann Lagadec, Jean Le Bihan, Jean-François Tanguy (dir.), Le Canton. Un territoire du quotidien dans la France contemporaine (1790-2006), Rennes, PUR, à paraître.

(12) Aurélien Lignereux, « Un moment 1850 ? L’implantation cantonale des brigades dans la France du premier XIXe siècle », Ibidem.

(13) Dans le Rhône, un gendarme sur trois réside dans l’agglomération lyonnaise (La Croix-Rousse, La Guillotière et Vaise inclues). Il faudrait même ajouter les brigades suburbaines, indispensables compléments du dispositif, comme celle du Pont d’Alaï, AD Rhône, 4 M 155.

(14) Le seuil de 3 000 habitants est préféré par certains historiens. Charles H. Pouthas, La Population française pendant la première moitié du XIXe siècle, Paris, PUF, 1956, 225 p. ; Georges Dupeux, Atlas historique de l’urbanisation de la France (1811-1975), Paris, Éd. du CNRS, 1981, s.p.

(15) Clive Emsley, Gendarmes and the State in the Nineteenth Century Europe, Oxford, Oxford University Press, 1999, 288 p.

(16) Aurélien Lignereux, La France rébellionnaire. Les résistances à la gendarmerie (1800-1859), Rennes, PUR, à paraître en 2008.

(17) May d’Aulnay (chevalier de), L’Instructeur du gendarme sur le service intérieur et aux armées, Paris, Troussel et Isambert, 1840, p. 23.

(18) Le ministre de la Guerre à celui de la Justice, 3 avril 1830, AN, BB18 1309.

(19) Exécution de la loi du 10 avril 1843, SHD-DAT, Xf 262.

(20) Modèle D. État statistique, AN, BB18 1309, SHD-DAT, Xf 259 ; travaux des commissions, automne 1850, AN, BB18 1448A2.

(21) Alfred Germond de Lavigne, La Gendarmerie, ses relations, ses devoirs, son avenir, Paris, Dentu, 1857, p. 17.

(22) Le commandant de la compagnie de la Sarthe au préfet, 20 novembre 1911, AD Sarthe, 5 R 14.

(23) « Nouvelles à la main », Le Gendarme, 10 avril 1898.

(24) On se permettra d’insister sur ce point : la diversité du pays est telle que le service des compagnies de gendarmerie varie fortement en fonction des lieux, en particulier dans la première moitié du XIXe siècle.

(25) David H. Pinkney, Decisive Years in France, 1840-1847, Princeton, Princeton U.P., 1986, 235 p.

(26) Les sous-officiers de gendarmerie avaient caressé l’espoir d’obtenir le statut d’officier de police judiciaire au cours des années 1830, mais les dérogations accordées disparaissent avant la Seconde République.

(27) En l’absence d’une synthèse spécifique au XIXe siècle, on consultera toujours avec profit l’ouvrage fondateur de Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France (XIXe – XXe siècle), Bruxelles, Complexe, 1996, 275 p.

(28) Des commissaires cantonaux, en Alsace par exemple, effectuent cependant des tournées dans les campagnes. Voir Édouard Ebel, Police et société, Histoire de la police et de son activité en Alsace, Strasbourg, Presses universitaires, 1999, p. 476.

(29) On ne dispose presque jamais de registres de procès-verbaux pour le XIXe siècle. Quelques épaves subsistent, notamment pour la brigade de Mennetou (procès-verbaux de 1869 à 1880, SHD-DGN, 41 E 234-244). Mais il faut surtout procéder à des reconstitutions à partir des archives des tribunaux de simple police : justice de paix de Villers-Cotterêts (1860-1878), AD Aisne, 282U 315-316 ; justice de paix de Solre-le-Château (1854-1880), AD Nord, 4U 14/69-80.

(30) Rapport du commandant de la compagnie d’Ille-et-Vilaine, 15 novembre 1909, SHD-DGN, 35 E 18.

(31) Éditorial, Moniteur de la Gendarmerie, 26 mars 1882.

(32) D.B. (commissaire de police), Causeries sur la police, Paris, 1885, s. n., p. 70.

(33) Note du capitaine de Saint-Claude, 9 novembre 1908, SHD-DGN, 39 E 46.

(34) Sur les difficultés de la gendarmerie au début du XXe siècle, on se permettra de renvoyer à notre article synthétique : Arnaud-Dominique Houte et Aurélien Lignereux, « Du bicorne au képi : les gendarmes de la Belle Époque à la croisée des chemins », in Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmes du XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, à paraître en 2008.

(35) Rapport d’inspection générale de la légion de Paris, septembre 1908, SHD-DGN, carton 004.

(36) Ignace-Émile Forestier, Gendarmes à la Belle Époque, Paris, France-Empire, 1983, p. 141-142.

(37) Le chef d’escadron des Hautes-Alpes au chef de légion, 19 février 1899, SHD-DAT, 5 E 2. 

(38) Le chef d’escadron de l’Ille-et-Vilaine au capitaine de Rennes, 8 janvier 1913, SHD-DAT, 35 E 28.

(39) Au motif plaisant qu’« il ne faut pas empêcher les Parisiens de rêver » ; Maurice Grimaud, Je ne suis pas né en mai 68. Souvenirs et carnets, Paris, Tallandier, 2007.

(40) D’après un échantillon de 448 arrestations effectuées dans les compagnies de l’Hérault, de l’Ille-et-Vilaine, de la Marne et du Nord (AN, F7 4106).

(41) Les critiques sont particulièrement détaillées pour Montpellier (le chef d’escadron au préfet de l’Hérault, 20 juin 1856, AD Hérault, 5R 13) et pour Grenoble (rapport d’inspection générale pour 1863, compagnie de l’Isère, SHD-DAT, Xf 210).

(42) Le chef d’escadron au préfet de la Somme, 12 mars 1869, AD Somme, 1Z 592.

(43) Le ministre de la Guerre au général inspecteur, 13 mai 1863, SHD-DAT, G8 92.

(44) Circulaire du ministre de la Guerre aux chefs de légion, 21 février 1894, AD Hérault, 5R 1.

(45) Le chef d’escadron au préfet de l’Hérault, 9 mai 1873, AD Hérault, 4N 86.

(46) Motif de punition infligée au gendarme Gasset, 17 juin 1899, SHD-DGN, 5 E 2.

(47) Note du chef d’escadron de l’Hérault, 31 mai 1910, SHD-DGN, 34 E 12.

(48) Note du chef d’escadron de l’Ille-et-Vilaine, 18 janvier 1914, SHD-DGN, 35 E 31.

(49) Note du colonel de la 8e légion, 17 novembre 1908, SHD-DGN, 878.

(50) Jacques et Mona Ozouf, La République des instituteurs, Paris, Seuil, 1992, 487 p. ; Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996, 426 p.

(51) Pascal Brouillet, La Maréchaussée dans la généralité de Paris (1718-1791). Étude institutionnelle et sociale, doctorat, Histoire, EPHE, sous la dir. de Jean Chagniot, 2002, p. 502.

(52) Dès le Premier Empire, les deux tiers des gendarmes de Seine-et-Marne sont recrutés dans les campagnes ; Franck Vandewèghe, Gendarmerie et missions d’ordre public en Seine-et-Marne (1798-1804), maîtrise, Histoire, sous la dir. d’Alain Cabantous et de Bernard Gainot, Paris I, 2000, p. 95.

(53) Pierre Bourdieu, Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Seuil, 2002, p. 72 et 154.

(54) Clovis Hugues, Monsieur le Gendarme. Roman villageois, Paris, Charpentier-Fasquelle, 1891, p. 83.

(55) Les registres de correspondance courante des compagnies permettent de localiser chaque départ en permission. On a ainsi pu construire un échantillon au dixième à partir du relevé des informations disponibles pour chacune de ces compagnies entre 1899 et 1914.

(56) Le calcul a été mené sur un corpus de 251 gendarmes prenant leur retraite dans la seconde moitié du XIXe siècle et dont les noms commencent par le syntagme « DA » ; SHD-DAT, sous-série 6Yf et 8Yf.

(57) Léon Bloy, « Le bon gendarme », Gil Blas, 26 novembre 1892, repris et présenté par François Dieu dans Sociétés et Représentations, n° 16, Figures de gendarmes, 2003, p. 307-315.

(58) Ignace Émile Forestier, op. cit., p. 75.

(59) Gérard de Puymège, Chauvin le soldat-laboureur. Contribution à l’étude des nationalismes, Paris, Gallimard, 1993, 293 p.

(60) Quentin Deluermoz, « Images de policiers en tenue, images de gendarmes. Vers un modèle commun de représentants de l’ordre dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle ? », Société et Représentations, n° 16, septembre 2003, p. 199-211.