Force Publique

CHAPITRE III

Le Second Empire et la Commune

Après le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851, la France change de régime politique. Le Second Empire remplace la République l’année suivante. La gendarmerie est réorganisée par le décret du 1er mars 1854 et bénéficie, dans un premier temps, d’une série d’améliorations dans son service.

2 décembre 1851 : coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte.

2 décembre 1852 : décret portant proclamation de l’Empire.

10 septembre 1855 : prise de Sébastopol.

14 janvier 1858 : attentat d’Orsini contre Napoléon III.

23 janvier 1860 : traité de commerce avec l’Angleterre.

25 mai 1864 : loi sur les coalitions (droit de grève).

2 janvier 1870 : ministère libéral sous la direction d’Émile Ollivier.

13 juillet 1870 : dépêche d’Ems.

19 juillet 1870 : déclaration de guerre à la Prusse.

4 septembre 1870 : déchéance de l’Empire et proclamation de la République.

10 mai 1871 : le traité de Francfort enlève à la France l’Alsace-Lorraine.

A – L’organisation de la gendarmerie sous le Second Empire

1 – Le décret du 1er mars 1854

Le général de la Ruë.

Aristide, Isodore, Jean-Marie de la Ruë est né à Rennes le 4 mars 1795. Sous-lieutenant au 6e régiment de chasseurs en 1814, il est nommé aide de camp du duc de Raguse (Marmont) le 7 août 1815. Sa carrière se poursuit sous la Restauration au sein de l’état-major. Membre de la commission de colonisation de l’Algérie, il est promu maréchal de camp le 14 avril 1844. En 1845, il occupe la fonction d’inspecteur général du 7e arrondissement de gendarmerie. Retraité par arrêté du 8 juin 1848, il est à nouveau appelé à servir en août 1849. Promu général de division le 14 juillet 1851, il est nommé président du comité de la gendarmerie le 20 décembre 1851, puis président des comités consultatifs d’état-major de la gendarmerie le 8 novembre 1854. Inspecteur général permanent le 2 mai 1859, il conserve ce poste jusqu’à sa retraite, le 1er janvier 1866. Nommé sénateur le 13 février 1860, de la Ruë joue un rôle important au sein de la gendarmerie. Le général exerce une sorte de tutelle sur la gendarmerie, et sa fonction d’inspecteur général permanent, ainsi que sa position prédominante au sein des commissions formées pour l’implantation des brigades, lui confèrent une forte autorité sur ce corps. La proximité de De la Ruë avec l’empereur a sans conteste été favorable à la gendarmerie, mais le général privilégie le renseignement politique. Le poste d’inspecteur général permanent n’est pas reconduit après son départ, ce qui prive la gendarmerie d’un chef. Le général de la Ruë décède à Paris le 21 mars 1872.

Le décret du 1er mars 1854, portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie (redevenue Gendarmerie impériale depuis une décision du 17 septembre 1853), reprend pour partie et réactualise les dispositions prévues par l’ordonnance du 29 octobre 1820. Préparé par les inspecteurs généraux et contresigné par le maréchal Saint-Arnaud, le décret comprend 645 articles définissant la conformation, les structures et le fonctionnement de la gendarmerie. Celle-ci s’articule autour de vingt-cinq légions pour le service des départements, troupes auxquelles il faut rajouter la légion d’Afrique (stationnée en Algérie), la gendarmerie coloniale, la gendarmerie d’élite (devenue le 1er mai 1854 le régiment de gendarmerie à pied de la garde impériale), la garde de Paris, les gendarmes vétérans (une compagnie).

Bicorne-noir

Chapeau de petite
tenue de la garde
impériale
(modèle 1857).

Ce dispositif est quelque peu remanié à la fin du Second Empire ; une décision impériale du 15 octobre 1869 harmonise en principe légions et divisions militaires, ce qui a pour conséquence de faciliter le recrutement de gendarmes. À la veille de la guerre de 1870, l’organisation de la gendarmerie se présente ainsi :

- la gendarmerie départementale est composée de vingt-six légions (une vingt-sixième est apparue en 1860, après l’annexion de la Savoie à la France ; le comté de Nice est, lui, rattaché à la légion de Marseille), 90 compagnies, 421 arrondissements et 3 624 brigades, dont 2 321 à cheval et 1 303 à pied, soit 19 401 hommes ;

- la légion d’Afrique compte un peu plus de 700 hommes ;

- la gendarmerie coloniale possède un effectif de 839 militaires ;

- l’escadron des gendarmes d’élite (retiré de la garde impériale depuis une décision du 13 avril 1864 et placé à la disposition du grand maréchal du Palais) comprend 158 hommes ;

- la garde de Paris compte plus de 2 800 hommes ;

- la compagnie de gendarmes vétérans, 163 hommes.

La gendarmerie impériale maritime (524 hommes en 1869) est placée depuis 1832 sous la direction du ministère de la Marine et sous l’autorité directe des préfets maritimes ; elle ne fait donc pas partie de l’Arme.

Bouton gendarmerie

Bouton de la
gendarmerie des
ports et arsenaux.

Au total, plus de 24 000 hommes sont employés dans la gendarmerie impériale. Celle-ci constitue, par le nombre et le budget, la première force destinée au maintien de l’ordre en France. Le territoire national est divisé en six arrondissements d’inspection générale, dirigés par des généraux de division et de brigade nommés inspecteurs généraux de la gendarmerie. Ces derniers se réunissent en comité consultatif au ministère de la Guerre présidé par l’inspecteur général permanent de la Rüe. Toutefois, cette délégation ne constitue pas un état-major autonome et la gendarmerie est rattachée au bureau de la cavalerie. Les inspecteurs généraux ont pour mission de surveiller l’état du matériel, de contrôler le personnel, de veiller à l’application des règlements et de distribuer des récompenses.

Trois degrés de commandement structurent l’organisation des forces : la légion, groupant plusieurs compagnies (une par département), est commandée par un colonel ou un lieutenant-colonel ; la compagnie est dirigée par un chef d’escadron ; l’arrondissement, remplaçant les anciennes lieutenances et regroupant plusieurs brigades, est commandé par un capitaine ou un lieutenant. La gendarmerie départementale se compose de brigades à cheval de cinq ou six hommes et de brigades à pied de cinq hommes.

2 – Les effectifs et le budget

Nombre de brigades à pied et de brigades à cheval dans la gendarmerie (1858-1871).

Années

Brigades à cheval

Brigades à pied

TOTAL

1858

2 532

1 073

3 605

1864

2 563

1 214

3 777

1868

2 526

1 233

3 759

1871

2 453

1 374

3 827

L’examen des effectifs est un indice qui permet de juger la vitalité de l’institution. Globalement, le nombre de gendarmes s’est accru sous le Second Empire ; il passe ainsi de 47,8 à 51,6 gendarmes pour 100 000 habitants entre 1851 et 1870. Pour l’ensemble de l’Arme (gendarmerie départementale, coloniale et d’élite), cette augmentation se traduit plus concrètement par une hausse sensible des effectifs, qui évoluent de 19 414 gendarmes en 1848 à 26 015 en 1855. Cette situation demeure stable jusque dans les années 1865, où l’on note un certain recul : en 1866, on dénombre 25 149 gendarmes, et en 1868, 24 852 ; des raisons budgétaires sont systématiquement évoquées par le ministère de la Guerre pour expliquer ce recul, et ceci malgré les demandes constantes d’installation émanant des municipalités ou des préfets. Ce désir d’économie pousse aussi les autorités à restreindre la présence des brigades à cheval pour créer des brigades à pied deux fois moins coûteuses (leur nombre passe de 908 à 1303 entre 1852 et 1870).

Portrait gendarme vers 1860

Portrait d’un gendarme
à pied de la garde
impériale (vers 1860).

Sur le plan budgétaire, le ministère de la Guerre s’acquitte de l’essentiel des dépenses de la gendarmerie, les départements supportant les frais de casernement (l’équivalent de plus de 50 % de leurs dépenses consacrées au maintien de l’ordre). Le budget de l’Arme croît régulièrement entre 1852 et 1859, où il passe de 21 à 35 millions, puis oscille autour de 28 millions entre 1866 et 1870. Ces sommes représentent sous le Second Empire une moyenne de 7 à 8 % du budget du ministère et entre 1,5 et 2 % du budget de l’État.

3 – L’implantation des brigades

L’implantation des brigades de gendarmerie ne répond pas à des règles bien précises. Aussi le décret du 25 juillet 1850 fixe-t-il le principe d’une brigade par canton – contrairement au système établi en Angleterre et dans la plupart des États allemands, où les forces de l’ordre sont placées dans chaque village ou petit groupe de villages. Or cette répartition égalitaire ne s’adapte pas en France à la carte de la criminalité et ne tient pas non plus compte de la diversité même des cantons ; les régions criminogènes sont traitées au même titre que les régions plus calmes. Cette complexion ne demeure toutefois pas figée et plusieurs dispositions retouchent cet ensemble ; ainsi, une décision du 7 juin 1856 redéfinit l’organisation territoriale en affaiblissant le réseau d’une vingtaine de brigades dans l’ouest de la France, trop dense, pour une répartition plus équitable sur le plan national. Le principe d’une brigade par canton n’est cependant pas abandonné et, sous le Second Empire, la présence de la gendarmerie dans les zones rurales se renforce sensiblement.

Arrestation malfaiteurs (vers 1865)

Gendarmes aux prises avec des malfaiteurs (vers 1865).

B – La gendarmerie et la vie politique

1 – Le coup d’État du 2 décembre 1851

Plaque shako garde Paris

Plaque de shako
de la garde
de Paris
(vers 1865).

La gendarmerie, à l’instar de l’armée de ligne et de la police, a contribué à la réussite du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Le prince-président limite l’intervention de la Garde républicaine de Paris (dont certains éléments peu sûrs ont survécu aux épurations) à quelques escortes de prisonniers et, au sein de la brigade de réserve, à la défense de la préfecture de Police, alors que les bataillons de gendarmerie mobile gardent l’Imprimerie nationale, occupent les sièges des journaux d’opposition, font évacuer la Chambre des députés et participent à la répression du 4 décembre sur les boulevards ; un gendarme mobile et vingt-six militaires sont tués lors des événements parisiens.

Plaque ceinturon officier 1860

Plaque de ceinturon
d’officier
(vers 1860).

En province, le coup d’État provoque des réactions violentes. Le 6 décembre, la résistance dans les grandes villes (Toulouse, Marseille, Limoges, Toulon, Strasbourg, etc.) est écrasée. Par contre, la rébellion au coup d’État est plus difficilement contrôlée dans les villes moyennes (comme à Auch ou Béziers) et à la campagne. Les départements du centre, du centre-est, du sud-ouest et du sud-est, notamment là où le vote de la démocratie sociale aux élections législatives du 13 mai 1849 a été majoritaire, constituent des foyers vivaces de la résistance républicaine. Dans ces régions d’opposition, les gendarmes, isolés, font face à des manifestations paysannes vigoureuses ; privés de soutien, ils se réfugient dans leur caserne et y accueillent souvent les autorités locales. L’insoumission prend parfois un caractère violent et l’autorité qui symbolise le pouvoir est la cible de la vindicte populaire. À Aups, dans le Var, vingt-deux gendarmes pris en otage sont sauvés de la pendaison par l’arrivée de la troupe. Au total, huit gendarmes sont tués en province, certains en tentant de résister, comme à Lapalisse (dans l’Allier), d’autres sont molestés et massacrés, notamment à Clamecy (dans la Nièvre), à Bédarieux (dans l’Hérault), à Cuers (dans le Var), à Montargis et à Bonny-sur-Loire (dans le Loiret).

Discours pour les gendarmes Cléret et Bidant

Discours prononcé après l’assassinat des gendarmes
Cléret et Bidan (9 décembre 1851).

Il va sans dire que la gendarmerie, et plus généralement les forces de l’ordre, profitent de leur soutien au coup d’État ; or il faut rappeler qu’en 1814, 1815, 1830 et 1848 ces institutions étaient du côté des vaincus. L’avenir semble donc prometteur, mais il désigne aussi, aux yeux des républicains, la gendarmerie comme une force partisane, zélée et dévouée au régime du Second Empire. Cette image d’une gendarmerie unanimement favorable au coup d’État est d’ailleurs à réviser ; les thuriféraires de l’arme, comme Cochet de Savigny dans le Journal de la gendarmerie, sont à l’origine de ce mythe. En effet, sur l’ensemble des brigades confrontées à la violence populaire, un tiers se replie dans les casernes sans rien tenter, un autre remet les armes aux insurgés et un dernier tiers combat les rebelles. Dans l’immédiat et en récompense des services rendus par une partie de la gendarmerie, le président de la République nomme dans l’ordre de la Légion d’honneur, par décret du 13 janvier 1852, trente-trois officiers et soixante-dix sous-officiers.

2 – Les missions politiques de la gendarmerie

Brigadier à pied

Brigadier à pied
(vers 1860).

La participation de la gendarmerie à la police politique a entaché son image. L’article 119 du décret du 1er mars 1854 interdit pourtant formellement à la gendarmerie de « recevoir des missions occultes, de nature à lui enlever son caractère véritable » ; néanmoins, l’Arme participe activement à des tâches de renseignement, notamment sous l’influence du général de la Ruë qui communique ses informations directement à l’Empereur. En fait, toute l’administration, les ministres, les préfets, les maires incitent la gendarmerie à fournir des renseignements sur l’esprit public, à opérer des arrestations politiques, à surveiller les opposants, à participer avec zèle aux élections et à se transformer en instrument de propagande ; cette manière d’utiliser les services de l’administration n’est d’ailleurs pas propre à l’Arme ; les gouvernants imaginent la gendarmerie et plus généralement l’ensemble des services d’État comme un soutien du pouvoir devant apporter une contribution à la consolidation du régime.

3 – La Commune de Paris

Trompette à cheval

Trompette de la gendarmerie impériale
(vers 1860).

La Commune de Paris est la dernière révolution du XIXe siècle ; la tentative de mise en place d’un gouvernement de la classe ouvrière a plusieurs causes. Les plus immédiates résident dans les désillusions des Parisiens durant l’hiver 1870-1871 (souffrances dues au siège, psychose de trahison, chômage, humiliation suite au défilé prussien à Paris du 1er mars) ; les plus lointaines sont à mettre en relation avec la montée du mouvement ouvrier de la fin du Second Empire et à l’activisme des socialistes internationalistes. Le 18 mars 1871, Thiers, chef de l’exécutif, ordonne de désarmer la Garde nationale, qui conserve des canons sur les hauteurs de Montmartre et de Belleville. Les troupes à la disposition du Gouvernement sont peu nombreuses, peu sûres et inexpérimentées. La gendarmerie dispose d’un régiment à pied, de deux régiments à cheval (2 800 hommes), de 2 500 gardes républicains et de cent trente gendarmes de la compagnie de la Seine. Cette troupe qui a contribué à la défense de la capitale est disciplinée mais ne peut s’opposer à la foule. La gendarmerie constitue l’arrière-garde des militaires et des civils qui se replient sur Versailles ; elle surveille les points de communication menant à la capitale et assure la défense de l’Assemblée et du Gouvernement. La gendarmerie contribue dès lors aux opérations militaires d’avril 1871 ; elle défend Meudon puis organise la poursuite des fédérés en déroute ; elle participe aussi aux combats à l’ouest et au nord de Paris, à Courbevoie, à Neuilly, à Gennevilliers. Par ailleurs, Mac-Mahon réorganise la gendarmerie en prévôtés à partir des régiments à cheval qui sont dissous. Cette police militaire surveille la discipline des troupes, opère l’arrestation des déserteurs et des insoumis, recueille aussi des renseignements et recherche les partisans de la Commune.

Avec l’avancée de l’armée dans Paris commence la Semaine sanglante (du 21 au 28 mai) ; la gendarmerie, qui participe aux exécutions sommaires des fédérés, est aussi victime de la violence des insurgés : le 24 mai, trois gendarmes sont exécutés dans la prison de Sainte-Pélagie ; le 26 mai, trente-six gardes républicains ainsi que quatre gendarmes de la compagnie de la Seine sont abattus dans la rue Haxo. Après la fin des combats (le 28 mai), plus de 38 000 prisonniers sont emmenés à Versailles ; on dénombre au total plus de 20 000 morts lors de la Semaine sanglante. La gendarmerie, qui a participé à l’écrasement de la Commune, gagne la confiance du Gouvernement de Thiers – dès 1871, elle obtient des augmentations budgétaires pour renforcer ses effectifs et, en 1873, une amélioration de la solde – mais demeure aussi, aux yeux d’une partie de la gauche, le symbole d’une force politique de répression.

C – La guerre et les missions extérieures de la gendarmerie

La prise de Sébastopol.

La guerre de Crimée oppose une coalition française, anglaise, turque et sarde à la Russie. Ce conflit prend place dans le cadre plus général de la question d’Orient qui se pose à la suite du déclin de l’Empire ottoman à partir du XVIIIe siècle. Les ambitions des Russes, désirant atteindre les Détroits et démembrer la Turquie, déclenchent les hostilités. La guerre se déroule principalement sur la presqu’île de Crimée. Après la victoire de l’Alma (le 20 septembre 1854), le siège de la forteresse de Sébastopol, puissante base navale russe, débute. Le corps expéditionnaire français compte deux bataillons du régiment de gendarmerie à pied de la garde impériale, soit 1300 hommes. Le siège de Sébastopol est très long et meurtrier. En mai 1855, l’état-major décide de lancer une offensive sur la tour de Malakoff, mais il est nécessaire, auparavant, de s’emparer de la position du « mamelon vert » qui protège la tour à l’est. Le 7 juin débute l’offensive. Le 1er bataillon de gendarmes, placé dans la division Mayran et sous les ordres du chef d’escadron Baudinet, attaque et enlève la position nommée les « ouvrages blancs » tandis que le 2e bataillon, incorporé dans la division Brunet, s’empare du « mamelon vert ». Durant cette journée le capitaine Gruard est tué ; les capitaines Dubois de Jancigny, Foreau, Liénard et Serra, le lieutenant Rémy et le sous-lieutenant Spiegel sont blessés. La prise de Malakoff par Mac-Mahon, le 8 septembre 1855, oblige les Russes à évacuer Sébastopol. Au total, 143 gendarmes et officiers sont blessés ou perdent la vie. La participation de la gendarmerie à ces combats intenses lui vaut l’inscription de Sébastopol sur son drapeau.

1 – La participation aux conflits

Médaille de Crimée

Médaille de
Crimée avec
agrafe
Sébastopol.

Sous le Second Empire, et plus généralement aux XIXe et XXe siècles, l’essentiel de la mission de la gendarmerie concerne le service du maintien de l’ordre intérieur, l’activité proprement militaire étant exceptionnelle. La gendarmerie se constitue néanmoins en prévôtés pour surveiller les armées (articles 505 à 536 du décret 1er mars 1854), exercer une police militaire et protéger les populations contre le pillage et les violences. Les compétences des gendarmes sont totales pour les crimes et délits commis dans l’arrondissement de l’armée. Des militaires sont ainsi retirés des effectifs des brigades pour assurer leur mission lors de la guerre de Crimée (1854-1856), d’Italie (1859), durant l’expédition franco-anglaise de Chine (1860), la guerre du Mexique (1862-1867), et enfin au moment du conflit franco-allemand de 1870-1871. Les prévôts ont juridiction sur les vivandiers, cantiniers ainsi que toutes les personnes à la suite de l’armée. Ils surveillent aussi les vagabonds, les prisonniers de guerre, les déserteurs.

Outre cette activité au sein des armées, la gendarmerie a participé à la guerre sous forme d’unités constituées. Durant la guerre de Crimée, deux bataillons du régiment de gendarmerie à pied de la garde impériale prennent part au conflit. Engagés dans le siège de Sébastopol, ils participent aux opérations militaires et se distinguent notamment lors de l’assaut meurtrier de redoutes russes ; 143 gendarmes et officiers sur les 1 300 engagés sont blessés ou perdent la vie. Le comportement vaillant de ces deux bataillons est à l’origine d’une inscription de cette victoire sur le drapeau. La gendarmerie prend également part à la guerre de 1870.

2 – La guerre de 1870

En partie souhaitée par Bismarck, qui pense ainsi sceller l’unité de l’Allemagne, la guerre est néanmoins déclarée par la France, soutenue par son opinion publique, le 19 juillet 1870 à propos de la question de la candidature Hohenzollern au trône d’Espagne. Le régime déclinant du Second Empire imagine reconquérir son prestige mais est rapidement acculé à la défaite. Après les échecs du mois d’août (Forbach et Froeschwiller, siège de Strasbourg, occupation de Nancy), Bazaine est contraint de s’enfermer dans Metz ; l’armée de secours qui est repoussée à Sedan subit une grave défaite au cours de laquelle Napoléon III, fait prisonnier, capitule. Un Gouvernement de Défense nationale est installé ; il tente désespérément de résister.

Cavalier prévôtal de 1870.jpg

Cavalier prévôtal (1870).

Les revers militaires incitent les autorités à organiser des régiments de gendarmerie à pied et à cheval ; un décret du 11 août 1870 prévoit la mise en place de cette troupe de plus de 1 500 hommes à Versailles. Un autre décret du 29 septembre institue un deuxième régiment de gendarmerie à cheval destiné à la défense de Paris et composé de près de huit cents hommes. Ces troupes se distinguent notamment à Châtillon et à La Malmaison.

Après l’avènement du régime républicain et sous l’impulsion de Gambetta, l’effort de guerre devient total. Un décret des 31 octobre et 18 novembre 1870 prescrit le prélèvement de deux régiments de marche de gendarmerie à cheval – 480 hommes se rassemblant à Saumur et à Caen – au sein des légions ; ce même décret requiert la constitution d’un régiment de marche de gendarmerie à pied de 1 200 hommes devant se rassembler à Bourges. Des escadrons de gendarmerie sont encore formés à Lille le 9 novembre 1870, ainsi qu’une compagnie de la Sarthe pour renforcer la 2e armée de la Loire. Tous ces régiments de marche sont destinés à participer aux combats mais aussi, selon les vœux du ministre, à surveiller les fuyards. Deux généraux de brigade de gendarmerie (Fauconnet et Deflandre) trouvent la mort lors des combats. Les gendarmes s’illustrent notamment à la bataille du Mans (les 11 et 12 janvier 1871), où ils parviennent à tenir le faubourg de Pontlieue au prix de la mort d’un officier et de 83 sous-officiers.

Brigadier garde impériale de 1860

Brigadier de la garde
impériale (1860).

Dès les débuts de la guerre, la gendarmerie est mise à contribution pour exercer un service de prévôté. Celui-ci est réorganisé par un décret des 20 décembre 1870 et 23 janvier 1871, la gendarmerie sédentaire est mobilisée en vue d’assurer une de ses missions traditionnelles en temps de guerre. Au total, dix-sept légions sont appelées à participer aux prévôtés. Ces formations opèrent sous les ordres des généraux commandant les divisions et les subdivisions. Les gendarmes sont tenus d’occuper de jour et de nuit les gares et les points stratégiques pour y exercer une fonction de police militaire ; ils recherchent aussi les déserteurs, les fuyards et les militaires circulant sans papiers, recueillent encore les armes, les munitions ou les effets d’équipements abandonnés, patrouillent enfin pour opérer l’arrestation des espions et des suspects. La concentration de ces brigades, rassemblées dans les chefs-lieux des compagnies, prive néanmoins les campagnes de leur surveillance habituelle. Pour pallier ce manque, un décret du 14 janvier 1871 institue des brigades temporaires de gendarmerie, composées d’auxiliaires recrutés parmi les sous-officiers en retraite. La mobilisation des légions départementales n’ayant toutefois pas produit les résultats attendus, elles sont dissoutes en février 1871. Une fois la guerre terminée, les régiments ayant combattu sont progressivement licenciés, ce qui permet aux gendarmes de rejoindre leur compagnie départementale.

3 – La gendarmerie coloniale

Tirage au sort

Un tirage au sort en Bretagne
sous le regard du gendarme
(vers 1860).

La gendarmerie, présente en Algérie depuis 1830, est également en fonction dans les autres colonies, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion sous la forme de compagnies, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, à Tahiti et au Sénégal sous la forme de détachements. Dans ce dernier pays, la colonisation se poursuit sous la direction de Faidherbe ; même si ce dernier utilise plus volontiers les troupes ordinaires que la gendarmerie pour administrer le pays, un détachement de l’Arme y est implanté en 1854 ; pour favoriser le recrutement, des emplois d’élèves gendarmes sont attribués à des militaires qui ne remplissent pas totalement les conditions exigées pour devenir gendarmes (celles concernant l’âge et l’ancienneté notamment). En Indochine, l’Arme est présente avec le corps colonial ; en 1861, un détachement de cinquante-trois gendarmes commandé par un capitaine est instauré. Dans l’ensemble, la présence de la gendarmerie dans les colonies augmente sous le Second Empire. À la Réunion, par exemple, qui est surveillée par 99 gendarmes placés sous la direction d’un capitaine, les effectifs s’élèvent à 158 personnes à partir de 1860 ; en Martinique et en Guyane également, le nombre de gendarmes sur place s’accroît respectivement de 9 % et de 43 % entre 1848 et 1870. Malgré l’ordonnance du 26 janvier 1825 qui impose la présence de la gendarmerie dans les colonies, on peut remarquer qu’elle est absente dans certains endroits, à Obock par exemple (en Somalie française), au Cambodge (passé sous protectorat en 1863) ou dans les établissements français de la Côte-de-l’Or et du Gabon, placés sous le commandement du chef de la division d’Afrique des côtes occidentales d’Afrique.

Portrait gendarme et son épouse (vers 1860)

Portrait d’un gendarme
et de son épouse
(vers 1860, photo inversée).

En général et malgré l’accroissement des effectifs, la gendarmerie est souvent peu nombreuse dans les colonies. Ses missions demeurent classiques mais aussi bien plus inédites et variées qu’en métropole. À Saint-Pierre-et-Miquelon, le chef de détachement exerce ainsi les fonctions de commissaire général de police, de vérificateur des poids, d’inspecteur du travail. Outre son service spécial, il remplit des missions normalement dévolues à la gendarmerie maritime en recherchant les marins absents et en effectuant la police des ports. En Nouvelle-Calédonie, où les groupements de population sont souvent distants de plus de 40 kilomètres, les délits sont rares et l’activité de police judiciaire peu fréquente ; en revanche, les gendarmes jouent le rôle de syndic des affaires indigènes, endossent la qualité d’huissier, d’officier d’état civil, s’occupent des affaires liées à l’immigration. Ils participent à de nombreuses commissions et sont consultés en matière de gestion des forêts et de mines. Les militaires se transforment encore en écrivains publics, en infirmiers, s’improvisent juges et percepteurs.

D – Les hommes, leur carrière

1 – L’origine socioprofessionnelle des gendarmes et le recrutement

Fifre

Fifre de la gendarmerie
de la garde impériale (1857).

Les gendarmes du Second Empire proviennent principalement d’une grande zone nord et est de la France (à l’est d’une ligne Abbeville/Mâcon), d’un secteur des Pyrénées, de la bordure sud-ouest du Massif central ainsi que de quelques départements isolés comme la Manche, les Côtes-du-Nord, les Basses-Alpes, l’Ardèche, la Corse. Les hommes se recrutent dans une grande proportion au sein des petites villes de province et dans les zones rurales. Une majorité d’entre eux exercent généralement dans la région où ils sont nés. Une circulaire du ministre de la Guerre du 13 décembre 1861 interdit bien aux militaires d’exercer dans l’arrondissement de naissance mais ne les empêche nullement de demeurer dans leur département d’origine. En s’installant dans sa région, le gendarme adopte un mode de vie sédentaire et peut se marier ; pour la hiérarchie, le recrutement local présente aussi une série d’avantages. Les gendarmes connaissent le climat, les paysages, les mentalités, pratiquent la langue vernaculaire ou le patois.

Medaille d'Italie

Médaille d’Italie.

Les études concernant l’origine socioprofessionnelle des gendarmes du Second Empire (et ceci est vrai pour tout le XIXe siècle) montrent que ces derniers sont issus des classes sociales modestes pour plus des deux tiers d’entre eux. Avant d’entamer une carrière militaire, nombre de gendarmes ont travaillé dans le domaine de l’agriculture (près de 50 %) et de l’industrie (plus de 25 %), ce qui correspond d’ailleurs grosso modo à la répartition socioprofessionnelle de la population.

Pour chaque grade, le recrutement s’opère suivant une certaine spécificité. Pour les officiers, le recrutement s’opère majoritairement (les deux tiers) à partir de l’armée. Un système de quotas leur réserve en effet, pour chaque grade, des places en gendarmerie. Après 1851, et suite à une série de réclamations, les postes d’officiers de gendarmerie sont prioritairement attribués aux sous-officiers de l’Arme. Néanmoins, on dénombre en moyenne, de 1848 à 1869, plus de 50 % des officiers provenant de l’armée. Seuls les lieutenants-colonels de l’armée sont réellement attirés par un poste en gendarmerie ; lorsqu’ils occupent l’emploi de chef de légion, ils sont promus colonels au titre de leur arme d’origine. Pour les colonels, les capitaines et les lieutenants, l’entrée en gendarmerie ne procure aucun avantage dans la carrière. Quant aux officiers issus du corps des sous-officiers de gendarmerie, ils dépassent rarement le grade de capitaine compte tenu de l’âge auquel ils accèdent à leurs nouvelles fonctions.

Scène satirique

Scène satirique.

Plusieurs conditions doivent être réunies pour intégrer la gendarmerie. En 1852, pour faciliter le recrutement, la taille minimale est abaissée à 1,72 mètre pour les cavaliers et à 1,70 mètre pour les fantassins. Ces limites fixant un minimum sont régulièrement revues. La réglementation détermine aussi des conditions d’âge de vingt-cinq ans au moins et de quarante ans au plus ; sous le Second Empire, la moyenne d’âge au recrutement se situe d’ailleurs entre vingt-six et vingt-huit ans. Trois ans de service dans l’armée sont exigés et l’engagement s’effectue sur proposition des inspecteurs généraux. On impose aux candidats de savoir lire et écrire correctement. Sur le plan de la moralité, on demande aux postulants d’avoir eu une conduite exempte de reproche. Pour ce qui concerne les gradés, les adjudants et sergent-majors issus des corps de troupe, ils sont admis dans certains cas au grade de brigadier, en revanche les sergents et caporaux perdent leurs galons ; pour les sous-officiers, l’entrée en gendarmerie constitue un frein et un ralentissement dans l’avancement, qui est globalement plus lent que dans la ligne.

2 – Le travail quotidien des gendarmes, la solde et la retraite

Le travail quotidien des gendarmes ne s’est guère modifié depuis la loi du 28 germinal an VI. Il consiste principalement à effectuer des patrouilles (articles 271 et suivants du décret du 1er mars 1854), à escorter les prisonniers – service qui s’effectue de plus en plus souvent par la voie du chemin de fer –, à diffuser les fiches de signalement et à rechercher les individus signalés. Cette activité est assez répétitive et, bien qu’elle soit difficilement quantifiable, on sait que le métier est très physique et exigeant ; les gendarmes travaillent tous les jours de la semaine (même le dimanche, qui est le jour des braconniers et de la fréquentation des cabarets), les congés sont exceptionnels et rarement accordés.

Portrait d'un maréchal des logis (1857)

Portrait d’un maréchal
des logis (1857).

La solde de base des officiers est confortable et leur permet de vivre correctement ; la grille des traitements fixée en 1841 est revalorisée en 1857, en 1867 et en 1870. Un lieutenant gagne ainsi 2 150 francs par an en 1857 et 2 400 en 1870 ; un lieutenant-colonel, 6 000 francs annuels en 1857 et 6 600 en 1870. Pour les sous-officiers, le traitement varie selon qu’on appartient à l’Arme à pied ou à cheval. Ces derniers, mieux rétribués, doivent cependant assumer le coût et l’entretien de leur cheval. Pour ce qui concerne les gendarmes à pied, ils bénéficient d’une augmentation de leur solde entre 1852 et 1855, en 1867 et en 1869. Un gendarme perçoit ainsi 750 francs annuels en 1855 et 880 en 1869 ; un maréchal des logis-chef, 1 136 francs puis 1 266 francs annuels.

Médaille militaire

Médaille militaire.

Le niveau de vie du gendarme de base semble relativement bas ; en effet, dans les années 1860, le salaire moyen des hommes de peine à Paris est de 830 francs annuels environ. Toutefois, les gendarmes bénéficient d’une série d’avantages qui augmentent leur revenu et ne permettent en aucun cas de les comparer aux ouvriers : ils bénéficient d’une pension de retraite, vivent en caserne et sont par conséquent exonérés de loyer. Par ailleurs, les gendarmes profitent d’indemnités accordées pour les trajets supplémentaires, de gratifications lors de la première mise d’équipement pour les cavaliers, de primes d’entrée en campagne, du pain de munition dans certains cas, de soins médicaux gratuits à partir de 1853 (surtout dans les villes), de primes versées lors des arrestations. Toutefois, et malgré les avantages divers, le niveau de vie et le pouvoir d’achat des gendarmes, et plus généralement des sous-officiers, est modeste, mais il s’améliore tout de même sous le Second Empire.

La durée moyenne d’activité en gendarmerie s’établit à treize ans pour les officiers et à vingt-quatre ans pour les gendarmes. Les carrières sont souvent dissemblables : alors que les officiers sont plus fréquemment mutés, notamment à l’occasion de leur changement de grade – on observe en moyenne 3,4 changements de résidence –, les sous-officiers préfèrent demeurer à l’endroit où ils désirent s’établir définitivement.

Garde escadron d'élite

Mannequin portant
l’uniforme d’un
gendarme de
l’escadron d’élite
(vers 1860).

Une fois le temps d’activité révolu, le personnel obtient une pension. La retraite d’ancienneté, entre cinquante-trois et cinquante-sept ans pour la plupart d’entre eux, représente d’ailleurs 95 % des retraites accordées, le reste l’étant pour les infirmités. Les pensions des officiers sont confortables (1 400 francs annuels en moyenne pour un capitaine et 3 000 pour un colonel, ce qui représente environ 50 % de la solde d’activité). Le montant des retraites est relativement faible chez les sous-officiers : il s’élève en moyenne à 275 francs annuels pour un gendarme, 325 francs pour un maréchal des logis et représente une perte de plus de 30 % par rapport au salaire normal. Cette maigre allocation ne permet pas à une famille de survivre sans un supplément quelconque. Le gendarme se retire généralement dans le département, voire la localité où il termine sa carrière ; les plus démunis, particulièrement sous le Second Empire, sont parfois reclassés parmi les agents administratifs (commissaires, appariteurs, gardes champêtres, surveillants, agents de police, etc.).

3 – Le Second Empire, un bilan en demi-teinte pour la gendarmerie

Maréchal des logis-chef Bidermann

Le maréchal des logis-chef
Bidermann (vers 1865).

Sur le plan institutionnel, la gendarmerie est placée pendant deux ans dans les attributions du ministère de la Police générale (article 2 de la loi du 22 janvier 1852) dirigé alors par de Maupas. Des discussions animées ont par ailleurs lieu dans les instances gouvernementales et militaires, visant à déterminer la tutelle de la gendarmerie : doit-elle dépendre du ministère de l’Intérieur, de la Justice, de la Guerre ? Le décret du 1er mars 1854 clarifie la situation en rattachant clairement la gendarmerie au ministère de la Guerre ; toutefois, ce même texte ne définit aucun commandement supérieur. Le général de division de la Ruë est nommé inspecteur général permanent, mais ses pouvoirs n’excèdent pas la présidence du comité de gendarmerie – aux attributions limitées – et la synthèse des rapports politiques ; autrement dit, la gendarmerie n’est pas autonome, il n’y a pas de commandement supérieur, et cette institution ne dispose d’aucun chef véritablement reconnu comme le maréchal Moncey sous le Premier Empire.

Tambour

Mannequin portant
l’uniforme d’un
tambour de la
gendarmerie de la
Seine (vers 1860).

Par ailleurs, la prééminence de la gendarmerie est contestée par la montée en puissance de l’institution policière, dont les effectifs – quoiqu’inférieurs à ceux de l’Arme – croissent considérablement après 1852. La police, qui demeure principalement implantée en zone urbaine, pénètre dans la campagne avec la création des commissaires cantonaux ; ce mouvement qui s’amorce sous la Monarchie de Juillet devient manifeste sous le Second Empire. La gendarmerie, à qui aurait normalement dû échoir la police des chemins de fer, puisqu’elle est chargée de surveiller les voies de communication, est également dépossédée de ces attributions au profit de la police et des commissaires spéciaux – ancêtres des renseignements généraux – institués en 1855. La police entame aussi certaines réformes structurelles et commence à se spécialiser : à Paris, le nombre de sergents de ville pratiquant l’îlotage augmente de façon notable ; une police judiciaire (la brigade de sûreté) poursuit les auteurs de crimes et délits ; en province, des unités spécialisées dans les mœurs apparaissent dans les grandes villes alors que les missions de la gendarmerie n’évoluent guère.

Au total, sous le Second Empire, l’Arme est rattachée sans ambiguïté au ministère de la Guerre et ses statuts sont clairement fixés par le décret du 1er mars 1854. Cette période se caractérise aussi par une augmentation des effectifs et une majoration des soldes. Cependant, on ne lui attribue aucun commandement autonome, ce qui affaiblit l’institution et ne lui confère qu’une influence restreinte ; elle assiste, impuissante, à la montée de l’institution policière.

À retenir

Le décret du 1er mars 1854 réorganise la gendarmerie et confirme son rattachement au ministère de la Guerre. Au début du Second Empire, l’institution profite d’une amélioration générale de sa condition : le budget croît et les soldes augmentent. Toutefois, l’Arme ne bénéficie pas d’une direction autonome, elle est représentée par un bureau au sein d’une direction de la cavalerie et de la gendarmerie. Les missions de la gendarmerie évoluent peu durant cette période. Outre le travail de surveillance des campagnes et de répression des crimes et des délits, la gendarmerie participe à la police politique. Elle est présente aussi dans les colonies, où elle contribue à préserver la paix publique. Lors des conflits, elle exerce son rôle traditionnel de prévôté mais s’engage aussi activement dans les combats, sous la forme d’unités constituées, durant la guerre de Crimée et lors du conflit franco-allemand de 1870-1871. Les gendarmes sont recrutés parmi les anciens militaires ; outre des conditions de taille et de moralité, il faut savoir lire et écrire pour intégrer l’Arme. Les gendarmes sont principalement des ruraux provenant pour une grande partie d’entre eux du nord et de l’est de la France. Leur solde est relativement modeste, mais, à la fin de leur carrière, ils perçoivent une pension de retraite.

Gendarme de la compagnie de la Seine

Portrait d’un gendarme de la compagnie
de la Seine (1858).

Capitaine de la garde impériale

Portrait d’un capitaine de la garde
impériale (vers 1860).

LA GENDARMERIE AU COMBAT

Institution militaire chargée de faire respecter la loi et d’assurer la sûreté publique, la Gendarmerie nationale a été amenée à constituer des unités combattantes, distinctes des prévôtés, au cours des conflits dans lesquels la France s’est trouvée engagée.

Sous la Révolution, la gendarmerie est appelée à participer en unités constituées à la lutte contre l’ennemi de l’intérieur et de l’extérieur. Dès 1791, et surtout après la proclamation de la Patrie en danger (juillet 1792), quatre divisions de gendarmerie sont créées à Paris pour servir aux armées du Nord et du Rhin. Les gendarmes des départements sont également mobilisés en août 1792 et incorporés dans dix divisions pour être envoyés sur les champs de bataille. Le 8 septembre 1793 à Hondschoote, la 32e division de gendarmerie permet à l’armée du Nord de dégager Dunkerque assiégée par les Anglais. Néanmoins, le prélèvement opéré dans les brigades est préjudiciable à la sûreté intérieure, et les unités de gendarmerie sont licenciées en 1795.

Sous le Premier Empire, la mise sur pied d’une gendarmerie d’Espagne (six légions organisées par le général Buquet en 1811) permet à l’institution de mettre en valeur sa spécificité militaire. La 1re légion de gendarmerie d’Espagne, conduite par le colonel Béteille, se distingue particulièrement à Villodrigo (23 octobre 1812) et un bataillon de gendarmes d’Espagne participe, au sein de la colonne Pajol, au combat de Montereau (18 février 1814) pendant la campagne de France.

Il faut ensuite attendre la Monarchie de Juillet pour voir des gendarmes combattre sur un champ de bataille : le 16 mai 1843, à Taguin (Algérie), trente gendarmes à cheval, commandés par le lieutenant Grosjean, constituent la garde rapprochée du duc d’Aumale qui s’empare de la smala d’Abd el-Kader.

À l’instar de son oncle, Napoléon III engage la gendarmerie dans les conflits. En Crimée, deux bataillons du régiment de gendarmerie à pied de la Garde impériale s’illustrent au siège de Sébastopol en participant, le 7 juin 1855, à la prise des Ouvrages blancs et du Mamelon vert tenus par les Russes.

La gendarmerie est également présente lors du conflit de 1870-1871. Quatre régiments de gendarmes à cheval et deux régiments de gendarmes à pied, créés par Napoléon III puis par le Gouvernement de la défense nationale, furent engagés dans des combats aux côtés des armées du Nord et de la Loire. Les unités de marche servant en province sont licenciées le 16 mars 1871. Celles présentes à Paris sont maintenues jusqu’à la chute de la Commune et participent à la répression versaillaise dans Paris.

Pendant la Première Guerre mondiale, aucune unité combattante de gendarmerie n’est créée ; l’État-major autorise seulement des engagements volontaires limités dans l’armée de Terre. Le second conflit mondial, au contraire, voit la gendarmerie combattre sous ses couleurs. Pendant le « drôle de guerre » et la campagne de France, plusieurs formations de la Garde républicaine mobile et le 45e bataillon de chars de combat, encadré par des gendarmes, sont intégrés au dispositif français. Le 45e BCC est décimé à Stonne, près de Sedan, en mai 1940. Les gendarmes participent aux combats de la Libération et des groupements de la Garde républicaine chassent l’ennemi hors des frontières et en Allemagne (le groupement Daucourt participe à Kilstett à la défense de Strasbourg en janvier 1945).

Les guerres de colonisation vont de nouveau conduire la gendarmerie à participer aux combats. En Indochine, le Gouvernement envoie, dès 1947, trois légions de marche de la Garde républicaine qui, avec la légion étrangère, forment le véritable fer de lance de l’armée française dans le Sud-Est asiatique. En Algérie, six commandos de chasse, constitués de gendarmes et de supplétifs algériens, combattent de 1959 à 1962 les formations de l’ALN disséminées dans le bled ; par ailleurs, la plupart des escadrons de gendarmerie mobile de la métropole viennent en renfort de la gendarmerie locale pour les opérations de maintien de l’ordre.

B.M.

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