Force Publique

DEUXIÈME PARTIE

DE LA RÉVOLUTION AU SECOND EMPIRE

CHAPITRE I

LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE

À partir de la Révolution de 1789, la France connaît une période de troubles et de bouleversements qui transforment en profondeur les institutions et la société françaises. Alors que le maintien de l’ordre intérieur se révèle plus que jamais indispensable, le sort de la nouvelle Gendarmerie nationale apparaît comme un enjeu essentiel, d’autant que la guerre bientôt menée par la France contre de nombreux États d’Europe va conduire les gouvernements successifs à utiliser l’institution dans la défense du pays aux frontières. De cette crise, la gendarmerie sortira finalement glorieuse à la faveur du règne de Napoléon.

14 juillet 1789 : prise de la Bastille.

10 août 1792 : chute de la monarchie.

28 juillet 1794 : exécution de Robespierre.

9 novembre 1799 : coup d’État de Napoléon Bonaparte.

2 août 1802 : Napoléon Bonaparte, consul à vie.

2 décembre 1804 : sacre de Napoléon Ier.

6 avril 1814 : première abdication de Napoléon.

18 juin 1815 : défaite de Waterloo.

22 juin 1815 : seconde abdication de Napoléon.

A – La Révolution (1789-1799)

1 – La loi du 16 février 1791

1791-2

Loi du 16 février 1791.

Si la loi du 16 février 1791 crée une nouvelle institution, elle ne modifie pas sensiblement les missions déjà existantes, ni l’organisation adoptée dès la fin de l’année 1789. Les effectifs sont portés à 7 450 hommes, y compris l’ancienne compagnie de robe courte, dont les personnels sont autorisés à rejoindre directement la Gendarmerie nationale et vont former la compagnie de gendarmerie près des tribunaux. Le corps est organisé en divisions, regroupant chacune trois départements. Chaque département comprend deux compagnies, comportant elles-mêmes de douze à dix-huit brigades. Une des nouveautés est l’extension à l’ensemble du pays des brigades à pied comme il en existait dans la banlieue de Paris depuis les années 1780.

1791-1

Titre premier de la loi du 16 février 1791.

Les conditions de recrutement et d’avancement des personnels ne sont pas modifiées. En revanche, l’article II du titre III intégrant la gendarmerie dans l’armée, les personnels prennent désormais des grades militaires : les divisions sont commandées par des colonels, les départements par des lieutenants-colonels et les compagnies par un capitaine et trois lieutenants. L’uniforme est conservé, les seules modifications concernant le port de la cocarde tricolore au chapeau, la suppression de l’aiguillette et l’ajout sur les boutons de l’inscription Force à la loi.

Les autres dispositions de la loi reprennent celles de l’ordonnance de 1778, notamment pour ce qui concerne les fonctions de la gendarmerie. Les fonctions ordinaires demeurent les tournées de commune, la recherche et la poursuite des malfaiteurs, la lutte contre la mendicité et le vagabondage, la surveillance des grands rassemblements, tels que foires, fêtes et marchés, la police militaire, l’escorte des deniers publics et des convois de poudre, enfin la conduite des prisonniers. Ce service est essentiellement destiné à la sûreté des campagnes, mais la gendarmerie doit prêter main-forte en ville lorsqu’elle est légalement requise.

Bouton
de la gendarmerie
(1791).

Bouton

Les seules nouveautés dans la définition de ces missions sont l’extension du service ordinaire et la possibilité d’utiliser la force en cas de rébellion ou de violence commises contre les gendarmes. Finalement, les Constituants adaptent plus qu’ils ne bouleversent une institution dont on ne sait pas si elle est destinée à durer mais dont l’organisation donne satisfaction.

2 – La participation de la gendarmerie à l’effort de guerre

Le combat de Hondschoote.

Après la formation de la première coalition, puis la défection du général Dumouriez en mars 1793, les troupes françaises doivent abandonner la Belgique, tandis de l’ennemi envahit le nord de la France. En quelques mois, le Gouvernement va cependant redresser la situation militaire. C’est ainsi que le général Houchard, commandant de l’armée du Nord, parvient à débloquer Dunkerque, alors assiégée par les Anglais du duc d’York, le 8 septembre 1793. Les 400 gendarmes de la 32e division, intégrés à l’aile gauche de l’armée, participent activement aux combats : après avoir essuyé une fusillade nourrie, ils emportent rapidement l’artillerie ennemie mais perdent 117 hommes. Hondschoote est la première bataille inscrite au drapeau de la gendarmerie.

La guerre contre les États coalisés va très rapidement mobiliser la gendarmerie. En avril 1792 – alors que la France entre en conflit avec la Prusse et l’Autriche –, ses effectifs sont portés à 8 784 hommes répartis dans 1 600 brigades. Des détachements prévôtaux sont constitués : plus de 3 000 gendarmes sont affectés par roulement auprès des différentes armées de la République pour assurer le maintien de l’ordre, la protection des biens civils, la poursuite des déserteurs, la garde des prisonniers de guerre et la bonne marche des convois. Surtout, pour la première fois, les gendarmes sont regroupés dans des unités combattantes. C’est ainsi que, le 8 septembre 1793, la 32e division de gendarmerie contribue à la victoire de Hondschoote face aux Anglo-Hanovriens, permettant de débloquer Dunkerque ; d’autres gendarmes combattent également en Vendée.

La guerre a toutefois pour conséquence d’affaiblir les brigades territoriales alors que, dans le même temps, le maintien de l’ordre s’avère de plus en plus difficile à assurer, en particulier dans les régions en proie à la guerre civile et menacées par l’invasion étrangère. Aussi les administrations départementales sont-elles contraintes de procéder au recrutement de surnuméraires. Destinés à remplacer les gendarmes partis aux frontières, ceux-ci ne répondent pas aux normes légales de recrutement. Constitués essentiellement d’anciens soldats et de gendarmes à la retraite, ils ne peuvent remplir leurs missions de manière satisfaisante. Par ailleurs, la politisation croissante des institutions conduit les autorités civiles à épurer fréquemment les brigades, écartant ainsi leurs éléments les moins révolutionnaires.

Circulaire Wirion

Circulaire du général Wirion (1798).

Dans la capitale, quatre cents hommes à pied constituent la gendarmerie des tribunaux, héritière de la compagnie de robe courte, chargée de la sécurité des tribunaux, du transfèrement des prisonniers, de la garde des prisons et de l’escorte des condamnés à mort.

3 – Crise et réorganisation sous le Directoire

Sous le Directoire, l’institution traverse une crise profonde. Tandis que les effectifs sont insuffisants pour assurer efficacement le maintien de l’ordre, les soldes sont versées irrégulièrement et le manque de moyens est extrême, notamment en armes, chevaux et uniformes. Les épurations politiques successives ont affaibli les brigades. Tandis que le brigandage se développe dans de nombreuses régions, le nombre de déserteurs ne cesse de croître et les périodes de crise économique jettent sur les routes chômeurs et vagabonds. La gendarmerie parvient cependant à s’illustrer dans le démantèlement de plusieurs bandes de brigands, en particulier la bande d’Orgères, qui terrorise les fermiers de la Beauce. Elle procède à l’arrestation de Lesurques et de ses complices, auteurs présumés de l’attaque du courrier de Lyon en avril 1796. Elle est chargée de déférer aux conseils de guerre et aux tribunaux spéciaux, institués en février 1801, les bandits pris en flagrant délit.

Officier Directoire

Portrait d’un lieutenant
sous le Directoire.

Conscient à la fois de la nécessité de rétablir l’ordre et des insuffisances dont souffre la gendarmerie, le Gouvernement prend plusieurs mesures. La loi du 12 nivôse an IV (2 janvier 1796), qui crée le ministère de la Police générale, place l’institution sous son autorité pour tout ce qui concerne le maintien de l’ordre. De nombreux débats opposent la droite royaliste à la gauche républicaine sur les principes fondamentaux de son recrutement et de son organisation. Tandis que la première souhaite que les officiers de gendarmerie soient recrutés parmi les anciens officiers de maréchaussée, la seconde réclame qu’ils soient directement choisis par le Gouvernement parmi les officiers de la troupe de ligne. Cette dernière finit par l’emporter, la loi du 25 pluviôse an V (13 février 1797) confiant au Directoire la nomination des officiers, épurant les personnels et abaissant le nombre de brigades de 1 600 à 1 500, qui se répartissent en vingt-cinq divisions et totalisent près de 8 500 hommes. Les sous-officiers et les gendarmes sont, quant à eux, nommés par des jurys départementaux. Le 7 germinal (27 mars), l’institution est rattachée au ministère de la Guerre pour ce qui touche au matériel et à la discipline et placée sous l’autorité du ministère de la Police générale pour le maintien de l’ordre public, tandis que sont redéfinies les conditions de recrutement. Quant au casernement, il est à la charge des départements.

L’affaire du courrier de Lyon.

Le 27 avril 1796, 7 millions de livres en assignats et 16 000 francs en numéraire, destinés au général Bonaparte – alors en Italie – sont chargés à Paris dans une malle-poste à destination de Marseille. Quelques heures plus tard, près de Melun, la voiture est attaquée et pillée par des brigands qui assassinent le courrier et le postillon. Après avoir effectué les premières constatations avec le juge de paix, les brigadiers de gendarmerie Huguet et Paumard conduisent l’enquête pendant plusieurs jours dans les communes environnantes, interrogeant de nombreux témoins. Les aubergistes, en particulier, leur fournissent de nombreuses informations. Au terme de l’enquête, Huguet remet son procès-verbal au tribunal criminel de Seine-et-Marne. Ses conclusions permettront d’arrêter, dès le 8 mai, le principal suspect à Château-Thierry. Les autres brigands, interpellés dans les mois suivants, seront exécutés après un procès qui aura suscité des débats passionnés, l’un des condamnés à mort, Lesurques, ayant toujours clamé son innocence.

Le Directoire souhaite cependant parachever cette œuvre législative par un texte organique. Traditionnellement considérée comme la « charte de la gendarmerie », la loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798) dispose que « le corps de la Gendarmerie nationale est une force instituée pour assurer dans l’intérieur de la République le maintien de l’ordre et l’exécution des lois », avant de préciser que son service « est particulièrement destiné à la sûreté des campagnes et des grandes routes » et qu’une « surveillance continue et répressive » en constitue l’essence. Redéfinissant les critères de recrutement – elle exige en particulier que le futur gendarme, âgé d’au moins vingt-cinq ans, ait participé à trois campagnes et servi quatre années dans la cavalerie –, elle organise l’Arme en vingt-cinq divisions, cinquante escadrons, cent compagnies et deux mille brigades. Les effectifs sont augmentés tandis que les soldes, traitements et indemnités sont revalorisés. Mais, dans l’ensemble, la loi se contente de reprendre les dispositions réglementaires antérieures pour ce qui touche à l’organisation, au service et aux rapports de la gendarmerie avec les autorités, insistant toutefois sur la nécessité de protéger la liberté du commerce et de réprimer la désertion. Les circonstances politiques compromettent d’ailleurs son application immédiate. Ce texte n’en reste pas moins fondamental, jetant les bases de la future gendarmerie impériale.

Portrait capitaine Directoire

Portrait d’un capitaine
sous le Directoire.

Concernant le service, la loi de germinal redéfinit les grandes missions de l’institution, qui, dans l’ensemble, ne varieront guère jusqu’à nos jours et que le Code des délits et des peines de 1795 a regroupées en deux grandes catégories.

Les missions de police administrative ont pour but non de réprimer, mais de prévenir les troubles. Grâce au quadrillage du territoire par les brigades, la surveillance générale a pour objet de dissuader les délinquants et de constater l’ensemble des faits susceptibles de troubler l’ordre public. Les gendarmes doivent ainsi organiser des patrouilles et rédiger des rapports, qui sont ensuite adressés à l’autorité administrative. Ils entretiennent des contacts réguliers avec les populations. Certains lieux (en particulier les cabarets) font l’objet d’une attention particulière, de même que certains groupes d’individus, notamment les vagabonds et les braconniers. La gendarmerie doit également maintenir ou rétablir l’ordre lors des marchés, foires ou fêtes populaires qui génèrent des attroupements. Enfin, elle remplit des missions d’assistance lorsque se produisent des accidents, des incendies ou des catastrophes naturelles.

Officier sous l'Empire

Un officier sous l’Empire.

Les missions de police judiciaire ont quant à elles pour objet de réprimer les faits qui n’ont pu être empêchés. Les gendarmes doivent d’abord constater les crimes et délits, qu’il s’agisse d’effractions, de vols, de violences, de meurtres, d’incendies ou d’escroqueries. Ils doivent dresser des procès-verbaux, recevoir les plaintes et les témoignages et citer les témoins à comparaître devant les juges de paix. Lorsqu’un mandat leur a été délivré par l’autorité judiciaire, ils peuvent procéder à l’arrestation des suspects.

L’ensemble de ces missions s’effectue dans le cadre du service ordinaire. Toutefois, les gendarmes accomplissent également un service extraordinaire consécutif aux réquisitions qui leur sont signifiées par l’autorité civile. Il peut alors s’agir pour eux d’escorter certaines personnalités, de transporter du courrier officiel ou d’opérer des transfèrements de prisonniers.

B – Le Consulat et l’Empire (1799-1815)

1 – La création d’une direction spécifique

Portrait colonel Premier Empire

Portrait d’un colonel
sous
le Premier Empire.

Après le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), la prise de pouvoir par Bonaparte et la mise en place du Consulat, le rétablissement de l’ordre public devient un enjeu politique. Ayant pour souci essentiel de ramener en France la paix et la prospérité dans le but de se concilier les notables et les propriétaires, principaux appuis du nouveau régime, le Premier Consul décide de renforcer la gendarmerie, qui constitue la principale force publique à la disposition du Gouvernement.

L’objectif essentiel de Bonaparte est de donner à l’Arme une direction spécifique, indépendante du ministère de la Guerre et qui serait chargée, en particulier, des problèmes techniques liés à son organisation et son entretien. L’arrêté du 8 germinal an VIII (29 mars 1800) institue donc un inspecteur général de la gendarmerie, dont le poste est confié au général Étienne Radet, commandant alors la 24e division de gendarmerie stationnée à Avignon. Celui-ci doit assurer « la surveillance générale et la direction de tout ce qui concerne le service de la Gendarmerie nationale » et rendre compte aux différents ministres pour ce qui concerne leurs domaines respectifs de compétences, tout en leur adressant périodiquement des rapports sur les événements susceptibles de les intéresser. C’est ainsi qu’il rend compte au ministre de la Guerre de ce qui est relatif à la discipline, au ministre de la Police de ce qui a trait à la sûreté des personnes et au ministre de la Justice de ce qui concerne les arrestations. Il reste donc clairement subordonné au Gouvernement. En outre, Radet est chargé par Bonaparte de lui présenter un projet complet de réorganisation de l’arme, projet qui aboutit à l’arrêté du 12 thermidor an IX (31 juillet 1801).

Chapeau du
capitaine Mourain.

Bicorne

Ce nouveau texte institue tout d’abord un État-Major général gendarmerie. Celui-ci est composé d’un premier inspecteur général de division, et de deux inspecteurs généraux, généraux de brigade. Tandis que le premier inspecteur reprend les attributions de l’ancien inspecteur général, les inspecteurs généraux ont pour mission de contrôler les légions de gendarmerie et de veiller au respect des règlements. Le 12 frimaire an X (3 décembre 1801), le poste de premier inspecteur général est confié au général de division Bon Adrien Jannot de Moncey, commandant le corps d’observation de la Gironde. Il remplace ainsi Radet à la tête de la gendarmerie, mais Bonaparte conserve néanmoins ce dernier comme inspecteur général aux côtés du général Wirion. Par la suite, l’état-major se complétera de quatre autres inspecteurs généraux – Gouvion (1802), Lagrange (1802), Buquet (1804) et Lauer (1807) – puis, en 1811, Wirion sera remplacé par Saunier. Un aide de camp et plusieurs officiers d’inspection complètent les effectifs.

ORGANISATION DE LA GENDARMERIE à LA FIN DU PREMIER EMPIRE (organigramme)

Organigramme Empire

Portrait de Moncey

Le maréchal Moncey (vers 1810).

Parallèlement à la création de l’état-major, l’arrêté du 12 thermidor contraint les gendarmes à un examen devant des conseils militaires placés sous la tutelle des préfets, ce qui a pour conséquence une nouvelle épuration de l’arme. Le recrutement et la réadmission des gendarmes sont désormais gérés par un conseil préparatoire départemental. La division disparaît pour être remplacée par la légion (au nombre de vingt-six), placée sous le commandement d’un colonel et qui regroupe quatre départements. Une légion de gendarmerie d’élite est également créée, à laquelle sont confiées la surveillance des lieux de pouvoir et la protection personnelle du Premier Consul.

2 – L’action du maréchal Moncey

Moncey.

Né le 31 juillet 1754, Bon- Adrien Jannot de Moncey s’engage comme volontaire dans l’infanterie en 1769. Chef de bataillon en 1793, il sert à l’armée des Pyrénées-Occidentales. En 1794, il est général en chef. Il prend le commandement de la 11e division militaire, puis de la 19e division. Il dirige l’aile gauche de l’armée d’Italie lors de la campagne de 1800 avant d’en prendre la tête par intérim. Le 3 décembre 1801, Bonaparte le nomme premier inspecteur général de la gendarmerie. En mai 1804, il est fait maréchal de l’Empire, puis chef de la 11e cohorte et grand aigle de la Légion d’honneur. Duc de Conegliano en juillet 1808, il est envoyé à Bordeaux pour commander l’armée d’observation des côtes de l’Océan, puis commande le 3e corps de l’armée d’Espagne et l’armée de la Tête-de-Flandre en Belgique. Colonel-général près de l’impératrice régente, major général de la garde nationale de Paris en janvier 1814, il prend part à la défense de la barrière de Clichy face aux Alliés. Sous la Seconde Restauration, il est destitué et condamné à trois mois de prison pour avoir refusé de présider le conseil de guerre chargé de juger le maréchal Ney, mais Louis XVIII le rétablit dans ses titres en 1816. Gouverneur de la 9e division militaire de 1820 à 1830, Moncey commande un corps de l’expédition d’Espagne, avant d’être nommé gouverneur des Invalides en 1833 et de présider au retour des cendres en 1840. Il meurt le 20 avril 1842.

Fidèle de Bonaparte, ayant soutenu le coup d’État de brumaire et commandé par intérim l’armée d’Italie lors de la campagne de 1800, Moncey entend donner davantage d’efficacité à une institution qu’il estime tout particulièrement. Personnage autoritaire, il délègue assez peu et souhaite être constamment informé. Aussi exige-t-il des commandants de brigade d’avoir directement avec lui une correspondance régulière, sans passer par la voie hiérarchique, dans les vingt-quatre heures de chaque événement significatif. Il leur adresse, sous forme de feuillets imprimés, des « ordres généraux » destinés à leur fournir des informations techniques en même temps que le récit des actes de bravoure de nombreux gendarmes, cités en exemple pour la circonstance, tandis que sont dénoncés ceux qui ont manqué à leur devoir. Cette tentative de renforcer la discipline par l’émulation témoigne d’une volonté du premier inspecteur général de donner à la gendarmerie un véritable esprit de corps, qui lui faisait jusque-là défaut.

Parallèlement, Moncey s’oppose à Fouché qui, en tant que ministre de la Police générale, espère soumettre la gendarmerie et ne peut accepter qu’elle constitue une force autonome. Ce dernier ne cesse d’ailleurs de la critiquer, dénonçant, entre autres, ses insuffisances en matière de renseignement politique. La gendarmerie (en particulier sa légion d’élite) est en effet contrainte de participer à certaines missions de police secrète, notamment l’arrestation de Pichegru en 1804, l’enlèvement du duc d’Enghien la même année et l’arrestation du pape Pie VII en 1809. Elle participe à la surveillance des adversaires du régime, en particulier les prêtres réfractaires au Concordat et les anciens émigrés. Ces missions la conduisent parfois à abandonner l’uniforme. Aussi Moncey plaide-t-il à plusieurs reprises pour le respect de son statut militaire, qui exige qu’elle agisse au grand jour.

L’enlèvement de Pie VII.

Dès les premières années du Consulat, Bonaparte entre en conflit avec le pape sur des questions religieuses. Le refus de Pie VII d’annuler le premier mariage de Jérôme Bonaparte, puis d’adhérer au Blocus continental, entraîne l’occupation de la ville de Rome par les troupes françaises. En mai 1809, les États pontificaux sont annexés à l’Empire français, ce qui entraîne aussitôt l’excommunication de Napoléon par le pape. L’Empereur se résout alors à faire enlever le cardinal Pacca, prosecrétaire d’État du pontife et qui partage son appartement, par la gendarmerie. L’ordre d’arrestation précise que le pape lui-même ne devra être enlevé qu’en cas de résistance. Dans la nuit du 5 au 6 juillet, le général Radet, inspecteur général de la gendarmerie, fait forcer le palais du Quirinal, pénètre lui-même dans la chambre de Pie VII et prend l’initiative – qui sera ensuite condamnée par Napoléon – de l’emmener dans une voiture à destination de Florence. Le pape, conduit à Savone puis au château de Fontainebleau, ne sera finalement libéré qu’en 1814.

La suppression du ministère de la Police entre 1802 et 1804 permet pourtant à la gendarmerie de renforcer sa position, Napoléon sachant jouer de la rivalité entre les deux forces de police. Relevant alors du ministère de la Justice, l’Arme acquiert une autonomie de fait qui ne cesse de se renforcer. Aussi l’état-major de la gendarmerie est-il progressivement assimilé à un véritable ministère, dont le chef ne rend désormais plus compte qu’à l’Empereur.

Bien que disposant dès lors d’une direction autonome, la gendarmerie n’en doit pas moins rester selon Napoléon une force obéissante. Aussi est-elle placée, dans les départements, sous la dépendance des préfets, avec lesquels ses rapports sont parfois difficiles.

3 – La revalorisation de la gendarmerie

Les effectifs de l’Arme sont en constante progression sous le Consulat et l’Empire. En germinal an VI (avril 1798), ils avaient été portés à 10 575 hommes. En thermidor an IX (juillet 1801), ils s’élèvent à 15 689 gendarmes, dont 11 179 à cheval, répartis en 2 500 brigades. Les conquêtes napoléoniennes et l’extension de l’Empire entraînent une nouvelle augmentation des effectifs : les gendarmes sont 26 000 en 1811, répartis sur l’ensemble des territoires placés sous domination française. Encore ne s’agit-il ici que de chiffres prévus par les différents règlements, le nombre de gendarmes étant certainement bien inférieur sur le terrain. Par ailleurs, l’extension de l’Empire français ayant pour conséquence une dissémination des effectifs sur une partie du continent européen, le maillage des brigades ne s’en trouve guère resserré sur le territoire national.

Circulaire Moncey

Circulaire de Moncey annonçant sa nomination
comme premier inspecteur général (1801).

Napoléon témoigne d’ailleurs à plusieurs reprises de l’estime qu’il porte à la gendarmerie, qu’il considère comme l’élite de l’armée en même temps que l’instrument le plus efficace du maintien de l’ordre. Les gendarmes les plus méritants perçoivent indemnités et gratifications. Des armes d’honneur leur sont décernées. Moncey lui-même est fait maréchal d’Empire en 1804, grand aigle de la Légion d’honneur en 1805 et duc de Conegliano en 1808, tandis que Gouvion est nommé sénateur, que Radet est fait baron d’Empire et que Savary devient duc de Rovigo.

Les grandes missions de maintien de l’ordre public sont confiées à la gendarmerie. Son action est fondamentale dans la lutte contre le brigandage, qui s’avère efficace dans de nombreuses régions. Les tribunaux spéciaux créés en février 1801, destinés à juger les crimes et délits commis dans les campagnes et sur les routes, voient leur action renforcée par l’active collaboration de l’arme. De nombreuses bandes sont démantelées, en particulier dans le Midi, mais le brigandage sévit également dans les États annexés, notamment en Italie. De la gendarmerie dépend également la bonne marche de la conscription, essentielle pour la survie de l’Empire : les préfets reçoivent l’ordre de s’appuyer sur l’Arme pour rechercher les déserteurs et fournir chaque année le contingent réclamé par le Gouvernement.

4 – Les unités spécialisées

Parallèlement à la gendarmerie des départements, Napoléon Bonaparte développe les unités spécialisées.

Cavalier

Gendarme à cheval (1807).

Dans la capitale, la garde municipale de Paris, instituée en 1802 mais ne faisant pas partie de la gendarmerie, et qui avait jusqu’alors pour mission essentielle de maintenir l’ordre public, est remplacée le 10 avril 1813 par la gendarmerie impériale de Paris, suite à sa participation au complot du général Malet. Organisée en quatre compagnies, cette dernière est placée pour emploi sous les ordres du préfet de police et son casernement est financé par la municipalité. Son recrutement se fait essentiellement dans la 1re légion de gendarmerie d’Espagne. Son rôle est d’assurer la police quotidienne des rues, la surveillance des lieux de rassemblements populaires (marchés, foires, ports, lieux de spectacles, barrières) et le maintien de l’ordre.

La protection des demeures impériales et des lieux de pouvoir est spécifiquement assurée par la légion de gendarmerie d’élite, commandée par le général Savary puis, à partir de 1810, par le général Durosnel, et composée de six cents hommes recrutés dans les différentes légions parmi leurs meilleurs éléments. Intégrée en 1803 à la garde, sa cavalerie est également chargée de la sécurité personnelle de l’Empereur lors de ses déplacements.

Plaque de shako
de la
gendarmerie impériale
de Paris (1813).

Aigle

Sur les côtes, le maintien de l’ordre est assuré par la gendarmerie des ports et arsenaux, dont l’organisation est régie par l’arrêté du 6 fructidor an XI (24 août 1803). Elle compte six compagnies (implantées dans les ports de Brest, Le Havre, Cherbourg, Lorient, Rochefort et Toulon), quarante-huit brigades et près de trois cents hommes. D’autres compagnies s’implantent bientôt à Anvers, Gênes, Livourne, Amsterdam et Hambourg. Placée sous la tutelle des préfets maritimes, cette gendarmerie est particulièrement chargée d’assurer la police des ports, de surveiller les marins, d’arrêter les déserteurs et les forçats évadés et d’assurer la surveillance extérieure des bagnes.

L’Europe après la paix de tilsit (fin 1807-début 1808)

Carte de l'Europe

Enfin, dans les colonies, des gendarmes sont placés sous l’autorité des gouverneurs et assurent les missions traditionnelles de police, notamment en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et sur l’île Bonaparte (Réunion). Ils participent également à la défense militaire des colonies, notamment contre les tentatives de conquête des forces anglaises, qui finissent par mettre fin à leurs activités.

5 – La gendarmerie et la guerre

Gendarme élite 1805

Cavalier de la gendarmerie
d’élite (vers 1805).

L’Empereur souhaite en outre accroître le prestige militaire de l’arme. Aussi la gendarmerie impériale participe-t-elle à toutes les grandes campagnes napoléoniennes. Elle assure en premier lieu un service prévôtal, dont les principes ont été définis par l’instruction du 29 floréal an VII (18 mai 1799). Chargée d’effectuer des patrouilles dans les camps, elle doit également arrêter les déserteurs, les étrangers et les espions, effectuer le transfèrement des prisonniers de guerre, veiller aux approvisionnements, faire rentrer dans la ligne les soldats qui s’en écartent et assurer la rentrée des réquisitions. C’est Radet lui-même qui, à partir de 1813, assume la charge de grand prévôt de la Grande Armée, succédant ainsi au général Lauer.

La bataille de Villodrigo.

En octobre 1812, les Anglais du général Wellington doivent lever le siège du château de Burgos après le renforcement de l’armée du Portugal par les troupes provenant de l’armée du Nord. Parmi elles figure la 1re légion de gendarmerie à cheval, constituant la brigade de cavalerie de l’armée du Nord avec le 15e chasseurs et un escadron de lanciers de Berg, sous le commandement du colonel Béteille. Le 23 octobre, la brigade subit une attaque de la cavalerie anglaise non loin de Villodrigo : les gendarmes, qui livrent bataille au sabre contre les dragons rouges, enfoncent les lignes ennemies, faisant 250 tués et 85 prisonniers. Atteint de douze coups de sabre, le colonel Béteille survivra à ses blessures. Cette victoire est inscrite au drapeau de la gendarmerie.

Soucieux d’associer l’institution à la gloire de ses armées, Napoléon constitue d’autre part de nombreuses unités combattantes. La guerre d’Espagne, en particulier, mobilise fortement la gendarmerie. Dès 1807, celle-ci fournit un service prévôtal destiné à protéger les communications entre la France et le Portugal. En novembre 1809, vingt escadrons rassemblant un total de quatre mille hommes sont constitués, placés sous le commandement du général Buquet puis organisés en six légions en 1811. Celles-ci sont stationnées à Valladolid, Saragosse, Pampelune, Vitoria, Burgos et Figueras. Elles sont complétées en Catalogne par six compagnies.

Les gendarmes d’Espagne assurent de nombreuses missions, parmi lesquelles la collecte des impôts, l’escorte des convois, la recherche du ravitaillement, le maintien de la tranquillité publique et la protection des voies de communication entre l’Espagne et la France. Mais ils participent également aux combats et s’illustrent lors de nombreuses batailles : le 23 octobre 1812, une brigade de cavalerie comprenant la 1re légion de gendarmerie d’Espagne, le 15e régiment de chasseurs à cheval et l’escadron de lanciers de Berg bouscule ainsi les Dragons rouges anglais à Villodrigo.

Carabine de récompense
et sa plaque.

Fusil-plaque

La gendarmerie est également présente sur la plupart des champs de bataille européens. En 1814, elle participe à la campagne de France et doit faire face à l’invasion du territoire par les troupes alliées, s’illustrant en particulier à Montereau le 18 février.

Par ailleurs, l’extension de l’Empire français renforce l’implantation de la gendarmerie dans les nouveaux départements et les États vassaux. Des légions sont notamment implantées à Turin, Gênes, Hambourg et Amsterdam. Au total, l’Arme compte trente-quatre légions dans l’ensemble de l’Empire, ainsi que six légions en Espagne. Ainsi se diffuse en Europe le modèle d’une police à statut militaire dont s’inspireront par la suite les forces de sécurité de nombreux États.

6 – De la Première à la Seconde Restauration

Colonel Costé

Le colonel Costé (1809).

Après l’abdication de Napoléon et l’établissement de la Première Restauration, Louis XVIII décide de maintenir l’inspection générale de la gendarmerie, mais il en modifie la composition par ordonnance du 11 juillet 1814. Le premier inspecteur général – dont le poste est conservé par Moncey, qui devient alors pair de France et ministre d’État – est désormais assisté de quatre lieutenants généraux et de quatre maréchaux de camp inspecteurs généraux. En revanche, le roi décide, dès le 31 mai, de remplacer la gendarmerie impériale de Paris par une garde royale de Paris et de réduire le nombre de légions à vingt-quatre, tandis que le nombre de compagnies de la gendarmerie des ports et arsenaux est ramené à six.

Le retour de l’Empereur au pouvoir, en mars 1815, entraîne de nouveaux changements, puisque le général Savary est alors nommé premier inspecteur général. Lors des Cent-Jours, l’Arme ne subit cependant aucune épuration, tandis que la gendarmerie impériale de Paris est rétablie. Mais, trois mois plus tard, la défaite de Waterloo met un terme définitif à l’épopée impériale, permettant le rétablissement de la monarchie et annonçant pour l’institution, comme pour l’ensemble de l’armée, une période de difficultés.

À retenir

Créée par la loi du 16 février 1791, la Gendarmerie nationale participe dès l’année suivante à l’effort de guerre en constituant des unités combattantes, avant de traverser une crise profonde et d’être réorganisée par la loi du 28 germinal an VI, « charte de la gendarmerie » qui définit notamment ses missions de police administrative et de police judiciaire. En juillet 1801, Napoléon Bonaparte dote l’institution d’une direction spécifique, constitue un état-major de la gendarmerie et nomme à sa tête un premier inspecteur général en la personne du général Moncey. Celui-ci s’attache à doter la gendarmerie d’un esprit de corps, tandis que les effectifs progressent et que la participation de l’Arme aux campagnes extérieures accroît son prestige militaire. Des unités spécialisées – particulièrement la gendarmerie impériale de Paris et la gendarmerie d’élite – se développent par ailleurs. Si la Première Restauration n’entraîne aucune épuration, la défaite de Waterloo annonce cependant une période difficile.

Inspection 1802

Lieutenant effectuant une inspection (vers 1802).

LE CASERNEMENT

De la fin du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle, les archers de maréchaussée pourvoient à leur logement. La répartition du personnel en brigades de cinq hommes, initiée par l’édit de 1720, modifie quelque peu cette situation : les communautés doivent désormais fournir une écurie et un grenier à fourrage, les archers étant seulement incités à loger dans le même bâtiment. Il faut attendre l’ordonnance de 1769 pour que les communautés soient désormais dans l’obligation de fournir un logement aux cavaliers de maréchaussée. L’ordonnance de 1778 confirme ces dispositions : chaque lieu de résidence doit être pourvu d’une « caserne ou maison » disposant d’une écurie et d’un grenier. En revanche, les officiers se logent selon leur convenance et perçoivent à cet effet une indemnité payée par la province.

À partir de la Révolution, le casernement passe à la charge des départements, et c’est en vain que le Consulat tente de confier à l’inspection générale de la gendarmerie le financement et la gestion de ses immeubles. Pour le sous-officier, la vie en caserne présente l’avantage de pouvoir économiser une somme importante, d’autant que son épouse et ses enfants sont également logés : il s’agit là d’une caractéristique spécifique à la gendarmerie. Mais elle représente également une contrainte, puisque la liberté de circulation du militaire se trouve limitée. Par ailleurs, les conditions de logement sont souvent déplorables, les gendarmes résidant très souvent dans des immeubles insalubres et totalement inadaptés.

Sous le Second Empire, les frais de casernement représentent plus de 50 % des dépenses consacrées par les départements au maintien de l’ordre. Mais, le 31 juillet 1931, une loi de finances fait passer le casernement à la charge de l’État afin de soulager les administrations locales. Celui-ci est tenu de payer un loyer pour les immeubles appartenant aux départements, les collectivités ayant quant à elles la faculté d’acquérir des bâtiments pour les louer ensuite à l’État en vue de loger des gendarmes. En 1946, l’institution est habilitée à gérer son propre parc immobilier.

La concession du logement est définie par le décret du 7 juin 1949 fixant le régime général. Celui-ci distingue la concession par nécessité absolue de service – lorsque l’intérêt du service exige que le fonctionnaire soit logé – et la concession par utilité de service – lorsque le logement du fonctionnaire présente un intérêt pour le service sans pour autant s’avérer indispensable. Mais c’est le décret du 9 juillet 1951 qui définit de manière spécifique le régime de l’attribution du logement aux militaires de la gendarmerie : les personnels de tous grades bénéficient de la concession par nécessité absolue de service, quel que soit l’emploi occupé ; si le parc s’avère insuffisant, l’État peut procéder à la location d’immeubles en complément. Enfin, il est précisé en 1975 que le logement ne peut être considéré comme un avantage en nature – puisque le militaire perd la faculté de choisir son domicile – et, de ce fait, qu’il n’est pas imposable, ce qui constitue une exception unique dans l’administration.

A.B.

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