Force Publique

LA gendarmerie mobile EN 1968

Lieutenant-colonel Thierry FOREST
Commandant le groupe d’escadrons 1/1 du groupement blindé de gendarmerie mobile à Versailles-Satory

Pour la gendarmerie mobile, Mai 1968 est une date marquante car, au-delà des opérations quotidiennes sur le terrain, elle va opérer, bien avant le début de l’été, une véritable révolution tant dans le domaine de ses moyens que de ses principes d’entraînement et d’action. De ces leçons bien apprises naîtra un véritable métier, celui du maintien de l’ordre qui sera consacré par l’agitation des années 70.

La gendarmerie mobile entre en révolution

Les équipements de la gendarmerie mobile (GM) sont inadaptés et les matériels dépassés alors que les personnels se heurtent à des manifestants pour le moins déterminés et violents. Même si fin avril 68, une commission est réunie pour étudier des équipements de protection(1) qui feront bien défaut début mai, la GM de 1968 est peu préparée et mal équipée pour affronter la révolte étudiante. En effet, la tenue type pour le maintien de l’ordre est celle de service courant (képi, vareuse et pantalon bleu, rangers, chemise bleue, gants de cuir fauves, cravate noire, baudrier et ceinturon). Les éléments qui permettent aux manifestants de saisir le gendarme sont nombreux comme les poches, la cravate, le baudrier, le ceinturon ou les revers de veste. Le casque modèle 1951 est composé d’un casque « lourd » et d’un casque « léger » qu’il faut maintenir d’une main quand le gendarme court. Il est relativement lourd, n’a pas de mentonnière, d’où un risque de perte, et ne possède pas de protection pour le visage. C’est pourquoi, et à défaut, des unités fabriquent des grilles maintenues par une bande caoutchouc taillée dans une chambre à air.

Le gendarme mobile n’a pas de bouclier, ce qui est très préjudiciable lors des longues heures d’attente sous les projectiles divers. On peut alors voir un escadron adopter des couvercles de poubelles en guise de protection(2). Il n’a pas non plus de matraque, selon le terme de l’époque, à laquelle certains officiers sont défavorables car ils pensent que ce serait une erreur psychologique. On lui préfère le fusil MAS 36 qualifié de sérieux, solide et suffisamment dangereux pour fixer une limite aux manifestants et éviter l’excitation provoquée par le bâton(3). Les lunettes anti-gaz, au champ de vision restreint, sont rapidement opaques, peu étanches et surtout fragiles.

En l’absence de fusils lance-grenades, le gendarme reçoit, au début, des ampoules lacrymogènes cassables puis des grenades à main. On assiste à la mise au point artisanale de tromblons à fusils côté gendarmerie alors que les CRS ont des grenades lacrymogènes efficaces ainsi que des lance-grenades. Le gendarme mobile éprouve donc de grandes difficultés à maintenir les manifestants à distance ou pour tirer sur les toits. Ce bricolage est dangereux avec des tireurs souvent inexpérimentés qui envoient des grenades sur les murs, d’où un retour à l’envoyeur(4). Enfin, les sacs à grenades ne contiennent que trois grenades à main.

Le fourgon-car Renault PLB-6 est plutôt fiable mais il n’est pas équipé pour les longues attentes : il n’y a pas de toilettes et l’aération est déficiente. Ce véhicule est lourd à manœuvrer, en particulier dans les rues étroites de la rive gauche, mais il est rustique et il peut renforcer les barrages. Les grilles de protection gênent la visibilité du conducteur et limitent la vitesse à environ 20 km/h. Le véhicule Peugeot 404 radio, prêté par la gendarmerie départementale, n’est pas protégé, tout comme la VL 403 de commandement et les motocyclettes. Enfin, les unités sont dotées de la série de postes SCR américains, matériel désuet datant de la Deuxième Guerre mondiale qui ne permet pas de liaison directe avec la police. Les ordres sont transmis à la voix par les commissaires.

Quant aux principes d’action, ils datent eux aussi d’une autre époque. L’effet de masse prévaut, ce qui impose un rythme haché durant les opérations. L’attente est longue sous les coups et le retour des gaz lacrymogènes. Les observateurs notent la lourdeur des unités face à un adversaire extrêmement mobile, la rigidité de la doctrine d’emploi et des recettes élémentaires éprouvées. Ainsi, les manœuvres de débordement sont inexistantes et le reconditionnement après une charge est long et malaisé. Les manifestants ont donc tout le temps de se replier et d’ériger de nouveaux obstacles. Les gendarmes ne peuvent en outre disperser ceux qui se trouvent sur les toits sans fusils lance-grenades, ce qui les oblige à une progression en défilement le long des murs pour éviter les projectiles, parmi lesquels un buffet et un bloc-moteur.

Sur le terrain, l’escadron est à l’effectif de 75 hommes répartis en trois pelotons de marche et une équipe de commandement. Le personnel assure de nombreuses servitudes au cantonnement et les exempts ne sont pas remplacés. C’est pourquoi certains officiers souhaiteraient 85 ou 90 gendarmes sur les rangs. Des commandants d’unité aimeraient même approcher les 100 militaires pour un escadron à l’effectif de 150, compte tenu des diverses contraintes de service(5). Selon Laurent Joffrin(6), les GM sont les meilleurs, les plus expérimentés et les plus calmes. Les CRS sont plus brutaux, mais très disciplinés. La préfecture de police (PP) est peu habituée au maintien de l’ordre, hésitante et violente après coup. Pourtant le défaut d’encadrement en officiers est souligné comme le manque d’instruction des unités. Certains officiers sont jugés trop âgés ou « réfugiés » en gendarmerie mobile « plus comme une pénalisation que comme une revalorisation »(7).

Ces principes d’emploi ne sont pourtant pas remis en cause, du moins au début des événements, et la formation comprenant deux ou trois escadrons est plébiscitée notamment pour tenir les ponts. Les groupements d’intervention (1 EGM et 1 compagnie PP agissant de concert ou 2 EGM) sont privilégiés par la PP.

Le gendarme mobile de Mai 1968 appartient à une troupe soudée et aguerrie qui a bien souvent fait la guerre d’Algérie, voire d’autres campagnes. Le Général Ségura, alors lieutenant au 7/17 de Sarreguemines, pense que sa « haute valeur morale et le professionnalisme » conjugués à « la cohésion [ont] permis d’éviter le pire malgré la fatigue, les difficultés rencontrées et la modicité des moyens matériels »(8), et cela en dépit d’une formation au maintien de l’ordre plutôt négligée depuis 1962. Les personnels du 15e GGM sont qualifiés de « traditionnels » par le général Beaudonnet et usés par les services de police de la route et les « bouchons »(9) devant les préfectures. Le 3/19 de Reims, en raison de missions spécifiques, ne fait plus de maintien de l’ordre depuis 1965.

Le mot-clé est « cohésion » auquel on associe la solidité de l’encadrement de contact et la discipline. Quand l’unité est plus jeune, ce qui est le cas du 9/15 de Romans-sur-Isère, l’impact sur le moral s’en ressent mais pas au point de flancher(10). Il s’agit de ne répondre « à aucun moment aux provocations […] allant des insultes aux jets de pierres, tant des barricades que des toits »(11). Au 8/22 de Digne, « le personnel n’[a été] ni préparé ni entraîné. Un mois de conditions difficiles, de stress et de fatigue. La fin des événements apporte un soulagement [au] personnel content à la fin mais [qui] n’a jamais rechigné »(12). Dans l’ensemble, les gendarmes mobiles sont surpris par leur adversaire dont ils discernent très mal les motivations. Mais le flottement gouvernemental qu’ils perçoivent fin mai n’affecte pas le service et le retour du général de Gaulle après l’affaire de Baden-Baden entraîne un regain de dynamisme. Le temps de la reconquête du pavé parisien est venu.

Quant aux hésitations des responsables et au manque d’expérience de certains commissaires, ils se répercutent sur les premières interventions, ce qui est rapidement perçu par les gendarmes, très étonnés par cette pagaille mais peu troublés par des ordres qui tardent, en particulier dans la nuit du 10 au 11 mai quand les autorités laissent les contestataires construire des barricades sous leurs yeux(13). Les relations avec les commissaires qui s’accordent sur le professionnalisme de la troupe, sont généralement bonnes. Ainsi, le commissaire principal Chevallier du 4e arrondissement fait savoir que « les GM et les CRS [qu’il a eu] à commander ont fait preuve d’un esprit de collaboration absolue et d’une discipline qui méritent d’être signalés »(14).

Tributaires des conditions de vie rustiques, les unités en alerte au cantonnement ne connaissent jamais leur fin de service et la question du repos devient cruciale. Certains escadrons sont partis de leur résidence depuis fin avril avec le strict minimum. Des gendarmes demandent à bénéficier « d’un repas chaud par jour »(15) et le personnel est éprouvé physiquement et nerveusement pendant ces deux mois. Déplacement compris, des unités effectuent des services d’une quinzaine d’heures. À la mi-juin, le régime s’assouplit et après les quartiers libres, l’autorisation d’un repos hebdomadaire est à nouveau donnée.

Le cantonnement du Fort-Neuf à Vincennes est parfois qualifié « d’infect »(16). Si les officiers bénéficient d’un billet de logement à l’hôtel, les 82 gradés et gendarmes du 6/17 de Longeville dorment dans une salle avec trois WC et deux lavabos(17). De son côté, le 1/14 de Toulouse est logé dans une écurie de l’École Militaire qu’il partage avec d’autres escadrons. Des bâches sont tendues entre les boxes, les odeurs de cuisines sont envahissantes et le bruit des relèves rend le repos aléatoire. La situation est jugée satisfaisante quand l’unité se déplace à Fontainebleau, malgré l’allongement des délais de route et des locaux peu confortables. En effet, l’unité est seule(18). Il y a quand même des chanceux comme le 8/17 de Baccarat qui est logé au fort de Charenton à 30 par chambre malgré un seul point d’eau(19).

Les tours de services au cantonnement comprenant la prise du poste de police, la surveillance des véhicules et des locaux, les détachés divers et les exempts de service obèrent la capacité opérationnelle des unités. De plus, il faut assurer l’entretien du matériel et de l’armement voire tout simplement celui de l’homme et du linge.

Les leçons de Mai 68… ou des lendemains qui chantent

Le bilan humain et matériel est à la hauteur de l’événement. Il n’y a pas eu de morts à Paris au sein des forces de l’ordre mais de nombreux blessés et par conséquent, beaucoup d’exempts qui font défaut aux unités sur le terrain. Le chiffre des blessés est en général supérieur au sein des forces de l’ordre, qui subissent bien souvent, mais la nature des blessures est équivalente à celle des étudiants. Le personnel souffre de traumatismes provoqués par les jets de projectiles ou par de mauvais mouvements lors des charges mais aussi causés par des engins explosifs chargés de grenailles et des cocktails Molotov, qui provoquent des blessures et des brûlures. Une amputation de doigts et même une énucléation sont à déplorer. Ces blessures sont dues en grande partie à la défaillance en équipements de protection individuelle contre les jets d’objets. S’il n’y a pas de bilan fiable pour les manifestants, le 27 mai la PP annonce 1 045 civils et 1 233 policiers blessés depuis le 3 mai(20). La gendarmerie, au 26 juin, déplore 426 blessés(21) durant la période, dont 158 ayant dû quitter les rangs durablement (23 hospitalisés et 135 exemptés de service), soit l’équivalent de deux unités sur le terrain.

Quant aux dégâts matériels, ils sont conséquents sur les véhicules dont les carrosseries et les glaces sont détériorées, tout comme l’armement, dont les crosses de fusil et les bretelles cassées montrent la violence des affrontements. Les équipements individuels, en particulier des casques, des lunettes anti-gaz et des tenues sont tout aussi abîmés. Les détériorations sont dues aux projectiles mais aussi à l’incendie de deux motocyclettes le 6 mai et d’un command-car et son équipement radio le 24 mai devant le Panthéon. Enfin, on déplore aussi le vol d’un fusil et de 40 cartouches à un gendarme appartenant à un des escadrons de gendarmerie départementale formés pour la circonstance.

L’analyse de l’événement et la révision des principes d’action sont une des priorités tant de la gendarmerie que de la police, bien avant le début de l’été. Des enseignements sont rapidement tirés par le commandement sur le plan de l’organisation et des effectifs, comme la création de dix nouvelles unités, selon le souhait du SGDN, en juillet 68 ou le fait de surseoir provisoirement à toute mutation vers la gendarmerie départementale.

Au début de l’année 1968, il y a environ 15 400 gendarmes mobiles soit, pour l’ensemble, l’équivalent de 5 escadrons en plus par rapport à 1962. La création de dix unités doit porter l’effectif à 16 700. En 1969 sont créés cinq nouveaux EGM, soit 670 hommes supplémentaires portant le total des unités à 125. La loi de finances de 1969 prévoit une augmentation de 1 000 postes de GM et envisage l’hypothèse de l’emploi de gendarmes auxiliaires du contingent au nombre de 15 par unité, plus le transfert de 4 EGM des FFA. Ces mesures sont bien accueillies par le personnel, même si l’Écho de la Gendarmerie se montre plus mesuré(22).

Si l’emploi des unités avec tout leur matériel implique de la lenteur, leur engagement massif, toujours adapté en nombre, a permis d’éviter l’encerclement des manifestants et l’usage des armes, ce qui satisfait pleinement les autorités responsables du maintien de l’ordre. Une analyse d’origine policière recommande pourtant d’augmenter les effectifs, de normaliser les matériels, de perfectionner les moyens de protection contre les attaques, tout en améliorant la rapidité et la mobilité des groupements d’intervention sans porter atteinte à leur puissance. Elle recommande encore de modifier les structures des unités afin qu’elles soient de même valeur numérique et fractionnables dans les mêmes proportions pour en multiplier l’action, de constituer des groupes de travail communs aux services et de conserver une unité de commandement. Enfin, cette note préconise de prendre en compte les informations diffusées par les journalistes.

Ce compte rendu porte aussi un jugement sur le mouvement étudiant dont le service d’ordre, fourni en majorité par l’UNEF, a été inefficace en cours et en fin de manifestation. Les forces de l’ordre auraient eu à affronter un adversaire instruit, déterminé, organisé, agressif et qui a fait preuve d’une extrême violence. Certains semblaient au fait des techniques de combat de rue. Le caractère apparemment organisé de la révolte aurait déstabilisé les unités face à un mouvement structuré militairement, qui employait des estafettes, des commandos, des guetteurs et établissait des liaisons par téléphone(23).

Mais l’action des forces de l’ordre à compter du 24 mai comme les interpellations préventives, la dispersion des rassemblements dès le début, l’empêchement d’ériger les barricades avec utilisation des bulldozers et des charges rapides, ont contré cette organisation qui n’a jamais pu retrouver l’efficacité des premiers jours de mai. Les étudiants ont été lâchés par les travailleurs et par la population en raison de leur radicalisation et des exactions.

La mise au point de nouvelles techniques et l’adoption de nouveaux moyens sont donc à l’ordre du jour. À la mi-juin 68 est créé un groupe de travail « Armée-Intérieur » par la Police nationale avec pour objectif d’étudier les possibilités d’amélioration du matériel existant, de rechercher et de proposer des moyens nouveaux(24). De son côté, la gendarmerie met en place, le 18 juin 1968, une commission composée d’officiers ayant « particulièrement participé aux événements » avec pour carnet de route la refonte de l’Instruction sur le MO du 1er août 1930 et l’étude des rapports des commandants d’unités engagés(25). Cette commission émet le souhait de faire marcher ensemble les unités d’une même légion, de faire la chasse aux détachés, de recentrer l’instruction des escadrons trop axée sur l’affectation future en brigade et d’accorder une demi-journée d’entraînement au maintien de l’ordre par semaine, impliquant plusieurs unités en ambiance réelle. Ceci débouche, dès le début des années 70, sur des modes d’action visant à « défendre l’accès à une zone donnée, éviter que des contre-manifestants viennent perturber une réunion ou une manifestation du camp opposé et, la plupart du temps, opposer des barrages de corps en encadrant l’aire du désordre ». Ils sont aussi destinés à sélectionner les interventions musclées et à développer le renseignement pour connaître les « vrais fauteurs de trouble »(26). C’est d’ailleurs à cette époque que sont créées les Équipes légères d’intervention (ELI).

Des moyens nouveaux sont soumis à l’étude. Et bien que certains soient réticents à masquer le visage car ils trouvent cela « trop moyenâgeux »(27), l’accord se fait en général sur une visière amovible montée sur un casque type football américain ou heaume « médiéval » intégrant des lamelles en plastique et permettant le port des lunettes anti-gaz, ainsi que sur la mise à disposition de plusieurs tailles contrairement au casque 51(28) alors même que, dès la mi-mai 68, un casque type unités motorisées ou blindées en matière plastique résistante aux chocs avait été étudié(29). En attendant, la direction de la gendarmerie a mis en place à titre non permanent 9 700 casques du type TAP 1956, soit 85 par escadron, dont le port a été autorisé à compter du 30 mai(30). Deux grands avantages militent pour cet équipement : la jugulaire joue le rôle de mentonnière et il n’a pas de sous-casque.

Pour ce qui concerne la tenue, la sous-commission « Équipement » demande le port d’un imperméable à la place du manteau, ce qui est accordé dans certaines circonstances en 1969, un passant au ceinturon pour pouvoir y accrocher le casque et la réduction du volume des cartouchières. Une autre étude est demandée à tous les chefs de corps en urgence sur la tenue sous tous ses aspects mais aussi sur l’armement, les matériels radios et automobiles. En septembre 68, pour enlever tout point d’accrochage, on s’oriente vers une combinaison ou une veste genre anorak ou TAP type blouson à fermeture éclair, un pantalon fuseau, l’inscription gendarmerie sur la poitrine, un gilet matelassé, des protège-tibias, le remplacement du képi par le bonnet de police de dotation, les rangers, l’imperméable type ciré, léger et pliable, de nouvelles lunettes anti-gaz, ainsi que le remplacement du baudrier par un ceinturon de toile muni d’un crochet pour le casque. Les gradés seront désormais armés du fusil et non du pistolet-mitrailleur, mesure prise de fait depuis le 18 mai 68. On dote toutes les unités de deux fusils lance-grenades par peloton car c’est un moyen essentiel pour maintenir à distance les manifestants par l’interdiction et la dispersion. Cette arme peut tirer la nouvelle grenade lacrymogène soufflante expérimentée en août. Une musette (ou une chasuble) pouvant contenir 10 à 12 grenades est proposée. Le principe d’un bâton de protection avec le bouclier est acquis mais il reste à en déterminer le nombre et la technique d’emploi.

Il n’y a pas d’amélioration significative des matériels radio, mais il est envisagé d’optimiser la couverture radioélectrique de la ville de Paris en équipant la Tour Eiffel et les liaisons radio internes en dotant l’unité d’un véhicule radio et de commandement organique du type « Estafette » et de postes TRPP 13 plus légers et plus performants jusqu’au niveau du peloton.

Parmi les autres mesures envisagées, on s’intéresse à la protection des véhicules de commandement et des optiques des fourgons-cars, au remplacement de ces derniers par des véhicules plus petits et plus maniables, à la disparition des grilles des toits des fourgons-cars et des glaces fixes, à l’installation d’un siège chauffeur avec amortisseur et à l’amélioration de l’aération. Une partie de ces demandes avait déjà été faite en début d’année. Enfin, devant la forte impression produite par les bulldozers, en particulier sur les commissaires, un véhicule adapté au maintien de l’ordre va être étudié, ce qui préfigure l’apparition du Véhicule blindé à roue de la gendarmerie (VBRG) au début des années 1970.

Mais c’est à Saint-Astier, petite bourgade de Dordogne, que la gendarmerie va se donner les véritables moyens de sa révolution. Déjà en mai, l’idée avait été avancée de « créer un stage de maintien de l’ordre pour tous avec des exercices pratiques « dans des ambiances actuelles » »(31). De fait, le 1er avril 1969, le Centre de perfectionnement de la gendarmerie mobile (CPGM) est créé à Saint-Astier. Des stages de recyclage d’escadrons sont organisés dès le mois de juin 69 jusqu’en octobre 1970, puis, après une interruption de plus de six ans, repris à compter de 1977 en raison de la situation sociale des années 1970.

Décentralisée jusqu’à la fin des années 60, l’instruction mettait alors l’accent sur le passage en GD au détriment du maintien de l’ordre. Mai 68 a révélé une forte disparité entre les unités. Désormais, on recherche le réalisme et des thèmes d’actualité dans les exercices. Même si les équipements ne suivent pas encore, de nombreuses propositions sont faites pour rénover et dynamiser la pratique du maintien de l’ordre dans le cadre de sous-groupements opérationnels. Le CPGM garde les « recettes » des unités grâce aux comptes rendus d’intervention, met au point de nouvelles techniques, unifie les méthodes en tirant les enseignements des événements récents, en particulier ceux de Mai 68, et en critiquant à chaud les exercices avec la participation active des officiers des unités. Pour preuve de leur forte implication, « la création d’un « village « est proposée dans les rapports des officiers d’unité à leur hiérarchie en fin de stage »(32). Le Centre s’appuie aussi sur les mémoires des stagiaires de l’École de Guerre et sur des manuels spécifiques qui, dès 1969, « vulgarisent les principes juridiques et, fait nouveau, les procédures globales d’intervention tant du point de vue de l’exécutant que du commandement ». Enfin, les opérations sont filmées alors que les instructeurs sont à la recherche de l’efficacité et que les cadres sont invités à une participation active en apportant leur expérience.

La refonte de l’Instruction de 1930 par l’« Instruction 7001 du 13 février 1975 sur les opérations de maintien de l’ordre menées par la gendarmerie » régénère des textes bien obsolètes et le MO devient alors « un champ de savoir autonome ». Une fois leur propre révolution faite dans leur domaine de compétence, les gendarmes mobiles, « considérés comme plus aptes à demeurer longtemps impassibles », sont dès lors employés de préférence pour contenir les mouvements, contrairement aux CRS, réputés plus véloces, qui peuvent accompagner les cortèges. Ce choix du lourd par rapport au léger n’est pas dénué de fondement car « l’éthique militaire des officiers [de gendarmerie] les incline à mettre en avant des qualités de discipline qui, retraduites dans le jeu du maintien de l’ordre, rendent possible une prolongation de leur passivité ».

Ainsi, dès le mois de juin 1968, la GM entreprend une véritable révolution à la lumière des événements récents. La formation aux techniques du maintien de l’ordre ayant été plutôt délaissée au profit d’autres missions plus générales, la GM, mal équipée et insuffisamment préparée, a passé l’épreuve avec succès, en particulier grâce aux qualités foncières de son personnel. La création du CPGM de Saint-Astier, à peine un an après les troubles, est certainement le symbole le plus remarquable de l’héritage de Mai 68.

(1) Note de service n° 557/2.III, 25 avril 1968, SHD-DGN, CGMRP, 31692.

(2) Témoignage du gendarme (ER) Jean-Pierre Sabatut, gendarme à l’EGM 8/22 de Digne, 20 février 2004, Archives privées (AP) de l’auteur.

(3) Rapport n° 102/2.D du 29 juin 1968 du lieutenant Philippot, SHD-DGN, EGM 3/19 de Reims, 1281 W 89 et rapport n° 142/2.D du 17 mai 1968 du chef d’escadron Beaudonnet du GEGM I/15 de Bron, SHD-DGN, 2975 W 957.

(4) Témoignage du gendarme (ER) Jean-Pierre Sabatut, op. cit..

(5) Rapport du lieutenant Philippot, op. cit..

(6) Laurent Joffrin, Mai 68, histoire des événements, Paris, Éditions du Seuil, 1988, pp. 200-201.

(7) Capitaine V., cité par Patrick Bruneteaux, Maintenir l’ordre. Les transformations de la violence d’État en régime démocratique, Paris, Presses de Sciences PO, 1996, p. 308.

(8) Témoignage du général (CR) Ségura, 21 janvier 2004, AP de l’auteur.

(9) Louis Beaudonnet (général CR), « Souvenir d’un temps vécu ou la gendarmerie mobile en 1968 », Bulletin de la SNAAG, n° 203, juillet 1988, p. 34.

(10) Compte rendu d’installation n° 12/2.D du 9 mai 1968 ; Rapport n° 28/2.D du 20 avril 1968 ; Compte rendu d’installation n° 89/2.D du capitaine Duhamel, 10 juin 1968, SHD-DGN, EGM 9/15 de Romans, 1940 W 88.

(11) Rapport n° 580/2 du capitaine Boilard, 17 mai 1968, SHD-DGN, EGM 4/4 de Chartres, 1041 W 176-177.

(12) Témoignages du lieutenant-colonel (ER) Gabriel Ramain – alors lieutenant –, 15 janvier 2004 et de l’adjudant-chef (ER) Pierre Bringout – alors gendarme –, 8 mars 2004, tous deux à l’EGM 8/22 de Digne, AP de l’auteur.

(13) Témoignage de l’adjudant-chef (ER) Antoine Leclerc, adjudant à l’EMG I/4 de Joué-lès-Tours, 8 mars 2004, AP de l’auteur.

(14) Compte rendu d’activité du commissaire principal Chevallier (4e arrondissement de Paris), 8 juillet 1968, PP, FA/MJ, carton 24.

(15) Rapport n° 749/2 du capitaine Gourves, 18 mai 1968, SHD-DGN, EGM 5/6 de Creil, 38952.

(16) Témoignage du lieutenant-colonel (ER) Gabriel Ramain et adjudant-chef (ER) Pierre Bringout, op. cit.

(17) Témoignages de l’adjudant (ER) Jean-Michel Schneider – alors gendarme –, 19 février 2004, et du colonel (ER) Jacques Conge – alors lieutenant –, mars 2004, de l’EGM 6/17 de Longeville, AP de l’auteur.

(18) Témoignage du colonel (ER) Gérard Josserand, lieutenant à l’EGM 1/14 de Toulouse, 3 février 2004, AP de l’auteur.

(19) Témoignage de l’adjudant-chef (ER) Valentin Brochier, gendarme à l’EGM 8/17 de Baccarat, avril 2004, AP de l’auteur.

(20) Philippe Alexandre et Raoul Tubiana, L’Elysée en péril (2-30 mai 1968), Paris, Le Livre de Poche, 1969, p. 95.

(21) Message n° 6946/2-I, 26 juin 1968, SHD-DGN, CGRP, 023122.

(22) L’Écho de la Gendarmerie, n° 4 206, 1er décembre 1968.

(23) Analyse de la PP, rédacteur et date non connus, mais probablement rédigée en juin 1968, PP, FA/MJ, carton 25.

(24) Rapport d’un chef d’escadron cité par Patrick Bruneteaux, op. cit., p. 229.

(25) Message n° 6 605/2-III, 18 juin 1968, SHD-DGN, CGRP, 023122.

(26) Patrick Bruneteaux, op. cit., p. 207.

(27) Rapport n° 664/2.III, 7 mai 1968, SHD-DGN, CGMRP, 31692.

(28) Rapport n° 676/2, du capitaine Pillet, 10 juin 1968, SHD-DGN, EGM 1/2 de Maisons-Alfort, 1953 W 320-321.

(29) Décision Ministérielle n° 21 018 MA/GEND.T.AF, 16 mai 1968, citée dans le message n° 5507/2-IV du 22 mai 1968 (en réalité du 21 mai 1968), SHD-DGN, CGRP, 023121.

(30) Messages n° 5 741/2-IV, 27 mai 1968 et 5 853-IV, 30 mai 1968, SHD-DGN, CGRP, 023122.

(31) Rapport n° 28/2.D du 20/05/68 du capitaine Duhamel, SHGN, EGM 9/15 de Romans, 1940 W 279.

(32) Patrick Bruneteaux, op. cit., pp. 130-131. Ibid. p. 131 pour les citations suivantes.