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« COMME DES POISSONS DANS L’EAU » : LES GENDARMES DE RILLIEUX-LA-PAPE DANS LA BANLIEUE LYONNAISE

Lieutenant Guy Cavazza
Commandant la brigade territoriale autonome de Rillieux-la-Pape (Rhône)

J’ai pris le commandement de la brigade territoriale autonome de Rillieux-la-Pape le 1er août 2005. Auparavant, j’avais exercé le commandement d’une brigade rurale, qui n’avait rien à voir avec celle de Rillieux-la-Pape, et de plusieurs postes sensibles lors des jeux olympiques d’hiver d’Albertville ou des championnats du monde d’aviron. Cette brigade de Rillieux-la-Pape dépend de la région gendarmerie Rhône-Alpes, groupement du Rhône, compagnie de Lyon. La présence d’une coordinatrice sociale au sein même de l’unité est une particularité de la brigade. Elle permet d’accueillir les victimes, de les écouter et éventuellement de savoir si elles déposent plainte. Les victimes ne repartent pas sans un conseil ou une orientation.

L’effectif de la brigade est de quarante-deux militaires : un officier, un major, sept gradés d’encadrement, vingt-sept sous-officiers, six gendarmes adjoints. Parmi eux, vingt-trois possèdent la qualité d’officier de police judiciaire. On compte également cinq femmes, dont le major commandant de brigade adjoint, ainsi que trois militaires d’origine maghrébine. Les sous-officiers affectés à la brigade proviennent principalement du changement de subdivision d’arme (gendarmerie mobile/gendarmerie départementale), sortent d’école, rentrent d’outre-mer ou ont fait l’objet d’une mutation disciplinaire. Très peu de volontaires servent dans notre unité. En ce qui concerne l’effectif actuel, on compte quatorze changements de subdivision d’arme, sept sorties d’école, deux retours d’outre-mer et une mutation disciplinaire.

Les temps de présence à l’unité vont de quatre à cinq ans, excepté pour trois militaires, présents depuis plus de cinq ans. Depuis mon arrivée, le 1er août 2005, 80 % du personnel a changé par le biais de mutations, tous grades et toutes catégories confondus. Il est donc difficilement possible de stabiliser l’unité. Néanmoins, malgré les contraintes, le taux de réussite aux différents examens est excellent, à savoir 100 % pour le concours de major et 100 % pour celui d’OPJ. Une formation continue, liée à un emploi sur les lieux, est dispensée à tout le personnel, notamment la gestion des interventions, l’utilisation des armes et du matériel mis à disposition et la gestion des crises. La majorité des gendarmes adjoints sont candidats à des postes de sous-officier.

La brigade de gendarmerie est implantée dans la ville même de Rillieux-la-Pape ; la majorité des familles résident sur place. Dix familles seulement sont logées à l’extérieur ou aux limites de la ville, en raison du manque de logements disponibles en caserne. Ainsi, sommes-nous tous habitants de Rillieux : nous y vivons à plein-temps, nous y travaillons, nos enfants sont scolarisés dans les établissements de la cité, tandis que les familles font leurs courses dans les commerces locaux et occupent leur temps de loisir dans la ville.

La caserne, les véhicules de service et privés ne sont jamais la cible d’agressions ou d’incivilités, bien qu’aucune protection particulière ne soit en place autour de la caserne. Il y a simplement un petit grillage marquant les contours des bâtiments, comme dans une grande partie des casernes de gendarmerie. Les familles ne font jamais l’objet d’agressions ni d’autres désagréments. Nous sommes respectés par la population et reconnus comme des Rillards à part entière, même par la population délinquante. Pourtant, l’activité de la brigade ne cesse de croître.

En ce qui concerne les interpellations, nous avons procédé à 371 gardes à vue en 2006, soit plus 63,44 % par rapport à l’année d’avant. Les résultats de 2007 marqueront encore une progression. Ces statistiques pourraient générer un sentiment de vengeance vis-à-vis des gendarmes. Il n’en est rien, bien au contraire, nous sommes d’autant plus respectés. L’année écoulée, la brigade a pu constater 2 411 crimes et délits, avec un taux d’élucidation de 52,63 %. Pendant cette même période, les actions d’initiative ont marqué une augmentation de 45,96 % par rapport à 2005, soit 235 crimes et délits constatés d’initiative des services. La gendarmerie, dans son action quotidienne, se veut offensive, y compris surtout en zone dite difficile et n’éprouve aucune difficulté particulière dans les enquêtes importantes.

La brigade est renforcée dans l’exécution de ses missions par le peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), basé à Rillieux, et comprenant un effectif de 33 militaires, dont l’aire de compétence s’étend à l’ensemble des brigades de la compagnie. Elle bénéficie, en outre, du concours d’un peloton de gendarmerie mobile placé sur réquisition préfectorale pour la lutte contre les violences urbaines, d’un effectif de 14 militaires. Ponctuellement, nous recevons aussi l’aide de la brigade de recherches. Un élément de cette unité, comptant quatre militaires, est installé dans la ville. Enfin la brigade de prévention de la délinquance juvénile intervient, notamment dans le domaine de la prévention, au sein des écoles et pour l’audition des mineurs victimes.

Une convention partenariale existe aussi avec la police municipale, qui compte un effectif de quinze fonctionnaires ; ils sont armés, équipés et formés par la gendarmerie. La brigade, de façon continue, poursuit son action de lutte contre la délinquance par une collaboration avec les différents services publics, notamment les transports en commun, les établissements scolaires, la mairie et les associations.

La zone de compétence de la brigade de Rillieux est donc la commune d’implantation, qui comprend deux zones bien distinctes : la ville nouvelle et ses hameaux. Rillieux-la-Pape totalise au dernier recensement (1999) 28 367 habitants, essentiellement dans la ville nouvelle, qui compte 18 790 habitants, sur une superficie de 1 561 hectares. Sont présentes sur Rillieux-la-Pape soixante-dix ethnies différentes et quatre religions. La commune est intégrée au plan pilote 25 quartiers ; elle est l’une des cinquante-sept communes de la communauté urbaine de Lyon, et la plus importante en population sous compétence gendarmerie. La ville nouvelle de Rillieux-la-Pape ne ressemble pas au cliché que l’on se fait habituellement du ghetto : c’est une cité propre et bien entretenue. Les problèmes majeurs rencontrés sont d’ordre social surtout : conflits de couple, drogue, alcool, mineurs délaissés par les parents. Ces derniers sont de plus en plus jeunes, sont déscolarisés et traînent de jour comme de nuit dans la cité. Pour s’occuper, ils commettent des délits et des incivilités, passant du jet de projectiles aux incendies de véhicules.

L’action quotidienne de la brigade et de ses renforts permet de maintenir une paix sociale et de prévenir les troubles à l’ordre public par anticipation. Présente 24 heures sur 24, la gendarmerie œuvre dans tous les quartiers et sans restrictions. Elle ne connaît aucune difficulté à assurer son travail. Les missions de service public sont ainsi parfaitement remplies et la réponse attendue par la population est immédiate. Les gendarmes entretiennent un rapport étroit avec les élus, les commerçants, les habitants, les associations, les services publics, et assistent régulièrement aux réunions de quartier. L’unité connaît la population qui nous a clairement identifiés. Notre action et notre présence sont appréciées par l’ensemble de la population, y compris des jeunes qui font bien la distinction entre les différentes sortes de polices. Les gendarmes travaillent avec aisance à Rillieux-la-Pape.

Ces relations étroites entre élus et services publics de la population ont permis d’atténuer les violences lors de la crise des banlieues de l’automne 2005, qui n’a duré que trois à quatre jours à Rillieux-La-Pape. Nous avons rapidement maîtrisé la situation grâce à la présence des escadrons mis en place dans les zones occupées normalement par les jeunes. Les unités se sont implantées au milieu des quartiers et sont finalement parvenues à discuter avec les jeunes, à parler de football ou d’autre chose, ce qui a permis de désamorcer la crise. Lors de cette crise, le directeur général de la gendarmerie, qui nous a rendu visite à cette occasion, a été invité à boire le thé dans un bar du centre-ville par les jeunes eux-mêmes et s’est entretenu avec eux. À Lyon, les jeunes ont commis des violences par incendie, notamment sur la place Bellecour. De la même manière, les répercussions de la crise du CPE ont été relativement faibles. L’étroite collaboration avec les lycées et les jeunes, que l’on connaît très bien, a permis de stopper immédiatement les incivilités contre les collèges.

Autre exemple : au milieu de la nuit, avec le commandant de compagnie, nous faisons régulièrement une patrouille à pied, tous les deux, dans tous les quartiers, que ce soit une heure, deux heures, trois heures du matin. On part une heure à pied et on n’est jamais agressés ni invectivés, de quelque manière que ce soit. D’ailleurs, des policiers étrangers en stage à l’école des commissaires sont venus faire une patrouille dans la ville en notre compagnie : il y avait deux Hollandais et un Anglais, et l’un des Hollandais parlait arabe. La rencontre avec les jeunes a été très paisible : après nous être arrêtés pour discuter, le policier arabophone a pu converser avec eux, et a particulièrement apprécié nos méthodes de travail.

En résumé, il faut apprendre au personnel à être disponible, mais à travailler intelligemment, de façon continue, sans surcharger les emplois du temps. Le statut militaire permet de disposer facilement des gendarmes, mais il faut utiliser le temps de travail à bon escient.