Force Publique

CHAPITRE II

LA GENDARMERIE SOUS L’OCCUPATION

La brutalité de la défaite, qui a jeté une partie de la population sur les routes de France, ébranle les esprits. Débute alors une période sombre pour la gendarmerie allant de 1940 à 1945. La séparation du pays en plusieurs zones et la présence d’une troupe étrangère en zone occupée perturbent son service. Mais, surtout, la mise en place d’un régime autoritaire prônant une politique de collaboration entraîne un bouleversement de l’organisation et des missions de l’arme. La compromission grandissante de l’État français avec les Allemands oblige à des choix douloureux.

10 juillet 1940 : Pétain devient chef de l’État français.

16 et 17 juillet 1942 : rafle du Vêle d’Hiv.

11 novembre 1942 : invasion de la zone libre par les Allemands.

16 février 1943 : institution du Service du travail obligatoire.

6 juin 1944 : débarquement des Alliés en Normandie.

15 août 1944 : débarquement de Provence.

25 août 1944 : entrée du général de Gaulle dans Paris libéré.

8 mai 1945 : capitulation de l’Allemagne à Berlin.

A – Les répercussions de l’armistice de juin 1940

1 – Les négociations franco-allemandes sur le sort de la gendarmerie

Gendarme départemental 1940

Tenue de gendarme départemental.

La convention d’armistice, signée à Rethondes le 22 juin 1940, impose à la France les conditions du vainqueur. Si le pays garde un Gouvernement, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le territoire est partagé en cinq zones. La ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre a été établie en fonction de l’avance allemande et tient compte de l’occupation de la façade atlantique dans sa totalité. Cette ligne coupe plusieurs légions en deux. C’est pourquoi, le 30 juillet 1940, une première circulaire réorganise les légions de la zone sud et, le 28 août 1940, une seconde restructure celles de la zone occupée. La sous-direction de la gendarmerie, quant à elle, se fixe successivement au château de Romagnat (Puy-de-Dôme), puis à Chamalières (Puy-de-Dôme) et enfin à Vichy (Allier) jusqu’en août 1944. Le sort de la gendarmerie est l’enjeu d’âpres négociations. Le 18 juillet 1940, la direction des services de l’armistice crée, à Paris, une délégation pour la gendarmerie au sein de la commission de Wiesbaden. Censées être brèves, les négociations se prolongent. C’est pourquoi le capitaine Sérignan, officier au bureau technique de la sous-direction de la gendarmerie, étoffe cet organisme, qui fonctionne jusqu’au 2 août 1944 et traite de plusieurs questions.

Drapeau et étendards de la gendarmerie (1940)

Drapeaux et étendards de la gendarmerie
(1940).

La réinstallation des légions de gendarmerie qui avaient été repliées en zone non occupée. Dès la fin de juillet 1940, un premier accord permet de faire rentrer en zone occupée, par groupes réduits faiblement armés, le gros des éléments de la Gendarmerie nationale repliée au sud de la ligne de démarcation. Pour une dizaine de départements, les discussions sont plus longues. Dans les provinces annexées de l’Alsace-Lorraine, il n’est pas question du rapatriement des unités. Les Allemands se montrent intéressés pour récupérer les gendarmes originaires de cette région et les intégrer dans la Feldgendarmerie. Quant à la légion d’Alsace-Lorraine repliée, elle survit en zone libre jusqu’au 11 novembre 1942.

Le sort des cinq mille gendarmes prisonniers. Au mois de mars 1941, deux mille militaires de la gendarmerie bénéficient d’une mise en congé de captivité. Le 21 avril, le général allemand Stülpnagel, commandant militaire en France, autorise le retour des autres prisonniers, mais, du fait d’une erreur dans les chiffres, cinq cents officiers, gradés et gendarmes restent internés jusqu’à la fin des hostilités.

LA FRANCE SOUS L’OCCUPATION (Carte)

Carte-occupation.jpg

Garde républicain mobile à cheval (1939)

Garde républicain mobile à cheval
(vers 1939).

La réorganisation de la gendarmerie en zone occupée. En septembre 1940, les Allemands désirent ramener la gendarmerie à un effectif de vingt mille hommes au lieu de trente mille, la supprimer dans les agglomérations de plus de cinquante mille habitants et laisser un seul gendarme par commune, à l’image du système allemand. Les négociateurs français, après avoir plaidé la validité du système français, finissent par proposer une dispersion des unités sur quatre ans. Grâce à des mesures de retardement, le projet ne voit pas le jour.

La question de la Garde républicaine mobile (GRM). La métropole compte à cette époque quinze légions de GRM, dont une dizaine en zone occupée. Malgré les efforts français, la séparation entre la GRM et la gendarmerie ne peut être évitée. Le 31 octobre 1940, la GRM est dissoute en zone occupée et, le 17 novembre, celle de la zone libre est détachée de la gendarmerie pour être rattachée à la direction de la cavalerie de l’armée de Terre, avant de prendre le nom de garde le 9 février 1941. Celle-ci est formée de six régiments comprenant un total de six mille hommes. Cette séparation réduit d’autant le concours apporté à la gendarmerie départementale. Pour contrer les conditions draconiennes de passage en gendarmerie départementale, le capitaine Sérignan réussit un passage en bloc de tous les gardes de la zone occupée.

Le contrôle logistique. L’occupant prend des dispositions strictes pour réduire la capacité d’intervention de la gendarmerie : définitions des dotations, interdictions de certains équipements, sévères conditions de renouvellement des matériels. Des commissions d’armistice rendent régulièrement visite aux brigades pour inspecter leur matériel.

2 – La marque de Vichy : 1940-1943

Garde républicain mobile (1944)

Gardes républicains mobiles (1944).

En dehors de la présence d’une troupe étrangère sur le sol français, l’autre conséquence de la défaite de 1940 est l’installation d’un nouveau régime autoritaire aux ordres du maréchal Pétain. Il reste à Vichy du 10 juillet 1940 à août 1944. Lancé dans son entreprise de Révolution nationale, le Gouvernement de Vichy entend compter sur des hommes fidèles au régime. Pour cela, il prend plusieurs mesures.

Une épuration du personnel. Dès le 17 juillet 1940, une loi permet aux ministres de relever les militaires qui ne présentent pas les garanties requises pour accomplir leur mission. Sont plus particulièrement visés les francs-maçons (loi du 13 août 1940) et les juifs (lois des 3 octobre 1940 et 2 juin 1941).

La prestation de serment au chef de l’État. Dans ce régime autoritaire, l’obéissance au chef est une valeur essentielle. La formule est la suivante : « Je jure fidélité à la personne du chef de l’État, promets de lui obéir en tout ce qu’il commande pour le bien du service et le succès des armes de la France. » Ce serment allait poser des cas de conscience pour certains gendarmes, notamment des officiers, au moment de rejoindre la Résistance.

Garde personnelle de chef de l'État (1943)

Levée des couleurs
par la garde personnelle
du chef de l’État
(vers 1943).

L’utilisation de la gendarmerie comme relais de l’idéologie vichyste au travers de mesures plus ou moins symboliques : portrait du maréchal dans les brigades, affiches sur diverses organisations vichystes comme les chantiers de jeunesse.

La création d’une garde personnelle du chef de l’État à l’automne 1940. Placée sous les ordres du colonel Barré, elle a pour principale mission d’assurer la sécurité du chef de l’État dans les locaux qu’il occupe, notamment l’Hôtel du Parc à Vichy. La garde joue aussi un rôle de parade et d’escorte dans tous les déplacements du maréchal Pétain. Cette unité comprend quatre pelotons de quarante hommes, un peloton motocycliste et une formation de musique. La garde reste au service du maréchal jusqu’à son départ pour l’Allemagne le 20 août 1944. Les hommes choisissent alors d’entrer dans le maquis. La garde personnelle du chef de l’État est dissoute le 9 septembre 1944.

Revue de la garde par le maréchal Pétain (1944)

Revue de la garde personnelle
du chef de l’État par le maréchal Pétain
(1944).

En avril 1942, sous la pression allemande, Pierre Laval revient à la tête du Gouvernement avec des pouvoirs accrus face au maréchal Pétain. Dès son entrée en fonction, il entreprend une réorganisation des forces de police et nomme René Bousquet, préfet régional de Châlons-sur-Marne, au poste de secrétaire général à la police. Il entend également faire de la gendarmerie un instrument de la politique de Vichy. Le 2 juin 1942, il promulgue une loi plaçant l’Arme sous l’autorité directe du chef du Gouvernement. La raison de cette mesure est double. D’une part, comme le rôle que doit jouer la gendarmerie dans l’œuvre de rénovation nationale risque d’augmenter ses charges, il importe qu’aucun département ministériel ne la détourne de sa tâche. D’autre part, cette décision permet de calmer l’inquiétude des Allemands de voir la gendarmerie subordonnée au secrétariat d’État à la Guerre. Pour calmer l’émotion du personnel, Laval explique qu’il n’entend porter atteinte ni à son organisation traditionnelle ni à son fonctionnement.

Une importante innovation technique voit le jour le 23 avril 1942 : la direction crée, dans chaque compagnie de la zone libre, un service de diffusion et un fichier des personnes recherchées. Depuis 1926, chaque brigade constituait et tenait à jour une documentation sur les personnes recherchées. C’était un travail fastidieux. En 1942, le système est devenu inopérant par suite du nombre considérable des individus à rechercher depuis trois ans. D’où l’idée de constituer un service qui centralise, tant à l’échelon départemental (compagnie) que national, les demandes d’identification des brigades et qui y réponde rapidement. Une dernière mesure capitale concerne l’usage des armes. La loi du 22 juillet 1943 permet aux gendarmes de faire usage de leurs armes après les appels réitérés « Halte ! Gendarmerie ! ».

3 – La tentative d’asservissement de Joseph Darnand

Insigne de la gendarmerie (1943)

Insigne
de la gendarmerie
(1943).

À la fin décembre 1943, les Allemands obtiennent le renvoi de René Bousquet, jugé trop timoré dans son action répressive, et son remplacement par Joseph Darnand, secrétaire général de la milice, nommé au poste de secrétaire général au maintien de l’ordre. Ce dernier veut contrôler personnellement toutes les forces de police. Il prend de nombreuses mesures dans ce sens. Déjà, le 10 janvier 1944, il obtient de larges prérogatives. Si le chef du Gouvernement, au regard de la loi, conserve la gendarmerie sous sa coupe, il partage en pratique avec Darnand des fonctions essentielles comme le pouvoir disciplinaire pour les affaires graves.

Affiche de recrutement de la garde (1942)

Affiche de recrutement des régiments
de la garde (vers 1942).

En janvier 1944, Darnand entend unifier toutes les forces de police en uniforme et placer ainsi la gendarmerie, jusqu’alors relativement autonome, sous sa coupe, ceci par le biais d’une direction des personnels commune à tous les services. Grâce à l’intervention du directeur général auprès de Laval, le projet échoue. Malgré ce revers, Darnand poursuit son plan. Le 15 avril 1944, la loi n° 185 subordonne la gendarmerie aux intendants du maintien de l’ordre. Comme l’explique le général Martin, directeur de la gendarmerie, cette sujétion s’avère dommageable pour l’Arme, car les intendants, pour la plupart, n’ont aucune idée de son fonctionnement et se montrent arrogants. À la mi-juin 1944, Pierre Laval nomme Darnand comme secrétaire d’État à l’Intérieur, fonction qu’il cumule avec celle de secrétaire général au maintien de l’ordre. Au cours du mois de juin 1944, un projet de création de corps francs mélangeant indistinctement des unités de police et de gendarmerie est avancé, puis finalement abandonné à cause du débarquement allié en Normandie.

Darnand exige une obéissance absolue des gendarmes et n’hésite pas à prendre des mesures draconiennes contre les éléments dissidents. Dès le 23 janvier 1944, il ordonne aux préfets de sanctionner les gendarmes qui manqueraient à leurs obligations dans la lutte contre le terrorisme. Le 31 janvier, une note plus dissuasive encore précise à tous les services de gendarmerie que Darnand sanctionnera personnellement les gardes, gendarmes et gardiens qui se laisseraient désarmer par les terroristes, soit par manque de vigilance, soit par désir de composer avec leur adversaire. Le directeur général réussit à arracher à Darnand le droit de punir lui-même les gendarmes, mais ce dernier ordonne aux préfets de substituer des peines d’internement aux punitions éventuelles. Le 15 avril 1944, une loi crée l’inspection générale du maintien de l’ordre. Sa mission principale consiste à contrôler l’activité des forces de police et de collecter auprès d’elles des renseignements. Enfin, le 15 juin 1944, des tribunaux du maintien de l’ordre sont créés. Ces juridictions instruisent et jugent les abandons de poste et autres crimes et délits commis par les policiers ou les gendarmes.

B – Des missions nouvelles

1 – L’intrusion de l’occupant dans le service

Rapport sur le camp du Struthof (1945)

Rapport d’activité sur le camp du Struthof
(février 1945).

Les gendarmes doivent composer avec les autorités allemandes stationnées sur le territoire national. Dans les semaines qui suivent la fin des combats, des contacts s’organisent d’initiative pour assurer la police générale. Plusieurs accords fixent ultérieurement les cadres des relations franco-allemandes. L’article 3 de la convention d’armistice reconnaît implicitement aux Allemands le droit absolu de donner des ordres aux fonctionnaires et agents de l’État. En mai 1942, la nomination du général SS Karl Oberg commandant de la police allemande en France confirme la subordination des forces de police françaises. Au cours de l’été 1942, l’accord Bousquet-Oberg entraîne ces dernières dans la voie de la collaboration. En avril 1943, l’accord s’étend à la zone sud. L’occupant n’hésite pas à intervenir en matière de discipline en exigeant des sanctions contre certains gendarmes ou à perturber l’organisation de l’Arme.

Dès juillet 1940, l’autorité allemande impose des tâches particulières aux gendarmes. Certaines d’entre elles sont permanentes. Il incombe notamment à ces militaires de veiller au respect de la réglementation contraignante de l’occupant : couvre-feu, conditions de circulation… De même, conformément aux accords de collaboration, les gendarmes doivent informer directement l’occupant de tous les événements permettant de conclure à une activité ennemie (parachutages, sabotages, attentats) ou venant troubler la tranquillité publique (accidents, grèves). Des services mixtes sont aussi imposés avec la Feldgendarmerie.

Contrôle routier (1943)

Un contrôle routier (vers 1943).

Il existe également beaucoup de sollicitations occasionnelles de la part des différents services allemands : Kommandantur, Feldgendarmerie, douane allemande, Gestapo… Les demandes de concours s’effectuent de trois manières : par le biais des autorités administratives françaises, en suivant la voie hiérarchique ou en s’adressant directement à l’unité concernée.

Lettre de Pétain

Affiche reproduisant une lettre adressée
à la gendarmerie par le maréchal Pétain
(1941).

Souvent les gendarmes sont chargés d’ouvrir une enquête, seuls ou en collaboration avec la police allemande. Ainsi, lorsque l’occupant est victime d’un attentat ou d’une embuscade, il alerte en général la gendarmerie pour venir prêter main-forte puis ouvrir une enquête. Les gendarmes peuvent également être employés comme guides du fait de leur connaissance du terrain ou servir d’escorte aux différentes commissions de contrôle. Parfois, ceux-ci sont cantonnés dans l’exécution de missions statiques. Par exemple, en zone occupée, ils participent à la surveillance des lignes téléphoniques et des voies ferrées. Les Allemands n’hésitent pas non plus à utiliser des gendarmes pour procéder à des arrestations ou quadriller un territoire lors d’une opération de police. Quelquefois, ils font garder leurs prisonniers dans les chambres de sûreté des brigades.

2 – Les missions amères : arrestation des juifs et recherche des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO)

Sten

Pistolet-mitrailleur Sten.

La politique de collaboration entraîne la gendarmerie vers des missions de plus en plus radicales. Certaines ont un caractère discriminatoire. Le régime de Vichy profite du climat de xénophobie d’avant-guerre et d’une véritable culture des camps développée à la fin des années trente, avec les réfugiés espagnols notamment. Dès l’entrée en guerre, la gendarmerie contrôle strictement la circulation de certaines catégories de population (étrangers, tziganes…) et exécute des décisions d’internement. L’État français continue d’édicter des lois discriminatoires.

Avec les juifs, la gendarmerie est présente à toutes les étapes allant de leur exclusion à leur déportation : arrestations, transferts dans les camps d’internement et escorte des trains de déportés jusqu’à la frontière. La définition du juif constitue la première étape de la discrimination avec le décret du 3 octobre 1940 puis celui du 2 juin 1941. Des mémentos de législation antijuive sont mêmes distribués dans les brigades. L’étau se resserre ensuite inexorablement. Le 27 septembre 1940, une ordonnance allemande prescrit le recensement des juifs en zone occupée. Ils sont ensuite marqués pour mieux être exclus avec l’étoile jaune en novembre 1942 et la mention Juif apposée sur leur carte d’identité, après décembre 1942. D’autres textes réduisent leur liberté de circulation et les excluent de la vie économique. Ceux qui transgressent cette législation s’exposent à des sanctions judiciaires (amendes, peines de prison…) et administratives (internements). Gardiens de la loi, les gendarmes doivent veiller au respect de ces lois discriminatoires.

Char allemand Tigre détruit (1945)>

Char allemand détruit pendant
les combats (1945).

Mais exclure les juifs ne suffit pas. En juin 1942, les Allemands décident leur déportation et leur extermination dans les territoires occupés. Le 2 juillet 1942, au cours des négociations sur les relations policières franco-allemandes, René Bousquet propose à Karl Oberg de faire rafler par la police française vingt mille juifs étrangers de la zone occupée et dix mille juifs de la zone libre. La rafle du Vêle d’Hiv, à Paris, les 16 et 17 juillet 1942, est la conséquence directe de cette rencontre. Au cours de ces journées, cinq cents gendarmes quadrillent les quartiers de Paris, où treize mille juifs sont arrêtés par quatre mille policiers. La majorité d’entre eux est dirigée vers les camps d’extermination. Le 26 août 1942, une rafle similaire a lieu en zone libre. Cette fois, la gendarmerie intervient directement. Ces opérations touchent d’abord les juifs étrangers, puis les juifs français, et se poursuivent jusqu’en 1944.

PM Mas 38

Pistolet-mitrailleur
MAS 38.

Pendant cette période, les gendarmes assurent aussi la garde des camps d’internement, comme Drancy (Seine-Saint-Denis), Pithiviers (Loiret), Beaune-la-Rolande (Loiret), Poitiers (Vienne)… Dans certains camps comme Beaune-la-Rolande ou Pithiviers, les chefs sont issus de la gendarmerie. Dans les camps de transit, Royal-Lieu excepté, l’Arme fournit la totalité des effectifs, comme à Drancy, ou une partie seulement, comme à Pithiviers ou Beaune-la-Rolande. La mission confiée aux gendarmes est double. À l’extérieur du camp, ils doivent prévenir et réprimer au besoin toute tentative d’évasion, empêcher les détenus de communiquer au-dehors et appréhender les individus qui chercheraient à entrer en contact avec les internés. À l’intérieur du camp, les gendarmes sont parfois chargés de faire respecter le règlement intérieur en l’absence des gardiens civils.

Aussweis d'un gendarme (1941)

Ausweis d’un gendarme
(1941).

En dehors des missions discriminatoires, une autre tâche imposée creuse le fossé entre la gendarmerie et la population : la recherche des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO). Du fait de la mobilisation de sa population masculine par la guerre, l’Allemagne manque cruellement de main-d’œuvre dans ses usines. L’idée s’impose alors de recruter des ouvriers dans les pays occupés. En juin 1942, Pierre Laval propose d’envoyer en Allemagne un ouvrier spécialisé français contre un prisonnier de guerre français : c’est la Relève. Les Allemands n’acceptent qu’un prisonnier libéré contre trois ouvriers français et les résultats s’avèrent vite décevants. Alors, Vichy requiert autoritairement des travailleurs (4 septembre 1942), puis institue le STO (16 février 1943) pour les Français nés entre 1920 et 1922. La gendarmerie est mise à contribution pour rassembler les jeunes concernés. Mais beaucoup ne viennent pas aux convocations et d’autres profitent de leur permission pour se cacher. Les gendarmes doivent alors les arrêter et se heurtent à l’hostilité grandissante de la population.

3 – La lutte contre les résistants

La gendarmerie ne constitue pas le fer de lance dans la lutte contre les résistants. L’État français dispose pour cette tâche de forces de police spécialisées déjà existantes (renseignements généraux, sûreté) ou créées (SPAC, groupes mobiles de réserve et milice). Les Allemands ont les leurs (Sipo, Gestapo…). Néanmoins, du fait du maillage du territoire par les brigades, les gendarmes représentent une arme redoutablement efficace en matière de renseignement. Les tâches confiées à la gendarmerie sont extrêmement variées et tendent à se radicaliser.

Attestation Organisation civile et militaire

Attestation de l’Organisation civile
et militaire.

La lutte contre la propagande anticollaborationniste. Les commandants d’unité envoient périodiquement des rapports renseignant sur l’état d’esprit de la population face à la politique du maréchal ou face aux événements extérieurs. Les gendarmes essayent également de récupérer le plus rapidement possible tous les tracts (jetés par avions, lancés dans les rues, placardés sur les murs…) ou les journaux clandestins pour éviter la diffusion de propos subversifs. De façon analogue, le courrier est soumis à un contrôle vigilant pour traquer les messages séditieux.

La lutte contre les activités des Alliés. Lors de leurs tournées, les gendarmes doivent signaler tous les cas de parachutage ou tous les dépôts d’armes découverts. Il leur faut aussi ouvrir des enquêtes ou mener des battues pour retrouver les pilotes alliés dont les appareils ont été abattus.

La lutte contre l’action du maquis. À partir de 1943, de nombreux résistants soupçonnés dans leurs activités décident de passer dans la clandestinité complète. Les réfractaires au STO viennent grossir leurs rangs. Chargés de la surveillance du territoire, les gendarmes sont amenés à ouvrir des enquêtes après chaque action des résistants : actes de sabotages (voies de communication, installations électriques, bâtiments officiels…), attentats, enlèvements, expéditions organisées pour récupérer du matériel (armes, ravitaillement, pièces d’identité dans les mairies…).

Casque de garde républicain mobile (1930)

Casque de garde
républicain mobile
(vers 1930).

La participation aux tribunaux d’exception. Le 23 août 1941, suite à l’attentat du métro Barbès-Rochechouart contre un officier allemand, Darlan, vice-président du Conseil, crée les sections spéciales destinées à réprimer les actes de la Résistance. Celles-ci jugent dans les délais les plus brefs. À partir d’août 1943, des officiers de gendarmerie siègent dans ces sections spéciales aux côtés de leurs homologues de la garde et de la Police nationale. Les officiers désignés doivent prêter serment.

La participation à des pelotons d’exécution. L’augmentation des condamnations à mort conduit l’État français à recourir aux pelotons d’exécution en plus de la guillotine. Or, en 1943, la démobilisation de l’armée d’armistice oblige à recourir aux forces de police. L’arrêté du 14 février 1944 de Joseph Darnand fixe les modalités d’application. La gendarmerie ne participe aux exécutions capitales qu’à défaut de garde ou de policier. Ce texte est contraire à la loi du 28 germinal an VI et à l’article 86 du décret du 20 mai 1903.

Libération de Melun

Libération de Melun (1944).

Les opérations de police. De février à août 1944, Joseph Darnand intègre les forces supplétives de gendarmerie dans les groupements d’opérations qui traquent les maquisards dans les régions de Vichy, Limoges, Annecy, Clermont-Ferrand, Grenoble et Chalon-sur-Saône. Ces forces sont placées indifféremment sous les ordres de miliciens, d’officiers de la garde ou de GMR. En mars 1944, le corps franc Côte-d’Or, groupant trente gendarmes, porte de sérieux coups à la Résistance. Le débarquement allié du 6 juin 1944 empêche de créer d’autres corps francs.

La principale conséquence de ces missions est que la gendarmerie devient parfois la cible de résistants. Des casernes subissent des attaques pour délivrer des prisonniers, pour récupérer des armes ou du matériel. Certaines actions sont des avertissements ou des représailles pour tempérer les personnels trop zélés. Outre les casernes, les patrouilles, les escortes et les postes de garde constituent autant de cibles permanentes pour les maquisards.

C – L’attitude des gendarmes

1 – L’obéissance

L’attitude des gendarmes sous l’Occupation.

Le 13 septembre 1945, le lieutenant-colonel Girard, commandant la gendarmerie, écrit : « Pendant quatre années d’occupation ennemie, les militaires de la gendarmerie ont occupé une position très délicate. Partagés entre leur conscience professionnelle et le devoir patriotique, ayant à faire face à une situation sans précédent, ils ont, dans leur immense majorité, noblement servi les intérêts de la France. Les uns, restés sur place, se sont attachés, selon les plus belles traditions de l’arme, à concilier la protection des personnes et des biens avec résistance aux exigences de l’ennemi tout en conservant la dignité qui s’imposait. D’autres, cédant à un légitime mouvement de révolte contre l’envahisseur, n’ont pas hésité à abandonner leur famille, leurs fonctions et leur uniforme pour se joindre aux forces françaises de l’intérieur et apporter leur anonyme contribution à la libération du pays. Certains, enfin, peu nombreux, ont failli à leur devoir, soit qu’ils aient abandonné leur poste pour se mettre à l’abri avec leur famille, soit qu’ils aient sciemment aidé l’ennemi dans sa tâche d’asservissement de la France. »

L’attitude des gendarmes est loin d’être homogène face à la Résistance et à la collaboration. Leur position varie en fonction du lieu, du moment et de la personnalité de chacun. Au lendemain de la défaite de 1940, rares sont ceux qui contestent la légitimité du maréchal Pétain et de son Gouvernement. À mesure de la compromission du pouvoir avec l’occupant, la prudence s’installe. Vient ensuite le doute avec les persécutions raciales, la recherche des réfractaires au STO et la chasse aux résistants. Jusqu’en novembre 1942, l’esprit diffère considérablement d’une zone à l’autre. En zone libre, les gendarmes ne subissent pas encore l’emprise directe des autorités allemandes, à l’exception des inspections périodiques des commissions d’armistice. En revanche, l’invasion de la zone libre est cruellement ressentie. L’évolution de la situation extérieure (progression des Alliés) influe sur les esprits.

Contrairement à celle du reste de la population, l’attitude des gendarmes a des répercussions plus importantes. Alors que la majorité des Français se contente de suivre le cours des événements, sans prendre parti ouvertement parce que rien ne l’y oblige, le gendarme en service, qui dispose rarement de tous les éléments d’appréciations, est amené à prendre des décisions lourdes de conséquences : arrestations, rafles de juifs, voire usage des armes.

Carte de prévôté des FFI (1944)

Carte de prévôté des Forces
françaises de l’intérieur (1944).

Parfois, il est difficile de déterminer si un vol de tabac ou de carburant s’inscrit dans une action du maquis ou relève de la simple délinquance. Plusieurs facteurs expliquent cette obéissance.

L’esprit de discipline. Il constitue le frein le plus puissant à la désobéissance. Tout commande au gendarme d’obéir : sa fonction, le serment prêté, son appartenance au milieu militaire.

L’absence d’incitation de la hiérarchie. Ni la direction ni le commandement n’émettent à aucun moment de message incitant à la résistance. Parfois, des cadres eux-mêmes sont amenés à donner des ordres contradictoires. En mai 1943, un commandant de section transmet à ses commandants de brigade une directive préfectorale sur la recherche des défaillants au STO. Il conclut : « Je vous préviens que je sévirais avec la dernière vigueur s’il se créait, dans la circonscription, des repaires de réfractaires comme cela s’est produit à la limite de la Haute-Loire. » Quinze jours avant l’envoi de cet ordre à ses unités, ce même officier alertait d’initiative, de manière informelle, un groupe de maquisards de l’imminence d’une opération de police contre leur refuge.

Le climat de suspicion de l’époque. L’Occupation entraîne dans le pays une fracture qui affecte tous les corps de l’État. Dans la gendarmerie, d’une brigade à une autre et même à l’intérieur d’une même brigade, gradés et gendarmes ne partagent pas nécessairement le même point de vue sur l’attitude à adopter. Les risques de délation et les conséquences qui en résultent (sanctions, arrestation…) constituent un frein certain à une action organisée.

Garde du groupement Thiolet au combat dans les Vosges (1944)

Gardes du groupement Thiolet
au combat dans les Vosges
(1944).

La crainte de perdre une situation ou une pension, en un mot le souci de sécurité. En 1943, au cours d’une opération de police dans la région de Valence, une résistante se trouve quelques instants sous la surveillance d’un gendarme de la brigade de Tain-l’Ermitage (Drôme) momentanément seul. Elle essaye d’obtenir son aide et demande de la laisser filer. Pour toute réponse, le gendarme dit qu’il a quinze ans de service et cinq enfants.

L’adhésion à la collaboration. Quelques gendarmes ne ménagent pas leur zèle dans la lutte contre les résistants s’exposant à leurs représailles. Ainsi le lieutenant Fleurose, commandant la section de Lens en 1942, s’acharne dans la chasse aux résistants. Entre les mois de janvier et d’avril 1942, il démantèle, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, l’essentiel des réseaux de l’organisation armée du Parti communiste. Dans les camps d’internement, si le comportement des gendarmes ne donne pas lieu à la critique, quelques éléments se montrent d’une grande brutalité, comme à Drancy, ou n’hésitent pas à se livrer à d’odieux trafics.

2 – Le refus

Décret médaille Résistance pour la brigade La Chapelle-en-Vercors (juin 1946)

Décret attribuant la médaille
de la Résistance française à
la brigade de La Chapelle-en-
Vercors (juin 1946).

La gendarmerie en tant qu’institution reste fidèle au pouvoir établi jusqu’à sa chute, en août 1944. C’est pourquoi, plutôt que de parler de la résistance de la gendarmerie, il convient de parler de résistances dans la gendarmerie, souvent issue d’initiatives individuelles.

Si l’action de résistance varie dans le temps au gré des circonstances, celle-ci apparaît dès août 1940. À cette époque se pose la question de la démobilisation des soldats français ayant rejoint leur domicile en zone occupée sans être munis d’une pièce justificative. Or, à cette époque, les Allemands les considèrent comme des prisonniers de guerre. Sous l’impulsion du capitaine Sérignan, des fiches sont réalisées par toutes les brigades de la zone nord pour régulariser leur situation. Ensuite, la résistance des gendarmes prend trois formes.

La résistance passive. Elle se fonde sur la force d’inertie : ne pas appliquer les ordres reçus sans entrer en opposition directe avec la hiérarchie ou déployer le moins de zèle possible dans l’accomplissement de certaines missions. Lors des tournées, les gendarmes n’inspectent pas les endroits susceptibles d’être des dépôts d’armes ou des repaires de réfractaires au STO. D’autres cachent des informations (parachutages, signaux nocturnes…). Nombre de rapports à l’issue des tournées se concluent par les lapidaires RAS. Quelques gendarmes n’hésitent pas à prévenir les personnes qui vont être arrêtées ou à laisser des prisonniers s’échapper. Dans ce dernier cas, les risques de sanctions disciplinaires sont importants. La résistance passive est souvent modeste dans ses objectifs mais elle tire son efficacité de sa répétition.

Photo d'identité du chef d'escadron Guillaudot

Le chef
d’escadron
Guillaudot.

La résistance active. Elle comprend les actions engagées par les gendarmes demeurant à leur poste. Parmi celles-ci on trouve le renseignement. La tenue de gendarme facilite l’accès à certains sites interdits aux civils ou du moins à leurs abords et elle donne une plus grande liberté de mouvement. Ainsi, la moisson d’informations est d’autant plus intéressante, par exemple près du mur de l’Atlantique. Des réseaux d’évasion (prisonniers de guerre, pilotes alliés, juifs, réfractaires au STO…) sont aussi organisés. Les gendarmes proches de la ligne de démarcation ou des frontières suisses et espagnoles ont plus l’occasion de s’illustrer. Dès janvier 1941, deux gendarmes d’Angerville aident trois pilotes anglais à passer la ligne de démarcation. Le 25 juin 1941, le capitaine Morel est arrêté porteur de documents relatifs à la Résistance alors qu’il franchit la ligne de démarcation. Emprisonné en Allemagne, il est exécuté à Cologne le 9 octobre 1943. Enfin, les gendarmes assurent la sécurité de certains parachutages. Au cours des services de nuit, ils détournent la circulation des routes avoisinantes pour écarter les visiteurs gênants ou donner l’alerte en cas d’arrivée des Allemands. À la brigade de Buzançais (Indre), des gendarmes n’hésitent pas à entreposer des containers d’armes dans les dépendances de leurs logements avant qu’ils ne soient répartis entre les chefs résistants locaux.

Tenue de déporté du chef d'escadron Guillaudot (1943)

Tenue de déporté
attribuée au chef
d’escadron Guillaudot
(1943).

Les Compagnons de la Libération en métropole.

Maurice Guillaudot, né en 1893, vétéran de la Grande Guerre, où il s’est distingué, est chef d’escadron à Rennes. En juin 1941, il est muté d’office à Vannes pour avoir refusé de faire charger la foule de Français venus fleurir les tombes des victimes du bombardement du 17 juin 1940. Homme d’action énergique, il crée un réseau Renseignement et action qui s’appuie sur l’ensemble des cinquante-cinq brigades de la compagnie du Morbihan. Il devient ensuite chef de la Résistance du Morbihan sous le pseudonyme de Yodi. Arrêté le 10 décembre 1943, il est déporté en Allemagne. Il survit à l’enfer des camps de concentration et meurt en 1979. Paulin Colonna d’Istria, né en 1905, capitaine en Algérie au moment de la campagne de 1939-1940, est ébranlé par la défaite, qu’il refuse. En janvier 1943, il est adjoint au commandant de la gendarmerie en Afrique du Nord. En accord avec les Britanniques, il est nommé chef d’une mission en Corse. En avril 1943, il y débarque clandestinement. S’appuyant sur le mouvement Front national, proche du Parti communiste clandestin, il unifie les différentes actions qui restaient jusque-là très divisées et fournit un formidable travail d’équipement en sélectionnant des terrains d’atterrissage. Sa parfaite connaissance du pays lui permet d’échapper à la traque dont il est l’objet. Il organise enfin la lutte préparatoire au débarquement qui a lieu le 11 décembre 1943 à Ajaccio et qui libère le territoire de la Corse. Il meurt en 1982.

Parmi ces gendarmes, quelques noms émergent. Dès le mois d’août 1940, le chef d’escadron Guillaudot, muté d’office à Vannes, crée un réseau « renseignement et action » qui s’appuie sur l’ensemble des cinquante-cinq brigades de la compagnie du Morbihan. En 1941, il est nommé chef de la Résistance du Morbihan sous le pseudonyme de Yodi. Arrêté le 10 décembre 1943, il est déporté en Allemagne. Il survit à l’enfer des camps de concentration. Autre exemple, dès le mois d’août 1940, le chef d’escadron Vérines, servant dans la Garde républicaine, met sur pied, sous la direction de « Saint-Jacques », un noyau de résistance recruté dans son entourage immédiat (lieutenant Bongat, chef Dufourcq…) et dans la gendarmerie départementale. Arrêté par les Allemands à la fin de 1941, Vérines est condamné à mort et interné en Allemagne. Il est exécuté le 20 octobre 1943 à Cologne. D’autres gendarmes s’illustrent en secourant les juifs traqués. Après la guerre, sept d’entre eux, dont un gendarme de Drancy, se verront décerner la médaille des Justes par l’État d’Israël en récompense de leur action.

Drapeau allemand pris à l'ennemi (1944)

Drapeau pris à l’ennemi par la
compagnie de Garde
républicaine mobile de
Longeville-les-Saint-Avold
(1944).

Les passages dans le maquis. On les observe dès la fin 1942. Il s’agit le plus souvent de personnes menacées d’arrestation en raison de ces activités de résistance ou d’hommes pressés d’en découdre avec l’occupant. Parfois des enlèvements sont mis en scène par les maquisards. Le débarquement allié du 6 juin 1944 déclenche une vague de départs individuels ou collectifs s’échelonnant jusqu’en septembre. Les gendarmes intègrent les groupes de maquisards de toutes tendances politiques. Employés comme conseillers, simples exécutants, chefs d’équipes, de groupes, de sections, de compagnies, de bataillons et même de régiments, les militaires de la gendarmerie prennent une part active dans des opérations défensives, de harcèlement, de retardement ou de destruction menées contre les troupes allemandes.

La liste des victimes de la gendarmerie pendant l’Occupation témoigne du prix payé par son personnel pour son engagement. Ainsi dix officiers, 328 sous-officiers ont été fusillés par les Allemands. Vingt-deux officiers, 431 sous-officiers et hommes du rang ont disparu en Allemagne, le plus grand nombre dans les camps de concentration nazis. Quelque 350 autres ont été tués en opération sur le sol national par les occupants et lors des combats ultimes à la Libération.

3 – La fin de la guerre : libération et épuration

L’école de la garde de Guéret.

Créée en octobre 1943 dans un contexte difficile (disparition des écoles militaires), cette école, placée sous l’autorité du directeur de la garde, forme des élèves officiers et des élèves gardes. À la suite de la nouvelle du débarquement allié, le 7 juin 1944, la presque totalité de l’école rejoint la Résistance locale pour combattre à ses côtés. Dans un premier temps, elle participe à l’éphémère libération de Guéret. La reprise de la ville le 9 juin par l’ennemi entraîne la capture de plusieurs élèves et l’éclatement des escadrons dans toutes les directions. Néanmoins, les éléments restants se regroupent et réorganisent l’école en plein maquis. Les cadres et les élèves gardes de l’école mènent de nombreuses actions contre les troupes allemandes présentes dans le département de la Creuse, n’hésitant pas à affronter la terrible division « Das Reich ». Ces combats sont d’autant plus importants qu’ils retardent le déplacement des unités allemandes du sud de la France vers la Normandie. Les trente tués témoignent du sacrifice consenti. De plus, trente autres militaires sont déportés dans les camps de la mort, et onze d’entre eux n’en reviendront pas.

Les gendarmes participent à l’entreprise de libération du territoire. Tout au long de l’année 1943, le capitaine Colonna d’Istria, qui sera compagnon de la Libération, mène une action clandestine en Corse pour fédérer les mouvements locaux de Résistance. Son action facilite grandement la tâche du corps expéditionnaire. Le 5 octobre 1943, l’île est libérée.

Pendant la bataille de Normandie (du 6 juin au 21 août 1944), les gendarmes apportent tout leur concours aux Alliés : participation au nettoyage du terrain, ramassage des prisonniers, fourniture de renseignements sur les mouvements et les positions ennemies, accompagnement d’unités parachutées ou débarquées sur leurs objectifs. Les gendarmes de Sainte-Mère-Église guident les premiers éléments américains parachutés à travers le pays, transportent les blessés, concourent au ravitaillement en munitions.

jugement condamnant un gendarme (1944)

Jugement condamnant un
gendarme (1944).

Après d’âpres combats qui font des victimes dans les rangs de la gendarmerie, les Alliés gagnent du terrain. Le Gouvernement provisoire reprend, au fur et à mesure, le contrôle des administrations, y compris celui de la gendarmerie, qui passe sous tutelle des généraux délégués militaires du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Dans le reste du pays, le Gouvernement de Vichy tente de faire front à l’insurrection naissante. Dès le 8 juin 1944, Joseph Darnand déclenche le plan MO (maintien de l’ordre) prévoyant le regroupement des brigades aux chefs-lieux. Ces opérations se heurtent à de nombreuses réticences et s’effectuent difficilement. Beaucoup de gendarmes en profitent pour rejoindre le maquis. À mesure de la progression des Alliés, les gendarmes restés à leur poste servent de guides pour faciliter leurs déplacements. Le 1er novembre 1944, la direction de la gendarmerie revient dans Paris libéré.

La garde participe aussi à la libération du pays. En juin 1944, la plupart des élèves de l’école de la garde à Guéret rejoignent le maquis. Le 4e régiment de la garde, dont quatre escadrons constitueront le groupement Daucourt, se distingue dans la défense farouche de Strasbourg, en janvier 1945. Il subit le choc du retour en force imprévu de la Wehrmacht le 5 janvier 1945. L’engagement de sa colonne motorisée se solde par quatre morts et seize blessés graves au sein du 4e escadron. Jusqu’à la fin de janvier 1945, le groupement Daucourt tient les lisières nord de Strasbourg, que le général de Lattre de Tassigny, commandant en chef de la 1re armée, voulait défendre à tout prix. Il quitte Kilstett le 3 février 1945. Après avoir été rebaptisée Garde républicaine le 23 août 1944, la garde est de nouveau rattachée à la gendarmerie le 14 janvier 1945. De la même manière le groupement Thiolet, formé de sept escadrons, s’illustre dans la libération de l’Allier et des Vosges.

Gendarmes au combat (1944)

Gendarmes au combat
(1944).

La Libération entraîne paradoxalement un certain malaise au sein de la gendarmerie, lié à une crise d’effectifs et de confiance. De nombreux officiers, gradés et gendarmes, ont cessé temporairement et parfois définitivement leurs fonctions. Certains ont été évincés par l’État français, d’autres ont été victimes des Allemands ou des miliciens (déportés, fusillés, disparus…), d’autres encore ont rejoint des formations FFI. Par rapport à 1939, la gendarmerie présente un déficit de deux cents officiers et dix mille sous-officiers.

Carte d'identité des FFL

Carte d’identité des
Forces françaises libres.

C’est également le temps des règlements de compte. Certains gendarmes sont éliminés pendant l’épuration sauvage faite au moment même de la Libération. Le 14 août 1944, l’adjudant M..., dans l’Ardèche, est sommairement exécuté. Le 25 septembre 1944, les maquisards exécutent le chef de la brigade de Gémonac (Charente). L’épuration se légalise à partir d’octobre 1944 avec l’installation des cours de justice créées pour juger des faits de collaboration. Si les informations judiciaires ouvertes contre des gendarmes devant ces tribunaux aboutissent dans une proportion relativement importante à des arrêts de non-lieu, quelques-unes, en revanche, entraînent leur comparution et, par la suite, des sanctions sévères. Ainsi, le directeur général de la gendarmerie est condamné à un an de prison et à la dégradation nationale. Le général de Gaulle le gracie cinq mois plus tard. Quelques officiers sont condamnés à mort et exécutés. Les attaques lancées contre la gendarmerie affectent le moral du personnel. Des critiques s’étalent contre elle dans la presse. Les motifs des dénonciations ne sont pas toujours liés à la collaboration.

Néanmoins, malgré les griefs formulés, le Gouvernement provisoire de la République ne remet pas en cause l’existence de la gendarmerie. Le Gouvernement a besoin d’un appareil policier fort pour maintenir l’ordre public menacé par le déchaînement des passions contenues pendant cinq ans. De plus, de nombreuses récompenses saluent les actes de bravoure des militaires de l’Arme pendant les combats de la Libération : 4 852 citations accompagnées de 351 nominations ou promotions dans l’ordre de la Légion d’honneur, 1 060 médailles militaires et 360 médailles de la Résistance.

À retenir

L’occupation du pays oblige la gendarmerie à négocier son existence, à consentir des aménagements et à accepter des missions au profit des Allemands. L’instauration d’un régime autoritaire, l’État français, entraîne une épuration du personnel et une réorganisation destinée à mieux contrôler l’Arme. La politique de collaboration de Vichy radicalise les missions (traque des juifs, des réfractaires au STO et des résistants). L’attitude des gendarmes est proche de celle de la population française. Une minorité choisit la voie de la collaboration. Une majorité, attentive, suit l’évolution de la situation. Une dernière partie des gendarmes s’engage dans la Résistance.

Le général SS Fahrenbacher devant une fosse commune (1945)

Le général Fahrenbacher conduit devant une fosse commune
à Port-Louis (1945).

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