Force Publique

CHAPITRE III

LES TRADITIONS

A – Le devoir de mémoire

1 – L’officier traditions

Utilisé dès la fin du XIIIe siècle, le mot tradition vient du latin traditio, et signifie remettre, transmettre. En fait, il s’agit d’une transmission de siècle en siècle, à l’origine par la parole ou par l’exemple.

Les traditions constituent des points de repère essentiels pour tout le personnel servant en gendarmerie. À un moment de profondes mutations, il importe que tout gendarme s’enrichisse des enseignements tirés de l’histoire.

L’officier traditions est choisi parmi ceux que le goût de l’histoire, la connaissance des traditions et du patrimoine de la gendarmerie intéressent particulièrement. Conseiller technique du commandant de la formation, il est chargé en particulier : d’élaborer ou de mettre à jour l’historique de ses unités ; de réaliser ou d’étoffer les salles d’honneur ; d’assurer des contacts avec les retraités de la gendarmerie, les anciens combattants et les autres officiers « traditions » ; il est associé à l’instruction des demandes relatives à l’appellation de casernes, aux parrainages de promotions, à l’apposition de plaques commémoratives. Il existe officiellement un officier traditions par légion, école et formation assimilée.

2 – Le Livre d’Or

Aquarelle de Bucquoy figurant dans le Livre d’Or (1937)

Aquarelle de Bucquoy figurant dans le
Livre d’Or (1937).

Le Livre d’Or de la gendarmerie a été créé le 17 juin 1912 dans le but de mettre en exergue l’esprit de courage et d’abnégation des militaires de la gendarmerie ; par ailleurs, il révèle les hauts faits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions.

Chaque année, une commission arrête la liste des faits les plus méritoires récompensés par une citation à l’ordre de la Nation, de la gendarmerie, de l’armée, du corps d’armée, de la division, de la brigade et du régiment. En outre sont retenus les témoignages de satisfaction, les félicitations et les distinctions honorifiques.

Ces actions d’éclat revêtent un véritable caractère d’héroïsme, d’abnégation, de courage et de dévouement. Elles concernent des faits individuels – et parfois collectifs – récompensés par une autorité militaire à partir des commandants de légion.

Chaque inscription comprend : le nom en lettres capitales, le prénom entre parenthèses, le grade au moment des faits, l’unité formant corps, le libellé de la citation entre guillemets et les récompenses obtenues.

À la fin du fascicule, on trouve la liste des morts victimes du devoir avec, surtout, tous ceux qui n’ont pas obtenu de citation à titre posthume. Ce tableau comprend les indications concernant le corps d’affectation, le nom et le prénom, le grade et les circonstances de la mort.

Le Livre d’Or reste, avant tout, une des références de l’histoire de la gendarmerie, mais également une source inépuisable pour tous ceux qui veulent connaître le destin de militaires dont le nom figure sur une plaque commémorative, un insigne de promotion, une sépulture ou une photographie d’ouvrage.

3 – La filiation des unités

L’esprit de corps est un des fondements de la force morale de toutes les formations militaires, et notamment de celles de la gendarmerie. Il se forme, se nourrit et se fortifie du souvenir des exploits et des sacrifices qui jalonnent et illustrent l’histoire de ses unités.

La filiation qui rattache l’unité actuelle à ses devancières peut être directe, indirecte ou mixte.

La filiation directe est fondée sur l’identité d’appellation. Elle relie entre elles des unités de même nom, en principe de même vocation opérationnelle ou fonctionnelle et d’importance équivalente.

La filiation indirecte intervient lorsqu’une unité est désignée comme héritière ou dépositaire, seule ou avec d’autres, des traditions d’une unité dissoute sans que la filiation directe puisse s’appliquer. Les unités sont alors reliées entre elles : par la similitude des missions, la nouvelle unité héritant du patrimoine d’une unité dont les conditions d’emploi ou la vocation étaient semblables ; par le sang, à l’occasion soit d’un changement d’appellation de l’unité ancienne sans dissolution de celle-ci, soit du transfert de la majeure partie de ses effectifs vers l’unité d’accueil ; par ascendance, lorsque l’unité hérite du patrimoine acquis par une ou plusieurs unités de marche dérivées d’elle ou parrainées par elle.

La filiation mixte permet de rattacher une unité nouvelle à plusieurs devancières : directe pour l’une de celles-ci, elle est indirecte pour les autres. Ce type de filiation permet notamment de préserver tout ou partie du patrimoine acquis en commun par plusieurs unités relevant d’un même ensemble de forces ou d’une même subdivision.

B – Le culte du souvenir

1 – La célébration de la Sainte-Geneviève

Bouclier de Ste Geneviève

Bouclier
représentant sainte
Geneviève.

Comme toutes les armes de l’armée de Terre, la gendarmerie est placée sous la protection d’un saint. En effet, par un rescrit du 18 mai 1962, le pape Jean XXIII donne solennellement sainte Geneviève comme patronne de l’Institution.

Née vers 420 à Nanterre, Geneviève, durant son enfance, garde des moutons sur les pentes du mont Valérien. À deux reprises, elle joue un rôle primordial dans l’histoire de France : d’abord en 451, en rendant confiance aux Parisiens face à l’avancée des Huns d’Attila ; ensuite de 490 à 495, en défendant Lutèce contre les Francs puis en permettant la conversion de Clovis au catholicisme. Elle meurt octogénaire le 3 janvier 502. Ses cendres reposent actuellement en l’église Saint-Etienne-du-Mont, près du Panthéon, à Paris.

Logiquement, elle devrait être fêtée le jour de sa mort, mais, pour des raisons de calendrier, la gendarmerie honore sainte Geneviève aux environs du 26 novembre, qui correspond au « miracle des ardents » en 1130.

La célébration de la Sainte-Geneviève est placée sous le signe de la convivialité. Elle permet de rassembler autour des personnels et de leur famille les retraités, les veuves d’anciens gendarmes, les réservistes, les amis de la gendarmerie et les différentes autorités locales. Fête de la gendarmerie, elle est une manifestation de cohésion qui rassemble d’abord, en y associant leur famille, les militaires et les retraités de l’Institution. Elle est, pour toutes les personnes qui désirent y participer, une occasion d’échanges, favorable à l’évocation de souvenirs, de partage des joies et des peines, et constitue un temps fort de la vie de l’Institution.

Au-delà même de l’esprit de corps qu’elle contribue à renforcer, elle marque la pérennité de la Gendarmerie nationale.

2 – La cérémonie du 16 février

Cérémonie annuelle d’hommage aux morts de la Gendarmerie nationale (1996)

Cérémonie annuelle
d’hommage aux morts de la
Gendarmerie nationale (1996).

La loi du 16 février 1791 est le premier texte fondamental de la Révolution relatif à l’organisation de la toute nouvelle Gendarmerie nationale.

En souvenir de cet événement capital, le ministre de la Défense a décidé, en 1993, que chaque 16 février un hommage solennel serait rendu aux personnels de la gendarmerie victimes du devoir au cours de l’année précédente. Dans tous les départements, une cérémonie unique regroupe les délégations de la gendarmerie départementale, mobile et des formations spécialisées. Elle est organisée au chef-lieu du département, dans la caserne de gendarmerie jugée la plus propice.

L’importance des troupes sous les armes est d’au moins un piquet d’honneur et deux trompettes.

Dans une caserne de gendarmerie mobile ou en école, l’effectif peut être porté à un escadron ou une compagnie.

La cérémonie se déroule de la façon suivante : lecture d’un message du ministre de la Défense ; dépôt de gerbe ; appel des morts victimes du devoir de l’année précédente ; sonnerie aux morts ; minute de silence. Les cérémonies annuelles rendant hommage aux personnes de la gendarmerie victimes du devoir doivent être l’occasion de rassembler autour des militaires d’active les retraités, les réservistes et les autorités administratives, judiciaires et militaires avec lesquelles la gendarmerie est quotidiennement en relation.

Placées sous le signe du recueillement et du souvenir, ces manifestations doivent se caractériser par leur sobriété et leur solennité.

3 – Les baptêmes de promotion

Cérémonie de la remise des sabres à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (1997)

Cérémonie de la remise
des sabres à l’École des officiers
de la Gendarmerie nationale
(1997).

À ce jour, aucun texte réglementaire ne traite des parrainages de promotion. Pourtant toutes les écoles de gendarmerie ont pour tradition d’honorer la mémoire d’un de leurs anciens depuis 1918 pour les officiers élèves, 1980 pour les élèves gendarmes et 1991 pour les élèves officiers de réserve, aujourd’hui les aspirants de gendarmerie issus du volontariat.

Le parrain d’une promotion est choisi parmi les militaires de la gendarmerie à la conduite exemplaire, soit mort pour la France, soit victime du devoir, soit aux états de services exceptionnels.

La procédure est la suivante. Après le choix de trois parrains par les élèves, le commandant de l’école de sous-officiers adresse sa demande au commandant des écoles de la gendarmerie et le commandant de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale envoie sa proposition au ministre de la Défense.

Pour les baptêmes de promotion, le plus souvent présidés par le ministre de la Défense pour les officiers élèves ou un général pour les élèves officiers de réserve et les élèves-gendarmes, l’officier traditions rédigera la biographie (d’une à deux pages) du parrain en s’inspirant surtout de son état des services et de sa notation. Dans la mesure du possible, il s’efforcera de retrouver, outre la famille, les compagnons d’armes du parrain qui seront également invités à la cérémonie.

C – Les mémoriaux

1 – Le monument de la Gendarmerie nationale

Cérémonie au monument de la Gendarmerie nationale (1991)

Cérémonie au monument de la
Gendarmerie nationale (1991).

La Gendarmerie nationale est l’une des rares institutions françaises à posséder un monument national. Il est dédié à la mémoire de ses personnels morts au champ d’honneur ou tombés victimes du devoir, depuis le Moyen Âge jusqu’à la Grande Guerre.

À l’origine, il devait être érigé à Paris, mais les différentes demandes du président du comité d’érection ne reçurent jamais de réponse. Aussi Versailles fut-il choisi car c’est dans cette ville que se trouvait l’école d’application de la gendarmerie. Le projet ayant été conçu dès 1935, les travaux commencèrent réellement le 23 juillet 1938 pour être terminés le 15 septembre 1941, après une interruption de quelques mois en 1940 due à la guerre.

Première maquette du monument de la Gendarmerie (1936)

Première maquette du
monument de la Gendarmerie
nationale (1936).

Élevé au rond-point Saint-Antoine, devenu depuis rond-point de la Loi, le monument, aux vastes proportions, est l’œuvre des architectes Nicod et Auzelle et du statutaire Gabriel Rispal. Devant deux grands pylônes, la statue centrale de 4 mètres de hauteur repose sur un socle qui porte la devise – jamais officialisée – de la gendarmerie, Pour la patrie, l’honneur et le droit. À la base du socle, sous un bouclier de bronze, les cendres du prévôt des maréchaux de France Le Gallois de Fougières, tué à la bataille d’Azincourt en 1415, sont déposées dans un hypogée.

Ce monument fut inauguré solennellement le 6 juillet 1946 au cours d’une cérémonie grandiose rassemblant des unités de la Gendarmerie nationale.

Du fait de la circulation routière très importante, les prises d’armes sont aujourd’hui exceptionnelles. L’une des dernières grandes manifestations s’est déroulée en 1991, à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la gendarmerie.

2 – Les plaques commémoratives

Plaque commémorative aux morts (1914-1918)

Plaque commémorative aux morts
de la Garde républicaine (1914-1918).

Il est important de conserver la mémoire des militaires de la gendarmerie disparus et qui se distinguèrent par une conduite exemplaire. Pour perpétuer leur souvenir, il est possible d’apposer une plaque commémorative pour les tués à l’ennemi, en opération de police judiciaire et de maintien de l’ordre ; les morts pour la France en déportation ou fusillés ; les décédés lors d’un sauvetage. En outre, on peut honorer les militaires particulièrement glorieux, aux états de services élogieux, même s’ils ne sont pas morts en service.

Toutes les casernes, petites ou importantes, peuvent recevoir une ou plusieurs plaques commémoratives. Celles-ci sont apposées, en général, sur la façade du bâtiment principal ou dans un local ouvert au public, à un emplacement bien visible.

L’apposition d’une plaque intervient sur décision du commandant de légion, qui en rend compte à la direction générale de la Gendarmerie nationale. Normalement, leurs réalisations, installation et entretien sont supportés par le budget de fonctionnement de la légion. Dès qu’une plaque est apposée, une photographie en couleur doit être adressée au Service historique de la Gendarmerie nationale, qui conservera ainsi une trace de chaque réalisation.

3 – Les sépultures

Monument mémoire gardes républicains fusillés en 1871

Monument à la mémoire
des gardes républicains
fusillés en 1871.

Le Service historique a pour mission de veiller à la conservation et à l’entretien des anciennes tombes de gendarmes.

Actuellement, trois organismes s’occupent des sépultures de militaires : l’Association pour la conservation des monuments napoléoniens, pour celles des deux Empires ; le Souvenir Français pour celles de la guerre de 1870-1871 et des décédés en service ; le secrétariat d’État chargé des anciens combattants pour les nécropoles nationales des « Morts pour la France » depuis la Grande Guerre.

Dans chaque légion, l’officier traditions fait un relevé précis des caveaux d’anciens militaires de l’Institution depuis les temps les plus reculés et l’adresse ensuite au général chef du Service historique de la Gendarmerie nationale. Ainsi, celui-ci constitue un dossier avec les renseignements suivants : l’implantation exacte ; le relevé des inscriptions ; l’état général du monument funéraire ; la photographie de ses différentes faces ; toutes les autres informations intéressantes.

En cas d’abandon flagrant ou de reprise imminente par la mairie, le Service historique doit être averti pour qu’il prenne les dispositions nécessaires pour en assurer la sauvegarde et l’entretien conformément à l’instruction du service de garnison.

Stèle de la cantinière Marie Wilm

Stèle de la
cantinière Marie
Anne Wilm.

Au moins une fois par an, il serait souhaitable de fleurir les tombes de sa région à l’une des dates suivantes : à la date anniversaire du décès du militaire ; le 11 novembre pour les anciens combattants de 1914-1918 ; le 8 mai pour ceux de 1939-1945 ; la fête de Sainte-Geneviève pour les conflits depuis 1945 ; le 1er novembre pour les autres cas.

Éventuellement, il pourrait y avoir une évocation biographique, un dépôt de gerbes, une sonnerie aux morts et une minute de silence.

Chaque jour, de très nombreuses tombes sont détruites à tout jamais. Aussi est-il urgent d’entreprendre l’inventaire le plus complet possible de toutes les sépultures de nos grands anciens avant leur disparition irréversible.

À retenir

Le devoir de mémoire est une des missions primordiales de l’officier traditions, qui peut mener à bien sa tâche grâce au Livre d’Or. Il s’intéresse également à la filiation des unités pour favoriser l’esprit de corps des différentes composantes de la gendarmerie. En outre, le culte du souvenir tient une place très importante dans la vie de notre institution. Ainsi, chaque année, elle célèbre la fête de Sainte-Geneviève, rend un hommage solennel à ses victimes du devoir et honore ses morts par des baptêmes de promotion. Par ailleurs, elle compte plusieurs mémoriaux dont le plus connu est le monument élevé à sa gloire à Versailles, mais aussi de très nombreuses plaques commémoratives apposées sur les façades de casernes. Enfin, nous pouvons nous enorgueillir de posséder près de deux cents sépultures de gendarmes du XIXe siècle, certaines étant de véritables œuvres d’art. Cet ensemble unique constitue les traditions de la Gendarmerie nationale.

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