LA GENDARMERIE ET LA « LIBÉRATION »
Résistance - Combats libérateurs - Réorganisation - Épuration
1944-1945
« Assumer le passé, c’est se donner les moyens de construire l’avenir. » « Le bien et le mal doivent être également reconnus, assumés. C’est le moins que l’on puisse attendre d’un peuple adulte qui a fait du combat pour la liberté et la dignité humaine sa mission la plus haute. »
Monsieur Jacques Chirac.
(Extrait de l’allocution prononcée par le président de la République, le vendredi 5 décembre 1997, au Mémorial du martyr juif inconnu.)
« L’histoire est un orage de fer qui hache comme du bois sec. Après, il faut recueillir les cendres, comprendre, raconter. Les hommes croient trop souvent qu’ils peuvent s’affranchir de ce devoir -oublier serait si facile !-, mais le passé finit tôt ou tard par revenir à la surface. C’est un poids dans la conscience, un fantôme insaisissable, qui empêche de vivre : il étend, jour après jour, une ombre sur l’avenir… »
Hélie Denoix de Saint-Marc.
« Le Présent du passé, c’est la mémoire. Le présent du présent, c’est l’action Le présent du futur, c’est l’imagination. »
Saint-Augustin, Ve siècle.
PRÉFACE
«… et pourtant ils chantaient la même Marseillaise ! »
Pour se lancer dans cette passionnante reconstitution d’un passé contemporain, il paraît indispensable de préciser les préceptes semblant avoir été adoptés par l’auteur :
- notre expérience de la Résistance est intransmissible ;
- l’histoire qui émergera dans le futur sous la pression des universitaires n’a pas besoin de procès-spectacles pour se nourrir et ne jugera pas. Libérée des « a priori » et des pressions partisanes, elle constatera plus objectivement car le temps dissipe l’erreur et affûte la vérité ;
- une affirmation doit s’étayer sur des faits parfaitement avérés ;
- les acteurs de l’époque peuvent et devraient continuer de témoigner quelle que soit la forme d’expression ;
- après 50 ans passés, la plupart des archives « cadenassées » pourraient servir la vérité au lieu d’entretenir des mensonges et surtout des tricheries…
Le colonel Claude Cazals, avec témérité, ténacité, honnêteté, partant d’un imposant patchwork, réalise finalement une fresque répondant, en grande partie, à l’aspiration des survivants de ces tragédies et de leurs descendants. La matière patiemment rassemblée émane de nombreux témoignages, monographies, archives et documents divers volontairement inexploités.
Chaque chapitre constitue indéniablement le socle d’une thèse universitaire au secours de « la mémoire », qui suscitera de nouvelles vocations. Au plan ponctuel, on retiendra sûrement l’exercice d’équilibre des gendarmes sans lesquels la Résistance n’aurait pu survivre et durer. Quelques exemples négatifs confirment ce fait passé sous silence car non conforme au Décret Organique, bible de l’institution qui en fait sa force et sa pérennité.
On retiendra aussi que les brigades territoriales, premier échelon le plus exposé, ont soutenu l’arme chancelante harcelée par des coups insidieux et perfides. La hiérarchie et les autres « subdivisions » semblent avoir davantage appliqué la notion déclarée « vitale » de la sacro-sainte discipline militaire et ressentirent plus systématiquement les transes de la « libération » et de « l’épuration ».
Des faits sobrement relatés de la « purification » sauvage, outrancière ou incomplète raffermissent les paradoxes d’une période anarchique incitant la partie dite « saine » de la population et l’institution à sortir de ce désordre sans rejeter le besoin d’une justice idéale. Il y eut donc des lâchetés parmi tous les antagonistes, des vengeances et surtout des tromperies qui perdurent. On découvre aussi des héroïsmes… mais seulement chez les morts.
Après le « bal des maudits » il fallut recoller, revivifier et redonner une finalité à la remise en route dans le cadre légal. Malgré les séquelles, les traumatismes, les frictions chacun se persuada pour longtemps, d’avoir suivi, par des chemins semés d’embûches, la bonne voie conforme à la loi, à l’éthique, à la raison, à sa conscience, aux ordres des chefs ou plus modestement au patriotisme viscéral.
Beaucoup de ces récents « compétiteurs » se retrouvèrent, dans la jungle ou la rizière, réunis au coude à coude dans les légions de marche et les prévôtés du Corps expéditionnaire en Indochine où ils montrèrent, aux armées, la valeur militaire et la cohésion d’une Gendarmerie tant calomniée par d’injustes critiques. Ils s’efforcèrent aussi d’admettre toutes les opinions, quand elles sont sincères, et sortirent grandis de cette nouvelle épreuve.
J’ai pu mesurer, les tourmentes passées, la réussite de la « reconstruction » par mes anciens, en travaillant, pendant plus de 6 ans dans le même bureau de la « Direction de la Gendarmerie et de la Justice Militaire ». Une palette « multicolore » d’officiers de valeur y étaient réunis : un ancien Prisonnier de Guerre en Allemagne, un capitaine de la Garde à Vichy, deux commandants de section sous l’occupation, un commandant de peloton de la Garde en Algérie qui avait vainement tenté, en 1942, de rejeter à la mer les soldats U.S., un ancien élève-garde de Guéret et, le « terroriste » de surcroît « indochinois » que j’étais…
Trois d’entre eux avaient subi les suspicions de l’épuration. Tous, taisant nos indubitables vérités, « tirions la charrette » dans le même sens, cicatrisant nos blessures et adoucissant nos certitudes.
Pour conclure, si le survol de cette période tragique ne correspondait pas aux dogmes établis, j’en serais satisfait, renforçant ainsi la nécessité d’apporter, aux historiens futurs, notre contribution désintéressée au « devoir de mémoire ».
Général de division (2s) René Louis Omnès, alias « Simoun », ancien chef de maquis groupement V de la sous-Région D2 et fils de gendarme.
Le 18 février 2001
INTRODUCTION
Moins de trois mois après le débarquement du 6 juin 1944 sur les côtes anglo-normandes, le reflux des troupes d’occupation s’accélère. Après la percée d’Avranches le 31 juillet, les blindés alliés libèrent Orléans le 16 août. Le 25, les F.F.I. du colonel Tanguy-Prigent, avec l’aide de la 2e D.B. du général Leclerc, obtiennent la reddition des Allemands dans la capitale. À la mi-septembre, l’ennemi résiste encore dans les poches de l’Atlantique, en Alsace et en Lorraine. Lille doit attendre sa libération, le 2 novembre, Nancy, le 15, Strasbourg, le 23. Mais le drapeau tricolore flotte sur les 9/10e du territoire.
Dans le pays, en proie à un déferlement de ferveur patriotique, c’est une explosion de joie. À l’euphorie et à la liesse succède rapidement l’inquiétude. La Libération, indissociable de l’Occupation dont elle constitue l’épilogue, loin de là, ne termine pas tout. Les drames et les désastres consécutifs à la défaite puis à l’invasion ne se dissipent pas immédiatement. L’immensité de la tâche à accomplir par le Gouvernement provisoire - rétablissement de la légalité républicaine, assainissement des services de l’État, maintien de la sécurité publique, ravitaillement des populations, redressement de l’économie, remise en état du réseau des communications, reconstruction, poursuite de la guerre - exige des efforts, de la discipline et des mesures énergiques. À l’occasion de la nouvelle année, en janvier 1945, le général de Gaulle proclame sa foi en l’avenir :
«…C’est un pays résolu, confiant en soi, maître de lui-même, qui vient de réapparaître entre l’Atlantique et le Rhin. Comme un homme qui, se relevant après un grave accident, tâte ses membres, s’essaie à marcher, reprend ses forces et son aplomb, ainsi avons-nous maintenant fait l’inventaire de nous-mêmes. Nous sommes blessés mais nous sommes debout. »
À l’image de la France, la gendarmerie sort affaiblie de l’Occupation. Elle a subi de plein fouet les effets pervers de l’arrivée au pouvoir du régime de Vichy qui l’a contrainte à des actions malheureuses.
Pour le général Martin, placé à sa tête d’août 1943 à août 1944, «… il y a bien eu de temps en temps quelques fissures, c’était fatal, mais vite colmatées. Elle est arrivée au port, difficilement, après de violentes tempêtes, mais intacte, toute prête à reprendre sa mission. ».(1)
La Libération, en vérité, lui apporte son lot de problèmes. Les motifs de préoccupation ne manquent pas. Son existence est-elle menacée ? Va-t-on reconsidérer les bases de son organisation, les principes de son service, son mode de fonctionnement ? Quel rôle va-t-on lui assigner ? Est-elle en état de reprendre ses missions tant moralement que du point de vue matériel ? Le lourd inventaire de l’Occupation établi, quel regard va-t-on porter sur son action ? Y a-t-il eu, et dans quelle proportion, des gendarmes méritants et des gendarmes coupables ? La République restaurée va-t-elle se montrer généreuse pour les uns, sévère pour les autres ? Répondre à ces interrogations c’est dresser le bilan de l’action de la gendarmerie en tant que telle, mais aussi, celui des membres qui l’incarnent, et éclairer, dans toutes ses dimensions, l’une des pages les plus sombres de son histoire.
Trois volets constituent cet inventaire. Le premier concerne sa réorganisation et sa contribution au rétablissement de la paix publique. Le deuxième se rapporte à l’action résistante de ses personnels. Le dernier aborde la question de l’épuration dans ses rangs.
Contrairement à ce que laisse supposer le choix du titre, le cadre chronologique, dans lequel s’inscrit le sujet, ne se limite pas strictement à la période proprement dite de la Libération, qui va des premiers jours d’août 1944 jusqu’en mai 1945. Il s’étend aux années qui précèdent et à celles qui suivent. Quant au champ d’observation, il intègre non seulement les quelque 40 000 gendarmes en service sous l’Occupation, mais aussi une grande partie des militaires de la G.R.M. séparée de la gendarmerie en octobre 1940.(2)
La dimension de ce corps social, fort de 50 000 hommes en majorité répartis sur l’ensemble du territoire, par petites cellules de 5 à 10 au maximum, confrontés à une situation inédite pendant plus de quatre années, ne facilite pas l’étude entreprise. Ce n’est pas le seul écueil rencontré. Avec le temps qui s’écoule, la disparition de nombreux acteurs nous prive d’informations utiles même si les intéressés n’avaient qu’une vision très partielle de la situation. Chez les survivants, les souvenirs s’estompent. En outre, s’il est aisé d’interroger un résistant, encore que beaucoup, par pudeur, restent très discrets, voire peu expansifs, on se heurte en revanche à la réticence à témoigner d’un partisan du Maréchal ou d’un collaborateur. Quant aux victimes de l’épuration, des blessures encore vives les inclinent à ne pas s’exprimer.
Une masse d’archives existe. Cependant, leur dispersion, ajoutée à des règles strictes de consultation, nuit à leur exploitation. Celles de la gendarmerie se répartissent dans plus d’une centaine de sites du territoire national (archives de la Bibliothèque Nationale, centres d’archives départementales, Service historique de l’armée de Terre à Vincennes, section « archives » du Service historique de la Gendarmerie nationale au Blanc etc.). Une législation contraignante conditionne leur accès. Certes, l’assouplissement recommandé par les pouvoirs publics en matière de délivrance de dérogation, concrétisé par la circulaire du Premier ministre du 2 octobre 1997, est réel dans la plupart des départements ministériels.(3) Les Archives de France donnent l’exemple et autorisent la consultation de dossiers sensibles. Mais, dans le département des armées, on s’en tient à une application plus rigide des règlements.
Toutefois, la gendarmerie sort d’une attitude de réserve tout à fait légitime, inhérente à son statut, comme le prouvent deux initiatives prises au cours des dix dernières années. D’une part, en 1993, elle s’ouvre aux exigences de l’histoire. À l’occasion du baptême d’une promotion d’officiers à Melun, s’exprimant devant les plus hautes personnalités de l’État, son directeur général, Monsieur Dintilhac, l’engage dans la voie de la transparence et d’une lecture lucide de son passé en reconnaissant les erreurs et les manquements constatés pendant l’Occupation :
«…Aujourd’hui, il convient de ne pas oublier. Mieux, il faut reconnaître, je le crois, les souffrances que la Gendarmerie a pu occasionner, volontairement parfois, involontairement le plus souvent, à toutes les victimes innocentes, combattants de l’ombre, déportés pour des motifs politiques ou raciaux, requis pour le S.T.O. »(4)
Auparavant, repliée sur elle-même, elle ne retenait des années noires que la partie la plus valorisante, occultant systématiquement les faits susceptibles de déranger imitée en cela par les historiographes de l’institution, les généraux Besson, Larrieu, et le colonel Saurel. Depuis le début des années 1990, elle commence à transcender certains réflexes de corps qui l’empêchaient d’admettre des vérités considérées comme gênantes pour son image. La démarche courageuse de son représentant, véritable « mea-culpa », passé inaperçu à l’époque, précède celle de l’Église de France et du syndicat national des policiers en tenue qui, en 1998, rendent publique une déclaration solennelle de « repentance ». Elle atteste de la volonté de l’institution d’assumer l’intégralité de son héritage.
Par ailleurs, la création et le fonctionnement effectif, depuis le 1er octobre 1995, d’un service historique, placé sous l’autorité d’un officier général (deuxième section), actuellement le général Georges Philippot, animé par un universitaire, M. Pascal Brouillet, ouvre des perspectives d’avenir. L’établissement d’une convention, entre la direction de la gendarmerie et le Conseil scientifique de l’université de Paris IV,-Sorbonne, ainsi qu’avec la Fondation Nationale des Sciences Politiques, présidée par René Rémond, destinée à promouvoir la recherche scientifique sur l’histoire de l’Arme constitue une première étape. Séminaires de recherche, colloques, soutenance de travaux de maîtrise, de DEA, de doctorat se succèdent depuis 1999 grâce à l’impulsion donnée par le professeur d’histoire contemporaine M. Jean-Noël Luc.(5) En 1999-2000, Serge Berstein et Pierre Milza ont consacré plusieurs séminaires doctoraux à la recherche sur la gendarmerie au XXe siècle, à Sciences Po, dont le suivi était assuré par Éric Alary et Odile Gaultier-Voituriez.
Des universitaires, comme M. François Dieu de l’université de Toulouse I et M. Éric Alary, Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris auteur d’une histoire de la gendarmerie de la Renaissance au IIIe millénaire et de communications remarquées, sur la gendarmerie pendant l’Occupation, à l’occasion de colloques internationaux, contribuent à cette dynamique. Les initiatives prises commencent à porter leurs fruits laissant augurer une moisson fructueuse.
Les conditions semblent donc maintenant réunies pour entreprendre un travail global de mémoire sur l’action de l’Arme pendant l’Occupation dont le but est de faire comprendre aux générations de gendarmes qui ne l’ont pas connue ce qu’a été la réalité de cette époque pour les agents de la force publique. À cet égard, deux grands services publics, la SNCF et la Caisse des dépôts et consignation, donnent l’exemple, même s’il est vrai que la pression des événements n’est pas étrangère à leur démarche. Ainsi, la question des trains de la déportation a suscité, il y a une dizaine d’années, une polémique à la suite de laquelle la SNCF a décidé de s’expliquer sur l’action de l’entreprise durant cette période. Pour sa part, la Caisse des dépôts et consignations a accepté de faire toute la lumière sur son rôle au cours des années noires notamment dans l’application des mesures de spoliation prises par les autorités de Vichy à l’encontre des juifs, des citoyens français ou étrangers ayant trouvé refuge en France facilitant le travail de la mission d’étude Mattéoli sur le sujet.(6)
En l’état actuel de la situation, des barrières freinent encore l’évolution constatée. La gendarmerie protège les correspondances confidentielles - registres 4 et registres 4 P.O.- dans lesquelles se trouvent des éléments de réponse à nombre d’interrogations.(7) C’est une attitude préjudiciable à la bonne intelligence de sa situation sous l’Occupation. Comment apprécier à sa juste valeur le comportement des gendarmes patriotes qui, au péril de leur vie et parfois, jusqu’au sacrifice, ont pris le parti de la liberté, si on ne le met pas en parallèle avec celui de leurs pairs qui ont encouru un châtiment ? Comment rendre leur honneur aux victimes innocentes de règlements de compte où à ceux que l’on a suspectés de collaboration si l’on n’évoque ni le sacrifice des premiers, ni la souffrance des seconds ? En laissant dans l’ombre certains faits, ne court-on pas le risque de porter à mal le culte de la vérité et de la mémoire que l’on défend et entretient auprès des jeunes générations ?
L’étude entreprise s’appuie sur des témoignages, sur l’examen de la presse, soumise préalablement à la critique, car parfois elle relate les événements de façon tendancieuse. Elle se fonde aussi sur des archives officielles. Le recours à des documents privés a apporté un contingent d’informations appréciable qui a permis de relativiser l’inaccessibilité à certaines sources comme l’impossibilité de consulter les correspondances confidentielles ou les dossiers individuels de l’épuration protégés pendant 100 ans. La lecture des ouvrages de base relatifs à l’épuration, à la collaboration et à la Résistance, a fourni des matériaux particulièrement utiles à la compréhension des événements.
Dans son esprit, ce livre écarte toute volonté d’autojustification qu’on pourrait lui prêter sachant que l’auteur a servi dans la gendarmerie. Il ne prétend pas davantage à l’exhaustivité. Plutôt que de juger ou de condamner les gendarmes de l’époque qui ont appliqué les dispositions « légales », il essaye de connaître pour comprendre, ce qui n’exclut pas la recherche de la vérité sans complaisance ni concession.
Prémices à un « travail de mémoire » que des historiens ne manqueront pas d’entreprendre, il lève seulement un coin du voile sur le vécu de l’institution pendant les années noires et ne saurait donc valoir conclusion définitive. Des pièces manquent encore au puzzle pour en avoir une vue cohérente. Puisse-t-il néanmoins ouvrir des portes, constituer des pistes utiles de recherches à ceux que son passé intéresse et qui refusent le silence.
I - LA RESTAURATION
CHAPITRE I
L’ETAT DES LIEUX
Préambule juridique
À la fin du mois d’août 1944, les efforts conjugués de la Résistance intérieure, des armées françaises et alliées aboutissent à la libération d’une partie importante du territoire métropolitain. Une seconde libération commence, juridique celle-là, pour soustraire le pays à l’œuvre législative du Gouvernement de Vichy qui, sur de nombreux points, a pris le contre-pied des idées philosophiques et politiques admises avant l’armistice par la grande majorité du peuple français. Pendant près de quatre années, le régime, instauré sous la pression de l’ennemi, d’inspiration autoritaire - il pratique la répression et l’exclusion, nie la République et les principes de 1789 - a légiféré sur des milliers de questions. Pour n’en citer que quelques-unes, des lois autorisent l’enrôlement dans des formations de l’armée allemande (loi du 22 juillet 1943 pour la Waffen S.S., loi du 17 mars 1944 pour la Kriegsmarine, lois des 11 février et 13 mars 1944 pour la L.V.F. etc.) et dans la milice (loi du 22 juillet 1943). D’autres imposent le service du travail obligatoire pour le compte de l’ennemi, limitent la liberté de la presse, instituent des juridictions d’exception, établissent ou appliquent des discriminations raciales, etc.
L’ordonnance du 9 août 1944, datée d’Alger, publiée le 10 au Journal officiel (n°55) de la République française porte rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, à l’exclusion des départements de l’Alsace et de la Lorraine sur lesquels le Gouvernement de Vichy n’exerçait pas son autorité. En Corse, libérée depuis septembre 1943, le retour à la République est effectif depuis plusieurs mois. Des ordonnances additionnelles, prises respectivement les 11 octobre et 8 décembre 1944, les 31 mars, 6 juin et 2 novembre 1945, complètent le dispositif initial.
Quelles sont les lignes maîtresses du texte de base ? D’abord, il pose deux principes fondamentaux. La forme du Gouvernement de la France « est et demeure la République » En droit, elle n’a pas cessé d’exister. En second lieu, il déclare « nuls et de nul effet » les actes constitutionnels, législatifs et réglementaires édictés par le Gouvernement issu de la défaite de 1940. Pour maîtriser les conséquences innombrables susceptibles de découler de ce postulat, risque d’un chaos juridique notamment, l’ordonnance stipule que la nullité des actes de Vichy « doit être expressément constatée ».
Les annulations obéissent à diverses modalités. L’article 3 annule expressément et globalement les actes les plus nocifs : lois raciales, lois instituant des juridictions d’exception, lois imposant le service du travail obligatoire, lois fixant la structure constitutionnelle du régime issue de l’armistice de 1940 etc. Notons la dissolution des mouvements qui s’étaient fixés pour tâche, avec sa disparition, l’intégration du peuple français dans l’ordre européen par la voie de la collaboration (Légion française des combattants, Service d’ordre légionnaire, Milice, Groupe collaboration, Phalange africaine, Milice antibolchevique, Légion tricolore, Parti franciste, Rassemblement National Populaire, Comité ouvrier de Secours immédiat, mouvement social-Révolutionnaire, Parti populaire français, Jeunesses de France et d’Outre-Mer). Tous les membres de ces groupements, dits antinationaux, tombent sous le coup de « l’indignité nationale », à l’exception de ceux qui appartiennent à la Légion française des combattants. L’ordonnance se montre sélective en laissant en vigueur certaines parties de la législation.
Des tableaux, annexés aux ordonnances, identifient les différentes catégories d’actes non individuels déclarés nuls. Le tableau I énumère les actes de Vichy annulés avec nullité rétroactive. Le tableau II contient les actes dont les effets ne sont annulés qu’à partir de la constatation de leur annulation. Le tableau III introduit sur le territoire continental, où ils sont immédiatement applicables, les textes en vigueur dans les parties de l’Empire libérées qui ont été publiés au J.O. de la « France Libre », de la « France Combattante », du commandant en chef Français civil et militaire depuis le 18 mars 1943 et de la République française publiée à Alger.
Les textes de lois, les arrêtés et décrets se rapportant à la gendarmerie, frappés de nullité, au nombre d’une douzaine, figurent dans le tableau II de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
- Arrêté des 19 août 1942, 21 février et 15 juillet 1943 créant un corps de gendarmerie portant le nom de « Garde personnelle du Chef de l’État ».
- Loi du 5 novembre 1942 portant organisation de la Direction générale de la Gendarmerie nationale en ce qui concerne la fixation des cadres, le recrutement du personnel, l’avancement et la discipline.
- Décret du 5 novembre 1942 relatif au mode de promotion aux classes supérieures des membres de la musique de la garde personnelle du Chef de l’État.
- Décret du 5 novembre 1942 fixant les conditions de recrutement et les rémunérations du personnel chargé de mission à la Direction générale de la gendarmerie.
- Arrêté du 15 novembre 1942 créant une régie d’avance à la Direction générale de la gendarmerie.
- Décret du 9 janvier 1943 portant réorganisation territoriale de la gendarmerie.
- Décret du 30 mars 1943 appliquant au chef du Gouvernement, en ce qui concerne le personnel de la gendarmerie, le bénéfice du décret du 5 septembre 1939.
- Loi du 24 mai 1943 portant organisation de la Direction générale de la garde en ce qui concerne la fixation des cadres, le recrutement du personnel, l’avancement et la discipline.
- Loi du 28 mai 1943 transférant au Secrétaire d’État à l’intérieur les pouvoirs du Secrétaire d’État à la guerre à l’égard du personnel de la garde.
- Loi du 18 août 1943 sur l’avancement et la nomination aux emplois d’officiers dans le corps de la garde.
- Loi du 11 octobre 1943 relative à l’usage des armes par la garde pour assurer le maintien et le rétablissement de l’ordre intérieur.
- Loi du 3 juillet 1944 relative à l’organisation générale de la direction générale de la Gendarmerie nationale en ce qui concerne la fixation des cadres, le recrutement du personnel, l’avancement et la discipline.
Parmi les actes déclarés exécutoires sur le territoire continental applicable à la gendarmerie, le tableau III mentionne :
- l’ordonnance du 5 juillet 1944 portant organisation de la Gendarmerie nationale et de la garde ;
- l’ordonnance du 28 mars 1943 relative à l’organisation de la légion de gendarmerie du Maroc ;
- le décret du 21 juillet 1943 fixant la composition de la gendarmerie de
- Tunisie ;
- le décret du 1er avril 1944 relatif à la réorganisation de la 19e légion de gendarmerie ;
- le décret du 8 juillet 1944 portant rétablissement de l’assermentation des militaires de la garde.
L’avenir de la gendarmerie à la Libération
Cette énumération ne laisse pas de nous interroger : la République restaurée, l’institution est-elle vouée à la disparition, à de profondes transformations ou à une simple réorganisation ? Au cours de son histoire, des situations de crise l’ont déstabilisée, voire menacée dans son existence. Le XIXe siècle lui fit connaître des périodes douloureuses. Pour le moins, elles ont entraîné des changements dans les structures. Presque toujours, les personnels en ont subi les contrecoups.
Dans la tourmente révolutionnaire, en novembre 1789, Mirabeau, à la tribune de l’Assemblée nationale, demande sa suppression pure et simple alléguant de sa collaboration avec le despotisme. Après l’abdication de Fontainebleau, sous la Première Restauration, à Saint-Ouen, Louis XVIII déclare « qu’il vient rétablir la concorde et amnistie d’avance les serviteurs du régime déchu ». Une ordonnance du 11 juillet 1814 ramène l’institution aux proportions laissées au territoire national par le premier traité de Paris.
Pendant les Cent jours, entre mars et juin 1815, il n’y a pas de mesure générale d’épuration du corps mais des sanctions individuelles contre les sujets qui, sous la Première Restauration, ont montré trop d’hostilité à l’Empereur. Lors de la Seconde Restauration (1815-1830), des fanatiques plus royalistes que Louis XVIII, influencés par le duc d’Angoulême, le poussent à la vengeance. Ils reprochent à la gendarmerie son obéissance à « l’usurpateur ». Une épuration sévère frappe l’Arme. À Besançon, une juridiction d’exception condamne un « haut gendarme », le général Radet, à neuf ans de détention pour avoir « par ses écrits et ses discours, cherché à éloigner de leurs devoirs les militaires et sujets restés fidèles à leur souverain légitime ». Après la révolution de 1830, une nouvelle épuration frappe les gendarmes. Le pouvoir supprime la gendarmerie royale de Paris parce qu’elle a obéi à ses chefs et a combattu le peuple révolté. La révolution de 1848 a des répercussions sur les structures de la gendarmerie territoriale ; elle est alors réorganisée. Postérieurement au coup d’État du 2 décembre 1851, le maréchal de Saint-Arnaud, Ministre de la Guerre, procède à une refonte de son organisation. L’État français donne lui aussi l’exemple de l’épuration. Outre l’élimination de personnels pour des raisons raciales et politiques il procède à des transformations profondes de l’institution.
Courant août 1944, des commissaires régionaux de la République licencient plusieurs formations des forces mobiles du maintien de l’ordre (G.M.R., Garde - 6e régiment de Toulouse et 1er régiment de Lyon -) jugées trop compromises pendant l’Occupation.(8) Leur initiative laisse craindre le pire pour la gendarmerie non exempte de critiques. Cependant, à aucun moment, on n’observe de phénomène de rejet à son endroit.
Pour de multiples raisons, dont le réalisme politique, les nouvelles autorités n’ont pas l’intention de la démanteler. L’État a besoin d’un appareil policier fort pour maintenir l’ordre public menacé par le déchaînement des passions suscitées par les années de servitude. Certes, les policiers improvisés, membres des F.F.I. et des Milices patriotiques, n’ont pas vocation pour assurer la sécurité intérieure. Ils ne présentent pas les garanties requises de compétence et de fiabilité pour accomplir des missions habituellement dévolues à des professionnels. Mais surtout, un renouvellement massif des personnels en place serait préjudiciable à l’efficacité de ce bras armé de l’État.
Le Gouvernement sait pouvoir compter sur une Arme dévouée au service du pays. En 1940, durant la campagne de France, elle a rempli ses missions sans défaillance. Après la défaite, dans les possessions coloniales libérées, puis en Afrique du Nord, après le débarquement des Alliés en novembre 1942, elle participe à l’effort de guerre. Garde et gendarmerie constituent des prévôtés au profit de l’armée française renaissante, détachent des instructeurs dans les corps de troupe, encadrent des unités de combat. À partir de 1942, des officiers et sous-officiers se distinguent au cours des campagnes de Tunisie, d’Italie, de Corse, de France et d’Allemagne. D’autres, mis à la disposition des services spéciaux, effectuent des missions clandestines dans les territoires occupés (capitaine Demettre, capitaine Colonna d’Istria). Après le débarquement, plus de dix mille gendarmes et gardes participent aux combats de la Libération.(9)
Les vertus de son organisation militent en sa faveur. Son implantation constitue un premier atout. La répartition sur le territoire, principalement dans les campagnes, de ses quatre mille brigades garantit aux autorités le contrôle d’une grande partie du pays. Son potentiel élevé, qui avoisine 50.000 hommes, représente un second atout. C’est une force importante capable d’apporter un appui solide au Gouvernement provisoire, dont l’autorité n’est pas encore assise.
Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner si, avant la promulgation des textes, relatifs au rétablissement de la légalité républicaine, une ordonnance, en date du 5 juillet 1944, prévoit sa réorganisation sur les bases qui étaient les siennes avant la signature de l’armistice du 20 juin 1940.(10) Dans cette perspective, dès le mois de juin, le C.F.L.N. demande au commandement de prendre les dispositions nécessaires pour que la gendarmerie puisse assurer la continuité de son action en métropole au fur et à mesure que le Gouvernement de la République retrouve le plein exercice de ses fonctions. Le 21, le général Taillardat, commandant supérieur de la gendarmerie en Algérie, signe la directive sur l’organisation et l’emploi des détachements de gendarmerie constitués en Afrique du Nord, appelés à intervenir sur le territoire métropolitain libéré.(11) Quelques jours après, le détachement de gendarmerie n°1 embarque à Alger à destination de Liverpool. Débarqué à Cherbourg début août, sa mission commence.
Dès le mois de septembre 1944, dans une région qui vient juste d’être libérée, un colonel inspecteur d’arrondissement informe ses commandants de légion que la gendarmerie, en accord avec le commissaire régional de la République, « conserve ses structures et ses missions habituelles ». Suivent des directives sur l’attitude à adopter dans cette période de transition :
« Si la gendarmerie doit satisfaire, dans la mesure où elle le peut, aux demandes de concours qui lui sont adressées par les organismes actuellement reconnus par le nouveau Gouvernement, elle doit éviter de confondre son action avec ce qui n’est pas légalement établi.
C’est ainsi qu’en matière d’assainissement du personnel de l’Arme, il y a lieu de s’en tenir à la répression des fautes contre l’honneur, la discipline et l’inconduite habituelle.
En attendant les nouvelles instructions du Gouvernement, il ne peut être question de mesures provoquées par d’autres comportements et les mutations ou affectations prononcées par les chefs de corps ont un caractère provisoire. »
Les hommes aux commandes
Après quatre années d’occupation, pour réorganiser la gendarmerie affaiblie, ébranlée, meurtrie, souvent contestée, le Gouvernement, successivement, entre le mois de juillet 1944 et 1947, nomme quatre directeurs à sa tête.
Tous appartiennent au corps des officiers de gendarmerie. L’évocation succincte de leur profil met d’une part en évidence leur position pendant l’Occupation, d’autre part, leur attitude du point de vue national.
Juillet - novembre 1944 : lieutenant-colonel Girard(12)
Le 21 juillet 1944, alors que le territoire n’est pas encore libéré, le général Koenig, commandant supérieur des forces françaises en Grande-Bretagne, délégué militaire du G.P.R.F., crée une direction de la gendarmerie de circonstance, chargée de prendre les mesures indispensables pour assurer la continuité avec celle de Vichy. À sa tête, il nomme le lieutenant-colonel Girard. Âgé de 44 ans, ce Saint-Maixantais d’origine, admis dans l’Arme en 1930, se trouve en Afrique du Nord, en novembre 1942, au moment du débarquement des Américains. Chef d’escadron à cette époque, il commande la compagnie de gendarmerie départementale de Mascara (Algérie). En octobre 1943, ses chefs le détachent à l’état-major de l’armée B du général de Lattre de Tassigny où le 2 février 1944 on lui confie le commandement des forces prévôtales. Cette affectation s’accompagne en février 44 d’une promotion au grade de lieutenant-colonel à titre temporaire. Une décision du 25 juin 1944 le détache au commandement supérieur des Forces françaises en Grande-Bretagne. Nommé directeur de la gendarmerie, une double mission lui incombe. Dans l’immédiat, il lui appartient d’orienter, de contrôler et de coordonner le service dans les territoires libérés. La deuxième phase de son action consiste à préparer un projet de réorganisation de la gendarmerie pour le temps de paix. Après avoir mené à bien l’essentiel de sa tâche, quatre mois plus tard, le 25 novembre 1944, il prend le commandement de la légion de gendarmerie du Maroc à Rabat. Une ordonnance du 1er septembre 1945 transforme sa promotion au grade de lieutenant-colonel à titre temporaire en promotion à titre définitif pour prendre rang au 25 mars 1944.
Novembre 1944 - Décembre 1945 : colonel Meunier(13)
Le colonel Meunier lui succède. Issu du rang, âgé de 55 ans, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, amputé du bras gauche à la suite d’une blessure par balle en 1915, son action pendant les hostilités lui vaut d’être nommé chevalier de la Légion d’Honneur. Au lendemain de la grande guerre, en 1919, il intègre la gendarmerie. En 1941, chef d’escadron, il sert à la 12e légion où il remplit les fonctions d’adjoint administratif. Un arrêté du 30 septembre 1941 le déclare démissionnaire d’office en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie. Moins de 15 jours après, le 12 octobre, une nouvelle décision le radie des contrôles de la légion. Chassé de la gendarmerie, il doit attendre le 26 août 1944 pour y retrouver sa place. Réintégré dans les cadres de l’armée active sans interruption de services, il exerce les fonctions de chef d’état-major du général Capdevielle commandant de la gendarmerie de la région de Paris. En mars 1945, en réparation du préjudice de carrière qu’il a subi, il bénéficie successivement d’une promotion aux grades de lieutenant-colonel et de colonel, d’abord à titre temporaire puis définitif. Pendant près d’une année, à la tête de la direction, le colonel Meunier poursuit la tâche de rénovation entreprise par son prédécesseur, mission d’autant plus délicate qu’elle coïncide avec l’épuration administrative interne. Le 13 décembre 1945, atteint par la limite d’âge de son grade, il cesse ses fonctions et bénéficie d’une promotion au grade de général de brigade dans la 2e section du cadre de l’État-Major général de l’armée.
Décembre 1945 - Mai 1946 : général Duin(14)
Avec la nomination, le 20 décembre 1945, du général Duin, né en 1890, la continuité l’emporte sur la rupture. L’intéressé a servi sous Vichy, sans interruption, jusqu’en juin 1944, date de son arrestation par la police allemande. Valeureux combattant de la Première Guerre mondiale - cinq fois cité et blessé - ce Saint-Maixantais entre dans la gendarmerie avec le grade de capitaine en 1922 et exerce des commandements importants dans les deux subdivisions d’arme. À Toulouse, depuis 1941, il est successivement colonel inspecteur puis commandant de la gendarmerie de la 7e région. Début juin 1944, par mesure de précaution, la police allemande procède à une vague d’arrestations dans le midi de la France à Montpellier, Béziers, Carcassonne, Toulouse etc., qui touche des personnalités des sphères administratives, religieuses, financières, et de la police. Le 9 juin, à 7 heures du matin, la Gestapo l’interpelle à son domicile. À la prison Saint-Michel, à Toulouse, il se retrouve avec 17 autres otages dont Monseigneur de Solage, recteur de l’institut catholique, M.M. A. Sarraut, directeur de « La Dépêche » et Baylet, administrateur, le recteur Deltheil, Haon, maire de la ville, Obez, chef de cabinet du préfet régional, Jean, contrôleur général de la police, Fau et Escudié présidents de chambre à la cour d’appel etc. Envoyés au camp de concentration de Neuengamme, la plupart des otages bénéficieront du statut de « Proeminenten », « déportés d’honneur » jouissant d’un régime spécial selon lequel ils étaient dispensés de travailler.(15)
À la même date, plusieurs de ses subordonnés, le lieutenant-colonel Hiriart, commandant en second la légion de Guyenne, le chef d’escadron Barras, commandant la compagnie de l’Ariège, le lieutenant Keller, commandant la section de Saint-Girons connaissent la même infortune. Le colonel Cabanié, commandant la légion de Gascogne à Toulouse, échappe à la rafle. Par mesure de précaution, il a quitté son logement avant que les Allemands ne s’y présentent.
Les autorités d’occupation ne formulent aucune accusation de Résistance à l’encontre du général. Tout au plus, le soupçonnent-ils de ne leur être guère favorable. Un membre du P.P.F., Paris, ancien officier d’active à la solde de la Gestapo, capturé par le groupe Morhange, quelques mois auparavant, lors de son interrogatoire, déclare avoir été introduit dans cette organisation afin de rechercher les communistes, les gaullistes notoires, les « terroristes », les principaux membres de l’A.S., les émetteurs clandestins et les dépôts d’armes. Il ajoute avoir dénoncé des résistants :
« J’ai signalé environ 30 officiers dont les généraux Murat, Paris, Laurent de Rau, Dusseignaux, le colonel Salles, le lieutenant-colonel Faivre, le commandant Brière. Je n’ai pas signalé le général Duin dont le nom figure sur une note le concernant trouvée dans mon portefeuille… »(16)
Le document ne contient pas d’accusation contre lui. Quant au compte rendu que le capitaine Ourta, son adjoint, adresse à la direction générale, après son interpellation, il n’apporte aucun élément d’information sur les raisons qui la motivent :
« Le vendredi 9 juin 1944 à 7 heures 15, le général de brigade Duin a été arrêté par des éléments de la police allemande de sûreté à son domicile 5, Place Wilson à Toulouse. Le motif de cette décision n’est pas connu.
D’autres arrestations semblables ont eu lieu en même temps. Elles portent sur des responsables parmi lesquels se trouve, le maire, le chef de cabinet du préfet de région, l’archevêque etc. »(17)
Pour son successeur, le colonel Desfontaine, « les motifs de son arrestation par les autorités allemandes ne sont pas connus mais cette arrestation résulte certainement de la nature des fonctions même exercées par le général… »(18)
Vers la mi-juin, le préfet régional effectue une démarche auprès de la sûreté allemande pour tenter d’obtenir sa libération. Il invoque l’action humanitaire de son fils. Ce dernier, médecin, a soigné le 12 juin 1944, dans la région d’Aire-sur-Adour, des soldats allemands blessés à la suite d’un accrochage avec des maquisards.(19) Son intervention reste vaine. Six jours après leur arrestation, le 15 juin, les Allemands transfèrent les otages au Stalag 122 de Compiègne. Le 16 juillet, ils les acheminent par voie ferrée à destination du camp de Neungamme près de Hambourg. À partir du 2 avril 1945, les nazis déplacent successivement le général Duin au camp de Flessenbergue, à la frontière bavaroise puis à la forteresse de Terezin, en Tchécoslovaquie, enfin au camp de Brescia à 40 kilomètres de Prague. Le 12 mai 1945, maquis tchèques et troupes russes le libèrent. Le 19, très éprouvé, il est rapatrié en France.
Trois faits caractérisent sa situation pendant l’Occupation. D’une part, le 12 août 1943, Laval, chef du Gouvernement, le nomme général de brigade. Sa promotion coïncide avec celle du général Martin choisi en même temps pour exercer les fonctions de directeur général de la gendarmerie.(20) D’autre part, le loyalisme qu’affiche le général Duin, à l’égard du régime de Vichy, n’est que de façade, même s’il se montre intransigeant à l’égard des personnels. L’ordre du jour qu’il adresse en avril 1943, lors de sa prise de fonction, aux officiers, gradés et gendarmes des légions placées sous ses ordres, atteste de sa détermination :
« Je n’ignore rien de la tâche écrasante qui incombe à la gendarmerie et je connais vos difficultés.
Je vous assure donc de toute ma bienveillance, mais en raison de ces lourdes charges qui exigent à tous les échelons un don absolu de soi-même, je suis décidé à réprimer avec la dernière rigueur à une heure ou se jouent les destinées du pays tout manquement et toute défaillance.
À tous officiers, gradés et gendarmes j’adresse mon salut le plus cordial. »(21)
Enfin, une fiche le concernant, établie le 22 juin 1945 par la sous-commission d’épuration, met l’accent sur son attitude patriotique. Elle précise « qu’il a constamment manifesté des sentiments anti-allemands, a entretenu le même esprit chez son personnel et a défendu la gendarmerie contre les exigences de l’occupant et de la milice. Il a facilité l’action de la Résistance notamment en acceptant la participation de ses subordonnés à l’activité du S.R. et en se tenant lui-même en liaison, avec le lieutenant-colonel Fatigue, membre de l’O.R.A. et avec le commandant Devaux chef d’antenne de la sécurité militaire de Toulouse… »
Son action lui vaut une double reconnaissance. D’abord, une promotion au grade de général de division, le 1er octobre 1945, deux mois avant sa nomination au poste de directeur de la gendarmerie. Ensuite, la médaille de la Résistance, le 24 avril 1946.
Le temps pendant lequel il exerce les fonctions de directeur n’excède pas cinq mois. Pendant ce court délai, dont on ignore la raison, avec conviction, il s’investit totalement dans la tâche de rénovation matérielle et morale de l’arme sortie éprouvée de la guerre. Le 14 mai 1946, il prend les fonctions d’inspecteur général de la gendarmerie poste qu’il occupe jusqu’en décembre 1950. Atteint par la limite d’âge de son grade, il se retire à Grenoble où il décède brutalement le 9 janvier 1965.
Mai 1946 - Juillet 1947 : colonel Rouyer(22)
Le colonel Rouyer lui succède le 14 mai 1946. Saint-cyrien, âgé de 52 ans, il se distingue, comme son prédécesseur, pendant la Grande Guerre au cours de laquelle il est blessé et cité. Son admission dans la gendarmerie remonte à l’année 1919. Pendant les hostilités, chef d’escadrons, il sert à la 4e légion de G.R.M. Le 15 novembre 1940, une dépêche ministérielle le désigne comme sous-directeur de la garde. En 1941, promu lieutenant-colonel, il commande par intérim la 3e légion de la garde à Montpellier. À la mi-décembre, il part en congé d’armistice. Puis, courant mars 1942, dans le cadre de la loi relative au dégagement des cadres prise en 1940, il demande à faire valoir ses droits à la retraite, avec jouissance immédiate. Le l2 janvier 1945, le ministre le rappelle à l’activité et lui confie successivement plusieurs responsabilités. Dans un premier temps, il reçoit une affectation à la tête de l’école d’application de gendarmerie de Mamers. À ce poste, il ne reste que quelques mois puisque le 14 août il prend le commandement de la 6e légion de Garde républicaine. Au mois de novembre, il est promu au grade de colonel à compter de 1943. Le 29 janvier 1946, nouvelle affectation. Il rejoint l’état-major particulier de l’inspecteur des formations de la Garde républicaine à Paris. Toujours en début d’année, il prend rang de général de brigade. Un décret du 14 mai l’affecte en qualité de directeur de la gendarmerie. Pendant quatorze mois, il exerce cette responsabilité. Le 19 juillet 1947, il est placé à la tête de l’arrondissement de gendarmerie de Paris en qualité d’inspecteur. Il décède en 1949 alors qu’il occupe le poste de commandant régional de la gendarmerie de la 5e région militaire.
Au départ du général Rouyer, en juillet 1947, le poste de directeur revient à un magistrat de l’ordre judiciaire, M. Gérard Turpault, substitut du Procureur Général près la cour d’appel de Paris. Comme elle l’était avant le début de la Seconde Guerre mondiale, la gendarmerie retombe sous l’autorité d’un civil.
La crise matérielle et morale : étude de cas
Dès le rétablissement de la légalité républicaine, la gendarmerie doit simultanément mettre en œuvre un plan de réorganisation pour reprendre sa structure antérieure à l’Occupation, remplir ses missions et éliminer de ses rangs les éléments qui se sont compromis sous Vichy. Or, elle est en proie à une crise sérieuse, aggravée par des facteurs externes, préjudiciable à la réalisation de son programme, qu’il lui faut surmonter.
La présentation succincte de la situation à la Libération d’une compagnie de gendarmerie départementale rend compte assez bien du climat général et de l’état de l’ensemble de l’Arme. Quelle est la physionomie de la compagnie de la Loire entre le 19 août, date à laquelle la garnison allemande de Saint-Étienne quitte la ville, et la mi-septembre au moment où le service normal reprend lentement ? Depuis la mi-juin, à la suite du regroupement des effectifs des brigades, pour une partie dans les sections (sections de Roanne et de Rive-de-Gier), pour l’autre au chef-lieu compagnie (section de Saint-Étienne et de Montbrison) l’activité est fortement perturbée. Les gendarmes ne remplissent plus leurs missions traditionnelles dans les campagnes. Leur absence, dans quelques secteurs, crée des situations délicates. Les enquêtes de toute nature et les divers procès-verbaux destinés aux autorités ne sont que partiellement exécutés. Lorsqu’ils le sont, ils n’arrivent pas à leurs destinataires en raison de la paralysie des réseaux de distribution du courrier officiel. Le 18 août, à l’initiative du lieutenant Sanvoisin, officier adjoint au commandant de compagnie, trente-quatre gradés et gendarmes, regroupés à Saint-Étienne, rejoignent le maquis. Outre ce ralliement collectif, on enregistre depuis le mois de juin la désertion d’au moins une douzaine de gradés et de gendarmes. Depuis la fin du mois d’août, le commandant de compagnie n’est plus à son poste. Sur injonction de la Résistance, il a quitté précipitamment Saint-Étienne, de nuit, avec sa famille, pour se soustraire à des menaces. Le sous-lieutenant G…, en réserve de commandement, détaché en Haute-Savoie, ne donne plus signe de vie. Le seul officier présent au chef-lieu de compagnie, le capitaine D…, désemparé par les événements, n’est pas en mesure de s’imposer. Le 9 septembre, il rend visite au lieutenant Sanvoisin qui le décrit ainsi :
« Cet officier toujours affable était cependant moins détendu et souriant. Il fit part de ses inquiétudes pour son avenir, étant donné qu’il avait observé pendant l’occupation la plus stricte neutralité. Il avait en effet exercé ses fonctions sans aucune compromission, en faisant preuve d’une prudence attentive et frileuse. En bref, « il avait duré » en limitant ses responsabilités à la transmission, sans aucun commentaire des ordres reçus… »(23)
Moins de dix jours après la Libération, lorsque des résistants, qui prétendent appartenir au comité d’épuration, viennent réclamer les registres de correspondances confidentielles, il ne s’oppose pas à l’enlèvement de ces documents sensibles. Ceux-ci contiennent les diligences déployées par les officiers, gradés et gendarmes dans le cadre de la lutte contre les opposants au régime de Vichy.
Abandonnés à eux-mêmes, ce n’est que plusieurs jours après le départ des Allemands de Saint-Étienne que les gendarmes, rassemblés à la compagnie, regagnent, sans en avoir reçu l’ordre, leurs brigades respectives.
Des comportements très variables, face à une situation confuse
Comment se présente la situation d’ensemble de la gendarmerie ? Si la victoire gomme momentanément tous les problèmes, de dures réalités ne tardent pas à apparaître. Après le départ de l’occupant, dans les semaines et mois qui suivent, d’un bout à l’autre du territoire, règne une vive agitation. Des événements graves se produisent : attentats à main armée, assassinats, vols qualifiés, sabotages. S’y ajoutent des abus d’autorité, des arrestations illégales, des réquisitions intempestives et non fondées, des malversations. La violence s’exerce davantage dans certaines régions, c’est le cas par exemple dans les Côtes-du-Nord (actuelles Côtes-d’Armor). Ces actes, source de confusion, émeuvent l’opinion. Une légitime inquiétude s’empare des populations.
La gendarmerie, pour diverses raisons, ne parvient pas à s’imposer. Le préfet des Côtes-du-Nord, Gabriel Gamblin, note dans un rapport du 25 août, que des bandes incontrôlées « font régner la terreur dans la région de Rostrenen, et de Maël-Carhaix (arrondissement de Guingamp). Des résistants eux-mêmes sont pillés ou rançonnés. Les 200 gendarmes du département terrorisés, ne peuvent pas grand-chose pour empêcher ces abus qui attristent les honnêtes gens… »
Dès sa prise de fonction, François Closon, commissaire de la République de la région du Nord, trouve un climat d’insécurité inacceptable. La gendarmerie n’est pas en mesure de maîtriser la situation face aux éléments incontrôlés de la Résistance et aux délinquants qui sèment le trouble. En conséquence, il convoque le général commandant la 2e région et son état-major et les admoneste :
«…Je leur déclarais que leurs hommes pillaient, se conduisaient souvent comme des brigands, que je ne laisserais pas se défigurer le visage de la Résistance, que ce n’était pas pour cela que je m’étais battu et que je ferais arrêter tout officier dont les hommes auraient été pris à voler. Bien entendu je donnais des instructions très fermes à la gendarmerie… »
L’inefficacité de la gendarmerie se vérifie dans d’autres parties du territoire. Dans le Lot, par exemple, elle se trouve aussi dans une mauvaise position pour maintenir le bon ordre. Le préfet du département impute le climat d’insécurité qui y règne à « la faiblesse de ses moyens et à la nonchalance de certains gendarmes qui donnent l’impression d’avoir bien des choses à se faire pardonner ».
Le rapport de force entre la gendarmerie et les formations de la Résistance incontrôlées penche en faveur de ces dernières comme en font état maints rapports. Le 23 octobre 1944, le capitaine commandant la section de Bayonne rend compte des difficultés auxquelles se heurtent les gendarmes dans l’exécution du service :
«…les unités F.F.I. ou F.T.P., écrit-il, ne sont pas toujours disposées à livrer à la gendarmerie les auteurs de délits commis par certains éléments troubles qui se sont glissés parmi eux. Plusieurs cas récents viennent de prouver que la gendarmerie risque de se trouver impuissante devant des éléments mieux armés qu’elle… »(24)
La vacuité du pouvoir ne facilite pas l’action de la gendarmerie. En septembre 1944, dans le centre et le midi, le Gouvernement n’a aucun contrôle sur certains groupements insurrectionnels des F.F.I. À Limoges, les communistes refusent de reconnaître ses envoyés. Raymond Aubrac, commissaire de la République de la région de Marseille, déclare au général de Gaulle, le 12 septembre 1944, qu’il ne se sent pas sûr de pouvoir faire maintenir l’ordre. Dans le Tarn-et-Garonne, les F.T.P. jugent à nouveau des personnes innocentées par les commissions d’épuration et procèdent à des exécutions. Des Espagnols, enrôlés dans les Milices patriotiques, contrôlent les gares. Le préfet n’est pas écouté. On observe une situation comparable dans le département voisin du Lot-et-Garonne où le C.D.L. manifeste de sérieuses exigences et met en échec l’autorité du préfet. L’effervescence gagne toute la frontière des Pyrénées. Les guérilleros espagnols stationnés en France, qui viennent de se battre avec les F.F.I. contre l’occupant, manifestent une attitude hostile au Gouvernement de Franco. Beaucoup mieux armés que les forces de police, ils font peser une menace pour la tranquillité publique. Les éléments des F.F.I., chargés de la surveillance de la frontière, ne sont pas en mesure d’empêcher les opérations qu’ils lancent contre les forces de sécurité espagnoles. En décembre 1944, plusieurs milliers d’entre eux tentent de pénétrer en Espagne par le Val d’Aran, dans l’intention déclarée d’y déclencher un soulèvement antifranquiste. Mais, les troupes du Caudillo les attendent, munies d’armes lourdes. C’est l’échec et le repli vers la France.
La poursuite des hostilités sur le territoire métropolitain, puis hors des frontières, jusqu’au mois de mai de l’année 1945, constitue un autre facteur de perturbation. En septembre 1944, les Allemands occupent encore sept départements de même qu’une partie de la Lorraine et de l’Alsace. La réduction des poches de résistance qu’ils tiennent à Royan, La Rochelle, Saint-Nazaire, Lorient, Dunkerque, pour empêcher les Alliés d’utiliser les ports de l’Atlantique en vue de l’acheminement de leurs troupes et des matériels, traîne en longueur. Les combats qui se déroulent sur les côtes de l’Atlantique, en octobre 1944, affectent la bonne marche des unités. La 9e légion, gênée par la présence de détachements allemands, mais aussi, comme le note son chef de corps, « par les interventions intempestives des F.F.I. dans les campagnes et dans les brigades », rencontre de sérieux obstacles pour mener à bien son action. Il faut attendre la chute de Royan, le 20 avril 1945, pour que les gendarmes reprennent le cours normal de leurs activités.
Ainsi se présente l’environnement peu propice dans lequel la gendarmerie doit opérer. De surcroît, une crise interne, matérielle et morale, aggrave sa situation, dont les chefs de corps se font l’écho. Tous constatent et soulignent avec force l’existence d’un malaise relativement profond qui sévit dans l’Arme. En octobre 1944, le lieutenant-colonel placé à la tête de la 18e légion écrit :
« Les officiers de la légion qui pendant quatre ans ont supporté avec courage et dévouement les rigueurs de l’occupation sont un peu découragés de constater les attaques nombreuses dont ils sont l’objet. Ils sont suspectés sinon dénoncés par les autorités qui ignorent la mission de la gendarmerie et le rôle qu’elle a joué pendant l’occupation ainsi que les dangers constants qui ont pesé sur elle… »(25)
Un autre chef de corps précise :
«…Une psychose de crainte sévit actuellement sur le personnel et paralyse son activité. Il se sent confusément menacé sans comprendre les attaques souvent sournoises dont il est l’objet… »
Tel autre rapporte que « les commandants de brigade supportent le poids des vexations ou des menaces envers l’arme… »
Un commandant de légion de la Garde républicaine indique que « le personnel a été peiné des attaques, en général injustes, dont il a été l’objet depuis la libération. Conscient d’avoir fait son devoir, il estime avoir droit à la confiance de toutes les autorités… »(26)
Dans la 12e légion, le chef de corps note que « la libération rapide du territoire de la légion a été accueillie avec joie et a eu sur l’état d’esprit des officiers un effet des plus heureux. Cependant certains d’entre eux subissent actuellement une crise d’inquiétude et de découragement »… Par ailleurs, quelques-uns sont profondément affectés par les mesures prises contre eux et par l’attitude de certains comités locaux d’épuration. Chacun veut espérer en la bienveillance et en la compréhension de ses chefs et fait confiance au directeur de l’arme pour qu’un climat de sécurité et de certitude du lendemain soit créé au plus tôt… »(27)
Des brigades dépouillées de leur matériel
Les personnels se débattent au milieu d’innombrables problèmes de logistique. La pénurie touche la plupart des formations dont certaines sont dépossédées de leurs armes, de leurs véhicules, de leur matériel voire même de leurs casernes lorsque celles-ci ne sont pas détruites ou endommagées. Le 21 octobre 1944, le lieutenant-colonel Bergougnoux, commandant la 14e légion à Lyon, rend compte de déficits importants en armes et matériels. Il ne dispose que de 809 mousquetons alors que les besoins s’élèvent à 2 164, de 1 008 pistolets, il en faudrait 1 948 etc. Le capitaine commandant provisoirement la compagnie du Lot signale, le 9 août 1944, la perte de 176 mousquetons, 173 sabres-baïonnettes, 52 pistolets automatiques, 128 revolvers, 15 sabres enlevés par les maquisards. En outre, avant leur retraite, les Allemands s’emparent de 26 mousquetons, 24 sabres, 10 P.A. et 21 revolvers. Le commandement doit pourvoir encore au remplacement de moyens et matériels divers perdus, saisis, ou détruits : véhicules, machines à écrire, bicyclettes etc. Or les approvisionnements sont inexistants. Dans le département de la Manche, à la suite de bombardements, on enregistre la perte de 25 casernes (12 entièrement détruites et 13 fortement endommagées). D’autres ont été incendiées au cours des combats de la Libération comme celle de Rimont (Ariège) en août 1944 ou à l’occasion de représailles exercées par les troupes allemandes lors d’opérations de police : caserne de La Bachellerie (Dordogne) le 11 juin 1944, caserne de Grenade-sur-Adour (Basses-Pyrénées) le 1er juin 1944, caserne de Salignac (Dordogne) le 25 juin 1944 etc. Le 18 juin, l’aviation allemande bombarde la localité d’Houeillès (Lot-et-Garonne) occupée par des groupes de la Résistance. Les bombes détruisent presque complètement l’immeuble. Dans le département des Vosges, le 8 novembre 1944, l’occupant incendie celle de Gérardmer. Quelques semaines auparavant, courant septembre, avant de quitter Charmes, les nazis font sauter le bâtiment de la gendarmerie. Dans ces différentes résidences, la réinstallation des services et des logements pour les personnels et leurs familles exige des mesures d’urgence. Les effets d’habillement et d’équipement sont, dans l’ensemble, à l’extrême limite d’usure. L’Arme ne dispose dans ses magasins d’aucune réserve.
Les unités privées de téléphone et même de liaison postale ordinaire ne se comptent pas. La précarité des communications affecte l’exercice du commandement. Le 10 septembre 1944, pour acheminer un message à la compagnie des Hautes-Pyrénées, la direction, faute de liaison directe, le fait transiter par le centre de gendarmerie de Cholet jusqu’à la compagnie de Bordeaux. À partir de la section de La Réole, sa transmission s’effectue de brigade à brigade par chemin de fer. Le contenu de la mission demandée révèle les aléas du moment :
« Rendre compte par la même voie.
Situation libération des limites extérieures de la zone sud où se trouvent encore des troupes.
Forces réelles des Allemands - lieux de stationnement - effectifs.
Situation dans les régions libérées. Autorités qui sont en place. Mesures prises ou à prendre.
Gendarmerie - situation générale.
Les compte rendus pour le retour suivront le trajet inverse de préférence la compagnie de la Charente.
Les troupes allemandes occupant toujours la zone nord de la Charente-Maritime, poursuivre le plus loin en zone sud afin d’établir la liaison. »
Les premiers coups de balai et les affrontements internes
Plus que les contingences matérielles, le malaise moral, fruit de la désorganisation du commandement, de l’éclatement de nombreuses formations, des effectifs déficitaires mais surtout des premières mesures d’épuration, sape les énergies.
- Mesures à l’encontre du Haut commandement
Le ministre de la Guerre, sans attendre les audiences de la commission d’épuration et de réintégration des personnels militaires, écarte de leur commandement plusieurs officiers généraux, dont les liens avec Vichy étaient notoires. Par arrêté du 25 septembre 1944, il suspend de leurs fonctions, à compter du 28 août, « sans préjudice de toute autre sanction disciplinaire ou pénale à intervenir » le général de brigade Martin, ex-directeur général de la gendarmerie, le général de brigade Perré, ex-directeur général de la garde, le général de brigade P…, ex-inspecteur de l’arrondissement de gendarmerie de Lyon. Des arrêtés pris ultérieurement placent dans la même position le général de brigade N…, ex-inspecteur de l’arrondissement de Marseille. La mise aux arrêts, sur place, des intéressés, précède généralement la suspension. Le général Martin, dès le 25 août, se trouve ainsi consigné à son domicile. La détention ou l’internement accompagne parfois la suspension. Au Concours hippique, à Vichy, les nouvelles autorités internent plusieurs officiers généraux et supérieurs de la garde (général Perré, général commandant la 1re brigade etc.) et de la gendarmerie (colonel commandant la garde personnelle du chef de l’État, le lieutenant-colonel C…, sous-directeur de la gendarmerie etc.).
Cette vague de mesures décapite littéralement le commandement supérieur de la gendarmerie sachant que, dix jours après le débarquement, le chef du Gouvernement a placé d’office, par anticipation, dans la deuxième section du corps de la gendarmerie, le général Balley, inspecteur général de la gendarmerie en zone nord. Arrêté comme otage par les autorités allemandes le 9 juin 1944, le général Duin, commandant la région de Toulouse a été déporté. Sur dix généraux en activité en métropole dans les derniers mois du régime de Vichy, il ne reste que le général Durand, commandant la région d’inspection de Dijon, qui a suivi ses gendarmes au maquis. De même, le commandement supérieur de la garde vole en éclats. Le ministre place dans la position de disponibilité 13 officiers supérieurs de l’état-major particulier, de l’école de la garde et les commandants des régiments à l’exception du lieutenant-colonel Brétégnier (1er régiment).
- Les causes du malaise
Les demandes d’enquêtes, concernant des officiers, gradés et gendarmes, émanant des comités d’épuration, mises en mouvement par des particuliers mécontents de leur action sous Vichy, engendrent une vive inquiétude. Souvent, il ne s’agit que de dénonciations présentées de façon tendancieuses, portées dans le but d’assouvir des vengeances personnelles. L’épuration, qui débute dans une certaine confusion selon les régions, inspire une grande crainte à ceux qui sont restés à leur poste jusqu’au bout. Beaucoup se sentent confusément menacés.
Sous le couvert de l’anonymat, des actes de délations contre des supérieurs ou des pairs enveniment un climat détérioré encore par les tensions qui se manifestent entre gendarmes résistants et non résistants. Dans la légion de Paris-Est, après l’éviction manu militari du commandant de légion par le Front national de la gendarmerie, le 18 août 1944, le chef X…, qui a rejoint les F.F.I., se rend au secrétariat du corps où il retrouve des gradés et des gendarmes qui sont restés à leur poste. Dans son journal de marche, à la date du 19 août, il note :
« Je suis reçu assez froidement par un de mes collègues B… et surtout par l’adjudant-chef L… qui me dit : "alors, vous faisiez de la politique ?" Je suis écœuré des principes de cet adjudant-chef sur lesquels je ne crois pouvoir transiger. Je lui déclare simplement : "si je faisais de la politique, j’en connais au moins deux, vous et B… qui ne seraient plus de ce monde". Je rappelle que depuis un an j’ai travaillé avec ces deux hommes qui ne savent pas ce que le mot "France" et celui de "Liberté" a de valeur. B… pour sa part a toujours considéré les "terroristes" comme des bandits. Il le dit et le redit à tout venant. C’est le type du "rampant", bon à toutes les besognes, même si c’est contre l’intérêt de son pays, pourvu que le galon de chef vienne récompenser ses évolutions de rampement ; "Froussard" au possible, il n’a connu qu’une chose : le règlement de Vichy et il l’a appliqué autant qu’il a pu. L’adjudant-chef lui, a plus de 25 ans de service. Il reste en place. Je suis certain que cet homme, s’il avait su que je faisais du renseignement, m’aurait ipso facto fait coffrer. Il a contrairement à B… des sentiments français, désapprouve la propagande pro allemande et souhaite la victoire alliée. Mais il se place au point de vue "Gendarmerie" : La gendarmerie a servi sous Daladier, puis sous Pétain, elle doit, sans aucun changement servir sous de Gaulle. Tel est son point de vue… »
Son propos, tenu dans l’exaltation du moment, la libération de la capitale est en marche, révèle de sérieux antagonismes.
Les effectifs éclatés sont presque partout déficitaires. De nombreux officiers, gradés et gendarmes ont cessé temporairement ou définitivement leur service dans les unités. Il y a ceux qui ont fait l’objet de mesures de répression, soit de la part des Allemands ou de la Milice (arrêtés, condamnés, fusillés, tués, blessés disparus, déportés, prisonniers), soit de la part de la Résistance et des nouvelles autorités (internés, suspendus de leurs fonctions, incarcérés, disparus). Par ailleurs, depuis le débarquement qui a entraîné la dispersion des écoles de formation, la gendarmerie n’est plus en mesure de former des élèves-gendarmes et des officiers d’où le tarissement du recrutement.
Si les premiers rapports, que les nouvelles autorités entretiennent avec les personnels officiers ou sous-officiers « victimes de Vichy » ou qui ont participé à la Résistance, sont harmonieux, ils sont en revanche tendus, voire mauvais, avec ceux qui lui ont tourné le dos ou manifesté de la tiédeur. Dans la 9e légion, les représentants civils et militaires du pouvoir se déclarent très satisfaits de l’affectation à la tête du corps, en décembre 1944, du lieutenant-colonel C… Cet officier a été déclaré démissionnaire d’office par application de l’acte dit loi du 13 août 1940 sur les « sociétés secrètes ». Au contraire, dans la 12e légion, fin septembre 1944, le colonel inspecteur du 5e arrondissement de gendarmerie note l’existence « d’un très gros malaise, des relations difficiles avec l’officier F.F.I. commandant la région (colonel Rousselier). De nombreuses arrestations d’officiers, de gradés et de gendarmes. Le service de l’arme est difficile. Le lieutenant-colonel D… (commandant la légion) demande à s’éloigner de Limoges ».(28) Le moral n’est guère meilleur dans la 18e légion où, entre les mois de septembre 1944 et de février 1945, trois chefs de corps se succèdent. En octobre, le service n’y reprend qu’au ralenti. Les autorités régionales demandent des mutations fréquentes du personnel. Avec l’affectation d’un commandant en second, ancien résistant, qui jouit d’un réel prestige parmi les F.F.I., les relations s’améliorent.
Des commissaires de la République, comme d’ailleurs des commandants de région militaire, estiment que la plupart des gendarmes doivent faire l’objet d’une mutation qui leur assurerait l’indépendance dans l’exercice de leur fonction. Les uns, qui ont rallié le maquis, sont trop compromis vis-à-vis des F.F.I pour pouvoir faire leur métier. Les autres, restés sur place au moment de l’insurrection nationale, se sont « plus ou moins dévoyés avec les autorités du moment » d’où la défiance à leur endroit. À la suite de ces doléances, le commandement prononce des mutations dont l’impact sur le moral est évident.
Dans les brigades, les exécutants subissent indirectement les contrecoups des actes accomplis par ordre entre 1939 et la Libération. Malgré les instructions formelles du Gouvernement, répercutés par ses différents représentants, des tracasseries envers les intéressés se produisent qui, en service, expliquent les comportements timorés.
Ici, des unités entières, privées de leurs chefs, sont livrées à elles-mêmes. Là, des autorités interfèrent dans le commandement. À Montpellier, courant septembre 1944, le commandant régional des F.F.I. désigne les officiers chargés de remplir les fonctions de commandant de légion, de commandant en second et de commandant de compagnie. Par la suite la direction avalise ces affectations.
Des condamnations à mort, prononcées par des cours martiales, à l’encontre de militaires de l’Arme, suscitent une vive émotion parmi les personnels. Les commandants de compagnie de Mende et d’Aurillac tombent sous les balles d’un peloton d’exécution courant septembre 1944. Dans d’autres régions, des officiers et des sous-officiers disparaissent, victimes de l’épuration sauvage.
La gendarmerie et la presse
L’Arme doit affronter enfin les critiques de la presse. Dans ses journaux, le parti communiste, en particulier, les étale avec virulence. Non sans arrière-pensées, il cherche à stimuler un zèle épurateur à l’encontre des forces de l’ordre. Un échantillon du journal « Renaître », organe du parti dans le département du Tarn, illustre cette réalité. Dans la rubrique « Le Pilori », on remarque un article intitulé « Rigueur intempestive » dans lequel le rédacteur reproche au colonel Desfontaine, inspecteur du 5e arrondissement de gendarmerie à Toulouse, d’avoir sanctionné inconsidérément un gendarme avant la Libération. En conclusion de son billet, il écrit :
« D’ailleurs les initiatives n’étaient guère encouragées ainsi qu’en atteste le libellé de la punition suivante :
Punition : Sans attendre la décision qui sera prise par le chef du Gouvernement, je porte à 30 jours d’arrêts de rigueur la punition infligée au gendarme… de la brigade de…
Motif : Étant seul à la caserne, de planton et désarmé, a ouvert la porte du casernement à la première injonction d’un groupe d’une dizaine de terroristes armés permettant à ceux-ci d’emporter du matériel appartenant à l’État. À fait preuve ainsi d’un manque de cran regrettable ;
Tenant compte de ce qu’il était seul à la caserne, je ne le propose pas pour la radiation.
Signé : Colonel Desfontaine, inspecteur général à Toulouse. »
Dans l’Aveyron, un hebdomadaire du Front National consacre, en novembre 1944, dans la rubrique de Salle-Curan, un article non signé intitulé « Une histoire de gendarme » :
« Il est grand, fort, beau et intelligent, du moins il le croit. J’oubliais de vous dire qu’il est aussi très gonflé. Au fait n’était-il pas du nombre des vaillants gendarmes de la brigade qui sur l’ordre du triste brigadier Valentin fouillèrent une grange pour y découvrir un réfractaire du S.T.O. qui leur échappa miraculeusement. Ce monsieur n’aimait pas le maquis… Il en avait peur. Bien sûr le 6 juin dernier, il s’exécuta et remit aux membres des F.F.I. ses armes, mais dès qu’ils furent repartis il expliqua qu’il ne s’était pas laissé emmener et avait déclaré aux maquisards qu’ils ne le prendraient pas vivant. Plus tard, il ajouta que les gendarmes partis au maquis étaient des drôles. Vint la libération. Le Monsieur en question partit au maquis. Oh ! pas seul, la veille du jour ou les nazis prirent la fuite. Comme une certaine dame demandait malicieusement à la digne épouse du héros ou était son mari elle répondit vivement : "au maquis bien sûr !" et voyant le visage douloureusement stupéfait de son interlocutrice elle ajouta confidentiellement : "ça avait toujours été son idée". Alors Monsieur le commandant de gendarmerie qu’est-ce qu’on n’attend pas pour faire la fête ! mais pour le nommer brigadier. Et si même vous disposiez d’une décoration- accordez là lui vite : il ne lui en manque plus qu’une : celle du gendarme retraité. il serait si content… et nous donc ? »
La multiplication des attaques préoccupe les chefs de corps au point que plusieurs d’entre eux demandent quelle attitude ils doivent adopter. Le colonel Meunier, directeur de la gendarmerie, n’entend pas laisser se développer une campagne injuste. À l’occasion de la réunion organisée à Paris à la mi-décembre 1944, il fixe la conduite à observer. Une note diffusée sous le n° 34/Cab du 17 janvier 1945 confirme ses instructions :
« Il convient de répondre par la même voie. La direction de la gendarmerie a adressé à cet effet aux chefs de corps une statistique relative aux arrestations, assassinats, blessures dont ont été victimes le personnel de la gendarmerie du fait des Allemands et de la milice : il faudra la faire paraître dans la presse locale sous une forme laissée à l’initiative des commandants de légion. Les commandants d’unités ne devront pas craindre de faire publier les citations du personnel, les récits d’actes de courage, le rôle de la gendarmerie dans la Résistance. »
Antérieurement à sa directive, des commandants d’unité ont pris des initiatives pour faire connaître l’action des gendarmes dans leurs circonscriptions. En novembre 1944, le « Journal d’Annecy » rend compte du rôle de la gendarmerie pendant les années noires :
«…le moment est venu de rendre justice à la gendarmerie, critiquée, il y a peu encore, et ce dans l’ignorance où se trouvait l’opinion publique. il semble que l’un des plus graves reproches qui ait été adressé à nos gendarmes est de ne pas avoir rallié le maquis. Que cette question ait été maintes fois débattue sous le manteau, on ne peut en faire mystère plus longtemps. Mais il est nécessaire de préciser quelles auraient été les conséquences d’une telle décision. Le "départ" des gendarmes, aussi légitime qu’il eût pu être, aurait créé un vide qu’eussent immédiatement comblé les Miliciens et les forces occupantes. On imagine aisément les répercussions qui eussent découlé de la nouvelle situation. En restant à son poste, la gendarmerie a été à même de rendre des services sans doute ignorés mais certainement utiles aux patriotes et à la Résistance. Ces services, on les connaît en haut lieu ; il est pourtant souhaitable que le public n’en ignore pas la réalité. Toutefois, on ne prétend pas à l’inexistence d’excès de zèle ou d’actions par trop serviles. Mais l’épuration indispensable a été faite et sévèrement. Maintenant que la gendarmerie a repris normalement son service, il faut qu’on lui redonne toute la confiance qu’on lui témoignait auparavant. La gendarmerie n’a pas démérité, elle qui s’est trouvée placée dans des conjonctures souvent difficiles et souvent dangereuses. »
L’hebdomadaire « Allobroges » de la fin décembre 1944 évoque les sacrifices de la gendarmerie dans les Alpes « La 14e Légion bis de Gendarmerie a honoré la mémoire de trente trois des siens martyrs de la Résistance. »
Les quotidiens régionaux et départementaux, font l’éloge des militaires de la gendarmerie qui ont participé à la Résistance et à la Libération. « Le Maine Libre » du 1er janvier 1945 met à l’honneur les gendarmes de Savygne-l’Evêque avec en exergue la mention « Vivent les Gendarmes ! ». Le 3 février 1945 « La Presse de Gray » titre « La Gendarmerie à l’honneur » le 23 janvier « Le Patriote de Lyon » publie « Une histoire de gendarme » dans son édition des 6 et 7 janvier 1945 le « Maine Libre » relate « La conduite héroïque de quelques Mayetais pendant l’occupation ». « Sud-Ouest » le 20 juin 1945 expose « La participation de la Gendarmerie dans la poche de La Rochelle ». « Le Parisien Libéré » du 17 juillet 1945 intitule un article « L’épopée des passeurs de frontières. Quand les gendarmes remplacent les « traboucayres ». Le 19 juin 1945, on lit dans « La Charente-Libre » « Le rôle de la Gendarmerie dans la résistance rochelaise ». « La libre République de la Vienne » évoque « Les Gendarmes de la Vienne dans la Résistance ». « Le Journal de l’Hérault » titre « Quand la Gendarmerie tenait le maquis » Un extrait du journal « Le Courrier de Saône-et-Loire » relate ainsi l’action des gendarmes du département :
« Vaillants dans le maquis, toujours sur la brèche, tels sont nos gendarmes. S’il est des gendarmes qui conservent la confiance de la population pour l’attitude très française qu’ils adoptèrent durant l’occupation, ce sont bien ceux de la section de Châlons.
Durant des mois, ils interprétèrent les ordres dans le sens de l’intérêt de la Patrie. ils ignorèrent les réfractaires et ne connurent les "terroristes" que pour les aider.
La passivité, lors des expéditions de répression, constitue aujourd’hui le plus magnifique éloge de solidarité qu’ils manifestèrent à l’égard des hommes traqués… leurs frères. C’est tellement vrai, qu’ils rejoignirent ceux-ci, capitaine Guillaume en tête, le 16 août. Le maquis de Saint-Gengoux les accueillit. Ils y retrouvèrent les policiers de Châlons, formèrent une compagnie et prirent part à nombre d’expéditions et coups de main. Ils furent notamment au contact, aux ponts, avec une dizaine de camions boches. Ils tuèrent une vingtaine d’ennemis, dont deux officiers, et en blessèrent vingt. Eux-mêmes eurent sept blessés, mais la liaison ne put être effectuée entre le détachement boche, venu de Châlons, en hâte, et le poste d’écoute de Montagny.
Lorsque Londres annonçait la belle tenue de la 8e légion, c’est une page glorieuse qu’écrivait au livre d’or du département la gendarmerie de Saône-et-Loire. »
L’effort déployé se traduit par des résultats positifs. La population, dans les campagnes, conserve son estime aux gendarmes.
Monsieur Diéthelm, ministre de la guerre, ayant manifesté le désir de reprendre contact rapidement avec les responsables de la gendarmerie, le directeur réunit à Paris, le 15 décembre 1944, dans les locaux de la direction, la première fois depuis la fin de la guerre, les généraux inspecteurs, les chefs de corps de la gendarmerie départementale et de la Garde républicaine, les commandants des écoles. Accueillant le ministre, dans son allocution de bienvenue, il lui fait part de l’état dans lequel se trouve l’Arme en mettant l’accent sur deux principaux aspects de la crise qu’elle traverse :
« La gendarmerie a pris une large et glorieuse part à la lutte clandestine pendant quatre ans contre l’occupant et aux combats de la libération. Ses morts, ses déportés, aussi les nombreux témoignages d’estime qu’elle reçoit chaque jour en sont la preuve.
Mais à côté de l’ivresse de la délivrance et de la fierté d’y avoir contribué nous sommes en face de graves préoccupations.
Devant vous Monsieur le ministre je n’en retiendrai que deux les plus actuelles, les plus angoissantes.
D’abord une crise de confiance dont souffre l’ensemble du personnel officier et sous-officier. La gendarmerie a rempli pendant quatre ans, au service de la France face à l’ennemi un rôle difficile, ingrat, périlleux dont l’opinion publique n’a qu’une idée imparfaite.
Certains officiers ou gendarmes ont pu faillir à leur devoir, ils seront éliminés sans pitié. Mais l’ensemble du personnel qui a fait son devoir, étonné de certains entrefilets de presse, de certaines mesures hâtives, demandent à être rassurés.
Votre visite de ce jour, Monsieur le ministre y contribuera grandement.
Ensuite une crise d’effectif… »(29)
Dans sa réponse, le ministre se veut rassurant. Après avoir insisté sur l’importance du rôle de la gendarmerie, il exprime la confiance que les pouvoirs publics mettent en elle et sur le souci qu’il a de lui donner les moyens de tous ordres nécessaires pour qu’elle puisse remplir sa mission. Sa visite produit la meilleure impression. Elle constitue un encouragement précieux à un moment où le doute s’installe dans les esprits.
Dans la période de transition très agitée qui s’ouvre, la gendarmerie, bien que diminuée, entreprend résolument son indispensable réorganisation favorisée par la présence dans ses rangs de résistants. En même temps, elle apporte sa contribution au rétablissement de la légalité républicaine.
CHAPITRE II
DANS LA TOURMENTE DU PROVISOIRE
Une fois l’occupant chassé, dans les parties libérées du territoire, le pouvoir résistant émerge de la clandestinité, soutenu par les forces de sécurité issues des F.F.I. Dès son installation, débute la mise en œuvre du programme qui lui a été assigné. Remise en ordre des services publics, rétablissement des communications, maintien de la sécurité, ravitaillement des populations, neutralisation des éléments « dangereux » constituent des priorités. Parmi celles-ci, il lui revient, conformément à l’instruction sur l’épuration, rédigée par M. Michel Debré, d’arrêter et de détenir les personnages officiels, les fonctionnaires, les dirigeants des partis collaborateurs, les miliciens et tous les individus qui risquent « de compromettre le succès de nos armes ». Les nouvelles autorités, pour mener à bien leur action, s’appuient à la fois sur les structures et organisations militarisées de la Résistance et sur l’appareil policier traditionnel.
Comme elle l’a toujours fait dans le passé, après les ruptures qui scandent le cours de notre Histoire, révolutions, coups d’État, invasions étrangères, l’institution gendarmerie, sans états d’âme, se met au service de la République. Une nouvelle période, placée sous le signe du provisoire - les premières élections au suffrage universel depuis l’armistice ne se déroulent qu’en mai 1945 - et caractérisée par de fortes turbulences, commence pour elle. Sa dépendance à l’égard des nouvelles autorités et de leur bras armé, constitué d’éléments hétéroclites, n’est pas étrangère à cette situation.
Dès la Libération, les délégués militaires du Gouvernement, en zones nord et sud, prennent des dispositions pour prévenir d’éventuels excès contre la gendarmerie qui l’affaibliraient ou la rendraient inopérante. Le 4 septembre 1944, le général de division aérienne Cochet, délégué militaire pour le théâtre d’opérations zone-sud, débarqué en France le 21 août, depuis son P.C. installé à Marseille, au 411 avenue du Prado, adresse un courrier aux commissaires régionaux de la République pour qu’ils veillent, en accord avec les comités de Libération et les chefs F.F.I. intéressés, à l’application de mesures minimales envers la gendarmerie :
« 1- La gendarmerie faisant partie intégrante de l’armée ses membres n’ont à répondre de leurs actes qu’à l’autorité militaire responsable dont ils dépendent.
En conséquence :
a) les membres de la gendarmerie arrêtés avant le rétablissement de l’autorité militaire territoriale devront être pris en charge par celle-ci :
b) l’arrestation, comme toute sanction prise pour indignité, ne peut être décidée, en ce qui concerne les membres de la gendarmerie, dans les zones réorganisées, que par l’autorité militaire. Les organisations F.F.I. comme tous les citoyens français peuvent adresser à cette autorité des plaintes motivées contre certains officiers et sous-officiers de gendarmerie mais elles ne sont pas autorisées en aucun cas à se substituer à l’autorité responsable :
2- Les archives de la gendarmerie doivent rester à l’abri des indiscrétions. Elles sont détenues par les unités de gendarmerie sous leur responsabilité et seule l’autorité militaire peut en demander la communication. Il y a donc intérêt à faire évacuer immédiatement tous les locaux appartenant à la gendarmerie et qui seraient occupés par des éléments n’appartenant pas à cette arme.
3- La gendarmerie a un rôle particulièrement important à remplir dans les campagnes et sur les routes. Il importe de ne pas le dépenser dans des services de garde qui peuvent être remplis par des F.F.I. ou des unités d’indigènes rapatriables. »(30)
Or des autorités civiles et militaires contestent plus ou moins le pouvoir des généraux délégués du Gouvernement. Aussi les instructions données par ces derniers ne sont-elles pas toujours appliquées.
La situation politique et juridique
Depuis le 6 juin 1944, la France est le théâtre d’un champ de bataille où les armées alliées et la Résistance intérieure affrontent les troupes d’Hitler pour les chasser du pays. En même temps, elle est l’enjeu d’une course au pouvoir entre le général de Gaulle, incarnation avec ses compagnons de la légitimité républicaine, et un certain nombre de forces politiques qui, ayant participé au combat libérateur, entendent bien imposer une révolution économique et sociale précédée d’une épuration sévère. Les circonstances de la Libération entraînent deux types de situations qui jouent en faveur des uns ou des autres. Lorsque des armées alliées ou françaises libèrent une région, la présence sur place des missions de liaison administratives, chargées d’accompagner les troupes régulières et de procéder à la remise en route des services de l’État, facilite la reprise d’une vie normale. Au contraire, quand par leur seule action les maquis chassent l’occupant, comme c’est le cas dans les Alpes, le Jura, le Sud-Ouest, le Massif Central, le Centre-Ouest, les représentants du Gouvernement provisoire rencontrent des difficultés pour contenir les ardeurs de certains libérateurs. Au début du mois de septembre 1944, l’autorité du Gouvernement se limite pratiquement à la région parisienne avant de s’étendre progressivement à la quasi-totalité du pays. À la fin de l’année 1944, quatorze départements ne « reconnaissent » pas encore le général de Gaulle.
Malgré des apparences qui pourraient laisser croire à l’improvisation, la prise du pouvoir, minutieusement préparée, s’inscrit dans un cadre juridique qui détermine nettement les responsabilités des principaux acteurs. L’ordonnance du C.F.L.N. du 14 mars 1944 partage en deux zones le territoire libéré. D’une part, celle de l’avant où se déroulent les combats, de l’autre, celle de l’intérieur, située à distance variable de la ligne de feu. Dans la première, l’exercice du pouvoir incombe à l’autorité militaire. Dans la seconde, il appartient à l’autorité civile. Par suite de l’évolution des opérations, la détermination de ces zones est très fluctuante. L’ensemble du territoire national devient zone de l’intérieur par décret du G.P.R.F. en date du 20 septembre 1944. La proclamation de l’état de siège, dans les parties libérées du territoire, renforce les prérogatives de l’autorité civile. Dans le droit traditionnel, d’après la législation de 1849, cette situation d’exception confère des attributions exceptionnelles aux militaires. Le C.F.L.N. a modifié, à titre transitoire, la portée de la loi si bien que les officiers des F.F.I. ne pourront pas revendiquer les pouvoirs de police. Une ordonnance du 29 février 1944 les dévolue en totalité aux commissaires régionaux de la République :
« Article 2. Dans la zone de l’intérieur, les pouvoirs de police individuelle et collective, définis par les lois et règlements en vigueur sur l’état de siège sont exercés par les Commissaires de la République qui disposent du droit de requérir la force armée… »(31)
Dans l’éventualité où les autorités militaires sont amenées à exercer ces pouvoirs, elles le font sous la responsabilité des commissaires régionaux de la République.
Les forces de gendarmerie, dans les régions libérées, passent sous le commandement du général commandant l’armée tant qu’elles demeurent dans la zone des armées. Ensuite, elles s’intègrent dans le cadre de l’organisation des régions militaires.
L’état d’esprit des personnels
Les dispositions de l’ordonnance du 5 juillet 1944, en confirmant la continuité de l’Arme et le retour à son statut d’avant la Seconde Guerre mondiale, lèvent l’hypothèque liée à l’incertitude de son avenir. Cependant, elles ne ramènent pas la sérénité parmi les personnels inquiets des lendemains. Le rôle répressif joué par les forces de l’ordre, pendant près de quatre années, expose leurs membres à des sanctions, voire à des poursuites pénales. Comme les policiers, les gendarmes craignent qu’on ne leur demande des comptes. Ils savent bien que la Résistance a clairement affiché son intention de sévir, une fois le pays libéré, contre ceux qui ont servi aveuglément un régime autoritaire. À un moment ou à un autre, tous ont connaissance d’avertissements émanant de la Résistance adressés aux services de police et de gendarmerie. Certains, à titre personnel, ont reçu des lettres des menaces, d’autres ont été exécutés, enfin beaucoup se sont conformés aux ordres reçus.
Leur appréhension n’est pas sans fondement. Dans la circulaire qu’il adresse aux préfets de la Libération, le 9 mai 1944, le délégué général du C.F.L.N. ne souligne-t-il pas que « la répression devra être immédiate dans les services de police ». Certes, le général de Gaulle, soucieux de remettre le pays en marche, et probablement aussi pour le soustraire à la menace d’une administration militaire des Alliés, déclare le 25 juillet 1944 que «… le Gouvernement n’a pas l’intention de faire tout à coup table rase de la grande majorité des serviteurs de l’État, dont la plupart, pendant les années terribles de l’occupation et de l’usurpation ont avant tout cherché à servir de leur mieux la chose publique ». Son propos, comme l’écrit Marc Olivier Baruch, n’a pas d’autre but que de créer « le mythe durable d’une administration saine et résistante dans ses profondeurs malgré quelques brebis galeuses qui seront jugées et châtiées. » Si tant est que les gendarmes en aient eu connaissance, il ne dissipe pas le malaise observé.
Gendarmerie et autorités administratives
Les commissaires régionaux de la République, créés le 10 janvier 1944, pour se substituer aux préfets régionaux de Vichy, constituent une des pièces maîtresses du Gouvernement provisoire. Pour remplir leurs missions de sécurité publique, ils disposent de prérogatives exceptionnelles, dont l’usage pour certaines est limité dans le temps : droit de mettre sur pied, pour juger les traîtres, en attendant la constitution des cours de justice, des tribunaux militaires institués en cours martiales, droit d’arrestation préventive, étant entendu que les personnes mises en sûreté sont par la suite confiées à la justice de la République, droit à nomination d’intérimaires dans toute la fonction publique, droit à mise en congé, droit à suspension. À propos de celui-ci, des instructions officieuses du Gouvernement leurs parviennent ; elles leur conseillent de faire preuve d’indulgence. Ainsi, « l’obéissance à des mesures légales, la faiblesse de caractère, le manque de courage ne devraient pas être des causes de suspension… » Comme ces directives vont dans le sens d’une modération, elles ne reçoivent pas un accueil enthousiaste dans certains milieux de la Résistance. Une autre de leurs attributions consiste à transmettre avec leur avis, aux commissions centrales d’épuration, propres à chaque administration, les propositions de sanctions émises par les comités d’épuration à l’encontre des fonctionnaires. Si les faits établis le justifient, ils saisissent les juridictions pénales compétentes.
Lorsque les commissaires régionaux de la République prennent possession de leurs postes, ils confirment dans leurs fonctions ou suspendent les chefs de la gendarmerie situés à leur échelon : commandants de légion et commandants régionaux de gendarmerie exerçant les fonctions d’inspecteurs d’arrondissement. Ces derniers, pour assurer le démarrage rapide de la gendarmerie en maints endroits paralysée par les événements, s’attachent prioritairement à réorganiser le commandement. Pour ce faire, ils prononcent à titre provisoire les mutations ou les affectations dictées par les circonstances. Préalablement, ils soumettent leurs propositions à l’agrément de l’autorité administrative.
Dans les départements, par délégation, les préfets disposent à l’égard des fonctionnaires du pouvoir de suspension et de nomination à titre temporaire. On peut étendre à l’ensemble du pays un exemple de l’action qu’exerce sur la gendarmerie, dans trois départements, l’autorité préfectorale. Après la suspension le 20 août, jour de la libération d’Auch, du commandant de compagnie du Gers, le préfet, par arrêté du 23, nomme au grade de chef d’escadron le capitaine commandant la section de Condom, au grade de capitaine le lieutenant adjoint au commandant de compagnie du Gers, au grade de sous-lieutenant l’adjudant commandant la brigade d’Auch et l’adjudant commandant la brigade de Vic-Fezensac qui change d’affectation et occupe le poste d’adjoint au capitaine commandant la section d’Auch. La nomination d’un gendarme de la brigade d’Auch au grade de maréchal des logis-chef ponctue ces promotions. Le 30 septembre 1944, le colonel commandant la légion du Limousin rend compte à la direction de la gendarmerie que dans la Creuse, « selon les instructions du Président du Comité de Libération, du préfet et du commandant des F.F.I. de la Creuse, le capitaine Chaumet a pris le commandement de la compagnie avec le grade de chef d’escadron » et, par ailleurs, que le titulaire du poste, le chef d’escadron R… « a été suspendu de ses fonctions ».(32)
Comme les commissaires régionaux de la République, les préfets ont qualité pour formuler un avis sur les propositions de sanctions, concernant les fonctionnaires, émises par les comités d’épuration des C.D.L.
Pour aider au rétablissement de l’ordre républicain, dans le Tarn libéré, le préfet, par arrêté, charge le capitaine commandant la compagnie d’Albi « de vérifier l’organisation et le fonctionnement des services de police du département du Tarn et plus spécialement de la ville d’Albi et d’en proposer, s’il y a lieu, la réorganisation ». Il lui prescrit ensuite de se rendre en mission à Gaillac, Lisle, Rabastens et Saint-Sulpice pour prendre contact, dans chacune de ces villes, avec le comité de Libération ou la délégation spéciale, si celle-ci est installée. Les chefs de brigades de gendarmerie et le commissaire de police pour Gaillac sont tenus d’assister à ces réunions ayant pour ordre du jour « le rétablissement de la sécurité ». Dans la note de service adressée à l’officier, le préfet mentionne que celui-ci « exposera comme directive formelle dont il devra être tenu un compte rigoureux, que la tâche immédiate consiste à s’assurer des perturbateurs de l’ordre ».(33) Il développe ensuite le détail de sa mission. Il énonce les catégories de personnes à arrêter qui comprennent les dirigeants des partis collaborateurs et leur entourage, les miliciens et ceux qui leur ont prêté leur concours, les membres de la L.V.F., les responsables des services officiels de propagande. À cette première série d’arrestations, une seconde s’applique aux individus, quelles q u e soient leurs fonctions, publiques ou privées, dont l’attitude et l’obéissance reconnues aux ordres des Allemands ou aux instructions de Vichy auraient pu compromettre le succès de nos armes. En dehors des activités répréhensibles, qui doivent être sanctionnées sans faiblesse, il est hors de question de procéder à des arrestations pour des faits qui, dans les circonstances du moment, relèvent plutôt de la réprobation publique que de la compétence des tribunaux. Une distinction doit être faite entre les personnes qui de façon avérée et occulte, par leurs actes ou par leurs propos, ont tendu systématiquement à affaiblir le moral de la Résistance et celles qui n’ont joué qu’un rôle passif, le plus souvent par manque de clairvoyance et peuvent de ce fait invoquer l’excuse de bonne foi. Les arrestations ne peuvent être effectuées que sur la demande du préfet ou celle des comités de Libération. Pour chacun des individus maintenus dans les locaux de détention, la constitution d’un dossier composé de P.-V. est prévue pour que les intéressés puissent ensuite être confiés à la justice. Seuls les fonctionnaires des forces de police et de gendarmerie et les membres des F.F.I. en uniforme, détenteurs d’une carte portant la signature du préfet, sont qualifiés pour procéder à des arrestations de personnes, soit sur la voie publique, soit à domicile. La note préfectorale reproduit pratiquement l’instruction datée du 9 mai 1944 sur l’épuration rédigée par Michel Debré et signée par Alexandre Parodi.
Comme dans le département du Tarn, dans celui des Côtes-du-Nord, selon des modalités différentes, les nouvelles autorités, pour aider au rétablissement de l’ordre républicain dans l’arrondissement de Lannion, font appel à un officier de gendarmerie. Au début du mois de juillet 1944, dès sa mise en place, le C.D.L. des Côtes-du-Nord propose à M. le Gorgu, commissaire de la République à Rennes, la nomination de M. Avril comme préfet du département, et celle du lieutenant Laporterie, commandant la section de Lannion, au poste de sous-préfet. Le lieutenant jouit de la confiance des résistants qui connaissent son action patriotique pendant l’Occupation dans le réseau « Alibi » de l’I.S. Le 12 juillet, le préfet, M. Avril, nouvellement désigné, informe le lieutenant Laporterie de sa nomination en qualité de sous-préfet de Lannion et le charge d’une triple mission.(34) En priorité, il lui demande de rétablir, dans les communes de l’arrondissement, l’autorité des maires récemment mis en place ou maintenus dans leurs fonctions. Sa seconde mission, très délicate, a pour objet le désarmement des groupes militarisés, constitués par de nombreux maquis F.T.P.F. qui se sont constitués depuis le début de l’année 1944. Enfin, il doit assurer le ravitaillement des populations et rétablir la libre circulation entravée par des contrôles anarchiques qu’effectuent des éléments armés incontrôlés. De multiples tâches viennent quotidiennement s’ajouter à ce programme. Le préfet lui demande un rapport sur le comportement des fonctionnaires de l’arrondissement, magistrats, policiers etc. pendant l’Occupation. Il doit régler aussi des problèmes mettant en cause des collaborateurs ou prétendus tels ainsi que des maquisards. Le 18 août, sollicité par son officier traitant de l’I.S. pour continuer le combat sur les arrières de l’ennemi en retraite, il se fait mettre en congé de sous-préfet et rejoint l’Angleterre en vue de préparer sa nouvelle mission.
Dans le département du Finistère, le 17 août 1944, le commandant Somme Py, adjoint au commandant des F.F.I., nomme sous-préfet, à titre provisoire et fictif, le capitaine Belloc, commandant la section de Brest qui, avec ses gendarmes, vient d’être chassé par les Allemands de la ville assiégée. Tout en continuant de remplir sa fonction de commandant de section, jusqu’à l’arrivée, dans la deuxième quinzaine du mois de septembre, du nouveau sous-préfet biterrois, M. Ricard, venu d’Alger, l’officier règle les questions administratives nombreuses qui se posent dans une région exsangue, dévastée par les opérations militaires : ravitaillement des populations, réquisitions diverses, recherche et rassemblement des fonctionnaires dispersés etc.(35)
Gendarmerie et comités de Libération : le chaos de la Libération
Placés aux côtés des préfets, des comités départementaux de Libération voient le jour, créés par l’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération :
« Dans chaque département il est institué, dès sa libération, un Comité départemental de libération chargé d’assister le Préfet. Il est composé d’un représentant de chaque organisation syndicale et parti politique affiliés directement au Conseil National de la Résistance et existant dans le département.
Le Comité (C.D.L.) assiste le Préfet en représentant auprès de lui l’opinion de tous les éléments de la résistance. Il est obligatoirement consulté sur tous les remplacements des membres des municipalités et du conseil général. Il cesse ses fonctions après la mise en place des conseils municipaux et des conseillers généraux, selon la procédure prévue aux articles ci-dessus… »(36)
Une circulaire du C.N.R., du 11 avril 1944, fixe leurs attributions. L’une des principales consiste à préparer les tâches d’épuration immédiates à réaliser dans les collectivités locales, les personnels administratifs, les chambres de commerce, la police etc.
De par ce rôle qui leur est confié, les C.D.L. se posent en gardien de l’épuration. Dès leur mise en place, ils créent une commission d’épuration administrative chargée d’examiner le cas des fonctionnaires, « qui ont favorisé les entreprises de toute nature de l’ennemi ». À leur image, des comités locaux d’épuration se constituent. Ils dressent la liste de tous les éléments dangereux, fonctionnaires, miliciens, journalistes, policiers, gendarmes, magistrats etc. qui devront être mis dans l’impossibilité de nuire. Ils procèdent à un premier filtrage des suspects, puis transmettent les dossiers établis aux commissions départementales d’épuration. Celles-ci rassemblent tous les éléments d’information, témoignages, plaintes, dénonciations sur leur activité antipatriotique, se mettent en rapport avec les autorités judiciaires civiles ou militaires, échangent des renseignements avec les autres C.D.L., saisissent les services compétents, renseignements généraux, Police nationale, gendarmerie, sécurité militaire, pour effectuer des enquêtes.
Pour leur défense, les personnes mises en cause ont la possibilité de fournir des pièces ou témoignages écrits. L’étude des dossiers constitués se fait en séance plénière. Les commissions, s’il y a lieu, peuvent classer ou encore émettre des vœux : révocation, mise à la retraite d’office, déplacement d’office, renvoi devant une juridiction pénale.
Des commissions d’épuration convoquent des officiers et sous-officiers de gendarmerie mis en cause, pour recueillir leurs explications. Or, la C.M. n° 405/E.M.G.G. CAS, du 24 octobre 1944, prescrit aux militaires de ne pas répondre à ces convocations, car le ministre des Armées est le seul habilité pour enquêter sur leurs agissements. Une circulaire du ministre de l’Intérieur, concernant les personnels des services officiels de police, va dans le même sens que celle du département de la Guerre. Il est clair que pour ces administrations, la compétence des commissions d’épuration des C.D.L. n’est pas générale. Cette situation entraîne des divergences entre les C.D.L. et les échelons locaux de gendarmerie. Au début du mois de mai 1945, dans le département du Finistère, le président de la sous-commission d’épuration des fonctionnaires de Brest informe le commandant de section que la commission continuera, malgré les dispositions de la C.M. n° 405, de procéder de la même manière en convoquant les gendarmes et que tous ceux qui ne se sont pas présentés ou qui ne se présenteront pas devant elle seront considérés a priori comme fautifs.(37) Saisi par le commandant de section, le préfet lui déclare « qu’il ne donnerait des instructions à la Commission que si le colonel commandant la 11e légion lui écrivait que le personnel de la gendarmerie ne dépend en effet que des Commissions de cette Arme. »
Sur l’ensemble du territoire, le parti communiste détient près d’un tiers des postes dans les C.D.L. Fort de cette position, il n’entend pas les laisser dans un rôle purement consultatif. Aussi, cherche-t-il à asseoir leur suprématie pour que leur pouvoir coiffe celui des préfets. Ces derniers deviendraient alors les exécutants de leur volonté. Cette situation, dans plusieurs régions, nuit à la bonne harmonie entre les préfets, garants de la légalité, et les C.D.L., moteurs de l’épuration administrative dans sa phase initiale. L’indépendance de la gendarmerie est toute relative par rapport aux C.D.L. même si ces derniers entretiennent des rapports confiants avec des officiers et sous-officiers résistants. Des présidents de comités de Libération pressentent des militaires de l’Arme pour siéger dans leurs instances. Afin de sauvegarder l’indépendance de l’institution, dans l’intérêt de la discipline et du service, la direction, par une circulaire du 27 janvier 1945, interdit expressément toute participation des militaires de l’Arme aux C.D.L., se référant à un texte ministériel du 15 novembre 1904, selon lequel « les militaires en activité ne peuvent participer qu’aux seuls groupements ayant un but exclusivement patriotique, culturel ou de bienfaisance, à l’exclusion formelle de tous groupements ou partis politiques ».(38) Sa décision fait suite à une circulaire diffusée en début d’année 1945 par le ministre de la Guerre précisant que « le bon fonctionnement des institutions exige la séparation des fonctions publiques civiles et politiques et par-delà même interdit de mêler l’uniforme à tout débat public ».
Une palette de mesures très variables : confusion et excès
- Suspensions
Dans un premier temps, à l’égard des personnels de la gendarmerie suspectés de compromission avec le régime ou de collaboration, les C.D.L., en symbiose avec les préfets et les chefs départementaux des F.F.I., prennent des mesures radicales. L’évocation de quelques exemples qui n’ont rien d’exceptionnel l’atteste. Le comité restreint du C.D.L. de l’Allier, réuni à Vichy le 29 août 1944, comprenant les responsables des M.U.R. et du F.N. ainsi que le chef d’état-major des F.F.I., après avoir examiné la situation particulière de la capitale de l’État français, décide de destituer de ses fonctions le colonel commandant la garde du maréchal Pétain, de le remplacer par le capitaine Cordier et de placer le corps sous les ordres du colonel Roussel, commandant les F.F.I. entre Allier et Loire.(39) Dans les mêmes conditions, il suspend de leurs fonctions plusieurs officiers généraux et supérieurs de la garde et de la gendarmerie en poste à Vichy. Dans l’Indre, le C.D.L. relève de son commandement le colonel B…, commandant la légion du Berry qui, quelques semaines plus tard, est admis d’office à la retraite. À Guéret, le C.D.L. prend les mêmes dispositions vis-à-vis du chef d’escadron R…, commandant la compagnie de la Creuse. Le 20 août, le C.D.L. du Gers tient sa première séance officielle, en présence du nouveau préfet. La commission d’épuration commence sa tâche. Elle ordonne l’arrestation d’un commissaire et d’un inspecteur de police et suspend plu- sieurs policiers. À la gendarmerie, une seule suspension, celle déjà signalée du chef d’escadron C…, commandant la compagnie. Le 20 août, le C.L.L. de Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) suspend le capitaine T…, commandant la section. Plus que de l’hostilité à l’égard de la Résistance, on lui fait grief surtout de son manque de compréhension envers elle. À Céret (Pyrénées-Orientales), le comité local de Libération relève de ses fonctions le capitaine S…, commandant la section, parce qu’il a entretenu des relations trop suivies avec un sous-préfet milicien, n’a rien fait pour empêcher sa fuite au moment de la Libération et enfin a assisté à la sous-préfecture à des entretiens et des réunions peu favorables aux maquisards. Peu de temps avant la Libération, sollicité par la Résistance, le commandant de section s’est pourtant mis à sa disposition avec son personnel. Après la libération du Cantal, le 20 août 1944, le lieutenant commandant provisoirement la compagnie d’Aurillac rend compte de l’arrestation du chef d’escadron commandant la compagnie et de la suspension du lieutenant commandant la section de Mauriac, d’un adjudant et de trois gendarmes. Dans les semaines qui suivent on enregistre la suspension de quatre commandants de brigades.(40)
- Arrestations
Outre des suspensions d’emploi, les C.D.L. proposent aux préfets des mesures coercitives (arrestations, internements, assignations à résidence, éloignements) à l’égard des suspects. Très souvent, l’internement est vu comme une sanction pouvant se substituer à une peine judiciaire difficile à obtenir. Une ordonnance du 4 octobre 1944, pour en limiter l’arbitraire, prévoit que la décision d’internement prise par le préfet, sur l’avis d’une commission consultative de sécurité publique composée d’un magistrat, d’un fonctionnaire de police et d’un membre du C.D.L., doit être ratifiée par le commissaire régional de la République. Un autre texte habilite une commission de vérification des internements à proposer une éventuelle révision à ce même commissaire régional. L’adoption d’une réglementation plus stricte réduit les risques d’internements abusifs. Ceci n’empêche pas des dérives, notamment après le mois d’octobre.
Le journal Ouest-France, du mercredi 20 septembre 1944, n°39, titre « 800 fonctionnaires collaborateurs ont été arrêtés à Vichy ». Dans l’après-midi du 25 août, les F.F.I., se conformant aux ordres du C.D.L., arrêtent le général Perré, directeur général de la garde et l’un de ses collaborateurs, le général Le Bars. Tous deux, comme les autres autorités du Gouvernement, sont internés au Concours hippique.
Le colonel F…, commandant l’École de la garde de Guéret connaît un sort identique en même temps que le colonel B… commandant du 1er régiment de France. À la mi-août 1944, le comité local de Libération de Revel (Tarn) fait arrêter le gendarme A… aussitôt interné au camp de Noë. Pour les résistants, ce sous-officier a été « un serviteur zélé de Vichy »(41). Non seulement il les a combattus mais encore il a participé à la rafle des juifs étrangers du 26 août 1942. On lui reproche le zèle déployé à l’aube de ce jour pour arrêter une famille autrichienne réfugiée à Revel. Dans le Lot, la commission d’épuration administrative du C.D.L. ordonne l’internement de deux gradés et d’un gendarme. On reproche à deux d’entre eux, de la brigade de Limogne, d’avoir rejoint le 6 juin, au moment du débarquement, le centre de regroupement des unités de gendarmerie au lieu de rallier le maquis.
À la demande du C.D.L., le préfet des Hautes-Pyrénées prend le 8 septembre 1944 un arrêté prescrivant l’arrestation de neuf gradés et gendarmes en fonction dans des unités de gendarmerie du département. Le commandant de compagnie de Tarbes essaye d’en connaître le motif auprès du président du C.D.L. Celui-ci lui donne l’assurance qu’il sera convoqué lorsque le comité délibérera sur le cas de ses subordonnés. Malgré son intervention, l’officier ne peut obtenir du préfet la faveur de les laisser consignés chez eux, vêtus de la tenue civile, prêts à répondre à toute demande de comparution. Les six militaires se retrouvent à la maison d’arrêt, regroupés et toutefois mis à l’écart des détenus de droit commun.(42)
Le 18 août 1944, les F.F.I. occupent Mende. Le lendemain à 18 heures, sur ordre du C.D.L., un capitaine des F.F.I. met en état d’arrestation le chef d’escadron B…, commandant la compagnie de la Lozère. Il est placé en détention à la maison d’arrêt. Les F.F.I. écrouent le même jour le capitaine B…, commandant la section. Toujours à cette date, des F.T.P. interpellent le commandant de section de Florac et le chef B…, de la brigade de Meyrueis, tous incarcérés à la maison d’arrêt d’Alès.(43) Le jour de la libération de Langogne (Lozère), le 28 août 1944, les services de police FFI arrêtent l’adjudant B…, commandant de brigade, et le transfèrent à la prison de Mende. Le gradé n’est placé sous mandat d’arrêt régulier du juge d’instruction que le 8 décembre 1944.
Le 4 août 1944, dans le département d’Ille-et-Vilaine, des éléments de la Résistance, sur ordre du C.D.L., arrêtent à son domicile le lieutenant F…, en réserve de commandement à la légion de Bretagne à Rennes. Sur les circonstances de son arrestation cet officier écrit :
« Le 4 août 1944 j’ai été arrêté chez moi, au milieu de mes enfants. Emmené pieds nus et à demi vêtu, j’ai du marcher une partie de la nuit sur des débris de verre et sur des plâtras. Quelle nuit ! C’est par miracle que j’en suis sorti vivant… »(44)
Le lendemain, à la suite d’une intervention en sa faveur de l’officier Sécurité militaire de gendarmerie aux armées, les F.F.I. le remettent à la disposition du lieutenant-colonel commandant la légion de Bretagne. Présent à Rennes où il est arrivé en provenance de Londres à la suite du colonel Chevigné, le lieutenant-colonel Girard, directeur de la gendarmerie, dans l’attente des résultats de l’enquête effectuée sur le compte du lieutenant F… le suspend de son emploi et le fait mettre aux arrêts de rigueur à la gendarmerie. Le C.D.L. ne se satisfait pas des mesures prises, comme en fait foi l’extrait du P.-V. de séance du 18 août 1944 faisant référence au vœu n° 19 : « Le CDL de X… réuni en sa séance du 18 août 1944 appelé à se prononcer sur le cas de Monsieur F…, lieutenant de gendarmerie estimant qu’il résulte de témoignages de MM. X…, Y…, Z…, que cette personne est coupable d’intelligence avec l’ennemi, de trahison et de complicité d’assassinat émet l’avis qu’il doit être immédiatement incarcéré. Le secrétaire du C.D.L. »
Le 1er septembre, par ordre d’écrou, signé du secrétaire général à la police, motivé par la découverte d’une lettre du Délégué régional à l’Information de Vichy mentionnant que « le lieutenant F… est milicien de cœur et qu’il pourrait rendre des services dans les opérations de la milice » les F.F.I. l’arrêtent et l’internent au camp Margueritte. La situation évolue pour l’officier. Le 13 octobre, le C.D.L. réuni en séance se prononce sur son cas et émet le vœu 505 :
« Constatant que d’après le document ci-joint Monsieur F…, Lieutenant de gendarmerie, a fait preuve d’antipatriotisme et s’est rendu coupable d’intelligence avec l’ennemi et de complicité d’assassinat, émet le vœu qu’il soit incarcéré et déféré au tribunal militaire. »
Le 30 septembre, le C.D.L. de l’Indre, à Châteauroux, ordonne l’arrestation de l’adjoint au commandant de section d’Issoudun hospitalisé à l’époque en vue de subir une intervention chirurgicale.(45) En attendant de pouvoir être entendu par la police F.F.I., l’autorité administrative l’assigne à résidence. Moins de deux mois plus tard, le 17 novembre, sur ordre verbal du préfet, trois officiers F.T.P. procèdent à son interpellation et le conduisent au bureau de la place où il est violemment pris à partie, frappé et blessé. Saisi de cet incident, le préfet rétorque qu’il s’agit d’un moindre mal, car on impute à ce gradé de multiples griefs. Un officier F.T.P. prétend qu’en 1943 il a utilisé son pistolet pour menacer son père, afin de lui arracher des aveux, à la suite d’une action de la Résistance. Mais surtout, les résistants considèrent qu’il a déployé trop de zèle, en février 1944, dans la région de Chabris, pour retrouver les meurtriers d’un gendarme de Vatan, tué dans la forêt d’Hableau au cours d’une tournée qu’il effectuait pour retrouver des individus suspectés de se livrer au marché noir. En fait, il s’agissait de réfractaires du S.T.O. Ce sous-officier n’avait pas personnellement dirigé les recherches conduites en réalité par le capitaine commandant la section. Il y a eu confusion et méprise. Mais il faudrait plus d’éléments pour conclure plus précisément. Les jeunes du maquis n’avaient pas eu à souffrir de son activité. Écoutons cependant le commandant de compagnie de Châteauroux qui prend sa défense :
« Je tiens à signaler que trop de bruits tendancieux ou intéressés sont propagés actuellement à l’encontre de l’attitude des militaires de la gendarmerie mis à la disposition des autorités civiles ayant en charge d’assurer le M.O. suivant les directives du Gouvernement d’alors. C’est donc sur d’autres épaules qu’il convient de placer les responsabilités des fautes reprochées à des exécutants qui, neuf fois sur dix au moins, ont su fermer les yeux sur des infractions qu’ils avaient mission formelle de signaler ou de relever. L’intéressé n’est pas sorti a priori de la modération qui s’imposait dans l’exercice de ses fonctions à I… Les faits sont de minime importance comparés à ce qui se fut produit dans le nord de l’Indre si les Allemands eussent entrepris l’inévitable opération de nettoyage qu’ils envisageaient d’entreprendre dans cette région sur les indices fournis par le meurtre du gendarme P. »(46)
À la demande du C.D.L., à Toulouse, le 19 août, des F.F.I. arrêtent un capitaine, un lieutenant, deux adjudants et deux gendarmes de la compagnie de la Haute-Garonne puis les répartissent dans les maisons d’arrêt de Toulouse Saint-Michel, de Saint-Gaudens, le camp d’internement de Noë et la prison militaire de la caserne Cafarelli.(47)
Des retraités, accusés d’avoir eu une activité contraire à la Résistance lorsqu’ils exerçaient leurs fonctions, n’échappent pas aux arrestations. Le 20 octobre 1944, la police F.F.I. arrête à son domicile à B… (Pyrénées-Orientales) l’ex-adjudant-chef commandant la brigade de Bédarieux et l’incarcère à Béziers.
La liste est longue des arrestations dont on ne sait pas si elles résultent effectivement d’instructions des autorités légales, préfets et C.D.L., ou d’initiatives de chefs locaux de la Résistance. Dans le journal des marches et opérations du 4e escadron de la garde stationné à Montluçon, on lit à la date du 29 août 1944 :
« L’escadron reste alerté dans les mêmes conditions. L’adjudant B… et le garde H… rentrent seuls à Vichy à 11 heures. Ce gradé rend compte que le capitaine L… a été arrêté le 28 à 16 heures 30 à Chantelle par un chef F.F.I. »
Le jour de la libération de Marmande (Lot-et-Garonne), le 20 août, dans le courant de l’après-midi, des éléments de police F.F.I. pénètrent dans la gendarmerie et arrêtent le capitaine M…, commandant la section.(48) Quarante-huit heures plus tôt, dans le même département, ils interpellent le capitaine S…, commandant la section de Villeneuve-sur-Lot et son adjoint l’adjudant-chef P… Le 23 août, ils arrêtent à son tour le commandant de la brigade de Seyche. Tous sont placés en détention à la maison centrale d’Eysses, théâtre, quelques mois auparavant, d’une mutinerie sévèrement réprimée. Le capitaine S…, territorialement compétent, dirigeait les forces de gendarmerie au moment de ces événements. Depuis le 17 juillet 1944, il servait en qualité de prévôt dans une formation des F.F.I. où se trouvaient deux de ses fils. Le 21 septembre 1944, des F.T.P. arrêtent l’adjudant commandant la brigade de Saint-Sulpice Laurière (Haute-Vienne). Après l’avoir bafoué publiquement et roué de coups, ils le conduisent à la maison d’arrêt de Limoges. Le 11 octobre 1944, en gare de Limoges-Bénédictin, un groupe d’une dizaine de F.F.I. arrête le gendarme C… de la brigade territoriale de Limoges. Le 14, dans le Tarn, la police Armagnac se saisit du lieutenant L…, commandant la section de Carmaux.(49)
Grâce à l’intervention de son commandant de légion, il recouvre la liberté. Pourquoi cette arrestation ? Fin septembre 1943, étant commandant de brigade, au cours d’une enquête chez un agriculteur, celui-ci le prend à part et lui confie qu’un dépôt d’armes (4 F.M., 1 mortier, 3 ou 4 fusils modèles 1936 et 2 caisses de chargeurs vides) se trouve dans sa propriété au milieu d’un bois. En outre, il garde chez lui quatre-vingts uniformes militaires et du matériel sanitaire. Il désire se débarrasser de ce stock qui provient de l’armée française mais demande au gradé de ne rien faire sans en parler à ses chefs. Après mûre réflexion, dans la soirée, le commandant de brigade revient sur place pour discuter ce qui devait être fait dans le cas où l’ordre serait donné de remettre le dépôt aux autorités allemandes. Ils conviennent de déclarer qu’il a été découvert en fauchant. Le commandant de brigade rend compte à son chef hiérarchique. Ce dernier, à son tour, informe le commandant de compagnie qui donne l’ordre de prévenir les autorités d’occupation. Ce qui explique l’enlèvement du dépôt. Grâce au témoignage du propriétaire, le gradé, promu officier dans l’intervalle, se disculpe. Le 24 octobre, les forces de police du Lot interpellent à Cahors deux gendarmes de la brigade de Decazeville, mutés dans ce département à la suite de menaces de mort proférées à leur encontre par des éléments F.T.P. de l’Aveyron. Motif de l’arrestation : les gendarmes concernés auraient ouvert le feu sur des maquisards le lundi de Pentecôte 1944. Le 26, le lieutenant commandant la section de Decazeville se rend à Cahors pour témoigner en leur faveur. À leur tour les F.T.P. l’arrêtent de même que le gendarme conducteur qui l’accompagne.(50) Dans la nuit du 15 au 16 septembre, les hommes d’un maquis espagnol enlèvent un adjudant et un gendarme de la brigade de Bellesta (Ariège). Les ravisseurs prennent en voiture la direction de Carcassonne. Il faut une liaison auprès du commandant départemental des F.F.I. de l’Aude pour obtenir leur libération. Dans le Lot-et-Garonne, le 29 août 1944, un groupe de F.F.I. stationné à Langon (Gironde), commandé par un sous-lieutenant, grand mutilé de la guerre 1914-1918, Officier de la Légion d’honneur, père d’un jeune homme arrêté par la brigade en mai 1944, avec cinq de ses camarades, met en état d’arrestation l’adjudant commandant de brigade.(51) A ce dernier, on reproche l’interpellation des six jeunes gens. Les F.F.I. saisissent en même temps le procès-verbal établi à l’époque. Le sous-lieutenant commandant la section de Marmande intervient auprès d’un membre du comité de Libération de La Réole, assesseur au tribunal du M.U.R. régional et obtient sa libération. Quant à l’individu qui a signalé aux gendarmes les six jeunes gens recherchés il est arrêté, traduit devant le tribunal du M.U.R. et condamné.
Diversité des situations
Des arrestations s’achèvent parfois par des drames.(52) Le 8 septembre 1944, un lieutenant du groupe franc Lucien, du bataillon « R5 », reçoit l’ordre du commandant chef du 2e bureau des F.F.I. de Toulouse d’arrêter l’adjudant-chef de gendarmerie D…, détaché pour le maintien de l’ordre au chef-lieu de région. Il se présente à l’officier dont relève ce gradé qui lui dit « de faire son devoir ». Conduit devant le chef du 2e bureau, l’adjudant-chef D… subit un premier interrogatoire qui porte sur des opérations de police au cours desquelles on l’accuse d’avoir arrêté un médecin travaillant pour la Résistance ainsi que quatre jeunes gens astreints au S.T.O. Le prisonnier est ensuite conduit au P.C. du bataillon à Lombes, puis à Samatan, où il subit un second interrogatoire. À partir de cette localité, en véhicule, sous la garde de trois hommes commandés par un sous-lieutenant, le petit groupe se rend à l’Isle-Jourdain (Gers). À mi-chemin, l’adjudant-chef demande un arrêt pour satisfaire un besoin naturel. Le véhicule stoppe. Tous les passagers mettent pied à terre. Le prisonnier pose sa capote et son képi sur le bord de la route puis s’en écarte un peu. Soudain, il se lève et s’enfuit. Les trois hommes de l’escorte ouvrent le feu. Le fuyard s’écroule sur le sol mortellement atteint. Le maire de la commune, avisé des faits, se transporte sur place et fait examiner le cadavre par un médecin qui délivre le permis d’inhumer. Les quatre membres du groupe franc remontent en voiture et regagnent leur cantonnement.
Des situations singulières révèlent la confusion qui règne au moment de la Libération, dont des gendarmes sont victimes. Le 23 août 1944, dans les Hautes-Pyrénées, un commissaire de police se présente au domicile du commandant de brigade de C… Après lui avoir accordé le temps nécessaire pour se préparer, il le fait monter dans une voiture stationnée devant la caserne dans laquelle se trouvent des civils et des gendarmes. De là, le gradé est conduit à B…, puis à la caserne Raffye à Tarbes. Le 27, innocenté, on lui délivre un certificat selon lequel il a été victime de vengeances personnelles. Libre, il regagne sa brigade. Quelques heures après son retour, dans le courant de l’après-midi du 28, des policiers l’interpellent une nouvelle fois et le conduisent à Tarbes pour y être interrogé.
Dans l’Isère, le 22 août 1944, les F.F.I. arrêtent un adjudant-chef auquel on reproche ses fréquentations avec la Milice et son ardeur dans la recherche des réfractaires aux S.T.O. Ils le libèrent et l’interpellent à nouveau le 13 septembre. Du rapport établi par ses chefs, il ressort que ce gradé, fait relativement rare concernant des personnes du sexe masculin, est victime d’une tonte :
« L’adjudant-chef a été emmené à pied de cette école jusqu’au service de renseignements puis au commissariat. Son retour s’est déroulé de la même manière. Il était vêtu d’une chemise kaki et d’un pantalon de treillis, tête nue et les cheveux coupés à ras. Pendant les deux transfèrements il était escorté par trois ou quatre F.F.I. armés ; quelques personnes et plus particulièrement des enfants suivaient ce cortège. Des quolibets et remarques désobligeantes ont été proférés sur son passage à son égard. Lors de mon passage j’ai aperçu l’adjudant-chef, il avait effectivement les cheveux coupés courts et les yeux cerclés de noir… »(53)
Après avoir pris en priorité les mesures de sûreté dictées par l’urgence, dans une deuxième phase, les C.D.L. étudient le cas des militaires incriminés ou simplement suspectés. À l’issue d’une enquête, sur la base du dossier établi, ils délibèrent et se prononcent sur les suites à donner : proposition de révocation, traduction devant une juridiction, classement sans suite, etc.
Des C.D.L. plus objectifs
Si des C.D.L. émettent des vœux de sanctions excessifs, beaucoup, en revanche, font preuve d’objectivité. Dans le département de la Lozère, la commission d’épuration du C.D.L. se penche sur le dossier du capitaine commandant la section de X…, qui n’a pas été relevé de ses fonctions mais auquel on reproche d’avoir donné à ses commandants de brigade des instructions très fermes pour rechercher les réfractaires au S.T.O. Le grief formulé repose sur des copies d’ordres diffusés aux échelons subordonnés par l’officier.
Les membres de la commission disposent d’un exemplaire des directives données :
« Je mets en circulation la note n° PN. CAB A N° 259 du 28 mai 1943 relative aux défaillances du S.T.O. En raison du temps qu’elle mettra à parvenir à certains d’entre vous, je vous donne ci-dessous quelques indications sur les procédés à employer pour les dépister. En plus des investigations à effectuer près des familles ou au lieu de domicile il faut, en tous lieux, demander aux mairies la liste des personnes qui n’habitant pas habituellement la commune, y ont demandé le renouvellement des tickets d’alimentation. Chaque cas signalé doit être suivi d’une enquête immédiate. Il y a aussi la carte de travail à exiger.
Par une action intelligente et le désir d’aboutir, vous devez arriver à découvrir les réfractaires qui pourraient être tentés de se cacher dans les montagnes de la circonscription. J’ajoute aux procédés ci-dessus, la surveillance des ravitailleurs. En Corse, au maquis, le bandit est presque toujours trahi par une imprudence du ravitailleur. Pour dépister ces derniers il faut conjuguer deux services arrivant par deux itinéraires différents dont un camouflé ou détourné à un point choisi. L’un des services rentre, ostensiblement ; le deuxième, bien caché, observe pendant plusieurs heures sans se dévoiler. Les personnes mal intentionnées ayant vu rentrer les gendarmes, s’en donnent à cœur joie.
Je vous préviens que je sévirais avec la dernière vigueur s’il se créait dans la circonscription des repaires de réfractaires comme cela s’est produit à la limite de la Haute-Loire. C’est à la gendarmerie qu’il appartient de veiller. »(54)
Le témoignage en sa faveur du préfet de la Libération, M. Henri Cordesse, met l’officier hors de cause. En mai 1943, le capitaine lui transmet un renseignement recueilli auprès des renseignements généraux :
« Monsieur Cordesse, vous passez pour être "Résistant". Je reviens de Mende et j’ai appris de Monsieur R… (chef des renseignements généraux) que la région de Bonnecombe abritait des forestiers suspects. J’ai cru bon de vous en informer. »
Moment de stupéfaction pour son interlocuteur qui n’a jamais eu auparavant le moindre contact avec le commandant de section. Conscient de la gravité de l’initiative prise par l’officier, il l’assure qu’il conservera le secret de cette rencontre. Avant de prendre congé, il lui précise que, sauf motif particulier, il est préférable pour eux d’en rester là. Le capitaine acquiesce. Le serment de confiance réciproque sera tenu. Les suspects de Bonnecombe étaient bien réels. Il s’agissait de cinq antinazis allemands protégés par des résistants de Saint-Chély d’Apcher. Aussitôt alertés, pour échapper à l’imminence d’une action policière dans leur zone refuge, les proscrits évacuent leur campement. Le comité d’épuration estimera en définitive que le capitaine a facilité leur sauvetage et jugera les ordres donnés pour dépister les réfractaires comme des pièces de service destinées à « couvrir » le rédacteur.(55)
Information des C.D.L.
Des lettres anonymes, émanant d’individus désireux d’assouvir des rancunes personnelles ou des vengeances, affluent vers les comités de Libération. Des officiers et sous-officiers, qui souvent n’ont rien à se reprocher, en subissent les conséquences. L’action des délateurs a une influence désastreuse sur le moral des gendarmes.
D’autres personnes, appartenant à la Résistance ou non, qui s’estiment lésées par des actes de militaires de l’Arme déposent des plaintes. En septembre 1944, en Bretagne, Albert A… écrit au C.D.L. :
« Je certifie que le gendarme B…, chauffeur du capitaine F…, a arrêté sans y être contraint Albert A…, patriote militant incarcéré plus tard par les Allemands.
Albert A… se rendait en vélo de A… à B… Arrivé à côté de la gendarmerie, B… se trouvait seul sur la route le fit arrêter pour viser ses papiers. Les trouvant sans doute suspect, il demande à Albert A… de le suivre à la gendarmerie. Profitant d’un moment d’inattention ce dernier réussit à s’enfuir échappant de justesse au tir de M. B… qui sortait de la caserne.
Le gendarme B…, de la brigade de X, se trouvait seul, a agi sans contrainte de son chef. Il a de ce fait obéi délibérément aux ordres de Vichy et à ceux des Allemands reniant ses devoirs plus stricts de Français.
Le 26 septembre 1944
Signé Albert A… »(56)
Déjà, depuis le 15 septembre, le commandement, saisi de fautes graves commises par le gendarme B…, l’a dirigé sur le chef-lieu de sa compagnie et mis aux arrêts de rigueur en attendant qu’une décision soit prise à son sujet. Des comités de Libération reçoivent des doléances émanant de militaires de la gendarmerie. Presque toujours, il s’agit d’accusations contre des supérieurs hiérarchiques. Après vérifications, des allégations se révèlent fausses qui entraînent des sanctions contre leurs auteurs. Un adjudant de la garde adresse au C.L.L. de sa résidence une lettre pour signaler le comportement antinational de son commandant d’escadron pendant l’Occupation. Ses doléances déclenchent des vérifications. Il en ressort que les griefs formulés, inexacts et tendancieux, n’ont pas d’autre but que de se venger de l’officier. Celui-ci, en mars 1944, avait demandé l’élimination de ce gradé à la suite de manquements professionnels. De même, un gendarme du département de la Vienne accuse son commandant de brigade d’avoir livré à un service de police allemand des documents saisis au cours d’une perquisition faite légalement par ce gradé, sur l’ordre des autorités françaises. L’accusation s’avère infondée.
Au début de l’année 1945, le gendarme S…, d’une brigade de la périphérie de Brest, accuse son commandant de section de « saboter » l’épuration et mène contre lui une campagne auprès de la commission d’épuration des fonctionnaires et dans le bataillon F.F.I./F.T.P. dit de sécurité. En vérité, déçu de ne pas avoir été promu officier, à titre exceptionnel, pour son action dans la Résistance, ce militaire en rend son chef responsable et saisit également le commandement de la gendarmerie. Le chef d’escadron D…, commandant la compagnie du Finistère, effectue une enquête sur le comportement du commandant de section qui ne révèle aucune animosité envers le plaignant et atteste de sa participation à la Résistance.(57)
Des responsables de la Résistance renseignent les comités de Libération. Courant septembre 1944, dans le centre de la France, le chef cantonal de la Résistance de S… évalue dans un rapport le comportement des gendarmes de la brigade locale :
« Dans l’ensemble la position de la brigade n’a pas été mauvaise. Les enquêtes n’étaient pas conduites à fond. Deux gendarmes plutôt hostiles à la résistance, deux gendarmes résistants actifs. Le chef n’a pas été contacté car un peu intempérant. »
Des C.D.L. se tiennent informés des mouvements des personnels. Dès qu’ils ont connaissance de l’affectation prochaine d’officiers, ils se rapprochent du C.D.L. de leur lieu de résidence pour recueillir des renseignements sur leur attitude avant la Libération.
Des comités d’épuration recourent aux archives de la gendarmerie pour obtenir des informations sur l’activité et le comportement des unités et des personnels entre 1940 et la Libération. L’enlèvement de celles du département de la Loire, à la fin du mois d’août 1944, a été évoqué dans le chapitre précédent.(58) Dans d’autres régions, des éléments des F.F.I. font également main basse sur des écrits de service. Le colonel Georges (Robert Noireau), chef départemental des F.F.I. du Lot, ne dissimule pas en 1980, dans une lettre adressée le 10 février à la revue Résistance R4 à Toulouse, qu’il est en possession d’archives qui lui permettraient, le cas échéant, de dénoncer les risques de falsification concernant l’action de la Résistance :
« Je veille au grain et s’il y a nécessité je publierai en temps opportun tous documents d’archives capables de rétablir la vérité si elle était déformée.
Je dispose pour cela des rapports de gendarmerie sous l’occupation ainsi que ceux des renseignements généraux, ces rapports traitent des activités de la Résistance et des maquis en particulier… »(59)
Action du commandement
Des C.D.L. diffusent des listes de suspects parmi lesquels figurent des noms de gendarmes. Mis en cause publiquement, ces militaires perdent tout crédit, tant auprès des populations que des nouvelles autorités. Le 11 septembre 1944, le capitaine commandant la compagnie de Pau alerte le président du Comité d’épuration des Basses-Pyrénées pour lui signaler les effets nocifs engendrés par ce mode opératoire :
« Un certain nombre de militaires de la gendarmerie figure sur les listes diffusées par le comité. Il n’est nullement dans mes intentions de soustraire quiconque à des sanctions méritées, mais il ne vous échappera certainement pas que le seul fait de figurer sur les listes discrédite immédiatement les intéressés et la gendarmerie surtout lorsque mes subordonnés se justifient immédiatement avec preuves à l’appui, d’accusations portées contre eux.
Pour ces raisons, j’ai l’honneur de vous demander s’il vous serait possible de me communiquer préalablement le nom des militaires de la gendarmerie auxquels des faits sont reprochés. Je les convoquerais d’urgence, les présenterais à la commission qui entendrait leurs explications et pourrait ainsi prendre une décision définitive en toute connaissance de cause. »(60)
Les chefs de corps rendent compte à la direction du malaise que provoquent chez leurs subordonnés des demandes d’enquêtes non justifiées. En octobre 1944, l’un d’eux écrit :
« Il y a lieu de signaler l’inquiétude que causent des demandes d’enquêtes concernant des gradés et gendarmes ; elles émanent dans l’ensemble des comités d’épuration mis eux-mêmes en mouvement par des particuliers mécontents de l’action de la gendarmerie. Quand on remonte à l’origine des faits reprochés on est le plus souvent forcé de constater qu’il s’agit de dénonciations portées dans le but d’assouvir des vengeances personnelles et présentées de façon tendancieuse. Les militaires sont quelque peu désorientés par les accusations portées contre eux et qui le plus souvent ne sont pas formulées dans le but de servir un intérêt supérieur mais pour assouvir des rancunes personnelles… »(61)
Pour soustraire les militaires de l’Arme aux attaques injustes dont ils sont victimes, la direction, le 28 octobre 1944, autorise les commandants de légions à muter les sous-officiers mis en cause et à proposer les mutations d’officiers qui le seraient également :
« Bien qu’ayant accompli avec conscience et patriotisme leur devoir professionnel certains officiers et sous-officiers sont l’objet de menaces où se trouvent en danger par suite d’incidents provoqués par des rivalités de personnes ou de reproches n’ayant aucun rapport avec leur attitude réelle.
Après vérification rapide des faits ces militaires doivent être mutés dans les plus brefs délais. »
Enfin, après la mise en place dans la gendarmerie de commissions d’enquête internes qui se substituent aux commissions d’épuration des C.D.L., ces dernières, à la demande des chefs de l’Arme, continuent à formuler des avis sur les officiers, gradés et gendarmes.
Le champ d’action des C.D.L. ne se limite pas aux questions d’épuration. En matière de mutation, du moins dans les premiers mois de la Libération, ils imposent leur volonté pour obtenir le changement de résidence des militaires qui, sous Vichy, ont fait preuve de zèle dans l’exercice de leur fonction. De même, ils provoquent l’affectation d’officiers de leur choix. Par exemple, le 8 octobre 1944, le C.D.L.des Landes rappelle à l’activité, le capitaine Peytou, promu chef d’escadron à titre fictif, pour prendre la tête de la compagnie de gendarmerie de Mont-de-Marsan. Cet officier avait été incarcéré trois mois, par jugement de la Feldkommandantur 541 de Mont-de-Marsan, le 23 avril 1941, « pour avoir organisé et entretenu une communication postale clandestine entre la France occupée et la zone libre ». Dans un tout autre domaine, celui des promotions, ils recommandent pour l’avancement les officiers et sous-officiers qui ont aidé la Résistance. Parfois, ils tentent d’infléchir les chefs de l’Arme pour qu’ils reconsidèrent des punitions qui leur paraissent pénaliser des gendarmes ayant acquis leur sympathie à la suite de services rendus à la cause de la Libération. En mars 1945, le président du C.D.L. d’un département du centre prend la défense d’un gendarme qui a fait l’objet d’une mesure disciplinaire postérieurement à la Libération. S’adressant au chef d’escadron président de la commission d’enquête de sa légion, il écrit :
« Le comité local de libération de X… nous signale que le gendarme Y… serait affecté par mesure disciplinaire à la brigade de L…
Nous vous demandons, Monsieur le chef d’escadron, de bien vouloir reconsidérer cette mutation et de maintenir Y… à X… où il jouit de la sympathie des honnêtes gens en général et de la résistance active en particulier ; une telle sanction prise contre ce fonctionnaire dont l’attitude a été si digne pendant l’occupation ne s’explique pas et révolte les esprits les plus calmes. Nous désirerions, dans le cas où son maintien sur place ne pourrait être obtenu, son affectation à l’une des brigades ci-dessous désignée : A…, B…, N…, T…
Nous saisissons le ministère de l’Intérieur et de la Guerre de cette question, en outre dans le cas où cette injustice ne serait pas réparée nous publierons la décision prise dans la presse pour éclairer l’opinion de ceux qui cherchent à comprendre.
Nous nous tenons à votre disposition pour vous communiquer les services rendus à la résistance par Y… et vous serions très obligés de nous informer de la suite donnée à la présente ;
Veuillez agréer, Monsieur le chef d’escadron, l’assurance de nos sentiments distingués.
Le Président de la commission d’épuration administrative. »
Au vu de cette « requête » que lui adresse le président de la commission d’enquête, le commandant de légion estime justifiée la punition de 30 jours d’arrêts de rigueur infligée au gendarme Y…, sur proposition de ses chefs, par le général commandant la région militaire. Il rend compte au ministre et aux diverses autorités de l’intervention inopportune du comité de Libération. L’affaire en reste là.
La gendarmerie et les autorités militaires
Comme le rappelle le général Cochet aux commissaires régionaux de la République, les gendarmes, en raison du statut qui les régit, relèvent des autorités militaires qui disposent de pouvoirs propres à leur égard. En vertu de l’ordonnance du 29 février 1944 sur l’état de siège, les délégués militaires du Gouvernement provisoire, dans les territoires libérés des théâtres d’opérations nord et sud, disposent de pouvoirs particuliers qu’ils peuvent déléguer à leurs subordonnés. Ainsi peuvent-ils prendre des mesures conservatoires vis-à-vis des gendarmes. Le colonel chargé de l’organisation de la région sud du front nord, en provenance d’A.F.N., courant octobre 1944, place trois capitaines de la légion du Limousin sans emploi jusqu’à nouvel ordre en raison de leur comportement pendant l’Occupation.
De leur côté, les chefs régionaux des F.F.I., qui préfigurent les commandants de région militaire, possèdent les attributions de ces derniers. Le 15 août, jour de la libération de Montpellier, Carrel (Gilbert de Chambrun), chef régional des F.F.I., relève de son commandement le colonel B…, commandant la légion de gendarmerie du Languedoc. S’adressant au lieutenant-colonel Vernageau, alias Maximim, limogé par Vichy en juillet 1944, artisan du passage de la légion au maquis, il écrit :
« Je vous félicite ainsi que les compagnies de l’Hérault, de la Lozère et de l’Aveyron pour la ponctualité de l’élan avec lequel l’ordre de décrochage a été exécuté.
Je vous confirme à titre provisoire dans les fonctions de commandant régional de la gendarmerie, y compris du Gard.
Je destitue à titre provisoire le colonel B… des fonctions en question. »
À Toulouse, le lendemain de la Libération, le commissaire militaire de la Région, dans un ordre pour la garde, relève de leurs fonctions des officiers du 6e régiment :
« Le colonel P… et les officiers supérieurs de la garde plus élevés en grade ou plus ancien que le commandant Millot sont relevés de leur commandement. Ils seront, jusqu’à nouvel ordre, consignés à leur domicile. »(62)
À Limoges, le 15 septembre 1944, des unités de police F.F.I. arrêtent quarante-trois sous-officiers de gendarmerie, puis dix-huit autres le 5 octobre, à la suite d’une plainte en désertion déposée par le lieutenant-colonel commandant la 4e brigade F.F.I. Celui-ci les avait sous ses ordres au maquis où ils servaient depuis le 6 juin. Inculpés de désertion, ils sont incarcérés à la maison d’arrêt.(63)
Des chefs départementaux des F.F.I., avec l’aval des C.D.L, prennent des initiatives. Dans le département de la Haute-Savoie, pour restaurer rapidement les institutions nécessaires au maintien de l’ordre, les nouvelles autorités, affichent la volonté, dès le 9 septembre, d’assainir la gendarmerie. Une ordonnance du 17, prise sous la signature du chef départemental des F.F.I., membre du C.D.L., le lieutenant-colonel Lambroschini, alias Nizier, prévoit le passage devant un « tribunal d’épuration » des gendarmes du département qui se sont compromis pendant l’Occupation. À la tête de ce « jury » préside le capitaine Perrolaz, commandant l’escadron de la garde de Chambéry, en liaison avec la Résistance depuis 1943 et qui a rejoint le maquis avec sa formation au mois d’août 1944. Le gendarme Gall, arrêté par la Milice au début du printemps 1944, alors qu’il exerçait les fonctions de secrétaire du commandant de compagnie d’Annecy, et emprisonné à Lyon au fort Montluc, l’assiste.
Prenons un autre exemple, le colonel commandant les F.F.I. du Tarn-et-Garonne place un gendarme de la brigade de Moissac aux arrêts de rigueur en attendant son audition par les F.F.I. Que lui reproche-t-on ? En 1943, un ouvrier spécialiste, envoyé en Allemagne, bénéficie d’un congé pour maladie et rentre en France dans sa famille. Le bureau de placement allemand de Montauban désigne un médecin pour l’examiner. Dans l’intervalle, cet ouvrier réussit à obtenir par complaisance un certificat d’inaptitude et d’exemption portant le cachet du bureau de placement. Or, peu de temps après, le médecin agréé par l’occupant constate que le certificat produit est faux. Le lendemain, un officier allemand, accompagné de la Feldgendarmerie, se rend à Moissac pour appréhender le fraudeur. Au préalable, il passe à la brigade de gendarmerie où il exige qu’un gendarme l’accompagne pour le guider. Le sous-officier chargé de cette mission ne peut que s’exécuter. Après son arrestation, il apporte rapidement des preuves de sa bonne foi et recouvre la liberté.
La gendarmerie et les forces issues de la Résistance
Sous des appellations diverses, 2e bureau, sécurité militaire, service de renseignements, police F.F.I., police militaire, 5e bureau, les éléments de la Résistance apportent donc un large concours aux nouvelles autorités. Sans y être préparés, ils se livrent à des activités policières : recherche des suspects, arrestations, interrogatoires, saisie et mise en sûreté de documents abandonnés par l’occupant, la Milice, le service d’ordre légionnaire. Par l’intermédiaire de la presse, ils invitent la population à dénoncer les collaborateurs. Au mois de septembre 1944, le Rouergue Républicain publie l’entrefilet suivant :
« Quiconque est en mesure de fournir une preuve testimoniale ou écrite d’un acte de collaboration avec l’ennemi doit le signaler au 5e bureau qui déléguera un de ses agents reconnaissable à une carte spéciale qui enquêtera immédiatement. »
Dans la 12e région militaire, (région F.F.I. R5), une note diffusée le 30 septembre 1944, sous n° 1481/Cab., par le colonel Rousselier (Rivier), commandant la région, précise la composition de l’appareil de sécurité. Elle distingue le bureau de sécurité militaire (B.S.M.), le 2e bureau F.F.I., les S.R. divers, coordonnés dans les commissions de sécurité militaire. Ces commissions ont pour mission, d’après un arrêté du 25 août pris par le colonel Rousselier instituant un tribunal militaire, de rassembler les informations sur les suspects, de lancer des mandats d’arrêt et de perquisitionner. Le responsable des enquêtes a toute latitude pour faire procéder sur le champ à l’arrestation de celui qui en est l’objet. Une commission d’instruction instruit l’affaire. À ces éléments s’ajoutent des brigades de sécurité du territoire et des brigades de sécurité F.F.I. agissant soit pour leur propre compte, soit en accord avec la police en constituant des brigades mixtes. Créé le 10 novembre 1944, par ordre de l’état-major de la 12e région militaire, le bataillon de sécurité en Limousin assure la garde des bâtiments publics, des prisonniers allemands, des prisons militaires. Il lui incombe d’autre part une mission permanente de maintien de l’ordre. Les milices patriotiques, issues des couches populaires, complètent ce dispositif policier. Avec ardeur, elles concourent à la capture des collaborateurs et des trafiquants du marché noir.
Pour les gendarmes, la coopération avec ces policiers de circonstance, légitimés en quelque sorte par leur participation aux combats de la Libération, n’est pas toujours facile. En divers points du territoire, dans les mois qui suivent la prise du pouvoir, des éléments incontrôlés des forces de sécurité, qui se veulent épurateurs et qui agissent de façon autonome dans l’illégalité, procèdent de leur propre initiative à l’arrestation de personnels de la gendarmerie. À Mantes, fin août 1944, des F.T.P. arrêtent le capitaine commandant la section de gendarmerie réputé collaborateur et s’apprêtent à le passer par les armes. L’officier ne doit son salut qu’à l’intervention d’un tribunal militaire ambulant relevant de l’autorité du colonel Chevigné qui, sous couvert de le juger, assure en fait sa protection. Dans le Centre, des préfets s’en remettent à ces forces qui commettent des excès.
Avant le retour de la direction à Paris, une organisation de Résistance interne à la gendarmerie joue un rôle actif. Au début du mois d’août 1944, dans la capitale, où règne une atmosphère révolutionnaire, les unités de gendarmerie n’ont plus aucune liaison téléphonique ou postale ordinaire avec la direction générale. Le comité directeur du Front National de la gendarmerie de l’Île-de-France sort de la clandestinité. Agissant sous le couvert des autorités légales, en l’occurrence celle d’Alexandre Parodi, Ministre délégué du Gouvernement provisoire de la République française, il prend d’emblée des dispositions pour écarter les cadres suspectés de s’être mal comporté pendant l’Occupation. Le 8 août, le comité directeur arrête la liste des officiers de la région considérés comme collaborateurs à interner à la Libération. Le général Capdevieille, son président, signe le document. Une première série de mesures prend effet à partir du 20 août et s’applique au général G… commandant la région de l’Île-de-France, et aux six colonels commandant respectivement la garde de Paris et les légions de gendarmerie départementale de la région. Le général Martin nous apprend que « tous, sans exception, furent relevés de leurs fonctions et mis aux arrêts de rigueur à leur domicile. »(64) Les capitaines G… et C…, respectivement officiers de liaison auprès de Darnand et des autorités allemandes connaissent le même régime. Indépendamment du chef de corps, dans la légion de Paris Est, le comité directeur écarte provisoirement de leurs fonctions 17 officiers de la légion (2 chefs d’escadrons et 15 capitaines). À la suite de cette opération, une décision n° 12/3 du comité directeur remanie l’encadrement de la légion suivie le 7 septembre de la suspension du chef d’escadron S…, commandant le groupement territorial de Melun, et du lieutenant D…, son ad- joint.
Le 16 août, le ministre délégué du Gouvernement provisoire désigne le capitaine Rivalland, membre du F.N. de la gendarmerie, commandant la section de Raingy, pour prendre provisoirement le commandement de la légion de gendarmerie de Paris-Est en remplacement du lieutenant-colonel H… Le gendarme Gautard de l’état-major de la légion, détaché à l’état-major national des F.F.I., relate les circonstances de la prise de fonction du nouveau chef de corps. Le 18, il reçoit l’ordre de se rendre à Clichy avec le chef Mornet pour joindre le président du comité directeur de la gendarmerie, le lieutenant-colonel Capdevieille en vue de le renseigner sur la situation générale et de l’informer que dans la journée « la prise de possession des pouvoirs aura lieu à la Préfecture et qu’il est urgent de le faire pour la gendarmerie ». Dans la soirée, le gendarme Gautard attend à son domicile, à la caserne des Minimes, rue de Béarn, l’arrivée du capitaine Rivalland. À 19 heures, un chef et un gendarme se présentent à la caserne, en provenance de Raingy, qui apportent les bagages du nouveau chef de corps. Peu après, ce dernier arrive sur place à bord de l’Opel du général von Stülpnagel, prise de guerre de ses hommes. Vers 21 heures, le chef Billard constitue une équipe de protection pour couvrir le capitaine lorsqu’il va prendre possession du bureau du colonel. Une heure plus tard, l’opération commence ainsi décrite par le gendarme Gautard :
« À 22 heures, j’accompagne le capitaine Rivalland au bureau du colonel. Je place trois gendarmes au haut de l’escalier, trois dans le milieu et trois en bas. D’autres font les cents pas dans la cour. Les téléphones de secours sont enlevés. J’occupe le central téléphonique sous la protection de trois gendarmes et j’intercepte les communications. Vers trois heures du matin, l’affaire est réglée sans accroc sensible… »(65)
Lorsque le capitaine Rivalland se présente au bureau du commandant de légion déchu pour lui signifier la nouvelle situation il a en poche sa nomination à la tête de la Légion, signée par Alexandre Parodi, et la décision n° 12/3 du comité directeur du FN de la gendarmerie qui remanie l’encadrement de la légion. La tension est vive entre les deux hommes, comme l’écrit le commandant Lefébrve-Fillaud :
« Le chef d’escadron Rivalland entre seul dans le bureau du commandant de légion qui est présent. Les F.F.I. restent derrière la porte, prêts à intervenir. L’entretien ne se déroule pas d’une manière courtoise, c’est le moins que l’on puisse dire ! Rivalland signifie au lieutenant-colonel H. Louis, les ordres qu’il est tenu d’exécuter et lui présente ses lettres d’investiture. H… refuse, sort un pistolet et menace son interlocuteur. Calmement, Rivallant réplique : « Mon colonel, si vous tirez, vous ferez cinq orphelins, mais vous serez abattu par mes hommes. Choisissez ! » H… préfère finalement reposer son arme et prendre les arrêts qui viennent de lui être infligés par le nouveau commandant de légion. »(66)
Le 20 août, arborant sur son béret les étoiles de général, le lieutenant-colonel Capdevieille en personne se présente à la section gendarmerie des territoires occupés et déclare au lieutenant-colonel Sérignan, « que le rôle de la section gendarmerie des territoires occupés est terminé, qu’il le relève de ses fonctions et qu’il prend le commandement de la gendarmerie de l’Île-de-France ».(67)
Son intervention se termine par la saisie de plusieurs milliers de pièces d’archives dans lesquelles il pense trouver des preuves accablantes de « collaboration ».
L’ordre de mise aux arrêts, jusqu’à nouvel ordre, signifié quelques jours après au chef de la section gendarmerie des territoires occupés, porte la signature du général Chaban-Delmas. Peu de temps après, n’ayant rien trouvé de compromettant dans les archives, tout au contraire, il existait des faits précis et irréfutables qui prouvaient une résistance constante aux exigences allemandes du chef de la section, le général Capdevieille signe un laissez-passer l’autorisant à circuler librement de jour comme de nuit. Par lettre de service du 7 septembre, le directeur de la gendarmerie désigne le lieutenant-colonel Sérignan, lavé de tout soupçon, pour prendre le commandement de la 10e légion de gendarmerie à réorganiser dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. À ce titre, « cet officier supérieur reçoit les droits et prérogatives attachées aux fonctions de chef de corps » indique le document.
À côté des diverses structures générées par la Résistance intérieure, parfois politisées, agissant sans concertation les unes avec les autres, dépourvues de documentation et de méthode, le S.S.M.P., créé en Afrique du Nord, organisé par le lieutenant-colonel Navarre et placé sous l’autorité du colonel Paillole, fait surface dans les régions libérées. Après avoir repéré dans chaque région, au sein de l’administration et de la population, les éléments douteux ou hostiles à la Résistance, ce service arrête les suspects contre lesquels des preuves ont été rassemblées et les met à la disposition des tribunaux chargés de la répression des crimes contre la sûreté de l’État. Le réseau clandestin du S.S.M. s’appuie sur quelques éléments solides de la gendarmerie recrutés par le capitaine Demettre de la gendarmerie d’Algérie à l’occasion d’une mission secrète effectuée en France occupée entre le 13 décembre 1943 et le 1er avril 1944. Renforcé par des personnels en provenance d’Alger et de Londres, le S.S.M. entre en action partout où les circonstances le permettent. D’abord dans le Nord-Ouest, à Rennes, Angers, Le Mans puis dans le Midi à Marseille, Montpellier, Lyon etc. À Paris, dès le 19 août, les équipes du B.S.M.407 opèrent les premières arrestations et saisissent des documents. En province, les antennes régionales et départementales agissent plus ou moins facilement. À Rennes, le S.S.M. collabore avec les troupes alliées et la Résistance locale. Dans les régions qui se libèrent avant l’arrivée des forces débarquées, des conflits surgissent comme à Limoges. La présence de gendarmes dans les équipes du S.S.M. n’exonère pas pour autant ceux qui se sont compromis pendant l’Occupation. Les deux colonels qui se sont succédé au commandement de la légion de Nice font l’objet d’investigations de même que le capitaine commandant la section de Toulon. Les bureaux du S.S.M. centralisent des dossiers de militaires de la gendarmerie mis en cause pour atteinte à la sûreté de l’État et les transmettent pour suite à donner aux commandants de régions militaires.
Le B.C.R.A. de la France Libre ne reste pas inactif. Son représentant à Paris fait arrêter deux officiers de la légion de Paris et les met à la disposition du chef de corps en attendant qu’une mesure soit prise contre eux.
En provenance de Londres, dès son arrivée en France, sans cesser d’observer la légalité, prolongeant l’action conduite par les différentes autorités et structures du nouveau pouvoir, la direction de la gendarmerie, chaque fois que des plaintes lui parviennent, prend les mesures adaptées à l’intérieur de l’Arme : suspension d’emploi, mise en tenue civile des intéressés, mise aux arrêts et ouverture d’enquêtes.
Conséquences de l’action des autorités sur la gendarmerie
DÉPARTEMENT |
Officier |
Gradé |
Gendarme |
Totaux |
CHARENTE |
1 |
1 |
2 |
|
CHARENTE-MARITIME |
1 |
1 |
||
CORRÈZE |
1 |
4 |
2 |
7 |
CREUSE |
2 |
1 |
3 |
|
DORDOGNE |
3 |
5 |
3 |
11 |
HAUTE-GARONNE |
2 |
2 |
2 |
6 |
HAUTE-VIENNE |
1 |
3 |
3 |
7 |
INDRE |
2 |
4 |
1 |
7 |
LOT |
3 |
2 |
5 |
|
LOT-ET-GARONNE |
2 |
2 |
4 |
|
LANDES |
1 |
1 |
2 |
|
LOZÈRE |
3 |
2 |
1 |
6 |
TARN-ET-GARONNE |
3 |
1 |
4 |
|
VIENNE |
3 |
1 |
3 |
7 |
14 |
21 |
31 |
20 |
72 |
À partir de la fin août 1944, comme le montre une recherche portant sur quatorze départements(68), l’action d’épuration initiale, entreprise par diverses autorités, entraîne, sur la partie libérée du territoire, de nombreuses arrestations parmi les officiers et sous-officiers de l’Arme. Les mesures prises affectent plus particulièrement les cadres, officiers et gradés.
Si l’on se place à l’échelon des légions, qui s’étendent sur plusieurs départements, le nombre d’arrestations, très variable, oscille entre quelques unités et plusieurs dizaines. Dans la 12e, forte de 1 819 hommes répartis sur 5 départements, en novembre 1944 on en totalise 105, officiers, gradés et gendarmes confondus. En janvier 1945, dix seulement, susceptibles d’encourir un châtiment pénal, restent en détention. Début octobre 1944, dans la 17e légion bis, pour un effectif de 1 487 hommes, le chiffre des incarcérations s’élève à 11 (2 officiers et 9 sous-officiers).
Saisies de plaintes à l’encontre de personnels de la gendarmerie, les commissions d’épuration administrative des C.D.L., en l’absence de pièces administratives apportant la preuve d’agissements coupables, prennent fréquemment des décisions de classement. Le comité d’épuration de la Loire, saisi de 43 plaintes à l’encontre de gendarmes, n’en prend que 29 en considération.(69) En dernier ressort, les sanctions prononcées à l’échelon ministériel se limitent à quelques cas. Sur un total de 74 propositions de sanctions, la commission d’épuration du C.D.L. du Vaucluse demande la révocation de 3 gendarmes pour 10 policiers et 3 magistrats.(70) A la date du 1er juillet 1945, l’épuration administrative en Haute-Savoie atteint trente membres des forces de l’ordre. Restent en suspens une cinquantaine de dossiers de douaniers et de gendarmes.(71) Au 31 mai 1945, la commission départementale des Côtes-du-Nord, sur 200 affaires instruites en classe 30 et en transmet 170 au niveau ministériel pour sanction dont celles de 31 gendarmes. Le C.D.L. du Lot examine les dossiers de 2 gradés et de 5 gendarmes. Il en résulte le classement de 4 dossiers et la transmission de 3 autres à un tribunal militaire. Dans le département du Gard, à la date du 15 mars 1945, la commission d’épuration du C.D.L. propose seulement 10 sanctions contre des militaires de la gendarmerie.
Non seulement toutes ces actions affectent le moral mais encore elles grèvent le potentiel des unités et surtout affaiblissent l’encadrement. Or, dans le même temps, la gendarmerie doit mener de pair ses missions, sa réorganisation et mettre en œuvre l’épuration interne. Dans ces circonstances sa tâche n’est pas aisée.
Trois faits se produisent qui commencent néanmoins à éclaircir sa situation. D’abord, le 27 octobre 1944, la direction ordonne aux chefs de corps d’effectuer des démarches auprès du commandement militaire et des comités d’épuration, afin d’obtenir que les personnels en détention, incarcérés régulièrement ou non, soient remis à leur disposition, avec les dossiers correspondants, à charge pour eux de les soumettre aux commissions d’enquête internes ou, si nécessaire, de les adresser aux cours de justice compétentes. Les requêtes des commandants de légion et de compagnie se soldent par des résultats positifs. En décembre 1944 et en janvier 1945, les différentes autorités, judiciaires, administratives et militaires élargissent nombre d’officiers et de sous-officiers internés ou placés en détention.
En second lieu, les généraux commandants les régions militaires, qui remplacent les chefs régionaux des F.F.I., malgré leur mise en place échelonnée - à Montpellier, le colonel Carrel, chef régional des F.F.I., ne cède la place au général Zeller qu’en décembre 1944, dans la 17e région, à Toulouse, le général Collet, succède au colonel Ravanel courant octobre, à Bordeaux le général Chouteau remplace le colonel Druihle fin septembre 1944 - réussissent assez vite à imposer leur autorité aux éléments hétérogènes placés sous leurs ordres dont certains gênent le bon fonctionnement de la gendarmerie.
Enfin, la décision prise en novembre 1944 de dissoudre les F.F.I. et les milices patriotiques, même si elle ne devient effective que quelques mois plus tard, facilite l’action de l’appareil policier en général et de la gendarmerie en particulier.
L’étude de nombreux exemples révèle l’importance des effets de rumeurs, des problèmes hiérarchiques, des accusations, le réveil de vieux antagonismes ou l’obligation de trouver des coupables à tout prix. Il faut ajouter que les contextes locaux sont très variables. Certains gendarmes méritaient réellement un châtiment, mais d’autres furent les victimes des représentations du « collabo » et des amalgames de la Libération. Il y a eu souvent confusion entre un discours officiel et des désignations subjectives. Le climat social de la fin de la guerre est un facteur suffisant pour déclencher des drames et des injustices. Pour beaucoup, il fallait purifier la Nation vaille que vaille.
CHAPITRE III
LA RÉORGANISATION
Le 5 octobre 1944, au cours d’une émouvante cérémonie, au quartier des Célestins, le général Koenig, gouverneur militaire de Paris, remet solennellement, aux lieutenants-colonels commandants les régiments d’infanterie et de cavalerie de la Garde républicaine de Paris, et au chef de corps de la légion de gendarmerie départementale de Paris Sud-Ouest, les drapeaux et étendards de leurs formations respectives. Depuis le 13 juin 1940, date à laquelle le capitaine Riouahlan, commandant l’escadron à cheval de Pontivy, les a évacués vers la zone libre, pour les soustraire aux Allemands, ces emblèmes sont restés dans l’ombre. À l’issue de la prise d’armes, personnalités et troupes, avec les drapeaux, se rendent à l’Étoile, au tombeau du Soldat Inconnu, où le directeur, au nom de la gendarmerie, dépose une gerbe. Cette manifestation, qui coïncide avec la libération des neuf dixièmes de la France, symbolise le début du renouveau de l’Arme.
Le processus de réorganisation débute en Afrique du Nord, fin juin 1944, par la création des détachements de gendarmerie, n° 1 et 15, constitués avec des personnels prélevés sur les légions d’Algérie (19e), de Tunisie et du Maroc.(72) Dans les régions conquises, à la suite des forces expéditionnaires débarquées le 6 juin, ils remplissent une double mission. D’abord, ils assurent la liaison avec les formations de gendarmerie en vue de « resserrer les liens moraux et matériels qui doivent unir la gendarmerie de la métropole et de l’empire sur le plan de la souveraineté nationale ». Ensuite, chaque fois que les circonstances l’exigent, ils mettent en place des cadres à la tête des unités. Tout en étant placés sous les ordres du Commissaire à la Guerre, les détachements relèvent de l’autorité des généraux délégués militaires du Gouvernement provisoire de la République française pour les théâtres d’opérations Nord (général Koenig) et Sud (général Cochet). Ces derniers transmettent leurs ordres par l’intermédiaire d’officiers de liaison de l’Arme détachés auprès d’eux.
Le retour au statut antérieur
Dès la Libération, l’ordonnance du 5 juillet 1944, sur l’organisation de la Gendarmerie nationale et de la garde, entre en vigueur. Elle entraîne l’abrogation, d’une part, de la loi n° 565 du 2 juin 1942 qui, sous l’Occupation, a placé la gendarmerie sous l’autorité directe du chef du Gouvernement, d’autre part, de l’ordonnance du haut-commissariat en Afrique française du 6 décembre 1942 régissant le commandement et le statut de la gendarmerie sur ce territoire. La gendarmerie, sous la tutelle du ministre de la Guerre, fait à nouveau partie intégrante de l’armée.
En ce qui concerne la garde, jusqu’à une date fixée ultérieurement par le Gouvernement, elle reste une Arme indépendante de la gendarmerie, dont elle a été une composante jusqu’au décret du 17 novembre 1940 l’incorporant dans l’armée de l’armistice. L’ordonnance du 5 juillet abroge la loi du 24 mars 1943, qui l’a rattachée au ministère de l’Intérieur. Dès lors, comme la gendarmerie, elle retrouve sa place dans les armées. Le 10 octobre 1944, elle reprend son appellation de Garde républicaine.
Le Commissaire à la Guerre, à titre provisoire, et jusqu’à la fin des hostilités, fixe par arrêté l’organisation territoriale, l’articulation du commandement et de l’inspection des formations de la gendarmerie et de la garde, dans la métropole et en A.F.N., attributions dévolues normalement à la direction de la gendarmerie.
L’ordonnance aborde enfin la question du statut des personnels. Les gardes restent provisoirement soumis à celui de juillet 1941 élaboré par le Gouvernement de l’État français. Pour les gendarmes, elle fixe au 1er septembre 1944 le retour au statut initial de sous-officier de carrière arrêté en mars 1928.
Des instructions et circulaires précisent les modalités d’application des dispositions de l’ordonnance du 5 juillet. Ainsi, l’instruction n° 1584-E.M. P./D. M, du 23 juillet 1944, prise à Londres sous la signature du général Koenig, abroge le statut du personnel de la gendarmerie du 17 mars 1943 et détermine les conditions du retour à celui de la IIIe République. Pendant l’Occupation, à la suite de la loi du 9 février 1941, un contrat d’engagement de 3 ans liait les gendarmes au service sous le régime de la commission. Nommés gendarmes à leur sortie de l’école préparatoire, ils recevaient une affectation en brigade en qualité de gendarme stagiaire. Sur la base d’une commission, valable pendant toute la durée de leur service dans la gendarmerie, la titularisation, s’ils en étaient jugés dignes, intervenait à l’expiration du contrat de trois ans. L’admission des gendarmes au statut de sous-officiers de carrière, après cinq ans de service, leur garantit la permanence de l’emploi. La perte de l’état militaire n’est possible que pour l’une des causes suivantes : démission régulièrement acceptée, perte du grade motivée par une condamnation à une peine criminelle, destitution.
Par ailleurs, l’instruction n° 1584 édicte une série de dispositions qui font table rase de la réglementation prise sous le régime de Vichy. En matière de recrutement, elle écarte de la gendarmerie « les militaires ayant servi au 1er régiment de France ou dans les formations militaires ou paramilitaires antinationales ». Au plan disciplinaire, elle habilite les commandants de légion à proposer pour l’élimination, par mesure de discipline, les sous-officiers ayant manifesté une attitude antinationale ou ayant encouru l’indignité en raison de leur appartenance aux groupements antinationaux. Dans l’attente d’une décision, le commandement les place dans la position de non-activité. Pour les mêmes motifs, la direction peut éliminer des sous-officiers que les commandants de légion n’auraient pas estimé devoir proposer pour l’application d’une telle mesure. L’instruction prévoit encore la réintégration d’office des sous-officiers ayant fait l’objet d’une décision d’élimination pour motif d’ordre racial, appartenance à des sociétés secrètes ou attitude hostile au Gouvernement de Vichy. Le 7 août, les commandants de légion reçoivent l’ordre de procéder à l’examen de la situation des officiers se trouvant dans ce cas, même sans demande de leur part. Quant aux personnels radiés des cadres par mesure disciplinaire, leur réadmission est subordonnée à la décision de la direction prise au vu d’un rapport explicitement motivé des chefs hiérarchiques.
Notons également la disposition qui prescrit d’expurger des dossiers des personnels, pour les détruire, les documents manuscrits constatant la prestation de serment de fidélité au chef de l’État. Conformément aux dispositions de l’article 22 du statut de la gendarmerie élaboré en 1942, cette assermentation était en effet prêtée par écrit, dès l’admission dans la gendarmerie, suivant la formule fixée par l’acte constitutionnel n° 8 :
« Je jure fidélité à la personne du Chef de l’État, promettant de lui obéir en tout ce qu’il me commandera pour le bien du service et le succès des armes de la France. »
Précisons cependant que tous les gendarmes n’ont pas signé le serment de fidélité, notamment en zone Nord.
Dernière mesure importante à souligner, l’abrogation de la dépêche ministérielle du 6 octobre 1942, relative au mariage des sous-officiers, stipulant que « toute autorisation de contracter mariage avec une personne de nationalité étrangère ou de race juive sera refusée au personnel de la gendarmerie ».
Le 3 février 1945, quatre mois après les gendarmes départementaux, les personnels de la garde recouvrent à leur tour le statut fixé par le décret du 10 septembre 1935. Les grades de « gardes brevetés » et de « maréchaux-des- logis majors », créés pendant l’Occupation, disparaissent. Leurs titulaires reprennent respectivement les grades de « garde » et de « maréchal des logis-chef ». Les gardes stagiaires sont nommés élèves gardes ou titularisés gardes. En définitive, on en revient à la hiérarchie de la G.R.M.
Le recrutement du personnel non-officier de la garde s’effectue, comme avant guerre, dans les mêmes conditions que dans la gendarmerie départementale. Les sous-officiers des corps de troupe des grades d’aspirant, adjudant-chef, adjudant, sergent-major et maréchaux des logis majors, reclassés avec leur grade dans la garde, par suite de la dissolution de l’armée d’armistice, en novembre 1942, peuvent y poursuivre leur carrière, à condition de perdre un échelon de grade. La possibilité de réintégrer les corps de troupe, sur leur demande, avec le grade qu’ils détiennent a un effet attractif.
Par décret en date du 23 août 1944, la légion de la garde de Paris, amputée sous Vichy de ses références au régime républicain, reprend son titre traditionnel de Garde républicaine de Paris. À compter du 1er septembre 1944, ses personnels, comme ceux de la gendarmerie départementale, jouissent à nouveau du statut de sous-officier de carrière.
Le 14 janvier 1945, la gendarmerie et la Garde républicaine fusionnent en une seule et même Arme. La décision de réunification constitue une étape significative dans le processus de réorganisation de l’institution.
La réorganisation du Haut commandement
La réorganisation du Haut commandement se déroule par étapes, au fur et à mesure de l’évolution de la situation militaire. Placé sous les ordres du Commissaire à la Guerre, le Commandement général de la gendarmerie, à Alger, relève, depuis le 24 mars 1944, de l’autorité du général Taillardat, ancien commandant de la légion du Maroc. Le 21 juillet 1944, par décision n° 1544/EMP/CM, le général Koenig, délégué du Gouvernement provisoire de la République française, qui a la charge d’exercer en territoire libéré l’ensemble des pouvoirs réglementaires et administratifs, crée à Londres une Direction de la gendarmerie. Tous les personnels qui entrent dans sa composition proviennent de formations stationnées en Afrique du Nord. Le lieutenant-colonel Girard, nommé directeur de la gendarmerie, est secondé par un officier adjoint, le capitaine Demettre. La direction, subordonnée au général Koenig, a autorité sur toutes les formations de l’Arme des territoires libérés. Dans les circonstances exceptionnelles de la Libération, son rôle, consiste à actionner directement, à coordonner et à contrôler le service, à traiter les questions relatives à l’organisation, aux besoins, à l’instruction et à l’administration des forces de gendarmerie, à mettre au point les mesures à prendre dans la métropole pour assurer, au fur et à mesure de la libération du territoire, la continuité du service, à élaborer un projet de réorganisation de la gendarmerie pour le temps de paix, à établir des propositions pour l’administration du personnel officier et sous-officier, et à diffuser aux formations de l’Arme tous textes réglementaires les concernant ainsi qu’instructions, directives et ordres.
À la fin du mois de juillet 1944, la direction quitte Londres pour Porsthmout où elle embarque à destination de la France. Ses éléments débarquent à Cherbourg. Elle séjourne plusieurs jours dans le port normand puis, à la suite du colonel Chevigné, gagne successivement Rennes, Angers et Rambouillet pour atteindre Paris le 25 août.
Depuis Londres, et jusqu’à son arrivée dans la capitale, elle prépare et diffuse, aux formations des territoires libérés, ordres, instructions et directives diverses, dont les principaux sont insérés au Mémorial de la gendarmerie, dans un « Cahier spécial » de la Libération. On y relève des notes établies à Londres, datées des 21, 23, 27 et 30 juillet, à Cherbourg, des 7 et 9 août, à Rennes, du 12 août, à Angers, du 17 août, et à Rambouillet, du 23 août.
Entre le 21 juillet et le 25 août 1944, la situation du Haut commandement de la gendarmerie est unique dans les annales. En effet, trois structures, relevant d’autorités différentes, coiffent l’Arme. D’une part, il y a la Direction générale de la Gendarmerie nationale, placée sous la coupe directe de Pierre Laval, chef du Gouvernement de l’État Français, avec à sa tête le général Martin. D’autre part, on trouve, subordonné au commissaire à la Guerre, le Commandement général de la gendarmerie, à Alger, avec le général Taillardat. Enfin, il y a la Direction de la gendarmerie, structure de transition, créée à Londres, placée sous la tutelle du général Koenig.
Le 10 septembre, le ministre de la Guerre, M. Diethelm, remplace la Direction de la gendarmerie par un Commandement de la gendarmerie et de la Garde républicaine qui regroupe la Garde républicaine de Paris, la gendarmerie départementale, la Garde républicaine, la gendarmerie d’Afrique et la gendarmerie coloniale. Pendant la phase d’organisation de l’armée de Terre, le ministre confie à la D.P.M.A.T. la gestion des personnels officiers de toutes les Armes et Services. Sa décision entraîne la création, par arrêté du 25 septembre, d’un Bureau de la gendarmerie et de la Garde républicaine directement rattachés à la D.P.M.A.T.
Le 1er novembre, un nouvel arrêté, pris en application de l’ordonnance du 5 juillet 1944, porte création d’une Direction de la gendarmerie qui relève du ministre de la Guerre. Sa compétence s’étend sur toutes les formations des deux subdivisions de l’Arme. À la même date, le ministre transforme le Bureau de la gendarmerie et de la Garde républicaine en une Sous-direction de la gendarmerie qui reste rattachée à la D.P.M.A.T. au 231 boulevard Saint-Germain. Le lieutenant-colonel Colonna d’Istria, un des pionniers de la libération de la Corse, prend la fonction de sous-directeur de la gendarmerie assisté par un adjoint, le lieutenant-colonel Bezanger.
Le 3 novembre, une instruction détermine les attributions, techniques, administratives et en matière de personnel, du directeur de la gendarmerie. Si l’administration du personnel sous-officier lui incombe directement, en revanche, il ne peut émettre que des propositions, pour celle du personnel officier, par l’intermédiaire de la sous-direction. Le rattachement de cette dernière à la Direction de la gendarmerie intervient le 31 janvier 1945.
Dans l’intervalle, le 25 novembre, le colonel Meunier succède au lieutenant-colonel Girard au poste de directeur.
Un arrêté du 20 mars 1945 confie l’inspection des formations de la Garde républicaine à un officier général de gendarmerie nommé par décret. Pour remplir sa mission, il dispose d’un état-major comprenant quatre officiers. En 1939, avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale, la direction se trouvait, au numéro 10 de la rue Saint-Dominque, dans l’un des immeubles du ministère de la Guerre. À la Libération, elle s’installe dans le quartier des ministères, aux numéros 17 et 19 du boulevard de la Tour-Maubourg. Elle y occupe deux bâtiments, acquis en 1943, destinés à la section gendarmerie des territoires occupés. Par suite des contraintes imposées par les ordonnances allemandes sur les constructions et travaux immobiliers, la gendarmerie en avait différé la mise en état et l’occupation. Les nouveaux locaux constituent un ensemble homogène d’appartements particuliers, vastes et bien éclairés, disposés en rectangle autour d’une cour intérieure. Courant 1945, les aménagements entrepris permettent de transformer les appartements existants en une soixantaine de bureaux.
Suppressions, créations et transformations
À Paris, la section gendarmerie des territoires occupés, échelon avancé de la direction générale en zone nord, créée en juillet 1940, pour assurer la liaison avec les autorités allemandes, cesse toute activité à partir du 20 août 1944.(73)
Le 3 septembre 1944, l’état-major Guerre supprime les inspections et commandements régionaux créés, en 1943, à Dijon (légions de Franche-Comté et de Bourgogne), Lyon (légions du Lyonnais et du Dauphiné) Marseille (légions de Provence, des Alpes et la compagnie autonome de la Corse) et Toulouse (légions de Guyenne et de Gascogne).(74) Simultanément, il remet en vigueur les dispositions du décret du 11 février 1938 qui entraînent la reconstitution des arrondissements d’inspection adaptés provisoirement aux régions militaires : (1er à Paris, 2e à Nancy, 3e à Lyon, 4e à Alger, 5e à Bordeaux). Contrairement aux commandements régionaux de Vichy, véritables organes de direction du service, cet échelon, comme par le passé, remplit principalement des fonctions d’inspection et de contrôle des formations de gendarmerie et de la Garde républicaine. Un inspecteur général, issu de l’Arme, se substitue aux deux inspecteurs généraux qui coiffaient respectivement les zones nord et sud. Le colonel Baracher exerce initialement cette fonction.
Une décision du 9 septembre 1944 prononce la dissolution du corps de gendarmerie appelée Garde personnelle du Chef de l’État, créé par arrêté du 19 août 1942. Depuis le débarquement du 6 juin, une vingtaine de gradés et de gendarmes ont rejoint individuellement les F.F.I. Le gros de l’effectif ne passe en bloc au maquis d’Auvergne qu’après le 20 août, date de l’enlèvement du maréchal Pétain à Vichy. Jusqu’au 13 septembre, les compagnies participent à des opérations.(75) Le 15, le peloton motocycliste reçoit l’ordre de la direction de rejoindre Paris. Les autres unités, de retour du maquis, reprennent contact à Vichy, d’une part, avec l’organe liquidateur, d’autre part, avec les gardes restés sur place, détachés en renfort de la police pour prévenir les pillages dans la ville désertée au moment de la Libération. Les gardes, rassemblés à la caserne d’Orvilliers et au Concours hippique, exécutent diverses missions jusqu’au 8 novembre. Entre-temps, avant qu’ils ne rejoignent leurs nouvelles affectations, on leur distribue des boutons et des pattes de collet de la gendarmerie départementale. Puis, c’est le départ pour rejoindre leurs unités d’affectation où ils ne reçoivent pas toujours un accueil chaleureux.
La Musique de la Garde personnelle du chef de l’État, organisée par un décret du 17 juillet 1942, est également dissoute le 9 septembre. Cette formation, précédemment Musique de la Garde républicaine de Paris, avait suivi le Maréchal à Vichy en juin 1940. En quatre ans, elle a donné plus de 200 concerts, diffusés par la Radio-Nationale, indépendamment des prestations à l’occasion du service et de différentes manifestations. La dernière en date se déroule à Clermont-Ferrand, le 7 juillet 1944, à l’occasion de la messe célébrée à la mémoire de Philippe Henriot abattu par la Résistance. La reconstitution de la Musique de la Garde républicaine de Paris se fait immédiatement. Y sont affectés les officiers et sous-officiers ayant appartenu à la musique de la Garde personnelle du Chef de l’État. Sa composition (un chef de musique, un sous-chef, 13 musiciens de 1re classe, 25 de 2e classe, 25 de 3e classe, 20 de 4e classe, un tambour-major, un maréchal des logis tambour ou clairon, 8 gendarmes tambours et 16 gendarmes clairons, un secrétaire, deux conducteurs) et son effectif (91) ne subissent pas de changement. Deux ans plus tard, un décret du 23 juin 1947 porte son potentiel à 123 musiciens. Le 2 mars 1945, à la suite à l’éviction du chef de musique, le ministre ouvre un concours pour le recrutement et la nomination d’un remplaçant. Parmi les conditions générales à remplir, les postulants doivent établir une déclaration sur l’honneur de « n’avoir jamais appartenu à aucun des groupements antinationaux désignés à l’article 1 de l’ordonnance du 21 décembre 1943 et à l’article 10 de l’ordonnance du 9 août 1944 ». Le choix du jury, ratifié par le ministre de la Guerre, se porte sur François Julien Brun, premier prix de flûte du conservatoire de Paris, lauréat des classes de fugue et d’harmonie, premier au Grand Concours International de 1938 à Vienne. Il succède au commandant D… arrivé au pupitre en 1927. L’adjudant Raymond Richard, 1er prix de direction d’orchestre du conservatoire de Paris, le seconde.
Le 13 janvier 1945, une circulaire supprime le peloton de gendarmerie à cheval de Lyon, les brigades mixtes (zone nord) et les brigades motorisées (zone sud), formations nées des circonstances, pendant l’Occupation, dont l’existence ne se justifie plus. Après l’extériorisation de la G.R.M. de la gendarmerie, la création des brigades motorisées répondait à deux nécessités. D’abord, utiliser les effectifs disponibles de la G.R.M., ensuite, mettre sur pied des réserves, à la disposition du commandement. Les brigades motorisées, complètement intégrées dans le cadre normal d’activité de la gendarmerie, au sein des sections, constituaient le complément indispensable des unités territoriales qu’elles exonéraient de certaines missions en dehors du service traditionnel. Entre 1942 et la Libération, par suite de l’accroissement des besoins particuliers du maintien de l’ordre (surveillance de la ligne de démarcation, des frontières, des points sensibles, des camps d’internements, des transfèrements divers etc.), le commandement regroupait à la demande les brigades motorisées pour former des pelotons supplétifs employés de façon intensive par les autorités. Leur utilisation sous cette forme, prévue initialement à titre exceptionnel, devint en fait, par suite des circonstances, une utilisation normale. À partir de la fin janvier 1945, la dissolution des brigades motorisées entraîne un redéploiement important d’effectifs et l’abandon des casernements correspondants. Le 12 septembre 1944, l’état-major guerre dissout la direction générale de la garde, les commandements des 1re et 2e brigades et l’École de la Garde de Guéret. Les personnels composant ces organismes (officiers, adjoints techniques, gradés, gardes, agents des corps de troupes, élèves-officiers, élèves-gradés et élèves-gardes) reçoivent de nouvelles affectations. Le lieutenant-colonel Daubigney, les capitaines Puthoste et Grange, de la direction générale, en voie de liquidation depuis la fin août, sous l’autorité d’un général venu d’Alger, reçoivent l’ordre de rejoindre le Commandement de la gendarmerie et de la garde à Paris et d’y apporter les archives de la période de l’Occupation. Comme en témoigne l’un des officiers, l’accueil peu amène qu’ils reçoivent n’est guère encourageant :
« La plupart des officiers constituant la direction ne nous accueillent pas fraternellement. Ils étaient en Afrique du Nord moins exposés que nous en métropole. Nous ne sommes pas responsables si la garde a dû faire bande à part et s’est trouvée exposée près de la gueule du loup contrairement à eux… »(76)
Leur connaissance des dossiers et leur qualité de résistants les désignent tout naturellement pour préparer le retour de la garde dans la gendarmerie.
L’instauration de la ligne de démarcation, qui avait nécessité en juillet 1940 la partition des 5, 7, 8, 9, 12, 13 et 18e légions de gendarmerie départementale, portait manifestement atteinte à l’unité de l’Arme. Il en résultait des dysfonctionnements. Ainsi, le 1er octobre 1940, le colonel commandant la 9e légion-bis mentionnait dans un rapport que « l’exécution des enquêtes, recherches, vérifications par la gendarmerie et la transmission de leurs résultats subit des retards d’autant plus ennuyeux que, très fréquemment, le temps restant aux brigades pour les effectuer en est rendu très court (sept à huit jours de retard) »(77). Dès la Libération, la gendarmerie retrouve son unité. D’une part, elle rétablit, par étapes, l’assiette territoriale antérieure à la réorganisation du 30 juillet 1940. D’autre part, les légions créées par Vichy, qui avaient pris le 9 janvier 1943 les noms de provinces, reprennent leur ancienne dénomination : 1° Lille, 2° Laon, 3° Rouen, 4° Angers, 5° Orléans, 6° Châlons-sur-Marne, 8° Dijon, 8°bis Besançon, 9° Poitiers, 10° Strasbourg, 11° Rennes, 12° Limoges, 13° Clermont-Ferrand, 14° Lyon, 14° bis Grenoble, 15° Marseille, 15° bis Nice, 16° Montpellier, 17° Toulouse, 17° bis Montauban, 18° Bordeaux, 20° Nancy, Légion de la Garde républicaine de Paris, légion de Paris Est, Paris Nord Ouest, Paris Sud Ouest, Légion de Seine-et-Oise.(78)
Le 14 septembre 1944, la direction ordonne la reconstitution de la 10e légion de gendarmerie départementale (ancienne légion d’Alsace-Lorraine), sur le territoire des départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, dont elle a confié le commandement, dès le 7 septembre, au lieutenant-colonel Sérignan.(79) En 1940, la légion d’Alsace-Lorraine avait été repliée en zone libre. Une partie stationnait à Toulouse, l’autre partie à Roanne. En 1941, la dissolution de la légion avait entraîné la dispersion de ses personnels dans différentes unités de la zone sud.
La tâche du lieutenant-colonel Sérignan est d’autant plus ardue qu’une rude bataille est en cours en Alsace et en Lorraine. Et puis, il faut trouver les effectifs nécessaires. En priorité, le commandement décide de regrouper et de mettre en place les gendarmes départementaux qui servaient dans ces régions avant l’armistice. Il complète la ressource en faisant appel à des volontaires des ex-unités de Garde républicaine mobile stationnées avant les hostilités en Alsace et en Lorraine ainsi qu’à des personnels originaires de ces trois départements et y possédant des attaches familiales. Sur ordre de la direction, les 1, 2, 4, 5, 11 et 20e légions mettent en route de toute urgence un certain nombre de gradés et gendarmes. Le chef de corps, parti de Paris avec un effectif très réduit, reçoit au cours de sa progression des détachements de l’ancienne légion. Il apprécie ainsi la situation :
« La mise en route et l’arrivée de ces détachements ne m’étaient jamais signalées ! Ils nous rejoignaient à l’improviste, généralement le soir, et il fallait faire de véritables tours de force pour assurer leur subsistance et leur hébergement. »
Suivons le périple du détachement en provenance de Toulouse, commandé par le capitaine Gross, composé de 173 gradés et gendarmes départementaux.(80) Son mouvement, pour rejoindre les départements des Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle, commence le 18 septembre et s’échelonne sur plusieurs semaines. Le 19 septembre, à 0 heure 15, il arrive en gare d’Oullins. En raison de la destruction des gares de Lyon et de ses ponts (27 sur 29), et faute de moyens de transport, le personnel cantonne sur place dans les wagons. La cantine de la SNCF assure son alimentation. Le lendemain, effectuant une liaison à Mâcon, le capitaine Gross parvient à joindre un prévôt de la 1re armée, le lieutenant-colonel Finelli. Celui-ci ne peut lui donner aucune précision sur la durée du séjour du détachement à Oullins et sur la destination de la prochaine étape. Mais, il lui promet de le mettre en rapport avec le G.Q.G. Le 26, le détachement quitte la gare d’Oullins pour rejoindre, via Dijon, Nancy, lieu probable de son prochain stationnement. Le 1er octobre, alors que les gendarmes se trouvent à Dijon, le capitaine Gross se rend à Nancy, au P.C. du lieutenant-colonel Sérignan, pour une prise de contact. Le commandant de légion dispose à cette date d’un effectif de 200 hommes, élèves-gendarmes de l’École de Brive et anciens gardes républicains mobiles, répartis par petits éléments en de nombreux points. Le 27 novembre 1944, à la suite des armées alliées, le premier détachement de la 10e légion pénètre dans la ville de Strasbourg libérée.(81)
Un arrêté du 11 janvier 1945 porte réorganisation de la gendarmerie de la région de Paris. Un général de division ou de brigade, assisté d’un état-major, assure le commandement de toutes les formations qui y sont stationnées soit 2 légions de gendarmerie départementale, la légion de la Garde républicaine de Paris et 2 légions de Garde républicaine. Les forces supplétives, rassemblées dans la région parisienne pour le maintien de l’ordre, passent sous son autorité.
Le 1er octobre 1945, la gendarmerie met en concordance les légions de gendarmerie départementale avec les quatorze nouvelles régions militaires groupées par un décret de juin 1945.
À la fin du mois d’octobre 1944, un corps de gendarmerie de l’Air, semblable à celui mis sur pied en Afrique du Nord le 15 septembre 1943, voit le jour en métropole. Il est rattaché à l’armée de l’Air jusqu’en 1947, date de son intégration dans la gendarmerie. Dans l’immédiat, cette création se traduit par la constitution d’un détachement auprès de chaque région aérienne à Paris, Dijon, Tours et Aix-en-Provence. Les effectifs nécessaires à cette création, prélevés sur la gendarmerie départementale, comprennent quarante gradés et gendarmes soit un adjudant-chef, un adjudant, un maréchal des logis-chef et huit gendarmes par formation.
En Allemagne et en Autriche, dans la zone d’occupation attribuée à la France, le ministre crée la gendarmerie des F.F.A. La direction met en place un commandement des forces de gendarmerie, initialement placé sous l’autorité d’un colonel et à partir de 1946 sous celle d’un général de brigade, avec pouvoir d’inspection sur l’ensemble des unités stationnées Outre-Rhin. Au terme du processus d’organisation des F.F.A., la gendarmerie d’occupation s’articule en 4 légions territoriales auxquelles s’ajoutent la compagnie autonome de la Sarre, la compagnie autonome de gendarmerie d’Autriche et 2 légions d’intervention du type Garde républicaine. En 1947 l’effectif avoisine 9 000 hommes.
Pour libérer les légions des questions administratives pouvant être traitées à un échelon supérieur la direction avait créé en 1943 plusieurs centres d’administration de la gendarmerie (Chasseneuil, Courbevoie). En 1944, elle n’en conserve qu’un rattaché directement à la sous-direction de l’Arme.
La garde, très dispersée, reprend petit à petit sa physionomie d’autrefois. En vue de sa reconstitution, le 3 octobre 1944, le général de corps d’armée Leyer, chef de l’État-major général Guerre, charge de mission le colonel Desfontaine, auprès des commandants des légions de GR situées au sud de la Loire (4, 3, 5 et 6e légion), pour faire le point sur la situation des officiers placés sous leurs ordres et notamment de ceux qui ont été relevés de leur commandement.(82) Il doit notamment déterminer les raisons des sanctions prises et prendre l’avis des autorités locales (commissaire de la République, préfet, commissaire régional militaire, commandant départemental des F.F.I.).
Une dépêche du 9 octobre ordonne de reformer tous les régiments ainsi que les unités dissoutes dans les régions de Lyon et de Toulouse. Le 24 août 1944, le colonel Ravanel, commandant les F.F.I. de la région de Toulouse avait prononcé la dissolution du 6e régiment implanté dans la région. Les personnels des 3e, 7e et 8e escadrons avaient été répartis dans les unités des F.F.I. (groupe Reusser, groupe Alsace-Lorraine, groupe Matabiau, demi-brigade de l’Armagnac, état-major régional, etc.). En fait, considérant que la dissolution de la garde stationnée à Toulouse ne pouvait être prononcée que par le Gouvernement les autorités de la gendarmerie avaient considéré que la mesure prise localement ne devaient pas entraîner une suppression effective de cette formation. Aussi la décision avait-elle été prise, à l’insu des autorités, de ne pas établir le procès-verbal de dissolution du 6e régiment. L’échelon administratif était resté constitué en entier et avait assuré la pérennité de la formation. Le terme de liquidation, employé par le commandement, pour rendre compte de la dissolution du régiment le 24 août l’avait été par nécessité du moment mais ne correspondait pas à la réalité. Conformément aux instructions reçues, les officiers, gradés et gardes non suspendus avaient été admis par pelotons dans 3 groupes de F.F.I. de la région commandés par des ex-officiers d’active. Enfin tous les personnels avaient perçu jusqu’au 31 août leur droit à solde y compris les officiers relevés de leur commandement. Début octobre, la majorité des gradés et des gardes du 6e régiment qui servaient dans les rangs des F.F.I. stationnés dans la région de Toulouse ont rejoint leur unité d’origine. À la mi-novembre, il manque encore un détachement de 3 officiers, 116 gradés et gardes, placé sous les ordres du capitaine Rabaséda, incorporé dans la colonne Schneider qui a quitté Toulouse en septembre pour se porter vers le Nord-Est. Début novembre, ces éléments participent aux opérations avec le groupement F.F.I. engagé dans un secteur des Vosges. Après accord avec le colonel Schneider, les gardes réintègrent leur garnison le 18 novembre.(83)
Dans la région de Limoges où stationnent les principaux éléments des 3 et 5e régiment, la situation est assez longue à se clarifier. Le colonel Rivier, commandant la 12e région militaire, nomme le lieutenant-colonel Corberand chef de la garde de la région et le chef d’escadron Besson, commandant le 5e régiment, chef d’état-major.
Quelques unités de la garde se trouvent hors du territoire métropolitain jusqu’en mai 1945. Depuis le 31 août 1944, le groupement Daucourt, composé de 4 escadrons du 4e régiment, participe aux opérations militaires, d’abord dans la région de Lyon, puis en Alsace et en Allemagne où il termine la campagne le 8 mai 1945.(84)
Courant octobre, le commandement fixe les nouvelles portions centrales des régiments : 1er à Paris, 2e à Vichy, 3e à Nancy, 4e à Riom, 5e à Limoges, 6e à Toulouse. Le 1er juin 1945 la direction arrête la nouvelle organisation de la GR en métropole. Elle comprend 9 légions (1re Lyon, 2e Marseille, 3e Saint Quentin, 4e Nancy, 5e Limoges, 6e Toulouse, 22e Arcueil, 23e Courbevoie, 24e Drancy), articulées en 19 groupes et 76 escadrons. Au fur et à mesure des disponibilités en casernement, la réalisation d’implantations nouvelles permet d’accroître le nombre d’escadrons.
Recomplètement des effectifs
À la Libération, la nécessité de recruter des personnels supplémentaires s’impose. L’Arme subit une grave crise des effectifs. Corrélativement, les charges dévolues aux unités s’accroissent. Plusieurs causes expliquent la diminution et la fluctuation des ressources. La première, comme cela a déjà été indiqué, résulte des pertes consécutives aux opérations de guerre. La deuxième est liée à la création de nouvelles formations : gendarmerie d’occupation en Allemagne et gendarmerie de l’Air. Au mois d’août 1944, la mise en place de prévôtés de base, à Cherbourg, Brest, Saint-Nazaire, Cognac etc., suivie de la création de forces prévôtales auprès des armées alliées, affecte le potentiel des brigades. La troisième résulte du retour dans les corps de troupes, à partir de mars 1945, d’officiers et de sous-officiers de tous grades de l’armée de l’armistice, reclassés dans la garde en novembre 1942, à la suite de la dissolution de nos forces.(85) La quatrième est due à l’augmentation, dans les douze mois qui précèdent la Libération, de départs anticipés à la retraite, motivés par la lassitude, les risques encourus ou encore la réprobation à l’égard des tâches à accomplir. Certes, pour prévenir de trop nombreux départs, les offres de démissions n’étaient pas acceptées. Cependant, gradés et gendarmes avaient la possibilité de quitter l’Arme après 25 ans de service. Dans la légion du Limousin, au cours du quatrième trimestre de l’année 1943 et du premier trimestre de l’année 1944, on dénombre le départ de 24 sous-officiers (11 gradés et 13 gendarmes).(86)
En décembre 1944, dressant le bilan des besoins, le colonel Meunier estime que la gendarmerie, par rapport à 1939, connaît un sous-effectif de 10 000 hommes et de 200 officiers.(87) Deux exemples nous donnent un aperçu de la situation. À la date du 10 octobre 1944, la compagnie de l’Aveyron, pour un effectif théorique de 8 officiers et 480 sous-officiers, ne dispose que de 7 officiers et de 406 sous-officiers, soit un total de 68 vacances. Au moment de ce recensement, 20 sous-officiers servent dans des formations de la Résistance en qualité d’instructeurs ou d’officiers. En fin d’année 1944, la 12e légion accuse un déficit de 30 % par rapport à l’effectif autorisé. Aux 250 postes à pourvoir s’ajoute l’absence de 200 gendarmes qui servent dans les FF.I. Dans les Pyrénées-Orientales, en juillet 1945, le commandant de légion estime les besoins à 450 gendarmes alors que la compagnie n’en dispose que de 300.
Les opérations militaires, en France et en Europe, ne prennent fin que le 8 mai 1945. Cette situation conduit à un recrutement difficile car les jeunes gens des classes 42-43 sont appelés et incorporés dans des unités de la Ire Armée et de la 2e D.B.
Le 7 août 1944, pour remédier au déficit constaté, la direction décide de reprendre immédiatement le recrutement.(88) Préalablement, elle abroge l’instruction du 20 juin 1941 fixant les conditions exigées pour être candidat, à savoir :
« 1- Avoir 27 ans au moins et avoir accompli le temps de service militaire fixé par des instructions particulières,
« 2- Ne pas être juif selon la définition de la loi du 2 juin 1941
« 3- Posséder la nationalité française à titre originaire. »
Avec quelques aménagements de circonstance, la gendarmerie en revient aux dispositions du décret du 10 septembre 1935. Les candidats sont recrutés parmi les français non compromis et non suspects du point de vue national. Ils doivent être âgés de 20 ans au moins, et de 35 ans au plus, avoir la taille de 1m65, remplir les conditions d’aptitude physique fixée par les instructions, posséder une instruction primaire suffisante et justifier une bonne conduite soutenue, tant dans la vie sociale que sous les drapeaux. Pour parer à l’urgence des besoins, sans attendre ni préjuger de la décision à intervenir à leur sujet, ils peuvent être affectés immédiatement à la brigade de leur résidence pour servir comme gendarmes auxiliaires. Dans les départements, les autorités militaires portent à la connaissance de la troupe et des F.F.I. le recrutement auquel procède la gendarmerie. Ainsi, le 17 août 1944, le commandant de la subdivision militaire de Rodez informe par voie de presse les membres des F.F.I. « qu’ils sont autorisés à contracter un engagement pour le recomplètement de la gendarmerie. Les vacances existant actuellement dans cette arme seront de préférence attribuées aux F.F.I… »
De plus, le ministre autorise le recrutement minimum, par département, de 75 auxiliaires élèves-gendarmes. Devant l’impossibilité du moment de les habiller, le service de l’habillement étant dépourvu de stocks, ces personnels sont munis de brassards portant l’inscription gendarmerie. Ce type de recrutement fait apparaître un faible rendement. Pour la légion du Limoges, au mois d’octobre, le nombre d’auxiliaires se limite à 16. Sur l’ensemble du territoire, de l’avis des utilisateurs, ces personnels ne rendent que des services peu importants. Leur maintien sur place, dans des agglomérations dont ils sont originaires, présente de sérieux inconvénients.
Plusieurs commandants de légion estiment désirable, dès que possible, l’abrogation du système instauré et l’affectation des nouveaux admis dans une école préparatoire.
Le 9 août 1944, la direction décide de rappeler à l’activité des officiers subalternes et, si nécessaire, des officiers supérieurs appartenant aux cadres de réserve ainsi que des gradés et des gendarmes réservistes volontaires. Indépendamment des aptitudes physiques et intellectuelles requises pour remplir les fonctions de leur grade, les intéressés ne doivent pas être compromis du point de vue national et n’avoir pas appartenu à des groupements antinationaux.(89) Pendant des périodes de trois mois renouvelables, munis d’une lettre de service, les officiers rappelés servent en situation d’activité. Cette reprise du service se fonde sur un contrat reconductible, pouvant être résilié, avant l’expiration de chaque période, par l’une ou l’autre des parties, sous réserve d’un préavis.
Ces cadres, dont la plupart ont des titres de résistance, vont rendre d’excellents services. Quelques-uns remplacent des commandants de légion qui n’ont pas le crédit des nouvelles autorités. Début octobre 1944, le lieutenant-colonel Delmas, alias Drouot dans la clandestinité, commandant le secteur 4 et les troupes de la Résistance du Sud de Cahors (Lot), membre du groupe F.T.P.F. Vény, accepte de prendre le commandement de la 17e légion bis où la gendarmerie a du mal à asseoir son autorité. Grâce à ses relations privilégiées avec les autorités issues de la Résistance, la légion reprend rapidement une physionomie normale. Dans le Limousin, pour seconder le colonel S… qui a fort à faire pour normaliser le fonctionnement de la gendarmerie dans cette région très agitée, on affecte le lieutenant-colonel Henry, lui aussi résistant incontesté, auréolé par un beau passé militaire. Combattant de la Première Guerre mondiale, il a servi ensuite en Pologne dans le même état-major que le général de Gaulle. Quatorze fois blessé au combat, détenteur de vingt-neuf titres de guerre, il est le seul officier de la garnison de Châteauroux qui, le 26 juin 1940, ne se laisse pas faire prisonnier. Tous les officiers de sa légion s’étant repliés sur ordre vers le sud, il reste à la tête de sa compagnie et tire avec ses hommes les derniers coups de feu sur les Allemands. Près d’Argenton-sur-Creuse, dans une lutte désespérée, 11 de ses gendarmes tombent au combat. L’ennemi ne peut forcer le passage. Après l’armistice, de 1940, bien qu’inscrit sur la liste d’aptitude pour le grade de lieutenant-colonel, soucieux de conserver sa liberté il sacrifie son avancement en refusant de jurer fidélité au Maréchal. Après son admission à la retraite, le 20 août 1940, il se retire dans l’Indre et se met au service de la Résistance. En août 1944, il prend le commandement de la légion du Berry qu’il réorganise. Le général de Gaulle le cite « pour services de guerre exceptionnels ». La direction l’affecte ensuite à la légion du Limousin dont il prend la tête le 7 avril 1945. Promu à titre définitif colonel dans les réserves, il conserve le commandement de la légion, devenue 13e légion bis, jusqu’au 1er février 1946.(90)
Pour faire un point aussi exact que possible des effectifs, le 13 août 1944, la direction prescrit le recensement immédiat, quelle que soit leur position - activité, captivité, déportation, non-activité, réforme, congé, suspension d’emploi, radiation, révocation, retraite proportionnelle, d’office, etc. - de tous les militaires de l’Arme.(91) Le travail entrepris s’échelonne de septembre à février 1945. Tous les officiers, gradés et gendarmes, ou en leur absence leurs chefs hiérarchiques, renseignent une notice individuelle pré-imprimée faisant apparaître des renseignements individuels, d’ordres généraux, militaires et divers. Sous le couvert de cette opération, le commandement s’emploie à recueillir des informations sur les comportements des personnels entre 1940 et la Libération. Au verso de la notice établie par leurs subordonnés, les différents échelons hiérarchiques émettent obligatoirement un avis qui porte sur leur valeur professionnelle, leur conduite, leur attitude pendant l’Occupation, hostile ou favorable à la Résistance, leur appartenance à des groupements antinationaux.
Avec les documents établis, le commandement dispose d’utiles données exploitables dans le cadre de l’épuration interne pour déclencher notamment des enquêtes. À la suite des fréquentes mutations prononcées depuis la fin août 1944, les chefs amenés à prendre position ne disposent pas toujours de tous les éléments d’appréciation. La modération et la prudence caractérisent, d’une façon générale, les appréciations formulées par la hiérarchie. Mais cela ne signifie pas que le commandement ferme les yeux sur les conduites des subordonnés qui se sont mal conduits.
Toujours pour faire face au manque de cadres et de gendarmes, les diverses autorités battent le rappel des personnels passés aux F.F.I. Au début du mois de septembre 1944, dans la région de Toulouse, par ordre du commissaire régional de la République, en accord avec le général Cochet, représentant du Gouvernement en zone sud, tous les officiers, gradés et gendarmes appartenant à des groupes de Résistance sont invités à rejoindre immédiatement leurs unités d’origine.(92) Le chef régional des F.F.I., le colonel Ravanel, dès le 3 septembre, par note de service, en informe le colonel commandant l’arrondissement d’inspection :
« Les officiers et sous-officiers de la gendarmerie et les gendarmes actuellement incorporés dans les unités F.F.I. doivent immédiatement regagner leur légion d’origine.
Ils se présenteront dans les plus brefs délais à l’officier de gendarmerie commandant la gendarmerie du département dans lequel stationne actuellement leur unité F.F.I.
Ces officiers recevront des ordres sur l’affectation à leur donner. »
Si beaucoup obtempèrent, certains ne se résignent pas à quitter les F.F.I. Des anciens soldats ou sous-officiers de l’armée dissoute, passés dans la gendarmerie pendant l’Occupation, désirent y être détachés comme instructeurs, voire même obtenir une affectation définitive dans leurs rangs. D’autres, appartenant à la gendarmerie depuis des années, ne souhaitent plus reprendre du service préférant rester dans les F.F.I. Quelques contentieux naissent, avant même qu’une directive nationale ne leur enjoigne d’opter pour la gendarmerie ou l’armée.
Le 3 novembre 1944, le gendarme B…, de la brigade d’Issigeac (Dordogne), à la tête du 3e régiment F.F.I., avec le grade de commandant, sous le pseudonyme de Du Guesclin, depuis la région de La Rochelle où sont unité est en opération, s’adresse à son commandant de légion à Limoges auteur d’une note demandant aux gendarmes en service dans les F.F.I. de réintégrer la gendarmerie :
« Votre décision concernant la situation des gendarmes servant actuellement aux F.F.I. est absolument incompatible avec leurs aspirations, notamment en ce qui concerne les anciens militaires.
Pour vous il ne s’est rien passé et rien ne doit être changé. Or la réalité est toute autre et tous les gendarmes F.F.I. demandent instamment que la question soit reconsidérée sous un jour nouveau.
Après plusieurs mois de luttes farouches, certains d’entre nous ont obtenu jusqu’à quatre citations et ont été proposés pour la Légion d’honneur. Beaucoup sont officiers (commandant de section, de compagnie, de bataillon, voire de régiment).
Je sais que pour ceux de l’arrière cette ascension paraît abusive, presque irréelle. Elle n’est cependant que le fruit de faits tangibles, le résultat d’un labeur constant et dangereux où ceux qui ont le cœur bien trempé, ceux qui sont animés d’un souffle ardent de patriotisme ont pu donner libre cours à leur initiative intelligente libérée des règlements aveugles et tracassiers et ont prouvé enfin ce dont ils étaient capables.
Il est donc inadmissible que dans de telles conditions et dans l’intérêt général du pays de tels chefs puissent être rappelés brutalement à leurs anciennes fonctions suivant votre seul bon gré pour servir une cause certes très noble mais dont les avantages moraux et matériels qu’elle procure sont incompatibles avec les fonctions actuelles des intéressés.
Croyez-moi, je ne suis pas un révolté. Je n’ai servi qu’un an et demi dans la gendarmerie et pourtant j’aime cette arme. J’y ai d’ailleurs toujours travaillé consciencieusement. Mes chefs peuvent en témoigner. J’ai été classé 1er sur 176 élèves à mon stage d’instruction, j’étais candidat chef et candidat officier ; mais par-dessus tout je suis soldat et j’entends le rester…
Par contre je suis militaire de carrière. J’estime donc être dans la légalité en retournant dans l’armée. Les prescriptions de votre note sont contraires à toutes celles édictées jusqu’à ce jour et si le paragraphe n°1 est logique les 3 suivants sont inacceptables. Nous ne voulons plus percevoir la solde de la gendarmerie mais nous réclamons la liberté du choix de notre carrière future et il faut en l’occurrence que tous les gendarmes sous les drapeaux aient la possibilité de rentrer à nouveau dans l’armée la guerre terminée si tel est leur désir.
Je crois qu’il n’y a rien d’impossible à cela et j’estime qu’il n’est pas exagéré de prétendre à un peu d’égards pour ceux qui luttent et rehaussent de leur sang l’honneur même de la gendarmerie. »(93)
Le 20 décembre, le commandant Du Guesclin reçoit une réponse cinglante du commandant la légion :
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que les prescriptions de ma note de service ont été édictées par le général inspecteur du 5e arrondissement qui avait reçu à ce sujet un accord préalable du ministre de la guerre.
Sans préjuger de la décision définitive qui sera prise à l’égard du personnel servant au F.F.I., je crois qu’il lui sera fait application de la D.M./du 1er mars 1940 relative à l’exercice du droit d’option en cas de promotion au grade supérieur.
Ceci dit, je tiens à vous rappeler quelques principes d’éducation militaire qui me sont suggérés par la lecture de certains passages de votre lettre :
- gardez-vous de montrer un esprit pharisien et de soupçonner les autres d’être moins braves que vous-même.
- si vous avez participé à la libération de la France, ce qui vous honore, d’autres ont contribué à la Victoire, une différence existe entre ces deux mots.
- le courage est une chose, la modestie en est une autre Après cinq mois de campagne vous avez eu la chance d’être promu de sergent-chef à commandant F.F.I. ; d’autres actuellement à l’arrière et qui continuent à servir ont commencé la campagne comme sous-lieutenant et cinq ans après n’étaient que lieutenant.
Je crois même que le grand soldat auquel vous avez emprunté votre nom de guerre termina à 60 ans sa magnifique carrière comme grand capitaine… »(94)
Ce n’est que le 30 décembre 1944 que la direction prescrit aux gendarmes départementaux, passés au titre des F.F.I. dans des unités combattantes, au moment de la Libération, de revenir dans l’Arme. Deux exemples illustrent leur position. Dès son affectation à la brigade de Neuvic (Dordogne), en avril 1941, le gendarme Joubert apporte son concours à la Résistance. Au moment du débarquement, il rallie le camp Rolland puis le groupe Ancel avec lequel il participe à la libération de la Dordogne. Avec sa formation F.F.I., rattachée à la brigade Alsace-Lorraine du colonel Berger (André Malraux), il participe du 28 septembre au 11 octobre, dans les Vosges, aux combats de Bois-le-Prince, Ramonchamps et Le Thillot. Son bataillon se distingue du 25 au 29 novembre dans le Haut-Rhin en délivrant les villages de Karspach, Ballerssdorf et Dannemarie. Courant décembre, la brigade Alsace-Lorraine se trouve près de Strasbourg. Comme lui, plusieurs centaines de gendarmes sont présents sur le front d’Alsace. Au début de l’année 1945, se conformant aux directives reçues, il réintègre sa brigade à Neuvic.(95) D’autres gendarmes, après avoir combattu dans leur région d’affectation avec les F.F.I., se voient confier des missions dans les subdivisions militaires qui se mettent en place à la Libération. Le chef Cazals (Marcellin) commandant de brigade au Malzieu-Ville (Lozère), quitte son poste le 6 juin 1944 pour rejoindre le maquis d’Auvergne au Mont-Mouchet (Haute-Loire). Après la dispersion de ce dernier, à la fin du mois de juin 1944, il gagne le maquis de Haute-Lozère. Son chef, le commandant Thomas, le charge d’organiser et de commander les corps-francs sédentaires et la prévôté de la région Nord. La Lozère libérée, à partir du 22 août, il sert au 3e bureau de la subdivision militaire de Mende. Parmi d’autres missions, il vérifie la régularité des bons de réquisitions émis par les maquisards avant la Libération. Le 4 décembre 1944, rayé des contrôles, il reprend le service dans la gendarmerie.(96) Au mois de février 1945, de nombreux militaires de l’Arme servent encore dans les F.F.I. Le 6, le lieutenant-colonel commandant la 12e légion en signale 128.
Le 9 octobre 1944, l’État-Major général Guerre invite fermement tous les personnels de la garde se trouvant dans les rangs des F.F.I., et qui ne sont pas engagés directement dans le combat contre l’ennemi, à réintégrer leur corps d’origine, au plus tard le 15 novembre. Ceux qui s’abstiendront de rejoindre seront considérés comme rayés des contrôles. Toutefois, les isolés, en mesure de fournir une preuve officielle de leur impossibilité matérielle de respecter l’échéance fixée, bénéficient d’un délai de 15 jours supplémentaires.
L’état-major de l’armée, sous certaines conditions, autorise des militaires de la gendarmerie à poursuivre leur carrière dans les unités combattantes. Le gendarme Paulet (Marcel), de la brigade d’Andrezieux, passé au maquis du 1er août au 17 septembre 1944, avec le groupe France de la gendarmerie de la Loire, préfère continuer le combat contre l’ennemi. Il s’engage au 27e B.C.A. engagé sur le front des Alpes. Au lendemain de la guerre, admis à Coetquidam, il en sort officier en 1947 et termine sa carrière avec le grade de lieutenant-colonel après avoir servi vaillamment en Indochine et en Algérie. Comme lui, le gendarme Farnet, de la brigade de Saint-Bonnet-le-Chateau, ne poursuit pas sa carrière dans la gendarmerie après la Libération. Sous-lieutenant en 1949, il participe aux campagnes d’Indochine et d’Algérie. En 1957, chevalier de la Légion d’honneur, six fois cité, il prend sa retraite avec le grade de capitaine.(97)
Delannoy (Charles), gendarme à la brigade de Daglan (Dordogne), de décembre 1942 à juin 1944, fait partie du mouvement de l’A.S. Dordogne-Sud. Après les combats de la Libération, il continue sa carrière dans l’armée et prend part aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Au moment de son adieu aux armes, il est colonel.
La reprise du recrutement passe par la reconstitution et l’ouverture des écoles de formation dispersées courant juin 1944.
Le 17 novembre 1944, les Écoles préparatoires de gendarmerie de Romans et de Mamers reprennent leur activité. La réintégration de l’E.P.G. de Brive se révèle impossible, car des F.F.I. occupent la caserne. La direction la transfère à Tarbes, à la caserne Raffy. Le 1er décembre 1944, l’école ouvre ses portes à 3 compagnies d’élèves-gendarmes. De même, l’E.P.G. de Pamiers, occupée par des F.F.I., se replie sur Toulouse où elle commence à fonctionner au début du mois de décembre. Elle accueille 107 aspirants et 474 élèves-gendarmes.
Pour pallier au nombre insuffisant d’officiers, la direction intensifie leur recrutement. À partir de 1945, elle ouvre l’accès à l’école d’application, soit sur titres (licence), soit sur concours, avec accomplissement d’un stage préliminaire à Toulouse et à Mamers. L’école, installée provisoirement, depuis le 1er octobre 1943, à Courbevoie, caserne Charras, reçoit le 16 octobre 1944 quarante-deux stagiaires dont vingt et un gradés de la gendarmerie admis sur concours et 21 admissibles à Saint-Cyr en 1943. Le 15 novembre, un contingent de quinze aspirants, en provenance de la G.R., complète l’effectif initial. La scolarité se déroule en trois temps. Une phase théorique, qui s’achève le 26 février 1945, une phase pratique, de février à juillet, soit dans une section de G.D., soit dans un peloton de la G.R., enfin, un stage complémentaire de 6 mois, de juillet à décembre, sanctionné par le grade de sous-lieutenant. Au terme de la 1re phase, fin février, le commandement organise une présentation des élèves au drapeau de l’École. S’agissant de la 1re cérémonie après la Libération, elle est empreinte d’émotion et contraste avec celles, teintées de tristesse et de moins de solennité, qui l’ont précédée pendant l’Occupation. La première promotion, qui prend le nom du « lieutenant Milbert 1944-1945 », termine sa scolarité à Melun, quartier Augereau, où l’école est transférée le 1er octobre 1945. Entre 1945 et 1947, cinq promotions se succèdent qui totalisent un effectif de 250 officiers (Kilstett - effectif 46, Medjez el-Bab - effectif 92, d’Hers - effectif 53, Chalvidan effectif 27, Vessières - effectif 76).
Année |
CL |
LC |
CE |
CN |
LT & SL |
Divers |
Totaux |
1939 |
30 |
30 |
175 |
529 |
732 |
18 |
1514 |
1944 |
1200 |
||||||
1946 |
23 |
41 |
171 |
525 |
571 |
1331 |
|
1947 |
1630 |
Observations :
CL : colonel - LC : lieutenant-colonel - CE : chef d’escadron
CN : capitaine - LT : lieutenant - SL : sous-lieutenant
Divers : officiers autres arme
Une circulaire, du 23 avril 1945, remet en vigueur les stages des 1er et 2e degré, institués en 1942, pour la préparation des gradés, gendarmes et gardes à l’école d’application.
Dans des délais relativement rapides, comme le montre la progression de ses effectifs entre 1939 et 1947, le corps des officiers retrouve un potentiel suffisant.(98)
Avec une situation de 1 630 officiers et 60 000 gradés et gendarmes, l’année 1947 marque la fin de la crise observée en fin d’année 1944.
Les circonstances inhérentes à la Libération rendent impératives de nombreuses mutations d’office dans le corps des officiers. Seuls, ceux qui ne sont pas discutés par les autorités locales ou régionales, peuvent être maintenus dans leurs postes. Par précautions, pour les mettre à l’abri de vengeances, d’autres doivent être éloignés. Pour ces raisons, fin septembre 1944, les inspecteurs d’arrondissement reçoivent exceptionnellement délégation du directeur de la gendarmerie pour prononcer les changements de résidence qui s’imposent. Mais il ne s’agit que d’une mesure provisoire. Dès le 1er novembre, le ministre, à l’exclusion de toute autre autorité, prononce à nouveau, comme par le passé, les changements d’affectation des officiers. Toujours à partir de cette date, les mutations des gradés et gendarmes reprennent dans les conditions fixées par le décret du 10 septembre 1933.
En octobre 1944, la poursuite des opérations de guerre, malgré la libération de la plus grande partie du territoire, impose que tout le personnel soit présent, d’où la suspension du régime normal des permissions, des admissions à la retraite d’ancienneté ou proportionnelle avant 55 ans d’âge. La même restriction s’applique aux offres de démission.(99) La direction ne rétablit les autorisations de départ de l’Arme qu’à partir du 27 septembre 1945.
Rééquipement des formations
Le 9 août 1944, pour remédier aux difficultés d’ordre logistique, la direction élabore un plan de rééquipement, de toutes les formations, en matériels, armement, moyens de transport, effets d’habillement et d’équipement etc. Sa réalisation, qui s’inscrit dans le cadre plus général de celui de l’armée, s’échelonne dans le temps. Pour satisfaire en priorité les besoins les plus urgents, la direction autorise, sous certaines conditions, le recours à la réquisition et à la récupération. Au cours des événements de la Libération, en particulier dans les formations de Garde républicaine, les vols, pertes et destructions de nombreuses machines à écrire rendent indispensable leur remplacement. L’inexistence d’approvisionnement, pour ce type de matériel, pose problème. De plus, le contingent annuel de machines neuves, alloué par la Production industrielle, se trouve être réduit. Aussi, la direction admet l’achat de machines aux Domaines ou dans le commerce. Par ailleurs, les gendarmes qui détiennent à titre personnel une machine, moyennant une prime, peuvent la louer à la gendarmerie.
Durant le premier semestre de l’année 1945, l’administration centrale procède à la répartition de 2 540 bicyclettes, de provenance anglaise, livrées au titre de la loi « Prêt-Bail ». Concernant l’habillement, l’insuffisance des approvisionnements en tissus de toile empêche l’attribution de tenues d’été à tous les militaires qui en sont dépourvus. Pendant la saison chaude, le commandement permet aux gendarmes de porter une tenue d’été comportant la chemise bleue ou kaki, modèle réglementaire, avec cravate, et la culotte de même nuance.
Mesures diverses
- Suppression des vestiges de l’État français
Dès la fin du mois d’août 1944, l’ordre est donné de supprimer tous les vestiges de l’État français : affiches, imprimés, en tête, cachets, inscriptions diverses, insignes etc.(100) Une circulaire du 23 août prescrit de ne plus utiliser les cachets créés par le Gouvernement de l’État français. Seuls les timbres qui étaient en vigueur à la date du 20 juin 1940 peuvent être utilisés. Sur les véhicules, l’inscription « Gendarmerie nationale », accompagnée de l’insigne tricolore, remplace l’inscription « Gendarmerie-Police » pour bien marquer que l’Arme est aux ordres du commandement militaire. Une circulaire du 8 février 1945 interdit le port de l’insigne du corps de la gendarmerie adopté par la direction générale au mois d’avril 1943.
- Aménagements de la réglementation
Des textes, législatifs et réglementaires, promulgués pendant l’Occupation, sont validés partiellement ou en totalité à la Libération. Le décret du 24 juin 1942, portant modification du décret du 20 mai 1903, sur l’emploi et le service de la gendarmerie, n’est pas fondamentalement transformé. Il reçoit quelques adaptations pour tenir compte des changements d’appellation des différentes autorités de l’État. Ces rectifications portent sur une cinquantaine d’articles.
L’ordonnance du 11 septembre 1945 constate expressément la nullité de la loi du 2 mai 1941 conférant la qualité d’OPJ aux officiers de la garde. Mais, elle maintient les dispositions essentielles de la loi du 3 avril 1942 qui l’avait étendue aux commandants de brigade de gendarmerie et aux gendarmes faisant fonction de commandant de brigade dans la circonscription où ils exercent habituellement cette charge.
La loi du 22 juillet 1943, et son décret d’application sur l’usage des armes, qui confère en propre aux gendarmes des pouvoirs exceptionnels, n’est pas remise en cause à la Libération. Les dispositions en vigueur pour la gendarmerie départementale s’étendent à la Garde républicaine. Par voie de conséquence, la loi n° 570 du 11 octobre 1943, qui donnait aux gardes le droit de tirer sans sommations, pour maintenir ou rétablir l’ordre intérieur, quand ils se trouvaient en présence de bandes ou d’individus armés, ainsi que chaque fois que la mission à accomplir l’exigeait, devient caduque.
Pendant la période de l’Occupation, sur ordre des autorités administratives, des militaires de la gendarmerie et de la garde ont participé à des exécutions capitales, en violation des dispositions prévues par la loi du 28 germinal an VI, du décret du 20 mai 1903 sur le service de la gendarmerie et du règlement sur le service dans l’armée (3e partie, annexe II, paragraphe C article 6). Ces différents textes posent et affirment le principe que pour l’exécution des condamnés à la peine de mort « la gendarmerie ou la Garde républicaine ne peut être requise que pour maintenir l’ordre et doit rester étrangère à tous les détails de l’exécution ».
Or, à la Libération, une ordonnance du 3 mars 1944, modifiée par celle du 29 novembre, arrête les conditions d’exécution des condamnés à la peine capitale :
« Article 1er. Dans tous les cas où, par suite des circonstances de guerre ou des difficultés de communication, il n’existera pas de bois de justice aux lieux fixés par les arrêts de condamnation pour l’exécution des condamnés à la peine de mort, ceux-ci seront fusillés.
L’exécution se fera dans la ville où siégeait la juridiction qui a prononcé la condamnation ou dans une commune attenante, en un lieu choisi par l’autorité préfectorale et hors la vue du public. Seront seules admises à assister à l’exécution les personnes énumérées à l’article 26 du Code pénal.
Des arrêtés préfectoraux détermineront, dans chaque cas, la composition du peloton d’exécution. L’exécution sera réalisée comme il est prévu par les règlements militaires en vigueur. »
Après la Libération de Guéret, l’École de la Garde devient l’École des cadres de la Creuse. Les autorités font appel à elle pour procéder à des exécutions capitales. À la suite d’appels à volontaire émanant du commandement, des anciens élèves de l’École participent à des pelotons d’exécution.
Le 13 janvier 1945, afin d’éviter que les autorités préfectorales ne s’appuient sur ce texte pour charger la gendarmerie ou la Garde républicaine de procéder à des exécutions capitales, le ministre de la Guerre demande à son homologue de l’Intérieur de bien vouloir rappeler, aux commissaires régionaux et préfets départementaux, les prescriptions des textes qui régissent leur participation à ce genre de service. Adrien Tixier lui répond le 25 janvier :
«…J’ai l’honneur de vous faire connaître que je partage sur ce point entièrement votre manière de voir.
J’ai donné toutes instructions utiles aux commissaires régionaux de la République et aux préfets pour qu’en aucun cas la gendarmerie et la Garde républicaine soient requises pour participer à des exécutions capitales autrement que pour y maintenir l’ordre.
Lorsqu’une exécution devra être faite dans une ville où n’est encasernée aucune unité militaire il appartiendra alors au préfet d’obtenir pour procéder à l’exécution, le déplacement d’un détachement militaire en provenance d’une autre localité. »
Le décret du 16 septembre 1942, annulé du fait du retour des militaires de la gendarmerie au statut fixé par le décret du 10 septembre 1935, comportait, dans son article 14, la création de l’emploi d’adjoint au commandant de brigade. En raison des avantages certains présentés à l’expérience par cet emploi, la direction, au mois de mai 1945, décide d’en maintenir le principe.
L’instruction du 5 octobre 1942, sur la recherche des malfaiteurs, et la création des fichiers, continue d’être appliquée. Il faudra attendre une vingtaine d’années pour qu’elle soit modifiée. Cependant, le rétablissement de la légalité républicaine impose l’actualisation de son contenu. Des dépêches ministérielles, en date des 3 novembre 1944 et du 14 février 1945 arrêtent les conditions de leur mise à jour. Les dispositions prises prévoient le retrait et l’incinération des fiches de recherches concernant les réfractaires au S.T.O. Depuis la Libération, en liaison avec les autorités judiciaires, pour tenir compte en particulier des dispositions de l’ordonnance du 6 juillet 1943, légitimant les actes accomplis pour la cause de la libération de la France, d’autres fiches de recherche sont annulées. Ainsi, les signalements de désertions, diffusés dans les fichiers au cours de la période allant du mois de juin 1940 au 31 août 1944, ne doivent pas donner lieu à recherche et enquête, sauf directives expresses des juges d’instruction militaires. Au mois d’août 1945, l’exploitation des fichiers soulève encore quelques difficultés. Une circulaire du 3 août, relative aux recherches, en exécution des signalements de désertion, diffusés sous l’Occupation mentionne :
« M. le ministre de la Marine signale que des familles d’officiers et de marins portés déserteurs par les autorités de Vichy parce qu’ils étaient passés aux Forces françaises libres sont encore considérés comme des familles de déserteurs et font l’objet de démarches désobligeantes de la part de la gendarmerie… »
Deux structures de la gendarmerie de l’État français, dont la paternité revient au général Martin, survivent à la Libération. Il s’agit du service social, et de la fondation « la Maison de la gendarmerie » qui ont vu le jour avec l’aide financière de Pierre Laval, chef du Gouvernement. Depuis leur création, elles n’ont cessé de se développer.
Reprise des relations externes
À la suite de la déclaration de guerre, en septembre 1939, la direction suspend la parution de « la Revue de la gendarmerie ». Cette publication correspondait aux besoins de l’institution de posséder un organe de relation et de rayonnement extérieur. Au mois de janvier 1944, la direction générale de Vichy renoue avec la tradition. Elle fait paraître le premier numéro d’une nouvelle revue intitulée « Bulletin d’étude et d’information de la gendarmerie ». Le débarquement interrompt sa diffusion. Au mois de janvier 1945, une publication d’information générale et technique, les « Annales de la gendarmerie », voit le jour qui se substitue à la précédente. Sa durée de vie est éphémère puisqu’elle cesse de paraître en fin d’année 1945. Ce n’est qu’en 1949 que renaît « La revue d’études et d’informations » de la gendarmerie. Dans la préface du numéro un, le général inspecteur, passant sous silence le Bulletin réalisé sous l’État français, écrit :
« Après une interruption de dix ans la « Revue de la gendarmerie » reparaît sous le titre « Revue d’études et d’informations »».
Cette résurrection, que nous saluons avec joie, sonne le réveil de notre vieille Maison après les jours noirs de la guerre et de l’occupation. »(101)
Finalement, la gendarmerie, après quatre années de présence ennemie sur le territoire national et malgré les transformations qu’elle a subies, se réorganise en quelques mois sur les bases qui étaient les siennes en 1939. Ce retour rapide à la « normalité », qui correspond à une volonté du nouveau pouvoir de remettre rapidement en place l’État, n’en a pas moins demandé, en raison des circonstances du moment, des efforts considérables.
CHAPITRE IV
L’ÉVENTAIL DES MISSIONS
De Londres, le 27 juillet 1944, dans les circonstances particulières tout à fait inédites dans notre histoire de l’état de guerre et de l’état de siège, le directeur de la gendarmerie fixe leurs attributions aux formations des territoires libérés. Dans la légalité républicaine, il appartient à ces dernières d’assurer la tranquillité du pays, le maintien de l’ordre public et l’exécution des lois. La situation créée par l’occupation ennemie et les opérations de guerre le conduit à leur assigner des missions prioritaires. Tout d’abord, dans la zone des combats, comme à l’intérieur des territoires libérés, les unités doivent apporter le concours le plus large à la sécurité militaire, par la répression de l’espionnage, du pillage, du sabotage et des activités hostiles à la défense nationale, aux Armées françaises ou alliées. Cette mission, qui revêt un aspect judiciaire, consiste notamment à rechercher, pour les livrer aux tribunaux chargés de les punir, les individus ayant eu des intelligences avec l’ennemi, ou auteurs d’actes nuisibles à la défense nationale, ou encore ayant porté atteinte à la sûreté extérieure ou intérieure de l’État. Le deuxième axe d’effort porte sur la circulation militaire que les gendarmes doivent faciliter, par la police des routes et l’application rigoureuse des consignes reçues du commandement français ou allié.(102)
Après le débarquement, sur le terrain, la tâche des personnels encore sous le choc du traumatisme provoqué par l’Occupation n’est pas facile. Initialement, les échelons locaux de gendarmerie, compagnies, sections et brigades, coupés de leur hiérarchie, agissent souvent d’initiative en liaison avec les F.F.I. et les Alliés.
Malgré les difficultés, la gendarmerie « convalescente » ne cesse d’accomplir ses missions organiques qui répondent aux souhaits des autorités et de la population.
Action des gendarmes dans la zone des combats et sur les arrières
- Police générale
Dans les zones d’opération, les gendarmes poursuivent leur mission de police générale.(103) Durant la phase initiale de la bataille de Normandie, dans la circonscription de la 3e légion, en particulier dans les départements du Calvados et de la Manche, où les combats font rage, les brigades veillent, dans la mesure de leurs moyens, à la protection des personnes et des biens. Les événements exigent de multiples interventions de leur part. Dans la population, les victimes des bombardements aériens se comptent par milliers. Les gendarmes évacuent des blessés, procèdent à l’identification des morts, combattent les incendies, préviennent les pillages.
Un témoin du débarquement, le gendarme (Charles) Bonnin, en poste à la brigade de Douvres-La-Délivandre, sur les côtes du Calvados, évoque le rôle, et l’action de la gendarmerie :
«…Dans les brigades côtières nous avions reçu un plan de repli des populations.
« Notre rôle était de prévenir la population afin que chacun se mette à l’abri avec des vivres pour attendre la fin des combats…
« Là où nous étions réfugiés, des blessés arrivaient sans cesse. J’étais chargé de tenir une lampe pour éclairer le médecin du pays. Il opérait et triait les arrivants, suivant leur cas de gravité et leur chance de survie…
« Dehors c’était un véritable carnage. Nous sommes sortis faire une tournée dans notre secteur pour rassurer la population et porter secours…
« Quelques jours plus tard, la Military police est arrivée à la brigade. Elle nous a remis des brassards. L’intelligence service avait bien fait son travail, ils avaient nos photos, ils connaissaient nos noms, nous étions tous résistants. Longtemps encore le secteur resta dangereux… »(104)
De même, le gendarme J. Cadène, de la brigade de Cerisay-la-Salle, chef-lieu de canton situé dans la presqu’île du Cotentin relate le rôle joué par les militaires de l’Arme dans ce secteur :
« Nous nous trouvions donc à l’arrière du couloir qui devait couper la presqu’île de Sainte-Mère-Église jusqu’à Barneville, couloir d’environ 10 kilomètres de profondeur. Ce couloir a été maintenu pour permettre de dégager Cherbourg afin d’y débarquer des armes lourdes, chars, matériel, artillerie et autre… Le terrain était littéralement labouré par les bombes et l’artillerie légère. Cela a duré jusqu’à la mi-juillet où des grandes offensives ont été lancées par le général Bradley. Cerisay-la-Salle a été bombardée sans arrêt par l’aviation alliée qui larguait des bombes incendiaires. J’ai personnellement participé à maîtriser les incendies avec les pompiers de la localité, secourir les blessés, retirer les morts. Nous nous trouvions à proximité du poste de commandement de général Von Choltitz et du maréchal Rommel et de la Gestapo. »(105)
- Concours aux forces alliées
Outre l’exécution du service traditionnel, les gendarmes apportent leur concours aux forces alliées et aux F.F.I. D’initiative, les brigades se mettent à la disposition des armées alliées pour piloter des unités, établir des liaisons, regrouper des prisonniers, nettoyer et sécuriser le terrain après les combats, rechercher des renseignements.
Quelques exemples suffisent à montrer la diversité des tâches qu’ils remplissent. Le jour « J », la brigade de Sainte-Mère-Église guide, à travers la région, les éléments parachutés dans les premières heures du 6 juin 1944. Les parachutistes Américains se heurtent avec les Allemands et occupent le petit village de Troarn. Après quelques jours de combats, les soldats de l’Airborne doivent se replier dans les bois de Bavent. Jusqu’en fin juillet, les Allemands font de ce secteur un des pivots de leur défense. Grâce à leur connaissance du terrain, les militaires de l’Arme effectuent de nombreuses missions de liaison. Pour joindre des autorités qui se sont repliées vers le sud, le gendarme Cadène traverse les lignes allemandes et américaines sous un déluge de feu puis, à la faveur de la nuit, réintègre sa résidence. Le gendarme François Joret, de la brigade de La Haye-du-Puits, participe, dans les mêmes conditions, au recueil de renseignement. Toujours pendant la bataille, le gendarme Paul Quellec assure des liaisons entre la Résistance intérieure et les troupes débarquées. Ceci le conduit à traverser plusieurs fois les positions. Au retour d’une mission des soldats allemands le capturent et l’abattent d’une balle dans la nuque. Ce n’est qu’au mois de mars 1945 qu’un bûcheron découvre son corps, à Saint-Paër, sous une faible épaisseur de terre. Le gendarme (Charlemagne) Roussel, d’Évrecy (Calvados), tombe lui aussi sous les balles ennemies en franchissant les lignes. Les gendarmes de Barneville participent au ramassage de quarante prisonniers. Le 25, avant la libération d’Equeurdreville par une colonne américaine, la brigade désarme un détachement de dix-huit militaires allemands commandés par un officier, puis elle se met à la disposition des Américains qui installent un P.C. à la caserne. Le 26, l’unité participe à la capture de quatre-vingt douze soldats ennemis. Des gendarmes guident des blindés sur leurs objectifs. René Jamaux, qui prend part au combat dans l’un des chars des troupes américaines est blessé au cours de la progression. La brigade de Saint-Vaast-la-Hougue fournit à l’état-major du général Bradley des renseignements sur les mouvements des forces allemandes. Le 4 août, un engin explosif tue le gendarme Prosper Barbereau, de la brigade de Villedieu, au moment où il se porte au-devant d’un convoi allié pour lui signaler la présence d’une zone minée.
Le 12 août, le général Leclerc demande au commandant de section d’Alençon de reconnaître la région de Damagny, Lonrai et Cuissai, en vue de repérer les positions ennemies. Deux gendarmes quittent Alençon à vélo à destination des agglomérations désignées qu’ils atteignent en dépit de grandes difficultés. Sur place, ils repèrent et relèvent soigneusement les positions des batteries d’artillerie et des chars allemands. L’un d’eux dissimule les croquis établis dans un legging. À Cuissai, au moment où ils s’apprêtent à prendre contact avec le maire, un détachement allemand les cerne brusquement. Conduits sous bonne escorte dans la forêt d’Écouves, ils subissent une fouille en règle suivie d’un long interrogatoire. Les militaires les remettent entre les mains de la Feldgendarmerie. Dans la soirée, ils réussissent à fausser compagnie à leur gardien. Quelques jours plus tard, les Allemands font retraite. L’étau desserré, ils réussissent à rejoindre Alençon. À Montebourg, violemment bombardé depuis le 6 juin, l’occupant expulse le 13 les quatre cents civils et les gendarmes encore présents dans l’agglomération. La brigade y revient le 19, au moment de l’arrivée des premiers éléments alliés. Sa présence rassure les populations sévèrement éprouvées.
Historique de l’action d’une section de gendarmerie dans la zone des combats et sur les arrières
À partir du 6 juin 1944, l’action de la gendarmerie, dans la zone des combats et sur les arrières, varie en fonction de la situation militaire et des chefs placés à sa tête. Examinons le rôle joué par la section de Brest (compagnie du Finistère, légion de Bretagne) située dans une région sensible, en raison notamment de la position stratégique du port de Brest, de la présence de la base sous-marine de Laninon, et de la forte densité de troupes d’occupation.(106) La section, installée à la caserne de Pontanezen, aux ordres du capitaine Belloc, qui en a pris le commandement à la fin du mois de janvier 1944, comprend un effectif d’environ cent cinquante gradés et gendarmes, répartis dans 12 brigades, une brigade des recherches et des brigades motorisées. Six sous-officiers ont pris le maquis avant le débarquement, dont les gendarmes Grannec et Derrien. Les gendarmes Blaise et Raguenès, des B.M., arrêtés par les Allemands pour avoir favorisé des évasions dans un camp d’internement dont ils assuraient la garde, se trouvent en déportation. Comme l’écrit son chef, après le débarquement, pendant quatre mois, la section est littéralement coupée du commandement de la gendarmerie :
« De juillet à octobre 1944 j’ai été isolé de Quimper. Je ne recevais rien du commandant de compagnie et ne lui envoyais rien. Nous étions sur une sorte d’île coupée du monde que les combats transformaient en forteresse et où l’initiative était reine. »(107)
Le 31 juillet 1944, après la rupture des lignes allemandes à Avranches, la IIIe armée du général Patton, gardée jusque-là en réserve, est lancée en Bretagne par la trouée qui vient d’être ouverte. Une colonne se dirige sur Rennes, qui tombe le 3 août, puis se porte sur Vannes, qu’elle contourne, et prend la direction de Lorient. Une deuxième colonne longe la côte Nord, avec Brest pour objectif. Le dispositif pour l’assaut final se met en place vers le 6 août, qui va opposer la 7e armée, du général SS Paul Hausser, et le 8e corps, du général Troy.H. Middelton.
Le 5 août, la grande évacuation de Brest commence. Après avoir remis tout son armement de dotation à la Kommandantur, le commissaire central de police dissout les forces placées sous ses ordres et quitte l’agglomération avec une partie de ses fonctionnaires. Le commandant de la gendarmerie maritime agit de même. À l’exception des services du Trésor, de l’équipe du Maire, M. Eusen, de la défense passive et des gendarmes de la section, le sous-préfet et toutes les directions administratives abandonnent leur poste. En accord avec les autorités américaines, le commandant Somme-Py, commandant des F.F.I., nomme le capitaine Belloc conseiller militaire des compagnies F.F.I. de Brest et lui demande de se maintenir dans la ville coûte que coûte, pour prendre, au moment voulu, le commandement des unités F.F.I. et des éléments de police qui s’y trouveront, afin d’appuyer au mieux l’action des Alliés.
À partir du 5, le capitaine Belloc « récupère » bon nombre d’agents de police et de gendarmes maritimes encore présents, les coiffe de képis de gendarmes et les intègre dans le dispositif qu’il a mis en place pour canaliser les quelque 50 000 habitants qui ont décidé de quitter Brest. Après leur départ, on dénombre encore une population de 25 000 âmes. Dans les jours qui suivent, précédant les sévères patrouilles allemandes, les gendarmes parcourent les quartiers, rassurent la population, écartent les civils indisciplinés qui traînent dans les rues aux heures du couvre-feu. Toujours au début du mois d’août, le capitaine Belloc, à la demande de la Résistance, fournit cinq gendarmes à Landivisiau pour servir de guides aux unités d’avant-garde de l’armée américaine, signaler l’état des routes et les zones minées. Le 7, malgré la proclamation de l’état de siège par les Allemands, un gendarme de Lesneven parvient à traverser les lignes et apporte la grande nouvelle de l’arrivée, la veille, des Américains. Quelques jours avant, à bord de son véhicule de service, le commandant de section, fait traverser les lignes allemandes à André Leroy, alias Michel, un des chefs F.T.P. de la région et à Jean Burel agent de liaison F.T.P. pour la Bretagne. Les gendarmes font parvenir à Lesneven de fréquents comptes rendus sur l’état de désordre de la ville et sur l’insuffisance des travaux de défense. Apprenant le 9 au matin que les Allemands commencent à extraire les détenus français de la prison allemande de Pontaniou, à Brest, le commandant de section part à bicyclette avec l’adjudant et deux gendarmes et demande au gardien-chef, un sous-officier revêche, de lui livrer ceux qui restent. Pour obtenir leur élargissement, il prend l’engagement de les conduire au-delà des lignes de défense. Après de longs palabres, par le truchement de l’interprète, on lui remet neuf hommes amaigris et inquiets. Ce sont les derniers détenus. Vingt-sept ont été fusillés dans les douves du fort de Bouguen et les autres ont été transférés à Quimper puis déportés.
Les attaques aériennes se succèdent qui détruisent systématiquement les immeubles des quatre communes de la ville. À l’état de siège succède la dure loi martiale. Le général Ramcke, commandant les parachutistes allemands, prend le commandement de la poche. Brest agonise sous le choc des tonnes de bombes et d’obus qui la martèlent quotidiennement.
Le 16 août, les Allemands chassent les gendarmes de la forteresse de Brest. À partir de cette date, le capitaine Belloc devient chef du bureau Police au quartier général des F.F.I.
Le 20, les Américains partent à l’assaut de la ville. Les gendarmes les accompagnent au fur et à mesure de leur avance. Brest ne tombe aux mains des Alliés que le 18 septembre. Le bilan des combats est lourd. Pendant le siège, un millier de Français, dont 200 F.F.I., et 9 830 soldats américains sont tués. Du côté des Allemands, on estime le nombre des victimes à 12 000. Hormis les opérations du débarquement de Normandie, le siège de Brest est le plus meurtrier des combats livrés entre 1944 et 1945 sur le sol français.
Dès la fin des opérations, la vie reprend ses droits. Pour filtrer les entrées dans la ville, où les cadavres et le manque d’eau font craindre des épidémies, le colonel U.S., qui dirige les Civils-Affairs américaines, charge le capitaine Belloc d’établir un cordon sanitaire. L’officier met sur pied une gendarmerie auxiliaire de 150 hommes minutieusement sélectionnés, choisis parmi les réfugiés de l’arrondissement. Une initiative que ses chefs plus tard n’ont guère appréciée et qui lui a valu des ennuis. Il fixe des itinéraires de patrouilles et constitue 22 postes fixes aux accès pour limiter quelque peu les entrées avant le rétablissement des moyens élémentaires de viabilité. Il lutte également avec ses gendarmes contre le pillage. Les Allemands ont commencé, les G.I. les ont suivis. Et puis, il y a aussi des Français sans scrupule, en quête de meubles, d’ustensiles, d’objets précieux etc. En un mois, les gendarmes arrêtent deux cents pillards. Dans un seul garage, ils saisissent trois tonnes d’outillage et de moteurs. Des tribunaux dits « du peuple » se forment qui commencent la chasse aux collaborateurs. Les gendarmes s’opposent à l’installation d’une telle juridiction populaire à Brest. Dans une région dévastée où de surcroît règne un climat troublé, leur tâche, on le devine, est lourde. Ils s’en acquittent à la satisfaction des autorités et des populations rassurées par leur présence.
Action des prévôtés
À partir de la 1re semaine d’août 1944, la 3e légion (Rouen) met sur pied à Cherbourg une prévôté de base de quarante gradés et gendarmes, fournie par la compagnie de La Manche, commandée par un adjudant-chef. Aux côtés des Alliés, elle contribue à la police des quais de débarquement, à la recherche les espions et des suspects, à la répression des pillages et à la capture des fuyards de l’armée allemande.
Le 20 novembre 1944, la 9e légion (Poitiers) crée une prévôté auprès du général de Larminat, commandant les forces françaises de l’ouest à Cognac (Charente), constituée d’un officier (lieutenant Mossman) et de trente gradés et gendarmes prélevés sur les brigades territoriales et les pelotons motorisés.(108) Avec la collaboration des brigades, elle effectue des missions de police militaire dans la zone des combats. Dans le secteur de la prévôté, au cours des opérations, des gendarmes des brigades, se distinguent. Le 7 mai 1945, le lieutenant-colonel Monnet, commandant le 158e R.I., cite, à l’ordre du régiment, le maréchal des logis-chef (Adolphe) Rat de la compagnie de Charente-Maritime :
« A débarqué clandestinement dans la presqu’île d’Oléron 5 jours avant le début de l’attaque. A été pour le commandant des groupes de résistance débarqués avec lui un guide précieux par sa connaissance de la région. À toujours rendu les plus grands services à la cause de la Résistance en servant d’agent de liaison auprès des chefs de section quoique traqué par l’ennemi. »
Le 18 septembre 1945, le capitaine Astor, officier de liaison des troupes parachutistes S.A.S., transmet au colonel commandant la 9e légion un message du général J. TH Calvert, brigadier commandant les troupes Parachutistes S.A.S. Britanniques « adressé à tous les membres de la 9e légion de gendarmerie qui, au cours des opérations pour la libération de la France ont apporté une aide si appréciée et tout particulièrement à ceux en service à cette époque dans les districts de Pleu-Martin et des Puits de Giraud qui, alors que les plus proches troupes alliées se trouvèrent à Tours montrèrent une si belle détermination au combat. »
Quelques extraits du message du général Calvert témoignent de l’excellente coopération entre les gendarmes et les troupes anglaises :
« Maintenant que voici terminée la guerre contre l’Allemagne par une victoire, je désire vous exprimer au nom de tous les officiers et hommes de troupe du spécial air service brigade qui prirent part à la campagne de France 1944, la gratitude qu’ils éprouvent envers vous, pour le dévouement sans bornes et l’inoubliable courage avec lesquels vous les avez aidés dans l’accomplissement de leur tâche.
L’aide que vous leur avez apportée a contribué dans une large mesure à tous les succès que nous avons remportés et nous sommes remplis d’admiration pour le mépris du danger et l’esprit de sacrifice que vous y avez montrés.
…Les actes de patriotisme que vous avez accomplis en tant qu’ils intéressent nos opérations ont été portés à la connaissance du Gouvernement britannique et seront conservés dans les archives officielles du ministère de la guerre…
…Au nom du Spécial air Service Brigade, je vous souhaite bonne chance, à vous personnellement et à la France et vous assure de nos sincères remerciements…
Signé : J. TH. Calvert, commandant les troupes parachutistes S.A.S. Bri- tanniques »
Dans le courant du mois de novembre 1944, la direction reçoit l’ordre de constituer une prévôté, pour le 21e groupe d’armées du maréchal Montgoméry, rattachée à la mission française de liaison près de l’armée britannique. Sur sa demande, le capitaine Laporterie, en poste à la sous-direction y est affecté. Il est chargé de la mettre sur pied et d’en prendre le commandement.(109) Dans un premier temps, le 30 novembre 1944, l’officier se rend au siège de la 1re légion, à Lille, qui en assure l’administration. À la mi-décembre, la prévôté constituée rejoint Bruxelles d’où les Allemands viennent d’être chassés. Dans les secteurs libérés et occupés par les troupes britanniques, en Belgique, puis en Allemagne, son activité principale consiste à rechercher, arrêter et transférer en France tous les nationaux en situation irrégulière ou douteuse : anciens waffen-SS, miliciens, collaborateurs, membres de la L.V.F., etc. La mission de la prévôté prend fin au mois de mars 1946, date de sa dissolution.
À partir du mois de septembre 1944, et jusqu’à la libération complète de l’Alsace, la 10e légion, en cours de reconstitution, fournit à la 7e armée américaine, un détachement de soixante-deux gradés et gendarmes, placés sous les ordres du lieutenant Hirt.(110) Lié à la progression de cette grande unité depuis Épinal, le détachement de gendarmerie agit sur ses arrières et procède à près de 1 000 arrestations d’espions, de saboteurs, de membres du parti national-socialiste et d’individus suspects. Le général Patch, commandant la 7e armée, lui exprime personnellement sa satisfaction pour le travail accompli :
« Septième armée américaine ; Certificat.
« Il a été délivré aujourd’hui 6 mars 1945 au Détachement de gendarmes de la septième armée américaine le certificat suivant pour conduite exceptionnellement méritoire dans l’accomplissement de ses devoirs militaires.
Par ses efforts infatigables, par son sens de l’initiative et son remarquable attachement au devoir, le détachement de gendarmes de la septième armée américaine a capturé ou fait capturer par les renseignements qu’il a fournis un grand nombre d’espions, de saboteurs, de déserteurs ennemis et d’autres personnes qui représentaient un danger pour la sécurité de la 7e armée. Le détachement de gendarmes de la 7e armée a, par toutes ses activités, rendu des services remarquables à la France, à la cause des alliés et à la 7e armée. Ses efforts et ses résultats sont dignes des plus hautes traditions de la Gendarmerie nationale.
Le général commandant la Septième armée des États-Unis, Signé : A.-M. Patch »
Le 16 novembre 1944, à Sainte-Barbe (Vosges), le détachement perd l’un des siens. Le gendarme Édouard Schmitt, qui travaille à l’aménagement d’un poste de combat, est tué par l’explosion d’une mine. C’est le premier militaire, de la nouvelle légion d’Alsace, mort pour la France. Ses obsèques se déroulent le 18, dans une localité qui vient d’être libérée. Elles revêtent un caractère particulièrement émouvant et solennel. Le major Castello, chef du C.I.C. (Criminal Investigation Compagnies -police judiciaire criminelle-) du VIe corps, et de nombreux officiers de son service, présents à la cérémonie, apportent au disparu l’hommage de l’armée américaine.
Les brigades de la légion connaissent également des pertes. Le 24 février, un obus de gros calibre blesse mortellement le gendarme (Maurice) Hide, de la brigade de Strasbourg, en service sur le pont miné du canal de la Marne au Rhin.
Engagement d’unités constituées aux côtés des troupes américaines et françaises
Au moment des combats de la Libération, des élèves-gendarmes « malgré eux », appartenant à la classe 1943, qui ont dû opter pour le S.T.O en Allemagne ou un engagement pour trois ans dans la gendarmerie, se retrouvent engagés aux côtés des troupes américaines.(111) Leur odyssée commence le 17 juin 1944, date à laquelle le S.G.M.O. ordonne la mise à la disposition de l’I.R.M.O de plusieurs écoles préparatoires de gendarmerie pour assurer la relève des forces du M.O. chargées de la protection des lignes électriques et des canaux en zone nord. L’école de Brive, repliée initialement à Bellac, fournit respectivement, avec leur encadrement, une compagnie à cent trente à Versailles, une à cent vingt à Dijon, une à cent à Châlons-sur-Marne, plus un contingent de quatre cent vingt élèves-gendarmes à Nancy. À partir du 1er juillet, les élèves-gendarmes de Versailles, Dijon et Châlons-sur-Marne sont affectés en surnombre dans les légions sur le territoire desquelles ils stationnent. Quant au détachement de Nancy, une partie rejoint la 10e légion, l’autre forme une compagnie prévôtale rattachée à la 6e armée américaine.
L’élève-gendarme (René) Melin, retrace le périple de sa compagnie depuis son départ de Brive :
« Notre départ s’effectue par compagnie, la nôtre est dirigée sur Bellac (Hte Vienne) ou après un parcours sinueux nous restons une petite semaine avant de partir vers l’Est. Après un séjour à Toul, nous nous fixons à Void-Vacon affectés à la surveillance du canal de la Marne au Rhin en partie à sec dans notre secteur. Au moment de la libération, le 3e peloton de la 3e compagnie a participé de son mieux de fin août à début septembre 1944. Quelques tués et plusieurs blessés. Puis rattachés à l’armée Patton. Nous avons assisté la Military police dans la circulation des convois de la "Red Ball" (112) sur la RN4. Début octobre, après un court séjour à Mars la Tour, nous avons été affectés à la surveillance d’un camp de personnes déplacées à Sérémange (Moselle). Affectation à la brigade de Blainville-sur-l’Eau le 1er mars 1945 jusqu’au 31 mars 1946. Retour à la vie civile le 1er avril 1946. »
Au début du mois de septembre, aux côtés des troupes américaines, la 3e compagnie participe à la libération des villages de la banlieue nancéenne « tout en s’opposant, dans la mesure du possible, écrit le narrateur, aux excès des libérateurs et résistants de la neuvième heure ». Pendant les opérations, au cours de divers engagements, la compagnie déplore trois morts. Le maréchal des logis-chef Gillet est tué à l’ennemi, à Void, le 31 août 1944.
L’élève-gendarme Hautecœur tombe à Toul, le 2 septembre, et l’élève-gendarme Escurasse, le 14, à Dombas.
La région libérée, la compagnie se regroupe à Toul. Puis, une partie des élèves-gendarmes reçoit une affectation aux nouvelles brigades créées dans les anciens territoires annexés par l’Allemagne. Dans la phase initiale de leur installation, les missions et le statut juridique de ces unités sont mal définis. Placées sous le commandement américain, privées de hiérarchie directe et d’appareil judiciaire, elles assument un peu tout en ce qui concerne l’ordre, le respect de biens et des personnes.
L’autre partie de la compagnie, rattachée à l’armée Patton, remplit diverses missions. La capitulation allemande, le 8 mai 1945, ponctue « l’odyssée » de ces élèves-gendarmes « malgré eux ». Quelques-uns poursuivent leur carrière dans la gendarmerie. Beaucoup donnent leur démission avant l’expiration de leur contrat d’engagement d’une durée de trois ans.
Le groupement Thiollet, de la garde, après avoir participé avec les F.F.I. du lieutenant-colonel Colliou aux opérations qui aboutissent à la libération de l’Allier le 12 septembre 1944, passe sous l’autorité du 2e corps d’armée du général de Montsabert et combat dans les Vosges jusqu’au 17 novembre 1944.
Le 2 septembre 1944, une autre formation de la garde, le groupement Daucourt, est engagée aux côtés des F.T.P.F. dans les actions entreprises pour la libération de Lyon. À partir du mois d’octobre, le commandement le dirige vers le département de la Moselle. Le 20 novembre, il pénètre dans Nancy avec les troupes américaines. Il se retrouve aux avant-postes, en Alsace, rattaché à la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny et se distingue à Kilstett le 5 janvier 1945.
Participation aux combats ultimes de la Libération
Dans plusieurs régions, la Résistance, au moment ultime des combats de la Libération, prend des dispositions pour engager à ses côtés la gendarmerie. À Paris, Alexandre Parodi, commissaire délégué du G.P.R.F., « mobilise » au sein des F.F.I. les unités de gendarmerie de l’Île-de-France placées sous l’autorité du comité directeur du Front national de la gendarmerie de la région de Paris. Les gendarmes participent aux différentes opérations menées dans la capitale contre les places fortes de l’ennemi : École militaire, Chambre de Députés, Hôtel Majestic, Hôtel de Ville, etc. Les défenseurs du Sénat se rendent aux gendarmes. Un petit groupe de gradés et de gardes de la Légion de la Garde républicaine, sous les ordres du capitaine Stéphan, des F.F.I., concourt à la défense de l’Hôtel de ville en liaison avec les F.F.I. et une section des G.M.R. Le ravitaillement des combattants et tous les mouvements du personnel s’effectuent en utilisant le souterrain reliant L’Hôtel de Ville à la caserne Napoléon. Le 18 août, les Allemands capturent dans un guet-apens et tuent sauvagement les gendarmes Malaviole et Fruchart. Ces deux sous-officiers, de la brigade de Draveil, se rendaient en camion à Paris, au 64, avenue de la Grande Armée, avec cinq membres d’un groupe de résistance local pour prendre livraison d’un stock d’armes destiné à la Résistance.(113) Le 21 août, le chef Biastre et le gendarme Serand, de la brigade de Mennecy, accompagnent jusqu’au Q.G. des troupes alliées à Mainvilliers (Loiret), le commandant Gallois-Cocteau chargé de demander l’intervention d’urgence des Alliés sur la capitale insurgée. Le lendemain, vers 19 heures, les Allemands capturent dans une embuscade le gendarme Serand qui effectue une reconnaissance sur la route de Corbeil pour localiser leurs positions. Ils conduisent le prisonnier au château Darblay, à Saint-Germain-les-Corbeil où ils l’interrogent et le torturent pendant plusieurs heures. L’ennemi le condamne à mort. Sous la surveillance de sentinelles, il creuse sa tombe. Quelques minutes avant d’être exécuté, un gendarme allemand le reconnaît et l’aide à s’enfuir. Le 22, au cours d’un engagement dans les rues de Paris, le garde Laboudance trouve la mort. Le même jour, le capitaine Chalvidan et le lieutenant Vernadat, de la légion de Paris Sud-Ouest, tombent dans une embuscade tendue par les Allemands, probablement à la suite d’une dénonciation, alors qu’avec un détachement ils viennent de récupérer au fort de Verrière des armes et des munitions destinées aux F.F.I. de la « Cité » à Paris. Le lieutenant Vernadat est tué sur le coup. Les Allemands achèvent le capitaine Chalvidan blessé.
En Auvergne, le 22 août 1944, le chef régional des F.F.I. fixe leur rôle aux formations de la garnison de Vichy - gendarmerie départementale, garde personnelle du chef de l’État, garde, G.M.R., éléments de la marine et de l’armée de l’Air - qui n’ont pas rallié la Résistance.(114) La garde et la garde personnelle du Chef de l’État, placées sous les ordres du colonel Boutiot, subordonné directement à l’état-major régional des F.F.I., reçoivent pour consigne de se porter dans la zone 30. Les directives précisent que « le personnel devra porter au bras gauche un brassard comportant les trois couleurs disposées verticalement avec, dans le blanc, la mention F.F.I. en lettres noires ».
Les éléments de la gendarmerie départementale restent sur place dans la ville pour assurer le maintien de l’ordre et garder les bureaux et archives administratifs.
Les troupes d’occupation abandonnent Toulouse le 19 août 1944 après des combats sporadiques dans la ville. Le 22, l’état-major régional des F.F.I. ordonne au colonel Desfontaine, commandant la région de gendarmerie, qui coiffe l’ensemble des forces du Maintien de l’ordre depuis le 19, de constituer d’urgence, avec le personnel de la gendarmerie et de la garde, une unité de combat destiné à participer aux opérations militaires contre les Allemands qui opèrent un mouvement de repli général.(115) Rapidement, il met à la disposition du chef départemental des F.F.I. de la Haute-Garonne un groupement garde-gendarmerie (4 pelotons) composé d’une centaine d’hommes. Le jour même, à peine mis sur pied, sur ordre du 2e bureau de l’état-major F.F.I, celui-ci reçoit pour mission de « recueillir les renseignements les plus récents sur la situation des troupes allemandes en retraite dans la région de Toulouse, de préciser l’importance et la nature des forces allemandes, de classer les renseignements par département ».
Le détachement parvient à localiser dans le triangle Caraman-Revel- Castelnaudary une colonne ennemie empruntant des voies secondaires. L’insuffisance des approvisionnements en essence ne lui permet pas d’exploiter le renseignement.
À la demande du chef des F.F.I. de Revel, le 24, le groupement transfère à Toulouse 9 prisonniers dont deux miliciens arrêtés par la gendarmerie en vertu d’une réquisition du chef du comité de Libération de Villefranche.
À la fin du mois d’août s’achève cette mission particulière, car les gendarmes doivent assurer de multiples services : garde de prisonniers, services d’honneur à l’occasion des séances de la cour martiale, surveillances diverses, mise à exécution d’ordres d’arrestation, etc.
Action de la gendarmerie dans les zones libérées
- Gendarmerie et forces locales issues des F.F.I.
Le territoire débarrassé des Allemands, la gendarmerie ne cesse d’accomplir ses missions organiques. Dans plusieurs régions, en septembre 1944, les F.F.I., de concert avec les gendarmes, exercent la surveillance des campagnes et les contrôles de la circulation routière (patrouilles et postes mixtes). En matière d’enquête et d’arrestation, des organes plus ou moins légaux interviennent qui interfèrent dans leur service. La nécessité de composer initialement avec une multitude de forces locales (F.F.I., milices patriotiques etc.), parfois incontrôlées, qui s’arrogent des droits de police (réquisitions, arrestations), les oblige à faire preuve de patience, de souplesse et de longanimité même. Partout, malgré les difficultés de tous ordres qui surgissent, ils s’emploient à garantir la marche de la vie quotidienne et démocratique.
Un décret du 24 septembre 1944 met fin à l’existence des F.F.I. Un autre du 28 octobre dissout les milices patriotiques. Certes leur disparition ne devient effective qu’en début d’année 1945, cependant, avec la démobilisation progressive des forces de la Résistance on observe une reprise pratiquement généralisée du service normal.
- Les missions concrètes
De lourdes charges incombent à la gendarmerie qui ne laissent aucun répit à ses personnels. Parmi ces missions, notons les enquêtes relatives à l’épuration judiciaire, les transferts de prisonniers, la lutte contre le marché noir, la garde des points sensibles dits de première urgence (gares et triages SNCF, réseaux électriques, canaux, PTT, ports, réseau routier), la surveillance de la circulation routière militaire, la lutte contre les éléments ennemis parachutés.
*Police de la circulation
Entre le 6 juin et le 30 septembre 1944, la police de la route, dans le département de la Manche, prend une importance toute particulière. Cherbourg est en effet le seul port de débarquement des Alliés. Les convois américains sillonnent nuit et jour les principaux axes routiers. Le 15 juin, d’après un document de l’armée canadienne, on dénombre dans la zone du débarquement 500 000 hommes et 77 000 véhicules. Un mois plus tard, un million de soldats alliés se déploient en Normandie. À la mi-août, chaque jour, 5 000 camions empruntent la route rapide reliant Saint-Lô à Chartres qui se prolonge ensuite jusqu’à Soissons puis Château-Thierry.
Le 1er septembre 1944, le directeur de la gendarmerie définit comme une tâche essentielle de l’Arme la police de la circulation, car elle conditionne la bonne marche des opérations militaires.(116) En liaison avec les unités spécialisées de circulation routière de la Military Police, (Trafic Control Units) et les autorités militaires chargées des transports, la gendarmerie effectue en permanence des services adaptés à la situation sous la forme de postes fixes et de patrouilles motocyclistes.
*Recherche des éléments ennemis parachutés
Au début de l’année 1945, l’ennemi n’a pas encore abandonné complètement la partie. Depuis l’automne 1944, la subversion fait suite à la guerre encore inachevée. Dans les milieux autorisés, bien que l’affaire reste ignorée de la population, on parle de la formation de maquis miliciens et allemands, de parachutages de troupes ennemies, de provocateurs nazis déguisés en déserteurs de l’armée française. Qu’en est-il de la présence d’agents de renseignement et de sabotage, laissés sur place par les Allemands au moment de leur retraite ou infiltrés et même parachutés ? Au cours de l’été 1944, en prévision de leur départ, les autorités allemandes installent à travers le territoire des agents « dormants » susceptibles d’être réactivés. D’après une note du groupe d’armées « G », le dispositif comprenait fin juillet, vingt agents installés au château de Bonrepos (15 kilomètres au nord-est de Toulouse), quinze autres au château de Valès (37 kilomètres au sud-est de Toulouse), vingt-cinq à Chantaco (4 kilomètres à l’est de Saint-Jean-de-Luz). Leur mission consistait à transmettre des renseignements, au cas où la ligne de front couperait la France en deux.
Face à ce danger, les autorités réagissent. Dans l’éventualité de parachutages, les commandants de subdivisions militaires invitent la population à donner l’alerte, à prévenir aussitôt la gendarmerie et à la renseigner. Dans le département de l’Isère, la presse publie un communiqué de l’autorité militaire :
« Des tentatives de parachutages d’agents de l’ennemi peuvent se produire dans le département de l’Isère, le commandant de la subdivision rappelle à la population les mesures suivantes :
« Pour Grenoble et ses environs immédiats, alerter aussitôt la subdivision de Grenoble, caserne Vinoy, Tél. 47. 86.
« Ici M. X, telle adresse…
« J’ai vu, à telle heure, un avion suspect qui a lâché x parachutistes au-dessus de tel village…
« Pour l’ensemble du territoire de l’Isère, prévenir aussitôt la gendarmerie ou la brigade voisine.
« Donner les mêmes renseignements que ci-dessus.
« Tâcher de surveiller les parachutistes sans éveiller leur attention, pour renseigner la gendarmerie dès son arrivée sur les lieux. »
Dès qu’elles possèdent des renseignements sur des agents ennemis, les subdivisions militaires (5e bureau) les transmettent aux services de diffusion et du fichier des compagnies de gendarmerie qui les répercute immédiatement à toutes les unités de l’Arme. Ainsi, au mois de mai 1945, les unités reçoivent le message suivant :
« Renseignements :
Plusieurs agents ennemis ont été appréhendés durant le mois de mars 1945. Ils étaient porteurs de questionnaires à remplir. Les extraits de ces questionnaires qui intéressent plus particulièrement les questions espagnoles sont énumérées ci-après :
- hommes politiques espagnols en résidence à Toulouse.
- situation des rouges espagnols dans le S.O. de la France (chefs-importance numérique-armement-stationnement des unités et des états-majors).
- renseignements sur les guérilleros de Prades.
- P.C. des rouges espagnols. Renseignements : un certain nombre de passeports Nicaraguéens en blanc sont tombés récemment entre les mains des Allemands à Amsterdam.
Ils sont utilisables pour leurs agents. »
Sur l’ensemble du territoire, jusqu’à l’effondrement du Reich, les gendarmes se mobilisent pour déjouer les parachutages de miliciens et d’agents de la Gestapo.(117)
Exemples de parachutages d’agents ennemis
Le 14 décembre 1944, vers 2 heures du matin, un avion de transport allemand largue un groupe de parachutistes dans la région de la ferme de l’Herbaudière (Loir-et-Cher). Le commandant de section de Blois alerté par des témoins organise les recherches. Des patrouilles sillonnent le secteur. Le lendemain, vers 20 heures, grâce aux renseignements recueillis auprès de la population, l’une d’elle intercepte quatre suspects. Après une fouille sommaire elle les conduit à la caserne. En y arrivant, l’un des individus interpellés absorbe une dose de cyanure de potassium et meurt quelques minutes après dans le bureau de la brigade. L’interrogatoire apprend aux gendarmes que les parachutistes sont au nombre de huit. Avec des renforts, la fouille du terrain s’intensifie mais sans résultat. Le 16, en fin de matinée, exploitant une information fournie par des témoins, les gendarmes arrêtent trois hommes dont l’un porte une valise contenant sept pistolets. Le huitième parachutiste reste introuvable. Cependant, les gendarmes découvrent, dissimulé dans un boqueteau, le matériel abandonné par le groupe.
Dans la nuit du 7 janvier 1945, un parachutage d’origine inconnue a lieu à Cabanes, dans la région de Graulhet (Tarn). La gendarmerie informée de la situation met en place des barrages et quadrille la région. Sur renseignement, elle interpelle un suspect S…, porteur d’un pistolet Astra 9m/m et de 140 000 francs. Son interrogatoire, à la brigade de Graulhet, permet d’établir qu’il s’agit d’un Français originaire du Tarn, qui a adhéré à la Milice de Marseille. Après le débarquement de Normandie, se trouvant à Paris, il rejoint avec un groupe de miliciens Sigmaringen (Allemagne). Puis, il s’engage à Ulm dans l’O.T. (Organisation technique de la Milice) et subit, à partir du 6 octobre 1944, dans le camp de Hausen, un entraînement spécial sur le maniement du plastique, l’utilisation des grenades incendiaires et défensives, et le tir aux armes légères. Dans un autre centre, on le spécialise dans le renseignement. Le 12 décembre 1944, ses chefs le désignent pour être parachuté en France. Il fait parti d’une équipe, de six hommes, articulée en deux groupes. Les préparatifs s’accélèrent. Le 6 janvier au soir, le commando embarque dans un quadrimoteur Libérator, peint en gris, avec les croix noires. L’appareil largue le premier groupe dans le Lot, région de Souillac, où les gendarmes arrêtent un des parachutistes. Le deuxième groupe, dont fait partie S…, devait installer son P.C. dans un château de la région appartenant au père du chef du commando. Sa mission était de rechercher des sympathisants, d’organiser des liaisons par l’Espagne dont une entre Perpignan et Lérida. Pour rendre compte de leur arrivée au sol les agents disposaient de pigeons voyageurs qui avaient été lâchés comme prévu. D’autres parachutages devaient avoir lieu à la première et à la dernière phase de la lune.
Le 13 janvier 1945 l’aviation allemande largue des parachutistes dans la région de Souppes-sur-Loing (Seine-et-Marne). Le 14, en début de matinée, les gendarmes de la brigade de Ferrières contrôlent un suspect sur la route nationale 7. L’inconnu se trouble lorsque les militaires le questionnent. La fouille à corps amène la découverte d’une somme de 400 000 francs et de sachets de poudre. Selon ses déclarations, l’argent en sa possession provient d’un groupement anticommuniste. Finalement le suspect avoue qu’il fait partie d’un groupe de quatre hommes parachutés la veille à Souppes. La diffusion des signalements aboutit le soir même à l’arrestation, à la gare de Lyon, des trois autres agents de l’ennemi. Les documents saisis par les gendarmes entraînent l’interpellation, dans la région parisienne, de quatorze complices.
Le 15 mars 1945, la direction diffuse une note de service relative aux mesures et aux précautions à prendre en cas de parachutages ennemis.(118) Le document énumère, en les explicitant, les enseignements qui se dégagent du largage en date du 30 janvier 1945 de 9 miliciens français :
« 1°- Les parachutistes au nombre de 9 formaient un groupe avec un chef.
Ils avaient suivi des cours du S.R.A. en Allemagne. Leur mission était de faire des actes de sabotage (surtout sur les pipelines) et de fournir des renseignements…
3°- Le personnel parachuté est armé de pistolets, poignards et mitraillettes ;
4°- Le parachutage a eu lieu de nuit, par 2 avions allemands, l’un transportant 5 miliciens, l’autre 4…
10°- On a trouvé sur les individus :
- un petit papier en allemand du S.D. qui doit être un laissez-passer allemand,
- un tube de cyanide (poison violent) se présentant comme suit :
- un tube en métal jaune d’environ 5 c/m de long à l’intérieur duquel se trouve une capsule en verre contenant un liquide incolore. Si cette capsule est brisée, le contenu se transforme en gaz asphyxiant qui, répandu à l’intérieur d’une pièce, serait fatal pour une personne se trouvant dans la pièce.
- Des renseignements fournis par les individus arrêtés, il résulte que les capsules sont destinées à être employées par eux pour attaquer les personnes qui les garderaient. Les instructions qu’ils ont reçues sont les suivantes : "au moment de l’entrée du gardien dans la cellule, retenir son haleine, casser une capsule sous le pied, saisir l’arme que possède le gardien et s’évader en s’en servant".
Les gendarmes ont trouvé un tube de cyanide sur tous les parachutistes arrêtés… »
Dans le Loir-et-Cher, au sud de Salbris, le 14 février 1945, vers 22 heures, un avion allemand parachute deux Français agents de l’ennemi. La gendarmerie de Salbris, prévenue par un coup de téléphone anonyme, se transporte immédiatement sur les lieux. Une enquête rapide permet de localiser les intéressés dans une villa. Les gendarmes appréhendent les deux hommes et le suspect qui les a accueillis. En possession d’un émetteur radio, avec pièces de rechange, de vêtements, de vivres, d’une somme de un million de francs, d’une fausse carte d’identité, d’un pistolet automatique et d’une boussole, ces agents de l’ennemi figuraient sur une liste d’informateurs de la police allemande parvenue depuis peu à la gendarmerie.
Toujours en février 1945, dans la Drôme, les gendarmes se joignent au bataillon de sécurité de Romans pour ratisser le terrain à la suite du passage sur la région d’un avion non identifié. Au cours d’un contrôle, les forces engagées interceptent un milicien français venant de Milan, formé dans un centre de préparation.
L’ampleur de l’action entreprise par les Allemands dans la France libérée est difficile à évaluer. En Auvergne, au cours des mois de septembre, octobre et novembre 1944 les forces de sécurité interceptent et neutralisent une vingtaine d’agents ennemis parachutés. En septembre 1945, un journal écrit que « 95 miliciens auraient été parachutés de septembre 1944 à mai 1945 ».
À l’évidence, les différents exemples relatés montrent bien qu’il y avait encore parmi les Français, au début de l’année 1945, des individus déterminés et prêts à passer à l’action, qu’on leur fournissait des moyens et qu’ils espéraient trouver des appuis.
*Services divers liés à l’épuration
La gendarmerie, sous des formes diverses, apporte son concours à l’action d’épuration. Elle met à la disposition des commandants des subdivisions militaires, et sur leur demande, des effectifs pour assurer la police des séances de tribunaux militaires spécialisés. Le 11 septembre 1944, le colonel commandant la gendarmerie de la région de Toulouse reçoit une note de service émanant de la subdivision de la Haute-Garonne, bureau de garnison, lui enjoignant d’exécuter un service :
« Une séance de la cour martiale devant avoir lieu à la cour d’appel, place des Salins, le lundi 11 septembre 1944 à 14 heures, un gradé et 15 gendarmes devront être fournis à 13 heures 30 ce même jour pour rendre les honneurs et assurer le service intérieur. »
À Saint-Étienne, au début du mois de septembre 1944, le commissaire de la République convoque à son bureau le lieutenant Sanvoisin, de retour du maquis, et le charge d’une mission de garde :
« Lieutenant, je vous ai convoqué pour vous confier avec uniquement "vos gendarmes républicains" la garde des personnes que la Résistance a décidé d’interner à la caserne Grouchy en attendant leur passage devant les cours de justice. »(119)
Le jour même, l’officier prend en charge une centaine d’hommes et une soixantaine de femmes. D’après son témoignage, on ne lui remet aucune liste nominative et il ne reçoit pas de consignes.
Dans la tête de pont de Bayeux, les nouvelles autorités, estimant que les policiers et gendarmes s’étaient conduits de façon satisfaisante sous l’Occupation, décident de les laisser en place. Le nouveau sous-préfet, Raymond Triboulet, pour mener à bien l’épuration, leur confie le soin d’enquêter sur les personnes soupçonnées de collaboration. En 1995, à l’occasion du colloque sur le rétablissement de la légalité républicaine, il rend hommage aux gendarmes qui lui ont apporté, dans ces circonstances, un concours efficace :
« Quant à l’épuration, on en parle beaucoup. F. L-Closon est venu voir comment nous nous en étions tirés. J’avais été chargé de créer un comité de libération clandestin, et je n’avais pas eu le temps de le faire au moment du débarquement, je l’ai donc constitué plus tard avec un notable résistant dans chaque canton, je les tenais autour d’une table et ils travaillaient sur les dénonciations qui étaient faites en quantités énormes, mais ces dénonciations étaient instruites d’abord par la gendarmerie. Et je tiens à dire combien nous avons été émerveillés de la connaissance des hommes et des lieux qu’avaient les gendarmes et leur respect de stricte neutralité. Cela nous a permis de faire une épuration qui à mon avis, a été extrêmement modérée, raisonnable, et qui peut-être a évité que l’on en fasse de trop violentes dans d’autres régions. »(120)
La 8 mai 1945, après la chute de la poche de résistance allemande de Lorient, en liaison avec la sécurité militaire, la gendarmerie appréhende des centaines de personnes soupçonnées de collaboration et les achemine au centre de criblage d’Auray. Après interrogatoire, une partie d’entre elles sont relâchées. 436 sont conduites au camp de Sarzeau
Toujours dans le cadre de la répression des faits de collaboration, entre 1944 et 1946, les gendarmes effectuent des milliers d’enquêtes sur réquisition des parquets et des juges d’instruction.
L’Arme apporte encore son concours à la répression des crimes et délits commis sous l’Occupation, perpétrés par l’occupant ou par des individus travaillant à sa solde. En effet, à l’époque, elle a consigné ces faits dans des rapports ou procès-verbaux adressés aux Parquets intéressés qui, en raison de la qualité des auteurs, n’ont pu à ce moment-là déclencher l’action de la justice. Par note du 14 octobre 1944, la direction ordonne aux unités d’adresser aux autorités judiciaires compétentes copie des documents établis afin que certains criminels n’échappent pas à la juste répression de leur activité coupable.
De nombreux transfèrements, individuels et collectifs, hypothèquent constamment les gendarmes. À titre d’exemple, le 18 mai 1945, quarante gendarmes escortent, de la maison centrale de Nîmes, vers le camp de Mauzac en Dordogne, un convoi ferroviaire de cinq cent vingt condamnés par les cours de justice de la région de Montpellier.
*Le marché noir continue
À la Libération, l’achat et la circulation des denrées essentielles, beurre, viande fraîche, viande salée ou fumée, œufs, légumes secs, pommes de terre, fromage etc., en faveur du ravitaillement familial, restent contingentés. Comme sous l’Occupation, le marché noir persiste. La plupart des commandants de compagnie en font mention dans les rapports mensuels qu’ils établissent sur la situation générale et l’état d’esprit de la population. Le 15 mai 1945, le chef d’escadron Onillon, commandant la compagnie de la Marne, écrit à ce sujet que la situation était inchangée en matière de ravitaillement et caractérisée par des difficultés persistantes, « que le marché noir continuait de sévir et qu’il allait plutôt en se développant, mais que le commerce du champagne était bien florissant ».
Dans ce contexte, les gendarmes répriment avec vigueur ceux qui n’observent pas la réglementation. L’opinion publique, ici et là, manifeste un mécontentement parfois très vif. Le 6 décembre, le journal « La République du Centre » publie l’article suivant :
« Les services de police et de gendarmerie qui fermaient souvent les yeux au temps de l’occupation sur les opérations de ravitaillement clandestin se montrent aujourd’hui impitoyables. Ils ont cent fois raison lorsqu’il s’agit de honteux trafiquants qui spéculent sur la misère publique ; Jeudi dernier la gendarmerie a fait mettre sous les verrous deux individus qui transportaient dans leur voiture, pour livrer au marché noir de la capitale, un taureau de 1000 kilos et deux génisses de 700 kilos au total. Tous les bons citoyens applaudissent à ce beau coup de filet.
Par contre les autorités ne pourraient-elles pas se montrer plus indulgentes pour les petites gens, pour ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter au marché noir et qui souvent font de nombreux kilomètres à bicyclette pour ramener de la campagne de quoi nourrir leur famille : quelques livres de beurre, quelques poulets et lapins pour finir par se les voir saisir en arrivant à la ville. »
Le journal l’« Aurore » du 13 décembre publie la lettre de doléances écrite par un paysan à l’encontre des gendarmes :
« Mais depuis quelque temps, nos campagnes sont envahies, non point par des hordes de pillards, mais… par des gendarmes : dans mon coin de canton, où quatre hommes et un brigadier suffisaient amplement on dénombre maintenant quinze membres de la Maréchaussée…
À quelles besognes urgentes et utiles sont employés ces représentants de l’ordre ?
À contrôler aux carrefours les paperasses bleues, vertes, jaunes ou rouges, sans lesquelles la moindre camionnette ne peut rouler.
À arrêter les vélos des parisiens affamés, partis en quête sur les routes, et à leur confisquer, avec leurs bécanes, les quelques denrées qu’ils ont pu trouver dans les fermes à des prix qui ne sont pas, je m’en porte garant, ceux du marché noir.
…Mais devant un pareil spectacle, celui des serviteurs de l’ordre organisant au nom de consignes absurdes, le désordre et le mécontentement et brimant, à la fois, le petit producteur et l’humble consommateur, nous en sommes à nous demander si les hommes de Laval et Pétain ne sont pas restés en place pour saboter la Libération et nous faire regretter le régime des Fritz. »
L’action menée par la gendarmerie pour combattre le marché noir reste à explorer.
Les entraves à l’exécution du service
- Facteurs de perturbation
Des incidents, d’origine diverse, compromettent le retour à une activité normale. Des tentatives d’intimidation se produisent. Les attentats perpétrés contre des particuliers, des fonctionnaires, des bâtiments publics (palais de justice etc.) n’épargnent pas la gendarmerie. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 1944, une énorme explosion secoue la caserne d’Aix-les-Bains (Savoie) blessant deux gendarmes. Le bâtiment subit des dommages importants.
Des règlements de compte visent des militaires de l’Arme. Le 17 octobre 1944, le maréchal des logis-chef Sarret (Elie), de la brigade de Pampelone (Tarn), tombe, en service commandé, sous les balles d’un inconnu. Le libellé de la citation qui lui est décernée à titre posthume, à l’ordre de la division, résume les circonstances de son assassinat :
« A servi la cause de la libération en protégeant l’installation dans sa circonscription de l’état-major de l’O.M.A. et d’éléments britanniques parachutés. A entraîné par son exemple tout son personnel qui, sous ses ordres, a renseigné les patriotes et évité toute tentative d’investigation ennemie. A assuré personnellement de nombreuses liaisons entre les différents P.C. faisant en toutes circonstances la preuve d’un très beau courage. A trouvé la mort le 14 octobre 1944 dans un guet-apens ou l’avait entraîné un individu dangereux s’étant faussement présenté sous le titre de la Résistance. ».
Pierre Bertaux, commissaire régional de la République à Toulouse, dans son rapport du 30 octobre 1944 au ministre de l’Intérieur, apporte des précisions sur la fin tragique de ce gradé :
« Le brigadier de gendarmerie de Pampelone était abattu par des individus qui l’avaient requis pour l’arrestation d’un milicien ».
Des autorités s’affranchissent des règles d’emploi de la gendarmerie. Dans la région parisienne, en particulier, elles utilisent les gendarmes à demeure d’une façon irrégulière et abusive. Cette mainmise sur l’Arme la rend incapable d’assurer un service d’ordre urgent.
- Tentative de désagrégation de la gendarmerie dans le département du Lot
En province, dans le département du Lot, on assiste à une véritable tentative de désagrégation de l’institution au prétexte que les gendarmes manquent d’autorité. Depuis l’arrestation par les Allemands, au mois de mai 1944, du chef d’escadron Vessières, les brigades, les unes après les autres disparaissent, en tout ou partie. Après le débarquement, le phénomène s’amplifie. Le 8 juin 1944, lorsque la direction prescrit de regrouper les brigades dans les sections, la situation des effectifs est critique. Sur un total de deux cent quatre-vingt-trois officiers, gradés et gendarmes, on n’en compte plus que cent vingt, répartis en trois points. À Cahors, il n’en reste que quatre-vingt-six sur un total de cent vingt et un. À Figeac, ils ne sont que neuf sur les quatre-vingt-un qui s’y trouvaient initialement. Enfin, il y en a vingt-sept à Gourdon sur quatre-vingt-un.
L’hémorragie se poursuit jusqu’au mois de juillet. Le 4, les autorités décident de concentrer sur Cahors les effectifs rassemblés à Figeac et à Gourdon. La compagnie dispose alors de cinquante-sept gradés et gendarmes. Le préfet les emploie, sous l’autorité d’un commandant de compagnie par intérim, à des missions de garde. Quatre brigades, restées sur place, dont celle de Cajarc, contrôlée par la Résistance, continuent à fonctionner. Le 18 août, après le départ des Allemands, le chef d’état-major des F.F.I. du Lot, le colonel Georges, décide de maintenir sur place les gendarmes rassemblés au chef-lieu du département et de constituer des groupes avec des éléments civils de Cahors pour agir en temps opportun et à l’endroit qui leur serait désigné. Dans chaque canton du Lot, le commandant Francis qui s’intitule « Contrôleur de la gendarmerie » remplace les gendarmes par des équipes de police F.T.P. dont il prend le commandement. Une majorité d’étrangers à la gendarmerie, et des gendarmes appartenant à la Résistance, entrent dans la composition de ces éléments. Dans la plupart des cas, les chefs sont des civils qui prennent le nom de « commissaires cantonaux ». À partir du mois d’août, la police dans le Lot relève exclusivement de l’autorité des F.T.P. qui coiffent les forces de police du Lot (F.P.D.L).
Le 3 août, les F.T.P. arrêtent tous les personnels de la brigade de Limogne, repliés à Cahors, au motif qu’ils ont rejoint le chef-lieu le 8 juin au lieu de rallier la Résistance. Quelques jours après, ils les libèrent, à l’exclusion du gradé et de son adjoint internés au camp de Sousceyrac. Le 10 août, le commandant de compagnie inscrit les gendarmes regroupés à Cahors au groupe de résistance F.T.P./F.F.I. secteur sud de Cahors et se met en mesure de répondre aux ordres qui lui seront donnés par le colonel Delmas, alias Drouot, officier de gendarmerie en retraite, membre de la Résistance depuis 1943, qui commande le secteur IV du Lot et les troupes de la résistance du sud de Cahors. Les gendarmes regroupés à Cahors, qui portent la tenue civile et le brassard des F.T.P., effectuent des services de contrôle aux barrages routiers.
La crise éclate au début septembre, au moment où le commissaire régional de la République ordonne à tous les officiers, gradés et gendarmes, appartenant à des groupes de la Résistance, de rejoindre immédiatement leurs unités d’origine. Dès qu’il a connaissance de cet ordre, le commandant Francis, avec l’accord du préfet du Lot et du C.D.L., dissout la compagnie de gendarmerie du Lot.(121) Il adresse notification de sa décision au capitaine commandant la compagnie par intérim. L’organe du Front National du Lot, dans le journal « La Liberté » du 5 septembre 1944, en informe la population :
« Gendarmerie de Cahors.
La brigade de gendarmerie de Cahors comprenait, jusqu’au 27 août, 52 gendarmes et un capitaine. Sur cet effectif, deux gendarmes seulement rejoignirent les forces de la Résistance et s’engagèrent pour lutter les armes à la main, contre l’ennemi.
En conséquence, le commandant des forces de Police nous communique : Le commandant des Forces de Police du Lot, au capitaine James, commandant la section de gendarmerie à Cahors.
En exécution des décisions prises par le Comité de Libération et l’état-major, j’ai l’honneur de vous informer que je prononce la dissolution de la section de gendarmerie de Cahors à la date du 5 septembre 1944.
En conséquence, les personnels de cette unité seront civils à la date ci-dessus et mis à la disposition du Commissaire aux effectifs en vue de leur affectation dans les unités F.F.I. stationnées dans le département. Ils iront relever les anciens gendarmes passés à la Résistance depuis plusieurs mois et restés à leur poste de combat.
En attendant leur nouvelle affectation, les personnels de la section de Cahors resteront à la disposition du Commandant des forces de Police qui les utilisera au mieux pour le service.
Le service de contrôle aux barrages continuera à être assuré comme précédemment, mais en civil avec le brassard F.T.P.F.
Le Commandant des Forces de Police Francis »
Par rapport n°8/1, du 5 septembre 1944, le lieutenant-colonel commandant provisoirement la légion rend compte à ses chefs de la situation de la gendarmerie dans le Lot :
«…Dans le Lot, par contre, il apparaît qu’une méthode de désagrégation de la gendarmerie est tentée :
- éviction du commandant de compagnie et son remplacement par un Commandant des Forces de Police du Lot qui occupe le bureau ;
- occupation d’une partie du logement du commandant Vessières arrêté par les Allemands, par des services de Police F.T.P.F. ;
- confiscation des véhicules automobiles, de l’essence et des ingrédients ;
- réinstallation de quelques brigades ne comprenant que peu de gendarmes et plusieurs étrangers à l’arme, commandés par un chef (de l’arme ou non), appelé "Commissaire cantonal" ;
- enfin, par note du 4 septembre 1944, dont ci-joint copie, dissolution de la gendarmerie de Cahors, "civilisation" du personnel de l’Arme, intégration de celui-ci dans les F.T.P.F., le but semble être de supprimer jusqu’au nom de la Gendarmerie, les brigades devenant des "Commissariats cantonaux" et jusqu’à la tenue.
Aux représentations faites par le commandant de légion le 4 septembre, touchant l’absence de chefs de l’Arme, l’absence d’uniforme, ce qui entache de nullité tous les actes des gendarmes, et sur présentation de la note de service prescrivant le retour du personnel dans les brigades, note émanant d’autorités régionales ou gouvernementales, il a été répondu que ces considérations juridiques et ces instructions n’avaient aucune valeur et que le commandant des forces de Police du Lot était le seul maître dans son département. »
Quelques jours plus tard, par note n° 77/3, du 11 septembre 1944, le commandant des forces de police du Lot arrête l’organisation de la police départementale qui comprend les forces de police du Lot, police des affaires civiles et économiques placée sous le commandement du commandant des forces de police, et la police spéciale, aux ordres du commissaire spécial. Dans ce dispositif, la gendarmerie occupe une place secondaire. Là où elles sont réinstallées, les brigades doivent apporter leur concours à l’exécution des différentes missions confiées aux F.D.P.L. Or, ces dernières disposent de compétences très larges en matière d’enquête, d’interrogatoire, d’action préventive, de perception d’amendes, de chasse, de récupération de fonds et de tabac, de voirie, d’inventaire du matériel industriel et d’épuration.
Le 11 septembre, quelques brigades se réinstallent. Le 14, le commandant Francis écrit au colonel commandant la légion pour lui faire savoir que leur remise en place génère, ainsi qu’il l’avait prévu, des incidents. Pour appuyer son propos, il cite deux exemples. À Bretenoux, la population profère des menaces contre un gendarme qui a pris à partie un jeune F.T.P. À Catus, des dissensions se font jour à la brigade où le chef, non résistant, attaque violemment deux de ses gendarmes qui avaient rallié le maquis. La foule, à Veyrac, hue deux sous-officiers non résistants. Le chef des forces de police du Lot exige des mutations d’urgence en attendant que les personnels en cause soient relevés de leur fonction et traduits devant la commission d’épuration administrative.
Cependant, à partir du 14, le personnel revêt son uniforme traditionnel. Les gendarmes commencent à réintégrer leur caserne et reprennent le service normal. Le 25 octobre, sur un effectif théorique de trois cent trente et un sous-officiers, 185 sont en place. Quelques-uns refusent de rejoindre leur poste et demandent à rester dans les forces de police du Lot. Le 16 décembre, deux cent quarante-cinq sont présents à leur poste. Au mois de décembre, lorsque le lieutenant-colonel Delmas prend le commandement de la légion, le commandant Francis se considère toujours comme le chef des gendarmes. Il se rend dans une brigade et se fait remettre des mitraillettes qu’elle détient en dotation. Le commandant de légion donne l’ordre au commandant de compagnie de convoquer sur le champ le commandant Francis et d’exiger la restitution immédiate des armes ou sinon de l’arrêter. Après une mise au point, tout rentre dans l’ordre. Au début de l’année 1945, la gendarmerie du Lot reprend le cours de ses activités normales.
- Gendarmes et autres organismes de police
Des milices patriotiques, en différents points du territoire, perturbent l’action des gendarmes. Elles procèdent à des arrestations, mettent en place des barrages, effectuent des perquisitions. Certaines s’arrogent des pouvoirs sans limite et agissent fréquemment dans l’illégalité totale. Jusqu’à leur suppression, elles constituent manifestement une gêne pour les organes officiels de police. Pour éviter des incidents, il n’est pas rare que les gendarmes évitent de s’interposer. Au mois de novembre 1944, le commandant de la 18e légion évoque ainsi la situation :
« La population est toujours inquiète de constater le maintien d’organismes de police et de répression officieux non qualifiés et par lesquels sont trop souvent méconnues les règles de garantie de la légalité républicaine et la liberté individuelle. Ces organismes composés d’éléments douteux reçoivent des instructions et obéissent à des directives souvent contraires à celles données par les représentants du Gouvernement. »(122)
À Libourne, Coutras, Castillon, Saint-Médard de Guizières, un organisme officieux de police, sous la dénomination de « Service d’ordre politique » agit en dehors des formes légales en effectuant des enquêtes, des interrogatoires relatifs à des crimes et délits d’intelligence et de collaboration avec l’ennemi et même de droit commun.
Si dans la région de Béziers des « Bataillons de sécurité » travaillent en étroite collaboration avec la police et la gendarmerie, en revanche ceux qui opèrent à Lodève et Clermont-l’Hérault multiplient les épreuves de force.
Dans les Landes, après avoir coupé les lignes téléphoniques, des F.T.P. Espagnols, en provenance du Lot-et-Garonne, effectuent à plusieurs reprises des réquisitions et des perquisitions illégales à main armée. La gendarmerie ne réagit pas. Des formations de F.T.P. et de F.F.I. ne sont pas toujours disposées à livrer aux forces de l’ordre les auteurs de délits commis par certains éléments troubles qui se sont glissés parmi eux. À Noirmoutier, courant novembre 1944, un gendarme surprend cinq membres des F.F.I. en train de piller une villa. Il dresse procès-verbal. Quelques instants après, alors qu’il rejoint sa caserne, trois sous-officiers F.F.I., revolver au poing, exigent de lui ses papiers d’identité. Ils lui reprochent son initiative et le conduisent à leur cantonnement aux fins d’être interrogé par un officier. Dans le Lot-et-Garonne, des F.F.I. affichent une hostilité flagrante à l’égard des gendarmes. Le 8 décembre 1944, une quarantaine d’entre eux enlève à la gendarmerie un de leurs officiers, chef de bataillon de 26 ans, arrêté sur ordre des autorités militaires et placé sous mandat d’arrêt du juge d’instruction militaire d’Agen. Le 23 septembre, un membre du corps franc Pommiès stationné à Hendaye tire sur un gendarme qui voulait l’arrêter à la suite d’une infraction de droit commun. Ses chefs ne jugent pas utile de donner de suite à la demande du commandant de section de Bayonne de livrer l’intéressé à la justice.
Des autorités couvrent parfois l’action de ces forces de police parallèles. Le colonel commandant la IXe région militaire inflige une punition de 15 jours d’arrêts de rigueur au commandant de section de Montmorillon, à la suite de perquisitions opérées par des gendarmes à Coulanges, mettant en cause des F.F.I.
En règle générale, les représentants du pouvoir font confiance à l’institution. Le commissaire de la République du Nord donne des directives très fermes à la gendarmerie pour qu’elle s’oppose à l’action d’individus qui abusent de l’uniforme des F.F.I., se conduisent comme des brigands et défigurent le visage de la Résistance. Les gendarmes, non sans difficultés, procèdent à de nombreuses arrestations. À Trith-Saint-Léger, le 7 décembre 1944, à la suite des visites domiciliaires effectuées en vue de récupérer, sur ordre des autorités administratives, les armes non rendues, les F.T.P. casernés à Valenciennes menacent d’attaquer la gendarmerie.
À Aiguilles (Hautes-Alpes), le 30 septembre 1944, les gendarmes arrêtent en flagrant délit de cambriolage sept F.T.P. Deux heures plus tard, un groupe important armé de mitraillettes se présente à la gendarmerie et sous menace d’exécution immédiate oblige les représentants de l’ordre à libérer les pillards. À Alès, le 28 novembre 1944, des gendarmes et la police F.F.I. chargés de protéger l’entrée du fort Vauban, ne peuvent empêcher la foule d’enfoncer les grilles et d’exécuter quatre miliciens condamnés à mort.
Au début du mois de juin 1945, à Cusset, près de Vichy, quatre cents personnes, entraînées par des individus excités, envahissent la prison et s’emparent d’un détenu. Le détachement de gendarmerie, malgré la présence sur les lieux de deux officiers, ne peut s’opposer efficacement à leur tentative de lynchage. Le commissaire de la République, Henry Ingrand, intervient et réussit à convaincre les meneurs de renoncer à leur funeste projet. À Toulouse, son homologue se plaint lui aussi de l’incapacité dans laquelle se trouve parfois la gendarmerie pour remplir ses missions.
Dans la nuit du 6 au 7 janvier 1945, au cours d’un transfèrement de nuit, d’Auch à Agen, d’un condamné à mort, F.D.J., gracié par le chef du Gouvernement provisoire, des inconnus attaquent l’escorte de gendarmerie. Ils s’emparent du détenu et l’exécutent. Le général de Gaulle demande personnellement, par téléphone, au général commandant la 17e région militaire, d’établir les responsabilités de cet assassinat. L’affaire provoque l’ouverture d’une enquête. Le chef de l’escorte doit rendre compte des raisons pour lesquelles ses subordonnés n’ont pas ouvert le feu sur les assaillants. Il en ressort que le 6 janvier vers 21 heures, le préfet du Gers avise directement le capitaine B…, commandant la section d’Auch, de transférer F.D.J. à Agen. L’officier, tard dans la soirée, obtient la levée d’écrou et l’ordre d’incarcération de F.D.J. pour Agen. Le départ de la prison n’a lieu que le 7, vers 1 heure 30. En arrivant devant un passage à niveau fermé, la voiture cellulaire s’immobilise. À peine est-elle stoppée qu’une bande, d’une quarantaine d’individus, très fortement armés, neutralise les gendarmes de l’escorte impuissants à repousser l’attaque. L’enquête administrative met hors de cause les gendarmes.(123) S’ils avaient fait usage de leurs armes, ils auraient tiré à peu près à coup sûr sur ces éléments appartenant à la Résistance. De plus, vue leur infériorité numérique et leur armement insuffisant, ils n’auraient probablement pas empêché l’enlèvement du détenu.
Les réactions des autorités
La multiplication des incidents conduit le ministre à réagir vivement. Par circulaire du 15 mars 1945, il rappelle aux personnels les exigences du devoir de discipline :
« De nombreux incidents m’ont été signalés où des gendarmes, menacés dans l’exercice de leurs fonctions, avaient cru devoir renoncer à exécuter leur mission et s’étaient parfois même laissé désarmer.
Ces faits renouvelés, marquent un abandon contre lequel il convient de réagir avec fermeté.
Vous porterez donc à la connaissance des formations de gendarmerie de votre territoire que tout incident de ce genre devra désormais m’être rapporté dans le détail et donnera lieu à une sanction disciplinaire rigoureuse, sauf cas de force majeure dont les justifications précises devront m’être soumises. Dans les cas de manquements graves ou de récidive, la sanction pourra aller jusqu’à la révocation.
Vous voudrez bien veiller à la ferme application de ces prescriptions. »(124)
Dans le même temps, pour tenir compte des conditions particulièrement délicates dans lesquelles la gendarmerie accomplit sa lourde tâche, et considérant « que la plupart des incidents qui ont placé les gendarmes dans une position difficile ont été créés par des militaires et quelquefois des officiers qui se sont livrés dans certains cas à des voies de fait graves qui ont fâcheusement impressionné les populations », il demande aux généraux commandant des régions militaires de réprimer les agissements en cause, en rappelant aux personnels de toutes armes et services les devoirs des troupes vis-à-vis de la gendarmerie.
Le ministre de la Guerre intervient aussi ponctuellement, pour remédier à des carences qui lui sont signalées. Au mois d’avril 1945, il demande une enquête au commandant de légion du Limousin concernant le manque d’efficacité du personnel :
« Il a été porté à ma connaissance qu’en raison de l’état d’esprit consécutif aux événements de la Libération qui règne encore dans la région de Limoges, les unités de gendarmerie qui y stationnent manquent de la liberté d’action nécessaire à leur utilisation normale. »(125)
Appréciations sur l’activité de la gendarmerie
Selon plusieurs procureurs généraux, dans les premiers mois qui suivent la Libération, le rendement de la gendarmerie, dans le domaine de la police judiciaire, reste faible, alors que prolifèrent les vols, les pillages, les agressions, les attentats et les règlements de compte. Ces magistrats estiment que les enquêteurs ne conduisent pas leurs investigations aussi rapidement et complètement qu’autrefois. Les procès-verbaux d’initiative sont peu nombreux.
À l’évidence, la prudence s’installe chez le gendarme. Pendant l’Occupation, il s’est montré respectueux de la consigne, a obéi à ses chefs, et exécuté les ordres reçus. À la Libération, il se trouve des censeurs qui lui reprochent les écrits, les rapports, les procès-verbaux, et les arrestations opérées en 1939, en exécution du décret-loi prononçant la dissolution du parti communiste français. Aussi, veut-il éviter que ne se retournent contre lui les actions effectuées en service. Comme l’écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires, « La gendarmerie et la garde étaient moralement paralysées par l’usage que Vichy avait fait d’eux ».
Pour autant, les gendarmes ne restent pas inactifs. En divers points du territoire, ils élucident des affaires criminelles. Les autorités se plaisent à souligner le travail accompli. Dans les Haute-Pyrénées (actuelles Pyrénées Atlantiques), le préfet rend compte au ministre de l’Intérieur des beaux résultats obtenus par la gendarmerie en matière de répression du banditisme. Au mois d’octobre 1945, lorsque le colonel Druilhe, commandant la 18e région militaire, quitte son poste, il adresse à la gendarmerie un ordre du jour dans lequel il lui exprime sa satisfaction :
« Au moment de quitter ce poste après 15 mois de commandement, je vous adresse mes félicitations et mes remerciements pour le dévouement, la loyauté, la fidélité et le courage dont vous avez fait preuve durant cette période agitée de l’après-libération.
Avec des moyens déficients, mal équipés, mal armés, mal habillés, vous avez obtenu des résultats remarquables.
Dans chaque canton, dans chaque hameau, vous avez, avec une vigilance continue, assuré l’ordre et le respect de l’autorité, et nos populations confiantes et rassurées par votre présence et votre action, ont pu librement reprendre leurs occupations.
Avec l’habitude du sacrifice qui caractérise votre arme, vous avez souvent risqué votre vie, et plusieurs d’entre vous sont tombés à leur poste, victimes du devoir.
Je m’incline pieusement devant leur tombe.
Je vous fais mes adieux, et je vous demande de continuer à servir toujours aussi noblement, pour notre patrie : la France immortelle. »
Campagnes et T.O.E.
- La gendarmerie d’occupation en Allemagne
À la Libération, la gendarmerie remplit des missions à l’extérieur. Dans le cadre des accords quadripartites de 1945, les légions fournissent des détachements pour servir dans les territoires occupés d’Allemagne, d’Autriche et de Sarre. À l’occasion du mouvement de ces éléments, comme le relate Marcel Forgeat, les gendarmes découvrent l’ampleur des destructions provoquées par la guerre :
« Nous partîmes un matin (de Montpellier) pour un voyage qui allait durer plusieurs jours. Les voies ferrées étaient détruites, les ponts étaient au fond des rivières et les gares n’existaient plus.
Installés dans de vieux wagons de troisième classe, il fallut cinq jours pour atteindre le poste frontière. Les arrêts étaient fréquents. Nous nous arrêtions en pleine campagne de nuit comme de jour pour laisser passer des convois prioritaires…
Nous arrivâmes en gare de Metz à minuit. Seul un employé de gare se trouvait sur le quai. Le vaste hall, en partie détruit et mal éclairé, était sinistre. Après une nuit passée dans une caserne malpropre où les punaises abondaient, nous reprîmes le train en direction de Sarrebruck. Nous fîmes plusieurs arrêts avant d’atteindre la capitale de la Sarre qui n’était plus que ruines… »
Les gendarmes du détachement de Montpellier s’installent à Neustadt. Tout un quartier leur est affecté. Les occupants des lieux, anciens nazis ont eu deux heures pour rassembler leurs effets personnels et céder la place au gendarme »(126).
Les gendarmes du détachement installés à Neustadt assurent la surveillance de trente-trois communes. Un gradé assure la fonction de gardien-chef de la maison d’arrêt, prison mixte où sont incarcérés des civils allemands et Français ainsi que des militaires. La gendarmerie apporte son concours aux autorités d’occupation, militaires et administratives. Elle coopère étroitement avec les maires, les policiers et les magistrats allemands. Relevons, parmi les missions que lui incombent, la constatation des accidents militaires de la circulation, les enquêtes concernant des infractions commises par des militaires (vols, rixes, détournement de matériels, etc.), les enquêtes sur d’anciens F.F.I. incorporés à l’armée, la surveillance des établissements des armées, des recherches diverses (en paternité, de disparus etc.).
Le 14 décembre 1945, le chef d’escadron Degrè, commandant la gendarmerie de Berlin, effectue des recherches pour déterminer les circonstances de la disparition, en déportation, du capitaine de gendarmerie (Henri, Clotaire) Descamps. S’adressant au colonel commandant les forces de gendarmerie d’occupation, il écrit :
« Les recherches effectuées en exécution de la D.M. 0240/Gend./CAB : du 22 octobre 1945 concernant le capitaine Henri Descamps ont abouti aux résultats ci-après : 1°) sur la liste des détenus politiques exécutés et incinérés au crématoire de Brandenburg, liste actuellement en possession du service d’état-civil de Berlin figure un nommé Henri-Clotaire Descamps, matricule 5243 ; 2°) l’inhumation des urnes a été faite par les soins des autorités militaires au cimetière français de Berlin-Frohnau en zone française… »
- La gendarmerie en Indochine
En Indochine, après la capitulation du Japon, les anciens chefs de postes de la gendarmerie coloniale, et de brigades de garde civile, rejoignent les résidences où ils étaient en fonction avant le coup de force Japonais. Le commandement les regroupe en un détachement d’Indochine Sud et de la garde civile de Cochinchine, et remet sur pied les deux sections de Saïgon et de Cantho.
Le 5 octobre 1945, une prévôté accompagne le général Leclerc lorsqu’il débarque à Saïgon, en vue de relever les Britanniques qui, à la suite des accords de Postdam, occupent le sud de l’Indochine. Chargée d’assurer la po- lice militaire, elle comprend 150 officiers, gradés et gendarmes et s’articule en 4 détachements : la prévôté du quartier général et du haut-commissariat de France, la prévôté de la 3e et de la 9e division d’infanterie coloniale et la prévôté de la 1re Brigade d’Extrême-Orient. À peine arrivées à pied d’œuvre, ces formations participent aux opérations sur tous les territoires indochinois. Les moyens initiaux s’étoffent rapidement. Jusqu’en 1954, par roulement, 14 000 gardes et gendarmes servent ainsi en Indochine. Sur cet effectif, 11 officiers et 582 sous-officiers ont été tués. 6362 citations portant attribution de la Croix de guerre des T.O.E., et à titre exceptionnel 193 Médailles militaires, 5 croix de chevalier de la Légion d’honneur et 4 croix d’Officier ont récompensé leur bravoure. Par leur comportement, les gendarmes ont fait l’admiration des militaires et justifié la place de la gendarmerie à la droite des autres Armes.
En définitive, après la phase de réorganisation de l’Arme, consécutive à la Libération, et l’effacement des « policiers » auxiliaires issus de la Résistance, la gendarmerie retrouve une suffisante confiance pour assurer, avec l’efficacité désirable, à l’intérieur comme à l’extérieur, les missions que lui confient les autorités.
II - LA RECONNAISSANCE
CHAPITRE V
LES RÉSISTANTS À L’HONNEUR ET LES LIEUX DE MÉMOIRE
L’ennemi définitivement chassé du pays, arrive le moment du bilan. Pour une minorité, d’un côté, c’est le temps de la reconnaissance et des réparations, de l’autre, celui des comptes à rendre. Une période d’attente, mêlée d’incertitudes, commence pour le gros bataillon de l’entre-deux.
À la Libération, les nouvelles autorités entendent bien exprimer leur gratitude, non seulement aux disparus, qui ne sont pas là pour partager la liesse de la victoire, mais aussi à tous ceux, engagés dans le même combat, épargnés par le destin.
En 1955, Claude Paillat taxe de « cynique » l’attitude de la direction de la gendarmerie qui, après avoir condamné les « traîtres », pendant les années noires, en fait des « héros » à la Libération :
« En 1945, écrit-il, la direction de la gendarmerie recensera méthodiquement les "parias" d’hier pour les transformer en "héros" du jour : citations, promotions, révision ou annulation des condamnations des mois précédant la libération… La gendarmerie entend bien démontrer, preuves à l’appui, qu’elle n’a pas "démérité". Une gymnastique qui ne manque pas de faire sourire… »(127)
La direction mise en place à la Libération comprend nombre de personnels ayant appartenu à l’ex-direction générale de Vichy, mais les titulaires des postes-clé, ont été évincés, mutés ou remplacés par des officiers ayant des titres de résistance, exclus par le régime ou en provenance d’Afrique du Nord. En réalité, des textes législatifs et réglementaires fondent, en 1945, la démarche de la direction. Une ordonnance du 7 janvier 1944 détermine par exemple les conditions d’attribution des décorations en faveur des militaires qui ont acquis des mérites en face de l’ennemi.
Le 12 septembre 1944, le directeur, par dépêche n° 532/2 Gend.P., fait connaître les mesures à prendre à l’encontre des personnels qui ont eu un comportement digne pendant les années noires. Il distingue, d’une part, ceux qui « restés sur place se sont attachés à concilier la protection de personne et de biens en résistant aux exigences de l’ennemi », de l’autre, les officiers et sous-officiers « qui n’ont pas hésité à abandonner leur famille, leur fonction et leur uniforme pour se joindre aux F.F.I. et apporter leur contribution anonyme à la libération du pays ».
Vis-à-vis des premiers, le commandement a l’intention de faire preuve de sollicitude et de compréhension. À l’égard des seconds, il prévoit de récompenser leurs mérites par des décorations, des promotions et des affectations correspondant à leurs souhaits.
L’expression de cette reconnaissance, variée dans ses formes, rapide pour les uns, tardive pour les autres, mérite d’être évoquée car sa connaissance facilite l’approche d’une facette de l’action résistante des personnels de l’Arme. À l’occasion des hommages rendus à ces derniers, publics ou plus discrets, souvent sur le mode « épique », on découvre quel a été leur rôle.
Les formes de la reconnaissance
- Récompenses
La reconnaissance de la nation, envers les officiers et sous-officiers méritants, qui se sont distingués d’une façon toute particulière par leur courage et leur esprit patriotique, tant sous l’occupation allemande que durant la phase active de la Libération, s’exprime par l’attribution de décorations. En fonction de la nature des circonstances dans lesquelles ces personnels se sont mis en évidence, ils font l’objet de propositions pour l’attribution de la Croix de la Libération, la médaille de la Résistance, la Légion d’honneur, la médaille Militaire, la Croix de Guerre, la médaille des Évadés.
* Croix de la Libération
Parmi les décorations qui symbolisent le mieux l’action de Résistance, on distingue la Croix de la Libération. Créée à Brazzaville, par l’ordonnance n° 7 du Comité national français du 16 novembre 1940, elle récompense « les personnes, collectivités militaires ou civiles qui se sont signalées d’une manière exceptionnelle dans l’œuvre de Libération de la France et de son Empire. » Le chef des Français Libres en décerne 1061, dont 238 à titre à posthume, 5 à des villes ou villages, 18 à des unités des trois armées, 6 à des femmes et 14 à des personnalités étrangères.
Le nombre de militaires de la gendarmerie appartenant à l’Ordre de la Libération, varie selon les sources d’information. Pour les unes, il est de 5, pour les autres de 4. Le contrôle effectué sur la liste établie par la Chancellerie de l’Ordre de la Libération confirme ce dernier chiffre. Si le nom des chefs d’escadrons Guillaudot, Colonna d’Istria et du capitaine d’Hers reste dans les mémoires, en revanche, on ignore celui d’Auguste Kirmann admis dans l’Ordre avant son admission dans la gendarmerie.(128) Cet Alsacien voit le jour, en 1907, à Hindisheim (Bas-Rhin). En 1927, il s’engage pour trois ans au titre du 22e régiment d’infanterie coloniale. Au terme de son contrat, il rengage et sert successivement en Indochine, au Maroc et au Levant jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. En garnison à Chypre, au 24e R.I.C., le 28 juin 1940, avec son bataillon, il rallie les Forces Françaises libres. Il reçoit une affectation au 1er B.I.M. (Bataillon d’infanterie de marine), rattaché à l’armée du général Wavel, composé des coloniaux venus de Chypre, de spahis, de légionnaires échappés de Syrie, d’isolés en provenance de Roumanie, de Finlande et même de Shanghaï. Avec le 1er B.I.M., il continue le combat contre l’Axe en Lybie et prend part aux principales opérations de la première offensive de Libye contre les troupes italiennes du général Grazziani. Auguste Kirmann se distingue à Sidi-Barani, en décembre 1940, puis à Bardia, le 3 janvier 1941, lorsque les F.F.L. réussissent à couper les communications avec Tobrouk. Après la capitulation de Bardia, outre un butin important, le 1er B.I.M. capture 35 000 hommes. Une citation à l’ordre des Troupes Françaises libres d’Orient, en date du 25 février 1941, donnant droit à la Croix de Guerre avec palme, récompense son courage :
« Volontaire pour aller chercher le corps d’un de ses camarades exposé au vu et au su de l’ennemi, a rempli sa mission avec l’aide du soldat Palcy ; soldat au moral élevé, très bel esprit militaire. »
Par décret du 7 mars 1941, le général de Gaulle lui décerne la Croix de la Libération. En même temps que lui, il décore 4 officiers et 26 sous-officiers et hommes de troupes du 1er bataillon. En fin d’année, l’Ordre totalise 155 Compagnons. Quelques mois plus tard, conseillé par le colonel Montclar, il pose sa candidature pour la gendarmerie. Par décision du 11 décembre 1941, le général commandant en chef les Forces Françaises libres au Levant le nomme élève-gendarme et l’affecte à la Prévôté des F.F.L. au poste prévôtal de Saint-Élie. Après sa titularisation, le 1er juillet 1942, il sert successivement au poste prévôtal de Beyrouth, d’Alep et du Quartier général. Le 10 octobre 1944, il est promu au grade de maréchal des logis-chef. À la dissolution de la Prévôté des troupes du Levant, le 20 juillet 1946, il rentre en France. À l’issue d’un congé de campagne, le 23 juillet 1946, il rejoint sa nouvelle affectation à la 1re légion de gendarmerie, brigade de Triel-sur-Seine. Son commandant de légion le félicite, le 16 mai 1947, pour son activité en police judiciaire :
« Pour le zèle, l’habileté professionnelle et l’autorité dont il a fait preuve dans l’organisation et l’exécution de services de nuit qui ont amené en 6 jours l’arrestation d’un individu auteur de quarante-deux vols de volailles, de sa maîtresse complice et de cinq receleurs, d’un autre recherché en vertu de deux mandats d’arrêts et auteurs de trois cambriolages commis la nuit dans des villas, d’un dernier enfin auteur de deux cambriolages commis la nuit dans des villas. »
En février 1948, sur sa demande, le ministre l’admet à la retraite, avec pension proportionnelle.
* Médaille de la Résistance
Créée par une ordonnance de la France Combattante du 9 février 1943, la médaille de la Résistance, classée au 9e rang des décorations reconnues par la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, distingue « les personnes et collectivités qui ont pris une part spécialement active, depuis le 18 juin 1940, à la résistance contre les puissances de l’Axe et leurs complices sur le sol national ou le territoire relevant de la souveraineté française ». Le 7 janvier 1944, une autre ordonnance, modifiée à son tour le 2 janvier 1945, actualise l’organisation de cette distinction et organise la possibilité de la distinguer avec rosette. Jusqu’à la période de forclusion, en 1947, le Gouvernement la décerne à 45 000 personnes, à 21 collectivités militaires dont 14 bâtiments de la Marine nationale, à 18 localités, à 6 communautés, écoles ou hôpitaux et à 9 collectivités diverses.
La médaille de la Résistance récompense 360 militaires de la gendarmerie (146 officiers et 214 sous-officiers) dont au moins un quart à titre posthume. Le nombre de médaillés varie d’une légion à l’autre. En octobre 1945, la 18e légion de gendarmerie à Bordeaux mentionne, dans son ordre n° 56, les noms des personnels distingués par décret du 6 septembre 1945, publié au J.O. du 12 soit sept officiers, douze gradés et cinq gendarmes. Dans la 17e légion on en compte à la même date dix dont six officiers. La 12e légion en totalise vingt-quatre dont trois officiers.
Une seule unité de gendarmerie, la brigade de la Chapelle-en-Vercors, figure parmi les 21 collectivités militaires titulaires de la médaille de la Résistance, pour le motif précisé dans le libellé suivant :
« Située au cœur du maquis du Vercors, la brigade de gendarmerie de La-Chapelle-En-Vercors a favorisé l’action de la Résistance dès 1943.
Son personnel s’est toujours refusé à agir contre le maquis. Il a participé à des opérations de parachutage et a apporté une aide efficace aux Résistants en leur fournissant des renseignements sur les opérations de police dirigées contre eux.
Arrêtés pendant cinq jours par la milice, il n’a fait aucune révélation et a rejoint le maquis le 9 juin 1944. »
Par décret du 31 mars 1947, le lieutenant (Robert) Frumin, de la Garde personnelle du chef de l’État, reçoit à titre posthume la médaille de la Résistance. En février 1943, il entre dans les F.F.C. et appartient, en qualité d’agent de renseignement, au réseau « Alliance » de Marie-Madeleine Fourcade. Sous les pseudonymes de V.132 et de « Corsaire », il travaille au profit du secteur centre de Vichy commandé par le colonel Kauffmann. Entre le 20 et le 30 septembre 1943, à la suite d’une trahison (affaire Lien), le secteur centre du réseau « Alliance » est anéanti. Le 30, la Gestapo arrête le lieutenant Frumin détenu successivement à Vichy puis à Fresnes avant d’être déporté, fin novembre 1943.
Marie Madeleine Fourcade rapporte que le lieutenant Frumin « s’était superbement organisé pour « faire » toutes les corbeilles à papier ministérielle et aussi les tiroirs, rien ne manquait des projets et intentions du Gouvernement de Vichy en ce qui concerne la collaboration ».(129)
Le général von Rundstedt, commandant en chef à l’Ouest, dans l’annexe de la lettre adressée au maréchal Pétain le 11 novembre 1943, pour lui signaler l’arrestation de plusieurs officiers de la 13e division militaire membres d’une organisation clandestine précise que « Le lieutenant Frumin, qui recevait par mois 25 000 francs pour se procurer des rapports militaires dans l’entourage du chef de l’État participait à cette organisation chargée de transmettre des renseignements ».
Ce n’est qu’au cours du procès de Gehrum, ancien chef de l’Ast de Strasbourg, que l’on apprendra que le lieutenant Frumin, détenu à la forteresse de Rastadt, a été lâchement exécuté par les nazis, avec douze de ses compagnons du réseau « Alliance », le 24 novembre 1944, près de Blittersdarf, et jeté dans le Rhin.
* Légion d’honneur
Dans l’Ordre de la Légion d’honneur, au titre de la Résistance, on dénombre dans la gendarmerie 351 promotions ou nominations. Le libellé des citations qui les accompagnent nous renseigne sur les actions accomplies. À titre indicatif, lors de sa nomination au grade de chevalier, par décret du 2 novembre 1945, le capitaine Artous fait l’objet de la citation suivante :
« Officier valeureux. Résistant de la première heure. Après avoir, en dépit de nombreux obstacles mené une activité patriotique inlassable au Maroc en 1940 et 1941, a continué la lutte contre l’ennemi dans la Métropole en participant activement au noyautage des administrations publiques et particulièrement de la gendarmerie. Arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald. A pris une part importante au risque de sa vie à la libération du pays. » De même, lors de sa nomination au grade de chevalier, prononcée par décret du 26 décembre 1944, le capitaine Demettre est cité en ces termes :
« Officier d’élite animé du plus pur esprit de sacrifice. À accompli en France occupée, avec un plein succès et au péril de sa vie, une mission de Résistance de la plus haute importance. »
Le 23 août 1944, le général de Gaulle cite, à titre posthume, à l’ordre de l’Armée, le lieutenant (Louis) Chelle tué au combat :
« Officier énergique et plein d’allant qui, le 8 août 1944, alors que les troupes alliées se trouvaient aux abords de la ville du Mans, s’est élancé spontanément à la tête de quatre gendarmes, avec un absolu mépris du danger, à l’attaque d’un îlot de résistance allemand qui interdisait le passage d’un pont sur la Sarthe. Est tombé mortellement frappé au cours de cette opération. À ainsi contribué à empêcher l’ennemi de faire sauter l’unique pont ayant permis aux troupes alliées de pénétrer dans Le Mans et de réaliser une avance rapide. »
Cette citation accompagne la nomination du lieutenant Chelle au grade de chevalier de la Légion d’honneur.
Plusieurs années après la Libération, la Légion d’honneur distingue des sous-officiers. L’adjudant-chef Georges Biet en reçoit les insignes, sur le front des troupes, au quartier Bréart, à Tunis, le 22 novembre 1951. En 1942, le M.D.L-Chef Biet, prisonnier évadé, commande la brigade de Neufchâteau (Vosges). Il accueille les évadés et les dirige vers la zone non occupée. Plus de 300 militaires français en captivité lui doivent la liberté. Dans le même temps, il procure des armes à des résistants et participe personnellement à de nombreux et importants sabotages. Le 19 septembre 1942, la Gestapo l’arrête. Malgré les pires tortures qu’il subit à plusieurs reprises, il se tait et jamais ne cède à ses bourreaux. Condamné à mort, il échappe miraculeusement à l’exécution. C’est ensuite la déportation. Pendant trente-cinq mois, tant à Sachsenhausen, près de Berlin, qu’à Dachau, les nazis l’astreignent aux travaux forcés. Il surmonte cette douloureuse épreuve. L’avance alliée le délivre le 1er juin 1945. De retour en France, il apprend que son fils, arrêté et déporté à son tour, a payé de sa vie son action patriotique. L’adjudant-chef Botet, ancien commandant de brigade à Saillagouse (Pyrénées-Orientales) qui a aidé des candidats à la liberté à franchir les Pyrénées, pour rejoindre la France libre n’est distingué que le 3 novembre 1985 par le colonel Paillole ancien chef du contre-espionnage français et directeur de la sécurité militaire.
* Médaille Militaire
Une autre décoration, la médaille Militaire, distingue essentiellement les sous-officiers. Le Gouvernement la confère à 1 440 militaires de l’Arme. (Maurice, Auguste) Garin, de la brigade de Maureil, 2e légion bis de gendarmerie, premier gendarme fusillé par les Allemands, à Amiens, le 30 décembre 1941, la reçoit à titre posthume par décret du 3 octobre 1949 :
« Animé d’un sentiment patriotique élevé et menant une campagne active en faveur de la résistance a été arrêté sur dénonciation par les troupes d’occupation, condamné à mort puis fusillé le 30 décembre 1941 à Amiens. »
Quelques heures avant son exécution, il adresse une dernière lettre à sa famille :
« Je viens à l’instant du tribunal -il est midi est demi- on est venu me chercher à 11 heures pour m’annoncer que le jugement a été confirmé…
J’avais demandé une dernière grâce, c’était de vous voir avant de mourir. Cela m’a été refusé. Je ne pourrai donc plus voir personne avant de mourir…
Je dois être fusillé cet après-midi, mais j’ignore à quelle heure…
J’ai demandé un prêtre pour m’assister dans mes derniers moments. Cela m’a été accordé. Donc je l’attends…
Je dis un dernier adieu au chef et à mes camarades de brigade ainsi qu’à leur famille…
Cher fils, travaille bien en classe pour que plus tard tu puisses subvenir aux besoins de maman et de mémère. Tu garderas ma dernière lettre et tu la reliras souvent. Tu y puiseras le courage pour travailler.
Je vous quitte en vous embrassant tous trois de tout cœur. Votre fils, mari et papa. »(130)
* Citations
Parmi les 1 600 citations décernées à des militaires de la gendarmerie, il y a lieu de mettre en évidence celles à l’ordre de la division et du corps d’armée que le Comité Français de Libération Nationale attribue, le 3 février 1944, à un gradé en fonction sur le territoire métropolitain occupé, le maréchal des logis-chef Botet (Raymond), commandant la brigade de gendarmerie de Saillagouse « A fait preuve d’un dévouement admirable à la cause Nationale en aidant avec un plein succès au passage de nombreux Français à travers la Frontière Pyrénéenne. Continue à rendre d’importants services au péril de sa vie et dans des conditions particulièrement délicates » Avant la Libération, le 11 août 1944, le Commissaire à la Guerre le cite une seconde fois :
« Commandant une brigade de gendarmerie en territoire métropolitain a travaillé clandestinement depuis 7 mois, d’une manière très efficace au profit des Services Spéciaux et de la Résistance, a payé de sa personne sans compter et risqué sa vie en de multiples occasions, assurant lui-même le passage d’Agents, d’armes, de matériel radio et de courriers à travers la frontière. À su en outre imposer non seulement à sa brigade mais aussi aux frontaliers de sa région l’idéal de servir ardemment la cause Nationale. »
La citation à l’ordre de l’armée, comportant l’attribution de la Croix de guerre avec palme, décernée le 26 avril 1945 au capitaine Laporterie, commandant la section de Lannion de 1942 à 1944 met en lumière son travail dans la clandestinité :
« Officier de grande valeur, d’un courage exemplaire et d’un patriotisme ardent, s’est signalé par son activité dans un réseau de renseignements comme chef de secteur : Morlais-Lannion-Paimpol. A participé même après le début de l’invasion alliée à six opérations de liaisons maritimes recevant de nuit l’équipage allié au milieu du dispositif ennemi de défense côtière. A assuré dans sa voiture personnelle de nombreuses liaisons ainsi que tous les transports de matériel, postes émetteurs et agents. Rentrant d’une liaison maritime en juin 1944, et arrêté par une patrouille ennemie, entre Guingamp et Saint-Brieuc, a réussi grâce à son sang-froid à dissimuler et à sauver le matériel qu’il transportait. À suivi avec son chef de réseau le repli allemand de Saint-Brieuc à Brest. Volontaire pour toutes les missions dangereuses et désirant continuer à servir même après la libération de la Bretagne, n’a pas hésité à accepter une dernière mission de renseignement pour laquelle il est déposé par avion avec six de ses camarades au milieu du dispositif ennemi dans la région de Belfort le 31 août 1944 ».
Aujourd’hui âgé de 90 ans, le colonel Laporterie reste discret sur l’action qu’il a menée pendant les années noires au sein du réseau « Alibi » dont l’action vient d’être récemment retracée dans le livre de Sylvaine Bachrel « Alibi 1940-1944 ».
Sur tous les fronts, des militaires de l’Arme se distinguent. Treize gendarmes de la section de Brest reçoivent la Croix de guerre, avec citation, à la suite de leur participation aux opérations dans la poche de Brest entre le 20 août et le 18 septembre 1944. Le général Gerhardt et le colonel Rudder, chef de la force opérationnelle S, composée du 2e Ranger, d’un bataillon d’infanterie et de 12 compagnies des F.F.I., soulignent, dans leurs rapports d’opérations, l’excellent travail accompli par ces sous-officiers :
« L’emploi des F.F.I., écrit le général, s’est révélé très efficace. Le chef de bataillon Faucher disposait de chefs subordonnés formés et conduisait militairement ses troupes qui, bien que composées d’irréguliers se révélèrent de grande valeur. »(131)
Or, la moitié de celles qui dépendaient du colonel Rudder avaient été instruites et étaient commandées par des gendarmes.
Des citations collectives récompensent des unités méritantes. En Bretagne, le général Allard cite à l’ordre de la division les gendarmes du Morbihan :
« La compagnie du Morbihan, sous la patriotique impulsion du commandant Guillaudot, du lieutenant Guillo, de l’adjudant Leroy, des cadres et, en particulier, des chefs de brigades, est entrée en bloc dans la Résistance, fournissant à celle-ci les Cadres de ses unités. A assuré le sauvetage de près de 200 aviateurs tombés, a reçu 40 tonnes d’armes et munitions en 1943, a contribué dans une large mesure au service de renseignement, aidé au recrutement de 12 000 maquisards du Morbihan. S’est battue, payant chèrement de son sang, la libération du sol breton. »
Trois fusillés, cinq tués au combat, quinze déportés, de nombreux blessés, tel est le prix payé par la compagnie du chef d’escadron Guillaudot dans le combat pour la liberté.
Les éléments de la compagnie du Var, regroupés à Draguigan sous les ordres de leur chef, le commandant Favre, obtiennent une citation à l’ordre de l’armée :
« Unité qui a fait preuve d’admirables qualités de courage, d’allant et de sacrifice en s’emparant de la ville en liaison avec les unités F.F.I. dès le 15 août 1944, jour du débarquement. A chassé les Allemands de la ville et tenu celle-ci pendant quarante-huit heures avec les F.F.I. permettant aux troupes alliées une avance facile et rapide. À fait de nombreux prisonniers et repoussé toutes les attaques ennemies. A mérité l’admiration de la population. »
Au cours des combats de la Libération, la compagnie du Var perd au total 7 sous-officiers dont un à Draguignan, le gendarme René Scheers dont la caserne porte le nom.
À Lyon, le colonel Descour, chef régional des F.F.I., cite à l’ordre du régiment la brigade de gendarmerie de Brenod (Ain), pour les motifs suivants : « Gendarmes ayant une grande conscience de leur devoir, une grande foi patriotique, ont dès leur début aidé de toutes leurs forces, de tous les moyens, la Résistance, les maquis. Ont été arrêtés par les Allemands lors des opérations de février 1944, payant ainsi de leur sacrifice leur ardent dévouement à la cause de la France. »(132)
Le colonel Henri Romans-Petit, chef des maquis de l’Ain, précise les circonstances de leur arrestation le 6 février 1944, à la suite des opérations menées par les troupes allemandes dans le secteur de Brénod :
« Sur dénonciation du milicien Avon, le chef de la brigade de gendarmerie Pfirch ainsi que ses gendarmes Traffay, Limousin et Roussey sont arrêtés. Les autres membres de la brigade Poncet, Barbier et Pébold, n’échappent que par miracle. C’est une grosse perte sur tous les plans. Chargés de nous surveiller ils étaient nos meilleurs informateurs… »(133)
Les gendarmes Traffey (Marius) et Roussey (Roger) meurent en déportation respectivement le 19 octobre 1944 et le 21 avril 1945.
Depuis sa création en 1918, l’École des Officiers de la Gendarmerie nationale a formé de nombreuses promotions d’officiers-élèves et d’élèves-officiers. Tant aux armées qu’à l’intérieur, dans des conditions difficiles et parfois ingrates, ils ont défendu avec foi l’indépendance et la grandeur du pays sans que leurs mérites ne fassent l’objet d’aucune reconnaissance officielle. Le drapeau de l’École, à la Libération, ne porte aucune décoration. Or, pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux officiers de l’Arme, formés à l’École, se sont signalés par leur courage et leur abnégation payant de leur vie un lourd tribut de sacrifice. Considérant que « c’est à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale et aux vertus de son enseignement que doit être attribué pour une large part le palmarès de ces distinctions et de ces sacrifices », le 15 octobre 1951, Monsieur Gérard Turpault, directeur de la gendarmerie et de la justice militaire, propose au ministre de la Défense nationale qu’elle soit l’objet d’une citation à l’Ordre de l’armée comportant attribution de la Croix de guerre avec palme.(134)
La liste nominative des officiers morts pour la France ou en service commandé, depuis septembre 1939, jointe à la proposition, fait apparaître le bilan suivant :
- morts pour la France au cours de la campagne 1939-1940 : 25 ;
- mort pour la France au cours de la campagne de Syrie en 1941 : 1 ;
- tués ou fusillés par les troupes allemandes, soit en France, soit en Allemagne : 10 ;
- tué au cours du bombardement aérien d’Angers le 29 mai 1944 : 1 ;
- prisonnier décédé après son rapatriement : 1 ;
- déportés décédés en déportation : 25 ;
- disparus : 2 ;
- tués au cours d’opération à l’intérieur avant la Libération : 12 ;
- tués lors des combats pour la Libération (Empire, Italie, France) : 17 ;
En outre, il crédite le corps des officiers de 198 Légions d’honneur, à titre posthume ou exceptionnel, pour faits de guerre ou de Résistance, 4 Croix de la Libération, 146 médailles de la Résistance, 32 médailles des évadés et 600 citations.
Le 8 novembre, le Vice-Président du Conseil, ministre de la Défense Nationale, Georges Bidault, cite à l’ordre de l’Armée l’École des officiers de la Gendarmerie nationale :
« École d’Officiers riche d’un passé de gloire et de solides traditions militaires mises au service du bien public et de la défense de la Patrie.
À su former une phalange d’Officiers qui, pour ces causes sacrées, ont payé un lourd tribut de sacrifices attestés par 63 tués au combat, 10 fusillés par l’ennemi, 25 morts en déportation au cours de la Deuxième Guerre mondiale et par le sang versé actuellement pour la défense de l’Union française.
Les vertus de son enseignement et les services rendus par les Officiers qu’elle a formé lui donnent des titres à la reconnaissance de la Nation. » « Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre avec palme. »
À Melun, le 20 juin 1952, en présence du Président de la République, M. Vincent Auriol, le ministre de la Défense Nationale, M. René Pleven, agrafe à son drapeau la Croix de guerre 1939-45 avec palme. En même temps, il donne à la promotion des officiers-élèves le nom de « Promotion de la Croix de guerre ».(135)
- Promotions
En dehors des décorations, des promotions, à caractère strictement exceptionnel et limitatif, sanctionnent les actes méritoires de certains officiers et sous-officiers qui se sont particulièrement mis en valeur. Le ministre de la Guerre, le 30 octobre 1944, fait connaître selon quelles modalités vont être récompensés les services rendus à la France par les militaires de la gendarmerie et de la Garde républicaine qui « dans un mépris absolu du danger ont risqué leur vie en participant activement à la résistance et à la lutte contre l’asservissement par l’ennemi. »(136)
Le travail d’avancement envisagé doit s’appuyer sur un rapport exposant des faits précis, les dangers encourus et les résultats obtenus. Au tableau d’avancement normal, établi en 1945, s’ajoute donc celui des gradés et gendarmes inscrits, à titre exceptionnel et définitif, pour services rendus à la Résistance.
L’additif du 10 janvier 1945, à l’Ordre de la 16e Légion, dans son alinéa n° 5, énumère les sous-officiers inscrits au Tableau d’avancement à titre exceptionnel. Rapporté à l’effectif de la légion, fort de plus de deux mille hommes, leur nombre très restreint atteste de la qualité des services rendus par ces militaires.
« Pour le grade d’adjudant-chef :
- Danos, (Étienne), Adjudant, brigade de Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) ;
Pour le grade d’adjudant :
- Cazals, (Marcellin), MDL. Chef, brigade de Malzieu (Lozère) ;
Pour le grade de MDL. Chef :
- Coussirat, (Bernardin), gendarme à la brigade de Nasbinals (Lozère) ;
- Brohm, (Georges), gendarme à la B.M. de Montpellier (Hérault) ;
- Defrance, (Robert), gendarme à la B.M. de Rodez (Aveyron). »
Dans son alinéa n° 6 le même document annonce leur promotion. Non seulement ces sous-officiers ont pris une part active aux combats de la Libération, mais avant le déclenchement de l’insurrection nationale ils ont apporté leur concours à la Résistance.
Dans la 12e légion, le volume des promotions à titre exceptionnel, dans le corps des sous-officiers, est du même ordre de grandeur. On y relève, pour le grade d’adjudant-chef, les noms des adjudants Audouin et Vigneron, pour le grade d’adjudant les chefs Granet, Walle, Lepretre, Plumard, Voisin, Daudon, Lacroix et pour celui de chef les gendarmes Fleury, Teissier, Voncent, Confolant, Chassagne et Soury.
Des gradés accèdent à l’épaulette : l’adjudant-chef Coirier de la Garde, l’adjudant Fauque, l’adjudant Roques (brigade de Béziers), l’adjudant Louarn (brigade de Josselin), l’adjudant Le Roy (secrétaire du commandant Guillaudot à Vannes), l’adjudant Leroux (brigade d’Aigurande), l’adjudant Caralp etc.
Au total, pour l’ensemble de la gendarmerie, le nombre de ces promotions s’élève à une trentaine prononcées les 25 septembre et 25 décembre 1944. En 1946, le dégagement des cadres des lieutenants et sous-lieutenants atteignant 42 ans dans l’année met brutalement un terme à la carrière de la plupart de ces officiers issus du rang. La mesure prise, considérée comme injuste, a de fâcheuses répercussions sur leur moral.
De même, des officiers font l’objet de propositions exceptionnelles pour l’avancement. À la Libération, le commandant de compagnie du Morbihan, Maurice Guillaudot, chef d’escadron en décembre 1943 au moment de son arrestation, est successivement promu lieutenant-colonel à partir du 25 septembre 1942, colonel le 25 juin 1945, général de brigade le 1er mai 1949. Un de ses commandants de section, celui de Ploërmel, le seul a avoir partagé son combat dans la Résistance, le lieutenant Guillo, accède au grade supérieur rétroactivement à partir du juin 1944. Nommé chef d’escadron le 25 juin 1943, l’un des artisans de la libération de la Corse, Colonna d’Istria (Paulin) est promu lieutenant-colonel le 25 septembre 1944 et colonel le 1er octobre 1947. Le capitaine Artous (Louis), nommé à ce grade en fin d’année 1941, déporté au début de l’année 1944, est promu chef d’escadron le 25 décembre 1944 de même qu’une vingtaine de ses pairs. Le 5 décembre 1944, le général Collet, commandant la 17e région militaire, propose pour une promotion à titre exceptionnel, au grade de général de brigade, le colonel Desfontaine commandant la région de gendarmerie :
« Officier supérieur de tout premier plan dont l’impulsion magnifique s’est traduite par une participation sourde ou active des unités de son arme contre l’ennemi… »
Cet officier a été affecté à Toulouse à la mi-juin 1944, en remplacement du général Duin arrêté par la police allemande. En liaison avec les FFI, il avait établi un plan d’action pour faire libérer Toulouse par des forces de gendarmerie. L’attaque de la ville, par les gendarmes, prévue le 20 août, n’est pas déclenchée à la suite du départ précipité des Allemands le 19. En fin de compte, la proposition n’est suivie d’effet que le 20 août 1946.
Dans les départements libérés, les nouvelles autorités, préfets, présidents des Comités de libération, commandants départementaux des F.F.I. nomment au grade supérieur des officiers et des sous-officiers ayant participé à la Résistance. Ces promotions, à titre fictif et temporaire, s’attachent à la fonction et non à la personne. Aussi n’ouvrent-elles droit ni à la solde correspondante, ni à la prise de rang dans le nouveau grade. Le général Legentilhomme nomme le gendarme Le Guern, commandant de la compagnie de l’Eure. Celui-ci ne l’occupe que pendant quelques semaines. Le 25 août 1944, de retour du maquis, le capitaine Chaumet, commandant la section de Guéret, réintègre sa résidence. Il prend le commandement de la compagnie avec le grade de chef d’escadron en remplacement du titulaire suspendu de ses fonctions par le Comité départemental de libération. Sa nomination ne devient définitive qu’en fin d’année 1946. La Haute-Savoie libérée, le comité départemental de Libération charge le lieutenant Jacquet (Jean-Joseph), commandant la section de Bonneville, de réorganiser la compagnie d’Annecy et d’en prendre provisoirement la tête. L’officier jouit de l’estime de la Résistance. Pendant l’Occupation, il est entré en relation, dès sa formation, avec l’Armée Secrète de Haute-Savoie. Grâce aux renseignements fournis, de nombreux résistants ont pu échapper aux forces de police. Plusieurs fois, sous le couvert de son service, il a contribué à assurer le transport de patriotes d’un point à l’autre du département. Après le débarquement, il s’est opposé au regroupement du personnel de sa section pour lui éviter d’être utilisé comme force supplétive contre les maquis. Sa nomination au grade de capitaine est prononcée en fin d’année 1946.
Dès le 19 août 1944, sur instruction du préfet du Gers et du président du Comité départemental de libération, le capitaine Pagès, commandant la section de Condom prend les fonctions de commandant de compagnie avec le grade de chef d’escadron en remplacement du chef d’escadron C… suspendu. Par arrêté du 23 août 1944, M. Dechriste, préfet du Gers, confirme sa promotion à titre temporaire ainsi que celles de plusieurs sous-officiers. Gaston Cusin, commissaire de la République à Bordeaux, par arrêté préfectoral du 2 septembre 1944, nomme le capitaine Colinet à la tête de la compagnie des Basses-Pyrénées.
- Hommages à l’intérieur de l’Arme et devoir de mémoire
* casernes portant le nom de résistants
À la suite de propositions de la direction de la gendarmerie, le ministre des armées donne à des casernes le nom d’officiers et de sous-officiers morts pour la France dans la Résistance ou en déportation. Leur nombre dépasse la cinquantaine : caserne Chalvidan à Paris Exelmans, caserne lieutenant Demeuzy à Rougemont, caserne Vessières (André) à Cahors, casernes Vérines (Jean), Place de la République à Paris et à Saint-Denis de la Réunion, caserne Thomassin (Gaston) à Salers (Cantal), caserne Rigoulet à La Réole (Gironde), caserne Novellini (Joseph) à Digne (Alpes de Haute-Provence), caserne Aubert à Rodez (Aveyron), caserne commandant Morel à Saint- Pierre-des-Corps, caserne Martin (chef d’escadron) à Romans, caserne Vitoux, Le Stanguennec et Dethare à Sancoins, caserne sous-lieutenant Pinault à Bléré etc.
Lorsque des programmes immobiliers conduisent à l’abandon de casernements ou à leur reconstruction, des noms retombent dans l’oubli. À Rodez, les nouveaux bâtiments construits dans les années 90 prennent le nom du général d’Empire Béteille. La précédente caserne portait celui du gendarme Aubert tué au maquis d’Auvergne le 22 juin 1944.
* plaques commémoratives
Toujours pour commémorer le souvenir des disparus, on appose des plaques rappelant leur sacrifice dans les casernes où ils exerçaient leurs fonctions. À l’occasion de ces manifestations, des résistants portent témoignage sur l’action des disparus souvent ignorée ou mal connue.
Le 10 juin 1945, inaugurant une plaque commémorative à la mémoire du chef d’escadron Vessières, ancien commandant de la compagnie du Lot, déporté en Allemagne en mai 1944 et décédé à Spire, le 8 avril 1945, alors qu’il venait d’être libéré, le lieutenant-colonel Delmas, commandant la 17e légion bis de gendarmerie, évoque le comportement du disparu :
« J’avais connu le commandant Vessières à la 13e légion ; il commandait alors la section d’Ambert. Tout de suite j’avais vu en lui un officier de valeur, d’une belle trempe, il avait un peu de cette allure coloniale qui ne trompait pas. En effet, d’ailleurs, il avait servi dans l’armée coloniale et fait la campagne du Tchad ; c’est donc qu’il avait été à bonne école, il avait puisé là les sources d’énergie et de bravoure qui devaient tant lui servir par la suite. Les fluctuations des mutations nous ont séparés pendant quelque temps et je le retrouve en avril 1943 alors qu’il venait de prendre le commandement de la compagnie du Lot à Cahors. Vous connaissez la situation, quelque temps après le boche est partout ; il occupe tout le territoire. Je prends un contact plus intime avec le commandant et lui fait part de mon rôle et de ma mission dans la Résistance. Sans avoir fait pression sur lui le commandant me dit : « J’en suis » - soit, lui dis-je, je te donnerai des instructions et des directives, je commandais à l’époque la 17e région armée Secrète - sois très prudent car nous sommes particulièrement surveillés. Je vous fais grâce de sa réponse qui s’identifie parfaitement, hormis le prénom personnel et le qualificatif avec celle d’un célèbre général du 1er empire. Le commandant Vessières n’avait pas l’habitude de s’exprimer ainsi, il était d’une correction et politesse exquises, mais il entendait par là donner plus de force à sa volonté d’agir et marquer ainsi le cas qu’il faisait de l’envahisseur. Après plusieurs entrevues secrètes nous étions parfaitement d’accord sur la marche à suivre, il fallait protéger à tout prix nos jeunes gens, les empêcher de partir par tous les moyens et lorsque tout était épuisé dans ce sens les diriger sur les groupements clandestins qui se formaient alors pour les soustraire à la mainmise allemande.
Ironie du sort, il se trouve que le commandant Vessières, comme commandant de gendarmerie est chargé de dissoudre par la force ces groupements, à plusieurs reprises il reçoit l’ordre d’opérer, il résiste tant qu’il peut, il argue de son manque d’effectif… Manque d’effectif lui répond le préfet de l’époque, vous en aurez demain. En effet, le lendemain les pelotons de G.M.R. arrivent et se mettent à la disposition du commandant pour les opérations projetées. Le commandant prend le commandement de cette troupe et dirige son attaque sur un de ces groupements, l’attaque réussit parfaitement, les G.M.R. s’emparent d’un butin formidable : "carcasses d’auto, et une dizaine de peaux de mouton". Dans son rapport secret au préfet, le commandant qui était par moment pince-sans-rire, déclarait que s’il n’avait pu mettre la main sur les terroristes, c’est parce qu’il y avait eu des "fuites", que l’attaque avait été éventée ; il ne mentait pas du tout puisque c’était lui qui la veille avait prévenu nos jeunes gens de se retirer et fixé lui-même l’endroit du repli… »
En 1955, Edmond Michelet, déporté comme lui à Dachau, témoigne de son martyr :
« Voici écrit-il, un officier de gendarmerie, le commandant Vessières, à qui dans la pagaïe de l’arrivée les SS ont laissé son képi et son baudrier. Un jour, histoire de s’amuser, le Blockführer, à la sortie d’une séance de douches, lui a retiré tous ses autres accessoires. L’effet du ridicule est tout à fait réussi : dix fois, vingt fois, il a fallu que Veyssières défile sur le front des haftlingues (détenus) ahuris : "schnell, schnell !" L’autre éclata de rire en se tapant sur les cuisses. À la fin, l’officier français n’en pouvant plus s’est abattu de rage et de honte devant ses camarades aux dents serrées. »(137)
En 1946, le colonel Paul Rivière, alias Charles Henry dit aussi « Marquis, » chef de la Section Atterrissages Parachutages du réseau Action 1, inaugure à Bletterans la plaque scellée en mémoire du maréchal des logis-chef Bo- devin Félix et du gendarme Lamanthe Louis morts en déportation au camp de Neuengamme. Au cours de la cérémonie, le chef du réseau expose le rôle éminent joué par ces sous-officiers et leurs camarades de la brigade au profit de la Résistance.
* Parrainage de promotion
Dans les écoles de formation, des promotions prennent le nom de militaires de l’Arme morts pour la France ou qui se sont distingués dans la Résistance. À l’EOGN se succèdent les promotions Lieutenant Milberg (1944-45), capitaine D’Hers, capitaine Chalvidan, lieutenant-colonel Veissières, lieutenant-colonel Vérines (1948), général Raby (1952-53), capitaine Catteaud (1955-56), lieutenant Gilly (1958-59), colonel Robelin (1962-63), chef d’escadron Descamp (1964-65), général Le Flem (1968-69), lieutenant Giudicelli (1969-70), 1977-1978 général Duin, lieutenant-colonel Fonfrède (1981-82), capitaine Martin (1982-83), chef d’escadron Morel (1987), lieutenant Combourg (1994-95) chef d’escadron Berger (1998-99). De même, plusieurs promotions d’élève gendarmes, dans les Écoles de formation des sous-officiers, choisissent pour parrain des militaires victimes des nazis. Le 21 novembre 1991, la 19e promotion d’élèves gendarmes de l’école des sous-officiers de gendarmerie du Mans prend comme nom de baptême celui du gendarme Barraud, de la brigade de Sainte-Foy-La-Grande (Gironde), abattu par les Waffen S.S. le 7 décembre 1943. Le petit-fils du gendarme Barraud, Philippe Gérard, appartient à cette promotion. Le lieutenant Demeuzy, ancien commandant de brigade à Rougemont, tué en protégeant ses maquisards, donne son nom à une promotion d’officiers de réserve de gendarmerie à Melun.
* Cérémonies particulières
À l’occasion du retour des cendres du colonel Raby, du lieutenant-colonel Vérines et des chefs d’escadrons Morel et Martin, du réseau Saint-Jacques, arrêtés par la Gestapo à des dates et en des lieux différents, fusillés à Cologne en octobre 1943, une émouvante cérémonie se déroule le 11 octobre 1948, aux Invalides, « ce lieu permanent des gloires militaires » en présence de M Ramadier, ministre de la Défense Nationale. Le général Inspecteur général de la gendarmerie, rappelle les glorieux mérites de ces officiers qui n’avaient pas admis la défaite et avaient lutté par tous les moyens contre l’ennemi.(138)
- Les Justes des Nations ou la reconnaissance de l’État d’Israël
En 1953, par voie législative, l’État d’Israël crée le titre de Justes des Nations pour rendre un solennel hommage aux personnes qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs pendant la période de l’Holocauste en Europe. Sur la foi de témoignages délivrés par des rescapés, l’État hébreu distingue dans le monde plus de 11 000 non-juifs ainsi répartis : 46 % sont hollandais, 36 % polonais, 18 % appartiennent à d’autres nationalités parmi lesquels un millier de Français.
L’inscription du nom de quelques militaires de l’Arme, au Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, atteste de leur comportement humanitaire à l’égard des Juifs persécutés. Au total on dénombre 7 titulaires de la médaille des Justes des Nations, 6 sous-officiers, les gendarmes Camille Mathieu, Raymond Rigaud, Alain Bonneau, les chefs Marcellin Cazals, Étienne Roch, Camille Thibault et 1 officier, le chef d’escadron Berger.
Dans sa séance du 17 novembre 1993, la Commission pour la Désignation des Justes, siégeant à Jérusalem, décide de conférer le titre du Juste parmi les Nations à Marcellin Cazals, commandant la brigade du Malzieu (Lozère)(139). Après la guerre, évoquant son action, le capitaine Caubarrus, son commandant de section, écrit :
« Quand les arrestations furent décidées par l’occupant, plus de deux cents juifs se trouvaient dans le canton du Malzieu. Aucun ne fut arrêté, le maréchal des logis-chef Cazals ayant lui-même donné l’alarme. Pour ces faits, il fit l’objet d’une dénonciation anonyme en février 1943. L’enquête me fut confiée ; elle n’aboutit pas. »
En conclusion de son rapport, l’officier explique que probablement des indiscrétions des services préfectoraux, avant l’intervention des gendarmes, ont permis aux Juifs d’échapper à l’arrestation.
Courant janvier 1943, le commandant de brigade remet en liberté, M. Bromberg recherché par la Gestapo, arrêté en son absence par ses gendarmes et déposé à la chambre de sûreté. Dans la matinée du 15 janvier 1944, une équipe de la Gestapo, parfaitement renseignée sur la présence de Juifs dans l’agglomération, arrive au Malzieu et commence sa sinistre besogne. Informé de sa présence, le chef Cazals alerte immédiatement les familles les plus proches de la caserne. Mais déjà, la police nazie a procédé à deux interpellations dont celle d’une jeune fille âgée de vingt ans Melle Mlotek. La mère de cette dernière, qui a échappé in extremis aux Allemands, tenant par la main sa fille cadette encore enfant se précipite à la brigade, au domicile du chef Cazals, et implore son épouse de les accueillir pour les soustraire aux recherches. Pendant quinze jours, à l’insu de ses subordonnés, le commandant de brigade les héberge dans son logement de fonction avant de leur trouver un refuge sûr.
Jusqu’en septembre 1943, ce gradé n’hésite pas à transgresser la réglementation en fournissant à plusieurs dizaines de Juifs des sauf-conduits, d’une validité de trois mois, pour gagner la zone occupée par les Italiens opposés aux persécutions raciales.
En 1994, M. Marc Knobel, représentant le Yad Vashem au sein de l’ambassade d’Israël à Paris, confiait à un journaliste son sentiment sur le chef Cazals :
« L’enquête que nous avons faite sur lui, après avoir reçu plusieurs témoignages de juifs qui ont échappé à la mort grâce à son courage nous a révélé un homme d’une force de caractère exceptionnelle. Ce qu’il a fait en faveur des juifs était d’autant plus difficile qu’il était l’un des membres des forces de l’ordre chargé de faire appliquer les décisions du Gouvernement de Vichy et celles des occupants. Dans sa position, il n’aurait pu espérer aucune pitié en cas d’arrestation… »
Interrogé sur les raisons de son comportement, le chef Cazals fournit l’explication suivante :
« L’ennemi avait envahi mon pays et voulait aussi détruire des innocents parce qu’ils étaient d’origine juive : je ne pouvais ni participer à cette infamie, ni éviter de m’y opposer avec mes faibles moyens. »
Le 2 janvier 1997, à l’Hôtel de Ville de Clermont-Ferrand, au cours d’une cérémonie présidée par Monsieur Roger Quillot Sénateur-Maire, Monsieur Yoël Guilatt, Ministre Plénipotentiaire auprès de l’ambassade d’Israël à Paris, remet la médaille des « Justes parmi les Nations » au capitaine Maurice Berger, commandant la section de Riom (Puy-de-Dôme), mort en déportation au camp de Flessenburg le 26 avril 1945. Pour la première fois, Yad Vashem met à l’honneur un officier de gendarmerie.(140)
Le capitaine Berger est l’une des victimes de la vague de répression qui s’abat le 8 février 1944 dans la région de Riom. Son nom figurait en annexe d’une liste de résistants riomois, découverte par la Gestapo, à Saint-Maurice-es-Allier, qui le considérait comme favorable au maquis. Elle portait en effet la mention : « A maintenir à son poste, à cause des services rendus ».
Son dévouement à la cause de la Résistance lui vaut, à titre posthume, une citation à l’ordre de l’armée :
« Très bon officier qui a donné toute sa mesure, sous l’occupation, dans le commandement particulièrement délicat de la section de Riom, siège d’une maison d’arrêt spécialement surveillée par la Gestapo.
A protégé efficacement les patriotes et a réussi à être en liaison constante avec les chefs de la résistance.
Arrêté par la Gestapo, est mort en Allemagne, après d’atroces souffrances, faisant preuve, jusqu’à son dernier souffle d’une abnégation remarquable que lui inspirait son patriotisme ardent. »
Le solennel hommage que lui rend l’État d’Israël, de nombreuses années après sa disparition, nous révèle une des faces cachées de son activité secrète. Monsieur Lazare Gehler, ancien capitaine des F.F.I., en témoigne :
« Lors de mon séjour à Riom, j’ai connu l’activité du capitaine Maurice Berger, commandant la gendarmerie de cette ville.
Notamment, lorsqu’il eut l’ordre d’arrêter les juifs étrangers en décembre 1942, le capitaine Berger envoya son adjudant, le soir même, à Davayat (Puy-de-Dôme) pour alerter la famille Wajsbrot, juifs étrangers réfugiés, de la rafle que la gendarmerie devra effectuer le lendemain matin pour arrêter les hommes. Ceux-ci devaient quitter impérieusement leur domicile.
Le même soir, après cet avertissement, M. Alter Wajsbrot et son fils Szoël sont venus chez nous pour se cacher.
En outre, un juif étranger, habitant un village voisin, M. Rappoport, aussi averti la veille de la rafle a eu la vie sauve… »
Autre témoignage, celui de la famille Wajsbrot :
« Nous étions une famille composée de huit personnes demeurant à Paris. Il y avait Alter Wajsbrot, le père, âgé de 48 ans, Cyrla Wajsbrot, la mère, du même âge, et les enfants, Etla (23 ans), Szoël (21 ans), Isaac (18 ans), Régine (17 ans), Berthe (15 ans) et Jacqueline (13 ans).
Le 13 juin 1940, nous avons pris le dernier train au départ de Paris pour nous retrouver une semaine après à Davayat, un petit village du Puy-de-Dôme de 160 habitants.
Exerçant le métier de tailleur, nous avons pu nous intégrer à la vie du village et c’est ainsi que nous avons connu tous les notables des environs dont le capitaine Berger, commandant la gendarmerie de Riom (Puy-de-Dôme).
En 1942, après l’occupation de la zone libre, nous nous sentions tout de même en sécurité grâce à la protection du capitaine Berger.
En décembre 1942 a commencé la chasse aux juifs étrangers. Et un soir, nous avons reçu la visite du secrétaire du capitaine Berger qui nous a prévenu que les hommes allaient être raflés le lendemain matin.
C’est donc grâce à lui qu’Alter Wajsbrot et ses deux fils ont échappé à l’arrestation et à la déportation.
Le capitaine Berger n’a cessé de nous protéger jusqu’à sa propre arrestation et nous avons conscience de lui devoir la vie. »
L’État d’Israël honore également les chefs Camille Thibault de la brigade de Pleumartin et Alain Bonneau de celle de Chauvigny. En mai 1944, les Allemands décident de rafler les Juifs de Chauvigny, en représailles à un attentat au cours duquel des officiers allemands ont été blessés. La veille de l’opération, ces deux sous-officiers, revêtus de la tenue civile visitent toutes les maisons qui abritent des Juifs pour les prévenir que des miliciens les arrêteront au petit matin. Aussitôt les familles se cachent. Le lendemain, le maire annonce aux Allemands et aux miliciens qu’aucun Juif n’habite sa commune. Le maire et les gendarmes sauvent ainsi soixante-dix personnes de la déportation.
- Reconnaissance des collectivités et des organisations de la Résistance
Des stèles, monuments, mausolées érigés à travers le pays par des collectivités locales ou des organisations de Résistance rappellent également le sacrifice de militaires de la gendarmerie. En sortant de Vitry, sur la route de Sailly, un monument attire l’attention. Entouré d’ifs et de peupliers, bâti en forme de crypte, une grille ferme l’entrée. Au fronton, disposés en V, les mots Honneur et Patrie entourent la Croix de Lorraine. De chaque côté du parvis, des inscriptions. À gauche les organisations de Résistance : B.O.A., O.C.M., V.D.N. À droite les noms des camps de concentrations. À la porte, un bandeau : « Ici reposent les cendres de neuf Résistants décapités et incinérés à Munich, le 28 novembre 1944 ». Autour de la rotonde des noms et dans les niches 9 urnes de bronze. Qui étaient-ils ces Résistants ? Comme l’écrit Monsieur Jacques Piette, Compagnon de la Libération, « des gens simples, sans panache, rompus aux humbles tâches journalières de nos petits villages de l’Artois. Des gens résolus cependant, conscients des dangers, et en ayant accepté les risques… des volontaires ». Le groupe des 9 décapités comprend 3 gendarmes, 1 instituteur, 1 percepteur, 1 dessinateur, 1 artisan, 2 ouvriers d’usine appartenant au réseau O.C.M.-B.O.A.-Centurie -Voix du nord de la partie « vallée de la Scarpe » du canton de Vitry-en-Artois. Dans la nuit du 13 au 14 septembre 1943, une grande rafle aboutit à l’arrestation et à la déportation de 31 membres de ces organisations. M. Vincent Delobelle, secrétaire de mairie à Brebières, pendant l’Occupation, appartenait au même réseau que les 3 gendarmes. À leur sujet, il écrit en 1989 :
« Je peux témoigner de leur courage, de leur dévouement mais surtout de leur patriotisme. N’oublions pas que Brebières est limitrophe de Vitry-en-Artois et que la majeure partie du champ d’aviation où se trouvait l’as Allemand Gallant était situé sur Brebières. Nos trois amis, m’ont plus d’une fois tiré d’un mauvais pas. Ils savaient prendre des risques. Braves certes, mais parfois, pour sauver un ami, téméraires. »(141)
Douze d’entre eux sont rassemblés à Kaisheim et y reçoivent leur acte d’accusation. Le 16 septembre 1944, neuf seulement sont traduits devant le tribunal du peuple et condamnés à mort. Leur exécution à lieu le 28 novembre. S’agissant de déportés N.B. (Nuit et Brouillard), la Gestapo s’attache à faire disparaître toute trace de l’exécution et les corps sont incinérés au Crématorium de l’Ostfriedhof de Munich, le 20 novembre à 9 heures 20. Les cendres sont recueillies dans des urnes numérotées de 2.554 à 2.562 déposées à l’Ostfriedhof. Le voile sur leur fin tragique ne sera levé qu’en février 1946. Un déporté, d’une fenêtre, les a vus conduire à la salle d’exécution, une cagoule sur la tête. On connaît l’ordre et le rythme des exécutions. À 16 h le gendarme Louis Defontaine est décapité le premier. Suivent, toutes les deux minutes, Grodecœur René, Jambart Jules, Dumont Eugène, Vaze René, Javelot Léon, Serrure André, puis à 16h 14 vient le tour du gendarme Seneuze Pierre et enfin à 16 h 16 celui du gendarme Delefosse Émile. L’aumônier qui les a assistés a rapporté leurs dernières paroles :
« Nous mourons en Patriotes et en Catholiques. Vive la France. Vive la liberté. »
Leurs lettres d’adieu retrouvées en 1946 témoignent de leur patriotisme et de leur courage. Pierre Seneuze écrit :
« Aujourd’hui, à quatre heures, je mourrai en héros. Guide notre fils par la grandeur et l’honnêteté. Vive la France. »
De même, Émile Delefosse accepte courageusement son destin :
« Je vais te quitter pour toujours, parce que j’ai aimé ma patrie, et que je suis une victime du devoir. C’est pour que nos enfants soient heureux à l’avenir, je ne meurs pas tout seul. En ce moment, à mes côtés se trouvent : Defontaine, Seneuze, Javelot, Dumont, Jamlbart, Vaze, Serrure, Grodecœur, sans compter les mille braves qui, en ce moment sont en train de libérer la Patrie pour toujours. »
Louis Defontaine affiche des sentiments analogues :
« Embrasse de tout cœur André pour moi. Il n’aura pas honte de son père qui est mort en Français comme son parrain. J’écris une lettre à maman, et une à ma sœur, il leur faut ainsi que toi être fier car je meurs courageux, en Français. »
Le 10 mai 1947, deux Résistants se rendent à Munich et reviennent avec les urnes funéraires déposées en l’église de Vitry en attendant la construction de la crypte. Le général de Gaulle, le 4 février 1950, vient se recueillir devant les urnes funéraires et saluer les familles. Le monument terminé, le 8 octobre 1950, à l’occasion d’une manifestation solennelle, le général de Larminat préside au transfert des cendres des neuf résistants immolés par le bourreau de Munich.
Des municipalités donnent le nom, à des places et à des rues, de personnels de l’Arme morts pour la France à la suite d’actions de Résistance. À la suite de la délibération prise le 5 novembre 1944 par le conseil municipal, deux avenues de l’agglomération de Draveil (Seine-et-Oise) prennent le nom des gendarmes Malaviole et Émile Fruchard, fusillés par les Allemands le 16 août 1944. Sur l’ensemble du territoire, au fil des mois et des années, à l’image de celle de Davreil, d’autres collectivités locales perpétuent le souvenir de militaires de l’Arme : rue du capitaine Bertrand (Gabriel) à Auray (Morbihan), rue Castermant (Charles) à Chelles (Seine-et-Marne), rue Caulet (François) à Vassy (Calvados), rue du capitaine Chalvidan (Jean) à Plessis-Robinson (Haut-de-Seine)(142), chemin Duchatel (François) à La Valette (Var), rue (Pierre) Hetzel à Allauch (Bouches-du-Rhône), rue Lagescarde à Damville (Eure), rue Le Bourges (Joseph) à Saint-Pierre-Quiberon, Place Morand (Francis) à Lodève (Hérault), Place Quellec (Paul) à Troarn (Calvados), rue Marienne (François) à Gien (Loiret) etc.
Dans l’Aveyron, la ville de Cransac commémore, après sa mort, le 22 juin 1983, le souvenir du général Artous en donnant son nom à l’une des artères de l’agglomération.
Le détail de son action pendant l’Occupation ne sera vraiment connu qu’en 1999, grâce aux recherches entreprises par sa famille et notamment son gendre, M. Caron. Le lieutenant Artous refuse la défaite dès juin 1940. Détaché à Tanger, avec le capitaine Luizet attaché militaire et futur préfet de police de Paris à la Libération, il se rallie au général de Gaulle. Ce dernier leur ordonne de rester à leur poste. En novembre 1940, le commandement le mute au 9e régiment de la garde, escadron de Kouribga. Il entre en résistance contre l’occupant italien et provoque l’arrestation d’espions fascistes dont le réseau est démantelé (affaire Immornico-Ecre). Au mois d’avril 1942, il prend le commandement de l’escadron 1/2 à Marseille. Courant novembre, il fait front aux troupes italiennes qui encerclent sa caserne en vue de désarmer son unité. Il ne cède pas à leurs injonctions et conserve tout son armement.
Au début du mois de décembre 1942, il reçoit une affectation à la 15e légion de G.D. à Marseille. La direction le déplace à Vichy où il commande les forces supplétives (P.M.) de gendarmerie. Un de ses amis le met en relation avec Maurice Nègre, fondateur du réseau Super-Nap, qui le charge de « noyauter » la DGGN et la D.G.G. en vue de préparer l’entrée en action contre l’occupant, le moment venu, de la gendarmerie et de la garde. Grâce à ses relations personnelles avec des officiers et sous-officiers de ces directions, il recueille de précieux renseignements (rapports destinés aux autorités, ordres d’opérations, etc.). Après sa mutation à la garde de Paris, en février 1943, il poursuit son activité au sein de la G.D. de l’Île-de-France et de la garde, tout en remplissant des missions latérales de renseignements au profit de son réseau. La Gestapo l’arrête le 2 juin 1944. Le 17 août, les nazis le déportent au camp de Buchenwald où il continue le combat pour la liberté.
Quelque temps après son arrivée, (Marcel) Paul, futur ministre communiste du général de Gaulle, et le colonel Manhès le pressentent pour prendre la tête d’un des trois bataillons mis sur pied par l’organisation secrète française créée par le parti communiste à l’intérieur du camp. Un petit groupe d’officiers, parmi lesquels les capitaines (Charles) Ailleret et (Claude) Vambremeersch, acceptent d’encadrer cette force. Au moment opportun, et avec les quelques armes récupérées au cours d’opérations de déblaiements de casernes SS détruites par des bombardements, il s’agit d‘assurer l’autodéfense et si possible la libération des déportés.
Le 11 avril 1945, le dispositif entre en action. Le capitaine Artous, à la tête de son bataillon, part à l’assaut des positions et des miradors tenus par les SS et se lance à la poursuite de ceux qui s’enfuient en apercevant dans la plaine l’arrivée des blindés US. Son bataillon capture ainsi plus de 250 SS. Par la suite, il contribue à la protection des déportés menacés par des détenus de droit commun. Le 18 avril, le capitaine Artous fait partie du premier convoi de rapatriés par avion. Durement éprouvé, il reprend des forces et, malgré les séquelles de la déportation, le 25 juillet il réintègre la gendarmerie. Sa carrière s’achève en 1969. Il occupe alors le poste d’inspecteur général de la gendarmerie.(143)
Le 11 novembre 1944, la municipalité de Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) honore de son vivant l’adjudant-chef Remond en inaugurant une avenue de la petite cité qui porte son nom.(144) Le 3 mai 1944, grâce à son intervention, un drame est évité. Ce-jour là, la Résistance abat dans les environs deux membres de la Gestapo au moment où ils découvrent un dépôt d’armes clandestin. La riposte ne tarde pas. Un détachement allemand rejoint Puget-Théniers pour se livrer à des représailles. Après avoir rassemblé sur la place tous les hommes de 17 à 30 ans, 7 jeunes gens sont choisis pour être fusillés sur-le-champ. L’adjudant-chef Remond, un Alsacien, intervient énergiquement. Il réussit à obtenir la grâce des malheureux. Mais la Gestapo l’arrête. Ses chefs parviennent un mois plus tard à le faire libérer.
CHAPITRE VI
LES RÉPARATIONS
L’évocation de ces différents actes de reconnaissance envers ceux qui ont refusé la défaite et l’esclavage laisse entrevoir dans ses grandes lignes quelques aspects de l’action résistante des personnels de la gendarmerie.
Dès le rétablissement de la légalité républicaine, les dispositions prises par le C.F.L.N., pour redresser les effets de certains actes du Gouvernement de Vichy ou de l’ennemi, entrent en vigueur. L’ordonnance du 4 juillet 1943, modifiée et complétée par les ordonnances du 5 août 1943 et du 27 janvier 1944, arrête les modalités de réintégration des « magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés » en exécution des actes dits lois du Gouvernement de fait de l’État français. L’instruction générale sur l’application de ces ordonnances prévoit, dans ses articles 5 et 5 bis, la possibilité de redresser « la situation administrative » des personnels, non révoqués ou non licenciés, qui estiment avoir subi de la part de l’autorité dont ils relèvent un préjudice de carrière. Le cas se pose à la suite de punitions ayant entraîné par exemple la non-inscription au tableau d’avancement. Dès lors, sur simple requête de leur part, les dispositions énoncées sont susceptibles de jouer.
Les gendarmes, régis par un statut militaire, entrent naturellement dans le champ d’application des textes visés. M. Willy-Paul Romain estime à près de 4 000 le nombre de sanctionnés (suspendus, révoqués, punis).(145) La connaissance des motifs qui sont à l’origine des décisions prises à leur encontre nous renseigne indirectement sur leur attitude pendant l’Occupation. D’où l’intérêt d’en examiner un échantillon.
Réintégration des exclus
La réintégration des personnels éliminés de la gendarmerie pendant l’Occupation a donné lieu à l’établissement de 1715 dossiers qui se rapportent à trois catégories d’exclus.(146)
La première, la moins nombreuse, comprend des officiers, gradés et gendarmes évincés par Vichy pour l’un des motifs suivants : ordre racial, application des lois sur la nationalité, appartenance à une société secrète, attitude hostile au Gouvernement, démission pour devancer l’application qui aurait pu leur être faite des lois d’exception. L’instruction provisoire du 27 juillet 1944, déterminant les modalités de retour du statut antérieur du personnel de la gendarmerie, prévoit leur réintégration d’office immédiate. Dès les premiers mois de l’année 1945, la revue d’information générale et technique « Les Annales de la Gendarmerie », dans le numéro 4 des mois de mai et juin, sous le titre « Réparation de préjudices de carrière », rend compte de la réintégration de 8 officiers. Les uns victimes de l’application des dispositions de l’acte dit loi du 11 août 1941 sur les sociétés secrètes (chef d’escadron Meunier, lieutenant-colonel Boiseaux, chef d’escadron Cayre, capitaine Tournay), les autres de l’acte dit loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs (chef d’escadron Ziwes, lieutenant Guetta). L’un des officiers réintégrés, le chef d’escadron Meurs, a été mis en réforme à la suite d’une mise en demeure des autorités allemandes. De façon régulière et détaillée, le Journal Officiel publie, au fur et à mesure, les décisions, décrets pour les officiers, arrêtés pour les sous-officiers, portant réparation des préjudices de carrière subis.
Les personnels qui ont quitté l’arme volontairement, entre 1940 et la Libération, constituent la deuxième catégorie. Pour être réintégrés, ils doivent apporter la preuve que la décision prise a été motivée par leur attitude patriotique ou leur hostilité envers l’ex-gouvernement. Sont réintégrés par exemple le lieutenant Jezequel, dont l’offre de démission a été accepté en novembre 1943, le lieutenant-colonel Nicolini, de la garde, placé en congé d’armistice le 25 août 1942 et invité par la suite, en décembre 1943, à produire une nouvelle demande pour être admis au bénéfice de la loi sur le dégagement des cadres, le lieutenant-colonel Baggio, placé en position de retraite en septembre 1942, le chef d’escadron Médard, de la garde, admis au bénéfice de la loi sur le dégagement des cadres, à compter du 1er mars 1944 ou encore le chef d’escadron Candille qui a quitté la garde en avril 1944 dans les mêmes conditions. Naturellement, dans l’intervalle compris entre leur départ de l’Arme et la Libération, leur comportement du point de vue national doit être irréprochable. C’est le cas de la plupart. Pour sa part, le chef d’escadron Candille se reconvertit dans l’agriculture, à l’Ille-sur-Têt (Pyrénées-Orientales). Membre du réseau « Maurice », créé par le colonel Mollard alias Dubourg, et placé sous la direction du colonel Cavarro, il contribue à la recherche et à l’acheminement des cadres vers l’A.F.N. via l’Espagne.
À l’instar des officiers, des sous-officiers qui ont quitté sur leur demande la gendarmerie retrouvent leur poste tel le chef Grangirard, admis à la retraite proportionnelle en 1941.
La dernière catégorie regroupe les militaires éliminés pour faute grave, dans le service, contre la discipline ou contre l’honneur. Leur éviction ne doit pas résulter d’une insuffisance professionnelle ou d’un fait entachant la probité. Pour apprécier en toute connaissance de cause leur situation, les textes subordonnent leur réintégration à la décision de la Commission d’épuration et de réintégration instituée au ministère de la Guerre.
Un décret du 4 mars 1946 annule l’arrêté du 16 juin 1944 plaçant dans la position de non-activité, par retrait d’emploi, les officiers de l’École de la garde de Guéret ayant rejoint la Résistance le 7 juin 1944 : chef d’escadron Corberand, capitaines Mathé, Faurie, Fourreau, Jouan, Richard, Séchaud, Cantoni, Le Guillou, lieutenants Georges, Guillot, Doison, Raveney, Jouannic. À cette liste s’ajoute le nom du lieutenant-colonel F…, commandant l’École qui ne s’est pas joint à sa troupe. Toutefois, il a été sanctionné comme ses subordonnés. Sa situation, peu ordinaire, mérite d’être relatée. Que devient-il, le 7 juin, après avoir délié les cadres de leur serment de fidélité au Maréchal ? Un de ses officiers, le 17 août 2000, apporte son témoignage : « C’est le 8 juin que ma femme l’a accueilli à la ferme Montlevade, chez Monsieur B…, commune de Saint-Sulpice le Guestois. Il était seul, sac au dos et n’est resté que peu de temps. Pour aller où ?
C’est après la Libération qu’il nous a rendu visite, 12 rue du Prat à Guéret. Je crois me souvenir qu’il nous dit avoir été interné avec le colonel commandant le 1er régiment de France…
… Je reste persuadé que son comportement a été celui du moindre mal.
En continuant d’assurer le commandement de l’École au-delà du 7 juin, il eût rendu plus délicat encore l’exercice des lourdes responsabilités du général Perré, son ancien patron de la 2e division cuirassée. Leur conjointe amitié a, peut-être, été à ce prix. »(147)
La réintégration, en 1946, du lieutenant-colonel F…, trouve ainsi son explication.
Par arrêté du 21 janvier 1944, Darnand place le lieutenant Charles Cloiseau, de l’escadron de la garde 8/6 de Mirande, en non-activité par retrait d’emploi au motif suivant :
« Par son refus d’obéir à un ordre du directeur de la centrale d’Eysses a permis l’évasion de 54 détenus gaullistes. »
Le 3 janvier 1944, en fin d’après-midi, 54 condamnés politiques, emprisonnés à la centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne), avec l’aide de quelques résistants d’Agen et de Villeneuve-sur-Lot, et la complicité de deux gardiens, s’évadent. Le lieutenant Cloiseau commande le service qui assure la surveillance externe de la maison centrale. Malgré les injonctions du directeur de la prison, il refuse d’intervenir et de poursuivre les fuyards. Au moment où les détenus prennent le large, le garde Maret, en faction dans une tourelle qui surplombe la porte centrale, reste lui aussi passif malgré les consignes strictes prescrivant de faire usage des armes. Le lieutenant Cloiseau, évincé de la garde, rejoint le Corps franc Pommiès et prend le commandement d’une compagnie dans la demi-brigade Céroni avec laquelle il participe à la libération du sud-ouest.(148) L’arrêté du 16 juin 1945 annule la décision prise à son encontre.
Un décret, en date du 29 août 1945, réintègre dans la 1re section le général de brigade Balley, inspecteur général de la gendarmerie de la zone nord, placé d’office, par anticipation, dans la 2e section du cadre du corps de la gendarmerie, le 15 juin 1944, en raison de son hostilité au régime de Vichy. Atteint par la limite d’âge de son grade courant décembre 1944 la même décision le place dans la 2e section du cadre de l’état-major guerre de l’armée.
Un décret du 31 octobre 1945 annule la décision du 3 septembre 1943 par laquelle le chef d’escadron Robert Dupuy a été mis en réforme « par mesure de discipline pour faute grave dans le service et faute contre l’honneur ». Son activité au profit de la Résistance est à l’origine de sa révocation. Une lettre anonyme, adressée au chef du Gouvernement, le dénonce comme gaulliste. Le commandement ouvre une enquête. Le général sous-directeur l’entend sur les faits qui lui sont reprochés. S’il ne dissimule pas son opposition au régime, en revanche il ne fournit aucun renseignement sur ses activités. À la proposition de mutation qui lui est faite pour mettre un terme à l’affaire, il oppose un refus ferme. Cela lui vaut, le 29 juillet 1943, d’être interné au camp de Nexon (Haute-Vienne). Avec la complicité du capitaine Fournier, officier de gendarmerie, il s’évade le 10 juin 1944, et rejoint un maquis de la Dordogne avec lequel il participe à la libération du département avant de rejoindre les armées, où il sert du 26 août jusqu’au 15 janvier 1945.
Un décret du 29 août 1945 annule la décision du 17 juin 1944 par laquelle le lieutenant-colonel Vernageau a été admis d’office à la retraite. Le 16 juin, alors qu’il commande la légion du Languedoc à Montpellier, une violente altercation l’oppose à Rebouleau, directeur du cabinet du préfet régional, en uniforme de milicien, et à Hornus, intendant du M.O. Depuis l’arrestation par les Allemands du préfet régional Hontebeyrie, les deux hommes coiffent la préfecture régionale. Rebouleau outrage la gendarmerie :
« Les gendarmes, de beaux salauds qui se rendent sans combattre, sans tirer un coup de fusil. »
De son côté, Hornus insiste pour que le commandant de légion fasse comme lui et s’installe dans le bureau même de Rebouleau afin de pouvoir donner plus vite les ordres à ses commandants de compagnies. Le colonel refuse. En outre, il demande que les personnels rassemblés dans les chefs-lieux de compagnie et de section soient renvoyés dans leur brigade. Mais surtout, il s’élève énergiquement contre la prétention de Hornus qui à l’intention d’employer la gendarmerie, en coopération avec la Milice, dans des opérations offensives contre le maquis. Le commandant de légion prévient ses interlocuteurs qu’il ne sera plus dérangé pour traiter des questions de service.(149) La réaction ne tarde pas. Le 17, la direction le relève de ses fonctions. Le 20, une nouvelle décision l’admet d’office à la retraite. Quelques semaines après, il entraîne toute la légion au maquis.
En 1942, le lieutenant Chapon, officier de la garde est mis en non-activité par suspension d’emploi, par mesure de discipline, pour une période de trois mois, du 1er juin au 30 août 1942. Le 15 décembre 1941, l’amiral Darlan, ministre secrétaire d’État à la Guerre, lui inflige une punition ainsi motivée :
« À commis, malgré les ordres très stricts qu’il avait reçu une grave négligence en ne veillant pas personnellement à l’exécution des consignes données aux gardes chargés d’assurer la surveillance d’un officier étranger. Doit pour cette raison être tenu pour responsable de l’évasion de cet officier. »
Au terme de la suspension, fin août 1942, une dépêche le rappelle à l’activité. La sanction prise contre lui a entraîné un report de 3 mois dans sa prise de rang dans le grade de lieutenant. Un arrêté du 15 mars 1946 le rétablit dans ses droits à avancement.
Le gendarme Marais, révoqué le 31 mai 1943 par mesure de discipline est réintégré le 1er novembre 1944. Le libellé de la punition de 60 jours d’arrêts de rigueur, que lui infligent ses chefs, début mai 1943, nous renseigne sur la raison de son élimination :
« Son fils étant entré en contact avec une organisation clandestine dans le but de partir à l’étranger s’est abstenu d’en rendre compte à ses chefs et l’a accompagné en tenue à un rendez-vous pour un départ qui n’a d’ailleurs pu avoir lieu en raison de circonstances fortuites. »(150)
Ce militaire, tout au long de l’Occupation, a un comportement exemplaire. En 1941, il fait engager sous un faux nom, à la Légion étrangère, un jeune instituteur de Roubaix recherché pour le meurtre de deux membres de la Gestapo. Après la tentative de débarquement de Dieppe, il donne asile à deux soldats anglais prisonniers évadés. Munis de renseignements sûrs fournis par le gendarme, ils regagnent l’Angleterre. En septembre 1943, ce sous-officier procure de fausses pièces d’identité à deux officiers de confession israélite, le lieutenant Dreyfus tombé dans les combats de la libération à Neillay-les-Bois et au médecin capitaine Urstein tué dans les mêmes circonstances à Châteauroux. Toujours en 1943, il aide une personne recherchée par la Gestapo et lui permet de gagner l’Angleterre. En octobre 1944, le général Koenig cite le gendarme Marais :
« Sous-officier de gendarmerie très méritant. Rayé des contrôles de la gendarmerie pour avoir facilité le départ de son fils pour l’Afrique du Nord est entré au maquis. Volontaire pour les patrouilles et embuscades a fait preuve d’audace en attaquant une colonne ennemie très supérieure en nombre le 28 septembre 1944 à la Croix-Gilette. »
Le 21 mars 1943, le chef du Gouvernement met à la retraite d’office, pour faute grave dans le service, l’adjudant Lecoq, commandant la brigade de Murat (Cantal). Le 3 mars, une centaine de jeunes gens du Nord-Est du département, convoqués au chef-lieu d’arrondissement, manifestent en début d’après-midi dans les rues de l’agglomération. Chants patriotiques, cris hostiles à Laval, acclamations du nom du général de Gaulle s’élèvent du cortège que les gendarmes, impuissants, ne parviennent pas à canaliser. Un milicien de la localité informe les autorités à Aurillac. Les renseignements généraux, le commandant de section, le préfet, la Milice effectuent une enquête sur cet incident. Le commandant de compagnie note que « après enquête il apparaît que les dispositions prises pour le maintien de l’ordre par l’adjudant Lecoq se révèlent insuffisantes compte tenu des moyens dont il disposait ».
Un représentant du Gouvernement, commissaire aux Pouvoirs, le lieutenant-colonel Bernon, se rend sur place pour déterminer les responsabilités. Parmi les personnes mises en cause, les gendarmes Muratais. Dans son rapport, en date du 7 mars, outre plusieurs révocations, demandes d’internement, départ immédiat au S.T.O. des jeunes gens reconnus aptes à la visite médicale, il propose la révocation de l’adjudant Lecoq et la mutation de tous les gendarmes de la brigade. M. Eugène Martres, historien, nous apporte des précisions sur l’attitude des gendarmes :
« On remarque que la gendarmerie locale s’était tenue très en retrait pendant la manifestation et les heures qui avaient suivi. À Murat les gendarmes penchaient déjà vers la Résistance. L’adjudant Lecoq manifestait pour elle beaucoup de bienveillance (sa fille allait travailler au S.R. des M.U.R.).Un gendarme au moins était déjà en contact avec les résistants… »(151)
Par arrêté publié au Journal Officiel n° 5 de janvier 1946, l’adjudant Lecoq obtient sa réintégration.
Le 20 février 1944, une bande armée attaque la brigade de Lapleau (Corrèze). Pas plus que les gradés, les gendarmes présents à l’unité ne réagissent. Le 17 avril 1944, à la suite des propositions des chefs hiérarchiques, le chef du Gouvernement révoque les gendarmes Terlet, Baldy et Évrard et met à la retraite proportionnelle d’office l’adjudant Levêque, le chef Louis, et le gendarme Challand qui ont « failli à leur devoir en ne ripostant pas de leur logement au feu des assaillants ». Les intéressés, se réclamant des dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 29 novembre, formulent une demande en vue d’obtenir leur réintégration dans l’Arme. La commission habilitée à examiner leur cas estime que les conséquences de la faute commise ont été favorables à la Résistance. De ce fait elle est légitimée et les requérants ont droit à réparation. Le ministre des armées, le 4 juillet 1946, annule la décision prise à leur encontre et les réintègre, dans les cadres actifs, sans interruption de service. L’effacement des sanctions disciplinaires infligées à ces personnels intervient de plein droit. Par contre, s’ils estiment pouvoir prétendre à des réparations pécuniaires, il leur appartient de les faire régler à leur initiative.(152)
Dans le Puy-de-Dôme, à la suite de l’évasion du général de Lattre de Tassigny de la prison de Riom, le 3 septembre 1943, l’enquête effectuée, pour établir les responsabilités, par la police de Sûreté de Clermont-Ferrand et par le commandant de compagnie de gendarmerie, permet de mettre en cause outre le gendarme Courset, qui a déserté, les gendarmes Odessa (Jean) de la B.M. de Jenzat et Fourniat (François) de la B.T. de Le Veurdre (Allier) qui patrouillaient dans le chemin de ronde au moment des faits. Dans son rapport du 5 septembre, sur les premiers résultats de l’enquête, le commissaire Trotta écrit :
« Les gendarmes Odessa et Fourniat qui patrouillaient sur le chemin de ronde à 1 h 30 n’ont rien remarqué de suspect. Ils ont reconnu qu’ils alternaient leurs rondes avec un repos de quinze à vingt minutes devant le logement du gardien chef. Ils n’ont pas aperçu la corde et l’échelle de corde. Il est vrai qu’il faisait nuit noire car le chemin de ronde n’est pas éclairé en raison de la défense passive… »
«…Les gendarmes Odessa et Fourniat paraissent avoir fait leur ronde avec un laisser-aller. S’ils s’étaient inquiétés de ce qui pouvait se passer aux fenêtres du général, ils n’auraient pas manqué de constater la présence de la corde qui pendait… »
Au terme de l’enquête préliminaire, le 7 septembre, le juge d’instruction de Riom décerne un mandat de dépôt pour complicité d’évasion à l’encontre des deux gendarmes écroués à la prison de Riom. Dans le rapport d’enquête définitif, établi le 21 septembre, le commissaire Trotta fait ressortir « la nonchalance » des sous-officiers qui a rendu possible l’évasion du général. Le magistrat instructeur délivre le 24 décembre un ordre de mise en liberté provisoire. Naturellement, les intéressés sont éliminés de la gendarmerie. À la Libération, la Commission centrale d’épuration et de réintégration prononce leur réintégration.
Le 21 avril 1944, une décision de la direction révoque, pour faute grave contre la discipline et contre l’honneur, le gendarme Cholière, de la brigade de Saint-Germain-du-Bois, section de Louhans. Début avril 1944, la Gestapo de Lons-le-Saunier, informée de son activité en faveur de la Résistance, se rend à son unité pour l’appréhender. Son commandant de section, le lieutenant Giguet, alerté par un de ses correspondants, réagit immédiatement et, grâce à un subterfuge, facilite sa fuite avant que ne se produise l’irréparable :
« Je répercute aussitôt par téléphone en appelant l’adjudant Guyot : « La permission de Cholière est accordée, il peut partir tout de suite ». Réponse de l’adjudant : « Mais mon lieutenant… » Sans doute ne se souvient-il pas d’avoir envoyé un titre de permission, et pour cause… Je le coupe ! « C’est une question de minutes… ». « Compris, mes respects ». Comme nous nous comprenons bien ! C’était effectivement une question de minutes. Mais elles suffiront au gendarme Cholière qui, lui a tout de suite saisi, et l’adjudant Guyot saura comme toujours jouer intelligemment les imbéciles.
Il n’empêche que les Allemands ont des doutes ou que l’interprète veut faire du zèle et ils ne tardent pas à frapper à ma porte. Pas aimables les visiteurs ! Mais que veulent-ils au gendarme Cholière ? « Un si bon gendarme dont les sentiments nationaux ne peuvent être mis en doute »»(153).
Aussitôt après sa disparition, le commandement le révoque. Le gendarme Cholière rejoint la Savoie. Les Allemands l’arrêtent et le déportent. À la Libération, de retour des camps, il obtient sa réintégration dans la gendarmerie. Promu chef, il prend le commandement d’une brigade en Normandie. Mais il ne se réadapte pas et quitte l’Arme.
Par décision du 25 juillet 1944, le gendarme-stagiaire Guillaudot (Georges, Charles) de la légion du Berry, fils du chef d’escadron Guillaudot (Maurice), commandant la compagnie du Morbihan, chef des F.F.I. de ce département « est rayé des cadres par mesure de discipline pour faute contre l’honneur ».(154) Admis dans la gendarmerie en 1943, il rejoint l’E.P.G. de Pamiers. À la sortie de l’école, le commandement l’affecte à la brigade motorisée d’Annecy. Le colonel Lelong, directeur des opérations et du maintien de l’ordre en Haute-Savoie, ancien officier de gendarmerie que son père a bien connu, le fait détacher à son état-major. Sous couvert de ses fonctions, il ravitaille en vivres, armes et munitions, avec des véhicules de la gendarmerie, les maquisards du plateau des Glières, transporte des patriotes, fournit des renseignements à la Résistance sur les opérations projetées, établit des laissez-passer. Le 20 mars 1944, à la suite d’une dénonciation, la police de sûreté (Police judiciaire), accompagnée du capitaine R…, commandant de section de Montmorillon, l’arrête lorsqu’il se présente à la brigade de l’Isle-Jourdain où il vient d’être muté. Dans un premier temps, les inspecteurs le conduisent à la légion de Grenoble car son ancien commandant de légion, le colonel B…, désire le questionner avant d’établir un rapport à son sujet. Puis, la police de Darnand l’incarcère à Lyon, à la prison Saint-Paul. Il est ensuite déporté à Dachau puis à Kempten jusqu’à la date de son rapatriement en 1945. Au vu de l’avis émis par la Commission d’épuration et de réintégration des personnels, un arrêté, en date du 3 juillet 1946, annule la décision prise. Le gendarme Guillaudot oriente sa carrière vers les corps de troupes. Il accède à l’épaulette et prend sa retraite avec le grade de capitaine.
Courant avril 1944, le chef du Gouvernement sanctionne deux sous officiers de la brigade de Gueugnon. Il met d’office à la retraite le commandant d’unité, l’adjudant Thomasset (Auguste) et révoque le gendarme Charlot.(155)
Quelle faute justifie ces décisions ? Dans les semaines qui suivent l’invasion de la zone sud, une personnalité de la résistance locale, le docteur Humbert, se rapproche de l’adjudant Thomasset affecté à Gueugnon, début septembre 1942, à la suite de sa promotion au grade supérieur. Ce militaire, qui n’accepte pas la défaite, entre alors dans le réseau de l’A.S. du secteur qui rassemble notamment le maire de la ville, M. Aulois, le secrétaire de mairie, un photographe, un entrepreneur, un transporteur etc. À partir de ce moment-là, l’adjudant Thomasset renseigne les patriotes, participe à des réceptions de parachutage, établit des faux papiers. Au cours du dernier trimestre de l’année 1943, à la demande des chefs de l’A.S., dans le cadre du service de la gendarmerie, il confond deux « faux résistants » qui rançonnent les paysans de la région aux fins de marché noir. Les délinquants, qualifiés de « terroristes », comparaissent devant le tribunal correctionnel qui les condamne à des peines légères. À la suite de cette affaire, le 23 janvier 1943, le colonel commandant la 8e légion lui décerne un « témoignage de satisfaction ».
À l’aube du 12 février 1944, le capitaine Otto, du SD de Paray-le-Monial, agissant sur renseignement, investit avec ses hommes la brigade de Gueugnon et interpelle l’adjudant Thomasset et le gendarme Charlot qui doivent lui remettre leur arme de service. Le fils du commandant de brigade, déserteur depuis le début février de l’École d’Enfants de Troupes d’Autun repliée au camp de Thol, près de Pont d’Ain, est présent à la caserne où il se cache. Au cours de la même matinée, la police allemande arrête d’autres membres du réseau. Toutefois, les principaux chefs, déjà recherchés, mais qui vivent dans la clandestinité, échappent à la rafle. Le SD transfère tous les civils à la prison allemande de Châlon-sur-Saône. Tenus au secret, maltraités, ils y restent jusqu’à la fin février avant d’être déportés à Buchenwald d’où deux seulement reviendront. Pour leur défense, ils prétendent avoir été contraints de fournir leur aide à la Résistance sous peine d’être exécutés par les terroristes. Par ailleurs, tous sont solidaires pour affirmer que les gendarmes n’ont participé à la réception des containers que sous la menace.
À la suite de l’intervention du capitaine A…, commandant de section du Creusot, auprès des autorités allemandes, et à la demande du colonel commandant la 8e légion, le chef du Gouvernement inflige 60 jours d’arrêts de forteresse aux deux sous-officiers en attendant leur comparution devant une juridiction française. La procédure adoptée permet de les soustraire à la police allemande. Ils subissent les arrêts dans des locaux de la prison civile d’Autun, sous la responsabilité du commandant de section. À la suite des sanctions prises à leur encontre à la mi-avril, et en raison du risque qu’ils encouraient d’être pris comme otages par l’occupant, la gendarmerie, à la fin du mois d’avril 1944, met discrètement un terme aux arrêts de forteresse.
L’adjudant Thomasset se réfugie dans un village, à 10 kilomètres de Gueugnon, tandis que le gendarme Charlot rejoint le Finistère où il a des attaches familiales. Jusqu’à la Libération, l’ex-C.B. reste actif dans son réseau. Le 5 juin 1944, son fils, qui vient de passer son bac trois jours avant au collège civil d’Autun, rejoint sur sa demande le maquis et participe, à partir de juillet 1944, au sein du 5e bataillon du régiment Valmy de F.T.P.F., aux combats de la Libération.
Malgré tous ses efforts, à l’exception de son successeur l’adjudant Geoffroy, l’adjudant Thomasset ne réussit pas à convaincre les commandants de brigades voisins de se joindre à la Résistance. Après avoir combattu l’ennemi dans la région d’Autun, il contribue au maintien de l’ordre dans la ville d’Autun, à la recherche des miliciens puis au retour à la vie normale. Un arrêté ministériel du 3 août 1946, le réintègre, sans interruption de service, dans les cadres actifs de la gendarmerie. Mais il ne reprend pas son activité professionnelle estimant, selon ses proches, que « la fréquentation pendant des mois, de tout ce que la région comptait de braconniers, bagarreurs du samedi soir et autres voyous sympathiques ne lui permettait plus d’être un commandant de brigade redouté et efficace ». Sur sa demande, le 25 septembre 1946, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite. Estimé de la population et des autorités, il prend en charge, aux Forges de Gueugnon, jusqu’en 1952, le recrutement et la gestion des ouvriers immigrés et étrangers. Son fils, réintégré à l’École militaire préparatoire d’Autun rejoint en octobre 1944 le Prytanée militaire à La Flèche pour y préparer Saint-Cyr. Par la suite il intègre la gendarmerie et prend ainsi le relais de son père.
Les propositions des Commissions d’enquêtes et les avis émis par les autorités hiérarchiques concernant les demandes de réintégration ne concordent pas nécessairement avec la décision définitive prise à l’échelon ministériel. Le 15 juin 1944, une décision de révocation sanctionne le gendarme B… pour faute grave contre l’honneur et dans le service, au motif ci-après : « Étant en visite de commune a prévenu un étranger qu’il savait affilié à un groupe de résistance, des recherches dont il était l’objet et lui a en outre donné le nom du gendarme qui l’avait identifié faisant courir à celui-ci et à sa famille des risques de graves représailles. N’a pas arrêté cet étranger. »
Au début du mois de septembre 1944, ce militaire établit une demande de réintégration. L’inspecteur d’arrondissement estime que sa démarche ne peut être prise en considération, en raison de la gravité de la faute commise à l’origine de son élimination. Malgré l’avis défavorable émis en la circonstance, le ministre décide de le réintégrer.
Les déportés
Un jury d’honneur, présidé par le général Dejussieu-Pontcarral, classe les officiers d’active, déportés, rapatriés ou disparus, en 1re, 2e ou 3e catégorie. En vertu de la décision n°1919 bis CAB. MIL. P/K, du 17 mai 1945, du ministre de la Guerre, les officiers classés en 1re et 2e catégories sont considérés comme n’ayant jamais cessé d’être en activité de service. Ils reçoivent à tous égards, et notamment en matière de campagnes, blessures et infirmités, le bénéfice des dispositions concernant les membres de la Résistance en activité de service. Bref, ils n’ont jamais cessé de bénéficier des avantages que confère le statut des officiers.
En 1946, le Journal Officiel n° 26 mentionne les noms de l2 officiers d’active de gendarmerie déportés inscrits sur la liste n° 1 : général de brigade Maurice Guillaudot, colonel Albert Abbadie, lieutenants-colonels Léon Barras et Marie Rémy, chefs d’escadron Louis Artous, André Bouchardon, Marcel Journiaux, Fernand Prévost, Aristide Royer, capitaines Lucien Guillon, Ernest Laurent, Abel Muraton. Le 11 juin 1947, le jury d’honneur classe le capitaine Delmas en 1re catégorie.
Les officiers déportés, dont l’appartenance à la Résistance ne pouvait être admise, en raison de leurs sentiments et de leur comportement sous l’Occupation, figurent sur les listes n° 3.
Ce classement ne leur confère aucun droit. C’est le cas du capitaine G…, commandant la section de Pontivy.
Révision des punitions
Une circulaire ministérielle du 12 mars 1945 prévoit la révision des punitions infligées aux personnels, pendant l’Occupation, en raison du peu d’empressement qu’ils ont apporté à l’exécution des ordres ayant trait notamment à la défense des casernes, à la recherche des jeunes gens astreints au S.T.O., des maquisards et des juifs.(156) Leur annulation intervient dans la mesure où leurs agissements n’ont pas été accompagnés de fautes contre l’honneur, la discipline ou la probité professionnelle. Les sanctions disciplinaires motivées par des causes étrangères à la cause de la Libération ne sont pas prises en considération.
Fin mars, les commandants de légion soumettent les listes des sous-officiers sanctionnés. Leur nombre varie d’une légion à l’autre. Chacune en totalise au minimum une cinquantaine. Dans la 12e, le chiffre des punitions annulées s’élève à 80.
Le résumé de quelques libellés de punitions infligées aux gradés et gendarmes, entre 1941 et juillet 1944, nous éclaire sur leur passivité qui maintes fois a profité à la Résistance :
« Chargé de surveiller un matériel de battage menacé de destruction, a permis aux terroristes de commettre leur acte sans être inquiétés. »
« Informé que la voie ferrée venait d’être l’objet d’une attaque par explosifs, n’a signalé le fait qu’après un délai de 6 heures, pour permettre le retrait du groupe chargé du sabotage. »
« Placé en sentinelle pour la surveillance de nuit d’une usine hydroélectrique, a négligé d’alerter le chef de poste, malgré la présence sur les lieux de deux hommes armés, a ainsi permis à ces derniers de saboter l’usine. »
« Chargé de transférer un chef communiste, objet d’un mandat d’arrêt, ne l’a pas enchaîné et a ainsi permis son évasion. »
« À facilité l’évasion d’un réfractaire au S.T.O. arrêté par la brigade. »
« Au cours du transfèrement d’un officier britannique arrêté pour atteinte à la sûreté de l’État a facilité son évasion. »
« Faisant partie d’une escorte de 5 gendarmes, a facilité l’évasion de son prisonnier, défaillant de la relève, après un simulacre de résistance. »
« À facilité la fuite d’un terroriste qui venait d’être blessé par la patrouille placée sous son commandement. »
« N’a pas tenu compte des ordres reçus d’ouvrir le feu sur les terroristes en cas d’attaque et leur a remis ses armes. »
« A dissimulé à ses chefs un tract de propagande reçu de la Résistance. »
« A négligé de communiquer au commandant de section un message prescrivant de rechercher des terroristes en fuite. »
« De service en gare, a fraternisé avec un maquisard armé en présence de nombreux voyageurs. »
« À fait preuve de négligence dans son service en ne rendant pas compte immédiatement d’un fait de propagande « antinationale ». À d’autre part fourni des renseignements inexacts au sujet d’un individu astreint à résidence forcée. »
« Se trouvant en ville et ayant rencontré un groupe de terroristes, les a conduits lui-même à la brigade pour leur livrer les armes. »
Des personnels sanctionnés disciplinairement, qui s’estiment lésés dans le déroulement de leur carrière, outre l’annulation des punitions demandent réparation du préjudice qu’ils ont subi. En avril 1943, le chef du Gouvernement punit de 60 jours d’arrêts de rigueur l’adjudant Marcel M…, commandant la brigade de A…, dans les Hautes-Pyrénées. Ce gradé a favorisé l’évasion d’un interné administratif, le jeune Jean C… Celui-ci, membre d’un groupement de « Jeunesse-Montagne » où il occupe les fonctions de Commissaire Assistant, aide des candidats à la liberté à franchir les Pyrénées. À la suite d’une dénonciation, il fait l’objet d’un arrêté d’internement au camp de Saint-Sulpice (Tarn), Quelques mois plus tard, au cours d’un transfèrement du camp de Saint-Sulpice à l’organisation Todt, à Bayonne, il s’évade et regagne son domicile à A… Les gendarmes ne l’inquiètent pas et lui demandent de se cacher. Imprudent, il s’affiche dans l’agglomération et ne tarde pas à être dénoncé. La brigade reçoit l’ordre de l’arrêter et de le reconduire à Saint-Sulpice. L’adjudant M…, au lieu de le garder à la chambre de sûreté, avant son transfèrement, l’autorise à aller passer la nuit chez lui pensant bien qu’il mettrait à profit cette circonstance pour s’enfuir. Effectivement, Jean C… disparaît et rejoint l’Afrique du Nord via les Pyrénées. L’adjudant M…, outre une punition, est muté dans une autre brigade. Les bonnes notes obtenues tout au long de sa carrière lui évitent l’élimination de la gendarmerie. Cependant, la punition infligée a pour effet, d’une part, d’empêcher sa proposition pour le grade d’adjudant-chef en fin d’année 1943, d’autre part sa non-proposition pour la médaille Militaire à laquelle il pouvait prétendre en raison de son ancienneté. Aussi, ce gradé demande-t-il réparation du préjudice causé. Si l’annulation de la punition ne soulève pas de difficultés, en revanche la correction des effets qu’elle a entraînés ne va pas de soi. En présence d’un acte négatif du commandement, tel que la non-inscription à un tableau d’avancement, la réparation du préjudice n’est pas toujours possible dans le court ou moyen terme. On touche là aux limites du droit à réparation.
Dans la gendarmerie, comme dans les autres administrations, la République restaurée a rendu leurs droits aux victimes de Vichy et de l’ennemi.
Les quelques exemples relatés montrent qu’au sein de l’institution la soumission aveugle aux autorités établies n’a pas été une règle intangible.
CHAPITRE VII
ESSAI D’ÉVALUATION DE L’ACTION RÉSISTANTE
Durant la Seconde Guerre mondiale, la gendarmerie, comme toutes les administrations et corps de l’État, subit la présence de l’occupant. À aucun moment, elle ne se dresse contre lui, pas plus qu’elle n’entre en rébellion contre le pouvoir établi dont elle constitue, avec les autres composantes de l’armée de l’ordre, un des piliers actifs. À vrai dire, son comportement ne se différencie pas fondamentalement de celui de l’ensemble de la population. Certes, en quelques occasions, principalement au début de l’Occupation, elle s’efforce de restreindre les exigences de l’ennemi. Ainsi, au cours de l’automne 1940, elle cautionne secrètement le concours de ses personnels aux Services Spéciaux de Vichy puis d’Alger qui n’ont jamais cessé, depuis l’armistice, d’agir contre les forces de l’Axe. En 1942, elle diffuse des consignes confidentielles pour permettre aux unités de se soustraire aux contrôles des commissions allemandes d’armistice. Par note n° 4019/SG du 23 août 1942, elle s’efforce enfin de limiter au strict minimum les contacts directs de ses personnels avec les services allemands. Les dispositions prises contribuent à tempérer l’empressement ou le zèle de ceux qui seraient tentés d’aller plus loin dans leurs relations avec l’occupant.
Cette réalité ne saurait dissimuler l’existence d’une action de résistance individuelle, fruit de l’initiative des personnels. Les récits auxquels elle donne lieu n’en révèlent que quelques aspects. Pour l’appréhender dans toutes ses dimensions, il est indispensable de la quantifier et de la situer dans le cadre général de la Résistance.
Physionomie de l’action résistante des gendarmes
- Le nombre de résistants
La force d’une Résistance se mesure d’abord au nombre de ses membres. Au préalable, il convient de définir le résistant, au sens légal du terme. Une série de dispositions, prises par le législateur entre 1949 et 1959, réglemente les modalités d’attribution de la qualité de Combattant Volontaire de la Résistance. La loi reconnaît ce statut à toute personne :
- tuée ou blessée à l’occasion d’un acte qualifié de résistance ;
- déportée ou exécutée pour faits de résistance ;
- ayant appartenu à une formation homologuée des F.F.C., des F.F.I. ou de la R.I.F. pendant une durée d’au moins 90 jours, avant le 6 juin 1944.
Le code des pensions militaires d’invalidité, dans son article R. 287, énumère les faits ou actes qualifiés de résistance à l’ennemi qui s’articulent autour de onze rubriques :
« 1-Rédaction, impression, transport, distribution de journaux ou de tracts clandestins,
2-Fabrication de fausses pièces d’identité pour les membres de la Résistance,
3-Fabrication et transport de matériel radio destiné à des émissions clandestines,
4-Fourniture volontaire et gratuite d’un local pour une réunion d’un groupe clandestin,
5-Hébergement gratuit de résistants traqués ou blessés, de militaires ou parachutistes Français ou alliés,
6-Passage à titre gratuit, de résistants ou militaires hors du territoire occupé vers la France-Libre, les pays alliés ou non belligérants,
7-Destruction ou sabotage de voies de communication ou de matériel,
8-Actions offensives ou défensives dirigées soit contre les forces de l’ennemi soit contre les autorités ou organismes sous son contrôle ou collaborant avec lui,
9-Tentatives pour rejoindre les F.F.L. ou les forces d’Afrique du Nord,
10-Participation à des parachutages,
11-Fourniture de renseignements. »
Au vu de l’avis émis par une commission départementale puis nationale, la carte de Combattant Volontaire de la Résistance est attribuée à ceux qui réunissent les conditions exigées.(157) Actuellement, aucun chiffrage officiel n’existe des personnels de l’Arme, reconnus comme Combattants Volontaires de la Résistance, fondé sur les différents fichiers existants détenus notamment par les offices départementaux des Anciens combattants et victimes de la guerre (dossiers des Combattants Volontaires de la Résistance), le ministère de la Défense (traitement informatisé d’informations nominatives qui n’est pas encore finalisé) et sur les rôles des réseaux et mouvements homologués. On ne sait pas davantage combien de militaires de l’Arme sont titulaires d’un certificat d’appartenance aux F.F.I. ou aux F.F.C.
Sans appartenir à un réseau, à un mouvement ou à des unités militarisées de la Résistance, des officiers et sous-officiers, au cours de l’exercice normal de leur activité professionnelle, dans leur travail quotidien, par une démarche individuelle, prennent des risques en accomplissant des actes de résistance à l’occupant. Ils font partie d’une nébuleuse difficile à cerner, composée, selon l’expression de Jacques Soustelle, « des soutiers de la gloire ». En effet, le travail important accompli dans l’anonymat par les intéressés n’a pas de représentation statistique et n’a jamais été mis en lumière. Pourtant, grâce aux archives, il semble possible d’en savoir plus. En effet, dès la Libération, la direction de la gendarmerie estime opportun de dresser un bilan qualitatif de leur action. Par note n° 5690/Gend. T., du 13 novembre 1944, elle prescrit l’établissement d’un rapport complet, à l’échelon des légions, sur les services rendus à la cause de la Résistance depuis le 25 juin 1940. Pour permettre aux destinataires d’effectuer l’étude dans les meilleures conditions elle définit et énumère les actes de résistance qu’un gendarme pouvait accomplir dans l’exercice de ses fonctions :
- « renseignements devant être remis directement ou indirectement à des autorités allemandes ou à des fonctionnaires français servant les intérêts allemands et qui furent négligés, déformés, retardés, au profit des intérêts français (gaullistes, communistes, S.T.O., maquis, militaires en congé d’armistice, israélites…) ;
- refus de participer à des opérations dirigées contre le maquis ou de prendre place dans un dispositif allemand ou milicien ;
- renseignements donnés aux diverses organisations clandestines ou services de renseignements sur le stationnement et le déplacement d’unités ennemies : armement, activités militaires ou policières sur agents de la Gestapo, informateurs etc. ;
- propagandes diverses (émissions et écoutes clandestines, imprimerie, tracts…) ;
- aide apportée dans la constitution de dépôts d’armes clandestins (à disposition de l’armée, puis parachutages) ;
- aide apportée pour franchissement de ligne de démarcation, de frontière, évasions ;
- avertissement ou asile donné à des Français, alliés ou autres étrangers recherchés par la Gestapo ou par ordre des autorités de Vichy ;
- aide apportée aux populations persécutées par les Allemands ;
- participation à des engagements contre des détachements allemands etc. »
Les rapports établis, encore inexploités, constituent une source d’information très riche. L’examen de quelques documents connus nous apprend que les gendarmes ne se sont pas contentés d’être prudents et de naviguer, sans se compromettre, au milieu des écueils. En toute connaissance de cause, sans adhérer à un mouvement de Résistance, beaucoup ont pris des initiatives de nature à leur faire encourir des risques graves. Les réparations accordées à ceux qui ont été sanctionnés nous apportent un contingent d’exemples supplémentaires. Ces comportements posent la question de la frontière entre résistants et non résistants qu’il n’est pas aisé d’établir.
- Les pertes
La force d’une Résistance se mesure ensuite au degré de répression qui l’a frappée. Des statistiques nous renseignent sur le tribut payé par les gendarmes pendant la Seconde Guerre mondiale, pour la défense et la libération du territoire. Il s’élève, d’après le bilan fourni en 1948 par le général inspecteur général de la gendarmerie, à 1609 tués (98 officiers et 1511 sous-officiers).(158)
- sur 828 déportés (31 officiers et 797 gradés et gendarmes) 249 disparaissent dans l’enfer concentrationnaire dont 25 officiers,
- les nazis exécutent 338 militaires de l’arme (10 officiers et 328 sous-officiers), à la suite d’actions de résistance ou comme otages, en France et en Allemagne,
- 443 sont tués en opération, pendant les hostilités en 1940 et dans les combats de la Libération.
L’examen de la répression dans le temps montre qu’elle atteint son point culminant en 1944.(159) Le nombre de militaires fusillés et tués dans des combats croît d’un trimestre à l’autre. On en compte 4 au cours du premier, 71 au second dont 64 en juin, 308 au troisième dont 155 au mois d’août, enfin 57 au dernier. De janvier à mai 1945, date de la capitulation allemande, la courbe des pertes s’infléchit et tombe à 12.
Partie visible de l’action de Résistance des gendarmes, les pertes représentent 3,55 % de l’effectif qui s’élève en juin 1944 à 45 204 officiers et sous-officiers dont 5 840 dans la garde, 2758 dans la garde de Paris et 36 606 dans la gendarmerie.(160) L’on doit préciser que la gendarmerie intègre dans ses statistiques les personnels de la garde.
La comparaison avec quelques autres services de l’État permet d’apprécier l’importance de ses pertes. La préfecture de police, pour environ 20 000 fonctionnaires, totalise 1 mort dans les camps de concentration pour 4 déportés et 150 tués lors des combats de la Libération. Dans la Police nationale, forte d’au moins 50 000 hommes, on dénombre 373 fusillés ou tués lors de la Libération et 1048 déportés dont 315 périssent dans les camps.(161) Pour 400 000 cheminots des cadres permanents et temporaires, la SNCF compte 819 fusillés et 2480 déportés dont 1200 périssent dans les camps. Si l’on se réfère à l’annuaire de la magistrature de l’année 1978, pour la période 1939-1945, sur un potentiel d’environ 2000 magistrats, 70 meurent pour la France dont 19 en déportation, 6 dans les camps de prisonniers, 3 fusillés par l’ennemi, 7 dans les combats de la Libération, 20 au cours de la campagne de France en 1940, 11 dans des circonstances diverses. En outre, le Gouvernement de Vichy en cite 4 à l’Ordre de la Nation avant le 24 août 1944, victimes de la Résistance.
- L’évolution des comportements
L’entrée en Résistance d’une poignée de gendarmes commence au mois d’août 1940. Puis, au fur et à mesure que se dessine la victoire des Alliés, leur nombre augmente progressivement sans toutefois affecter le fonctionnement de l’institution. L’année 1944 marque un tournant dans les comportements, de plus en plus nombreux, en faveur de la cause de la liberté. Mais il faut attendre le débarquement pour observer des ralliements massifs qui déstabilisent l’Arme
Des convictions patriotiques animent la poignée de précurseurs qui s’y engagent dès le début de l’Occupation. Ceux-là n’acceptent ni la défaite, ni la présence de l’ennemi sur le territoire national, ni le pouvoir inféodé à l’occupant. Par la suite, des facteurs circonstanciels influent sur les conduites. Ainsi, les persécutions raciales réveillent les consciences respectueuses de la dignité humaine. De même, l’instauration du S.T.O. incline des gendarmes à la désobéissance car leurs propres enfants ou des proches de leurs familles sont astreints au départ en Allemagne. Mais surtout, le cours des opérations militaires, marqué par des actions décisives des Alliés - débarquement des Américains en Afrique du Nord, bataille de Stalingrad, chute du fascisme en Italie, débarquement en Normandie puis sur les côtes de Provence - rallie progressivement des indécis.
Quelques indices attestent de l’évolution des comportements. À partir du deuxième trimestre de l’année 1943, on remarque une augmentation du nombre d’interpellations de gendarmes par les différents services allemands. Entre les mois de mai et de décembre, l’occupant emprisonne 147 officiers et sous-officiers. Le général Martin estime alors la situation suffisamment préoccupante pour rappeler à leur « devoir » les personnels. Par dépêche n° 30 249 T/Gend, du 21 décembre 1943, il tente de colmater les fissures observées :
« Depuis le 1er mai 1943, 147 officiers, gradés et gendarmes ont été arrêtés par les autorités allemandes pour des motifs divers. Un certain nombre d’entre eux se trouve sous le coup de peines extrêmement graves voire même la peine de mort. Au lieu d’obéir à leurs chefs hiérarchiques et uniquement à eux, ils se sont laissés entraîner par des personnes étrangères à l’arme qui n’ayant aucun mandat, sinon celui qu’elles s’attribuent elles-mêmes, et aucune responsabilité ont exploité les sentiments patriotiques de ceux qui les ont écoutés… »
De janvier à août 1944, le rythme des arrestations s’intensifie. Au cours de cette période, la légion du Limousin, d’un effectif de 1800 sous-officiers au 31 décembre 1943, en totalise 45. Sur ce nombre 7 sont fusillés, 12 déportés, 26 relâchés après une détention plus ou moins longue. Les interpellations visent des états-majors et des formations entières. Entre le 6 et le 8 juillet 1944, la Gestapo décapite la sous-direction technique de la garde à Vichy. L’opération se solde par l’interpellation de 11 officiers et de deux employés civils.(162) Le 27 juillet 1944, dès 6 heures 30, un détachement des troupes d’opérations, en provenance de Tours, cerne la gendarmerie de Loches (Indre-et-Loire), se fait ouvrir les portes et met en état d’arrestation le lieutenant Bathias, commandant de section, et 36 gradés et gendarmes regroupés depuis le débarquement.(163) Tous sont déportés. Le 31 juillet, en fin de journée, un détachement allemand cerne la caserne de gendarmerie de Bellegarde (Creuse) et emmène 1 chef et 6 gendarmes. Le convoi prend la direction d’Aubusson dernière étape avant les camps de la mort.(164)
Le colonel Meunier, directeur de la gendarmerie en 1945, dans l’éditorial du mois de janvier-février 1945, du numéro un des Annales de la Gendarmerie, fait état de l’arrestation de 1 300 militaires de l’Arme entre juin 1940 et le mois d’août 1944.
Le second indicateur relatif à l’évolution des comportements concerne les désertions. Ces dernières ne cessent d’augmenter à partir du dernier trimestre de l’année 1943. À titre d’exemple, durant cette période, dans la compagnie du Lot-et-Garonne, dont l’effectif s’élève à 400 officiers, gradés et gendarmes on en totalise 8. À la date du 7 juillet 1944, le commandement enregistre dans le département 17 départs dits « volontaires » et 54 « enlèvements », désignation pudique de désertions collectives, organisées en liaison avec le maquis. Dans la garde, les cadres et la troupe (600 hommes) de l’École de Guéret (Creuse) passent à la dissidence le 7 juin. Trois escadrons, le 1/5 de Limoges, le 2/5 de Bellac et le 7/5 de Pellevoisin se joignent à elle. L’escadrons 6/2 passe au maquis le 10 juin suivi le 14 par le 8/2. Dans la nuit du 20 au 21 août, 15 escadrons stationnés à Limoges se rallient aux forces du colonel Guingouin. Dans la région de Lyon, début août, les escadrons 2/1 et 6/1 se rangent aux côtés de la Résistance. La vague des désertions atteint son point maximum, sur l’ensemble du territoire, courant juillet début août 1944.
Gendarmes et Résistance organisée en métropole
- Gendarmes et F.F.I.
Le 23 décembre 1943 marque l’acte de naissance des F.F.I. issues de groupes paramilitaires des différents mouvements de Résistance (A.S., F.T.P.F., O.C.M., O.R.A.). Le B.O. du ministère de la Guerre, volume 328-3, du 1er mai 1958, arrête la liste des formations des F.F.I. reconnues comme unités combattantes de la Résistance. On y relève une seule homologation, celle de l’École de la Garde de Guéret, affiliée au mouvement de l’A.S., qui a combattu dans le département de la Creuse, du 7 juin au 25 août 1944. Son historique succinct dans la Résistance, établi par le chef d’escadron Corberand, le 3 mai 1950, relate sa naissance, son évolution et les principales opérations auxquelles elle participe. Les effectifs enregistrés à la Libération s’élèvent à 780 dont 20 officiers (1 colonel, 10 capitaines, 8 lieutenants, 1 sous-lieutenant). Les pertes déclarées, au nombre de 54, se répartissent en 3 tués au combat, 1 torturé et 50 déportés.
Comme le précise le B.O. des Armées, faute d’historique, la commission nationale n’a pas homologué le Front national de la Police et de la Gendarmerie (F.F.I.) et le groupe Vengeance, de la Garde républicaine de Paris (Libre-Patrie F.F.I.), implantés dans le département de la Seine.
Cependant, la gendarmerie compte dans ses rangs de nombreux titulaires d’un certificat d’appartenance à des formations des F.F.I. Dans les 14 départements de la 4e région d’inspection de Dijon, on totalise, au profit de l’O.R.A., pour la période comprise entre le 27 juillet et le 15 septembre 1944, un effectif de 1 600 officiers, gradés et gendarmes qui y sont incorporés. Dans la légion du Languedoc, en août 1944, 1 314 militaires sur 2 110 passent au maquis collectivement et individuellement. En 1945, la direction de la gendarmerie effectue un recensement de tous les personnels ayant servi dans les rangs des F.F.I… Le résultat de ce travail n’est pas connu. En 1973, le colonel Louis Saurel estime à 12 000 le nombre de gendarmes et de gardes passés au maquis.(165) Le flux des gendarmes vers les maquis débute courant mai 1944, s’accentue à partir du 6 juin et se prolonge jusqu’au mois de septembre. L’agence Inter-France rapporte la situation suivante les 8 et 18 juin 1944 :
« L’administration préfectorale, la police, et la gendarmerie sont en déliquescence. Dans certains coins, les gendarmes, par groupes atteignant parfois 20 ou 30, quittent leur poste pour rejoindre le maquis… »
D’une façon générale, l’amalgame entre gendarmes et maquisards s’effectue dans de bonnes conditions. Cela se vérifie notamment dans la région du Limousin où l’Occupation avait pourtant généré des contentieux entre les uns et les autres. Ainsi, dans les rangs de la 1re brigade des F.T.P.F. du colonel Guigouin on trouve le gendarme Pierracini à la tête de la compagnie de mitrailleur, le gendarme Bariou commande successivement une compagnie puis la prévôté de Limoges, le capitaine Malabre devient chef de la Place de Châteauneuf-la-Forêt, complètement absout le gendarme Barthez, qui avait fait feu à bout portant, le 6 septembre 1943, contre le colonel Guigouin, à l’embuscade de « La Croix de Lattée », prend un commandement avec le grade de lieutenant, enfin le garde Coujard a sous son autorité le 5e bataillon. D’autre part, on compte par dizaines, les gendarmes chef de sections et de groupes.
- Gendarmes et F.F.C
Outre les F.F.I., la Résistance comprend les F.F.C. qui s’articulent autour des réseaux et des grands mouvements nationaux.
*Réseaux
Parmi les 267 réseaux homologués des F.F.C., créés pour effectuer un travail militaire précis comme la collecte de renseignements sur l’ennemi ou encore orientés vers l’action (sabotage, évasion de prisonniers de guerre etc.), dirigés depuis l’extérieur du territoire par la France-libre (B.C.R.A.), la Grande-Bretagne (S.O.E. et I.S.) ou les USA. (O.S.S.), il n’y en a aucun de la gendarmerie.(166) En octobre 1948, se référant au décret du 19 juillet 1948, le chef d’escadron Cherasse, fondateur du « Réseau IVe Inspection de gendarmerie » mis sur pied le 1er juin 1943, dans la région D et le Morvan, en liaison avec l’O.R.A., et le S.S.M. du colonel Paillole, demande l’homologation de son organisation. La Commission nationale rend un avis défavorable, en janvier 1950, au motif que le mouvement Cherasse se situe dans le cadre de l’action générale de l’O.R.A.et du S.S.M.
On ne dispose que de renseignements très fragmentaires concernant le nombre d’officiers et de sous-officiers inscrits dans les rôles des réseaux. À titre d’exemple, Marie Granet dénombre 34 gendarmes et policiers dans le réseau Cohors-Asturie composé de 669 personnes.(167) Un certificat d’appartenance aux F.F.C., délivré après la Libération, prouve leur rattachement à un réseau en qualité d’agent P.0., P.1. ou P.2. Le classement dans la catégorie P.O. atteste de leur participation à la Résistance à titre occasionnel qui se traduit par la fourniture de renseignements, l’aide à des évadés, le camouflage d’armes, etc.
Les agents P.1. agissent en permanence au profit de la Résistance, tout en continuant d’assurer normalement leur activité professionnelle. Aussi longtemps qu’ils le peuvent, ils restent à leur poste qui leur sert de couverture et leur permet d’obtenir des informations sur les intentions de l’ennemi ou de ses satellites. Les agents P.2., après avoir coupé tous les liens avec leur profession, vivent dans la clandestinité, sous une fausse identité. En qualité de chefs de mission ou de chargés de mission, quelques officiers et sous-officiers assument des responsabilités dans les réseaux.(168)
L’historique du mouvement Cherasse, non homologué, fait apparaître un total de 120 agents dont 34 P.2, P.1 et P.0. rattachés à l’O.R.A. et de 50 agents dont 35 homologués P.2., P.1. ou P.0., du 15 juin 1943 au 15 septembre 1944, fournis au réseau S.S.M.F.-TR du colonel Paillole. D’après les listes officielles remises en 1947 par l’organe liquidateur du sous-réseau Vérines, sur un total de 131 agents, 18 appartiennent à la gendarmerie dont 2 agents P.1. et 16 agents P.2., sans compter les agents occasionnels. Sur 171 agents recensés, appartenant au réseau Morhange, des services spéciaux de la défense nationale, créé par un sous-officier, l’adjudant-chef Taillandier, on dénombre 4 militaires de la gendarmerie.(169) Le réseau Mithridate des Vosges dirigé par le gendarme Paul Joyeux de la brigade d’Épinal comprend 44 personnes dont 5 gendarmes reconnus officiellement agents P.1 et P.O.. Rattaché au réseau « Alibi » de l’I.S., le sous-réseau BO Bretagne totalise un effectif de 61 agents dont 18 femmes. Il comprend un seul représentant de la gendarmerie, le lieutenant Laporterie, commandant la section de Lannion.(170)
*Mouvements
Comme dans les réseaux, et dans des proportions identiques, on trouve des gendarmes dans les mouvements, Front national, Libération Nord, Défense de la France, ORA, Combat, O.C.M. etc., structures chargées d’organiser la population et de la sensibiliser, qui comprennent des branches orientées notamment vers l’action, le renseignement et les maquis.
- Gendarmes et R.I.F.
La R.I.F. regroupe les résistants n’ayant appartenu à aucune structure de résistance homologuée. Il s’agit en quelque sorte d’une résistance civile dont le législateur n’a jamais précisé le contenu. Cela explique que l’on ne trouve dans cette catégorie qu’un petit nombre d’individus. Le capitaine Cherasse, qui a rassemblé autour de lui des gendarmes de bonne volonté, partisans d’une action clandestine, a ainsi fourni à la R.I.F., du 1er juin 1943 au 26 juillet 1944, un groupe de 125 agents.
Actions patriotiques des gendarmes en marge de la Résistance
De multiples actions patriotiques illustrent le travail accompli par des gendarmes en marge de la résistance organisée. Quelques exemples en donnent un aperçu.
L’attitude passive observée par le gendarme Dutheil, lors d’une intervention consécutive à un parachutage, permet à un résistant d’échapper à l’arrestation.(171) Informé que des parachutes viennent d’être largués, dans la nuit du 22 au 23 septembre 1942, sur le territoire de la commune de Mornand, le capitaine A…, commandant la section de Montbrison (Loire), effectue avec ses brigades un ratissage du terrain et récupère 18 mitraillettes, 8 pistolets, 35 grenades, 4 pétards, 62 boîtes de 5 détonateurs. L’opération se solde par l’arrestation de 6 civils. Trois autres réussissent à s’échapper. Successivement incarcérés à la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand puis à la prison Saint-Paul à Lyon, ils comparaissent devant la section spéciale du tribunal militaire de la capitale des Gaules qui les condamne sévèrement. Ils purgent leur peine à Eysses et sont déportés courant 1943. Fortuitement, en 1945, au cours d’une émission radiophonique, Jean Nocher, révèle l’attitude courageuse du gendarme Dutheil. Au cours de l’opération menée par la gendarmerie en 1942, il a repéré un des résistants, Monsieur Rosenthal, qui vient témoigner. Ce sous-officier, en négligeant les ordres reçus et en adoptant une attitude passive lui a évité l’arrestation.
L’intendant du maintien de l’ordre de Montpellier, Pierre Marty, dans un rapport du 28 février 1944, dénonce le comportement d’un gendarme de la brigade de Saint-Germain de Calberte (Lozère) qui, désigné pour guider une colonne de G.M.R. sur un camp de maquisards l’a détournée de son objectif :
« Il nous a fait suivre des routes absolument invraisemblables pour nous mener au point fixé et a ainsi retardé considérablement notre opération, lui enlevant notamment l’effet de surprise dont nous voulions la faire bénéficier. »
Maintes fois, en faisant preuve de lenteur calculée, de laxismes dans l’exécution des ordres, des gendarmes aident des résistants menacés à survivre.
En 1943, le château de Chabannes (Creuse) héberge cent vingt enfants juifs venant notamment de Berlin, de Varsovie et de Paris. Le directeur du centre, Félix Chevrier, pour prévenir de nouvelles arrestations après la rafle du 26 août 1942, au cours de laquelle six jeunes garçons juifs d’origine étrangère sont arrêtés et déportés, fait joindre par le docteur Meselès deux des institutrices de l’école, Irène et Renée Paillassou. Le père de ces dernières, retraité de la gendarmerie, accepte de se rapprocher du maréchal des logis-chef Barraud, commandant de brigade de Grand-Bourg, pour lui demander de le prévenir s’il reçoit l’ordre d’effectuer une rafle. Le gradé promet de le tenir au courant. Courant novembre 1943, vers quatre heures de l’après-midi, la gendarmerie de Grand-Bourg reçoit l’ordre d’arrêter tous les enfants et le personnel du château de Chabannes. Pour effectuer l’opération, prévue pour minuit, deux autocars sont réquisitionnés. Mais, comme convenu, le chef Barraud prévient Renée Paillassou qui se rend à Chabannes à vélo et alerte Félix Chevrier. Les grands et leurs éducateurs se réfugient dans les bois tandis que les habitants de Chabannes accueillent les plus jeunes chez eux. Quand les gendarmes arrivent au château, ils le trouvent vide.
Courant avril 1941, un avion anglais atterrit près de Maillé (Vienne). Les gendarmes Lebarbier et Nicols, de la brigade d’Ayron, rendus sur les lieux, apprennent où sont réfugiés les quatre aviateurs. Ils restent passifs. Peu après, les Allemands arrivent, se renseignent auprès des gendarmes qui ne disent mot et effectuent des recherches qui s’avèrent infructueuses. À la faveur de la nuit, les aviateurs, vêtus en paysans, quittent la région. Les Allemands menacent les deux gendarmes de prison parce qu’ils n’ont pas découvert les fugitifs.
Dans la garde, le lieutenant Honorat, déplacé en 1943 et 1944 en Haute-Savoie avec son escadron, fournit des renseignements sur les mouvements de la Milice et des escadrons à son camarade de Saint-Cyr, le lieutenant Lalande, adjoint de Tom (Morel) chef du maquis des Glières. Des soupçons se portent sur lui. La Gestapo d’Annemasse le fait arrêter un matin et garder à vue toute une journée. Moins de quarante-huit heures après cette alerte, il s’arrange pour mettre son escadron en retard lors du bouclage du plateau d’Assy au-dessus de la Roche ce qui permet au maquis F.T.P. d’échapper à la Milice et aux escadrons de la garde en opération. Il refuse à un chef milicien de livrer un chef de maquis blessé. La Milice ordonne son arrestation. Pour le soustraire au danger qui le menace, ses chefs lui font signer une demande de mise en congé d’armistice.
Le gendarme Célestin Watrinet, un lorrain, en poste à la brigade de Saint-Avold, replié dans le sud-ouest, avec la légion d’Alsace-Lorraine, en juin 1940, choisit son camp sans calculer.(172) A la dissolution de la légion, le commandement l’affecte en Dordogne, à la brigade de Daglan. Discret, courageux, il a le souci constant d’œuvrer pour son pays. Madame Yvonne Grinfan, de Saint-Martial de Nabiat (Dordogne), relate que ce militaire, de retour de Sarlat avec la liste des personnes à arrêter le lendemain pour le S.T.O., lui dit en confidence :
« Que votre mari ne couche pas chez lui ce soir car demain matin nous sommes là pour le prendre. De ce fait mon mari a gagné le maquis. »
En 1987, Alban Ceblié, président du comité de Libération de Saint-Aubin-de-Habirat, nous apprend que ce sous-officier « mit plusieurs fois sa personne à sa disposition pour accomplir toujours des missions difficiles. Par ailleurs il mit au profit des jeunes les bons offices de sa charge pour les aider à se soustraire aux contraintes du travail en Allemagne. Il aida à les camoufler et leur apprit dans leur refuge, le maniement des armes… »
Madame Georgette May, membre du réseau Nestor/Digger du SOE-Buck- master, rapporte quelle fut l’action du gendarme Watrinet :
« Pendant la période où j’étais à Daglan M. Watrinet a pris contact avec les hauts responsables de la Résistance (Français et Anglais) (notamment André Malraux, Henri Peulevé, colonel Robert Poirier commandant le P.C. de l’état-major interallié, capitaine Jacques Poirier, chef du réseau Nestor/Digger). En octobre 1943 il assurait notre sécurité. Ces hautes personnalités étaient hébergées chez moi. Son concours efficace nous a permis d’opérer en toute quiétude des parachutages de nuit, le camouflage du matériel qu’il convoyait jusqu’à des caches aménagées à cet effet. Par son attitude courageuse il a contribué à sauver d’un mauvais pas plusieurs d’entre nous à commencer par moi-même. Après la destruction de mon moulin "Le Cuzaul" à Daglan incendié par les Allemands le 31 mars 1944, Monsieur Watrinet est resté en liaison avec l’état-major interallié et a servi la cause de la Résistance jusqu’à la libération de Périgueux. »
Le 10 décembre 1944, Célestin Watrinet rejoint la 10e légion (ex-légion d’Alsace) où il poursuit sa carrière jusqu’en 1952 date à laquelle il est admis à faire valoir ses droits à la retraite d’ancienneté. Il s’éteint en 1966, sans jamais avoir fait état de son activité.
Constat sur l’action résistante
Une étude méthodique et approfondie de l’action résistante des personnels de la gendarmerie entre 1940 et la Libération reste à entreprendre. Sur la base des éléments actuellement connus, deux conclusions s’imposent. D’une part, même si l’on doit convenir que les résistants reconnus ne représentent qu’une minorité dans la gendarmerie, force est de constater que beaucoup de gendarmes, sous des formes diverses, ont apporté leur contribution à la cause de la Liberté.
D’autre part, la construction d’une résistance autonome dans la gendarmerie n’a pas été possible. Le lieutenant-colonel Robelin, en liaison avec l’O.R.A puis le Front national, a préparé le retournement de la garde contre l’occupant. Son action, relatée en détail dans l’ouvrage « La Garde sous Vichy », a échoué. De même, le travail de noyautage de la gendarmerie et de la garde, confiée au capitaine Artous, pourtant limité géographiquement aux régions de Vichy puis de Paris n’a pas totalement abouti aux résultats escomptés. Dans la compagnie du Morbihan, malgré un effort intense de recrutement, le chef d’escadron Guillaudot n’a pu rallier tous les cadres à son réseau. Charles Gilbert, auteur de sa biographie, écrit :
« Le seul qui va le suivre dans la lutte est le lieutenant Guillot, en poste à Ploërmel, les autres timorés ou opportunistes, ne voient rien, n’entendent rien. Le service, c’est tout. Tant pis, le commandant se passera d’eux. »(173)
La difficulté d’organiser, dans la gendarmerie, une entente générale contre l’occupant tient à la conjonction de plusieurs facteurs : dispersion des unités sur l’ensemble du territoire, loyalisme du haut commandement à l’égard du pouvoir établi, étroite surveillance de l’occupant, respect du sacro-saint devoir d’obéissance, appartenance à un système hiérarchisé, manque de coordination entre les organisations de Résistance pour définir l’action à conduire par l’Arme, enfin des arrestations entraînent une rupture des liaisons avec les chefs de la Résistance qui réduisent à néant les projets d’action.
III - LE CHÂTIMENT
CHAPITRE VIII
PRÉLIMINAIRES DE L’ÉPURATION : VENGEANCES ET RÈGLEMENTS DE COMPTE AVEUGLES
De 1940 à 1945, si l’on se réfère au Livre d’Or de la gendarmerie, 350 militaires au moins trouvent la mort en service commandé.(174) Les uns victimes de délinquants de droit commun, au cours d’interpellations et de contrôles, les autres de la Résistance, dans des embuscades, lors d’opérations de police, en assurant des services de garde ou d’escorte, certains enfin sous des bombardements aériens. Si dans les listes annuelles de ce mémorial, diffusées en 1948, apparaissent quelques noms d’officiers et sous-officiers, abattus ou présumés abattus à titre préventif ou de représailles par la Résistance, comme ceux du capitaine commandant la section de Montbrison ou du chef de brigade de la même résidence, d’autres, dont on ne connaît pas le nombre exact, tués dans des circonstances semblables, n’y sont pas mentionnés. Ainsi en est-il du capitaine commandant la section d’Issoudun, du gendarme L…, de la brigade de Bort, du gendarme B…, de la brigade de Vassy etc. Le total de ces laissés-pour-compte n’excède pas, semble-t-il, la cinquantaine, sous réserve d’un inventaire ultérieur s’appuyant sur des statistiques officielles pour le moment non publiées.
À titre indicatif, d’après le recensement effectué dans 78 départements, à la suite d’une enquête lancée par le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, poursuivie par l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), toutes catégories socioprofessionnelles confondues, on dénombre 7 306 exécutions, dont 2 004 antérieures au 6 juin 1944, 4 025, entre le 6 juin et la date de la Libération et 1 259, survenues après.
Les exécutions sommaires et les attentats perpétrés contre des gendarmes posent des questions de fond. À qui sont-ils imputables ? Quels motifs les ont dictés ? Que sait-on des victimes ? La quête de la vérité se révèle ardue car les auteurs de ces actions ont rarement laissé leur signature et encore moins des archives. À travers quelques indices, hommages posthumes rendus aux victimes, distinctions dont elles ont été l’objet, témoignages divers, consignes données par la Résistance, il est possible d’apporter des éléments de réponse.
Résistance et exécutions sommaires
Manifestement, dans la période considérée, des « liquidations » de gendarmes se produisent, que rien ne justifie sinon des rancœurs ou des vengeances, imputables à des individus isolés ou à des éléments incontrôlés de la Résistance qui en ternissent la réputation et sèment la confusion.
Pour sa part, et elle n’en a jamais fait mystère, la Résistance a éliminé des militaires de la gendarmerie considérés comme dangereux, soit parce qu’ils étaient responsables de la mort ou de l’arrestation de patriotes, soit parce qu’ils mettaient en péril son existence. Ce type d’action, inséparable du combat clandestin, dirigé à la fois contre l’occupant et le régime, trouve sa justification dans l’enjeu de la guerre - l’esclavage ou l’indépendance - comme dans la nécessité de survivre au milieu de l’ennemi partout présent. Les uns l’assimilent à un acte de guerre, les autres à un moyen de dissuasion pour inciter à la réflexion les indécis tentés de servir l’occupant, enfin certains à une œuvre de justice.
Les encouragements de Londres et d’Alger, ajoutés aux exactions allemandes et à la répression milicienne, stimulent les résistants dans cette entreprise.
Les préalables aux actions punitives
- Les avertissements
Conseils, avertissements et menaces précèdent fréquemment l’exécution des individus, fonctionnaires ou non, réputés collaborateurs. Dès les premières années de l’Occupation, les gendarmes, aussi bien en zone nord qu’en zone sud, reçoivent des tracts émanant de la Résistance contenant des recommandations de portée générale. Pour ne citer que deux exemples, rappelons qu’en septembre 1942, en zone libre, le mouvement Combat diffuse un tract dans les commissariats et les gendarmeries qui, d’une part, invite les cadres et exécutants à la désobéissance et, d’autre part, les met en garde en cas de trahison :
«…Volontairement et prudemment
- Faites nous prévenir anonymement des dangers que nous courons.
- Opérez des perquisitions et fouilles superficielles.
- Ralentissez les enquêtes.
- Ne poussez pas à fond les interrogatoires.
- Brouillez les pistes.
- Atténuez les rapports.
En sauvant des patriotes, vous servez la France ! La France libérée saura le reconnaître !
Il en est peu qui trahiront. Ceux-là nous les prévenons
Ils seront couchés sur nos listes
La France libérée appliquera le châtiment ! »
Au cours du deuxième semestre de l’année 1943, dans plusieurs régions, un tract intitulé « Aux gendarmes et brigadiers de gendarmerie », est adressé sous enveloppe aux gendarmes. L’un des destinataires, commandant de brigade, rend compte à ses chefs en précisant l’origine de cet écrit :
« J’ai l’honneur de vous adresser à toutes fins utiles un tract édité par le parti communiste que j’ai reçu par la poste, hier, dix août 1943… »
Les auteurs du tract demandent aux gendarmes d’aider la Résistance et annoncent en filigrane le sort réservé aux traîtres :
«…Nous tenons à vous dire que rien de ce qui est fait tant en bien qu’en mal ne sera oublié par les patriotes qui disposent de plus de moyens d’informations qu’on ne suppose communément.
Nous ne vous demandons pas de faire comme vos collègues hollandais qui courageusement sont passés en grand nombre avec leurs armes dans le camp des Francs-tireurs et Partisans pour défendre leur Patrie, mais nous vous demandons :
1- de tout faire pour sauver les patriotes qui sont menacés d’arrestation en les prévenant directement de la menace qui pèse sur eux.
2- de ne jamais arrêter un patriote militant dans les groupements de résistance ni aucun réfractaire ayant refusé de partir en Allemagne.
3- de dénoncer aux patriotes vos collègues, vos chefs et les policiers qui se rendent coupables de crimes contre la Patrie en pourchassant des Français pour les livrer aux boches et les faire fusiller.
Tel est le devoir que vous dicte votre conscience de Français et que l’intérêt supérieur de la France vous commande… »
Ce ne sont là que deux échantillons, parmi des dizaines d’autres, largement diffusés dans des unités de gendarmerie, entre 1941 et 1944, par des organisations clandestines.
- Les menaces
* Par voie de presse
À partir de 1943, la Résistance franchit un palier lorsqu’aux simples recommandations succèdent des menaces qui visent nommément des militaires de la gendarmerie. La presse clandestine, à travers différents organes comme Libération, Franc-tireur ou Combat publie des listes noires où figurent, aux côtés de ceux de miliciens, magistrats, policiers, journalistes, collaborateurs, des noms de gendarmes. Le 12 octobre 1943, Libération signale « E…, de la gendarmerie de A…, qui a assassiné un patriote ». Quelques semaines plus tard, le 21 décembre, ce même journal dénonce le capitaine Q…, commandant la section de Paris-Exelmans, « collaborateur acharné qui excite ses hommes à la recherche des réfractaires ». La mise en accusation « du capitaine N…, à Lons-le-Saunier, dont les sentiments pro-allemands sont notoires » fait l’objet d’une liste noire diffusée en juin.(175)
Dans un document titré « L’Union, Organe de la société Marat du P.C.F., tout pour la victoire des héros savoyards » n° 6 de février 1944, on lit :
« Le brigadier de gendarmerie F… à H… se fait beaucoup trop remarquer par sa servilité envers les boches. Il a arrêté un jeune homme au lieu de le prévenir pour qu’il puisse se sauver. Nous nous souviendrons du brigadier F… »
* Par la radio
Par la voie des ondes, depuis l’Angleterre, la B.B.C. désigne à la vindicte populaire les auteurs, y compris des gendarmes, d’actes graves, sévices, dénonciations, arrestations préjudiciables aux résistants. Elle s’adresse aussi à ceux qui s’apprêtent à les combattre. Avant l’assaut des Glières, Maurice Schumann, dans une de ses allocutions à la radio de Londres, le 2 février 1944, met en garde les chefs des forces du maintien de l’ordre rassemblées en Haute-Savoie.
« Colonel Prat, colonel Candille, colonel Bertrand, contrôleur général Delgay, vous êtes désormais les otages de la France ! Chaque goutte de sang qui, demain peut-être, par votre faute, coulera dans les ravins et dans les gorges de notre Haute-Savoie retombera sur vos têtes. Lelong, Prat, Candille, Bertrand, Delgay, vous voilà prévenus : votre conscience décidera de votre sort… »(176)
Dans le courant du premier trimestre de l’année 1944, le porte-parole de la France Combattante annonce que trois militaires de la gendarmerie, nommés par leurs initiales, les trois V… capitaine Vieux, gendarmes Wattez et Van Nesle du détachement chargé de la garde des internés du camp de Drancy, seraient exécutés pour s’être faits les instruments dociles des nazis. Dans un chapitre ultérieur, on verra la suite réservée à la décision annoncée. À la même époque, la radio de Londres dénonce le gendarme B…, de la brigade de Vassy (Calvados), comme étant un élément dangereux. Le 15 mars, ce sous-officier, « au retour d’un service est tué de neuf balles de pistolet après avoir été maîtrisé et désarmé par deux malfaiteurs » rapporte le Bulletin d’étude et d’information de la gendarmerie n° 6 de juin 1944. Par la suite, les F.T.P.F. revendiquent son élimination.
À la mi-avril 1944, la B.B.C. condamne le lieutenant F…, commandant la section de Guimgamp (Côtes-du-Nord). L’officier est à l’origine, courant février, de l’arrestation d’un chef de groupe des F.T.P. blessé par les gendarmes au cours de l’interpellation. Celui-ci, transporté à l’hôpital de Saint-Brieuc, s’évade le 3 mars. Le 25, une tentative des F.T.P., pour abattre l’officier, échoue grâce aux Allemands qui viennent à son secours à la brigade de Callac où il se trouve en service.
* Lettres et tracts
Sans publicité, par simple courrier, la Résistance prévient directement du danger qui les guette ceux qui la combattent. Dans un rapport du 1er mai 1943, le lieutenant-colonel commandant provisoirement la légion de Provence rend compte que « les magistrats de la section spéciale de la cour de Nîmes qui ont récemment condamné à la peine capitale des auteurs d’attentats ont reçu, ainsi que le capitaine de gendarmerie, des menaces de mort par écrit… »
Cette initiative de la Résistance fait suite à l’arrestation des chefs et organisateurs des F.T.P. nîmois, Jean Robert et Vincent Faïta, traduits devant la section spéciale de la cour d’appel de Nîmes et guillotinés le 22 avril 1943.
Pour sa part, à deux reprises, au cours du second semestre de l’année 1943, le lieutenant-colonel commandant la légion du Limousin fait état, dans des rapports, de menaces adressées à des officiers et sous-officiers. Dans l’un, il écrit :
« Rares sont aujourd’hui les officiers qui n’ont pas reçu un petit cercueil, une potence ou un faire-part de décès prochain. Les intéressés ont accepté l’objet avec une philosophie sereine bien convaincus cependant des risques auxquels ils sont exposés… »
Le second est de la même inspiration :
« En quelques mois, cinq sous-officiers de la légion ont été tués par des terroristes en accomplissant leur devoir, six autres ont été plus ou moins grièvement blessés. Ces lâches attentats ont provoqué un douloureux malaise. Par ailleurs les menaces de mort adressées directement à des gradés et gendarmes trop zélés au gré des agitateurs, les représailles dont sont victimes presque journellement les personnes qui passent outre aux avertissements anonymes affectent le moral de ceux qui sont ainsi menacés et de leurs camarades… »(177)
Si l’on en juge par une autre appréciation portée au cours du deuxième trimestre de l’année 1944, la persistance de menaces de mort adressées aux personnels ne les détourne pas de leur mission :
« Les menaces de mort adressées directement à des gradés et gendarmes n’ont pas jusqu’alors touché leur moral d’une façon aussi sensible qu’on aurait pu le redouter. Certes on ne saurait prétendre que les intéressés demeurent absolument indifférents aux lettres anonymes qu’ils reçoivent et qui font état de représailles éventuelles à leur endroit mais il n’en demeure pas moins que tous continuent d’assurer leur service avec intégrité… »
Le mardi 25 mai 1943, au lever du jour, à Pompidou (Lozère), les gendarmes de la brigade découvrent un tract, placardé dans la nuit sur la porte d’entrée de la caserne. Le rapport rédigé par le chef de poste en donne le contenu :
« Le gendarme S… s’est aperçu qu’un tract d’inspiration gaulliste (enlevé immédiatement) et libellé comme suit : « Justice sera faite - mardi 4 mai à Saint-André 2 jeunes gens ont été arrêtés - M… les a vendus. T…, W…, P… les ont pris. M…, T…, W…, P…, 4 traîtres condamnés à mort par de Gaulle » avait été apposés avec 4 punaises sur la porte principale d’entrée de la caserne de gendarmerie de Pompidou.
Ce tract de menaces s’applique aux militaires de la brigade de Saint-André-de-Valborgne (Gard) T…, M.D.L. Chef, W… et P… gendarmes, à la suite de l’arrestation de deux jeunes défaillants… »(178)
Le 15 octobre 1943, une lettre postée de Paris parvient au maréchal des logis-chef L…, de la brigade de Florac, qui demande au destinataire « de se modérer et de prévenir le gendarme V… de Pont-de-Montvert qui a participé à l’arrestation de plusieurs réfractaires durant l’été 1943 ». Un groupe armé exécute le gendarme V… en juin 1944.
Le 25 novembre 1943, l’attitude suspecte de l’adjudant B…, de la brigade de Langogne, à l’égard de la Résistance locale, entraîne un avertissement du maquis, et l’envoi du cercueil symbolique. Ce gradé est traduit en Cour de Justice à la Libération.
Le lieutenant M…, commandant la section de Florac (Lozère), reçoit le 1er février 1944 une lettre anonyme ainsi libellée :
« Lieutenant
N° 1. Ci-joint copie de la décision prise par le groupe « Camisard »
BON pour 3 mètres de corde pour pendre le traître V…, gendarme au Pont-de-Montvert.
L’Intendant du Groupe
À utiliser dans les 8 jours
Justice
Vu et pris en compte
Le chef des Cévennes »
Le 11 avril 1944, le commandant de brigade de Charenton (Cher) réceptionne un petit colis contenant un cercueil en bois. Le destinataire en rend compte immédiatement avec une précision rigoureuse puisqu’il indique les dimensions de l’objet insolite : 0m30 x 0m15 x 0m15. En Corrèze, à la même époque, un cercueil miniature, qu’accompagne une lettre de menaces, parvient au chef de brigade de Lubersac. Cet envoi fait suite à l’arrestation, par une patrouille, d’un réfractaire qui a réussi à s’évader.
À la mi-juillet 1944, le lieutenant-colonel commandant la légion du Berry écrit :
« Ils (les officiers) accomplissent à l’heure actuelle une tâche délicate et ingrate et continuent de servir fidèlement malgré les menaces dont ils sont l’objet. C’est ainsi que le commandant la compagnie bis de la Vienne et du Cher ont reçu des lettres les visant directement… »
Dans les régions les plus troublées, Massif-Central, Limousin, Alpes, Pyrénées, Nord etc., il n’est pas de semaines où, jusqu’à la Libération, des militaires de la gendarmerie, trop engagés dans la répression, ne soient menacés.
Les mesures de précaution
Au mois d’octobre 1943, un tract d’origine communiste, diffusé à Lannemezan, met en garde le gendarme G…, de la brigade locale. Le temps passe sans que cette tentative d’intimidation ne se concrétise. Le 22 avril 1944, ce sous-officier découvre au petit matin, sur le seuil de la porte d’entrée de la maison qu’il occupe avec sa famille, un engin explosif de forte puissance. Sa neutralisation écarte tout danger. Le commandement envisage une mutation du gendarme G… pour le soustraire aux risques qui pèsent sur lui. L’intéressé refuse.(179)
Pour protéger les personnels sous-officiers, de plus en plus nombreux qui encourent des risques de représailles, courant décembre 1943, la direction adapte à la situation la réglementation sur les mutations. Les personnels menacés et s’estimant en danger réel peuvent bénéficier d’un changement de résidence, en dehors des délais habituels de séjour. Cela ne suffit pas toujours à écarter le danger. En Corrèze, le chef D…, dont l’activité dans la répression des menées « terroristes » a motivé, pour des raisons de sécurité personnelle, son déplacement à l’École de Pamiers, est en butte à de nouvelles menaces de mort, dès son arrivée dans l’Ariège. La Résistance, ayant eu connaissance de son affectation, lui fait savoir que sa mutation ne serait pas un obstacle à son élimination. D’où un nouveau changement de résidence du chef D…, affecté en qualité de secrétaire, dans une compagnie des Alpes.
En juillet 1944, le commandement mute d’urgence le lieutenant F…, de la section de Carmaux à celle de Nérac, affectation justifiée « par les menaces qui pèsent sur cet officier à la suite de son action contre des éléments de la Résistance inculpés d’assassinat et d’association de malfaiteurs ».
Le 18 avril 1944, le commandant de la légion du Limousin signale à la direction générale de la gendarmerie « que la mutation de certains commandants de compagnie ou de section arrive à s’imposer si l’on veut qu’ils échappent à un lâche et tragique guet-apens. » Son constat s’appuie sur des réalités. Début mars, n’a-t-il pas dû proposer la mutation du chef d’escadron H…, placé à la tête de la compagnie de la Corrèze. Pour éviter que l’intéressé ne soit traqué dans sa nouvelle affectation, le mouvement le concernant n’est pas été mentionné dans les ordres du jour de la légion où figurent les mouvements des personnels. Par mesure de sécurité également, car il est très menacé, le préfet Lecornu demande à la direction de la gendarmerie le départ d’Ussel du lieutenant L… P… Le 22 décembre 1943, le général commandant la gendarmerie de la 7e région porte sur ce commandant de section des appréciations élogieuses qui témoignent de son total engagement dans la lutte contre les « terroristes » :
« Le lieutenant L… P… en particulier dans sa volonté ardente d’aboutir est arrivé à un résultat remarquable obtenant des brigades, malgré l’hostilité du pays et les menaces dont il a été l’objet, des renseignements précis qui ont permis aux forces de rétablissement de l’ordre de mener, en collaboration avec la gendarmerie, des opérations fructueuses et payantes… »
En 1979, Louis Le Moigne et Marcel Barbanceys de l’A.S. relatent le projet étudié en 1944 pour se débarrasser de l’officier :
« Les responsables de l’A.S. décident de mettre fin aux exploits de L… P… Un commando s’installe à Saint-Exupéry avec mission de l’intercepter. Notre camarade le docteur Siriex trouvant sans doute le procédé trop radical prévient L… qui se fait muter d’urgence à La Réole. »(180)
Le lieutenant L… P…, en 1945, est traduit devant une Cour de Justice et condamné sévèrement.
Les gendarmes en proie à la vengeance
- Attentats
En début d’année 1943, dans l’Ardèche, le capitaine commandant la section de Tournus échappe in extremis à un attentat, après avoir reçu des menaces. Quelques mois plus tard, le capitaine commandant la section de Saint-Amand-Montrond (Cher) connaît la même mésaventure.(181) Dans les premiers jours de septembre, un tract distribué par le mouvement Combat donne son nom « comme étant destiné à la potence ». Grâce à sa vigilance, le capitaine B… déjoue, le 22 septembre, un attentat qui aurait pu lui coûter la vie. Ce jour-là, le gendarme assurant le service dit du planton se rend à la poste, comme c’est l’usage chaque jour ouvrable, pour y chercher le courrier officiel et privé. De retour au bureau, il trie les correspondances et en assure la distribution. Au secrétariat de la section, il dépose sur la table de travail du capitaine B… un paquet qui lui est adressé. Expédié de Vichy, de petite dimension, le colis porte une étiquette à en-tête du ministère de l’Information, Service Technique de la Propagande. Son origine intrigue le capitaine. Il l’ouvre avec précaution et découvre à l’intérieur de l’emballage une petite boîte en bois blanc. L’idée d’un objet piégé lui vient immédiatement à l’esprit. Alors, il le dépose à l’extérieur de la pièce, dans un terrain clos puis, à l’aide d’un crochet fixé au bout d’une ficelle assez longue, il exerce une traction qui provoque une violente explosion. Les vitres de la fenêtre du bureau de la brigade motorisée de Saint-Amand volent en éclat. L’engin explosif adressé au domicile personnel du capitaine visait à attenter à sa vie et à celle de sa famille comme le montre la suite des événements. Le lendemain 23 septembre, un commerçant de Saint-Amand, membre de la Légion, réputé collaborateur, reçoit un colis présentant les mêmes caractéristiques que celui reçu la veille par l’officier de gendarmerie. Lorsqu’il l’ouvre, une déflagration se produit qui déchiquette le malheureux. Le 24, la direction générale de la gendarmerie alerte les commandants de légion :
«…Vous voudrez bien attirer d’urgence l’attention de tout le personnel placé sous vos ordres sur les précautions à prendre en cas de réception de colis acheminés soit par chemin de fer soit par la poste. Ces colis pouvant être adressés indifféremment à l’adresse officielle ou à l’adresse privée des intéressés. Les militaires de la gendarmerie devront également mettre en garde tous les membres de leurs familles. »(182)
Le 30 septembre, le commandant de légion évoque dans le rapport sur l’état d’esprit la tentative d’attentat par explosif dont a failli être victime le capitaine B… Selon lui, elle résulte du fait que cet officier est « en butte à l’hostilité ouverte de certains milieux de Saint-Amand qui lui reprochent son activité dans la recherche des réfractaires et son action dans la découverte de dépôts d’armes parachutées… »
Le chef d’escadron B… doit rendre des comptes à la Libération.
- Guet-apens
La chance, pas plus que les dispositions prises par le commandement, ne suffit pas, dans tous les cas, à écarter les dangers qui pèsent sur des gendarmes. Certains n’échappent pas à leur destin. Dans la légion de Dauphiné-Savoie, le capitaine V…, commandant la section d’Annecy depuis l’armistice, connaît une fin tragique début octobre 1943. Gilbert Germain brosse de lui un portrait sans complaisance :
« Le capitaine, ancien officier au 27e B.C.A. est un militaire sévère, croyant au Maréchal Pétain et à la Révolution nationale lancée par Vichy. Sincère et convaincu, il se montre impitoyable avec la Résistance. »(183)
À Thorens-Usillons, le vendredi 1er octobre, vers 9 heures, trois hommes armés pénètrent dans une épicerie servant de cabine téléphonique. Ils écartent la gérante. L’un d’eux téléphone à la gendarmerie d’Annecy et demande le capitaine V… À ce dernier, il se présente comme de Laroque, chef du campement « Jeunesse et montagne » du Jourdil et prétend avoir été blessé pendant la nuit à la suite de la descente des maquisards dans les magasins d’habillement du détachement à Usillons. Le commandant de section lui répond :
« Je serai chez vous vers dix heures et demie. À tout à l’heure. »
Accompagné du chef d’escadron Calvayrac, son commandant de compagnie, le capitaine se met en route. Au passage à la brigade du Plot, il dépose son chef puis part seul en voiture au rendez-vous. Le capitaine V… ignore que son correspondant n’est pas le responsable de « Jeunesse et Montagne ». En réalité, il s’agit du lieutenant Simon, chef d’un corps franc qui s’est fait passer pour de Laroque. Les chefs de l’A.S. lui ont demandé de prendre contact avec le capitaine pour lui donner un ultime avertissement. Près du lieu-dit Les Sages, trois hommes armés, dont le lieutenant Simon, tapis dans le talus en bordure de la route, guettent l’arrivée du commandant de section. Tout à coup, surgit la Simca de la gendarmerie. Sous la menace des armes, l’officier stoppe le véhicule. Simon le fait descendre et tente de dialoguer. Il lui demande de cesser les poursuites contre les maquisards. Le capitaine refuse toute discussion avec un interlocuteur qu’il considère comme un « terroriste ». Il rejoint sa voiture pour quitter les lieux. De l’autre côté de la route, un des maquisards qui le tient en joue tire plusieurs rafales de mitraillettes. Mortellement touché, l’officier s’effondre. Rapidement, les maquisards poussent la voiture dans le fossé. Ils se débarrassent du cadavre en le jetant dans le ruisseau qui longe la route à proximité du pont desservant le hameau du Biot. Devant son retard inexplicable, le commandant de compagnie, avec la brigade du Plot, se met à la recherche de son subordonné. Peu après treize heures, le petit groupe découvre la Simca 5 abandonnée sur le chemin de terre de Biot et le corps du capitaine immergé dans le torrent. Sur le sol, pas moins de dix-huit douilles de 9 mm sont comptées. Les constatations permettent d’établir que la victime a reçu neuf blessures à la tête. Le procès-verbal précise que « le cadavre a été délesté de son ceinturon, de son stylo, de sa chevalière, de sa montre et de son portefeuille ». Vers quinze heures, plusieurs pelotons de la garde ratissent le secteur à la recherche des auteurs de l’agression. Trois jeunes gens armés de Sten (pistolet-mitrailleur très grossier fabriqué à la hâte en Grande-Bretagne pour la Résistance), correspondant à leur signalement, réussissent à passer entre les mailles du filet. Le lendemain, cinq escadrons de la garde du groupement des Alpes investissent le vallon de Thorens et fouillent la région, de midi à dix-neuf heures, sans obtenir le moindre résultat.
L’attentat contre le commandant de section provoque un malaise dans les rangs du personnel. Ce dernier s’estime mal défendu par la garde qui quadrille la Haute-Savoie. En présence du colonel Bourgouin, commandant la légion de Dauphiné-Savoie, les obsèques du capitaine V… se déroulent le lundi après-midi. Y assistent le préfet, l’intendant de police, d’importantes délégations de gendarmes, gardes, G.M.R., miliciens. Dans son allocution, le chef de corps tire les enseignements de sa disparition :
« Votre assassinat, loin de faire hésiter la gendarmerie dans l’accomplissement de son devoir, ne peut au contraire que fortifier sa volonté de faire respecter les lois partout et par tous. Elle est l’arme de la loi et a conscience de servir le pays au mieux de ses intérêts et en particulier de lui éviter le pire. Votre vie et votre mort sont pour nous un exemple qui sera compris de tous… »(184)
Pour acte de courage et de dévouement accomplis dans l’exercice spécial du service de la gendarmerie, le capitaine V… reçoit la Légion d’honneur à titre posthume. Le libellé qui accompagne sa nomination fait état des menaces proférées à son encontre :
« Officier d’une valeur exceptionnelle, énergique et plein d’allant, qui en dépit des graves menaces dont il était l’objet n’a pas hésité à s’exposer avec un absolu mépris du danger. Est tombé mortellement frappé au cours d’une périlleuse mission. »
Dans cette affaire, à l’évidence, le maquis de Thorens a attiré le capitaine V…, dans un piège. Le tireur qui a exécuté l’officier a-t-il agi d’initiative ou bien en a-t-il reçu l’ordre ? L’énigme reste entière.
- Exécutions sommaires
Des situations particulières entraînent des exécutions dont les circonstances ne sont pas claires. Le 13 décembre 1943, un combat oppose dans la Drôme des gendarmes et un groupe de maquisards de la Flèche Noire circulant à bord d’un camion pris initialement en chasse par la Gestapo.(185) Aux alentours de 12h15, le commandant de section, sur ordre de la Gestapo de Romans retransmis par la préfecture, ordonne à la brigade de Dié d’intercepter le véhicule qui transporte des « terroristes ». En provenance de Bourgogne, il se dirige sur Châtillon. Un détachement constitué d’un adjudant, d’un maréchal des logis-chef et de sept gendarmes installe un barrage à un passage à niveau situé sur l’itinéraire. Vers 14h00 le camion signalé arrive et s’arrête à une trentaine de mètres de la barrière où se tient le gendarme B… Le conducteur descend seul pour en réclamer l’ouverture. Après quelques pas sur la route, il se trouve en présence de l’adjudant rejoint par le chef. Pendant que les deux gradés vérifient l’identité du conducteur et se disposent à le fouiller, les occupants du camion mettent pied à terre pour se rendre compte du motif de l’arrêt prolongé. À leur grande surprise, ils aperçoivent les gendarmes. Ils ouvrent le feu sur les deux gradés et se déploient sur le terrain pour les encercler. Les gendarmes se replient, utilisant au mieux les défilements. L’un d’entre eux, chargé de la manœuvre du treuil, isolé de ses camarades, se réfugie derrière la maison du garde-barrière. Les maquisards, voyant la route libre, rembarquent et franchissent le passage à niveau. Le conducteur du camion leur signale alors qu’un gendarme s’est réfugié dans la maison du garde-barrière. Le drame se noue. D’après un document établi par la direction générale, en février 1944, pour servir de cas concret aux unités «… trois terroristes descendent, fouillent la maison, découvrent le gendarme caché dans la cave, derrière une futaille et, froidement, avant qu’il ait pu faire un geste, l’abattent d’une rafale de mitraillette. Cet ignoble assassinat accompli, toute la bande repart, encadrant, en colonne de chaque côté de la route, le camion… »(186)
La relation de la mort du gendarme B…, père de quatre enfants, homme de devoir, donnent lieu à une version différente de la part des maquisards. L’un d’eux, en 1989, écrit :
« Si l’on est en droit, aujourd’hui, de dire : cette exécution était-elle justifiée ? On peut, dans le même temps, se poser deux questions :
Pourquoi le gendarme B… avait-il arrêté et retenait-il prisonnier le chauffeur du maquis. Pourquoi le gendarme B… a-t-il été abandonné par son chef de brigade sans qu’ai été négociée une libération réciproque ?
L’exécution du gendarme est probablement une "bavure", comme on dirait aujourd’hui. Mais la terrible tension vécue par ces jeunes maquisards, se voyant arrêtés alors qu’ils étaient proches du but, en est certainement la cause sinon l’excuse. »(187)
Prenons d’autres exemples, le 10 janvier 1944, sur la place du marché, à Saint-Jean-en-Royan (Drôme), un inconnu qui réussit à disparaître dans la foule tue de quatre coups de pistolet l’adjudant A…, commandant la brigade, préalablement destinataire de menaces.
À Riom, le 7 février 1944, le gendarme C… déjeune avec sa famille à son domicile. Quelqu’un frappe à la porte d’entrée. Son fils ouvre et se trouve en présence de deux inconnus qui demandent à parler à son père. Ce dernier se lève et se dirige vers le pas de la porte. Un des visiteurs fait semblant de chercher des papiers dans la poche de sa veste. Brusquement, il sort un pistolet et tire sur le gendarme mortellement touché. La citation à l’ordre de la gendarmerie décernée à l’intéressé précise qu’il s’agit « d’un excellent enquêteur qui a obtenu de très bons résultats dans les recherches judiciaires et récemment dans l’arrestation d’un dangereux malfaiteur… » Tout porte à penser que ce gendarme a été victime de son efficacité ou de son zèle contre les communistes et les gaullistes.
Le 11 mars 1944, l’adjudant R…, commandant la brigade de Saint-Pierre d’Albigny (Savoie), tombe sous les balles de deux « terroristes » à la sortie d’un bureau de tabac de sa résidence où il était allé acheter un journal. Ce gradé avait déjà reçu des menaces.
Le jeudi 20 avril 1944, des inconnus font irruption dans le bureau de la brigade de Gouarec (Bretagne) et abattent le gendarme P… La victime tenait habituellement des propos élogieux à l’endroit de l’armée allemande. Les patriotes lui reprochaient d’avoir enlevé, le 11 novembre 1943, une gerbe de fleurs déposée au pied du monument aux morts de la guerre 1914-1918. Le gendarme G…, de la brigade de Corps (Isère), menacé à plusieurs reprises par la Résistance pour son zèle tombe lui aussi sous le coup « d’adversaires qui l’ont attaqué par surprise alors qu’il était dans l’impossibilité de se défendre » souligne la citation à l’ordre de la gendarmerie que lui attribue le commandement à titre posthume.
Vers 2 h. 30, le 26 mai 1944, à proximité de la mairie de Pannissières (Loire) des inconnus abattent de plusieurs balles de pistolet le capitaine A…, commandant la section de Montbrison.(188) Dans l’arrondissement, la victime, très estimée, avait la réputation d’être particulièrement fidèle au maréchal Pétain. Pendant la campagne de France, à la tête d’un peloton, il s’était vaillamment battu dans les rangs du 45e bataillon de chars de combat de la gendarmerie. Les circonstances de sa mort provoquent une grande émotion dans le département. Pour les deux gendarmes qui l’accompagnaient au moment de l’attentat, seul le hasard a mis en présence l’officier avec ses agresseurs qui ont ouvert le feu immédiatement. D’autres témoignages accréditent l’hypothèse selon laquelle le capitaine a été exécuté en représailles de la sanglante opération de police de Montchal. Le 19 mars 1944, les forces de l’ordre - 30 gendarmes territoriaux, 1 G.M.R., 1 escadron de la garde, la Milice et la Gestapo - entreprennent une action contre le maquis F.T.P. du camp Destieux, dans le canton de Pannissières, qui se solde par la mort de deux gardes et de cinq maquisards. Parmi les cinq blessés faits prisonniers, quatre sont incarcérés à Lyon et fusillés par les Allemands. Ces derniers laissent la vie sauve au cinquième très grièvement blessé. Le capitaine A… serait à l’origine de l’intervention des forces de l’ordre. On lui impute aussi une opération en date du 22 janvier 1944. Ce jour-là, les brigades d’Olliergues, Courpière, Thiers et Noirétable renforcées de miliciens et de G.M.R. se lancent à la poursuite d’individus auteurs d’un vol de véhicule près d’Olliergues (Puy-de-Dôme). Dans la matinée, les gendarmes les retrouvent au lieu-dit Les Fanges, dans la cour d’une maison abandonnée. Des bois voisins, investis par les G.M.R., des coups de feu éclatent. Quatre maquisards trouvent la mort au lieu-dit La Raillère. Le reste du groupe décroche et se disperse.
Le 28 mai, quarante-huit heures après l’exécution du capitaine A…, à proximité du Palais de Justice, situé à côté de la gendarmerie de Montbrison, le chef G…, commandant la brigade, tombe à son tour sous les balles de tireurs non identifiés. Y a-t-il un point commun entre cette action et l’attentat contre le capitaine A… ? Pour les Résistants de la région, une lourde responsabilité incombe tant au commandant de section que de brigade dans les opérations de police meurtrières engagées dans l’arrondissement depuis le début de l’année 1944.
Les exécutions sommaires pendant l’insurrection nationale : les heures noires de l’Arme
À partir du mois de juin 1944, avec le débarquement suivi du déclenchement de l’insurrection nationale, les combats se généralisent. Les exécutions sommaires de collaborateurs s’intensifient, souvent en réponse à celles de la Milice associée aux S.S. et à la Gestapo.
Les consignes pour le soulèvement, adressées par le Comité Central des M.U.R. aux chefs de région et de service, datées du 15 octobre 1943, ne laissaient pas entrevoir une libération pacifique :
« Ce que la Résistance a préparé et qu’elle doit à elle-même et à ses martyrs est autre chose qu’un coup d’État, une révolution de palais ou un simple mouvement préfectoral.
…l’insurrection a en effet pour but :
1. De paralyser, dans toutes les hypothèses, à la fois l’appareil de défense allemand et de commandement vichyssois […]
2. De garantir l’élimination en quelques heures de tous les fonctionnaires d’autorité et leur remplacement afin de présenter aux autorités alliées un appareil administratif fonctionnant normalement et issu de la volonté de la France résistante, de sorte que celles-ci se trouveront placées devant le fait accompli.
3. De garantir en quelques heures la répression révolutionnaire de la trahison conforme aux légitimes aspirations de représailles des militants de la résistance…
Exécutions sommaires. - La question se pose de savoir s’il est souhaitable que l’insurrection triomphante soit marquée par des exécutions sans jugements.
Nous vous proposons la méthode suivante qui s’efforce de tenir compte du légitime besoin de vengeance des Français opprimés et de la nécessité d’éviter des troubles trop sanglants.
Dès maintenant, dans chaque département, on dressera une liste des traîtres les plus notoires dont l’exécution sommaire serait considérée par toute la population comme un acte de justice.
Après accord, et au jour "J", les incriminés seront immédiatement arrêtés et exécutés, mais des affiches apposées partout annonceront leur exécution sur condamnation du Comité de la Libération… »
- Creuse
Le 4 juin, en fin de journée, vers 18 h.30, les gendarmes G…, C…, et Ch…, de la brigade de Chatelus-le-Marcheix, section de Bourganeuf (Creuse), tombent dans une embuscade tendue par une bande armée à une centaine de mètres de Saint-Martin-Sainte-Catherine. Après les avoir désarmés, les maquisards enlèvent G… et C…, puis les exécutent sur-le-champ. À la Libération, on apprend que la Résistance les a tués par erreur. Le commandant de légion signale à la hiérarchie « que les parents des victimes voudraient une réhabilitation officielle » et de conclure « que pouvons-nous faire ? N’est-ce pas plutôt une question ministérielle ? ».
- Lot
Le 8 juin 1944, en fin de journée, dans le département du Lot, sur le Causse de Gabaudet, près de Gramat, une colonne motorisée du régiment « Der Führer », appartenant à la division « Das Reich », comprenant une vingtaine de véhicules, chars et chenillettes, encercle la ferme de Gabaudet et le petit village de Donnadieu. Depuis 48 heures, en provenance de tout le département, des volontaires, - on en dénombre plus de 200 - affluent en vue de leur incorporation dans le maquis du Lot. Un groupe de maquisards, installé depuis la fin mai, accueille les nouveaux arrivants, pour la plupart sans armes, parmi lesquels des jeunes gens et des gendarmes de la section de Figeac.
Aux alentours de 18 heures 30, ils s’apprêtent à prendre le repas du soir, à l’issue d’une réunion au cours de laquelle un des chefs du maquis a précisé les modalités d’installation et les règles de sécurité à observer. L’arrivée inopinée des blindés allemands les surprend. Si un groupe important de volontaires réussit à gagner les bois voisins, en revanche, un élément d’une trentaine d’hommes, pris dans la nasse, faiblement armés, ne résiste que très peu de temps à l’assaut des S.S. Des grenades incendiaires embrasent la ferme et ses dépendances alors qu’un déluge de feu, armes automatiques et obus, s’abat sur les défenseurs rapidement submergés. Le bilan de l’opération s’élève à 29 tués, parmi lesquels 4 gendarmes, 4 habitants des hameaux de Gabaudet et Donnadieu, des jeunes recrues et à une soixantaine de prisonniers, capturés au cours du ratissage du secteur qui s’achève vers deux heures du matin.
Comment les S.S. ont-ils découvert ce centre de rassemblement, situé dans une région inhospitalière, au bout de chemins inaccessibles, à l’écart des grandes routes ?
Pour l’historien Pierre Laborie, il n’y a pas de certitudes. Toutes les hypothèses sont envisageables : dénonciation, repérage par l’aviation etc.(189) Le colonel Georges, chef des maquis du Lot, impute formellement la tragédie à un gradé de la brigade de Gramat. Selon la même source, le délateur a avoué son forfait et a été exécuté :
« Descendus de leurs chars, les Allemands entreprennent un massacre méthodique. À la mitraillette ils "descendent" la fille de la ferme et plusieurs hommes qui croyaient pouvoir se rendre en soldats. Pendant ce temps d’autres incendient la ferme et mitraillent à bout portant ceux qui tentent de sortir. Quelques waffen S.S. achèvent lentement à la baïonnette des maquisards blessés. D’ailleurs tous les blessés qui ne purent fuir furent exterminés sans exception. 80 maquisards et paysans furent capturés, la plupart déportés et bien peu connurent la fin de la guerre. Le massacre donna lieu évidemment à une enquête. Nous apprîmes que l’unité allemande avait été guidée par un gendarme français. Il fut capturé et exécuté. »(190)
En 1945, Gilbert Lacan fournit quelques précisions sur l’attitude du traître :
« Bonaventure, l’adjudant-chef de gendarmerie de Gramat avait trahi : il avait renseigné exactement les Allemands sur la position de la ferme Gabaudet et sur le rôle qu’elle jouait dans la Résistance. La prise de cette ferme et son anéantissement furent décidés. Le traître Bonaventure fut saisi par le maquis quelques jours après ; il avoua son forfait disant : "Je suis Allemand. Mon vrai nom est Hoffman… J’ai servi mon pays… Il fut exécuté." »(191)
Ce gradé était en réalité d’origine alsacienne. Son épouse subit le même sort que lui. Roger Mendes, du détachement « Jean Bart » d’une compagnie F.T.P. du Lot, rapporte en 1971 que sa formation a attaqué des blindés allemands dans la région de Saint-Céré :
« La colonne allemande, poursuivant sa route, se rend alors à notre cantonnement à la ferme Gabaudet, dénoncé par un gradé de gendarmerie de Gramat, un traître odieux qui se permet de monter sur un char allemand pour mieux conduire l’ennemi sur place. »(192)
La présence sur place, à bord d’un blindé ennemi, du gradé de gendarmerie de Gramat n’est signalée par aucun autre témoin. En fait, d’après d’autres acteurs de l’événement, les maquisards auraient pu être repérés par un avion d’observation allemand qui aurait ensuite guidé les troupes au sol sur leur objectif. Le chef Sablayrolles, en poste à la brigade de Figeac, dans un rapport en date du 3 septembre 1944, relate ainsi la journée du 8 juin :
« Le 8 juin 1944, à 6 heures plusieurs F.T.P. armés de mitraillettes se sont présentés à la brigade à l’effet de nous désarmer. Après avoir désarmé le lieutenant commandant la section, l’adjudant-chef commandant le peloton n° 211 et tout le personnel du poste se sont présentés à mon domicile où j’ai subi le même sort et nous ont invité à les suivre.
« Nous sommes partis avec les F.T.P. qui nous ont dit appartenir au Comité de Libération, échappant ainsi à l’arrestation des troupes allemandes mais abandonnant à regret l’œuvre que nous avions péniblement élaborée. La ville de Figeac passait aux mains des Allemands.
« Après avoir pris tout le matériel dont nous disposions : automobiles, motocyclettes, machines à écrire etc., les F.T.P. nous ont conduit à leur poste de commandement où j’ai retrouvé les nommés Georges et Gaston. En raison de l’exiguïté du cantonnement nous avons été conduits, exception faite de notre commandant de section, des deux adjudant-chefs et du gendarme Fourat à une ferme isolée située à quinze kilomètres environ et où se trouvaient de nombreux F.T.P.. Nous étions toujours désarmés.
« Ce même jour à 18 heures ce cantonnement a été survolé par un avion allemand et attaqué une heure plus tard par une quinzaine de véhicules blindés qui après avoir amorcé une manœuvre d’encerclement de la ferme ont ouvert un feu nourri sur nous.
« Aucun plan de défense du cantonnement n’a semblé exister et le décrochage des F.T.P. a été immédiat. Tout le matériel a été abandonné. Poursuivis dans les bois par les engins blindés de 19 heures à 22 heures nous avons été soumis au feu nourri de leurs mitrailleuses et de leurs canons.
« Au prix de grosses difficultés, nous avons pu échapper à leur poursuite. Couché dans un fourré de buissons, j’ai été flairé à deux reprises par un chien policier lâché par l’équipage d’un engin blindé qui avait stoppé à 20 mètres environ du lieu où je me trouvais, mais l’emploi de cet animal n’a donné aucun résultat.
« Le cantonnement ainsi que les fermes voisines ont été incendiés et tous leurs occupants ont été tués. La fusillade crépitait de toute part et la dispersion a été telle qu’aucune action de regroupement n’a pu être amorcée… »
En 1983, René Bailly, gendarme à Sousceyrac à l’époque des faits, évoque « la trahison de Bonaventure Hoffman » corroborant ainsi le témoignage du colonel Georges.
L’ampleur de la tragédie de Gabaudet ainsi que la pression exercée sur les maquis, dans le sud du département du Lot, par les S.S., accompagnée d’exactions, de pillages, de massacres et de prises d’otages semble avoir conduit les responsables de la Résistance à agir dans l’urgence pour mettre hors d’état de nuire Bonaventure Hoffman. Son exécution rapide, sans jugement, dans les jours qui suivent sa forfaiture, trouve là, semble-t-il, une explication.
- Indre
Le 9 juin, en début de matinée, le capitaine B…, commandant la section d’Issoudun, se rend en véhicule de service, accompagné d’un gendarme, à la brigade de Saint-Christophe-en-Bazelles. Motif de son déplacement : la disparition depuis la veille de trois de ses subordonnés. Alors qu’il se trouve à l’intérieur des locaux de la brigade, un groupe d’une trentaine de maquisards cerne les bâtiments. Les inconnus actionnent la cloche de la porte d’entrée. L’officier en personne vient ouvrir. Les maquisards s’engouffrent dans le bureau. Après l’avoir désarmé, ils le somment de les accompagner. Refus de l’officier et tentative de résistance de sa part. Finalement, sous la contrainte, il sort devant les maquisards. Ces derniers lui donnent l’ordre de marcher en direction de l’église, sans discuter ni se retourner. Suivi à quelques mètres par la petite troupe très agitée, il cherche à discuter et ne cesse de se retourner. Soudain, c’est le drame. Une rafale de mitraillette crépite. Le malheureux commandant de section, touché dans le dos, s’effondre sur la chaussée. L’un des maquisards s’approche de lui et, d’un coup de pistolet dans la nuque, lui donne le coup de grâce. S’agit-il d’une action prévue à l’avance ou bien d’une initiative individuelle ? Il est d’autant plus difficile de répondre à cette interrogation lorsque l’on sait que le jour de ses obsèques, le lendemain 10 juin, le maquis lui rend les honneurs à l’issue de la cérémonie religieuse.(193) Le fait que le capitaine B…, au cours de l’année écoulée se soit signalé par des actions contre les maquisards explique probablement son destin tragique. En 1943, il a obtenu des résultats tangibles dans la lutte contre les « terroristes » comme l’atteste une lettre de félicitation élogieuse :
« À fait preuve d’une grande activité, d’énergie et de courage personnel dans la préparation et l’exécution d’une opération de police ayant abouti à la destruction d’une bande de terroristes armée et de leur repaire et à la saisie d’armements, de munitions et de documents importants. »
- Le cas du terrible gendarme V… en Aveyron
Toujours après le débarquement, dans un rapport laconique, l’autorité préfectorale relate les circonstances de la mort du gendarme V… :
« 17 juin 1944. » Au col de la Garde, à 3 kilomètres de Sévérac-le-Château, découverte du cadavre d’un gendarme de la brigade de Saint-Géniez d’Olt détaché à Sévérac-le-Château. Son corps était criblé de balles de mitraillette. Il avait été enlevé le 14 juin en gare de Sévérac-le-Château. »(194)
Aucune organisation ne revendique l’exécution. L’attitude de la victime, depuis le début de l’Occupation, telle qu’elle ressort de plusieurs témoignages de ses pairs et de membres de la Résistance, incline à penser qu’il s’agissait d’un collaborateur avéré.
Au moment des faits, quelle est sa position ? Quarante-huit heures après le débarquement, le commandement de la gendarmerie ordonne le regroupement des brigades dans les chefs-lieux de sections. Les gendarmes, en unités constituées - groupes ou pelotons - remplissent des missions statiques de surveillance. À Millau, un détachement garde le central téléphonique de la poste, un autre assure la sécurité de la sous-préfecture. Le gendarme V… participe avec un peloton à la garde de la gare de triage de Sévérac-le-Château. Le 14 juin, à l’heure du dîner, des maquisards font irruption dans la salle d’attente de la gare transformée en salle à manger. Le gendarme V… se précipite sur son fusil et tente de résister. Plus prompt, les assaillants l’immobilisent, se saisissent de lui et l’enchaînent avec les menottes de l’adjudant de Sévérac. Ils l’entraînent à l’extérieur puis l’emmènent à quelques kilomètres de l’agglomération où ils l’exécutent. Trois jours plus tard, ses obsèques se déroulent à Millau en présence des autorités locales et même de quelques Allemands de la garnison. Son commandant de section, le capitaine C… G…, lui rend publiquement un vibrant hommage.
En poste à la brigade de Millau, dans les années 1942-1943, le gendarme V… s’est montré un auxiliaire précieux du commandant de section collaborateur notoire. La Résistance le menace. Pour le protéger, mais aussi pour l’empêcher de nuire, le commandant de compagnie provoque sa mutation en Lozère, dans une brigade « déshéritée », au Pont-de-Montvert. V… se montre toujours un serviteur zélé du régime de Vichy. Son instinct de chasseur de réfractaires resurgit. Il arrête deux malheureux jeunes gens en situation irrégulière avec le S.T.O. Au cours de leur transfèrement, l’un d’eux s’évade et prend le maquis. Une fois de plus, pour le soustraire aux menaces qu’il reçoit, en décembre 1943, le commandant de Légion déplace V…, cette fois dans le sud de la Lozère, à la brigade du Collet-de-Dèze. Dans sa nouvelle résidence, il se distingue dans ses activités répressives en arrêtant, le 27 janvier 1944, quatre maquisards, dans des circonstances qui le discréditent aux yeux de la Résistance lozérienne.(195) A 1 heure du matin, le 27 janvier, Louis Veylet accompagné de trois maquisards tente de s’emparer d’un camion gazogène de la compagnie des mines du Collet-de-Dèze, stationné près de la gendarmerie. L’objectif est d’enlever des denrées alimentaires, chez un grossiste de la région, destinées à son groupe. Le bruit du véhicule que l’on met en route avec difficulté attire l’attention des gendarmes. Accompagné d’un autre sous-officier, V…, revolver au poing, se retrouve face aux quatre maquisards eux en armes également. Veylet idéaliste se refuse à employer la force, car il a la conviction que la raison et le patriotisme l’emporteront sur toute autre considération. De plus, Veylet sait que jusqu’à ce jour la brigade jouit de la considération de la Résistance. Le gendarme Tauvy, en particulier, se révèle comme un élément très sûr qui n’hésite pas à les renseigner. Mais il ignore que V…, récemment affecté, ne partage pas les mêmes sentiments. Veylet explique que les maquisards ne sont pas des bandits mais des patriotes, que le camion est nécessaire pour un transport de vivres destinés à des maquisards, qu’un bon de réquisition sera délivré. L’un des gendarmes est gêné. V… reste irréductible. Veylet pense qu’à la gendarmerie, où il se laisse conduire sans opposition, les choses ne peuvent que s’arranger. Or Tauvy ce jour-là est absent de la brigade. Les gendarmes passent les menottes aux suspects. Lorsqu’il comparait en 1945 devant la Cour de Justice de la Lozère, le gendarme qui accompagnait V… confirme l’inflexible obstination affichée par V…, son chef de patrouille, et les propos tenus par Veylet pour justifier son action. À la suite de ces arrestations, le commandement de la gendarmerie écourte le séjour dans les Cévennes du gendarme V… Celui-ci reçoit une nouvelle affectation à la brigade de Saint-Génièz-d’Olt (Aveyron). Traqué par les maquisards, il doit déménager de nuit pour leur échapper et rejoindre son nouveau poste. Du 1er au 31 mai 1944, avec une dizaine d’autres gendarmes de sa section, il effectue un déplacement pour le maintien de l’ordre à Varennes-sur-Allier. À cette occasion, il ne cesse de parler à ses camarades de collaboration et assimile à des traîtres ceux qui n’aiment pas les Allemands. Au cours du voyage du retour, ses camarades l’empêchent d’ouvrir le feu sur un groupe de maquisards qui s’affairent autour d’une voie ferrée.(196) Moins d’une semaine après, le préfet de l’Aveyron signale la découverte de son corps.
-Trahison de l’adjudant D… et vengeance de la Résistance dans l’Hérault
Les deux cas relatés ne sont pas les seuls que l’on observe dans la région administrative de Montpellier. Dans le département de l’Hérault, à Saint-Pons, le 10 juillet 1944, un élément du maquis F.T.P. de La Tourette arrête et exécute sans jugement l’adjudant D…, commandant la brigade. Ce gradé, fier de ses états de service en faveur du régime, entre autres faits sa participation à l’arrestation, le 11 novembre 1942, du général de Lattre de Tassigny, ne ralentit pas son action après le débarquement.(197) Au contraire, s’estimant mal secondé par ses subordonnés, qui lui fournissent des renseignements volontairement erronés ou négatifs sur les « terroristes » de plus en plus offensifs, il demande l’aide d’un indicateur de la Gestapo pour arriver à ses fins. Comme il présume l’existence d’un maquis important dans sa circonscription, à Espinassier, aux confins de l’Hérault et du Tarn, son intention est de localiser à tout prix le campement et d’acquérir, avant d’agir, des renseignements sur son organisation et ses habitudes. Pour mieux appréhender la situation qui va entraîner la perte de l’adjudant D…, un historique des événements s’impose. Dans les derniers jours de l’année 1943, un groupe d’une cinquantaine d’israélites, rescapés des rafles de Lacaune (Tarn), se réfugie au hameau abandonné d’Espinassier. Après le débarquement, les chefs de la Résistance appellent ce détachement à rejoindre le Pic de Nore pour renforcer, avec d’autres volontaires, le corps franc de la Montagne Noire. Le gros de l’effectif se porte à Fanfraucou. Seuls restent sur place quatre hommes, commandés par le lieutenant Raoul, chargés de réceptionner des parachutages et d’accueillir les réfractaires adressés de Toulouse par une filière « Régine ».
L’indicateur de l’adjudant infiltre le petit groupe, en se faisant passer pour un maquisard recherché, puis il s’éclipse. Le lieutenant Raoul pressent un danger et décide immédiatement d’abandonner sa position pour rejoindre Nore. Nous sommes le 15 juin 1944. L’adjudant de Saint-Pons, alerté par son informateur, signale aux Allemands la présence de l’élément du maquis à Espinassier. Deux camions de troupes se rendent sur place et investissent les lieux. Les Allemands manquent de quelques heures le petit groupe. Alors, ils s’acharnent sur les habitants des deux fermes situées près du col de Serrière. Sans résultat, ils les interrogent. Ils abattent le bétail, incendient les habitations et poussent devant eux Aimé Iché et Vallière. Persuadés qu’ils ont été trompés par les deux paysans, ils les fusillent. Peu de temps après, ils font disparaître le dernier témoin Marguerite Iché. Ils capturent enfin deux jeunes maquisards, André Houlès et Roger Goubil, arrivés la veille dans le secteur, et les abattent. Tels sont les faits qui conduisent les Résistants à faire justice. L’occasion se présente le 10 juillet. L’adjudant D… se sent traqué et décide de quitter la région. Au moment où il commence à déménager, le gendarme M…, un de ses subordonnés, prévient les maquisards de La Tourette qui se rendent sur place, l’arrêtent et l’exécutent.(198)
- Haute-Savoie
Le 13 juillet 1944, des inconnus se présentent peu avant minuit à la brigade de Reigner (Haute-Savoie) et ouvrent le feu sur l’adjudant-chef P… et le gendarme B… mortellement touchés. Quelques mois après la Libération, le tribunal de Chambéry déclare les deux gendarmes « morts pour la France ».(199)
D’après l’étude sur « La Répression de la Collaboration dans le département de la Haute-Savoie », effectuée par Pierre Mouthon, le capitaine S…, commandant la section de Saint-Julien-en-Genevoix, aurait été exécuté par le maquis après le débarquement. En réalité, l’officier a été victime d’une action de combat, le 13 juin 1944. Des maquisards placés en embuscade guettent la route que l’officier emprunte avec un petit groupe de gendarmes. Un obstacle, placé sur l’itinéraire, immobilise le détachement. Le commandant de section, sommé de se rendre, refuse. Il préfère la mort à la reddition, comme le précise la citation à titre posthume, à l’ordre de la gendarmerie, que lui décerne le commandement le 1er août 1944 :
« Officier énergique et courageux. Tombé dans une embuscade avec un détachement de six gendarmes et sommé de se rendre, a engagé immédiatement le combat avec un groupe de cinquante rebelles puissamment armés. A été mortellement blessé à son poste de combat, faisant preuve d’une haute conception du devoir et d’esprit de sacrifice. Mérite que son attitude digne des belles traditions de l’Arme soit perpétuée comme l’un des plus magnifiques exemples de l’accomplissement du devoir. »
Muté en octobre 1943 à la tête de la section de Saint-Julien-en-Genevoix, S… traque impitoyablement les maquisards. Le 23 janvier 1944, il contribue à localiser le lieutenant Simon, chef du corps franc de l’A.S., capturé par la garde dans la région de Frangy-Eloïse. Blessé au cours de l’opération ce dernier est ensuite enlevé par les Allemands à l’hôpital d’Annecy et exécuté. Un mois plus tard, le 21 février, après avoir repéré le corps franc de la 3e compagnie de F.T.P. d’Annemasse, il guide de nuit les forces du maintien de l’ordre vers l’endroit de son stationnement sur les pentes des Voirons à Verdis. Le bilan est lourd pour les F.T.P. qui comptent 7 prisonniers et perdent un F.M., cinq mitraillettes et quatre revolvers. Deux sont exécutés par la suite. Quatre autres, condamnés par la section spéciale de la cour d’appel de Chambéry, déportés. Dans la nuit du 3 au 4 avril 1944, accompagné des gendarmes de Reignier, il arrête à son domicile, à Pers-Jussy-Chevrier, une résistante Florence Valsesia. Ces initiatives expliquent pourquoi le capitaine S… écarte toute idée de reddition lorsqu’il tombe dans l’embuscade que les maquisards lui tendent le 13 juin.
- Corrèze
Un rapport, en date du 29 juillet 1944, signale l’enlèvement d’un gendarme dans la région administrative de Limoges :
« Le 28 juillet 1944, à 12 heures 30, dix hommes armés se présentent à la caserne de gendarmerie de Bort (Corrèze). Six surveillent les abords de la caserne pendant que les autres demandent à voir le gendarme L… en congé de convalescence. Ils montent au logement de L… où ce dernier se trouve. Ils lui ont dit qu’ils avaient mission de l’arrêter pour lui faire subir un interrogatoire. Sous escorte L… a quitté la caserne à 12 heures 40. Les deux voitures sont parties en direction du centre de la ville… »
Le 23 août, alors que le département de la Corrèze vient d’être libéré depuis la veille, des maquisards exécutent le gendarme L… En 1972, Louis Le Moigne et Marcel Barbanceys révèlent qu’en décembre 1943 « sur un rapport du gendarme L…, de la brigade de Bort, il (le commandant de section d’Ussel) arrête 12 jeunes du camp F.T.P. du Bosdeveix, tous sont déportés à Dachau, quatre ne reviendront pas… »(200).
Il est permis de penser que les auteurs de l’enlèvement ont voulu châtier le gendarme L… pour l’initiative qu’il a manifestée en la circonstance. Non seulement il aurait fourni des renseignements sur l’implantation de ce camp, mais il aurait aussi, au cours d’un service, tiré des coups de feu sur des réfractaires.
En 1994, le témoignage du gendarme X…, un Alsacien, qui servait en même temps que lui à la brigade de Bort, apporte de nouveaux éléments au dossier :
« Je dois vous donner, écrit-il, le climat qui régnait à Bort ainsi qu’à la brigade. Avril 1941- A mon arrivée à Bort après huit mois d’internement en Suisse le climat est bon. Je faisais partie de la Légion d’Alsace-Lorraine, brigade de Wissembourg.
1942 -Le climat devient moins bon et plus l’on avance dans le temps, plus les gens se méfient les uns des autres.
1943 -La Milice fait de plus en plus sentir sa présence et son ardeur à coopérer avec le régime de Vichy. Les ordres pour la recherche des réfractaires au S.T.O. arrivent. La brigade de Bort dépend de la section d’Ussel commandée par le lieutenant L… P… réputé pour son zèle. Aussi ses ordres sont impératifs pour la recherche en question.
Le gendarme L… se trouve être notre voisin de palier à la caserne. Dès mon arrivée, nous avons sympathisé. Devant les événements qui se précisent, d’un commun accord nous organisons un plan pour aider au maximum tous les jeunes recherchés. Et ce sont nos épouses qui, par le truchement d’un réseau discret que nous avons constitué, vont ou font prévenir les familles des jeunes afin que ces derniers partent immédiatement avant le passage des gendarmes. Presque tous rejoignent l’A.S. C’est ainsi que toutes les enquêtes de recherches s’avèrent infructueuses ce qui au bout d’un certain laps de temps apparaît comme anormal à notre commandant de section le lieutenant L… P… Un beau matin, L… et moi avons eu très peur car porteurs d’une demande de recherches d’un réfractaire, notre officier, prévenu par notre commandant de brigade, était arrivé avant nous sur les lieux. Fort heureusement, la veille au soir, cette famille avait été prévenue et le jeune recherché avait aussitôt quitté la ferme. Sous les directives de notre officier, tout a été fouillé bien sûr sans résultat. Malgré la confiance que nous avions mise dans notre réseau de transmission nous n’étions pas très rassurés, surtout pour nos épouses. Nous avons malgré tout continué, mais nous avons vécu un climat d’anxiété durant des mois à tel point que nos enfants (7 ans et 4 ans) ne dormaient plus à la caserne la nuit. Une famille sûre les accueillait chaque soir… »(201)
Le gendarme X… donne ensuite son opinion sur l’enlèvement et l’exécution de son camarade L…
« Dans les jours qui suivirent le 28 juillet, je menais discrètement une petite enquête afin de connaître ce qui avait pu déclencher cet enlèvement. À la brigade comme auprès des personnes amies des gendarmes, l’avis était que L… avait été victime de vengeances personnelles ayant eu à effectuer des enquêtes et des perquisitions chez des individus d’extrême gauche connus pour leur comportement. Ces derniers, dans la résistance, opéraient par petits groupes (au maximum 10), sans aucun contrôle, employant tous les moyens pour se procurer vivres et armes.
En conclusion L…, R… et moi-même étions les seuls à œuvrer selon les données qui précèdent, et ce à nos risques et périls… J’avais à cœur de rendre à ce camarade l’hommage qui, selon moi lui est dû pour son bon sens et son courage dans les opérations que nous avons menées ensemble… »
À la lumière de ce témoignage, l’exécution du gendarme L… ne peut qu’interpeller tous ceux qui tentent d’en comprendre les raisons. En fait, l’on apprendra par la suite le rôle déterminant joué par le lieutenant commandant la section d’Ussel dans l’arrestation des maquisards du camp du Bos-Deveix. En possession de renseignements émanant de la brigade de Bort, et non du gendarme L…, coiffée par un gradé, l’officier met sur pied dans la région de Saint-Etienne-Aux-Clos, l’opération de police qui va entraîner leur perte.
- D’autres cas de zèle aveugle
Dans la 8e légion, au cours de la première quinzaine de juin 1944, les C.B. de Digouin et d’Issy l’Évêque tombent sous les balles de « justiciers ». Celui de Paray le Monial est épargné mais « épuré » à la Libération.
Le 13 août 1944, des membres du maquis Tarzan abattent le lieutenant-colonel B…, commandant la compagnie de la Côte-d’Or à Dijon. À la tête de ses subordonnés, au cours de plusieurs opérations de police organisées dans le courant du premier semestre de l’année 1944, l’officier porte de rudes coups à la Résistance. Agit-il par aveuglement, fanatisme, zèle, devoir d’état ? La citation que ses chefs lui décernent à l’ordre de l’inspection générale souligne seulement son professionnalisme et son courage :
« Exploitant les renseignements donnés par un de ses subordonnés, a monté dans le minimum de temps une opération qui a abouti à la capture de trois malfaiteurs particulièrement dangereux. Au cours de l’opération, a donné à son personnel un bel exemple de courage et de sang-froid en pénétrant l’un des premiers dans le repaire des bandits et en intervenant personnellement pour provoquer la reddition de l’un d’eux qui tenait une grenade amorcée à la main. »
Selon le témoignage de résistants, malgré les avertissements qui lui parvenaient depuis le début de l’année 1944, il se refusait à changer d’attitude. Dans l’Ardèche, le 14 août 1944, des F.T.P. exécutent au camp d’Antraigues l’adjudant Mercier. D’après Henri Amouroux, on lui reprochait « d’avoir été gendarme dans une région où pour certains, il s’agissait de faire basculer le pouvoir en place en éliminant ceux qui détenaient encore une part d’autorité ». Quelques mois auparavant, à Lamastre, le 31 mai, l’adjudant Eugène Romanet a subi le même sort. Dans cette région, les F.T.P. éliminent tout ce qui peut les gêner. Toutes ces exécutions revêtent manifestement un contenu social et politique.
Entre le 1er juin et la fin du mois d’août 1944, en Charente, dans le Confolentais, on recense, parmi les victimes de l’épuration sauvage, imputables au maquis B…, trois militaires de la gendarmerie. Le 1er juin, le service de sécurité et de renseignement du maquis B… passe par les armes l’adjudant Pierre, Léon, C… Son exécution est suivie le 11 août par celles de l’adjudant Aloyse F… et du maréchal des logis-chef Pierre M…
À Montpellier-de-Médaillon (Charente-Maritime), le 25 septembre 1944, les F.T.P. de la compagnie 2406, commandée par le lieutenant M…, exécutent le M.D.L. Chef F…, commandant la brigade de Gémozac, accusé de collaboration. D’après le colonel commandant la 9e légion (Poitiers) « l’enquête effectuée a démontré que ce gradé avait commis une faute professionnelle grave. »(202) Quelques années plus tard, un témoin rapporte que ce gradé « aurait été tué par vengeance et que ses assassins auraient bénéficié de puissantes protections ».
Toujours pendant la période de l’insurrection nationale, des chefs de maquis prennent l’initiative d’instituer des tribunaux d’urgence, conseils de guerre, cours martiales, présidés en règle générale par un officier. Les individus traduits devant ces juridictions répondent le plus souvent de l’inculpation de collaboration ou de pillage sous couvert de la Résistance. L’exécution du jugement, par fusillade, suit immédiatement la sentence. Parmi les victimes, on compte quelques personnels de la gendarmerie. Après jugement du tribunal des maquis du Lot, siégeant au château de Gluges, commune de Montvalent (Lot), le maquis fusille le 31 juillet 1944 les gendarmes C… et L… À la Libération, aucun élément - témoignage ou pièces d’archives - ne permet de déterminer le motif de ces exécutions. Au contraire, les divers témoins entendus par la commission d’enquête de leur légion d’affectation sont unanimes à déclarer que les intéressés n’ont pas eu d’attitude défavorable à la Résistance.
Les excès postérieurs à la Libération : l’épuration sauvage
La Libération et le rétablissement de la légalité républicaine ne mettent pas un terme aux exécutions sommaires. La crainte exprimée par Maurice Schumann à Radio-Londres, le 23 décembre 1943, de voir s’instaurer une justice populaire n’était pas dénuée de fondement. Parlant au nom du général de Gaulle, il en appelait à la stricte application de la loi :
« Sur la haine, même la plus légitime, sur la vengeance, même la plus justifiable, nul n’a jamais rien fondé de durable. Et si l’ennemi vaincu parvenait à nous faire oublier ou méconnaître les principes mêmes au nom desquels nous lui avons tenu tête, même et surtout quand sa force semblait irrésistible, alors il aurait remporté contre nous la victoire morale, qui seule compte en définitive…
Non ! la fureur française, du fait même qu’elle est française, n’est pas une fureur aveugle. Elle est juste quand elle maudit, juste quand elle attaque, juste quand elle détruit… Et juste aussi quand elle châtie ! »
À la suite de quatre ans de terreur, motivés par les crimes de la Gestapo, de la Milice et de la répression orchestrée par le régime du Maréchal Pétain, une fureur vengeresse s’empare de certains éléments, ce dictée par des raisons idéologiques ou passionnelles. Parmi les victimes de tous ces débordements, on trouve des officiers et sous-officiers de gendarmerie.
- Quelques exemples de justice expéditive
En Gironde, le 28 août 1944, après l’évacuation de Bordeaux par les troupes d’occupation, les F.T.P arrêtent le gendarme D… dont la famille n’aura jamais plus de nouvelles. Dans le département des Basses-Alpes, au cours de la deuxième quinzaine du mois d’août 1944, des inconnus enlèvent un gendarme d’origine alsacienne de la brigade de Dignes. On retrouve son cadavre le 28, dans un ravin entre Dignes et Thoard.(203) Détaché en qualité d’interprète à la Feldkommandantur de Dignes, il avait servi d’intermédiaire entre des résistants et la Gestapo de Digne pour obtenir la libération de trois membres du S.O.E. arrêtés le l2 août 1944 dans le département des Hautes-Alpes.
Le 9 septembre 1944, après un simulacre de jugement, un élément des F.T.P. fusille le capitaine D…, commandant l’escadron de la garde de Montpellier. En service à Tulle avec son escadron le 8 juin, il se sait menacé par les F.T.P. qui lui reprochent l’arrestation, dans la soirée du 14 octobre 1943, de l’un des leurs dans la région de Lapleau, au village de Vergne. Ce jour-là, l’intervention de l’escadron tourne mal. L’individu appréhendé est grièvement blessé alors qu’il tente d’échapper aux forces de l’ordre. Le fuyard, touché à la poitrine, réussit à se traîner dans la nuit jusqu’à l’orée d’un bois où une patrouille de l’escadron le découvre au lever du jour. Le 15 au matin, au cours de son transfèrement à Tulle, il est à nouveau blessé dans une embuscade tendue par les F.T.P. en vue de le libérer. Trois gardes de l’escadron 4/3 trouvent également la mort lors de l’accrochage. Deux jours plus tard, il meurt à l’hôpital de Tulle après une lente agonie. Au moment de ses obsèques, à Lafage, ses compagnons dissimulés aux abords du cimetière font le serment de le venger. Le 8 juin 1944, dans Tulle occupé par les F.T.P, pour échapper à l’arrestation, l’officier revêt la tenue de treillis d’un garde et prend place pour gagner Brive sur la cuisine roulante.(204) Son stratagème échoue. À peine arrivé à Brive les F.T.P. l’arrêtent et le ramènent à Tulle. En vain, le capitaine F…, un de ses camarades, proche des résistants, essaye de le défendre. Il se heurte à l’intransigeance des F.T.P. Après la Libération, la commission d’enquête de la gendarmerie de la légion de Limoges recueille des éléments nouveaux sur l’attitude du capitaine D… pendant l’Occupation. Non seulement pendant les événements de Tulle en juin 1944 mais auparavant, dès le mois de mai 1944, il a été en relation avec la Résistance lui offrant même ses services. La promulgation de l’ordonnance n° 45 2717, le 2 novembre 1945, fixant les conditions dans lesquelles la mention « Mort pour la France » peut être attribuée aux personnes victimes d’actes de violence, soupçonnées à tort d’avoir collaboré avec l’ennemi, ouvre la voie à une réhabilitation du capitaine D… Le 16 mars 1948, le cabinet du ministre de la Défense nationale reconnaît que la mort de l’officier n’est pas la conséquence d’une activité antinationale et qu’au contraire l’intéressé a noué des contacts avec la Résistance. Le 29 mars 1952, René Pléven, ministre de la Défense Nationale, demande au ministre des Anciens Combattants et Victimes de Guerre qu’il soit déclaré « Mort pour la France ». Au terme des démarches ainsi engagées depuis 1948, et après enquête, le ministère concerné considère que le décès du capitaine D… est survenu dans les conditions fixées par l’ordonnance de novembre 1945. Aussi, la mention « Mort pour la France » doit-elle figurer sur son acte de décès.
En Bretagne, le 18 août 1944, l’adjudant Pierre Allanic, commandant les brigades motorisées de Brest, trouve une mort atroce dans la commune de Callac.(205) Le 17, son commandant de section lui accorde une permission de deux jours pour se rendre dans sa famille repliée à Lohuec (Côtes du Nord). Ne le voyant pas rentrer à l’issue de sa permission, le capitaine Belloc envoie un motocycliste pour se renseigner à son sujet. Ce dernier apprend que l’adjudant a été arrêté par un groupe de F.T.P. dans la région de Callac. Le chef de ce groupe reprochait à l’adjudant de l’avoir transféré en 1939 lorsque Daladier faisait emprisonner les dirigeants communistes à la suite de l’accord Hitler-Staline. Le gradé longuement torturé a été jeté nu dans une auge à cochons devant laquelle les habitants ont dû défiler pour l’injurier et le couvrir de crachats. Transporté au château de Kerauroux en Ploujean, près de Morlaix, il y est enfermé avec un agent de police nommé Tervier. À l’annonce de cette nouvelle, le commandant de section se rend au château à moto et rencontre le chef de groupe très arrogant qui finit par reconnaître qu’Allanic qui « semblait vouloir s’évader » avait été abattu à la mitraillette au bord de sa tombe qu’il avait dû creuser lui-même. Le capitaine retrouve effectivement dans le parc du château le tumulus de terre fraîche. Sur le chemin du retour, il alerte la brigade locale pour qu’elle effectue les constatations d’usage. Deux jours après, le capitaine Belloc vient à Lohuec avec une section de F.F.I. en armes, un drapeau et un clairon. Il fait rassembler la population pour assister à l’inhumation de l’adjudant avec les honneurs militaires D’après les gendarmes ayant servi sous ses ordres, Pierre Allanic jouissait de la considération générale. L’un d’entre eux, Jean François Derrien, un résistant, membre du groupe « Jade Fitzroy » qui a participé à la tête d’un bataillon des F.F.I. à la libération du canton de Lannilis, du Conquet et de Brest écrit à son sujet :
« Pendant sept mois, (du 10 septembre 1941 à mars 1942) je suis donc sous les ordres du chef Allanic, et j’ai le temps de l’apprécier. Cet homme d’une droiture exceptionnelle, déteste profondément l’occupant. Pour moi, il est comme un père. J’effectue souvent des visites de communes avec lui et nos vues sur les Allemands s’accordent parfaitement… »(206)
Le témoignage d’un autre gendarme, Ferdinand Herlédan, confirme qu’Allanic n’était pas un collaborateur. Pour lui, ce gradé a été victime d’un meurtre. Une vengeance personnelle en serait à l’origine. Le capitaine Belloc, quelques années plus tard, obtient la réhabilitation de l’adjudant Allanic dont le nom est inscrit sur le monument aux morts.
Le 21 septembre 1944, des maquisards non identifiés enlèvent et abattent le capitaine T…, commandant la section de Vichy. On retrouve son corps près de Cusset. Le commissaire du Gouvernement à Moulins, dans un rapport adressé à l’inspection générale de la magistrature, évoquant la libération de Vichy, signale cet assassinat perpétré d’après ses indications le 26 août :
« Le vendredi soir 25 août 1944, une importante unité allemande stationna à Vichy et y établit un strict couvre-feu. Mais le lendemain matin, il ne restait plus un seul Allemand. Au lever du jour on constatait aux abords de leur cantonnement le désordre et la déroute. On retrouvait, abandonnés, véhicules, tissus, denrées alimentaires. Il restait même les cadavres de quatre soldats allemands, morts vraisemblablement au cours d’engagements avant d’arriver à Vichy.
« Vers la fin de la matinée, les premiers brassards F.F.I. commencèrent à apparaître cependant que la population pavoisait. Dans l’après-midi, la po- lice procéda à des arrestations. Je puis affirmer que les actes de violence ont été presque inexistants, sauf que le capitaine de gendarmerie a été enlevé et retrouvé assassiné près de Cusset… »
Les avis des proches du capitaine T…, sur le ou les motifs de son élimination, divergent. Pour les uns, il s’agit d’un règlement de compte. Pour les autres, sa compromission avec l’occupant n’y serait pas étrangère.
Le 5 octobre 1944, on découvre dans le département de l’Yonne le corps du chef d’escadron Fidelaire, transfuge de la gendarmerie, qui a rejoint la Milice courant 1943. Après avoir effectué un stage à l’école des cadres d’Uriage, il assure la formation des miliciens du Chablais puis il prend le commandement d’une Cohorte. Quelques personnels évitent le pire. Le capitaine L…, commandant la section de Dax (Landes), échappe de peu au lynchage. Après la libération de la ville, la population en liesse se répand dans les rues. En arrivant devant la caserne de gendarmerie elle réclame le capitaine. Impatients, les manifestants font sauter la porte d’entrée. Pour éviter l’investissement des lieux, les gendarmes négocient avec les chefs des F.F.I… Le capitaine L… donne sa parole d’honneur qu’il ne se sauvera pas. Son arrestation intervient le lendemain. Ses propres gendarmes le conduisent à la prison. Condamné ultérieurement par un tribunal militaire, il est révoqué par décret du 27 août 1945.(207)
- Gendarmes justicialistes
Des exécutions, en dehors de toute justice légale, se poursuivent en 1945. À la fin du mois de février, l’affaire de Campeau défraye la chronique dans le Dauphiné. Des gendarmes justicialistes abattent un des leurs suspecté de complicité dans l’évasion d’un milicien. Leur acte ne manque pas de surprendre. Arrêté au moment de la Libération et incarcéré à la prison de Grenoble, l’ancien chef de la Milice de Voiron s’en évade le 26 janvier 1945. À Lyon, deux semaines plus tard, le 13 février, la police l’interpelle. La Cour de Justice le condamne à mort le 26. De l’enquête diligentée après son évasion, il apparaît que le milicien aurait bénéficié de l’aide du gendarme O… en échange d’une somme de 200 000 francs. Les aveux du sous-officier accréditent les éléments rassemblés par les policiers. Munis de pièces parfaitement en règle, quatre officiers de gendarmerie, le lieutenant-colonel A…, les capitaines D… et P…, le lieutenant L… se présentent au poste de police où le gendarme vient d’être interrogé. De là, ils le conduisent dans un terrain proche du Sablon où ils l’exécutent. Dans certains milieux de la Résistance on se réjouit car « la gendarmerie avait sauvé son honneur… » Le ministre des armées ne partage pas ce point de vue. L’enquête suit son cours et s’achève par l’arrestation des coupables immédiatement transférés à la prison du Cherche-Midi en vue de leur comparution ultérieure devant le tribunal militaire de Paris. Au cours du procès, qui débute le 9 juin, on apprend que le gendarme abattu n’a jamais reçu de Campeau la somme de 200 000 francs. À Grenoble, pendant les débats, les soutiens se multiplient en faveur des inculpés. Le comité de Libération de l’Isère, relayé par les anciens du maquis du Grésivaudan, dénonce la procédure ouverte contre le lieutenant-colonel A… et ses officiers. Le préfet de l’Isère et Yves Farges, commissaire de la République, jettent dans la balance le poids de leur autorité en tenant des propos approbateurs à leur égard. Le mouvement de sympathie s’amplifie avec l’organisation à Grenoble d’un grand meeting pour demander leur libération. Le tribunal prononce néanmoins deux condamnations, il est vrai relativement modérées : trois ans de prison pour le lieutenant-colonel A… l’instigateur de l’exécution, et deux ans de la même peine au capitaine D… Le tribunal acquitte le capitaine P… et le lieutenant L… Les partisans des officiers condamnés crient au scandale. La commission des Finances de l’assemblée consultative, en signe de protestation, ampute le budget de la justice militaire d’une somme de 200 000 francs, montant du bakchich imputé au gendarme O… La justice reste inflexible en rejetant le pourvoi en Cassation présenté par la défense. Cependant, les deux condamnés ne purgent pas leur peine. Le 14 juillet 1945, leur nom figure sur la liste des grâces accordées à l’occasion de la fête nationale. Grenoble réserve un accueil enthousiaste au lieutenant-colonel A… libéré. La presse reproduit la photo du héros. Sa réintégration dans la gendarmerie s’accompagne, le 1er janvier 1948, d’une promotion au grade de colonel.(208) Le capitaine D…, nommé chef d’escadron le 1er avril 1949 et son homologue, le capitaine P…, reprennent eux aussi le service.
Conséquences des exécutions sommaires et recherche des coupables
À la suite de ces morts violentes, le commandement, en règle générale, sauf après le débarquement, entreprend des opérations, avec des moyens importants, pour rechercher les coupables. Ces actions se prolongent systématiquement par l’ouverture d’une enquête judiciaire diligentée par les gendarmes eux-mêmes, relayés parfois par les services régionaux de police de sûreté (police judiciaire). Rarement, les investigations effectuées s’accompagnent de résultats positifs.
L’issue d’une enquête effectuée en fin d’année1943, à la suite de la découverte à Saint-Jean de Tholomé (Haute-Savoie) du cadavre du garde D…, tué par arme à feu, à côté duquel se trouvait un panneau portant la mention « police du maquis » met en évidence la complexité des faits constatés. La brigade de Saint-Jeoire, après quatre jours d’enquête, arrête cinq individus parmi lesquels se trouve l’auteur des coups de feu mortels. L’intéressé reconnaît avoir tué le garde pour assouvir une vengeance et maquillé son crime afin qu’on l’attribue à la Résistance.
Les obsèques des victimes rassemblent toujours une affluence imposante, rehaussées par la présence des autorités locales, départementales et souvent régionales. Au cours des allocutions qu’ils prononcent, les chefs hiérarchiques comme les représentants du Gouvernement, magnifient le sacrifice des disparus, dénoncent les « fauteurs de trouble » et appellent les personnels à poursuivre avec conviction leurs missions pour rétablir la sécurité. L’État français, en conférant à titre posthume des décorations, Légion d’honneur ou médaille Militaire, conforte les gendarmes dans l’action.
À l’égard des militaires de l’Arme éliminés brutalement et délibérément la communauté que constituent les familles, les camarades et les chefs manifeste solidarité et esprit de corps. Elle ressent douloureusement tous les drames qui se produisent.
Après la période des luttes fratricides de l’Occupation et des jours confus de la Libération, les passions apaisées, on peut se demander, en admettant que les victimes aient échappé à leur destin, quel jugement la justice aurait prononcé à leur encontre au regard des charges établies contre elles.
Contrairement au département de la Justice qui, jusqu’en 1998, a inscrit sans discrimination sur son annuaire, avec la mention « Mort pour la France » le nom des magistrats tombés dans l’exercice de leurs fonctions pendant l’Occupation, qu’ils aient été tués par les Allemands ou la Résistance, la gendarmerie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale n’a pas ouvert les pages de son « Livre d’Or » à certains de ses enfants « perdus » victimes d’exécutions sommaires alors que rien ne permet de leur imputer des actes de collaboration. Peut-être la crainte qu’ils ne fassent ombrage à son image explique-t-elle cela.
CHAPITRE IX
LA JUSTICE OFFICIELLE
L’épuration judiciaire : principes, juridictions
Avant la Libération, la question se pose de savoir comment on va sanctionner les actes taxés de collaboration, car il n’y a pas de lois spécifiques qui les répriment. Le respect de la règle de non-rétroactivité des lois selon laquelle un accusé ne peut être condamné en vertu d’un texte promulgué postérieurement à l’infraction commise « Nullen crimen sine lege nulla poena sine lege » (Sans loi préalable il n’y a ni crime ni peine applicable) conduit le Commissariat à la justice du Gouvernement provisoire, placé sous la direction de François de Menthon, chargé de mettre au point l’épuration judiciaire, à fonder la répression sur des textes en vigueur. Son choix se porte sur les décrets-lois du 29 juillet 1939, dus au Gouvernement Daladier, pris quelques semaines avant la déclaration de guerre et inscrits dans les articles 75 à 83 du Code pénal. Ces dispositions forment un ensemble très complet qui va servir de base à la répression de tous les actes antinationaux : crime de trahison, crime d’espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l’État, atteinte à l’intégrité du territoire national, intelligence de nature à nuire à la France, atteinte au secret de la défense nationale, délits d’actes nuisibles à la défense nationale, dénonciations. Ainsi, l’article 83 utilisé pour réprimer le communisme après le pacte germano-soviétique sera visé, sans qu’il soit besoin d’édicter une nouvelle loi, pour punir les actes nuisibles à la défense nationale tel que le fait de livrer des Résistants à l’ennemi ou de dénoncer des patriotes. D’une application simple et assez restreinte, plusieurs articles ne soulèvent aucune difficulté et laissent au juge un large pouvoir d’appréciation. D’autres sont d’interprétation plus délicate.
À ces incriminations, les juristes du G.P.R.F. ajoutent un nouvel état délictueux - l’indignité nationale - puni de la dégradation nationale autrement dit de la simple privation des droits civiques.
L’ordonnance du 26 juin 1944, complétée par celle du 28 novembre, s’appuie sur ces principes pour punir les faits de collaboration commis entre le 16 juin 1940 et la date de la Libération. Pour les juger, elle institue, dans le ressort de chaque cour d’appel, une juridiction spécialisée, la Cour de Justice, qui comprend autant de sections qu’il y a de départements. Il s’agit d’un véritable tribunal populaire dont l’organisation se rapproche de celle des cours d’assises. Cinq membres le composent. À sa tête, un président, magistrat des cours et tribunaux. Un commissaire du Gouvernement, souvent choisi hors de la hiérarchie établie, remplit les fonctions de ministère public et soutient l’accusation. C’est lui qui prend la décision d’entamer ou non des poursuites. La sélection des jurés, au nombre de 40 par département, incombe à des citoyens désignés par les C.D.L., de préférence parmi ceux dont le patriotisme ne peut être mis en doute. La plupart proviennent de la Résistance. Quatre d’entre eux, tirés au sort, alors qu’ils sont douze en cour d’assise, participent aux sessions.
Des chambres civiques, adjointes aux cours de justice, ont pour tâche de juger les collaborateurs dont les actes supposés moins graves ne relèvent que de l’indignité nationale. Leur création permet en même temps de désencombrer les cours particulièrement chargées.
Pour châtier les coupables, les juges disposent de la gamme très large des condamnations habituelles : peine de mort, travaux forcés à perpétuité ou à temps, peines d’emprisonnement, peines d’amende.
Les premières cours de justice fonctionnent dès le mois de septembre
1944. Leur mise en place, sur l’ensemble du territoire, s’achève à la fin octobre. Avant leur installation, l’ordonnance du 26 juin donne compétence, selon les règles normales de procédure, aux juridictions militaires ou de droit commun, étant entendu que leur dessaisissement de plein droit, au profit de la Cour de Justice, a lieu dès que celle-ci fonctionne.
Pour mettre un terme à la justice sommaire à laquelle se livrent des épurateurs surexcités et canaliser les débordements, les commissaires régionaux de la République, auxquels le Gouvernement provisoire a délégué temporairement l’exercice de ses pouvoirs judiciaires, mettent sur pied des tribunaux d’urgence, les cours martiales, destinés à juger le plus rapidement possible les traîtres notoires, miliciens et membres de la Gestapo, dont les activités présentent un danger immédiat pour la sécurité publique.
Ces juridictions, distinctes des cours martiales clandestines d’avant la Libération, surgissent dans les territoires libérés à partir de la fin août 1944. Analogues aux tribunaux de l’armée de temps de guerre, tant dans leur fonctionnement que dans leur composition, elles appliquent les règles du Code de justice militaire. Leur existence, relativement brève, ne se prolonge pas au-delà de la mi-octobre. Les vives critiques émises à leur endroit tiennent à plusieurs causes : sévérité des verdicts qu’elles prononcent, caractère hâtif des jugements, conditions particulières de leur mise sur pied, caractère sommaire de l’instruction, le fait qu’elles échappent au contrôle du pouvoir central, enfin l’atmosphère houleuse des procès. Pourtant, leur création marque une étape, sinon un retour, vers une justice normale. Par la suite, des tribunaux militaires classiques prennent leur relais.
Répression des faits de collaboration imputés à des gendarmes
Lorsqu’arrive le moment des juges, dès le mois de septembre 1944, les gendarmes accusés de faits de collaboration dans l’exercice de leurs fonctions doivent rendre des comptes. À l’intérieur de l’Arme, nombre d’officiers estiment que les personnels incriminés sont justiciables des tribunaux des forces armées, en raison du statut militaire qui les régit. D’où des interrogations lorsque leur parviennent des parquets des cours de justice des enquêtes à effectuer concernant leurs subordonnés. À un commandant de compagnie qui le saisit à ce sujet, fin novembre 1944, un commissaire du Gouvernement apporte les précisions suivantes :
« J’ai l’honneur de vous faire connaître, en réponse à votre lettre du 30 novembre dernier relative à une enquête à effectuer sur l’adjudant X…, de la brigade de Z… qu’il résulte des dispositions de l’ordonnance du 26 juin 1944 et émanant des ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Guerre que : "les cours de justice sont compétentes à l’égard de toute personne, militaire ou civile et quels que soient les faits reprochés pour toute infraction pénale quelle qu’elle soit, lorsque cette infraction a été commise entre le 16 juin 1940 et la date de la libération du département et qu’elle révèle l’intention de son auteur de favoriser les entreprises de l’ennemi. Aucune exception n’est admise à partir du jour où la Cour de Justice fonctionne normalement." Dans ces conditions, il semble bien que les officiers et sous-officiers de gendarmerie sont justiciables de la Cour de Justice lorsqu’un fait de collaboration peut leur être imputé.
En l’espèce l’adjudant X… est donc justiciable au point de vue pénal de la Cour de Justice si le fait de collaboration qui lui est imputé est établi. »(209)
Pour lever les hésitations qui se manifestent encore en fin d’année
1944, la sous-direction du personnel diffuse un message signé du lieutenant-colonel Colonna d’Istria qui rappelle les dispositions de l’ordonnance du 26 juin 1944 :
« Cour de Justice est compétente à l’égard de toute personne militaire ou civile et quels que soient les faits reprochés pour toute infraction pénale quelle qu’elle soit, y compris les faits qui seraient normalement de la compétence des tribunaux militaires tels que l’espionnage lorsque cette infraction a été commise entre le 17 juin 1940 et la date de libération du département et qu’elle révèle l’intention de son auteur de favoriser les entreprises de l’ennemi. »
L’évocation de procès intentés à des personnels de la gendarmerie nous éclaire sur les actes dont ils ont rendu compte, leur ligne de défense, l’attitude prise par la hiérarchie, les sanctions prononcées et permet de dégager quelques constantes.
Les juridictions d’urgence
- Cour martiale de la Dordogne
D’après les recoupements effectués, on peut estimer au minimum à une quinzaine le nombre de militaires de la gendarmerie traduits devant des cours martiales. Dans l’une des plus actives, celle de la Dordogne, sur 172 personnes jugées, on ne compte qu’un gendarme. Après la libération du département le 25 août 1944, le colonel Rivier, commandant la région F.F.I. R5, crée le 3 septembre une cour martiale à Périgueux. Le jeudi 7, elle commence à siéger dans la grande salle des Assises du Palais de Justice sous la présidence d’un commandant F.T.P.. Un militaire de la brigade, l’adjudant F…, arrêté le 21 août et détenu au camp de Mauzac, comparaît le 13 septembre sous le chef d’inculpation suivant :
« En temps de guerre, par des actes non approuvés par le Gouvernement, a exposé des Français à subir des représailles. »
Le dossier d’accusation est mince et ne fait ressortir aucune conséquence de son action. Ses chefs hiérarchiques, le chef d’escadron G… et le lieutenant B… le défendent en évoquant une dénonciation, par jalousie d’un de ses subordonnés, le gendarme B… sanctionné le 18 mars 1943 pour avoir offert deux bouteilles de vin mousseux à trois militaires anglais détenus à la brigade de Périgueux.
La cour le condamne à cinq ans de prison et à la confiscation de ses biens. Son défenseur demande la révision de la peine et obtient que le tribunal militaire de Périgueux réexamine son dossier.
- Cour martiale du Cantal
Le mercredi 13 septembre 1944, à 9 heures, le 4e tribunal militaire de la 13e région, constitué en cour martiale, créé par arrêté du 2 septembre du commissaire régional de la République de Clermont-Ferrand, Henri Ingrand, s’installe solennellement dans la salle d’audience du tribunal civil du Palais de Justice.(210) Dans le prétoire, sous les ordres d’un adjudant, un peloton de gendarmes, baïonnette au canon, présente les armes. Le commandant Christian, chef militaire de la zone 11, préside, assisté de quatre officiers. Le capitaine Dennery occupe le siège du ministère public, composé du lieutenant Hugot substitut et du commissaire rapporteur Le Mapian. Au banc des avocats a pris place le barreau d’Aurillac avec à sa tête le bâtonnier, Maître Dulac. L’audience ouverte par le président, le commissaire du Gouvernement requiert la lecture de l’arrêté du commissaire de la République instituant le tribunal militaire spécialisé et celles des arrêtés et nominations des juges. Le commissaire du Gouvernement donne ensuite lecture du serment que prêtent tour à tour le président et les quatre juges :
« Je jure de bien et fidèlement remplir ma mission, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. ». Au cours de la journée du 13, le tribunal juge quatre affaires. Il acquitte un des inculpés et condamne respectivement les trois autres à 10 ans de travaux forcés, aux travaux forcés à perpétuité et à la peine de mort.
Le jeudi 14, s’ouvre le procès du chef d’escadron L…, commandant la compagnie d’Aurillac, inculpé « d’intelligence avec l’ennemi dans le but de favoriser ses entreprises, d’actes de nature à nuire à la sécurité nationale et enfin de collaboration militaire ». Maître Dulac assure sa défense.
Pour situer la position de l’officier, rappelons que le lendemain de la libération d’Aurillac, le 11 août 1944, les F.F.I. l’arrêtent et sur ordre des autorités le consignent à la caserne. Si l’on se réfère au registre d’écrou de la maison d’arrêt, la décision de l’incarcérer n’est prise que le 12 septembre, soit quarante-huit heures avant sa comparution devant la cour martiale. Avant sa mutation à Aurillac le 1er juillet 1941, le commandant L…, sert à la 16e légion de gendarmerie où il est promu chef d’escadron le 25 mars 1941. Ses états de service révèlent un beau passé militaire. Blessé en 1915 pendant la Première Guerre mondiale, il termine la campagne avec la Croix de guerre, deux fois cité, d’abord à l’ordre du corps d’armée puis de la division… À cette décoration s’ajoute en 1929 la croix de Chevalier de la Légion d’honneur.
Le président du tribunal procède pendant plus d’une heure à l’interrogatoire de l’inculpé. Puis, il appelle à la barre les témoins de l’accusation, parmi lesquels figurent les plus hauts fonctionnaires de la préfecture, les téléphonistes de la table d’écoute et un membre de la Résistance « introduit » dans la Milice. Le principal témoin à décharge cité par la défense est l’ancien chef de la légion des combattants. On note l’absence des chefs hiérarchiques en particulier celle du lieutenant-colonel R…, son chef de corps.
L’accusation ne retient pas moins de sept griefs contre l’officier :
- À la suite de l’évasion d’un détenu de la maison d’arrêt d’Aurillac, le commandant L… arrive sur les lieux, dix minutes après, accompagné du colonel Borgman, chef de l’état-major de liaison, et donne au gardien chef l’ordre de dénoncer le complice de cette évasion.
- Dans l’après-midi du 16 juin 1944, le commandant L… exploite un renseignement parvenu à sa connaissance. A la tête d’un escadron de la garde mis sa disposition, accompagné par la Feldgendarmerie, il dirige une opération contre le maquis de Marmanhac, dans la région d’Aurillac, aux confins du Lot et du Cantal. Les assaillants se heurtent à une dizaine de F.T.P. qui perdent trois hommes, un tué et deux blessés faits prisonniers. Vers 18 heures, les Allemands reviennent en force, surprennent le poste de garde, établi à Saint-Cirgues-de-Jordanne. Après avoir abattu une sentinelle, ils se rendent dans la nuit à Saint-Julien-de-Jordanne où ils tuent trois F.F.I., dont le gendarme Louis Lagrange.
- Dans un rapport, le commandant de compagnie demande la comparution devant un Tribunal du maintien de l’ordre des gendarmes déserteurs passés au maquis. En outre, d’après un document en possession du service de renseignements des M.U.R., obtenu à la suite de l’interception de son courrier et d’une écoute téléphonique, il remet aux Allemands la liste des déserteurs à fusiller. Le relevé d’une communication indique que « L… a téléphoné fin juin 1944 à Lahaye en lui disant qu’il venait de remettre à Borgmann la liste des gendarmes passés au maquis et qui méritaient d’être fusillés ».
- Il donne à ses subordonnés des ordres pour qu’ils agissent vigoureusement contre les réfractaires et les « terroristes ».
- On l’accuse encore d’avoir provoqué la venue à Aurillac, le 4 juin 1944, d’un détachement de la division SS « Das Reich » comprenant 26 automitrailleuses et 200 SS. Un de ses subordonnés, qui n’a pas déposé devant la cour martiale, rapporte plus tard que le chef d’escadron L…, observant avec lui depuis le bureau de la gendarmerie l’unité SS arrivée sur la place d’Aurillac s’était tourné vers les gendarmes présents et leur avait dit : « C’est moi qui ai demandé leur venue ». Selon une autre version, le passage à Aurillac d’un élément de la division « Das Reich » est consécutif à une demande présentée par Lahaye à l’état-major de liaison d’Aurillac.
- Par téléphone, il déclare au préfet vouloir faire fusiller les fonctionnaires des Ponts-et-Chaussées, et particulièrement l’un d’eux, parce qu’une réquisition de transport n’a pas été satisfaite à la date prévue. Il profère ces menaces en présence du milicien Lahaye qui les rapporte le soir même aux Allemands.
- Il propose aux Allemands d’arrêter le pharmacien N… alors que ces derniers et la Milice ne voulaient qu’interpeller trois médecins.
Les débats établissent, sans que personne ne le conteste, les relations suivies et cordiales du commandant L… avec le colonel Borgman, commandant l’état-major de liaison et la Feldgendarmerie d’Aurillac, rapprochement favorisé sans aucun doute par la parfaite connaissance de la langue allemande de l’accusé. La rumeur rapporte à l’époque qu’au moment de la retraite des Allemands, le colonel Borgman lui propose de partir avec eux. Au grand jour, il entretient des rapports non moins étroits avec le chef milicien Lahaye qui le tient au courant comme un confident et lui apporte son aide. Début juillet 1944, Lahaye, de connivence avec le commandant L…, propose par écrit à ses chefs de destituer le préfet du Cantal, M. Maymat, en poste depuis le mois de février 1944, qu’il juge trop modéré dans l’action répressive contre la Résistance. Le service de renseignements des M.U.R. intercepte la lettre et en communique la teneur au préfet. Ce dernier, ancien sous-préfet à Vichy, s’adresse à son protecteur, Pierre Laval, chef du Gouvernement, qui ordonne la suspension du chef d’escadron L… Le 20 juillet, saisi par Lahaye, Darnand rapporte la sanction.
Au terme d’un réquisitoire implacable, le commissaire du Gouvernement demande la peine de mort avec dégradation militaire au nom du gendarme tué héroïquement dans la région de Saint Flour, de tous ceux qui portent le même uniforme et de tous les patriotes. Maître Dulac présente ensuite la défense de l’accusé en minimisant les accusations portées contre son client.
Les débats achevés, la cour martiale se retire pour délibérer à huis clos. À la reprise de l’audience, le président annonce gravement la sentence. La cour condamne à mort le commandant L… reconnu coupable, traître et félon. Le lendemain, un peloton d’exécution le passe par les armes. Le samedi 16 septembre, le journal « Le Cantal Libre », organe du Comité départemental de la libération, publie un communiqué laconique :
« B… et L… ont expié. B… et L.. condamnés à mort par la cour martiale du Cantal ont été exécutés vendredi matin 15 septembre à 7 heures. »
Le 1er novembre 1944, le préfet du Cantal, dans un rapport adressé au Commissaire régional de la République, porte sur les travaux de la cour martiale, qui a prononcé 3 condamnations à mort, 2 aux travaux forcés et 1 acquittement, l’appréciation suivante :
« La cour martiale a siégé et délibéré dans la plus grande impartialité et la défense elle-même s’est plu à constater la régularité des débats… ».
À partir du 10 octobre 1944, un tribunal militaire remplace cette juridiction avant l’installation, fin novembre 1944, d’une Cour de Justice.
Quelques années après l’exécution du commandant L…, un de ses proches collaborateurs révèle qu’à plusieurs reprises il avait mis en garde son chef sur les conséquences de son comportement. Celui-ci s’était fâché et lui avait ordonné de se taire.
Comme l’écrit Eugène Martres, « on peut s’interroger sur cette condamnation à mort, se demander si elle aurait été maintenue 6 mois plus tard. Il reste indéniable que le dossier de cet officier supérieur de gendarmerie était bien chargé »(211).
Le verdict rendu par la cour martiale soulève la réprobation dans les milieux bourgeois du Cantal. Puis, vient le temps du silence et de l’oubli.
- Cour martiale de la Lozère : le cas de condamnation controversée
Dans le département voisin de la Lozère, une autre affaire, jugée fin septembre 1944 par un tribunal militaire siégeant en cour martiale, fait grand bruit. Elle met en cause le préfet, deux interprètes et trois membres de la gendarmerie : le chef d’escadron B…, commandant la compagnie de Mende, le lieutenant S…, commandant de section de Florac et le chef de brigade B…, de Meyrueis. Quatre condamnations à la peine capitale ponctuent le jugement. Trois des accusés sont passés par les armes. Jusque dans les années 1980, le verdict rendu par cette juridiction suscite de vives controverses.
D’emblée, un bref rappel des événements s’impose.(212) Le 26 mai 1944, à l’aube, le maquis Bir-Hakeim, stationné à Fangas, dans la région du Mont-Aigoual, repéré par la Milice et les troupes d’occupation, à la suite d’une reconnaissance aérienne, quitte son emplacement pour rejoindre La Parade sur le Causse Méjean (Lozère). Le gros de l’effectif part à pied en empruntant l’itinéraire Cabrillac-col du Perjuret-Le-Saubert où un camion assure le transport jusqu’au lieu de destination. Un petit élément motorisé et le poste avancé de Camprieux empruntent la route pour rallier La Parade via Meyrueis. Au cours du mouvement, dans les découverts de Cabrillac, un élément de la Milice prend à parti le détachement à pied, contraint d’attendre la nuit pour continuer sa progression vers le col du Perjuret. Après une marche épuisante et sans nourriture, le dernier groupe arrive à La Parade le samedi 27 vers 18 heures. Le commandant Barot, chef de Bir-Hakeim, prévoit le départ sur une autre position le lendemain matin. Les matériels embarqués restent à bord des véhicules.
Dans la nuit du 27 au 28 mai, aux ordres du capitaine Lange, en provenance de Mende, deux compagnies de fusiliers de la légion Arménienne Tartare du Volga Azerbeidjan, comprenant trois sections, chacune renforcées par un groupe de mitrailleuses, un groupe de mortiers, un groupe de canons antitanks, un groupe de pionniers, convergent vers La Parade. À 8 heures 30, le dimanche 28, jour de la Pentecôte, les troupes d’opérations passent à l’attaque. Le rapport allemand sur le combat insiste sur la résistance acharnée des maquisards :
« Les terroristes se ressaisirent rapidement, occupèrent immédiatement leur position d’alarme et la défense manifestement préparée d’avance, et ouvrirent un feu bien nourri avec des fusils, des mitraillettes et des mitrailleuses »… «Vu la surprise et le fait que le capitaine Lange avait engagé ses forces en débordant les deux ailes, les bandits n’avaient aucune possibilité d’échapper et étaient obligés de se défendre dans La Borie même. Ceci était fait très adroitement et avec une énergie mordante de la part des terroristes qui se sont montrés parfaitement entraînés. »(213)
L’engagement coûte aux Allemands 9 tués et 6 blessés. De leur côté, les maquisards perdent trente-quatre des leurs. À 3 heures de l’après-midi, une tentative de sortie de la nasse, conduite par le commandant Barot, échoue. Le chef de Bir-Hakeim tombe sous les balles ennemies. Une demi-heure plus tard, un blessé transmet à ses camarades le message que de la route un officier allemand adresse aux survivants. Il les invite à cesser les combats à 16 heures et donne sa parole que les maquisards seraient traités comme des prisonniers de guerre. Derrière le porteur d’un mouchoir blanc, une petite colonne de rescapés se forme, de vingt-sept hommes, parmi lesquels de nombreux blessés. Dans la soirée du 28, les 27 prisonniers se retrouvent à Mende, enfermés dans les caves de la villa Lyonnet siège de la Gestapo. Au cours de la nuit, ils subissent un interrogatoire, accompagné des plus atroces tortures, avant d’être fusillés, dans le ravin de la Tourette, près de Badaroux, le 29 mai. Le spectacle de leurs pauvres corps affreusement mutilés -langues arrachées, tendons des pieds rompus, coups, brûlures, tuméfactions du visage- soulève l’indignation des témoins.
Le 29, le commissaire de police, chef du service des renseignements généraux, rend compte au préfet de « l’engagement entre les troupes allemandes et les terroristes » qui s’est soldé par 61 morts du côté de ces derniers. D’après le rapport de ce fonctionnaire, un renseignement, en provenance de la brigade de gendarmerie de Meyrueis, signalant la présence d’un groupe assez important de « terroristes » sur le Causse Méjean, a entraîné le déclenchement de l’opération.
À l’annonce de la tragédie, une vive émotion s’empare de la population et des résistants. Plusieurs raisons motivent leur réaction : la présence de jeunes lozériens parmi les victimes, la personnalité du chef de Bir-Hakeim, Jean Capel, alias commandant Barot, les coups de main d’une folle audace de sa troupe depuis sa création en septembre 1943, la composition du maquis où s’amalgament des trotskistes, des anarchistes, des anciens combattants de la guerre d’Espagne, des communistes, des chrétiens et des réfractaires.
Aux yeux des résistants, l’anéantissement du maquis, provoqué par des fonctionnaires de Vichy, ne doit pas rester impuni. Au lendemain du drame qui vient de les frapper cruellement, le commandant militaire des F.F.I. du département ordonne l’ouverture d’une enquête en vue de déterminer les responsabilités et de pouvoir, le moment venu, arrêter les coupables. À la suite des premières investigations, de lourds soupçons pèsent sur le préfet, le commandant de gendarmerie et ses subordonnés.
Dès la libération de Mende, le 20 août 1944, le chef départemental des F.F.I., avec l’aval du CDL et du préfet, ordonne l’arrestation du chef d’escadron B… La mission incombe à un capitaine des F.F.I… Vers 18 heures, celui-ci se présente avec des hommes en armes à la gendarmerie pour interpeller le commandant de compagnie. Un moment de tension très vive oppose les deux hommes, lorsque le capitaine veut lui enlever ses galons. Une réponse ferme du chef d’escadron B… l’en dissuade. Contrairement au préfet de Vichy, assigné à résidence et consigné dans ses appartements à la préfecture jusqu’au 23 septembre, l’officier de gendarmerie est immédiatement écroué à la prison de Mende. Le 30 août, le service de police F.T.P. de Florac arrête le lieutenant S…, commandant la section et le maréchal des logis-chef B…, commandant la brigade de Meyrueis. Tous deux sont incarcérés à la prison d’Alès. Sans surprise ni mécontentement, la population apprend l’arrestation du préfet et des gendarmes.
Le rétablissement complet des services de la République, après l’installation à Paris du Gouvernement provisoire, nécessite quelques délais si bien qu’à la fin du mois d’août, lorsque la Lozère est libérée, la Cour de Justice n’est pas encore constituée. Elle n’est mise en place que le 10 octobre. Or l’article 5 de l’ordonnance instituant cette juridiction stipule que « jusqu’à l’établissement de la Cour de Justice, les juridictions militaires ou de droit commun sont normalement compétentes ». La création d’un tribunal militaire dans chaque subdivision militaire présidé par le commandant de la subdivision, en application des décrets des 15 et 20 mai 1940 et d’une ordonnance du 9 juillet 1944 pallie le vide constaté. Un arrêté, signé par le ministre de la guerre Diethelm, dans ses articles 1 et 2, habilite le chef départemental des F.F.I. à organiser la cour martiale :
« Article 1 -Les pouvoirs de désignation des juges militaires composant les tribunaux permanents attribués par les articles 10 et 11 du Code de justice militaire pour l’armée de Terre aux généraux commandant les circonscriptions territoriales seront exercés en ce qui concerne le tribunal militaire permanent de Mende par le commandant de la subdivision militaire de cette ville.
Article 2 -Les pouvoirs attribués par les décrets des 15 et 20 mai 1940 aux généraux commandant les circonscriptions judiciaires militaires à l’effet d’ordonner la constitution des tribunaux militaires permanents en cours martiales seront exercés en ce qui concerne le tribunal militaire permanent de Mende par le commandant de la subdivision militaire de cette ville. »
Au début du mois de septembre, le capitaine L…, alias Capdevielle, du maquis de Haute-Lozère, nommé commissaire spécial, commence l’enquête ouverte à l’encontre du préfet D… et du commandant de gendarmerie inculpés respectivement de trahison et de complicité de trahison. Le chef d’escadron B… doit s’expliquer sur la transmission au préfet, le 27 mai, du message l’informant de la présence du maquis à la Parade. Par procès-verbal, dans les formes requises, le commissaire spécial recueille les déclarations des témoins et interroge le préfet et le commandant de gendarmerie. Avant le procès, fixé au 25 septembre, le chef d’escadron B… semble rassuré sur son sort et envisage sa comparution devant la cour martiale en toute sérénité.(214) Les raisons de son optimisme, qu’il confie à l’un de ses officiers venu lui rendre visite, reposent sur trois faits. Un, il n’a jamais été au contact des Allemands et s’est borné à transmettre au préfet un télégramme qu’il ne pouvait garder pour lui se conformant pour cela aux instructions en vigueur. Deux, il explique à son subordonné que les Allemands semblaient connaître la présence du maquis à la Parade, avant que le préfet ne leur transmette le message, ce qui minimisait considérablement son rôle. Trois, il a la conviction que le maquis, averti de ces transmissions successives, pourrait décrocher à temps.
Le capitaine C…, commandant provisoirement la compagnie de Mende, se charge de lui trouver un défenseur. Il se rend auprès de Maître L…, un des plus éminents avocats du barreau de la Lozère. Prétextant que sa vue trop faible le met dans l’impossibilité de lire le dossier, l’avocat refuse son concours. La proposition de mettre à sa disposition un lecteur ne modifie pas sa décision. En définitive, le 23 septembre, le commandant militaire de la Lozère commet d’office Maître B…
À la date prévue, en début d’après-midi, le procès commence dans la salle des Assises de Mende. Le lieutenant-colonel Ernest (Peytavin) préside la cour composée de trois juges assesseurs, deux commandants et un lieutenant. Le commandant C… siège en qualité de commissaire du Gouvernement. Le commissaire R… remplit les fonctions de greffier. Pressenti pour siéger en qualité de juge par le chef départemental des F.F.I., le chef Cazals, de la brigade du Malzieu, alors lieutenant des F.F.I., qui vient de combattre avec le maquis d’Auvergne au Mont-Mouchet et dans le réduit de la Truyère, décline la proposition :
« Mon colonel, je vous remercie de la confiance que vous me témoignez mais je pense que ce serait une mauvaise action de participer au jugement d’un supérieur sous les ordres duquel j’ai servi pendant deux ans »(215).
Cependant, les autorités le chargent d’assurer l’ordre et la sécurité, à l’extérieur et à l’intérieur de la salle d’audience, avec un détachement des F.F.I. de la garnison de Mende. Le 23 septembre, en début d’après-midi, il se trouve aux abords du tribunal lorsqu’arrive la voiture cellulaire emmenant le chef d’escadron B… devant ses juges. Le chef Cazals le salue une dernière fois. L’officier lui tend la main en disant « Vous avez suivi le bon chemin ».
Dès l’ouverture de l’audience, les défenseurs sollicitent le renvoi de l’affaire en invoquant l’absence de deux inculpés, le lieutenant S… et le chef B…, détenus à la prison d’Alès. Après en avoir délibéré, la cour rejette leur demande. Les débats commencent. D’après plusieurs témoins, une atmosphère de gravité solennelle et d’oppression règne dans la salle d’audience tout au long du procès.
L’accusation démontre la culpabilité du préfet et du commandant de gendarmerie. Elle fait grief aux accusés d’avoir livré des troupes françaises à l’ennemi en lui transmettant sciemment un renseignement militaire. Le commissaire du Gouvernement donne lecture du message établi par la gendarmerie et transmis par le préfet aux autorités allemandes :
« Important groupe terroriste Causse Méjean. P.C. château Lapeyre à La Borie commune de La Parade. Réquisition bétail et four. Routes barrées par armes automatiques. »
Le document parvient peu après midi au chef d’escadron B… qui le déchiffre avec l’adjudant R… du secrétariat compagnie. Selon la déposition de ce gradé, le chiffrement résulte d’une instruction diffusée par le commandement, applicable à l’acheminement de renseignements précis, exploitables immédiatement par les autorités allemandes, en vue de protéger leur confidentialité. Entre 13 heures 30 et 13 heures 45, le commandant de compagnie le remet en main propre et en clair au préfet D… À son tour, ce dernier le fait porter au bureau des relations franco-allemandes. Les interprètes S… et B…, respectivement, vers 15 heures 30 et 15 heures 45, en portent un exemplaire à l’état-major de liaison 989 et à la Gestapo. À 17 heures, les Allemands ordonnent aux Ponts-et-Chaussées de mettre 12 camions sous réquisition. La dernière parvient à son destinataire à 19 heures 15. L’ennemi se met en route vers son objectif à 23 heures. Le 28, au petit jour, l’attaque commence qui provoque l’extermination du maquis Bir-Hakeim.
L’accusation cite encore le rapport allemand sur le combat de La Parade, signé Boehme, daté du 29 mai 1944, saisi à Lyon dans les archives de la Gestapo :
« Un message chiffré émanant de la gendarmerie de Florac a été transmis par le préfet de Mende à 15 heures 30 :
"Important groupe de terroristes Causse-Méjean. Poste Commandant, château Lapeyre à La Borie, commune de La Parade. routes barrées par armes automatiques". »
D’après l’opinion de l’état-major, les rapports suivants sont en relation directe avec ce message :
«- Le 26.5.44 la police française a entrepris une opération à la forêt de l’Aigoual au sud-est de Meyrueis. Pendant ces opérations elle a incendié un hôtel où se trouvait le poste de commandement des terroristes.
- Le 26-5-44, un camion des P.T.T. a été arrêté sur la route de La Borie à La Parade. Il a été dérobé 80 kg de fil de cuivre et des outils.
- Le 19-5-44, 70 terroristes ont attaqué Meyrueis, dévalisé un chantier de jeunesse, persuadé 4 jeunes des Chantiers et un jeune homme de 17 ans de la ville de les suivre. En outre une voiture de tourisme et un camion ont été dérobés.
- Le 26-5-44 à 5 heures, un camion manifestement avec des terroristes s’est dirigé de Meyrueis à Sainte-Enimie. À 7 heures 8 terroristes armés ont marché dans cette direction.
L’état-major demandait immédiatement une action pour l’anéantissement du groupe de terroristes, en faisant ressortir que pour la première fois il avait reçu un rapport avec des nouvelles fraîches… »
Les renseignements des 19 et 26 mai, auxquels le rédacteur fait référence, émanent la plupart de la gendarmerie qui, selon la procédure habituelle les a adressés à la préfecture. En outre, G… R…, un témoin, vient rapporter à la barre les propos tenus à Mende, le lendemain de l’opération, par un officier allemand, le lieutenant Melcher, commandant la compagnie sud à La Parade. Réagissant à l’accusation de « barbarie » que lui prêtait un interlocuteur, il répliquait en ces termes :
« C’est le message transmis qui a provoqué l’extermination du maquis de La Parade. »
Le commissaire du Gouvernement démontre que toutes les dispositions prises par le capitaine Lange découlent des précisions contenues dans le message de la gendarmerie. Il en conclut que les Allemands ont bien été informés de la présence des maquisards à La Parade par la voie administrative et elle seule.
De son côté, la défense s’évertue à amoindrir les chefs d’inculpation. Elle souligne les qualités militaires du commandant de gendarmerie, Officier de la Légion d’honneur, titulaire des Croix de guerre 1914-1918, avec trois citations, et de 1939-1940 avec une citation. La cour martiale ne retient pas ces appréciations, sans lien avec l’accusation, même si ceux qui ont connu l’homme, le chef et le patriote les partagent pleinement. D’autre part, Maître L… s’efforce de convaincre les juges que les Allemands étaient au courant de la présence du maquis à La Parade. Une vive discussion s’engage sur ce point capital. Le chef d’escadron B… explique en détail que le vendredi 26 mai, il reçoit la visite d’un interprète allemand de l’état-major de liaison qui, au cours de l’entretien, à brûle-pourpoint, lui demande l’emplacement du village de La Parade. Cette commune étant de faible importance, il l’ignore. Mais il voit son interlocuteur diriger son regard sur le bas de la carte, précisément dans la région de ce hameau. Il en déduit que celui-ci sait quelque chose. L’officier ajoute qu’il a fait part au préfet de sa constatation en lui faisant observer qu’il pourrait, sans inconvénient, transmettre le message aux Allemands.
Le préfet confirme devant la cour que B… effectivement lui a donné l’assurance formelle que l’information était déjà connue des Allemands. Dès lors, il a considéré que la transmission du message n’était qu’une simple confirmation de renseignements détenus par l’état-major de liaison.
À ce moment-là, il apparaît que le préfet et le commandant de gendarmerie ont leur sort lié, les Allemands ayant été avisés après accord complet de ces deux autorités. En voulant, en toute bonne foi, atténuer la responsabilité du préfet, le commandant se condamnait lui-même.
Selon leurs déclarations, les deux inculpés pensaient que les forces de la Résistance seraient avisées, d’une façon ou d’une autre, de l’imminence d’une opération.
Les défenseurs, à aucun moment, ne mettent en avant les instructions, émanant du secrétaire général au maintien de l’ordre, prescrivant aux préfets de transmettre aux autorités allemandes les renseignements recueillis sur les organisations dissidentes. La circulaire n°178 Pol. Cab. Circ., adressée aux préfets régionaux le 2 mai 1944, précisait :
«…Les accords conclus entre le Secrétaire général à la police et le général Oberg, chef des S.S. et de la Police de Sûreté en France prévoient notamment que seront signalés aux autorités allemandes les activités communistes et terroristes ainsi que les actes de sabotage qui peuvent en résulter.
Des divergences d’interprétation et des malentendus se sont parfois élevés sur le point de savoir si cette précédente disposition devait être également étendue aux individus appartenant à des organisations de résistance nationale.
En raison de l’impossibilité d’effectuer en pratique une discrimination précise entre les diverses organisations du maquis qui, pour la plupart ont été noyautées par le parti communiste, j’ai l’honneur de vous préciser que, dans le cadre des instructions en vigueur, les renseignements recueillis sur une organisation quelconque de dissidents devront, en principe, être fournis aux autorités allemandes.
Les services de Police et de Gendarmerie ne possédant pas, à cet égard, des éléments suffisants d’appréciation, vous voudrez bien les inviter à vous transmettre de toute urgence, par l’intermédiaire des préfets départementaux, les informations recueillies à ce sujet.
Cette documentation sera immédiatement transmise par vos soins aux autorités allemandes.
Dans le cas où cette communication appellerait des objections de votre part, vous voudrez bien en référer sur le champ, pour décision, soit à moi-même, soit à M. le directeur Général de la Police nationale sous le timbre de son cabinet. »
Tant pour le préfet que pour le chef d’escadron B…, le devoir d’obéissance n’est pas un vain mot. Courant 1943, préoccupé par l’attitude antigouvernementale des protestants cévenols et d’un certain nombre de pasteurs, dans le canton du Collet-de-Dèze, le préfet se rend à Saint-Privat-de-Vallongue pour demander à l’un d’eux, Marc Donadille, de les convaincre de revenir à de meilleurs sentiments. Ce dernier lui indique, avec une indignation passionnée, que les protestants cévenols n’admettent pas la persécution inique menée par le Gouvernement contre les Juifs. Le préfet lui répond :
« En un sens, je vous comprends… mais que puis-je faire ? Je reçois des consignes impératives de Pierre Laval : il faut chercher les Juifs partout où ils se cachent… Je suis obligé d’obéir aux ordres de mon Gouvernement. »
Citant la parole de Luther, son interlocuteur lui dit avec solennité :
« "Il est dangereux d’agir contre sa conscience"…Permettez-moi, M. le préfet, de vous le dire : quand vous vous présenterez devant Dieu, il ne vous parlera pas de Pierre Laval, il vous demandera ce que vous avez fait. »(216)
Quels étaient les sentiments du chef d’escadron B… à l’égard du Gouvernement de Vichy ? Un de ses commandants de section, traduit devant une Cour de Justice, déclare que son supérieur « exigeait au moins la neutralité sinon la fidélité au Gouvernement de Vichy ».
Au cours du réquisitoire, le commissaire du Gouvernement évoque l’absence des chefs hiérarchiques du commandant B… La défense n’a pas jugé utile de citer le commandant de Légion s’appuyant principalement sur les dépositions de l’adjudant R…, secrétaire de la compagnie, qui était en relation suivie avec la Résistance au su d’ailleurs de son chef. L’ultime intervention du ministère public s’achève en demandant à la cour la peine capitale pour le préfet et le commandant de gendarmerie.
Le 25 septembre, en fin d’après-midi, après délibération, le verdict tombe. La cour martiale condamne à la peine de mort le préfet D… et le chef d’escadron B…, reconnus coupables de trahison. Les avocats déposent une demande de recours en grâce, prérogative qui appartient aux autorités régionales en vertu d’une ordonnance du 16 juin 1944. Dans le même temps, les supérieurs hiérarchiques du commandant de compagnie tentent par tous les moyens d’obtenir la commutation de la peine. Déjà, le 25 septembre, en début de matinée, avant l’ouverture de l’audience, le colonel Vernageau, commandant la 16e légion à Montpellier, se rend à l’état-major de la région 3 pour entretenir le colonel Carrel (de Chambrun), commandant régional des F.F.I., du procès de son subordonné. En l’absence de ce dernier, en mission à Clermont-Ferrand, il obtient du colonel S…, commandant en second la région 3 et du lieutenant-colonel C…, chef d’état-major, l’envoi d’un message au commandant de la subdivision de Mende lui ordonnant de rendre compte de la décision de la cour martiale au sujet du commandant B… et d’attendre des instructions. D’ailleurs, conformément à cet ordre, le 25 à 19 heures, le commissaire spécial de Mende informe du verdict l’Intendance de police de Montpellier :
« Cour martiale siégeant à Mende ce jour a condamné peine capitale D… (Roger) ex-préfet Lozère et B… commandant gendarmerie Lozère pour trahison. Stop. Recours en grâce demandé par défense. Délais 24 heures. Stop. A acquitté les sieurs S et B… reconnus non coupables. »
Le lendemain 26, nouveau message de la région adressé au commissaire spécial à Mende indiquant « qu’en l’absence du colonel Carrel, commandant région Montpellier, seul qualifié pour accepter ou rejeter recours en grâce, ordonne surseoir toute exécution jusqu’à son retour. Il vous fixera immédiatement mesures à prendre. »
Toujours le 26, avant midi, le commandant de Légion, après avoir recueilli le compte rendu verbal du procès de la bouche du commandant de section de Mende qui s’est rendu sur place à Montpellier, adresse un télégramme officiel, par l’intermédiaire du commissaire de la République, au commandement de la gendarmerie et de la Garde républicaine pour l’informer du verdict. Dans le même temps, il reçoit copie d’un message du président de la cour martiale, adressé au colonel Carrel, notant que le tribunal militaire « demandait unanimement le rejet de recours en grâce et que l’opinion publique et la Résistance ne permettaient pas d’envisager la clémence ».
Le colonel Vernageau, accompagné du capitaine C…, se rend aussitôt auprès du commandant de la 3e région pour solliciter la grâce du condamné. Le colonel Carrel écoute attentivement le compte rendu de l’audience que lui fait, à sa demande, le capitaine C… Puis il lit avec intérêt la fiche, préparée à son attention, résumant les notes excellentes du chef d’escadron B… et ses états de services élogieux. Les visiteurs le quittent sans qu’il n’ait pris aucune décision en leur présence.
Ce même jour, le colonel D…, inspecteur du 5e arrondissement, de passage à Montpellier, intervient à son tour afin d’obtenir la grâce ou un sursis d’exécution jusqu’à ce que le ministre de la Guerre, avisé par téléphone, puisse faire connaître sa décision.
À Mende, le 28 septembre, à 7 heures 15, dans un pré situé derrière la prison, le commandant B…, très digne, tombe sous les salves d’un détachement F.T.P. commandé par un lieutenant.(217) Sur ces derniers moments, le capitaine C… écrit le 23 octobre :
« Son attitude courageuse qui ne pouvait d’ailleurs surprendre ceux qui le connaissaient, m’a été signalée ainsi qu’il suit : après avoir distribué des cigarettes à tous les F.T.P. faisant partie du peloton d’exécution, il a prononcé ces paroles "Mes enfants, vous allez voir comment sait mourir un officier de gendarmerie français-allons-y" Le commandant se mit au garde-à-vous, salua et cria "Vive la France." il est mort le sourire aux lèvres ce qui a profondément frappé l’officier F.T.P. et ses hommes. »
Comme le révèlent des interceptions postales, en Lozère, l’opinion publique commente diversement la condamnation et l’exécution du préfet et du commandant de gendarmerie :
« Mende.26-9-44. Pour le moment, ce n’est pas le rêve, arrestations et exécutions en masse. Cette semaine, après avoir été condamnés à mort par la cour martiale de Mende, le préfet et le commandant de gendarmerie ont été fusillés il y a deux ou trois jours et on s’attend encore à d’autres condamnations à mort ces jours-ci. Nous traversons une période terrible - impossible de te citer toutes les personnes qui ont été arrêtées - ; cela impressionne d’autant plus que la ville est petite et qu’on connaît tout le monde… »
« Saint-Etienne-du-Valdonnez. 3-10-44… jeudi, à Mende, le Préfet et le commandant de gendarmerie ont été fusillés. D’autres exécutions vont suivre, jours de justice sans doute mais de terreur aussi. Quand donc les hommes apprendront-ils à s’aimer… »
« Mende. 3-10-44… on a fusillé le commandant de gendarmerie, l’ancien préfet, etc. d’autres sont en prison. Quel malheur que les Français ne s’entendent pas entre eux et se tuent les uns les autres… »
« Mende. 5-10-44… Il y a quelques jours, le préfet et le commandant de gendarmerie, pour une affaire qui a coûté la vie à 60 maquisards ont été arrêtés et jugés, on les a fusillés devant la prison - les coupables maintenant payent leurs trahisons… »
Le 9 octobre, le procès du lieutenant S… et du chef B…, inculpés de complicité de trahison pour avoir facilité la livraison de troupes françaises à l’ennemi, apporte des éléments complémentaires à la compréhension de l’affaire de La Parade. Les intéressés, en détention à Alès, sont transférés à Mende le 29 septembre. Le 7 octobre, le commissaire spécial adresse au commissaire du Gouvernement près le tribunal militaire de Mende les procédures établies à leur encontre.
L’audience ouverte, le greffier donne lecture des procès-verbaux dressés à la charge des prévenus. Puis, les témoins cités par le ministère public, après avoir prêté serment, hors la présence des inculpés, déposent. Lors de son interrogatoire, le chef B… indique qu’il a reçu un blâme de son commandant de section, après l’attaque des Chantiers de jeunesse de Meyrueis le 19 mai 1944. Menacé de révocation après cet incident, ne voulant pas s’exposer aux foudres de son supérieur, le 27 mai vers 12 heures 30, il décide de transmettre le renseignement recueilli par ses gendarmes, sur la présence des maquisards à La Parade. Ce faisant, il ne pensait jamais que son message serait communiqué aux autorités allemandes. Aussi, il ne les croyait pas en danger. D’autre part, à ses yeux, le détachement de maquisards n’était que de passage. Comme son supérieur direct, il reconnaît ne les avoir pas prévenus des dangers qu’ils couraient.
Après les plaidoiries, la cour délibère et rend son arrêt. Elle condamne B… et S… à la peine de mort du chef de complicité de trahison. Le président avertit les défenseurs qu’ils disposent d’un délai de 24 heures pour formuler un recours en grâce. Le 9, à 18 heures 40, sous la signature des deux avocats maîtres B… et T…, le service radio de la subdivision de Mende transmet à la région militaire de Montpellier un message destiné au chef du Gouvernement provisoire :
« S… (Charles), lieutenant de gendarmerie et B… (Iréné), brigadier de gendarmerie condamnés à mort par cour martiale Mende (Lozère) le 9 octobre. Stop. Adressons recours en grâce. Requête suit. Stop. Prient général de Gaulle donner ordre surseoir exécution jusqu’à réception requête.
Signé B… et T… »
Le général de Gaulle accepte le pourvoi en grâce du chef B… mais il rejette celui du lieutenant S… Un peloton d’exécution exécute la sentence par fusillade, le 16 octobre, près de la prison. En début d’année 1945, le chef B… voit sa peine commuée en 30 de travaux forcés.
Selon le commandement de la gendarmerie de Montpellier « les condamnations à mort prononcées par la cour martiale de Mende contre le lieutenant de gendarmerie S… et le chef B… ont provoqué un mouvement de surprise parmi le nombreux auditoire du tribunal… »(218)
La triple exécution du préfet, du commandant et du lieutenant de gendarmerie ne met pas un terme à la tragique affaire de La Parade. En effet, jusqu’à la fin des années 80, des procédures se succèdent qui génèrent des polémiques sur la validité des jugements rendus en 1944.
Dans son numéro du 6 décembre 1946, le journal « Paroles françaises », intitule un article « Le bain de sang » à propos de la condamnation du préfet et du commandant de gendarmerie. Il met en cause le président de la cour martiale, le chef régional des F.F.I. et le préfet de la Libération. Pour l’auteur de l’article, « la haine de classe est à l’origine des « katyn » français ». Une action en justice, en première instance, condamne le journal et l’auteur de l’article pour diffamation, insertion de la sentence dans la presse et 50.000 F de dommages-intérêts. Le 22 juillet 1947, la cour d’appel confirme les condamnations.
Le 21 octobre 1948, la Cour de cassation annule le jugement concernant le chef B… Quelques mois plus tard, le 22 février 1949, le tribunal militaire de Bordeaux juge à nouveau le gradé et prononce un non-lieu. Un des attendus souligne en particulier « qu’il est constant que le 27 mai 1944 le nommé B… commandant la brigade de Meyrueis ait envoyé à son commandant de section un message pour lui signaler la présence du maquis à La Parade, il ressort de l’information que ce message n’est pas à l’origine de l’expédition organisée peu après contre ce maquis… »
Le 19 décembre 1953, les familles des condamnés qui ont été exécutés adressent une requête au garde des Sceaux en vue d’obtenir l’annulation du jugement rendu le 25 septembre 1944 par le tribunal militaire de la Lozère. À la suite de cette démarche, le 19 mars 1954, le ministre de la Défense nationale demande au commissaire du Gouvernement, près le tribunal militaire des forces armées de Marseille « une enquête complémentaire nécessitée par l’examen d’un pourvoi en annulation dans l’intérêt de la loi, de l’arrêt rendu le 25 septembre 1944 ».
Le colonel de justice militaire A…, qui a repris les pièces du dossier et entendu à nouveau plusieurs témoins, adresse ses conclusions au ministre.
Ses investigations n’apportent aucun élément nouveau. Toutefois, s’interrogeant sur le point de savoir si les Allemands connaissaient le renseignement avant le message il précise : «…il y a lieu de retenir les déclarations de G.R. d’où il découle, que suivant les dires du lieutenant Melcher, c’est le message transmis par le préfet qui a causé l’extermination du maquis de La Parade (témoignage retenu en septembre 1944) ».
Le 25 janvier 1955, la chambre criminelle de la Cour de cassation rend son arrêt. S’appuyant sur des lettres du ministre de la Guerre du 16 novembre 1944 et du ministre de l’Intérieur du 27 mars 1946, elle considère que le tribunal militaire de la Lozère siégeant en cour martiale n’a été institué par aucune décision régulière de l’autorité militaire ou de l’administration. D’autre part, elle constate qu’il n’y a dans le dossier de la procédure suivie, ni ordre d’information, ni ordre de mise en jugement, ni autre pièce susceptible de saisir le juge d’instruction. Enfin le jugement attaqué ne mentionne ni les questions posées au tribunal, ni les réponses qui y ont été faites, ni les articles de loi appliqués. Pour ces motifs, elle casse et annule le jugement du tribunal. Naturellement, la cassation ne s’accompagne pas d’un renvoi, les condamnés ayant été exécutés.
Comme nombre de ses homologues, le chef des F.F.I. de la région 3, Gilbert de Chambrun, s’est expliqué sur la raison des créations des cours martiales qui ont vu le jour dans la période de transition entre le départ des Allemands et la mise en place des cours de justice :
« Le Gouvernement écrit-il n’avait pris aucune disposition pour installer sans délais dans les zones libérées des tribunaux comprenant des magistrats. Il me sembla que je n’avais dès lors que deux choix : ou bien fermer les yeux et laisser faire des représailles incontrôlables, ou bien m’efforcer de contrôler la répression et par conséquent la circonscrire. Je choisis cette seconde attitude… »
L’arrêt de la Cour de cassation engendre diverses réactions. Pour les familles des condamnés, il équivaut à une réhabilitation. Dans son édition de la Lozère, le quotidien Midi Libre du 24 mai 1955 insère une mise au point de Madame D…, l’épouse du préfet exécuté, qui note que l’arrêt de la Cour de cassation, faisant suite à un jugement du tribunal militaire de Bordeaux, déclare non fondée l’accusation de trahison contre son mari. La presse locale et régionale reprend l’information. Pour l’opinion publique, la « réhabilitation a été accordée ». La réplique des résistants ne se fait pas attendre. L’ancien président de la cour martiale, dans un communiqué publié le 2 juin 1955, dans le Midi Libre, s’élève contre l’interprétation donnée à l’arrêt de la Cour de cassation. Affirmer que les condamnés ont été réhabilités revient à dire que le 25 septembre la cour martiale a commis une grave erreur judiciaire. Or, il estime que la Cour de cassation a statué quant à la forme et non au fond, la matérialité des faits étant établie.
L’initiative du colonel Ernest ne suffit pas à calmer les passions. Les historiens s’en mêlent. Plusieurs affirment que le préfet a obtenu sa réhabilitation. Robert Aron écrit dans son Histoire de l’Épuration que « furent jugés sommairement et exécutés sur-le-champ… le préfet de la Lozère D… et le commandant de gendarmerie B… que l’on réhabilita par la suite. » De même, l’auteur de l’ouvrage « Ce tant rude Gévaudan » précise que « les familles ont obtenu depuis la réhabilitation des fusillés ».
L’un et l’autre font amende honorable, à la suite des demandes de rectifications demandées par les responsables de la Résistance lozérienne.
Henri Noguères, dans le tome IV de L’histoire de la Résistance en France, écrit en 1973 :
« Reconnus coupables d’avoir révélé aux Allemands la présence du maquis Bir-Hakeim à La Parade, le préfet D…, le commandant de gendarmerie B… le lieutenant de gendarmerie S… seront, à la libération, condamnés à mort et fusillés. La famille du préfet D… obtiendra par la suite sa réhabilitation. »
En 1981, à l’occasion de la publication du tome V de L’histoire de la Résistance en France, il rectifie son appréciation antérieure :
« Cette précision (réhabilitation) fondée sur des renseignements longtemps tenus pour exacts, ne correspond nullement à la réalité. S’il est vrai que le jugement rendu le 25 septembre par la cour martiale de Mende a été annulé par un arrêt de cassation du 25 janvier 1955, il a été précisé par le général Koenig, se référant le 8 septembre à une communication du garde de Sceaux de l’époque, que le jugement de 1944 n’a été annulé que par "des motifs visant la forme des actes", que l’arrêt de 1955 "n’implique pas la révision de la condamnation prononcée" et qu’aucune mesure de réhabilitation n’est intervenue en l’espèce. »
L’association des Anciens Résistants de la Lozère dépose aux archives départementales un livre blanc, rappelant les éléments du dossier, pour que la vérité soit préservée concernant ce point d’histoire controversé et ainsi éclairer d’éventuelles recherches sur ce passé particulièrement exposé aux risques des jugements subjectifs. En 1986, son président, M. Henri Cordesse, préfet de la Libération, pour rétablir la vérité, édite en 500 exemplaires un document intitulé « La tragique affaire de La Parade et ses suites… devant l’histoire ».
Du jugement rendu découlent deux observations. La première concerne l’application du droit. La Cour de cassation, qui se situe, rappelons-le, au sommet du système judiciaire, n’est pas un troisième degré de juridiction. Ses pouvoirs sont limités. Après les tribunaux de première instance et les cours d’appel son rôle n’est pas de rejuger l’affaire mais de vérifier, à l’occasion d’un pourvoi, si le droit a été correctement interprété et appliqué par les juges du fond. Si elle estime que ce n’est pas le cas, la cour annule -en latin cassare- la décision irrégulière et renvoi à une nouvelle juridiction de même degré et de même nature que celle qui a rendu la décision dans la mesure où l’action publique n’est pas éteinte. La Cour de cassation considère que le jugement rendu a l’autorité de la chose jugée. Elle admet donc sa validité pour pouvoir le casser. Aux yeux du public, la cassation d’une décision de justice revêt un indéniable caractère de réhabilitation. Pour les juristes, elle ne réhabilite pas les condamnés.
Le second constat est relatif aux condamnés et aux actes dont ils ont eu à répondre. Quelle motivation les a guidés ? Le préfet, pas plus que le commandant de gendarmerie, n’était pro-nazi. Le commandant B… incarnait une sorte de gendarme « modèle » aux brillants états de services. Engagé volontaire en 1915, blessé en 1917, plusieurs fois cité, décoré de la Légion d’honneur, il termine la Première Guerre mondiale avec le grade de sous-lieutenant. Après avoir fait campagne en Syrie puis au Maroc, en 1934 il intègre la gendarmerie avec le grade de capitaine. Jusqu’aux faits qui lui sont reprochés, son attitude pendant l’Occupation n’appelle aucune critique. Peut-on alors expliquer son comportement par une défaillance momentanée de sa part ? A-t-il mal évalué la situation ? Pourquoi n’avoir pas organisé une fuite du renseignement vers la Résistance ? Comment imaginer qu’il voulait l’anéantissement des patriotes ? Respectueux des traditions de la gendarmerie, il a exécuté scrupuleusement les ordres. Ainsi que l’écrit en 1986 le préfet de la libération, M. Henri Cordesse, le responsable moral est à Vichy :
« En vérité, Vichy est responsable de l’intoxication développée contre la Résistance et ceux qu’il appelle des "terroristes" ; ces deux fonctionnaires d’autorité ont été victimes de cette intoxication, mais ils n’en sont pas moins coupables. »(219)
En prononçant la peine de mort contre les principaux protagonistes de l’affaire de La Parade, les juges de la cour martiale ont probablement considéré que « la trahison, comme l’écrivait Maurice Barrès, est un acte qui ne comporte pas de circonstances atténuantes et qui se mesure socialement, non aux intentions de l’auteur, mais aux conséquences de l’acte ».
Ne risque-t-on pas d’escamoter la vérité en imputant le massacre de La Parade à la fatalité de la guerre ou en faisant endosser à ces jeunes hommes morts pour notre liberté une part de responsabilité, en les taxant d’imprudents ou enfin en dénonçant la partialité des juges ? La lettre qu’adresse le président de la cour martiale à l’épouse du préfet le lendemain de son exécution laisse à penser que les juges, contrairement aux propos tenus par leurs détracteurs, n’étaient animés par aucun sentiment de haine :
« F.F.I.
Division militaire de la Lozère
Le lieutenant-colonel Peytavin (Ernest), chef de la subdivision militaire de la Lozère et président de la cour martiale,
Déclare que M. D…, ex-préfet de la Lozère condamné à la peine capitale et passé par les armes a expié courageusement une faute affreuse par ses conséquences et qui avait entraîné la mort de soixante patriotes du maquis.
Le colonel Ernest déclare cependant avoir la conviction profonde que M.D… n’avait eu ni le désir ni le propos de livrer délibérément des troupes françaises à l’ennemi mais que seules de terribles circonstances ont marqué la défaillance d’un homme qui, par ailleurs, avait eu un passé et une attitude dignes d’estime sous l’Occupation allemande.
En conséquence, le colonel Ernest croit pouvoir affirmer que l’honneur de M. D… ne doit pas être atteint.
Il ajoute enfin que Madame D.. et son fils ont eu tous deux, en cette tragique affaire, une attitude qui a forcé l’admiration de tous.
Le lieutenant-colonel, commandant la subdivision militaire de la Lozère.
Signé : Ernest »
Pour la Résistance lozérienne, la catastrophe de La Parade avec ses 61 martyrs a été provoquée par le préfet et trois membres de la gendarmerie. En refusant la grâce au lieutenant S…, quelques semaines après l’exécution du préfet D… et du chef d’escadron B…, dont il a eu connaissance, le chef du Gouvernement provisoire s’est en fait rangé au verdict de la cour martiale.
Les tribunaux militaires
- Le Tribunal militaire du Lot
Un décret du ministre de la Guerre en date du 16 septembre 1944 institue des tribunaux militaires classiques à l’échelon départemental. Par dérogation aux dispositions de l’article 18 du Code de justice militaire, une ordonnance du 28 octobre 1944 prévoit, à titre provisoire et jusqu’à la cessation des hostilités, que tous les officiers et sous-officiers ayant participé à une action militaire ou à une action de résistance au cours de l’occupation ennemie, quel que soit leur âge, peuvent siéger en qualité de juges dans les tribunaux militaires permanents ou les tribunaux militaires aux armées.
Dans le Lot, un adjudant-chef, un adjudant et un gendarme comparaissent devant le tribunal militaire départemental. Celui-ci prononce un non-lieu et deux condamnations à un an et six mois de prison. L’adjudant doit répondre de « son action antirésistante ». On lui reproche d’avoir favorisé l’ennemi en donnant des ordres adéquats aux hommes placés sous son autorité, d’avoir proféré des menaces et des injures vis-à-vis du maquis. Interné au camp de Sousceyrac depuis le 3 août 1944, le commandant de brigade, le 5 septembre 1944, explique sa situation à son commandant de section :
« Le 3 août dernier la brigade entière s’est fait arrêter par un groupe de F.T.P.F… Le motif de l’arrestation était que lors du débarquement nous avions rejoint Cahors au lieu de rejoindre le maquis.
Je prenais alors la responsabilité de ce repli sur Cahors et quelques jours après, les gendarmes à l’exception de V… étaient employés à divers services de police. V… et moi, après bien des déboires et des émotions étions renvoyés dans un camp d’internement.
Là, la vie est plus pénible. Nous avons une nourriture à peine suffisante et nous sommes sans vêtements et sans couvertures. Plusieurs colis envoyés par nos familles ne nous sont jamais parvenus.
Enfin ce qui est plus pénible, c’est de se voir en tenue de gendarme astreints à divers travaux et traités comme des détenus de droit commun.
La grande faute que l’on nous reproche est d’avoir obéi aux ordres de Vichy. Or, en la circonstance vous connaissez l’origine des ordres lors de la réunion des commandants de brigades à Cahors le 5 juin. Je me permets d’attirer votre attention sur l’urgence qu’il y aurait à provoquer une mise au point.
Comment concevoir que sur 80 gendarmes qui nous trouvions à Cahors, deux seulement soient internés. C’est vrai que le gendarme P… n’est pas étranger à nos malheurs, j’en ai la certitude. Nos familles sont dans l’angoisse car nous n’écrivons pas facilement. Je vous demande de les rassurer et de penser à leurs besoins.
En comptant sur vous pour une action rapide et énergique, je vous prie de croire à mon entier dévouement. »
À la suite de sa lettre, le 21 septembre 1944, le commandant de légion intervient pour obtenir sa libération et celle du gendarme. Le chef des forces de police du Lot lui fait connaître que les deux militaires se trouvent au camp d’Herbouze et qu’ils viennent d’être condamnés par le tribunal militaire. Détenus après leur condamnation à la maison d’arrêt de Cahors les deux sous-officiers se pourvoient en cassation.
Le 5 janvier 1945 la commission d’enquête de leur légion se penche sur leur cas et considère que la condamnation prononcée par le tribunal militaire, au vu des attendus du jugement, n’a pas été prise en complète connaissance de cause et qu’il y a lieu de revoir ce procès. L’examen du dossier du commandant de brigade prouve en effet qu’il a toujours agi en bon serviteur de la loi et qu’il n’a jamais eu d’attitude hostile à la Résistance.
- Tribunal militaire de Lyon, section détachée de Dijon
Lorsque les cours de justice cessent de fonctionner, quelques affaires restent à juger dont le cours de l’instruction, par suite de faits nouveaux, a pris du retard. Les tribunaux militaires classiques, composés d’un magistrat civil président, nommé par décret, et de 6 juges militaires désignés par les généraux commandants de région, choisis parmi des officiers appartenant aux différentes armes et services, prennent le relais.
Le 21 avril 1948, le tribunal militaire de Lyon, section détachée de Dijon, juge les chefs d’escadron D… et O…(220) Le chef d’escadron D… est inculpé, en vertu de l’article 79 du Code pénal, pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État. L’article 79, alinéa 4 et 5, ainsi visé, punit le fait d’entretenir, en temps de guerre, une correspondance (conversations, lettres, télégrammes) qui n’a pas été régulièrement autorisée, ou des relations avec les sujets ou les agents d’une puissance étrangère.
Les faits motivant les poursuites engagées contre le chef d’escadron D… remontent à l’année 1943 alors qu’il commande la compagnie de gendarmerie du Lot-et-Garonne à Agen.
Depuis la Libération, l’officier n’exerce plus ses fonctions. Placé en disponibilité fin 1944 et incarcéré, un décret du 1er août 1945 le révoque sans pension. La sanction prise s’accompagne de sa radiation dans l’Ordre la Légion d’honneur. À partir du 18 mars 1947, l’autorité judiciaire le place en détention provisoire.
Il doit répondre de trois accusations. On lui reproche d’avoir provoqué l’arrestation par les Allemands, le 14 avril 1943, de deux officiers alliés évadés, anglo-hindous, appartenant à la R.A.F… Sur les indications d’un maire, qui les prend pour des rôdeurs, la brigade de gendarmerie de Monflanquin interpelle ces aviateurs. En effet, ils sont mal habillés et la couleur de leur épiderme les rend suspects. Le commandant de compagnie les fait remettre aux Allemands alors que les accords Oberg, entre le Gouvernement de Vichy et les Allemands, ne le prévoient pas.
La seconde accusation porte sur des faits en date du 23 juillet 1943.(221) Au cours de l’enquête qu’ils effectuent, à la suite de l’incendie d’une gerbière et d’une grange, les gendarmes de Castelmoron découvrent, près de l’endroit du sinistre, deux bicyclettes cachées. Ils poursuivent leurs investigations lorsqu’un ressortissant Italien leur signale qu’un avion a survolé la veille la région et a largué des parachutes, dans les environs de la ferme inhabitée située au lieu-dit « Colombier », sur la commune de Verteuil. L’individu, menaçant, prévient les gendarmes que s’ils n’agissent pas il en informera les Allemands. Le commandant de brigade rend compte à son commandant de section qui se rend sur les lieux avec des renforts. La mise en place d’un dispositif de surveillance s’avère fructueuse. Vers la fin de la journée, deux jeunes gens, porteurs d’un paquet sous le bras, s’éloignent de la ferme en devisant. Les gendarmes les contrôlent et constatent la présence de cambouis sur leurs mains. Aux questions des enquêteurs, ils répondent par des explications confuses. Une fouille à corps amène la découverte, sur l’un d’eux, d’une cartouche de mitraillette. L’officier décide de ratisser le secteur. Au cours de la prospection, dans une haie, les gendarmes découvrent deux « cylindres » parfaitement dissimulés contenant des mitraillettes et des munitions. Dans la ferme, ils trouvent un troisième individu, Yves F…, caché sous du foin, et 27 autres « cylindres » parachutés. Ils apprennent qu’un autre jeune homme, appartenant au petit groupe, s’est enfui, en fin de matinée, à l’approche d’une paysanne. Le chef présumé de la bande, Yves F…, déclare aux gendarmes être entré dans une organisation clandestine à Bordeaux à la suite d’une conversation avec un inconnu. Celui-ci lui aurait demandé de recruter des camarades et d’écouter tous les soirs la radio anglaise. À la réception du message personnel « La Saint-Félix tombe en juillet », il devait se rendre au lieu-dit « Colombier » pour y cacher le matériel réceptionné par les jeunes gens recrutés par ses soins. Le chef d’escadron D…, commandant la compagnie, arrivé sur les lieux en fin d’après-midi, décide de prendre à son compte l’envoi de tous les messages prévus aux différentes autorités. Outre la police et les autorités administratives, il informe la police allemande qui se rend sur place et emmène à Agen les trois jeunes gens ainsi que le matériel.
L’intervention des gendarmes et la prise en main de l’enquête par le commissaire Poinsot, chef de la S.A.P. (Section des affaires politiques de Bordeaux), puis des services allemands de la Section IV du K.D.S. de Bordeaux, sous les ordres de Friedrich Dhose, est lourde de conséquences. Non seulement elle met la Gestapo sur la piste de Grandclément, délégué régional de l’O.C.M. pour la région du sud-ouest, mais encore elle provoque son interpellation, le 19 septembre, à Paris où il se trouve en déplacement. « Retourné » par les policiers allemands, il livre des dépôts d’armes parachutées. Il s’ensuit de nombreuses arrestations, exécutions et déportations. En juillet 1944, Grandclément, accusé de trahison par la Résistance, tombe dans le piège que lui tend Roger Landes, officier des services secrets britanniques. Un jugement sommaire précède son exécution et celle de son épouse.
En septembre 1945, un fonctionnaire de la 7e brigade de police judiciaire, dans le cadre de l’enquête ouverte sur la trahison de Grandclément, procède à l’audition de la mère du jeune Yves F… qui, à propos de l’arrestation de son fils, déclare :
« J’ai appris par la rumeur publique que mon fils et son camarade avaient été arrêtés à la suite d’une dénonciation formulée par un italien propriétaire du champ. Je n’ai jamais su son nom… J’ai appris après la libération que cet Italien avait été exécuté pour cette raison. »
Un autre élément, passé sous silence lors du procès, mis à jour quelques années plus tard, enrichit notre information. Il s’agit de la découverte, dans les archives de la préfecture d’Agen, du rapport n° 62/4, sur les arrestations opérées par les gendarmes, établi par le capitaine M…, commandant la section de Marmande. Classé dans le dossier « affaires diverses » il porte le cachet du cabinet du préfet du 29 juillet 1943 avec la mention marginale manuscrite « secret, police allemande ». Selon toute vraisemblance, un exemplaire du document a été transmis à l’occupant par l’autorité préfectorale. Le ministère public accuse le commandant D… d’avoir fait remettre les jeunes gens interpellés aux Allemands contrairement aux accords Bousquet/Oberg.
L’officier doit répondre d’une troisième accusation. Le 18 août 1943, aux abords de la gare de La Réole, un individu, porteur d’une valise, se trouble à la vue de deux gendarmes qui passent, et prend la fuite. Par réflexe professionnel, les gendarmes le poursuivent et l’appréhendent. Dans ses bagages, ils découvrent un poste émetteur de marque anglaise. L’homme, détient trois cartes d’identité dont une au nom d’un sous-officier de l’armée de l’armistice. Les gendarmes l’identifient comme étant Fernand G… Pour justifier le transport du poste, il prétend que la veille, se trouvant dans un café à Agen, un inconnu lui a demandé de lui rendre un service en allant à La Réole chercher une valise personnelle que lui remettrait, à un point convenu, un individu de signalement donné. La valise devait être ramenée à Agen par le train du soir et remise sur les quais de la gare. L’individu nie faire partie de la Résistance. À la brigade, alors que la nuit tombe, les gendarmes lui donnent une occasion de fuir en laissant intentionnellement une porte ouverte. L’inconnu se sauve pour aller se blottir dans un fossé à une quarantaine de mètres ; Les gendarmes ne peuvent faire autrement que de le reprendre car un acte de provocation n’est pas exclu. Le lendemain, au cours de son transfèrement en automobile au chef-lieu compagnie, le gradé chef d’escorte lui propose de le laisser fuir. Il refuse.
L’accusation reproche au commandant d’avoir donné l’ordre de conduire le suspect au chef-lieu compagnie au lieu de le faire déférer aux autorités judiciaires.
Dans le cadre du même procès, comparaît libre, accusé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État et complicité, le chef d’escadron Louis O…, placé en 1943 sous les ordres du commandant D…, alors qu’il commande la section de La Réole. Un seul fait, daté de 1943, provoque sa mise en cause. Le 18 août, sur ordre de son chef, il a fait transférer à Agen Fernand G…, arrêté par ses subordonnés pour détention et transport d’un poste émetteur.
Promu chef d’escadron le 26 décembre 1943, le capitaine O… muté à la légion du Poitou prend ensuite le commandement de la compagnie de Meurthe-et-Moselle à Nancy. À la Libération, il est rétrogradé et révoqué sans pension. Poursuivi devant le tribunal militaire, laissé en liberté provisoire, il vit dans l’expectative depuis 1945.
Plusieurs témoins à charge, régulièrement cités par le Ministère Public, dont deux, déportés rentrés des camps de concentration, Jacques C…, 16 ans et Guy M…, 18 ans, interpellés le 23 juillet, ne s’étant pas présentés, le commissaire du Gouvernement donne lecture de leurs dépositions. La plupart des anciens subordonnés des deux accusés qui se présentent à la barre ont pris une part plus ou moins directe dans les trois affaires. Tous font preuve d’objectivité et se gardent d’appréciations personnelles sur l’attitude du commandant D… à l’exception d’un capitaine, cité par l’accusation, ancien commandant de section sous les ordres du commandant D… (affaire du parachutage), promu commandant et muté dans la G.R. après la Libération. À la barre, cet officier affirme qu’ayant reçu l’ordre de son chef de conduire aux Allemands les trois jeunes gens arrêtés d’ailleurs par ses gendarmes, lors de la découverte du parachutage, il a fait des représentations verbales à cet ordre qu’il estimait contraire au sentiment du devoir patriotique.
Sa déposition provoque la question suivante de l’un des juges :
« Pourquoi alors avez-vous procédé au transfèrement ? »
Sa réponse inattendue tombe alors :
« J’ai obéi parce que je recevais un ordre. »
Le témoin se trouve exactement dans la même situation que le capitaine O… argument que ne manque pas de soulever le défenseur de l’officier, faisant observer de surcroît que son client avait été révoqué et se trouvait au banc des accusés.
Effectivement, le capitaine O… a obéi à un ordre lui prescrivant le transfert de Fernand G… au chef-lieu compagnie. Pour preuve, la conclusion du rapport n° 65/4 établi par l’officier en date du 19 août 1943 « Sur l’arrestation d’un individu porteur d’un poste radio électrique émetteur-récepteur » qui précise :
« Le 18 août 1943 à 11 heures, l’enquête n’étant pas encore terminée et le délinquant n’ayant pas encore été déféré au parquet, le chef d’escadron commandant la compagnie donna l’ordre par téléphone de clore le procès-verbal et de conduire immédiatement en voiture automobile G… à la gendarmerie d’Agen.
Le 19 août 1943, le chef d’escadron commandant la compagnie fait savoir que l’adjudant G… avait été mis en état d’arrestation par les autorités d’occupation. »
Dans son réquisitoire, le commissaire du Gouvernement ne conteste pas la validité du serment de la gendarmerie lu à l’audience :
« Je jure d’obéir à mes chefs en tout ce qui concerne le service auquel je suis appelé et, dans l’exercice de mes fonctions, de ne faire usage de la force qui m’est confiée que pour le maintien de l’ordre et l’exécution de lois. »
Au contraire, il pose le principe que l’assermentation professionnelle conserve toute sa valeur. Il s’attache à montrer que les deux accusés ont commis une faute technique en ne se conformant pas aux accords Oberg. Il s’efforce de présenter le commandant D… comme un collaborateur. Au capitaine O…, il reproche, reconnaissant l’ordre reçu de son supérieur, de n’en avoir pas référé, pardessus celui-ci, à son commandant de légion, s’il pensait que cet ordre n’était pas conforme aux instructions.
Brusquement, il termine son réquisitoire, sans conclusion, ne requérant pas de peine.
Le défenseur du commandant D.., textes en mains, démontre que celui-ci ne peut être accusé d’avoir dépassé les termes des accords Bousquet/Oberg. En effet, selon lui, l’article 79 du Code pénal ne s’applique pas au cas présent. Il vise la situation d’États belligérants, non celle d’un État occupé. Non seulement la gendarmerie agissait avec l’autorisation du Gouvernement dans ses rapports avec les Allemands, mais elle agissait par ordre. Pas un sur cent des gendarmes n’aurait eu des rapports avec les Allemands s’il n’y avait été tenu par les règles de son service et s’il n’avait eu conscience de faire un sacrifice car c’en était un dans l’intérêt général. En conclusion, il soutient que l’accusé n’est pas sorti du cadre d’obéissance aux ordres émanant du Gouvernement (accords Bousquet/Oberg). Il a agi conformément aux instructions en vigueur en prévenant les autorités de police, les autorités administratives et les autorités allemandes, aussi n’est-il pas coupable.
Maître B… montre que le commandant D…, militaire né, puisque fils de gendarme, élevé dans une caserne de gendarmerie, puis engagé volontaire le jour même de ses dix-huit ans, formé à la discipline, respectueux de l’ordre reçu, esclave de son serment, manque peut-être de souplesse d’esprit et de sens de l’opportunité, ce qui ressort de ses notes. Mais il est foncièrement honnête, droit, loyal, et n’a pas toujours su faire la différence entre ce que la situation obligeait à écrire noir sur blanc et les tempéraments à apporter dans l’exécution. Il fait ressortir avec force, combien il était facile, quatre ans après l’Occupation, de dire : il fallait faire ceci, il fallait faire cela. Il faut se remettre dans l’ambiance d’alors et se représenter gendarmes et officiers qui devaient prendre des décisions immédiates, sous la pression des uns et des autres. Que certains réflexes aient été maladroits, inopportuns, malheureux même, personne ne le conteste. Il montre enfin l’inanité d’une résistance ouverte et catégorique aux exigences allemandes, résistance qui aurait certainement ménagé l’avenir pour lui. La chose comportait de grands risques sans contreparties, les Allemands n’ayant pas l’habitude de se laisser impressionner lorsqu’ils pouvaient imposer la force.
La tâche de Maître C…, l’avocat du commandant O… paraît plus facile. En dehors de toute autre considération, son client a obéi à un ordre en prescrivant le transfèrement de Fernand G.. au chef-lieu de compagnie. Dans sa plaidoirie, il met l’accent sur l’action résistante du commandant O… que viennent confirmer plusieurs témoins. Un de ses anciens subordonnés, dont la conduite admirable lui a valu la Légion d’honneur et la médaille de la Résistance, dépose en termes chaleureux en sa faveur. Il relate comment le commandant, alors en poste à Nancy, lui a sauvé la vie lorsqu’il était entre les mains des Allemands et condamnés à mort. L’ennemi l’ayant remis en liberté, avec l’intention de le filer, pour pouvoir mettre la main sur le réseau dont il faisait partie, une seconde fois le commandant le cache et lui évite l’arrestation. L’officier apporte son soutien à sa famille désemparée, abandonnée de tous, dans la plus noire détresse. Et le témoin, en concluant, se tourne avec une émotion non dissimulée vers l’accusé. Pour lui marquer encore sa gratitude, il l’assure que ce serait pour lui un honneur de servir de nouveau sous ses ordres. Un autre témoin, M. Hauser, rend compte de l’adresse et de la fermeté dont le capitaine O… a fait preuve à l’égard de Verdier, domicilié dans sa circonscription. Ce délégué à la propagande de Vichy, collaborateur notoire, lié d’amitié à Philippe Henriot, ne trouve pas auprès du commandant de section l’aide espérée pour combattre les adversaires du régime. Il se heurte à des fins de non-recevoir de l’officier, malgré de nombreuses menaces pour le contraindre à des actes antinationaux. En mai 1943, dans un rapport remis à Jacques Guérard, secrétaire général du chef du Gouvernement, Verdier dénonce la tiédeur des gendarmes :
« Les gendarmes eux-mêmes, souligne-t-il, ne sont pas sûrs : dans mon arrondissement, sur un effectif de cent, cinq seulement suivent le Maréchal. »
Un subordonné du capitaine O…, l’adjudant Pradier, commandant la brigade d’Auros (Gironde), rapporte comment son commandant de section l’a couvert en 1942 :
« Au printemps 1942, un certain B… ; lieutenant-colonel d’aviation en congé d’armistice ayant servi au camp de Cazaux avant l’armistice, vint s’installer avec sa femme au restaurant L…, à 10 mètres à peine de la caserne. Je ne fus pas long à comprendre que ce couple, qui se rendait journellement en zone occupée, était suspect et épiait tous mes actes et paroles. Je le surveillais autant qu’il pouvait me surveiller lui-même. C’est ainsi que j’acquis la certitude que ledit couple avait des relations suivies avec les postes allemands de Langon. B… fut nommé chef de la propagande de la Légion pour le canton d’Auros ce qui lui permit de s’infiltrer un peu partout et devint très dangereux. Au moment de l’avènement de Laval et à la suite d’une manifestation légionnaire, le 17 mai 1942, à Auros B…, porta plainte contre moi me désignant comme individu révolutionnaire très dangereux au point de vue national, nettement contre le Gouvernement Laval et me livrant à la propagande anti-légionnaire. Il demandait mon arrestation et ma destitution immédiate. Des inspecteurs de la police mobile de Toulouse et de Vichy vinrent enquêter sur place mais n’obtinrent aucun renseignement précis sur mon activité. C’est alors que le capitaine O…, de La Réole, fut désigné pour enquêter à son tour. Mis en présence de B…, ce dernier m’accusa formellement de faire le jeu des Alliés contre l’Allemagne. Je gardai mon sang-froid et il en fut pour ses frais. Resté seul avec le capitaine O…, ce dernier m’ayant parlé en toute franchise, je lui fis confiance. Il me sauva en concluant son enquête par un rapport très favorable. L’affaire fit grand bruit dans le pays… »
Après les plaidoiries, le président du tribunal lit à la cour les quatre questions, découlant de l’acte d’accusation et des débats, qui vont être posées aux juges. La retranscription de leur contenu nous donne l’exacte mesure de ses fondements juridiques :
1re) question : D…, 54 ans, commandant la compagnie de gendarmerie d’Agen (Lot-et-Garonne) au moment des faits est-il coupable d’avoir, en temps de guerre à Agen, depuis moins de dix ans, entretenu sans autorisation du Gouvernement des relations avec des agents d’une puissance ennemie, en l’occurrence l’Allemagne, en donnant le 14 avril 1943, en tout cas depuis temps non prescrit, contrairement aux instructions du 20 décembre 1942, au commandant de brigade de Motflanquin, l’ordre de remettre aux Allemands deux officiers alliés, prisonniers évadés ?
2e) question : Le même est-il coupable d’avoir en temps de guerre à Agen (Lot-et-Garonne), depuis moins de dix ans, entretenu sans autorisation du Gouvernement des relations avec une puissance ennemie, en l’occurrence l’Allemagne, en remettant aux autorités allemandes, de sa propre autorité et sans en référer au préalable à ses chefs, contrairement aux instructions en vigueur, le 23 juillet 1943, en tout cas depuis temps non prescrit, trois jeunes maquisards trouvés détenteurs d’armes et de munitions parachutées ?
3e) question : Le même est-il coupable d’avoir en temps de guerre à Agen (Lot-et-Garonne) depuis moins de dix ans, entretenu sans autorisation de son Gouvernement, des relations avec des agents d’une puissance ennemie, en l’occurrence l’Allemagne, en remettant aux autorités allemandes, de sa propre autorité et sans en référer à ses chefs, au préalable, contrairement aux instructions en vigueur, le 18 août 1943, en tout cas depuis temps non prescrit, l’adjudant Fernand G…, membre d’un groupe clandestin de résistance ?
4e) question : 0…, 47 ans, capitaine commandant la section de gendarmerie de La Réole (Gironde) au moment des faits est-il coupable d’avoir en temps de guerre, à La Réole, avec connaissance aidé ou assisté le commandant D…, le 18 août 1943, en tout cas depuis temps non prescrit, à l’occasion du crime préparé spécifié à la 3e question ci-dessus, dans les faits qui l’ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l’ont consommé, en faisant transférer à Agen le nommé G… ci-dessus désigné, alors qu’il savait que le dit G… devait être à son arrivée, remis à la police allemande et ce contrairement aux instructions officielles en vigueur à l’époque ? »(222)
Puis, le président du tribunal ordonne aux défenseurs et aux accusés de se retirer. La cour délibère à huis clos. Conformément à l’article 10 du Code de justice militaire, les juges votent au scrutin secret sur chacune des questions ainsi que sur les circonstances atténuantes. À la suite de chaque scrutin et des dépouillements successifs, le tribunal déclare sur chaque question, à la majorité légale requise par le Code de justice militaire, les accusés non coupables. C’est l’acquittement, au grand regret d’un journal qui titre ainsi le compte rendu des débats :
« Le commandant de gendarmerie livrait les Résistants aux Allemands. Il est acquitté. »
Rendant compte de l’audience le journaliste écrit :
« Si l’on demande à un tribunal de répondre à telle question en vertu de tel article du Code pénal, si d’autre part cet article ne s’applique pas aux faits reprochés à l’inculpé, celui-ci risque fort d’être acquitté. »
Au cours de ce procès, un des derniers qui met au-devant de la scène des personnels de la gendarmerie poursuivis pour des faits visés par l’ordonnance du 26 juin 1944, les juges abordent la question de leur responsabilité sous un angle nouveau qu’il convenait de rappeler.
Bien qu’absous, les deux officiers, blessés dans leur honneur, leur carrière brisée, endurent avec tous leurs proches une douloureuse épreuve. Bien plus tard, la République rétablit dans son grade de chef d’escadron le capitaine O… En 1956, elle l’admet dans l’ordre de la Légion d’honneur avec le grade de Chevalier. Cette reconnaissance tardive, assimilable à une « réhabilitation », ne referme pas la plaie toujours béante ouverte à la Libération qui a entraîné son élimination de la gendarmerie dont ses proches estiment qu’elle n’est pas étrangère à sa disparition prématurée en 1964.
Face aux cours de justice de toute la France : une palette de peines très lourdes contre les gendarmes est prononcée.
- Cour de Justice de l’Aveyron
Les 22, 23 et 24 août 1944, le capitaine C… G… fait bravement le coup de feu contre les Allemands aux côtés des F.F.I. à Marseille. Précédemment en poste à la section de Millau, le commandement l’en a éloigné, peu après le débarquement, pour le soustraire aux menaces dont il était l’objet de la part de la Résistance. D’après le témoignage de plusieurs de ses subordonnés, son départ de l’Aveyron a mis fin aux dangers qu’il faisait peser sur eux. Le journal Midi-Libre, dans son édition du dimanche 24 et lundi 25 septembre 1944, publie sous le titre « L’épuration continue » la liste de 33 personnes, dont 24 hommes et 9 femmes de l’arrondissement de Millau, placées sous mandat d’arrêts. Parmi elles figure « C… G… ex-capitaine de gendarmerie à Millau ». Le Comité d’épuration a pris les dispositions nécessaires pour le faire mettre en état d’arrestation à Marseille et le transférer à la maison d’arrêt de Rodez. Sur les conditions de sa détention, écoutons l’un de ses subordonnés :
« Un jour, nous allâmes conduire une centaine de détenus à la prison de Rodez. À l’occasion de ce transfèrement, je revis mon ancien capitaine qui était détenu dans une grande salle avec une trentaine d’autres individus. Il portait son uniforme de gendarme et ses galons. »
En novembre, le commandant de compagnie sous les ordres duquel il a servi, toujours en fonction à Rodez à la Libération, et qui le connaît bien, considère qu’il a eu des initiatives personnelles exagérées dans l’exécution des ordres de Vichy, initiatives dictées plutôt par un zèle intempestif que par une participation volontaire à des actes antinationaux.
L’opinion de ses subordonnées est plus tranchante. Certains estiment qu’il s’agissait « d’un officier pro-nazi qui mettait son intelligence au service du mal ». Un autre sous-officier évoquant son action écrit :
« Notre capitaine organisait quelques opérations contre les maquis. N’ayant jamais participé à aucune, je ne pourrai les décrire. Je sais seulement que les résultats furent toujours négatifs, les gendarmes patriotes avaient toujours pris les dispositions nécessaires pour que le gibier ait disparu. »
Le même témoin relate les propos que tient son chef au moment du débarquement :
« Le 6 juin 1944, vint enfin ce jour tant attendu de millions d’êtres humains. En débarquant sur les côtes normandes nos alliés et nos propres forces venaient de mettre le pied sur la terre de France. On nous rassemble à Millau et, dans un discours plein de fougue, notre chef, essaya de nous démontrer que le débarquement avait échoué, que l’action du maquis était vouée à l’échec. Il nous incita à nous ranger résolument au côté de l’Allemagne qui chancelait déjà sur son piédestal. »(223)
Le jeudi 25 janvier 1945, Charles C… G…, 42 ans, inculpé d’intelligence avec l’ennemi, comparaît devant la Cour de Justice de la cour d’appel de Montpellier, section de Rodez. L’accusation lui reproche différents actes commis entre 1942 et 1944. Courant 1942, à la suite d’une distribution de tracts à Millau, il adresse à ses chefs des rapports indiquant que des exemplaires semblables se trouvaient chez M.M. M… et C… Après enquête par la police de sûreté de Montpellier, le tribunal condamne les détenteurs de ces tracts, qui deviennent suspects aux yeux de Vichy et des Allemands, à 1 200 francs d’amende. D’ailleurs, en 1944, la Gestapo arrête M. M… qui succombe sous les tortures. Toutefois, elle ne peut interpeller son gendre, M. C… qui, à la tête du maquis d’Aubrac, se bat dans le réduit de Chaudes-Aigues. L’inculpé affirme avoir agi sur l’ordre de ses chefs.
À l’instigation du préfet Marion et de Tessou, délégué à la propagande du Maréchal, l’officier organise, avec 100 gendarmes, une expédition à Rivière-sur-Tarn où un indicateur a signalé la présence d’un dépôt d’armes. L’opération ne donne aucun résultat.
Chargé d’enquêter sur l’existence d’un maquis à Mostuéjouls, en réalité maquis des Lacs, stationné dans une bergerie au-dessus de Boyne, il affirme avoir donné de faux renseignements dans le rapport qu’il a été obligé d’adresser à ses supérieurs sous la pression de la Milice. Le 15 février 1944, il organise une attaque pour surprendre les maquisards.(224) Elle échoue grâce à la complicité du gendarme Bonnet qui en fait le récit suivant :
« Vers le milieu du mois de février 1944 (je ne puis préciser la date exacte de mémoire) le chef de brigade de Sévérac (adjudant Tuféry) avait été convoqué à Millau. De retour à la brigade, l’adjudant a eu une conversation, dans son bureau avec le maréchal des logis-chef Couni (décédé en Tunisie).
Curieux, car je me doutais qu’une opération urgente se préparait, j’écoutais, l’oreille contre la porte. J’apprenais ainsi que le maquis de Mostuéjouls allait être attaqué le lendemain matin à l’aube.
J’ai prévenu aussitôt le docteur Testor responsable de la Résistance locale afin qu’il s’efforce de faire le nécessaire.
Avec le chef Couni nous sommes allés coucher à Millau. À 4 heures un détachement de 30 gendarmes venus de toute la région prenait place sur un camion et gagnait Mostuéjouls sous le commandement du capitaine de gendarmerie C.G… Après Mostuéjouls, par les sous-bois, sous la conduite de l’adjudant Gayraud, chef de brigade de Peyreleau nous atteignons la clairière où se trouve la bergerie que nous encerclons, cachés par les arbres.
Le groupe franc de huit gendarmes, formé à Millau, se détachait au moment de l’attaque. De l’orée de la clairière nous couvrions le groupe franc dont les hommes portaient des cuirasses pare-balles.
J’étais anxieux. Ils pénétraient à l’intérieur… Le local était abandonné. Sur le sol des épluchures, des étuis de balles vides, un feu à demi consumé, ce qui dénotait un départ précipité.
Le capitaine voyant l’insuccès de l’opération voulait incendier la bergerie. Le chef Couni lui démontra l’inutilité de ce geste.
Nous sommes allés jusqu’à la ferme de Vors mais les habitants interrogés "ne savaient rien, n’avaient rien remarqué". Retour à Millau.
Par la suite continuant l’enquête nous avons entendu le chef de la halte d’Engayresque qui nous indique qu’à cette époque plusieurs jeunes avaient pris le train. Aucune information ne nous parvint ».
De retour à Millau, le capitaine fait insérer dans la presse un communiqué de victoire :
« Un important groupe de terroristes étrangers a été dispersé à Liaucous… »
Le capitaine affirme avoir arrêté le militant communiste B… sur ordre de la Kommandantur. Il le remet à la police de Montpellier avec les papiers compromettants trouvés sur lui. Le commandant de section reconnaît avoir donné des instructions à ses brigades, au mois d’avril 1944, pour arrêter les individus qui ne signalaient pas aux autorités les réquisitions du maquis, initiative prise selon lui dans le but de sévir contre les faux maquisards. Son commandant de compagnie, informé de son initiative, rapporte les directives données. Appelé à s’expliquer sur l’ordre qu’il aurait donné à ses gendarmes de tirer sur une voiture de la Résistance dans la région de Sévérac, il fournit des explications confuses. Le 22 juin 1942, il fait arrêter un nommé A… réfractaire au S.T.O. Pour se justifier, il se retranche derrière les ordres donnés par le préfet. Ayant arrêté et présenté au parquet un soldat polonais déserteur de l’armée allemande, il répond au procureur qui voulait le relâcher : « je vais le conduire à la Kommandantur ». Les Allemands reprennent ce malheureux soldat. D’autres imputations s’ajoutent aux précédentes : arrestation d’un porteur de tracts clandestins, traque d’un chef de l’A.S. arrêté en 1943 en gare de Millau.
Le président de la Cour de Justice fait observer que l’accusé est notoirement connu pour ses sentiments collaborationnistes et ses relations cordiales avec l’occupant. Il note que l’ex-capitaine a participé à la libération de Marseille où il s’est battu courageusement.
Le vendredi 26 janvier, reprise des débats à 9 heures. Plusieurs témoins à charge viennent successivement à la barre. Monsieur G…, procureur de la République à Millau, relate qu’il voulait relâcher le polonais déserteur de l’armée allemande interpellé par la gendarmerie, mais le commandant de section s’est opposé à cette mesure et a menacé de le dénoncer à la Kommandantur. Le capitaine B… des F.F.I., organisateur du maquis de Mostuéjouls, arrêté par l’accusé le 25 mars 1944, déclare avoir été frappé par l’officier qui voulait obtenir des renseignements sur les résistants de Millau figurant sur une liste en sa possession, découverte à la suite d’une fouille à corps. L’ancien chef départemental de la Résistance, Jean B… commandant F.F.I., donne des précisions sur une souricière que lui a tendue le capitaine. Aux mains de la Gestapo, il a acquis la « quasi-certitude » que l’accusé était en relation suivie avec les Allemands. À l’appui de son affirmation, il développe des exemples précis avant de confier au tribunal que C… G… était condamné à mort par la Résistance. Un directeur de banque, Charles D… appuie les dires du précédent témoin et conclut sa déposition en déclarant que l’intéressé a brisé la Résistance Millavoise.
À leur tour, des officiers et sous-officiers de gendarmerie déposent contre l’ex-commandant de section. Le chef d’escadron M…, son commandant de compagnie, montre qu’il n’était pas toujours facile à l’ex-capitaine de désobéir, cependant il souligne qu’à l’occasion de plusieurs affaires il aurait pu faire preuve de beaucoup moins de zèle. Le lieutenant B…, son successeur, déclare qu’il était suspect à ses chefs et n’a pas été admis à servir le maquis aveyronnais au moment de la Libération. Deux gendarmes de Millau confirment les sentiments collaborationnistes de leur ancien chef et ses relations avec la Gestapo et la Milice. L’adjudant C… et le gendarme S… précisent que le commandant de section leur a bien donné l’ordre de tirer sur des maquisards dans la région de Sévérac. Mais ils ont refusé.
Parmi les témoins qui déposent en sa faveur, trois membres de la gendarmerie dont deux colonels et un général. Ils attestent que l’accusé est un homme loyal, un officier strict et intelligent et qu’il a toujours eu des sentiments patriotiques. Un officier de réserve et quelques civils témoignent également à décharge.
M. L…, procureur de la République à Millau qui occupe le siège du ministère public prononce le réquisitoire et requiert au minimum la peine des travaux forcés à perpétuité. Le lendemain matin, samedi 27 janvier, Maître H…, du barreau de Montpellier, et maître B…, du barreau de Rodez, assurent la défense de l’accusé. Après en avoir délibéré, la cour condamne l’ex-capitaine commandant la section de Millau à 20 ans de travaux forcés et à 1 an d’interdiction de séjour. Dans les jours qui suivent le verdict, le Comité local de Libération s’insurge contre une condamnation qu’il estime trop clémente.
- Cour de Justice du Pas-de-Calais
Le lundi 16 avril 1945, la Cour de Justice de Béthune juge le lieutenant Roger F…, ancien commandant de la section de Lens (Compagnie d’Arras, légion des Flandres) poursuivi pour trahison avec l’ennemi. Au moment de son arrestation, à la mi-septembre 1944, le lieutenant F… sert à la légion de Champagne. Dans l’attente du résultat des investigations effectuées sur son compte, le commandement l’affecte, à la suite, sans emploi, à la 6e légion. Au début de l’automne, les nécessités de l’information ouverte contre lui entraînent son transfert à Béthune où siège une des sections de la Cour de Justice du Pas-de-Calais.
L’inculpation de l’officier se fonde sur des faits commis entre les mois de septembre 1941 et de juillet 1942 lorsqu’il commandait la section de Lens. Ils s’articulent autour de quatre points : relations étroites avec la Gestapo d’Arras, établissement de rapports d’initiative sur l’action des « terroristes », actes de violence exercés sur des résistants, dénonciations et arrestations de 210 patriotes. L’instruction de son dossier aboutit à son renvoi devant la Cour de Justice.
Les débats, rondement menés, établissent qu’il a procédé et fait procéder d’initiative à la recherche et à l’arrestation de membres de la Résistance. Ses chefs et les autorités administratives l’ont d’ailleurs distingué pour son activité. Par décision ministérielle du 10 mars 1942, la Délégation générale du Gouvernement français dans les territoires occupés lui décerne un témoignage de satisfaction pour « recherches judiciaires et arrestations en quelques jours de 22 auteurs ou complices d’attentats terroristes ayant provoqué la plus vive émotion dans la région ».
Dans son rapport mensuel du 3 mai 1942, le préfet du Pas-de-Calais souligne la recrudescence, dans son département, de l’action « terroriste » et communiste. Corrélativement, il insiste sur l’efficacité de la répression menée par les services de police et de gendarmerie. L’action de ces derniers a eu pour résultat le démantèlement, dans une très large mesure, des organisations subversives. Pour l’autorité administrative, le principal artisan de ce bilan est le lieutenant F… Le tableau éloquent des opérations réussies par l’officier le démontre :
« Arrestation de 12 terroristes particulièrement dangereux auteurs de nombreux sabotages, cambriolages de mairies et attentats à main armée contre des personnes (gendarmes, agents de police, chefs porions des mines, ingénieurs des mines) et contre des membres de l’armée allemande ou des immeubles occupés par des services allemands.
Certains, parmi les 12 terroristes sont des chefs responsables des organisations "O.S.M.".
Rien que pendant le mois d’avril, l’arrestation de ces 12 terroristes a amené à la suite de leurs aveux, près d’une centaine d’arrestations de militants actifs de l’ex-parti communiste, détenteurs de tracts, ou receleurs "d’illégaux" communistes en fuite… »
Dans un rapport en date du 9 mai, adressé au secrétaire général pour la police, le même préfet, Amédée Bussières, demande que l’on envisage en faveur de l’officier une promotion à titre exceptionnel au grade de capitaine et son maintien sur place pour « qu’il puisse y continuer l’action si brillamment entreprise et déjà si féconde en résultats ». La direction de la gendarmerie ne donne pas de suite à cette intervention et doit éloigner le lieutenant F… de son commandement en raison des menaces émanant de la Résistance dirigées contre lui. Le 17 juillet 1942, il quitte la section de Lens pour rejoindre la 8e légion de gendarmerie.
Par arrêté du 30 décembre 1943, sur proposition de ses chefs, l’officier fait l’objet à titre exceptionnel d’une inscription au tableau spécial de la Légion d’honneur.
Le commissaire du Gouvernement lui demande des explications sur des sévices qu’il aurait exercés, au cours d’interrogatoires, contre des membres de la Résistance. En 1976, Roger Pannequin, membre du C.D.L. du Pas-de-Calais, son principal accusateur, évoque son comportement :
« J’appris que les gendarmes de Lens avaient arrêté et tué sous les coups « Paul », l’Ignace que Julien Hapiot estimait ; Ignace Humblot, ancien délégué mineur d’Auchy les Mines…
À la gendarmerie de Lens, le lieutenant de gendarmerie F… avait mené lui-même l’interrogatoire d’Ignace qui refusait de dire son nom. Il l’avait fait conduire à l’écurie, attacher contre le mur aux anneaux des chevaux et à la mangeoire. Puis méthodiquement, F… l’avait battu à coups de chaînes sur la colonne vertébrale, lui brisant les reins et, comme il ne disait toujours rien, l’avait achevé en le frappant à la tête. F… donna le cadavre aux Allemands pour montrer aux occupants hitlériens qu’ils n’avaient pas de meilleurs serviteurs que les gendarmes français, et pour que le corps disloqué échappe à tous les témoignages ultérieurs… »(225)
L’inculpé réfute avec force les allégations selon lesquelles il a torturé et battu à mort un résistant. Dans sa plaidoirie, Maître E…, montre que son client s’est employé à remplir les actes professionnels qui lui incombaient, se conformant, malgré les dangers encourus, aux règles de la discipline, aux ordres de ses chefs et aux instructions du Gouvernement et de ses représentants, comme il l’avait fait pendant la campagne de France, les 11 et 12 juin 1940, au cours des combats de Saint-Valéry-en-Caux (Seine Inférieure) où il fut blessé par éclat d’obus et cité.
Au moment du procès, malgré les quelques mois qui se sont écoulés depuis la Libération, les plaies ouvertes pendant l’Occupation restent vives. Le statut de zone interdite des départements du Nord a placé une population de 3 millions d’habitants sous la tutelle directe du commandement militaire allemand de Bruxelles. Pendant cinquante et un mois, l’occupant a imposé aux habitants de lourds sacrifices : plus de 20 000 arrestations suivies d’internements et de déportations, près d’un millier de patriotes exécutés. Tout ceci influe sur le procès du lieutenant F… Il se déroule sous l’œil vigilant des résistants, dans un climat passionnel et passionné qui exige une conclusion rapide. Il s’achève en fin de journée. Témoigner à décharge dans ces temps de tension politique très vive exige une dose incontestable de courage. Pas un de ses chefs ne vient déposer. Toutes ces circonstances jouent en sa défaveur. Après la délibération, la cour condamne l’officier à la peine de mort et à la confiscation de ses biens. Le général de Gaulle rejette le recours en grâce présenté par son défenseur. Le 20 mai, le journal Nord-Matin, dans un entrefilet intitulé « La justice passe », annonce son exécution à Béthune le samedi matin 19.
Dans l’ultime lettre qu’il adresse à ses proches avant son exécution, dont une photocopie est conservée dans une collection particulière, l’officier, qui s’exprime à la troisième personne, évoque d’abord son procès :
«…il a pardonné à tous ceux qui par haine, par lâcheté, par passivité, par veulerie sont responsables de sa mort. Il ne désire et ne souhaite aucune vengeance car depuis des mois il aurait pu lui-même faire bien du mal dans le cadre des mœurs actuelles mais même pour se défendre il n’a pas voulu que la plus petite souffrance pour qui que ce soit puisse venir de lui-même car il a trop mesuré la douleur et la misère qu’engendrent ceux que se laissent guider par la passion et la vengeance. Mais il veut de façon absolue que son procès soit révisé, il veut que des juges professionnels militaires et indépendants effacent l’injure faite au nom de sa femme et de ses enfants… »
Puis il s’explique sur les faits qui lui sont reprochés :
« Sa conscience était d’une netteté absolue, jamais il n’a éprouvé le moindre remords de ses actes professionnels, il a fait son devoir en homme courageux et loyal, en soldat brave et discipliné, en chef soucieux de ses devoirs plus que de ses prérogatives. Avant de mourir il s’est posé la question suivante "Si c’était à refaire recommencerais-tu ? Et sa conscience lui a répondu." "Oui", sauf pour les violences légères qu’on lui reproche et pour lesquelles il reconnaît qu’il aurait dû garder plus de calme et de sang-froid. Mais il faut que l’on sache que ce péché est véniel et méritait tout au plus une sanction de principe, disciplinaire plutôt car les explications de cette attitude ont été données honnêtement, objectivement, et ce grief s’efface devant les dangers qu’il a affrontés, les services qu’il a rendus, les nuits sans sommeil, le labeur déprimant fourni par lui…
Tout ce qui est utile à la manifestation de la vérité se trouve dans les mains de M… et dans la conscience de ceux qui l’ont connu, l’ont jugé, l’ont félicité, encouragé à l’époque des faits qui lui sont reprochés… »
Le jugement du supérieur du lieutenant F…, le lieutenant-colonel P…, commandant la compagnie d’Arras, ainsi que celui d’un de ses subordonnés, l’adjudant H…, chef de brigade à Carvin, fait débat sur la question de savoir si un chef est responsable des actes commis par ses subordonnés. Traduits devant la même juridiction, ils bénéficient d’une plus grande indulgence. La Cour reconnaît le lieutenant-colonel P. « coupable d’avoir en temps de guerre sciemment accompli un acte de nature à nuire à la défense nationale » et le condamne le 25 juillet 1945 à la peine d’un an de prison et à la confiscation de ses biens. Quant à l’adjudant H…, à l’image de son commandant de section, se conformant aux directives des autorités françaises et d’occupation, il a déployé une activité préjudiciable à la cause de la Résistance. En témoignent les distinctions que lui valent ses actions. Le 23 mars 1944, au cours d’une prise d’armes dans la cour de la caserne de gendarmerie de Carvin, en présence du sous-préfet de Béthune, du maire de la localité, du commissaire de police et de personnalités de la région, le colonel P…, commandant la légion des Flandres, lui remet solennellement la croix de Chevalier de la Légion d’honneur. Comme le souligne son chef de corps, sa promotion à titre exceptionnel, « pour actes de courage et de dévouement accomplis dans l’exercice du service spécial de la gendarmerie (période du 15 décembre 1943 au 15 janvier 1944) » est le fruit de son engagement total dans la lutte contre « les éléments troubles » de la population. Le libellé de la citation ci-après en dit long sur son engagement :
« Excellent adjudant de gendarmerie animé d’un esprit d’abnégation et d’un courage professionnel réellement admirables. À, au péril constant de sa vie engagé une lutte sans merci contre les éléments troubles de la population et obtenu des résultats absolument remarquables donnant ainsi à tout le personnel le plus bel exemple de bravoure et de dévouement. »
À la suite d’un attentat commis contre des gendarmes d’une brigade voisine, l’adjudant de Carvin découvre deux des auteurs dans un train. Il se jette résolument sur eux malgré les coups de feu et les obligent à descendre du wagon où ils se trouvent. L’un d’eux s’étant échappé, il se lance à sa poursuite et l’abat d’un coup de pistolet. Par ailleurs, ce gradé met tout en œuvre pour arrêter Debarge, un des pionniers de la Résistance dans le Pas-de-Calais, dont la tête est mise à prix. La Cour de Justice condamne l’adjudant H… à la peine capitale. Le général de Gaulle le gracie.
- Cour de Justice du Jura
À la libération du Jura, le C.D.L. ordonne l’arrestation du capitaine A…, commandant la section de Dôle. Or, par mesure de sécurité, l’officier a été muté à Dijon. Avec l’ouverture d’une information à son encontre, pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État, débute le processus qui va le conduire devant un tribunal. Il fait l’objet d’un mandat d’amener mis à exécution à la fin de l’année 1944. Un séjour à la maison d’arrêt de Dôle, puis un transfèrement à celle de Besançon ne ralentissent pas l’examen de son cas, instruit par M. Maternati. Son renvoi devant la Cour de Justice ponctue l’instruction. Le commandant de section, entièrement acquis à l’occupant, aurait dénoncé aux autorités allemandes son supérieur hiérarchique le chef d’escadron Limouzin, commandant la compagnie du Jura et de l’Ain occupés à Dôle qui a entraîné son arrestation par la police allemande le 4 février 1944.(226) Libéré le 13 avril 1944, le commandant de compagnie à nouveau interpellé par la Gestapo le 26 juin est déporté en Allemagne au camp de Neuengamme où il décède le 1er avril 1945. La cour condamne le capitaine A… à la peine capitale. Le général de Gaulle rejette le recours en grâce. L’exécution par fusillade se déroule le 1er décembre 1945.
D’après plusieurs témoignages concordants, qui émanent de résistants de la région, de sous-officiers ayant servi sous ses ordres et du magistrat instructeur, il ressort que le capitaine A… a collaboré et fréquenté amicalement les officiers allemands en service à Dôle. Sur son bilan répressif, les témoins ne s’étendent pas. Le gendarme P… a fait part de sa « trouille » lorsque le capitaine A… l’emmenait sur le side-car à la recherche d’indices de « terroristes » dans les forêts de Chaux ou le massif de la Serre. Pour lui « le capitaine était gonflé, enragé et persuadé d’avoir raison ». Tous les sous-officiers de la section placés sous ses ordres, y compris les résistants, reconnaissent que le capitaine A… « était courageux et fier ». Le moment du procès, fin 1945, alors que les passions étaient encore exacerbées, lui a été fatal semble-t-il. Le magistrat instructeur, M. Maternati, confiait à l’un de ses amis que « quelques mois plus tard le capitaine n’aurait pas été exécuté ». Tous les témoins s’accordent à dire que devant le peloton d’exécution le capitaine A… a fait preuve de dignité.
- Cour de Justice de la Sarthe
Des militaires de la gendarmerie, pourtant à la retraite au moment de la Libération, doivent rendre des comptes sur leurs activités au cours de l’Occupation. En novembre 1943, le capitaine S…, commandant la 1re compagnie d’élèves-gendarmes à l’école préparatoire de Mamers, atteint par la limite d’âge de son grade, cesse ses fonctions. Quelques mois plus tard, à la Libération, les F.F.I. du Mans le mettent en état d’arrestation et l’incarcèrent. On lui reproche, étant en activité, d’avoir collaboré. En 1945, la Cour de Justice de la Sarthe le condamne à la peine capitale. Il est fusillé en même temps que son fils prêtre, collaborateur avéré.
Les cadres de l’école, pendant l’Occupation, observent face aux événements une stricte neutralité et se tiennent sur une prudente réserve. Seul, le capitaine S… affiche des sentiments pro-allemands et prêche à sa compagnie la collaboration à outrance. Un de ses anciens élèves écrit :
« Il venait tous les jours dans les salles de cours pour faire de la propagande nous incitant à le suivre et cherchant à savoir ce que nous pensions… » «…Un soir d’octobre, alors que nous manifestions notre joie en voyant passer au-dessus de l’école des avions Anglais qui battaient des ailes, ce soudard menaça d’appeler les Allemands pour nous amener à la raison. Ses menaces n’étaient pas à prendre à la légère car il attendait une occasion, selon ses dires, pour nous donner une leçon… »(227)
Le 4 octobre 1943, sur ses indications affirment ses accusateurs, en pleine nuit, aux alentours de deux heures du matin, la police de sûreté renforcée par l’armée allemande cerne l’école de gendarmerie. Des soldats gardent toutes les issues pendant que d’autres investissent les lieux. Une fouille approfondie commence. Les stocks d’armes, dissimulés sous le plancher de la salle de spectacle, échappent à leurs investigations. Si l’opération épargne les quatre cents élèves de l’école, en revanche, elle se solde par l’arrestation des trois officiers, le commandant de l’école, le lieutenant-colonel Abbadie, le chef d’escadron Caron et le capitaine commandant la 3e compagnie. La Gestapo ne relève aucune charge contre ce dernier qui recouvre la liberté après une courte détention. Les nazis incarcèrent le lieutenant-colonel Abbadie et le chef d’escadron Caron à la maison d’arrêt d’Angers puis à Paris, à la prison de Fresnes, jusqu’au 10 août 1944. Dans l’intervalle, un tribunal militaire allemand, le 10 février 1944, les condamne à la peine de mort pour intelligence avec l’ennemi. Les démarches inlassables du chef d’escadron Sérignan, chef de la section gendarmerie des territoires occupés, auprès des autorités allemandes, aboutissent à une commutation de la peine à 10 ans de réclusion.(228) Au début du mois d’août 1944, l’évolution de la situation militaire entraîne leur départ en déportation en Allemagne. Successivement écroué à Karlsruhe puis à Schwab-Hale et Beyreuth (section des condamnés à mort) enfin à la prison d’Amberg, le lieutenant-colonel Abbadie est libéré par l’avance Alliée le 22 avril 1945. Il quitte la prison à destination du centre de rapatriement d’Amberg 6 jours plus tard. Il lui faut attendre le 20 mai pour être rapatrié en France, au Bourget. Moins de 3 jours plus tard, il rejoint à Bordeaux sa légion d’affectation. Quant au commandant Caron, déporté à Flossemburg, il y décède en mars 1945.
Dans l’annexe jointe à la lettre du 11 novembre 1943, adressée par le général von Rundstedt au maréchal Pétain, figurent quelques indications sur le rôle joué par le commandant de l’école de Mamers dans la Résistance :
« Le 1er octobre 1943, M. Duthieul, second directeur du bureau du Ravitaillement du Mans, a été arrêté. Sur ordre d’un groupe placé en France par le ministère de la Guerre anglais, Duthieul s’est servi de l’organisation officielle du Ravitaillement général pour préparer des dépôts de vivres destinés à ravitailler les troupes ennemies en cas d’un débarquement éventuel en France. À cette organisation participait des négociants en gros, des fonctionnaires du Ravitaillement général. Le rapport sur le développement de cette organisation et sur ses préparatifs, vient de parvenir au ministère de la Guerre à Londres. Le commandant de l’école de gendarmerie de Mamers, le lieutenant-colonel Abadie qui vient d’être arrêté, était en relation avec ce groupe du Mans. En cas d’invasion, le lieutenant-colonel Abadie s’était assigné avec son école, des missions de combat. Il s’était mis d’accord par radio avec la centrale de Londres, pour prendre en charge des armes anglaises… »(229)
Pour son action patriotique, qui a commencé dès le mois de juillet 1940, concrétisée par la collecte d’une importante documentation sur la zone fortifiée de l’Atlantique-Sud, l’ordre de bataille ennemi et la constitution de stocks d’armes destinées aux groupes qu’il a mis sur pied, le général de Gaulle le cite à l’ordre de l’armée le 13 décembre 1945 :
« Officier magnifique d’entrain et de courage. Refusant de se plier à la discipline de l’oppresseur organise la Résistance dans les différents services qu’il dirige, notamment à l’école de gendarmerie de Mamers où il stocke des armes parachutées à Bonnetable. Arrêté le 4 octobre 1943. Condamné à mort le 10 février 1944. Déporté à Amberg (Bavière) a su conserver malgré les sévices des policiers allemands un mutisme complet sauvegardant ainsi la vie de ses camarades de la Résistance. »
- Cour de Justice d’Ille-et-Vilaine
Le cas, unique dans les annales de l’Arme, d’un militaire de la gendarmerie mort en déportation, condamné ultérieurement par une Cour de Justice, atteste des drames générés par l’Occupation. Le 16 avril 1946, par arrêt de contumax, la Cour de Justice d’Ille-et-Vilaine, sous-section du Morbihan, siégeant à Rennes, déclare coupable d’intelligence avec l’ennemi le capitaine G…, ex-commandant de la section de Pontivy et le condamne à 20 ans de travaux forcés, à la dégradation nationale à vie et à 10 ans d’interdiction de séjour « pour s’être rendu coupable d’avoir, à Pontivy, en décembre 1943 et en tout cas dans le département du Morbihan et après le 16 juin 1940, étant français et en temps de guerre, livré aux agents d’une puissance ennemie un certain nombre de membres de la Résistance française. »(230)
À la date du jugement, l’officier, non rentré de déportation est présumé vivant car sa mort aurait entraîné l’extinction de l’action publique. Le verdict appelle trois observations. La cour prononce la condamnation à la majorité. Elle retient des circonstances atténuantes. Il n’y a pas d’attendus au jugement.
L’interpellation par les Allemands du commandant de section de Pontivy remonte au 18 mai 1944. Vers 14 heures, la police de sûreté allemande de Rennes se présente à la gendarmerie de Pontivy en vue de s’entretenir avec l’officier. Or ce dernier se trouve en ville avec sa famille. Les policiers chargent un gendarme d’aller à sa rencontre pour l’informer qu’ils repasseront en milieu d’après-midi. Comme convenu, ils reviennent à la caserne. Le capitaine est toujours absent. Ils demandent au planton de lui dire de se rendre à la Feldgendarmerie, le lendemain entre 8 et 13 heures, afin de prendre contact avec leur nouveau lieutenant. En fin d’après-midi du 18, le capitaine G…, avisé du passage des Allemands, se rend à la Feldgendarmerie où il est mis en état d’arrestation. À 18 heures, la sûreté allemande le conduit sous escorte et en tenue civile à la prison de Saint-Brieuc.(231) Par la suite, ils l’incarcèrent à Rennes à la prison Jacques Cartier. Le 23 mai, le kommandeur de la police de sûreté et du S.D. de Rennes informe par courrier le colonel Maujean, commandant la légion de Bretagne, de son arrestation « pour participation à une organisation de Résistance »(232). Deux documents y sont annexés lui appartenant : un laissez-passer et sa carte de circulation de chemin de fer, présages d’un avenir incertain pour le détenu.
Le 7 juin 1944, la section gendarmerie des territoires occupés formule une demande de libération en sa faveur auprès du général Oberg, commandant de la police de sûreté dans le ressort du commandant des forces militaires en France. Elle fait valoir que « condamné à mort, à la fois par les organisations de résistance et par les terroristes, il semble difficile d’admettre que cet officier se soit rendu coupable des faits dont on l’accuse ». La démarche reste infructueuse.(233) Au moment de l’avance des armées alliées, les Allemands déportent le capitaine. Une dernière lettre parvient à sa famille datée du 1er mai 1945. Il décède probablement à la fin du mois de mai à Sandbostel (Allemagne).
Sur son comportement, des témoignages établissent qu’il a appartenu à la Résistance de septembre 1943 au 18 mai 1944 jour de son arrestation. Pourtant, dans un tract diffusé le 14 avril 1944, intitulé « L’hebdomadaire de la Résistance » un des rédacteurs mentionne «… j’espère que le capitaine de Pontivy paiera ses crimes ». À plusieurs reprises, il reçoit même des menaces de mort. Bien que sachant sa vie en danger, il demande à être maintenu à son poste pour ne pas abandonner ses gendarmes. Il participe à l’action vigoureuse prescrite par son commandant de compagnie, le chef d’escadron Guillaudot, pour mettre hors d’état de nuire les auteurs d’actes de banditisme, vols, viols, incendies, qui déshonorent la Résistance et portent un coup sérieux à son recrutement. Son efficacité lui vaut des félicitations écrites :
« Officier ardent et courageux, a dirigé personnellement avec une grande habileté professionnelle, une remarquable initiative et une réelle bravoure des opérations de police qui ont abouti avec rapidité à l’arrestation de nombreux malfaiteurs auteurs d’attentats à main armée et qui terrorisaient les populations de la circonscription par leurs audacieuses attaques contre les fermes et les hameaux isolés. »
On lui reproche essentiellement d’avoir, sans être torturé, fait les aveux les plus complets sur l’organisation de la résistance dans le Morbihan. En particulier, comme le note un article paru à la une de « La Liberté du Morbihan » du 25 octobre 1945 « il eut la faiblesse de désigner le chef d’escadron Guillaudot comme étant le chef de la Résistance » dans le département.
Le 10 décembre 1943, avec un impressionnant déploiement de forces, la Gestapo de Vannes fait irruption chez le chef d’escadron Guillaudot, organisateur de la Résistance morbihannaise et l’arrête. À l’origine de l’opération de police, il y a l’exécution d’un délégué à la propagande de Vichy sur lequel on a trouvé une liste d’élus, de fonctionnaires et de religieux soupçonnés d’être gaullistes et résistants. Dans les documents saisis se trouve une lettre de Laval dans laquelle il est question du commandant Guillaudot. Le chef du Gouvernement écrit :
« Vos accusations toutes gratuites ne me permettent pas de prendre une décision grave contre cet officier supérieur. Fournissez-moi des preuves, j’agirai en conséquence ».
Dans un rapport daté du 13 novembre 1945, le colonel Guillaudot expose la suite des événements :
« Comme j’avais prévu mon arrestation toutes mes précautions avaient été prises et malgré des perquisitions très fouillées à mon domicile comme à mon bureau, les agents de la Gestapo ne trouvèrent rien ; aucun document, aucun objet compromettant. Torturé dès le premier jour, je préférai succomber sous les coups plutôt que de parler, car si j’avais causé c’eut été la catastrophe, des centaines de camarades auraient été arrêtés, torturés, fusillés, tous mes dépôts saisis, toute mon œuvre de plusieurs années anéantie ; j’étais du reste toujours prêt à m’empoisonner avec une pilule que j’avais réussi, malgré la fouille, à conserver sur moi. N’ayant rien trouvé ni obtenu de moi, les enquêteurs étaient assez perplexes quand suivant un plan concerté à l’avance, mon ami le lieutenant-colonel Gauduchon, commandant en second la XIe légion, qui était au courant de mon action et me soutenait, fit une démarche auprès du commandant de la Gestapo en lui manifestant son étonnement de mon arrestation et pour le convaincre de ma non-culpabilité, il lui communiqua les deux rapports 16 et 19/4.
Le lieutenant-colonel Gauduchon mit enfin le comble à son étonnement lorsqu’il lui fit savoir que j’avais même reçu un blâme d’un de leurs meilleurs valets à l’esprit aussi lourd qu’eux, le directeur de la gendarmerie, pour la manière illégale que j’employais dans la répression du terrorisme. À partir de ce moment, la Gestapo fut complètement déconcertée à mon égard et sans la lâcheté d’un de mes officiers, le capitaine X, qui arrêté 6 mois après moi avoua que j’étais son chef dans la Résistance, je devais être libéré faute de preuve. L’état-major de Londres avait du reste été prévenu de ma libération possible et avait donné des instructions à mon successeur, le lieutenant-colonel Morice, pour que je prenne la direction de toutes les opérations en Bretagne… »
La déclaration de P…, un déporté, accusateur du capitaine G…, fait apparaître que le témoin n’a pas lui-même entendu le capitaine G… faire des aveux à la police allemande. Il a seulement rapporté les propos tenus par d’autres déportés qui s’entretenaient de cette affaire. D’où la fragilité des accusations.
Épilogue de ce drame : l’acte officiel de décès du capitaine G…, établi le 22 avril 1947, un an après sa condamnation par contumax, porte la mention « Mort pour la France ».
- Cour de Justice de la Seine
Le général Martin, directeur général de l’Arme, d’août 1943 à août 1944, comme il l’écrit en 1952, a été « traduit devant la Cour de Justice de la Seine et condamné le 21 février 1947 à un an de prison et à la dégradation nationale à vie »(234) Pour sa défense, devant le juge d’instruction, le conseiller Marchat, il réfute l’accusation selon laquelle il était un chaud partisan de la collaboration. D’après lui, si tel avait été le cas, pourquoi, dans ses colonnes, le Pilori l’aurait-il attaqué avec autant de violence ? Pourquoi, lorsqu’il commandait la Garde de Paris, l’un de ses subordonnés, le lieutenant-colonel Herblot, ancien commandant de la cavalerie, qui faisait des conférences à ses gardes sur la collaboration, l’a dénoncé par écrit à Vichy comme adversaire précisément de cette politique ? Son action pour sauvegarder l’indépendance de la gendarmerie vis-à-vis des Allemands et de la Milice, à laquelle il s’est fermement opposé, plaide en sa faveur. À l’arrivée de Darnand au Gouvernement, il songe à demander sa retraite. Son plus proche collaborateur, le colonel Chambon, sous-directeur, l’en dissuade en lui démontrant que son départ ferait le jeu des miliciens et qu’un des leurs prendrait sa place avec toutes les conséquences préjudiciables qui en résulteraient pour l’Arme. Comme il l’explique, sa décision a eu plusieurs effets :
« J’ai mené pendant six mois une vie épouvantable, aidé et soutenu par les officiers de la direction, et par mon officier de liaison auprès des services de Darnand, le capitaine Gervais, qui espionnait tout ce qui s’y passait et venait m’en rendre compte pour que nous puissions parer plus facilement aux mauvais coups. »
Malgré la pression exercée par les préfets, il s’efforce de freiner l’efficacité de la gendarmerie dans la recherche des réfractaires. Dès sa prise de fonction, il ordonne la suppression des comptes rendus décadaires, sur le nombre d’arrestations opérées, exigés par le secrétariat général à la police. Son initiative met un terme au contrôle de l’action des gendarmes dans ce domaine. Les juges prennent en considération sa bonne foi en prononçant contre lui une peine modérée.
Son prédécesseur, magistrat de l’ordre administratif, directeur de la gendarmerie du 4 juillet 1940 au 18 août 1943 date de sa réintégration au Conseil d’État, ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire. Pour Pierre Mendès-France, « c’est un homme peu connu qui a joué dans cette période un rôle effacé mais essentiel ».(235)
Dès la libération de Paris, des internés du camp de Drancy déposent plainte devant la Cour de Justice de la Seine contre quinze militaires de la gendarmerie, 5 officiers, 3 gradés et 7 gendarmes qui, pendant l’Occupation, appartenant au détachement chargé d’assurer la sécurité du camp, se sont comportés comme de véritables complices des nazis en infligeant des traitements odieux aux détenus.
L’instruction ouverte contre eux, pour intelligence avec l’ennemi, confiée à M. Kratnik, magistrat instructeur près la Cour de Justice de la Seine, va durer deux ans. Au terme de l’information, le classement sans suite des plaintes déposées contre le lieutenant D… et le gendarme C…, le décès du gendarme B…, et le renvoi devant la chambre civique du lieutenant P…, réduit à dix le nombre de militaires envoyés devant la juridiction de jugement. Certes, le réquisitoire écrit du Commissaire du Gouvernement constate des actes de violence inadmissibles à la charge du lieutenant D…, cependant il conclut au classement de son affaire en raison des services qu’il a rendus à la Résistance après son départ de Drancy en mai 1942. Il a aidé le maquis de Sèvres, protégé des parachutages d’armes et de matériel, fournit des renseignements en vue de faciliter des bombardements de points stratégiques. Dans le cadre de l’épuration interne, à la Libération, le lieutenant D… n’est pas soumis à enquête. Le ministre le maintien en activité de service sans interruption. Son nom figure sur la liste n° 13 du 29 avril 1945 publiée au J.O. Un an plus tard, le 26 juin 1946, il bénéficie d’une promotion au grade de capitaine.
Quelle est la position des dix inculpés au début du procès ? Pendant l’information, le magistrat instructeur n’a pas jugé utile de les placer sous mandat de dépôts, aussi ils comparaissent libres devant la cour le 19 mars 1947.
Plusieurs manquent à l’appel. Il y a d’abord le capitaine Vieux. Du 1er juillet au mois de septembre 1942, il commande le détachement de gendarmerie, composé de 3 officiers et 120 gendarmes chargés de la surveillance intérieure et de la garde extérieure du camp de Drancy. Au mois d’août 1944, il se trouve à la tête d’une formation motocycliste de la légion de Paris-Est déplacée dans le Limousin. La police F.F.I. l’arrête le 31 et l’incarcère à la maison d’arrêt de Limoges où il reste jusqu’en février 1945. Il fait immédiatement l’objet d’une enquête sur réquisition de la Cour de Justice de la Haute-Vienne qui transmet son dossier, début décembre 1944, à la Cour de Justice de Paris. Dans le même temps, le commandement de la gendarmerie le place en position de disponibilité. Au moment de rendre des comptes, il se soustrait à la justice. La cour ordonne contre lui une procédure de contumace qui aboutit à une condamnation à la peine de mort. L’ex-capitaine devait répondre devant la justice d’actes odieux, envers des victimes faibles et désarmées internées à Drancy. Aux violences sur des personnes, enfants, femmes, vieillards, s’ajoutaient des agressions sexuelles et des vols de pièces d’or. Il aidait les victimes à les cacher et se les appropriait lorsqu’elles embarquaient pour les camps de la mort. La cour enregistre également l’absence des gendarmes V… et B… qui n’ont pu être touchés par la citation. Le second sert en Indochine, avec son unité. Elle disjoint leur jugement qu’elle renvoie sine die à une audience ultérieure. Les débats, en la présence seulement de sept inculpés se déroulent devant la XIe sous-section de la Cour de Justice de la Seine qui siège dans le local de l’ancienne 12e chambre correctionnelle. M. Castel, Conseiller à la cour d’appel de Paris préside. Le substitut Senac remplit les fonctions de Commissaire du Gouvernement.(236)
Les témoins de l’accusation dénoncent les actes de brutalité et de violence dont ils ont été les victimes ou qu’ils ont constatés. Ceux cités par la défense viennent dire que les accusés n’ont fait qu’appliquer les règlements qu’ils étaient tenus de faire respecter et qu’ils avaient souvent rendu des services signalés aux internés allant jusqu’à leur faciliter l’évasion.
Le Commissaire du Gouvernement, dans son réquisitoire, déplore la conduite de gendarmes portant l’uniforme français qui ont oublié leur devoir de fraternité envers leurs compatriotes et accepté de se faire les auxiliaires et les complices des atrocités nazies. Après avoir rappelé qu’ils ont reçu des avertissements solennels de la Radio de Londres, il passe à l’examen du cas particulier de chacun des accusés.
Présent pendant trois ans, au camp de Drancy, à la tête d’un peloton, le lieutenant B… a appliqué de façon inhumaine le règlement intérieur. Georges Kohn, qui n’a pas témoigné au procès, rapporte, dans le journal qu’il a tenu à Drancy pendant son internement, l’attitude du lieutenant B… vis-à-vis de sa mère :
« Le lieutenant B… est de service et applique les consignes avec ses sentiments haineux à l’égard des juifs. Les femmes ne peuvent aller que par groupes de 10 en rang aux WC un nouveau groupe ne pouvant s’y rendre que lorsque le premier est revenu ; les malheureux ne peuvent se retenir et rapidement les escaliers et les chambres sont complètement souillés. Un groupe de femmes ayant comporté 12 personnes au lieu de 10, le lieutenant B… fait fermer l’escalier pendant plusieurs heures. Je fais remarquer au lieutenant B… qu’avec un tel système une même femme ne pourrait se rendre au WC que tous les 36 jours, mes interventions n’ont aucun succès. »
Le commissaire du Gouvernement outre des brutalités, des brimades et humiliations infligées aux internés, lui reproche d’avoir frappé, à l’infirmerie, un jeune enfant qui lui aurait tiré la langue pour se moquer de lui. Indigné par son geste, un des témoins de la scène manifeste avec force sa désapprobation. L’officier gifle l’intéressé. Dans ses réquisitions le magistrat demande une condamnation sévère contre le lieutenant B…
L’accusation relève plusieurs griefs à l’encontre de l’adjudant L…, chargé de la police intérieure du camp. Ce gradé a couvert le marché noir intense qui se pratiquait à Drancy. Le coût d’un paquet de tabac s’élevait à plus de 2 000 francs et celui d’une cigarette jusqu’à 150 francs. Non seulement il a frappé des internés mais encore il a distribué à profusion des jours de prisons. Avec ironie, il rappelle qu’un jour l’adjudant a traité grossièrement M. Laemle, Président de chambre à la cour d’appel de Paris, qui en a témoigné avec une bienveillante philosophie. À la décharge du gradé, elle indique qu’à partir du 16 juillet 1942, lorsque les femmes et les enfants sont arrivés en foule au camp de Drancy, celui-ci a compris qu’il s’était trompé. Dès lors, il a manifesté un certain dégoût pour les missions qu’il était obligé d’exécuter. Des témoins déposent en sa faveur pour l’humanité dont il a fait preuve à leur égard. Un responsable du Front national de Drancy affirme même n’avoir trouvé que son aide à l’intérieur du camp aux heures de la Libération. Le substitut Sénac considère que la cour peut tenir compte des témoignages favorables à l’accusé mais il ne croit pas que les avantages que certains ont pu retirer de leur amitié avec L… puissent effacer les brutalités commises par ailleurs.
Vient ensuite l’examen du cas du gendarme W…, secrétaire auprès du capitaine Vieux. Sa fonction lui a donné une autorité dont il abusait et des avantages dont il a profité. Ce sous-officier s’est fait receleur. Le commissaire du Gouvernement rappelle que W… a reçu de son chef six pièces d’or dérobées à des internés. Il lui fait grief encore de l’hostilité qu’il a affiché vis-à-vis des internés au moment des fouilles. Dans ces circonstances, il les a menacés et leur a imposé des brimades humiliantes. Et de citer la torture morale infligée à une pauvre vieille femme qui emportait avec elle en déportation, comme un unique trésor, un paquet de lettres que le gendarme a jeté aux quatre vents.
Le chef L… et le gendarme L…, comme les autres, se sont montrés brutaux. Des témoins affirment cependant que L… n’avait pas mauvais cœur. La mise en cause du lieutenant C…, qui se trouvait à l’extérieur du camp résulte de son comportement envers le docteur Sasztas. Dans un mouvement de colère le médecin a traité l’officier de gendarmerie de « salaud » au moment où celui-ci passait devant les barbelés. Après identification du coupable, le lieutenant reconnaît l’avoir maltraité. Il l’aurait ensuite dénoncé aux Allemands. Bien que classé indéportable, le malheureux et son épouse vont payer de leur vie, dans les camps de la mort, l’invective lancée à l’officier. Pour le commissaire du Gouvernement, la culpabilité du lieutenant C… ne fait aucun doute et il n’estime pas utile le complément d’information réclamé par un avocat.
Après le réquisitoire, le Président Castel donne la parole à la défense. L’avocat du lieutenant B… présente son client comme un homme de devoir, attaché à une discipline stricte qui n’a pas l’intention de fuir ses responsabilités. Les charges retenues contre l’officier lui paraissent imprécises. L’accusé réprouve les consignes trop cruelles appliquées aux internés. Selon Me Pommier il n’a fait qu’exécuter les consignes données par le Préfet de police et le commandement de la gendarmerie. La responsabilité de leur application incombe entièrement au capitaine Vieux. À propos de la gifle donnée à un enfant, il y a contradiction entre plusieurs témoins. Le lieutenant B… nie énergiquement le fait. D’autre part, rien ne permet d’affirmer qu’il est, selon plusieurs témoins, pro-hitlérien et antisémite notoire. D’un caractère rigide l’officier ne s’extériorisait pas. Le défenseur donne lecture des attestations en sa faveur de ses pairs et de juifs internés à Drancy. En conclusion, Me Pommier adjure la cour de ne pas se laisser entraîner par la passion qui se dégage des débats, de ne pas perpétuer la haine et surtout de ne pas priver le pays de l’un de ses serviteurs le plus loyal et le plus discipliné.
Me Duprat à son tour prend la parole pour la défense du lieutenant C… Il tente de démontrer que la déportation du Dr Saszias et de sa femme ne peut lui être imputable. Simplement, il a voulu obtenir réparation de l’injure grave dont il a été l’objet. L’avocat en appelle à la réconciliation des esprits et demande l’acquittement de son client.
Pour Me Palvadeau, défenseur de l’adjudant L…, ce dernier ne s’est rendu coupable d’aucune violence envers les internés dont il a essayé d’adoucir le sort. Me Mosse, avocat à la Cour interné à Drancy et condamné à mort par un tribunal militaire allemand s’est confié à L… et lui a demandé de faciliter son évasion. En plein jour, avec son aide, il a pu s’évader.
Au terme de leurs plaidoiries en faveur des gendarmes W…, L…, et L…, leurs défenseurs respectifs Me Chochon, Platche et Léanti-Pavie sollicitent l’acquittement de leurs clients au motif qu’ils ont obéi à des règlements et à des consignes qu’ils avaient pour devoir de respecter et d’appliquer.
Après la clôture des débats, le 22 mars 1947, la Cour se retire dans la chambre des délibérations. Deux heures plus tard, elle rend son arrêt. Par application des articles 83 paragraphe 4 du Code pénal et 463 du même code, elle condamne les lieutenants B… et C… à deux ans de prison pour s’être rendus coupables d’avoir, à Drancy, en temps de guerre, sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale avec cette circonstance que cette action a été commise avec l’intention de favoriser les entreprises de toutes natures de l’Allemagne puissance ennemie de la France. Elle les déclare coupables d’indignité nationale et les condamne à la dégradation nationale pour une durée de cinq ans.
À la Libération, le lieutenant C… n’est pas soumis à enquête. Aussi est-il maintenu en activité sans interruption de service. Il figure à l’annuaire des officiers de l’année 1946. En revanche, le commandement de la gendarmerie, dans le cadre de l’épuration administrative, examine le cas du lieutenant B… placé en disponibilité pour d’autres motifs.
La cour déclare coupable d’indignité nationale l’adjudant L… et le condamne en conséquence à la dégradation nationale pendant cinq ans. Toutefois, considérant que ce gradé s’est réhabilité postérieurement aux agissements retenus contre lui en se distinguant par une participation active, efficace et soutenue à la résistance contre l’occupant, elle le déclare excusé et le relève de l’indignité nationale.
L’état d’indignité nationale et la condamnation à la peine de la dégradation nationale pour une durée de cinq années frappent le gendarme W…
Enfin la Cour acquitte les gendarmes Jean L…, Victor L… et Louis L… Analysant le procès, Me Henri Blaustin écrit :
« Drancy fut une tache sur la face de Paris, ce verdict ne l’a pas lavée. Nous sommes en droit de dire qu’il constitue une injure sanglante à nos morts, une insulte à nos longues souffrances.
Nous ne sommes pas venus assez nombreux à la barre pour dire les indicibles souffrances qui nous furent imposées pendant quatre ans par les Allemands et leurs complices.
Chacun de nous à hâte d’oublier le cauchemar que nous avons vécu entre les fils barbelés de Drancy.
Mais si nous pouvons pardonner ou oublier le traitement qui nous fut imposé au mépris de tout droit et de toute humanité, nous n’avons pas le droit d’oublier les souffrances des femmes, des enfants, pauvres êtres innocents qui furent enfermés avec nous à Drancy et qui furent livrés par nos gardiens aux Allemands.
Drancy fut le vestibule d’Auschwitz.
Nous avons contracté une dette sacrée envers nos morts.
Nous les avons vus partir, pleins de courage et de résignation et confiants dans la justice qui devrait un jour châtier leurs bourreaux.
Cette justice ne leur a pas encore été rendue.
Nous rencontrons des juges -des résistants peut-être de septembre 1944- qui ne peuvent savoir quelle fut notre agonie pendant quatre ans, qui de plus veulent de propos délibérés l’ignorer.
Le poison hitlérien a pénétré lentement les esprits et la cure de désintoxication s’avère dure et difficile. Il nous appartient de ne pas perdre courage et de persister dans notre volonté d’obtenir justice. »(237)
- Cour de Justice de la Vienne
La Cour de Justice de la Vienne juge en 1947 le capitaine L… P… pour des actes commis alors qu’il commandait la section d’Ussel. Le verdict est sévère : 10 ans de travaux forcés et confiscation de ses biens. Dans son réquisitoire, le commissaire du Gouvernement tente d’expliquer son attitude :
« Si cet homme avait agi intelligemment, nous n’aurions pas à déplorer la mort de nombreux Français. »(238)
Un de ses subordonnés, l’adjudant V…, le dépeint comme « un homme violent et dur ne connaissant que le règlement qui n’avait pas confiance en son personnel et ne communiquait ses décisions d’opérations qu’au dernier moment… »
L’accusé ne peut nier les actions qu’on lui attribue confirmées par des témoignages indiscutables.
Pendant son séjour à Ussel, il se distingue à plusieurs reprises dans la lutte contre le « terrorisme ». Le 4 décembre 1943, il déclenche d’initiative une opération de police dans la région de Saint-Etienne-Aux-Clos qui se solde par l’arrestation de 12 maquisards du camp de Bos-Deveix.(239) Dans un premier temps emprisonnés à la Centrale d’Eysses, ils sont par la suite déportés. Six d’entre eux décèdent dans les camps de la mort. Le 7 décembre 1943, le général Bois, commandant la 2e brigade de la Garde, placé à la tête des forces déplacées pour le maintien de l’ordre dans le Limousin rend un hommage appuyé à l’officier dans un courrier qu’il adresse à son commandant de légion à Limoges :
«…Je dois faire tout particulièrement mention de l’action du lieutenant L… P…, commandant la section d’Ussel, qui a apporté au colonel commandant le groupement d’Ussel une collaboration de tous les instants, qui s’est traduite par la réussite de plusieurs opérations en particulier celle de Mallaret, du 4 décembre 1943 (arrestation de 12 terroristes). »
Autre initiative de sa part dont les conséquences auraient pu être dramatiques : il demande l’autorisation d’arrêter l’épouse du docteur Belcour, chef de l’A.S., passé en Afrique du Nord. Le lieutenant H…, détaché à Ussel, qui a connaissance de son projet, en informe l’intéressée lui permettant ainsi de se soustraire à toute action policière.
L’officier, encouragé par ses chefs, s’investit totalement dans la lutte contre les « terroristes ». Fin décembre 1943, le général commandant la région de gendarmerie note que « la section d’Ussel, bien commandée, obtient de bons résultats dans le travail d’épuration entrepris dans le département, le lieutenant L… C… en particulier dans sa volonté ardente d’aboutir est arrivé à un résultat remarquable, obtenant des brigades, malgré l’hostilité générale du pays et les menaces dont il a été l’objet des renseignements précis qui ont permis aux forces de rétablissement de l’ordre de mener, en collaboration avec la gendarmerie des opérations fructueuses et payantes ». Une citation à l’ordre de l’Inspection Générale de la Gendarmerie vient le récompenser :
« Commandant de section dans une zone particulièrement troublée, a mené la lutte contre le terrorisme en faisant constamment preuve d’une activité remarquable et d’une très haute conscience. A donné en toutes occasions à son personnel le plus bel exemple d’abnégation, de courage et de fidélité au devoir. Par des renseignements précis recueillis malgré de multiples difficultés ainsi qu’au cours d’opérations dont il avait pris lui-même la direction a réussi à maintes reprises à mettre hors d’état de nuire de dangereux hors la loi.
À notamment le 20 novembre 1943, dans des conditions difficiles et périlleuses, accompagné de son officier adjoint et d’un seul gradé procédé au cours d’embuscades à l’arrestation de 3 terroristes ; quelques heures après avec l’appui des forces supplétives a réussi à en capturer 7 autres et à saisir des armes et un important matériel provenant de vol.
Dans toutes ces circonstances a déployé beaucoup d’allant, de courage et de volonté. »
Robert Thiéffry, l’un des maquisards victime du zèle de l’officier, relate son arrestation et les conditions de sa déportation :
«…J’étais dans une maison au-dessus du camp quand Pierre est arrivé avec son groupe et m’a dit : "Ton camp est en train d’être encerclé par les gendarmes". Comme j’avais été en relation avec quelques gendarmes sympathiques, je suis redescendu au camp pensant qu’ils devaient confondre. J’ai donc remonté la ligne des gendarmes qui entouraient notre petite baraque. Les gendarmes me faisaient signe : "Chut !" J’ignorais pourquoi. Je tombais sur le lieutenant L.. P… Je n’ai pas pu discuter. J’ai été arrêté par lui et nous avons été conduits en camion à la gendarmerie d’Ussel où nous sommes restés trois jours avec des civils qui s’y trouvaient dont une dame très âgée chez qui nous séjournions de temps en temps quand nous nous déplacions. Il y avait D.., C…, J…, C…, et moi. Nous avons été interrogés pour le principe par les gendarmes qui étaient très gentils avec nous, jusqu’à l’affabilité. Gentils vraiment. Puis transfert à la prison de Tulle… Nous avons été jugés ensemble tous les cinq. Quatre ont pris cinq ans de réclusion ; le cinquième votre serviteur, chef de groupe, sept ans. Puis direction la Centrale d’Eysses… Peu après le débarquement ce fut Compiègne… Séjour à Compiègne de huit à quinze jours, puis déportation en Allemagne avec trois jours de train pour arriver à Dachau. Certains ont débarqué à ce camp, d’autres ont été dirigés sur Buckenwald… J’ai été libéré le 29 avril 1945 »(240)
Plusieurs des camarades de Robert Thieffry ne rentreront pas des camps de la mort comme Léon Dugowson qui disparaîtra à Flessembourg.
Le 6 septembre 1945, la Cour de Justice de la Vienne condamne les gendarmes C… et P…, de la brigade de Neuville du Poitou, respectivement à 8 ans et à 3 ans d’emprisonnement. Étant en patrouille de nuit, ces deux militaires aperçoivent un incendie qui se développe en plusieurs endroits d’un hangar à fourrage d’une ferme isolée. Soudain, ils repèrent la silhouette de deux individus qui précipitamment quittent les lieux. Ils se lancent à la poursuite des fuyards et parviennent à les arrêter. Les enquêteurs confondent rapidement les deux suspects, trouvés en possession de bidons dégageant une forte odeur d’essence. Aux yeux des gendarmes, il s’agit d’une banale affaire d’incendie volontaire relevant du droit commun. Pour les Allemands, informés des faits, les individus interpellés par les gendarmes sont des « terroristes ». Ils les traitent en tant que tels. À la Libération, les gendarmes C et P… doivent s’expliquer devant la justice sur cette arrestation. Selon un témoin digne de foi, les condamnations prononcées, au vu des faits examinés par la cour, paraissent sévères.
- Cour de Justice de la Charente-Maritime
Le 28 septembre 1944, le lieutenant-colonel commandant la 9e légion de gendarmerie à Poitiers adresse des félicitations écrites au lieutenant T…, commandant la section de Marennes, « pour avoir réussi après une enquête longue et délicate à rassembler des preuves qui ont permis d’obtenir la libération de 5 otages français sur le point d’être fusillés par les troupes d’occupation ». Le 9 février 1945, il est encore à l’honneur. Son commandant de légion note qu’avec les commandants de sections de Rochefort et de Saintes, il était en liaison suivie avec un S.R. de Tarbes auquel il a transmis, avec calques à l’appui, des emplacements d’ouvrages fortifiés et de dispositif ennemi. Rien ne laisse alors présager une mise en cause du commandant de section dans le cadre de l’épuration judiciaire.
Avant son affectation, courant mars 1942, à la section de Marennes, (compagnie de La Rochelle), le lieutenant T…, détaché à Châteaubriant, commande depuis l’été 1941 le détachement de gendarmerie chargé d’assurer la garde du camp voisin de Choisel qui comprend 350 détenus dont deux tiers de communistes. D’après son chef hiérarchique de l’époque, le chef d’escadron Favre, entre 1942 et la Libération, il ne se fait pas remarquer et « se réfugie dans le silence et l’inaction » pour faire oublier les fonctions qu’il a tenues.(241)
Dès la Libération de la région, les nouvelles autorités placent le commandant de section en résidence surveillée à Saintes. Le tribunal militaire se saisit de son cas. Le 13 décembre 1944, la juridiction initialement saisie transmet son dossier à la Cour de Justice de la Charente-Maritime qui décide de ne pas engager des poursuites. Son action patriotique récente milite en sa faveur. On invoque une erreur. À la suite de ces péripéties, le lieutenant T… demande à bénéficier de la loi sur le dégagement des cadres du 5 avril 1946 (article 12). Il obtient satisfaction. Au 1er juillet 1947 il figure sur les listes générales d’ancienneté des officiers de l’armée active se trouvant dans toute position non définitive autre que l’activité. De nouveaux éléments portés à la connaissance de la Cour de Justice entraînent un nouveau procès à l’issue duquel il subit une condamnation aux travaux forcés à perpétuité. D’où sa radiation des cadres de l’armée en 1948. Après une assez rapide remise de peine, il décède quelques années plus tard.
Son comportement au camp de Choisel a suscité de nombreuses plaintes qui sont à l’origine de son inculpation. De plusieurs témoignages accablants, il résulte que pendant toute la durée de sa mission, il s’est montré un garde-chiourme zélé, cynique et brutal. Pour impressionner les prisonniers, ne se targue-t-il pas d’avoir « mâté » ses compatriotes basques, les républicains espagnols, au camps de Gurs, quelques années auparavant. Son attitude focalise sur lui la haine des internés. Par la suite, elle nourrit les accusations portées contre lui.
D’autres éléments jouent en sa défaveur. Le 22 octobre 1941, à la carrière de la Sablière à Châteaubriand, tombent sous les salves d’un peloton d’exécution allemand 27 otages choisis parmi les prisonniers politiques communistes détenus au camp de Choisel. L’assassinat, deux jours auparavant du lieutenant-colonel Hotz, Feld-Kommandant de la place de Nantes, motive ces représailles. Parmi les martyrs, un jeune communiste de 17 ans, Guy Moquet. Le jour de l’exécution, après avoir essuyé le refus du colonel de gendarmerie de Nantes et celui du commandant d’Ancenis, les Allemands s’adressent au lieutenant T… pour procéder à l’appel des condamnés. L’officier, livide, obtempère. Il rend son salut au gradé SS chargé du convoi et lui serre la main. Son geste ne passe pas inaperçu. Le 25 novembre, trois internés manquent à l’appel. Furieux, les Allemands convoquent le chef des gendarmes et le somment d’effectuer une enquête sur ces évasions. De retour au camp, l’officier menace de sanctions les détenus, effectue une fouille générale et commence ses investigations. Il suspecte un détenu de complicité et s’en ouvre avant de prendre toute initiative au sous-préfet. Sur son conseil, il interrompt ses recherches. On lui fait grief d’avoir obéi aux Allemands à l’occasion de cette affaire. Comme l’écrit le préfet Lecornu « n’avait-il pas fait des confidences à d’autres que moi ? Cela expliquerait la vindicte à son endroit du parti communiste ».
Un nouvelle fois, le 15 décembre 1941, sur injonction des Allemands, il fait l’appel de neuf condamnés à mort fusillés ensuite en bordure de l’étang de la Blissières en pleine forêt de Juigné.
En 1984, l’ancien sous-préfet de Châteaubriand, estime que le parti communiste s’est acharné à tort contre l’officier :
« Mais il faut toujours un coupable et T… commit l’erreur de donner prise à l’imagerie : toujours en bottes de cuir, il circulait à Choisel une cravache à la main, dans une attitude qui fut considérée comme bravade. La cravache dut contribuer singulièrement à la caricature en geôlier, garde-chiourme, chef de corvée. Je sais qu’il tirait des coups de feu en l’air pour provoquer l’extinction des lumières quand l’heure du couvre-feu n’était pas respectée dans les baraques.
À ma connaissance il n’exerça pas les brutalités qui lui furent reprochées. Je persiste à penser que la condamnation de T… aux travaux forcés à perpétuité, après la guerre, a d’autres raisons que ces attitudes qu’il prenait et qui, blâmables certes, n’en étaient pas moins extérieures…
…Ce dont je suis certain, en tout cas, c’est que T… ne fut pour rien dans la désignation des otages… »(242)
Le témoignage qu’apporte le préfet Lecornu, quarante-trois ans après les événements, sur certains aspects de l’action du lieutenant T.. ; permet de mieux cerner le personnage.
- Cour de Justice de Montpellier
De lourdes peines frappent des sous-officiers. La Cour de Justice de Montpellier condamne à mort le 2 mars 1945 un adjudant-chef de la section de Béziers inculpé de trahison. Dans un rapport particulier adressé à la Gestapo il a dénoncé comme gaullistes cinq gendarmes et le capitaine Jouniaux son commandant de section. Déporté en Allemagne, ce dernier survit aux camps de la mort. Ce gradé, fervent collaborateur, aidé par son épouse, entretenait des contacts avec la Milice et les Allemands et leur fournissait des renseignements. En juillet 1944, le secrétaire départemental de la Milice de Montpellier lui adresse sous pli recommandé un paquet d’affiches anticommunistes afin qu’il en assure la diffusion.
- Cour de Justice de l’Orne
Le 1er avril 1942, le gendarme F…, en poste à la brigade de La Forêt-Auvray (Orne), placé d’office à la retraite pour insuffisance professionnelle, cesse ses fonctions. Deux mois après la libération du département, à la suite d’une plainte déposée par son ancien commandant de brigade, la gendarmerie ouvre une enquête à son sujet que diligente le lieutenant C…, commandant la section de A…, motivée par son comportement antinational.(243)
Au mois d’avril 1944, un inconnu signale par téléphone au maréchal des logis-chef R…, de la brigade de La Forêt-Auvray, qu’une lettre de dénonciation adressée aux Allemands, le visant personnellement, vient d’être interceptée. Quelque temps après, le gradé entre en possession de cet écrit datée du 4 avril et signé Roger Lang. Le délateur signale au commandant de la Feldgendarmerie de Flers six requis au S.T.O. hébergés dans la commune ainsi que le fermier qui leur donne asile. Il accuse le chef de brigade d’aider les réfractaires. Lorsqu’il prend connaissance de la lettre, le chef R… reconnaît l’écriture d’un de ses anciens subordonnés, le gendarme F…, retiré à La Forêt-Auvray. Dès la Libération, il dépose plainte. Le commandant de section prend la direction de l’enquête diligentée par la brigade d’Argentan. Le 7 novembre 1944, les gendarmes recueillent les aveux de F… :
« Contrairement à ce que je vous ai dit, c’est bien moi qui ai adressé cette lettre aux autorités allemandes. Je vivais en bonne intelligence avec les militaires de la brigade et je ne sais à quel mobile j’ai obéi. Ma femme et mon fils ignorent totalement que je suis l’auteur de cette dénonciation. J’ai écrit cette lettre chez moi pensant que ma femme était à Alençon le 4 avril 1944. J’ai attendu qu’il fasse nuit pour aller la déposer à la poste de La Forêt-Auvray. J’avais adressé cette lettre à la Feldgendarmerie de Flers. Je me demande pourquoi j’ai fait cela car je savais fort bien que si ma lettre touchait la Feldgendarmerie tous les gendarmes seraient arrêtés étant donné que tout ce que je mentionnais dans cette lettre était exact… »(244)
Le lieutenant C… procède immédiatement à son arrestation et sur instruction des autorités judiciaires le fait conduire au Centre d’internement d’Alençon.
Au cours de l’information ouverte contre lui, l’ex-gendarme F… prétend ne se souvenir de rien. Lors de sa comparution devant la Cour de Justice il fait preuve de la même amnésie. La cour le condamne à 12 ans de travaux forcés, prononce la confiscation de ses biens et le déclare en état d’indignité nationale.
- Cour de Justice de l’Allier
La Cour de Justice de l’Allier inflige 20 ans de réclusion au commandant de brigade du Montet à l’origine de l’arrestation de plusieurs résistants à Meillard et à Treban. Dans cette localité, il effectue plusieurs perquisitions au domicile d’un membre actif du parti communiste, Fernand T…, pour y rechercher un dépôt d’armes. L’une d’elle amène la découverte d’un fusil de guerre transformé en fusil de chasse et de trois cartouches. Le lieu de stockage principal échappe aux investigations des gendarmes. Arrêté, jugé, condamné aux travaux forcés Fernand T… réussit quelques mois plus tard à s’évader et à rejoindre le maquis.
La fuite devant la justice
Quelques officiers et sous-officiers s’enfuient pour échapper à leur sort. L’exemple du capitaine Vieux, déjà évoqué, n’est pas le seul. Le capitaine J…, commandant l’escadron de la garde de Bergerac et le lieutenant G…, ancien commandant de section du Vigan, condamnés à mort par contumace respectivement le 10 novembre 1945 et le 15 juin 1946 disparaissent. Dès la libération de Périgueux, fin août 1944, le Comité de Libération recherche le capitaine J… Cet officier, issu de l’armée d’armistice, formé à l’école de cavalerie du train et de la garde de Tarbes, se signale à maintes reprises par ses excès de zèle. Sans ordre, de sa propre initiative, il recherche des renseignements sur les maquis de la région et passe à l’attaque après les avoir repérés. Il n’hésite pas à se rapprocher des Allemands pour obtenir des moyens supplémentaires, munitions en particulier. Dès le printemps 1944, la Résistance le condamne à mort. Lorsque les Allemands évacuent le Périgord, il se replie avec eux mais quitte rapidement la colonne dans laquelle il se trouve pour gagner un maquis F.T.P. où il pense se faire oublier. Grâce à ses nouveaux protecteurs qui ignorent son passé, il échappe à l’arrestation. Par la suite, il disparaît dans des conditions que l’on ne connaît pas exactement. En 1945, selon certaines rumeurs, il se serait fait parachuter derrière la ligne Siegfrid et n’en serait jamais revenu.
À Toulouse, après le débarquement, le lieutenant R…, du 6e régiment de la garde, inscrit à la Milice, se met à la disposition de l’intendant du maintien de l’ordre Pierre Marty. Depuis son affectation, le 1er février 1944, jusqu’à son départ précipité le 19 août, en compagnie de Marty, il se distingue, comme l’écrit un de ses chefs « par une attitude des plus critiquables au point de vue national ». Ainsi, courant juin 1944, à Villeneuve-sur-Lot, avec des miliciens, il participe à une embuscade, contre des résistants. À cette occasion, personnellement, il ouvre le feu sur eux.
Quelques jours avant la libération de Paris, le commandant du 2e groupe de brigades motorisées de Maisons-Alfort, dans le but d’éviter des incidents graves à l’un de ses subordonnés, le lieutenant G…, commandant la B.M. 70 à Maisons-Alfort, qui s’est compromis pendant l’Occupation, l’éloigne de la résidence en le faisant hospitaliser. À sa sortie de l’hôpital, l’officier obtient un congé de convalescence à l’issue duquel il disparaît.(245)
Plus singulier est le comportement du lieutenant-colonel H…, du 1er régiment de la garde. Apprenant par un de ses camarades de la Résistance que celle-ci l’a condamné à mort, dès l’entrée des troupes régulières à Lyon, il s’engage à la 1re Division Française Libre. Affecté au B.M. 4 il fait la campagne avec le grade de caporal-chef.
L’adjudant B…, successivement en poste à Rebais et à la brigade de Ponthiérry, se signale en 1941 par son ardeur dans la recherche et l’arrestation des communistes dont plusieurs sont fusillés. À plusieurs reprises, il guide les Allemands, participe aux perquisitions et aux interrogatoires. Par la suite, avec son fils milicien, il contribue à la traque des réfractaires et des maquisards. À la Libération, par crainte d’un châtiment, il s’enfuit avec sa famille. Il est jugé et condamné à mort par contumace.
Des non-lieux aux acquittements
À partir du début de l’année 1945, des ordonnances de non-lieu, justifiées par des éléments à décharge, conduisent à l’élargissement d’un nombre relativement important d’officiers, gradés et gendarmes inculpés et incarcérés. Des arrêts d’acquittement, à l’issue des procès, en exonèrent d’autres, eux aussi hâtivement accusés.
Le 16 octobre 1944, le colonel commandant la garde personnelle du Maréchal Pétain, interné depuis la libération de Vichy au Centre de séjour surveillé du Concours hippique, inculpé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, fait l’objet d’un mandat d’amener du juge d’instruction militaire près le tribunal militaire permanent de Clermont-Ferrand. Le magistrat fixe au 20 octobre la première audition et le fait transférer à la prison militaire du chef-lieu de région. Le colonel B… doit répondre de trois chefs d’inculpation. D’abord, de ne pas s’être opposé à l’arrestation, par la Gestapo, début juillet 1944, du lieutenant Bertrand et du chef d’escadron Hurtrel, tous deux placés sous ses ordres. Deuxièmement, d’avoir livré des camions à l’ennemi. Troisièmement, d’avoir soustrait aux nouvelles autorités une caisse de documents appartenant au chef de l’État. Le 20 novembre, alors que le juge d’instruction militaire s’apprête à prendre une ordonnance de mise en liberté provisoire, la Cour de Justice de l’Allier dessaisit le tribunal militaire de la 13e région. Le 6 décembre, une note du juge d’instruction près la Cour de Justice prescrit au commandant de la prison militaire de surseoir au transfèrement du colonel à Moulins en raison de l’intervention imminente d’une mesure de mise en liberté provisoire. Le 25 janvier 1945, le colonel B… se trouve toujours en détention. Selon son défenseur, le préfet de l’Allier se serait opposé à sa mise en liberté en raison de l’ouverture contre lui d’une enquête administrative. Le 24 mars 1945, à l’issue de l’interrogatoire des différents témoins et des confrontations, le juge d’instruction rend un non-lieu qui clôt définitivement le dossier.
En 1946, la Cour de Justice de Vannes acquitte les chefs d’escadron C… et S… poursuivis pour faits de collaboration. De même, celle de Rennes absout l’adjudant P…, accusé d’avoir recherché et arrêté de membres de la Résistance et de s’être livré à des violences volontaires sur des personnes gardées à vue. Le lieutenant commandant la section de Mauriac, traduit devant la Cour de Justice du Puy-de-Dôme, après la dissolution de celle d’Aurillac, recouvre également la liberté. De même, celui de Rochechouart qui comparait devant celle de la Haute-Vienne. Le commissaire du Gouvernement près la Cour de Justice de Limoges classe sans suite quatre dossiers de sous-officiers, un adjudant-chef, un adjudant et deux gendarmes, inculpés d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État considérant « qu’il n’y a pas eu de leur part intention de favoriser les entreprises de l’ennemi ». Ces sous-officiers, incarcérés en septembre 1944, à la maison d’arrêt de Limoges, bénéficient d’une mise en liberté provisoire le 13 février 1945, avant même que ne soit pris l’arrêt de non-lieu. La Cour de Justice de la Corrèze adopte la même position à l’égard d’un adjudant-chef.
Des remises de peine aux lois d’amnistie
À partir de la fin de l’année 1945, la disparition du climat insurrectionnel atténue la rigueur de la répression. Par le jeu des remises de peines d’abord, puis par celui des lois d’amnisties, la situation des individus condamnés par les cours de justice s’améliore. D’après les statistiques, en 1948, toutes catégories de justiciables confondues, les autorités libèrent 48 % des condamnés sous l’accusation d’avoir collaboré. Ce pourcentage évolue pour atteindre 98 % en 1953. L’élargissement bénéficie successivement aux condamnés à des peines mineures, aux reclus et aux condamnés aux travaux forcés à perpétuité.
Par décret du 20 janvier 1946, le général de Gaulle remet le reste de la peine, prononcée le 25 juillet 1945, par la Cour de Justice du Pas-de-Calais, condamnant à un an de prison et à la confiscation de ses biens le lieutenant-colonel P… dont le droit à pension est aussi rétabli. Le chef du Gouvernement gracie le général Martin cinq mois après sa condamnation à un an de prison en 1947. Autres mesures de grâce prises en 1948, celles concernant les lieutenants C… et B…, condamnés en mars 1947 par la Cour de Justice de la Seine à 2 ans de prison fermes et à la dégradation nationale pour 5 ans. Le 28 novembre 1946, la Cour de Justice de Poitiers condamne le général Perré, directeur général de la garde à 20 ans de travaux forcés. Elle ordonne la confiscation de ses biens et le déclare en état d’indignité nationale. Sa libération intervient alors qu’il n’a purgé qu’une partie de sa peine.
e 22 mars 1947, la Cour de Justice de l’Île-et-Vilaine condamne à deux ans de prison et à 5 ans d’indignité nationale le commandant de section de G… Au titre de l’article 41 bis, la loi du 8 août 1953 l’amnistie.
Évaluation de l’épuration judiciaire
- Ampleur
Après la Libération, le nombre d’informations judiciaires ouvertes, impliquant des personnels de la gendarmerie, s’élèverait à 959. Ce seul chiffrage est insuffisant pour apprécier tous les aspects de l’épuration judiciaire.(246) Ainsi, des données essentielles échappent à l’examen : le nombre et la nature des condamnations prononcées, la répartition des condamnations par catégories de personnels, le nombre d’acquittements, la nature des juridictions saisies, le nombre d’affaires classées au stade des poursuites. Seule, une étude département par département permettrait de tirer des conclusions.
Dans la compagnie de la Lozère, sur un total de 231 militaires (5 officiers, 45 gradés et 181 gendarmes), la répression judiciaire des faits de collaboration entraîne la traduction de 6 d’entre eux (3 officiers, 2 gradés et 1 gendarme) devant des juridictions et leur condamnation. Pendant toute la durée de son fonctionnement, du 10 octobre 1944 à la fin de l’année 1945, la Cour de Justice de Mende, y compris sa chambre civique, sanctionne 118 personnes pour une population de 85 000 habitants.
Le tableau ci-après fait le point de la situation des poursuites engagées contre des personnels de la gendarmerie dans onze départements.
Les condamnations prononcées frappent toutes les catégories de personnels, officiers, gradés et gendarmes, et varient d’une juridiction à l’autre pour des faits identiques. Si la répression judiciaire n’affecte que très faiblement le commandement supérieur, généraux inspecteurs, commandants de légion, officiers supérieurs dans les états-majors qui n’avaient pas un rôle opérationnel, en revanche, elle touche sévèrement les personnels de terrain plus exposés que les autres. Si l’on en juge par la condamnation à un an de prison infligée au directeur général, il est clair que les responsables de la gendarmerie ont été moins durement punis que leurs subordonnés chargés d’exécuter leurs instructions. D’ailleurs, on remarque la même mansuétude de la justice vis-à-vis de hauts fonctionnaires français et allemands poursuivis à la Libération. La Haute Cour de justice, le 23 juin 1949, condamne l’ancien secrétaire général à la police, René Bousquet, qui a conclu un accord de coopération des polices avec le général Oberg et lui accordé le concours des policiers français pour l’arrestation massive des juifs, à 5 ans de dégradation nationale, peine immédiatement relevée pour « services rendus à la Résistance ». Le tribunal militaire de Paris, en 1954, juge et condamne à mort le général Oberg, commandant supérieur de la police allemande en France occupée, et son adjoint le colonel Helmut Knochen. Les deux hommes, graciés en 1958, recouvrent la liberté en 1962.
Cour de Justice |
Officier |
Gradé |
Gendarme |
Totaux |
AVEYRON |
1 |
|
|
1 |
CHARENTE |
|
1 |
2 |
3 |
CORRÈZE |
1 |
2 |
|
3 |
DORDOGNE |
2 |
1 |
|
3 |
HÉRAULT |
|
1 |
2 |
3 |
HAUTE-VIENNE |
1 |
2 |
2 |
5 |
ILLE-ET-VILAINE |
2 |
1 |
2 |
5 |
LOZÈRE |
3 |
2 |
1 |
6 |
MORBIHAN |
2 |
|
|
2 |
PAS-DE-CALAIS |
2 |
1 |
3 |
6 |
VIENNE |
4 |
2 |
2 |
8 |
11 |
18 |
13 |
14 |
45 |
- Ligne de défense
Pour leur défense, les accusés évoquent fréquemment les mêmes arguments. Un officier, inculpé de trahison, se justifie en ces termes :
« Suis-je coupable de trahison ? J’ai été cité 2 fois par la gendarmerie pour mon activité antiterroriste. J’ai été proposé pour le grade supérieur à titre exceptionnel. Je n’ai rien sollicité de personne. Si mes chefs m’ont proposé c’est qu’ils ont estimé que je le méritais. Les chefs qui m’ont proposé pour ces citations étaient en liaison avec la Résistance. Ils sont tous deux en fonction à l’heure actuelle. L’un est à X…, l’autre commande la G… M’auraient-ils proposé pour des félicitations et pour l’avancement s’ils avaient pensé que je trahissais ma patrie ? N’avaient-ils pas la certitude que je livrais à la justice des criminels et délinquants de droit commun ? »
Dans une lettre adressée au juge d’instruction en février 1945, un gradé, commandant de brigade, inculpé de crime contre la sûreté de l’État pour avoir, d’une part, arrêté trois jeunes gens d’un maquis recherchés par un parquet, d’autre part, établi un rapport pour signaler la présence dans sa circonscription de cinq résistants notoires, écrit :
« Je suis cruellement frappé et ne puis réaliser d’être inculpé de trahison et d’avoir livré à l’ennemi des troupes françaises alors que dans le premier cas je n’ai fait qu’obéir à des ordres impératifs en arrêtant des individus signalés comme dangereux. Dans le second cas je n’ai fait que rapporter une plainte d’un magistrat municipal et établi un rapport sur ordre, obéissant d’inférieur à supérieur, sans intention de favoriser les entreprises de l’ennemi. »
L’un et l’autre seront condamnés respectivement à deux ans et à six mois d’emprisonnement.
À l’accusation de coopération avec la police et l’armée allemande, un autre répond :
« La présence des Allemands était imposée par une note de l’autorité administrative comme au cours des patrouilles mixtes de police économique.
La population non prévenue voyait cela d’un mauvais œil. Parfois, aux opérations que nous menions on a remarqué la présence des Allemands. Cela était dû soit au fait qu’ils nous accompagnaient pour vérifier l’emploi que nous faisions de l’armement français qu’il nous prêtait momentanément quand je le demandais. Je considérai comme mon devoir dans certains cas de mettre mes gendarmes à même de se défendre avec des chances de succès. C’est le devoir élémentaire de tout chef. »
Sur la nature de leurs relations avec l’occupant, la majorité des personnels incriminés reconnaissent qu’ils n’ont entretenu avec lui que des rapports de service. Sauf rares exceptions, ils ne se rendaient auprès des autorités allemandes que sur convocation. Comme ils s’en défendent tous, l’expédition de documents, rapports, exemplaires de procès-verbaux, messages de renseignements à la police ou à l’armée allemande, ne procède pas d’initiatives personnelles mais résulte de l’exécution d’instructions émanant de leur hiérarchie, du secrétariat général au maintien de l’ordre ou des autorités d’occupation. Ainsi, lors de la constatation de faits de propagande communiste, des directives fermes, édictées par les différents donneurs d’ordres, leur prescrivaient, outre l’envoi d’un exemplaire de la procédure établie, d’indiquer en conclusions des enquêtes quels étaient les communistes du lieu et de la région. Les ordres reçus n’expliquent pas tout. Des accusés invoquent parfois des pressions exercées sur eux : menaces de révocation, de changement de résidence, etc.
Le fait, pour des gendarmes, d’avoir recherché et arrêté des membres de la Résistance constitue un des griefs le plus souvent formulé à leur encontre. La plupart affirment que les personnes interpellées ne l’ont pas été en raison de leur activité anti-allemande mais parce qu’elles avaient commis des délits de droit commun.
Enfin on remarque la prise en considération, par un tribunal militaire, dans les derniers mois de l’épuration, du serment professionnel, pour apprécier des actes imputés aux gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions. Leur position contraste avec celles prises par les cours de justice qui n’ont jamais retenu ce critère pour fonder leur jugement.
Comme le montrent plusieurs procès, des militaires de la gendarmerie ont dévoyé, en toute connaissance de cause, ce qui était leur charge. La justice a sévèrement condamné cette minorité agissante. L’aveuglement, le manque de lucidité, la naïveté, le conformisme et surtout l’esprit d’obéissance expliquent la conduite de la plupart de ceux qui ont été condamnés. En vérité, ils ont été victimes de circonstances auxquelles ils n’étaient pas préparés à faire face.
- Conséquences diverses
Quelques conséquences de l’épuration judiciaire, passées également sou silence doivent être rappelées. Toute condamnation prononcée à l’encontre d’un militaire par une Cour de Justice, outre la peine à exécuter, a pour effet de le mettre en état d’indignité nationale. En même temps, elle entraîne de plein droit la privation de son état d’officier ou de sous-officier de carrière, la perte du grade et la radiation des contrôles de la gendarmerie. Enfin le condamné rendu à la vie civile, est classé comme soldat dans les réserves de son arme d’origine.
Pour les personnels ayant bénéficié d’un non-lieu, au terme d’une information ouverte contre eux, ou d’un acquittement, devant la juridiction répressive, l’épuration a constitué une rude épreuve. En effet, elle a engendré des souffrances allant jusqu’à briser des vies. La légion de Bourgogne nous en donne un exemple. Informés du pillage d’une ferme par des individus armés, en fait des maquisards, une brigade se rend sur place. Des coups de feu accueillent les gendarmes. Ils ripostent, abattent deux des agresseurs et en arrêtent un troisième. À la Libération, trois gendarmes mis en cause doivent rendre des comptes devant le tribunal militaire de Dijon. Laissés en liberté provisoire, conformément à la loi ils doivent se constituer prisonnier la veille du jugement. Deux d’entre eux se présentent effectivement à la prison. Le troisième se suicide. Dans la lettre d’adieu adressée à son épouse, il explique son geste motivé par une inculpation qu’il considère comme « arbitraire ». Or ces camarades furent acquittés. Ce cas de suicide n’est évidemment pas le seul. Notons encore celui d’un gendarme du Cantal suspendu de ses fonctions et faisant l’objet d’une enquête judiciaire.
Le traumatisme subi par les militaires accusés de collaboration est d’autant plus grand qu’ils estiment avoir agi au mieux dans l’exercice de leurs fonctions. Aussi, découvrent-ils avec stupéfaction que la vertu de la discipline a des revers parfois cruels.
Quant aux familles des officiers et sous-officiers mis en cause injustement, elles ont vécu des moments difficiles : honneur des pères suspectés, critique de l’opinion publique les taxant facilement de collaborateurs, d’antigaullistes, jusqu’aux enfants qui en subissaient les répercussions à l’école tant de la part de leurs camarades que des enseignants.
CHAPITRE X
LE CHÂTIMENT PROFESSIONNEL : UNE NOUVELLE ÉPURATION DANS L’HISTOIRE DE LA GENDARMERIE
Accoutumée plus qu’aucune autre troupe aux tempêtes politiques, ballottée dans la succession des révolutions et des régimes, la gendarmerie a subi entre 1814 et 1940 plusieurs épurations - on n’en compte pas moins de huit - dont l’histoire donne une relation précise. Seule, la dernière en date, consécutive à l’Occupation allemande et au régime de l’État français, constitue un chapitre de son passé mal connu, sinon ignoré. L’aborder, est une tâche ingrate, car des cicatrices douloureuses subsistent encore. Il faut examiner les étapes de son organisation, les modalités de son fonctionnement et les diverses mesures qui l’accompagnent.
La nécessité d’une épuration interne
Avec le rétablissement de la République, la morale civique exige que tous les serviteurs de l’État soient au-dessus de tout soupçon. À la Libération, les forces de sécurité ne sont en mesure de maintenir l’ordre que si le pouvoir les débarrasse de leurs éléments qui ont affiché, depuis le 16 juin 1940, des tendances vichystes ou collaborationnistes trop appuyées. Comme l’écrit l’historien Kammacher, « toute épuration qui se veut complète doit s’accompagner de celle de la police ».(247)
La gendarmerie n’échappe pas à cette œuvre de « salut public ». Dans ses rangs, on ne prétend pas à l’inexistence d’excès de zèle, d’actions par trop serviles, de compromissions. C’est pourquoi le haut commandement estime urgent de recréer l’atmosphère de confiance générale sans laquelle l’action de l’Arme sur les populations est vouée à l’inefficacité. D’où la nécessité de sévir fermement à l’encontre de ceux qui se sont discrédités. Solennellement, dans une allocution qu’il prononce le 15 décembre 1944, devant le ministre de la Guerre, en présence des généraux inspecteurs, des commandants des légions de gendarmerie départementale, et de Garde républicaine, du chef de corps de la Garde républicaine de Paris, réunis dans la capitale, le directeur exprime sans ambages sa détermination d’écarter de l’Arme les personnels qui ont manqué à leur devoir patriotique :
« Certains officiers ou gendarmes, déclare-t-il, ont pu faillir à leur devoir, ils seront éliminés sans pitié… »
Cadre juridique de l’épuration administrative
Le châtiment annoncé s’inscrit dans le cadre juridique fixé par l’ordonnance du 27 juin 1944, prise après le débarquement, en pleine bataille de Normandie. Successivement, les 25 octobre et 11 décembre, de nouvelles dispositions complètent et modifient le texte initial.
L’épuration administrative vise les membres de la fonction publique, fonctionnaires, militaires de tous grades, en activité ou en retraite, y compris par conséquent les gendarmes qui, sans avoir commis de crime ou de délit, « se sont rendus coupables dans l’exercice de leur fonction professionnelle, d’écrits, d’actes antinationaux susceptibles d’aider l’ennemi, de nuire à l’effort de guerre français ou allié, de mettre en danger les libertés publiques ».
Les sanctions prévues, d’ordre disciplinaire et statutaire, s’étendent du simple déplacement d’office jusqu’à la révocation. Elles incluent la rétrogradation de classe ou de grade, la mise en disponibilité ou en non-activité, la mise à la retraite d’office, la suspension à temps ou définitive de la pension de retraite, l’interdiction provisoire ou définitive d’exercer la profession, la radiation des cadres de l’armée avec ou sans pension, la déchéance provisoire ou définitive du droit de porter des décorations et de recevoir les traitements y afférents.
L’ordonnance autorise l’application de mesures de sécurité comme l’internement, prévu par le décret du 18 novembre 1939, et la suspension de fonction. Le pouvoir de les décider appartient aux Commissaires intéressés (Guerre, Intérieur etc.) et à leurs représentants (Commissaires régionaux de la République etc.). La suspension d’emploi, qui n’entraîne en aucun cas la révocation, revêt un caractère provisoire. Dans l’attente d’une solution légale, elle place les officiers dans la position de « disponibilité » et les sous-officiers dans celle de « non-activité ».
Les personnels soumis à enquête bénéficient de garanties de protection. Avant toute sanction, le commandement a l’obligation de leur donner connaissance des faits qui leurs sont reprochés et de recueillir leurs explications, soit verbalement, soit par écrit. Possibilité leur est donnée d’attaquer les décisions prises, par la voie de recours, pour excès de pouvoir, devant le Conseil d’État.
En présence d’actes susceptibles d’entraîner des sanctions prévues au Code pénal, la procédure administrative est cumulable avec l’ouverture de poursuites judiciaires. Le même individu peut donc être sanctionné dans le cadre de l’épuration administrative et judiciaire. L’acquittement, par une Cour de Justice ou une chambre civique, ne lie en rien l’action administrative engagée parallèlement.
Sur la base des principes édictés, entre le 27 juin et la fin novembre 1944, des structures spécifiques à l’institution militaire se mettent en place.
Mesures préalables et concomitantes à l’épuration interne
Le 8 août 1944, depuis Rennes, la direction prend des mesures conservatoires en prescrivant à tous les commandants des formations des territoires libérés de procéder au blocage des archives correspondant à la période de l’occupation ennemie.(248) Ces archives regroupent les registres de correspondances émises courantes (registre 2) et secrètes (registres 4) et ceux concernant exclusivement le personnel officier (registre 4 P.O.). Sous la responsabilité de chaque détenteur, officier ou gradé, selon les échelons, elles sont scellées et empaquetées.
Les conservateurs des archives, à la Libération, sont les mêmes que pendant l’Occupation. Peut-être cela explique-t-il l’impossibilité d’en produire certaines à l’occasion de procès devant les cours de justice. D’autres manquent, parce qu’elles ont été enlevées par des inconnus ou détruites, à la suite de bombardements ou d’incendies de casernement imputable aux troupes allemandes. Enfin, localement, des officiers prennent des initiatives. Par exemple, le 5 août 1944, le chef d’escadron commandant la compagnie de la Lozère donne l’ordre aux unités de détruire les copies des rapports figurant aux registres de correspondance et de ne plus en enregistrer à l’avenir.
Dans le but de faciliter les enquêtes en cours concernant les officiers, le 2 novembre, les directions, inspections, commandants de légions et d’écoles reçoivent l’ordre d’extraire des archives « tous les documents susceptibles de mettre en lumière l’attitude prise du point de vue national par les chefs qui se sont trouvés placés à la tête de ces organismes pendant l’occupation ennemie depuis l’armistice jusqu’à la libération ». Chaque destinataire désigne un officier pour procéder à ce dépouillement, le plus tôt possible, et apporter les documents inventoriés à l’administration centrale chargée de les soumettre à « l’appréciation de la commission d’Épuration et de Réintégration de la Guerre »(249).
Le 26 octobre 1944, le commandement prescrit un recensement des exécutions capitales, effectuées par la gendarmerie entre 1940 et 1944, en vue de déterminer les conditions de sa participation à ces actes et le rôle joué par les différents échelons :
«…Chaque dossier d’enquête devra en particulier contenir :
1 - La documentation en vertu de laquelle la gendarmerie a été requise pour participer à l’exécution capitale.
2 - Les ordres donnés à cet effet par l’ex-direction générale de la gendarmerie et les différents échelons hiérarchiques.
3 - Les déclarations des officiers ayant eu dans ce cas particulier à prendre ou transmettre une décision ou qui éventuellement auraient été appelés à faire des démarches ou des représentations pour que la gendarmerie soit dispensée d’un emploi contraire à ses règlements et à sa mission. »(250)
Par ailleurs, ce travail a pour objet de recueillir des informations susceptibles d’être exploitées au titre de l’épuration administrative. Dans la plupart des cas recensés, il apparaît que tout a été tenté, mais sans succès, pour que les gendarmes ne remplissent pas la mission. Cependant, au vu des comptes rendus, le commandement ordonne l’ouverture de deux enquêtes aux fins de déterminer si la participation de certains militaires à des exécutions a été volontaire ou non.
Dans le même but, la circulaire ministérielle prise sous le numéro 26773/Gend.P.O. du 23 mai 1945 demande aux militaires de la gendarmerie de fournir des renseignements sur les circonstances de leur arrestation, la part de responsabilité de toute personne ayant eu à connaître de l’affaire, enfin l’aide qu’ils ont pu recevoir de militaires de l’Arme.
Première décision sur l’épuration dans les armées
Le 27 août 1944, moins de 20 jours après le débarquement de Provence, alors que la guerre continue, le commissaire à la Guerre du Gouvernement provisoire, M. André Diethelm, prend la première mesure majeure relative à l’épuration dans les armées. Il adresse au général chef de l’état-major Guerre et aux commandants de subdivision la note n°10010/Cab. qui place d’office, en position de disponibilité, tous les cadres de carrière de la métropole qui n’appartiennent ni aux forces mises sur pied en Corse ou dans l’Empire, ni aux F.F.I., en fait, tous ceux qui ne sont pas en mesure de justifier d’états de services entre la dissolution de l’armée de l’armistice, le 27 novembre 1942, et le 6 juin 1944. Les officiers en cause souscrivent une déclaration sur l’honneur détaillant leur attitude depuis le 25 juin 1940. Plusieurs conséquences découlent de la disponibilité. En premier lieu, une présomption de culpabilité pèse sur eux. Deuxièmement, une décision individuelle, soit du général commandant l’armée « B », soit du chef d’état-major Guerre ou des commandants de régions militaires, conditionne leur éventuel rappel à l’activité dans l’attente du fonctionnement de la commission d’épuration et de réintégration des personnels militaires. Mais leur réintégration ne se justifie que par des actes de résistance clandestine ou par des nécessités impérieuses d’encadrement. Troisièmement, cette position, qui correspond à une solde de misère (demi-solde), interdit, outre le port de l’uniforme, toute activité professionnelle.
Les militaires classés d’office dans la position de disponibilité considèrent cette mesure injuste, car la plupart estiment être restés disciplinés. Ils soulignent aussi son caractère illégal, au regard de la loi Soult du 19 mai 1834. En effet, le statut des officiers ne prévoit cette position que pour les généraux servant en état-major et momentanément privés d’emploi.
Comme le précise le paragraphe V de la note n°10010/Cab., les dispositions édictées ne s’appliquent pas aux cadres de la gendarmerie et de la garde qui « en raison des nécessités du maintien de l’ordre seront conservés en fonction jusqu’à ce qu’il soit statué individuellement sur leur cas par décision ministérielle ». Le commissaire à la Guerre exige que leurs dossiers soient soumis à ses services dans les délais les plus brefs, à la diligence des commandants de régions. À l’évidence, apparaît la volonté du pouvoir de limiter autant que possible l’épuration dans la gendarmerie pour ne pas se priver de cette force nécessaire au maintien de l’ordre.
Directives internes sur l’épuration administrative
Dès la fin août 1944, des inspecteurs d’arrondissements prennent des initiatives. L’un d’eux, serviteur loyal du régime déchu, considérant que des éléments de l’Arme, officiers et sous-officiers, ont eu pendant les événements douloureux de l’Occupation un comportement antinational, qu’il convient de sanctionner, demande aux commandants de légion de sa circonscription « de lui signaler par rapport individuel » ceux qui se sont rendus coupables de ces défaillances. Il détaille ensuite les modalités d’établissement de ces documents :
« Ces rapports, écrit-il, revêtus des avis des chefs hiérarchiques et accompagnés des avis écrits du préfet, du commandant départemental des F.F.I. et éventuellement des comités de libération devront être concis et conclure par une sanction juste, proportionnée à la gravité des fautes commises, en fonction des sentiments qui ont poussé les coupables à agir de la sorte. »
Dans l’attente des instructions ministérielles, entre le 7 et le 18 septembre 1944, la direction de la gendarmerie ne reste pas inactive. Elle précise les lignes maîtresses du dispositif d’épuration interne. Par circulaire n°19/Gend./Cab, le directeur de la gendarmerie demande aux commandants de légions de lui adresser sans délai les propositions de sanctions prévues à l’encontre des officiers qui ont manifesté une attitude hostile à la cause de la Libération de la France ou qui encourent l’indignité résultant de leur appartenance à des groupements antinationaux. Sa démarche se fonde sur l’ordonnance du 21 décembre 1943 stipulant que « sont déclarés indignes d’occuper des emplois supérieurs dans les services publics, et seront en conséquence relevés de leurs fonctions ou admis à la retraite d’office les fonctionnaires supérieurs qui auraient appartenu aux organisations antinationales suivantes : service d’ordre légionnaire, Groupe Collaboration, Phalange africaine, Milice antibolchevique, Légion tricolore, Groupements dits "Parti franciste", "Rassemblement national populaire", "Comité ouvrier de secours immédiat", "Mouvement social-révolutionnaire", et Groupement dit "Parti populaire français". »
Les commandants de légion constituent les premiers dossiers d’enquête concernant des officiers.
Par dépêche ministérielle n° 532/2 Gend. P, du 13 septembre 1944, le directeur annonce clairement les sanctions énergiques, inspirées par le seul souci de l’intérêt supérieur de la gendarmerie et du pays, qu’il entend appliquer à l’encontre des personnels « peu nombreux qui ont failli à leur devoir, soit qu’ils aient abandonné leur poste pour se mettre à l’abri avec leur famille, soit qu’ils aient sciemment aidé l’ennemi dans sa tâche d’asservissement de la France ».
L’abandon de poste, au moment des combats de la Libération, entraînera la traduction des coupables devant un tribunal militaire. Quant aux auteurs présumés de faits de collaboration, placés provisoirement sans emploi (officier) ou en non-activité (sous-officiers) ils seront soumis à une enquête. Au vu des dossiers établis, le ministre, en dernier ressort, prendra une décision. La procédure engagée n’exclut pas des poursuites judiciaires. Enfin, les militaires qui ont perdu la confiance des autorités, des populations ou de leurs subordonnés, si leur attitude du point de vue national n’est pas suspecte, pourront être mutés dès lors que leur comportement a donné lieu à une sanction disciplinaire.
Quelques jours plus tard, la dépêche n°686/Gend./P. du 18 septembre, apporte des compléments d’information sur le sort qui sera réservé aux militaires suspendus de leurs fonctions, soit par la direction de la gendarmerie, soit par d’autres autorités, depuis la période où se sont déroulés les combats pour la Libération. D’abord, elle souligne le caractère provisoire de la position faite aux intéressés. Ensuite, elle rappelle qu’une solution légale définitive sera apportée pour chaque cas, par le ministre de la Guerre, fondée sur un dossier d’enquête complet faisant ressortir les éléments susceptibles d’entraîner l’une quelconque des sanctions disciplinaires prévues par l’ordonnance du 27 juin 1944. En troisième lieu, elle indique que les échelons hiérarchiques doivent émettre un avis ferme sur les sanctions à proposer. Quatrièmement, elle insiste sur la nécessité d’entendre ou faire entendre, au cours des enquêtes, toutes les personnes pouvant donner des renseignements utiles, et en particulier les autorités qui ont pris des mesures contre les militaires concernés ou qui sont à l’origine de ces mesures. Enfin, en présence d’actes pouvant entraîner des sanctions prévues au Code pénal, elle indique qu’il appartient aux chefs de corps de faire ouvrir parallèlement une information judiciaire. En conclusion, la direction demande que la situation des officiers soit réglée de toute urgence ce qui suppose la constitution immédiate des dossiers et leur envoi sans délais.
Création de la commission centrale d’épuration et de réintégration des personnels militaires
La mise en place du dispositif d’épuration dans les armées se poursuit avec la promulgation de l’arrêté du 22 septembre 1944 qui institue à Paris, au ministère de la Guerre, une commission dite « d’épuration et de réintégration des personnels militaires ». Cette structure centralisée apporte la garantie supplémentaire d’une régulation dans le processus d’épuration.
Sa première fonction consiste, d’une part, à examiner les dossiers individuels des militaires de tous grades, y compris des gendarmes incriminés, d’autre part, à proposer au ministre de la Guerre les sanctions applicables aux intéressés et, le cas échéant, des mesures complémentaires, comme la radiation des cadres de l’armée, l’ouverture d’un dossier aux fins de poursuites pénales, la déchéance provisoire ou définitive du droit de porter des décorations. En second lieu, il lui revient de donner son avis au ministre sur la réintégration éventuelle, en situation d’activité, des officiers de l’ex-armée d’armistice et de la gendarmerie qui, à la date du 1er septembre 1944, ne servaient régulièrement ni dans les forces armées du Gouvernement provisoire, ni dans les F.F.I…
La nomination des membres de la Commission centrale incombe au ministre. Pour l’examen de la situation des officiers généraux, elle comprend un officier général, président, et trois officiers généraux. Cinq membres, dont trois officiers des armes et deux des services, la composent lorsqu’elle étudie le cas des autres militaires. Le général de division (Philippe, Paul) Matter en assure la présidence.(251) Né en 1872, cet ancien combattant de Verdun a commandé l’infanterie après la Première Guerre mondiale. En deuxième section du cadre des officiers généraux en 1934, il occupe par la suite, au ministère de la Guerre, plusieurs hautes fonctions administratives avant d’être rappelé à l’activité, en décembre 1939, pour présider la commission interministérielle de contrôle des affectations spéciales. Après l’armistice de juin 1940, à l’avènement de l’État français, son appartenance à la franc-maçonnerie entraîne sa mise à la retraite d’office. À la Libération, âgé de 72 ans, le ministre le rappelle à l’activité pour présider la Commission centrale d’épuration. Il exerce sa fonction de septembre 1944 à janvier 1946. Puis, pendant un an, jusqu’en janvier 1947, la présidence de la Commission de dégagement des cadres lui échoie. Au mois de juin, âgé de 74 ans, le voici une nouvelle fois placé en deuxième section. À l’occasion de son adieu aux armes, le 27, le ministre des armées lui rend un vibrant hommage :
« Pendant plus de soixante-dix ans vous n’avez cessé de rendre à votre pays des services d’une exceptionnelle qualité. C’est là un record glorieux pour lequel je vous exprime la reconnaissance profonde de l’armée et de la République… »
Ses détracteurs lui reprochent son attitude rigoriste à la tête de la Commission d’épuration, d’être en deuxième section, de n’avoir que des titres de Résistance forts légers, et un esprit partisan qui apparaît notamment dans un mémoire rédigé le 26 octobre 1944 dans lequel il s’inquiète du fait « que des officiers sur lesquels il y aurait beaucoup à dire n’ont pas hésité, pour se « blanchir », à prendre du service dans les armées de libération de Leclerc ou de Lattre après les débarquements alliés en métropole ».
L’arrêté du 22 septembre fixe le début des travaux de la Commission au plus tard le 30 septembre 1944.
Les réactions dans la gendarmerie
Les dispositions annoncées provoquent une vive inquiétude parmi les officiers, gradés et gendarmes. Beaucoup s’interrogent sur les conditions de leur mise en œuvre. La multiplication, au moment de la Libération et dans les semaines qui suivent, des destitutions, internements administratifs et arrestations, avive les craintes. Des doutes s’expriment sur l’objectivité de la Commission centrale. Ainsi, un commandant de légion écrit :
« Peut-on être assuré que l’épuration de la gendarmerie sera effectuée en parfaite connaissance de cause de la situation dans laquelle elle s’est trouvée placée durant l’occupation ? »(252)
La direction réussit à obtenir qu’un officier de l’Arme, ayant exercé un commandement pendant la période considérée, fasse un exposé à la Commission d’épuration de l’armée sur les conditions tragiques dans lesquelles les personnels ont rempli leur mission.
Des chefs de corps émettent le souhait de voir se constituer une commission d’épuration composée uniquement d’officiers de gendarmerie. La direction apporte la réponse suivante :
« La politique générale du Gouvernement concernant l’épuration conduit à confier à un organisme unique le soin de traiter de l’épuration dans l’armée dont la gendarmerie fait partie… »(253)
Au mois d’octobre 1944, le général Tamisier, directeur des personnels de l’armée de Terre, tient un langage rassurant :
« La gendarmerie faisant partie intégrante de l’armée est soumise aux mêmes règles de base que tous les autres personnels de l’armée de Terre. Par contre sa situation spéciale sous l’occupation ennemie a retenu toute l’attention des autorités responsables et le personnel de la gendarmerie doit attendre en toute confiance les décisions qui seront prises ; toutes les garanties lui sont accordées, d’autre part la place prise par l’arme dans la Résistance assure à l’ensemble de son personnel la plus grande bienveillance… »(254)
Des réticences subsistent. Dans une motion, en date du 14 décembre 1944, le Comité directeur de Résistance de la gendarmerie de la région de Paris réclame une autonomie de l’institution, au sein même du cadre de l’armée, pour organiser l’épuration. Pratiquement, il propose que « toutes les attributions relevant actuellement du ministre de la Guerre, y compris l’épuration concernant la gendarmerie, soient du ressort du commandement de la gendarmerie, seul responsable devant le chef du Gouvernement. »(255)
Malgré le souhait émis, le dispositif prévu reste en l’état.
Les structures internes d’épuration
Début septembre 1944, l’instruction ministérielle sur l’épuration dans la gendarmerie, ayant pour fondement la note n°10010/Cab du 27 août 1944, n’est pas encore élaborée. Or, il est urgent, pour faciliter la réorganisation de l’Arme et la reprise normale du service, d’entreprendre en priorité l’examen de la situation des officiers. À cet effet, le directeur décide donc de créer une structure, au sein de la sous-direction, pour mener à bien rapidement l’opération. La sous-direction, installée Boulevard de La Tour Maubourg, à côté du Comité directeur du Front National de Résistance de la gendarmerie de l’Île-de-France, gère le corps des officiers. Exceptionnellement, pendant la phase de réorganisation de l’armée, elle est rattachée directement au ministère de la guerre (D.P.M.A.T). Courant septembre, elle constitue deux commissions d’enquête officiers (G.R. et G.D.) comprenant chacune trois membres. Celle de la G.D. se compose du chef d’escadron D…, des capitaines D… et L… Si la désignation des membres des commissions, choisis parmi des officiers ayant participé à la Résistance, ne soulève aucune difficulté, en revanche se posent des problèmes matériels (locaux), de fonctionnement (attributions des commissions), et d’ambiance. Écoutons le témoignage d’un membre de la commission recueilli au cours de l’année 2000 :
« Lorsque je me présente à la sous-direction j’ai trouvé dans les bureaux une belle "pagaille". Il y avait là pratiquement tout le personnel officier et sous-officier de la direction de Vichy, 2 ou 3 officiers qui venaient de Londres et des officiers de la région parisienne. Tout ce monde essayait de se placer et cela m’a donné une impression pénible… »(256)
Fin septembre, les commissions, avec à leur tête le commandant C… D…, quittent la sous-direction pour s’installer au ministère. Elles reçoivent pour mission d’étudier un petit nombre de dossiers concernant des officiers de la direction de Vichy et de la région parisienne. Après examen des cas qui leurs sont soumis, elles formulent un avis transmis au chef d’escadron C… D… qui les règle en liaison avec la Commission centrale d’épuration. Fin octobre 1944, deux membres des commissions demandent à être mutés. L’un d’eux s’en explique ainsi cinquante-six ans après :
« Nous étions très mal considérés. Notre rôle était délicat, compliqué et même contrarié par les "tripotages" dans les dossiers. J’ai tout de suite compris que je risquais de me faire plus d’ennemis que d’amis. »(257)
À la mi-octobre 1944, alors que la plus grande partie du territoire est libérée depuis plusieurs semaines, le commandement de la gendarmerie n’a reçu que trois dossiers complets d’enquête destinés à la commission d’épuration.
Le 13 octobre, par décision n°2087/Gend. P/E, l’administration centrale institue, auprès de chaque formation formant corps (légion, régiment, école et centre d’administration), deux commissions d’enquête, l’une officier, l’autre sous-officier, chargées d’examiner le cas individuel des militaires susceptibles d’être sanctionnés ou réintégrés en situation d’activité. La première comprend 5 officiers dont un officier supérieur président et la seconde 3 sous-officiers et deux officiers dont un officier supérieur président. Les chefs de corps et de services désignent les membres des commissions choisis parmi les personnels qui, en raison de leur attitude ou des services rendus à la Résistance, jouissent de la confiance des comités de Libération.
Relèvent de la commission d’enquête officier et sous-officier tous les personnels affectés dans la formation où elle siège mais aussi tous ceux qui y servaient sous l’Occupation mutés ailleurs dans l’intervalle. Les commissions émettent leurs conclusions au fur et à mesure de l’avancement de leurs travaux. Puis, elles adressent les dossiers au commandement de la gendarmerie, par l’intermédiaire des chefs de corps (légion, régiment, école, etc.) auprès desquels elles sont placées et du général commandant la région militaire. Chaque échelon, en toute indépendance, exprime ses conclusions.
Une procédure sensiblement différente s’applique aux chefs de corps (légion de G.D. de G. R et G.R.P.) ou de service (Écoles, centres d’administration) et aux officiers faisant partie des commissions d’enquête, qui ne peuvent être juge et partie. Selon leur affectation, les inspecteurs d’arrondissements ou le général commandant la région de Paris examine leur situation…
La Commission centrale d’épuration se saisit directement des dossiers des officiers généraux.
À partir du début octobre, le Commandement de la gendarmerie et de la Garde républicaine diffuse la liste des militaires soumis à enquête, dressée à partir des renseignements qui lui sont parvenus émanant de comités de Libération et d’épuration, des mouvements de Résistance, des militaires de l’Arme, des départements ministériels, des victimes de l’action des gendarmes ou de leurs familles.(258) Par la suite, au fur et à mesure de la réception de plaintes, il les répercute sur les formations concernées. Le 9 octobre 1944, le commandant de la 12e légion reçoit sous bordereau d’envoi l’ordre de faire effectuer des enquêtes concernant le commandant R…, le capitaine V…, le lieutenant C… De même, sous la forme d’une note succincte, le 3 novembre 1944, le directeur saisit le colonel commandant la 11e légion de G.D. :
« Il a été porté à ma connaissance que le capitaine X aurait manifesté des sentiments pro-allemands et aurait combattu des membres de la Résistance.
Honneur vous demander de bien vouloir procéder à l’enquête prévue par mes notes 686/Gend. P du 18 septembre 1944 et 2437/Gend/PE du 14 octobre 1944… »
Pour vérifier le fondement des accusations portées contre le personnel et apprécier l’état de l’opinion à son égard, l’administration centrale invite les présidents et les membres des commissions d’enquête à entretenir une liaison étroite avec les organisations de la Résistance, les autorités administratives et militaires, les comités de Libération et d’épuration.
Avec la diffusion, le 1er novembre 1944, sous le numéro 4672/Gend/PE. de l’instruction d’application à la gendarmerie et à la Garde républicaine de la note n°10010/Cab du 27 août 1944 (article V), s’achève la mise en place du dispositif d’épuration. À partir de ce moment-là, la sous-direction centralise les dossiers d’enquête en provenance des formations et les soumet à la commission centrale.
Le texte fait en détail le point sur les modalités de son fonctionnement. En particulier, il précise la position des officiers et des sous-officiers de tous grades au regard de l’épuration. Les officiers se répartissent en trois catégories. Dans la première, on trouve les officiers en activité à la date du 1er juin 1944 ou rappelés postérieurement, jugés favorables à la cause de la Libération et de ce fait non soumis à enquête. La deuxième comprend les officiers soumis à enquête, considérés à tort où à raison comme hostiles à la cause de la Libération. Dans la troisième figurent les officiers, rappelés ou non à l’activité depuis la libération du territoire, écartés de leur commandement entre 1940 et 1944 par une décision de Vichy qui les a mis à la retraite d’office, les a révoqués ou rétrogradés.
Chaque officier, à quelque catégorie qu’il appartienne, établit une demande de maintien en activité ainsi qu’une déclaration sur l’honneur, accompagnées de toutes explications utiles, de n’avoir pas fait partie de groupements antinationaux de l’État français et de n’avoir pas été admis officiellement à porter la Francisque gallique. Les officiers assujettis à enquête fournissent en plus une fiche de renseignements où ils développent l’activité déployée sous l’Occupation allemande, favorable et défavorable à la cause de la Libération. Ces pièces accompagnent le dossier d’enquête, constitué par les présidents des commissions, qui contient documents et témoignages utiles à la manifestation de la vérité tels que attestations diverses, témoignages à charges où à décharges, plaintes etc.
Les commissions d’enquêtes officiers examinent, sans distinction de catégorie, l’ensemble des demandes de maintien en activité formulées par les intéressés. Après avoir émis un avis, elles adressent les dossiers, par la voie hiérarchique, au ministre. Dans l’attente de la décision que prendra celui-ci, les officiers soumis à enquête, sauf s’ils sont placés dans la position de disponibilité, poursuivent leur activité professionnelle. L’indisponibilité entraîne une affectation provisoire soit à une légion, soit au centre d’administration de la gendarmerie. Ainsi, lorsque le 20 octobre 1944 une décision place dans la position de disponibilité 13 officiers supérieurs de la garde appartenant à l’École de la garde de Guéret, au commandement des 1re et 2e brigades, à la direction générale de la garde et au commandement des régiments, la direction les affecte provisoirement, pour administration, à la 6e légion de Garde républicaine. De son côté, le C.A.G. de Courbevoie, prend en charge administrativement les personnels de la gendarmerie départementale.
La mise aux arrêts de forteresse, l’internement administratif ou la détention permettent de soustraire des officiers soumis à enquête à la menace d’une épuration spontanée. Dans le département de Seine-et-Marne, le 28 octobre 1944, trois représentants des milices patriotiques se présentent au domicile du chef d’escadron S…, commandant le groupement territorial de Melun, pour le mettre en état d’arrestation. Invoquant l’absence de mandat, l’officier refuse d’obtempérer à leurs injonctions. Le commandant de légion, informé de la situation, réagit rapidement pour prévenir toute action illégale contre son subordonné :
« J’ai immédiatement fait prendre le commandant X… par une voiture de la légion et l’ai placé au Fort de Rosny-sous-Bois au régime des arrêts de rigueur pour sa protection personnelle. »(259)
Les sous-officiers sont assujettis pratiquement aux mêmes dispositions que les officiers.
Fonctionnement des commissions d’enquête
Dès réception de l’instruction, les commandants de légions, écoles et centres d’administration mettent sur pied les commissions d’enquête qui commencent leurs travaux dans le courant de la première quinzaine de novembre.
À l’initiative des présidents, elles se réunissent, au siège des légions, écoles et services. L’officier placé à la tête de la commission, à partir des dossiers d’enquête établis, expose les faits reprochés aux militaires incriminés. Puis un rapporteur donne lecture des pièces de procédure. S’il le souhaite, le comparant fait part de ses observations. La commission délibère hors sa présence. Sur le fond, elle apprécie la part de liberté dont jouissait le militaire objet de l’enquête. A-t-il agi d’initiative, sur ordre des chefs, sur réquisition des autorités civiles, sur ordre des Allemands ? D’autre part, elle prend en considération la gravité et les conséquences des actes commis. Elle conclut ses travaux en émettant un avis. Trois possibilités s’offrent à elle : proposition de classement sans suite, proposition de sanction ferme ou bien complément d’enquête à effectuer. Un procès-verbal de réunion, signé par le président et par les membres, récapitule le déroulement et le contenu de la séance. Il précise la composition de la commission, la date et le lieu de la réunion, le nom du militaire soumis à enquête, les faits reprochés et les propositions émises.
Dès réception du dossier, le chef de corps donne à son tour un avis avant de le transmettre à la région militaire. Le commandant de région y joint ses propositions avant de l’adresser au ministère de la Guerre où la commission centrale d’épuration procède à son examen. Elle transmet l’ensemble de la procédure, assortie d’un ultime avis, au ministre.
S’agissant des officiers, les décisions de révocation font l’objet d’un décret publié au journal officiel libellé comme suit :
« Décret du (date) portant révocation sans pension gendarmerie,
Le Gouvernement provisoire de la République française sur la proposition du ministre de la Guerre,
Vu l’ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du comité français de la libération nationale, ensemble des ordonnances des 3 juin et 4 septembre 1944,
Vu l’ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative sur le territoire de la France métropolitaine,
Vu l’arrêté du ministre de la guerre en date du 22 septembre 1944 instituant une commission d’épuration et de réintégration des personnels militaires,
Vu l’avis motivé émis par cette commission dans sa séance du (date) Décrète :
Article 1er : M. X, grade, est révoqué sans pension.
Article 2 : Le ministre de la guerre est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié au J.O. de la République française.
Fait à Paris le (date)
Le chef du Gouvernement. »
Pour les sous-officiers, gradés et gendarmes, consécutivement à l’avis émis par la commission centrale d’épuration et de réintégration des personnels, le ministre prend une décision sous la forme d’un arrêté. En outre, sous le timbre de son cabinet, il procède, jusqu’à l’échelon des corps, à des diffusions collectives des décisions prises sous la forme ci-après :
Décision
À la suite de l’examen des dossiers des sous-officiers de Gendarmerie par la Commission d’Épuration et de Réintégration et consécutivement aux avis qu’elle a donnés, le ministre a pris les décisions suivantes :
Ajustements et mises au point
Noms et prénoms |
Grade |
N° de dossier |
Affectations |
Décision du ministre |
Avant et au cours de sa mise en œuvre, l’épuration donne lieu à des interventions du commandement et du ministre de la Guerre. À plusieurs reprises, l’autorité de tutelle, de même que la direction, insistent sur l’obligation de la mener à bien aussi vite que possible. Le 29 septembre 1944, le général Tamisier précise que « l’intérêt général et particulier se confondent pour que des solutions rapides interviennent ».(260) Au début de l’année 1945, le ministre rappelle aux généraux commandant les régions militaires que « la nécessité de terminer au plus tôt le travail d’épuration et de réintégration dans la gendarmerie est impérieuse… ».
La crise des effectifs, qui affecte gravement le corps des officiers, explique son insistance. En particulier, un certain nombre d’entre eux se trouve en effet sous le coup de poursuites judiciaires. Aussi, la commission d’épuration ne peut émettre un avis sur l’opportunité de les réintégrer tant que les informations ouvertes contre eux ne sont pas clôturées et, dans le cas où il n’y a pas de non-lieu, tant que les juridictions compétentes ne se sont pas prononcées.
La recherche d’un juste milieu, dans les sanctions à prendre, s’impose aux commissions d’enquête, afin de préserver l’homogénéité de l’institution. Dans les turbulences consécutives à l’Occupation, le risque est grand de dérives - trop grande sévérité ou à l’opposé mansuétude excessive - l’une comme l’autre étant susceptibles d’affaiblir voire de désorganiser l’Arme ou encore de susciter des critiques. Or des autorités de l’Arme prennent des initiatives, comme dans la région parisienne. Le 7 octobre 1944, une commission d’épuration siégeant au 53 boulevard de la Tour Maubourg, à Paris, constituée par le Comité de Résistance du Front national de la gendarmerie, par lettre n° 62/2 CDR/Gend signée de son président, demande aux C.D.L., dans des termes qui en disent long sur ses intentions, des renseignements pour la mener à bien :
« Nous avons l’honneur de vous demander de vouloir bien nous faire connaître les noms et adresses des officiers, gradés et gendarmes de votre département qui étaient affiliés aux organisations de résistance et qui par leur activité patriotique se sont particulièrement distingués pendant l’occupation et la libération du territoire ;
Les noms de ces militaires patriotes nous sont nécessaires pour constituer dans chaque légion de gendarmerie une commission d’épuration afin d’éliminer de notre arme les éléments malsains qui par trahison ou veulerie se sont fait les complices de l’ennemi et de Vichy. Le comité directeur de résistance de la région de Paris soucieux de faire la justice en toute objectivité compte sur le patriotisme des C.D.L. pour nous faire parvenir le plus tôt possible les noms des miliaires précités.
Le président du comité directeur.
Vu et approuvé : le général commandant la gendarmerie de la région de Paris.
Vu et approuvé : le président de la commission militaire du conseil national de la Résistance (Pierre Villon). »
Fin novembre 1944, pour atteindre la vérité et faire la pleine lumière sur la situation des personnels officiers soumis à enquête, le ministère, une fois encore, rappelle qu’aucune source ne doit être négligée. Tout dossier doit donc comporter la preuve de la liaison prise par l’organe enquêteur avec les organes officiels de Résistance locaux. La formule préconisée consiste à faire délivrer par ces organismes un certificat ou attestation précisant la position de la Résistance à l’égard du militaire en cause. Il s’agit de recueillir les éléments que possèdent ces organismes, en bien comme en mal.
Le 6 janvier 1945, le ministre désigne le général Stehele pour conduire une enquête en vue de canaliser les effets trop voyants des sanctions prises initialement. Rien de surprenant dès lors si, le 29 mai 1945, le ministre décide de soumettre à un nouvel examen les dossiers d’épuration administrative des sous-officiers constitués en application de l’Ordonnance du 27 juin 1944. Tout dossier ayant entraîné une sanction supérieure au déplacement d’office, à savoir mise en non-activité, mise à la retraite d’office etc., doit être réexaminé.(261)
Après un second examen, la Commission centrale d’épuration et de réintégration se montre plus clémente en proposant des mesures de classement sans suite et des déplacements d’office. Les décisions du ministre vont dans le même sens. Les chefs de corps retirent des mains des intéressés les notifications des sanctions antérieures et rectifient les inscriptions portées sur leurs pièces matricules.
Tant à l’échelon central que régional, les autorités habilitées veillent au bon déroulement des enquêtes. Le 20 novembre 1944, ayant constaté que le dossier d’enquête d’un officier ne faisait pas état de ses fonctions de juge dans une section spéciale, le général Tamisier invite le commandement à signaler impérativement de telles situations :
«…Le cas concret suivant est soumis à la réflexion des chefs responsables : X.., un officier de gendarmerie a occupé des fonctions dans les tribunaux d’exception institués par le Gouvernement de Vichy. Ce fait n’est pas signalé dans l’enquête présentée par le commandant de légion. Il ne fait apparemment l’objet d’aucune recherche de sa part… La sincérité des enquêtes faites par la gendarmerie sur son propre personnel engage tout son avenir et sa bonne réputation… »(262)
Le fait, pour un officier, d’avoir siégé en qualité de juge, dans une section spéciale, n’entraîne pas nécessairement une sanction contre lui. Le lieutenant C…, du 1er régiment de la garde, désigné par ses chefs pour remplir cette fonction à la section spéciale de Lyon, n’est pas inquiété. Aucune sanction n’est infligée au lieutenant-colonel R… membre de celle de Clermont-Ferrand.
Les généraux commandants les régions militaires jouent pleinement leur rôle, lors de la transmission des dossiers établis par les commissions d’enquête. En décembre 1944, le colonel Rousselier, commandant la 12e région, ordonne au président de la commission d’enquête officiers de la 12e légion de gendarmerie d’effectuer des compléments d’enquête concernant 11 officiers ayant présenté une demande de maintien en activité :
«…Les dossiers ci-joints tels qu’ils sont constitués ne permettent pas d’émettre sur chacun d’eux un avis motivé et a fortiori de prendre une décision.
…Si certains officiers de gendarmerie, en raison de leur attitude à l’égard de la Résistance ne sont pas susceptibles de poursuites ou de sanctions disciplinaires, il ne saurait en être de même pour tous et l’on ne peut que s’étonner à ce sujet de voir un officier comme le lieutenant L… proposé avec avis favorable pour le maintien en activité alors qu’il a obtenu 2 citations élogieuses pour des opérations contre la résistance. Un complément d’enquête s’impose. Il devra être effectué avec toute la célérité désirable… »(263)
Lorsqu’il obtient ces citations, dont l’une à l’ordre du groupement d’opération de Limoges, le lieutenant L… commande le groupe des pelotons motorisés de gendarmerie déplacés à X… :
« Au cours d’une opération de police dans la région de X…, a montré de belles qualités professionnelles dans les recherches poursuivies pendant deux jours de dangereux individus. Par des dispositions habiles a réussi à découvrir le repaire et à capturer cinq malfaiteurs avec un stock important de munitions et d’explosifs. »
À l’issue du complément d’enquête effectué sur son compte, le ministre ne prend aucune sanction contre lui.
Lorsque des faits nouveaux interviennent, susceptibles d’entraîner la reconsidérassions d’une sanction prise, les commissions d’enquête les portent à la connaissance du ministre en formulant un nouvel avis. Un adjudant, mis en non-activité pour une période de longue durée, fournit une attestation prouvant son appartenance à une organisation de Résistance. La commission estime que ce nouvel élément a une réelle valeur et propose une révision de la sanction prise antérieurement.
Pour remédier à des situations qui nuisent à la crédibilité de l’épuration, le ministre intervient à nouveau le 3 février 1945.(264) Il signale aux généraux commandant les régions militaires que la composition des commissions d’enquête des légions de gendarmerie et de Garde républicaine prêtent malencontreusement à la critique car certains de leurs membres sont eux-mêmes justiciables d’une enquête. Il leur demande de bien vouloir rappeler, aux chefs de la gendarmerie et de la Garde républicaine, les dispositions formelles de sa note n° 2988/Gend./RE. La désignation des membres des commissions est de la responsabilité des commandants de légions. Cette responsabilité s’étend encore à la qualité des enquêtes transmises qui doivent être sincères.
Comme le montre un exemple, les présidents des commissions d’enquête jouent un rôle déterminant dans les prises de décision. Le chef d’escadron P…, de la compagnie de Paris-Exelmans, ancien chef du bureau des personnels à la direction générale pendant l’Occupation, désigné en 1945 pour présider la commission d’enquête sous-officiers de la légion de Paris, évoque en 1986 de quelle façon, lors de l’examen d’un dossier, il a orienté le choix de ses subordonnés. La commission devait se prononcer sur la demande de réintégration d’un gendarme démissionnaire en 1940 pour ne pas servir les Allemands. Les sous-officiers de la commission estimaient qu’il fallait émettre un avis favorable. Le chef d’escadron P… leur rétorque « Avez-vous bien réfléchi avant de vous prononcer. Je pense que non. Et vous ne savez pas pourquoi je pense que non. Parce que vous vous délivrez un certificat d’avoir, vous, servi les Allemands. Alors si vous lui donnez satisfaction vous reconnaissez que vous avez eu tort de ne pas démissionner. »
La commission tenant compte de l’argument présenté par le président émet un avis défavorable. Mais le ministre ne la suit pas dans cette voie. Si quelques présidents ne sont pas exempts de reproches - René Montaut cite l’exemple du commandant de gendarmerie de Bordeaux, « répressif pendant l’occupation » qui « devient président de la commission d’épuration de son corps », - la plupart, choisis parmi des officiers ayant des titres de résistance ne prêtent pas à la critique.(265) Ils dirigent, avec l’objectivité désirable, les travaux des commissions. Le lieutenant Sanvoisin, désigné comme membre de la commission d’enquête sous-officier de la légion de gendarmerie du Lyonnais, a siégé 7 fois. Il estime qu’elle a été clémente. Selon son témoignage, les félicitations décernées pendant l’Occupation n’ont pas été toutes prises en considération et sanctionnées. Toujours à propos des commissions d’enquête, il écrit en 1991 :
« Lesdites commissions se constituèrent en sorte de conseils de discipline et reçurent, tour à tour quelques officiers et sous-officiers de la gendarmerie du Lyonnais à la caserne Serin, 9 rue Sainte-Hélène à Lyon.
À l’issue de chaque session, le président de la commission adressait à la direction de la gendarmerie des propositions de sanctions qui se traduisaient plus tard, par des mutations dans l’intérêt du service, et plus rarement, par des révocations temporaires ou définitives avec ou sans traitement. Toujours est-il que les quelques officiers et sous-officiers convoqués devant lesdites commissions vécurent des jours, voire des semaines difficiles en attendant les décisions du bureau des personnels de la direction de la gendarmerie installée à Paris. »(266)
De même, le général Giguet, lieutenant commandant de section de Louhans pendant l’Occupation et chef de l’A.S. du secteur, qui a été membre de la commission d’enquête de la 8e légion (Dijon) garde en mémoire « l’esprit de cette commission qui fut très conciliant à l’égard du personnel qui avait rencontré quelques problèmes sans pour autant, dans leur quasi-totalité, avoir voulu servir l’occupant ou la milice ».(267)
Création d’une commission d’appel pour les officiers
L’article 16 de l’ordonnance n° 45.2606 du 2 novembre 1945, sur le dégagement des cadres, donne aux officiers qui ont fait l’objet d’une décision de non-réintégration ou de mise en disponibilité définitive, une possibilité de recours.(268) Fin 1945, il en résulte la création au ministère des armées (cabinet du ministre), d’une commission d’appel. Placée sous la présidence d’un officier général, la commission comprend une ou plusieurs sous-commissions composées d’un président, officier général ou colonel ayant appartenu aux FFL ou FFI, quatre membres, officiers supérieurs d’active, (un ayant appartenu aux FFL ou aux FFI, un déporté rapatrié ayant appartenu à un mouvement de résistance, un n’appartenant pas aux trois catégories précédentes et ayant commandé devant l’ennemi après novembre 1942) et le directeur d’arme ou de service ou son représentant.
Le général Jean Humbert préside la commission. Né le 17 décembre 1893, ce Saint-cyrien, de la promotion « Montmirail », se distingue pendant la Première Guerre mondiale. Admis à l’École supérieure de guerre, promotion 1921-1923, il devient, le 5 juin 1940, chef de cabinet du général de Gaulle. De 1941 à 1942, il commande le 159e régiment d’infanterie. Courant 1942, il prend le commandement militaire de la Corse. Son affectation s’accompagne, en novembre, d’une promotion au grade de général. Le général Revers, au moment du débarquement, le charge de plusieurs missions dans le sud-est avant qu’il ne rejoigne le Vercors. À la Libération, il devient gouverneur militaire de Grenoble. La guerre terminée, il a en charge la direction du contrôle du désarmement militaire, industriel et scientifique en Allemagne.
Une instruction ministérielle du 21 décembre 1945 arrête les modalités de fonctionnement de la commission d’appel.(269) Le président, sur leur demande, entend les requérants. Ces derniers sont si nombreux que l’examen de leur cas exige des délais relativement longs. Sans dissiper complètement les inquiétudes, la création d’une commission d’appel a un effet bénéfique sur le moral des officiers.
La loi du 5 avril 1946, portant fixation du budget général, dans son titre II chapitre 1er, article 4 sur les dispositions relatives au dégagement des cadres des personnels militaires, règle, du point de vue administratif, le sort des militaires sanctionnés dans le cadre de l’épuration :
« Les officiers généraux, officiers et non officiers qui ont fait ou feront l’objet d’une sanction administrative, judiciaire ou disciplinaire du fait de leur attitude pendant l’occupation ennemie, ne seront pas admis au bénéfice de la présente loi ; ils sont ou seront d’office dégagés des cadres et leur situation sera réglée, en ce qui concerne leur droit à pension, conformément à la législation en vigueur au 16 juin 1940 ».(270)
Le temps des attestations
Avec l’épuration administrative, débute le temps des attestations qui po- sent une double question, celle de leur finalité et surtout de leur sincérité. En novembre 1945, le général Guillaudot, s’expliquant sur la lutte contre le terrorisme pendant qu’il commandait la compagnie du Morbihan, donne son point de vue sur les attestations :
«…Je pourrais comme certains fournir à l’appui de ces explications des attestations même de communistes qui me doivent la vie, il me serait facile d’en produire de quoi lasser le lecteur le plus patient, mais après le rôle que j’ai joué pour la libération de mon pays, je déclare que depuis mon retour de déportation, je délivre des attestations aux camarades ayant travaillé avec moi dans la clandestinité, mais que je ne m’abaisserai pas à en quémander… » (271)
Toujours à propos des attestations, le 29 octobre 1944, un journaliste auteur d’un article dans la « Renaissance du Peuple » écrit :
« Il n’est pas un collaborateur qui n’ait caché son juif ou aidé un réfractaire. Après le coup du juif, du réfractaire on nous fait le coup du F.F.I. qui n’a pas son certificat de complaisance ? Disons que le fait de posséder des certificats est une circonstance aggravante, une certitude de culpabilité, car est-il venu à l’esprit des authentiques résistants, de français qui n’ont rien à se reprocher de se faire faire des certificats ? »
De fait, la délivrance d’attestations donne lieu à des abus. Pour échapper à l’épuration, des personnels, par l’intrigue ou le harcèlement, réussissent à arracher des certificats de complaisance qui perdent singulièrement de leur force lorsqu’on les compare à la réalité des faits. Partant, ils nuisent à l’objectivité des enquêtes. Le capitaine commandant la section de Millau, placé en disponibilité le 13 novembre 1944, obtient le 28 un témoignage qui le présente sous un jour favorable :
« A servi la cause de la Résistance en n’intervenant que lorsqu’il y était forcé, en limitant au maximum chaque fois les effets de ses interventions (aucune arrestation en 4 ans), en prévenant des membres de la Résistance dénoncés aux Allemands ou sur le point d’être arrêtés par eux (V…, 3 fois, D…, T…, P…, A…, P…,), en combattant les Allemands à toutes les occasions et notamment les armes à la main lors de la libération de Marseille les 22,23 et 24 août 1944. »
Moins de deux mois plus tard, la Cour de Justice de l’Aveyron le condamne sévèrement.
À tous les échelons de la hiérarchie, on trouve des « quémandeurs » d’attestations. Robert Terres, auteur de « Double Jeu pour la France » rapporte le cas à Toulouse du capitaine A…, résistant de la première heure, sollicité en 1945 par son général, pour lui établir un justificatif de son action résistante. L’officier, ignorant tout de l’activité de son supérieur, lui oppose un refus ferme. Le général, en retour, cherche à lui faire « payer » son attitude inflexible.
Cependant, il convient de nuancer les jugements portés sur les attestations. L’on ne doit pas perdre de vue qu’elles répondent, dans la plupart des cas, à des nécessités. Au mois d’août 1944, lorsque la direction de la gendarmerie ordonne le recensement des effectifs, les personnels doivent, comme cela a été déjà indiqué dans un chapitre antérieur, justifier de leur activité sous l’Occupation. Pour ce faire, ils ont recours à des attestations. Un chef d’escadron, adjoint au commandant d’un régiment de la garde, produit un certificat délivré par un capitaine commandant de compagnie :
« Attestation
Je soussigné capitaine X…, commandant la compagnie de gendarmerie de U…, certifie que le chef d’escadron Z… du énième régiment de la garde de V… s’est tenu en liaison avec moi pendant que j’étais au maquis de W… et de Z… du 9 juin au 20 août 1944.
Il m’a transmis à plusieurs reprises des renseignements concernant les opérations projetées par les Allemands et la Milice contre le maquis dont j’avais le commandement.
U… le 26 septembre 1944 signé : X… »
Soumis à enquête, placé en disponibilité au cours du dernier trimestre de l’année 1944, le chef d’escadron Z… ne reprend ses fonctions qu’en mars 1946, après avoir prouvé sa bonne foi devant la commission d’appel.
Plus qu’un moyen de défense ou parfois de glorification, elles servent aussi aux résistants pour justifier des droits : attribution de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance, homologation de grades, appartenance aux F.F.I. etc. Au demeurant, les certificats de l’espèce, pour être valides, doivent satisfaire à des normes comme l’obligation de produire deux témoins directs, si possible anciens chefs de la Résistance, notoirement connus, qui doivent exposer en détail les actions du bénéficiaire. Les attestataires ont l’obligation de faire certifier leur signature par le liquidateur national du mouvement de Résistance ou du réseau auquel appartient le demandeur. Au cours du procès de Maurice Papon, ne contestera-t-on pas l’activité de ce dernier au profit du réseau Jade-Amicol, malgré le certificat signé par son liquidateur, le capitaine de la Garde républicaine Arsène Le Bars.
Lorsque la gendarmerie, en vertu des décisions ministérielles des 24 et 26 décembre 1946, doit envoyer en Extrême-Orient (Indochine) plus de 100 officiers et 3 000 sous-officiers répartis dans des légions de marche, le commandement ne peut compter sur suffisamment de volontaires. D’où le recours à l’ensemble de la ressource. Soucieux de partager au mieux les charges, le bureau des personnels s’efforce d’en écarter ceux qui rentrent de captivité où de déportation et les pères de familles nombreuses. Les désignations d’office s’accompagnent d’un tour de départ. Les résistants, attestations à l’appui, bénéficient d’un capital de point qui leur permet, pour le moins, de le différer. Malgré cela, faisant acte de volontariat, des officiers et sous-officiers qui viennent de participer aux combats de la Libération et aux opérations à l’extérieur du territoire, repartent en guerre sans avoir dessanglé.
La fin de l’épuration administrative
Une dépêche ministérielle du 12 juillet 1946 (D.M. 56 cab/EP/MA) annonce l’achèvement officiel de l’épuration administrative dans les armées. En fait, la gendarmerie, conduit ses travaux avec plus de célérité puisqu’elle en annonce la fin en juillet 1945. En effet, le 24, la direction en informe les différents commandements et leur prescrit d’établir le bilan de leurs propositions :
« Les travaux des commissions d’Enquête des légions de gendarmerie et de Garde républicaine étant pratiquement terminés il est demandé aux chefs de corps d’établir un rapport faisant ressortir les résultats d’ensemble des travaux de ces commissions. Les quelques cas que les commissions d’Enquête peuvent avoir à traiter ne peuvent modifier sensiblement ces résultats.
Les rapports doivent permettre à la direction de la gendarmerie de faire une synthèse… »(272)
Les résultats de cet inventaire restent confidentiels. L’achèvement de l’épuration administrative ne met pas un terme à l’entreprise d’assainissement engagée à la Libération. L’épuration judiciaire continue, même pour les gendarmes.
Mesures tangentielles à l’épuration administrative
- Le dégagement des cadres
À côté des mesures strictes d’épuration, d’autres dispositions pénalisent, à des degrés divers, les serviteurs de « l’État français ». L’ordonnance du 2 novembre 1945, relative au dégagement des cadres des officiers de l’armée active de terre, motivée en particulier par un volume d’effectif supérieur au nombre prévu pour la réorganisation de l’armée, s’applique paradoxalement à la gendarmerie où sévit pourtant une grave crise d’effectif. Le ministre place d’office dans la position de non-activité, par suppression d’emploi, les officiers soumis à enquête qui ont fait l’objet d’une décision les déclarant non susceptibles d’être rappelés à l’activité.
- Sanctions disciplinaires diverses
Comme l’avait annoncé le directeur, courant septembre 1944, le commandement prend des sanctions à l’encontre des personnels auteurs de manquements au devoir militaire dans la période de la Libération. Ceux qui ont abandonné leur poste, pour se mettre à « l’abri », sans jamais exercer pendant leur absence une activité en faveur de la Résistance, subissent de lourdes punitions. Des chefs de corps n’hésitent pas à proposer leur élimination ou même leur traduction devant le tribunal militaire. Dans la 18e région, le 23 juin 1944, un gendarme, après avoir fait enlever le mobilier de son logement de fonction, quitte sa brigade sans autorisation pour se rendre dans sa famille. Il reçoit l’ordre de rejoindre son poste le plus rapidement possible, mais ne réapparaît à son unité qu’au début septembre. Son absence, deux mois durant, lui vaut 25 jours d’arrêts de rigueur. Ici, un sous-officier « a subi l’influence du mauvais exemple et de faux bruits qui l’ont incité à s’absenter irrégulièrement pendant 11 jours au lieu de suivre sa section regroupée au chef-lieu de compagnie ». Là, un autre, « enlevé » par des maquisards, s’échappe de leurs mains mais ne rejoint pas son centre de regroupement à cause des menaces proférées contre sa famille. Il ne revient à sa brigade qu’un mois plus tard et seulement après en avoir reçu l’ordre formel de son commandant de compagnie. Ailleurs, « cédant à la crainte d’être interné par les autorités occupantes » un sous-officier s’absente irrégulièrement pendant 25 jours. Déplacés en unité constituée en Haute-Savoie pour le maintien de l’ordre, courant mai 1944, plusieurs gradés et gendarmes, au moment de la libération d’Annecy, quittent leur peloton sans autorisation pour regagner leur résidence. Un gradé est mis en non-activité, par mesure de discipline, pour une période de 6 mois, pour avoir incité deux de ses gendarmes à ne pas se joindre au personnel de sa section passant au maquis. Un commandant de légion punit d’une sanction identique un adjudant-chef qui a refusé d’obéir à son ordre de départ au maquis.
En septembre 1944, dans le Limousin, le lieutenant-colonel commandant la 4e brigade F.F.I. porte plainte, pour désertion à l’intérieur en temps de guerre, contre 60 gradés et gendarmes qu’il avait sous ses ordres au maquis. Au début du mois d’octobre, des unités de police militaire F.F.I. les arrêtent et les transfèrent à la maison d’arrêt de Limoges. Le colonel commandant la 12e région militaire délivre contre eux un ordre d’informer. Le 23 novembre, l’instruction de la plainte s’achève. Leurs dossiers se trouvent à cette date entre les mains du Commissaire du Gouvernement. Le commandement de la gendarmerie, malgré les démarches entreprises, ne peut obtenir leur mise en liberté provisoire. Ces personnels, défendus par des avocats commis d’office, passent en jugement devant le tribunal militaire de la 12e région les 12, 13 et 14 décembre 1944. Il résulte de l’accusation et des débats du procès que ces militaires appartenaient à un détachement de 10 pelotons motorisés de gendarmerie faisant mouvement, par voie terrestre, le 6 juin 1944, de Brive à destination de Limoges. À Magnac-Bourg (Haute-Vienne), sur la R.N. 20., établi en barrage, un élément de la Résistance, d’une dizaine d’hommes, sous les ordres du capitaine Marc Grelon, s’apprête à intercepter un camion d’essence et à prélever ensuite des fonds à la poste du village. L’arrivée impromptue du convoi des gendarmes le conduit à l’immobiliser. Le contact entre le chef de la colonne, le sous-lieutenant Malabre, et l’officier des F.T.P. se passe sans incident. L’officier de gendarmerie apprend le débarquement qu’il ignorait et les ordres donnés à toutes les forces armées de rejoindre la Résistance. Après avoir informé ses subordonnés de la situation, sans états d’âme, il décide de se joindre au maquis. Ce ralliement s’est-il fait dans l’unanimité ? Sur ce point, les témoignages divergent. D’après un rapport rédigé en octobre 1944 par le lieutenant-colonel commandant la 12e légion, « mis en demeure de passer au maquis sous peine d’être fusillés, ils rejoignirent les forces de la Résistance dans la région de Sussac, canton de Châteauneuf-La-Forêt ».(273) Du côté des maquisards, quarante ans après la guerre, on parle « d’invitation à passer au maquis » et de « négociation ». Quoi qu’il en soit, les gendarmes restent à Sussac, jusqu’au 9 juin, avant d’être ventilés dans trois groupes cantonnés dans des villages environnants. Certains réceptionnent des parachutages, d’autres participent à des patrouilles, gardes et embuscades. Entre le 17 et le 21 juillet, lorsque troupes allemandes et miliciens attaquent en force les positions du maquis, dans la région de Châteauneuf, les gendarmes prennent part aux combats. C’est le cas du P.M. (peloton motorisé) de Tarbes engagé les 17, 18 et 19 juillet, de la B.M. (brigade motorisée) d’Ivry-sur-Seine le 18, d’une partie des P.M. de Saint-Amand, de Marseille, de Prades, de Gap et de Pamiers. Les gendarmes font leur devoir. La brigade motorisée d’Ivry capture six soldats allemands. Le gendarme Munier, du peloton motorisé de Prades, avec un groupe de F.T.P. s’empare le 16 juillet d’une automitrailleuse ennemie et la retourne contre les troupes d’opérations. Le lendemain, un engin antichar touche de plein fouet le véhicule blindé qu’il conduit. Si le reste de l’équipage réussit à s’enfuir, Munier tombe aux mains des Allemands qui, après l’avoir torturé, l’exécutent.
Sous la pression de l’ennemi, les maquis se disloquent. Soixante gradés et gendarmes, sans liaisons et sans vivres pendant plusieurs jours, rejoignent Limoges, leur point de destination initial, pour se mettre à la disposition du chef d’escadron commandant le groupement des P.M. de la région. Le tribunal militaire les condamne à un mois de prison avec sursis. Dans les délais légaux, tous se pourvoient en cassation.
Quant aux 120 gendarmes toujours présents au maquis, le lieutenant Malabre, nommé commandant militaire de la place de Châteauneuf-la-Forêt, les rassemble à le Poumeau. À la mi-septembre, ils réintègrent la gendarmerie. Leur chef, promu capitaine F.F.I. le 29 août, part pour Limoges où, jusqu’à la fin octobre, il remplit les fonctions d’adjoint au commandant d’armes avant de reprendre un commandement dans la gendarmerie à Perpignan.
- La rétrogradation des officiers
La décision de rétrograder certains officiers soulève une vive émotion. Un décret du 22 septembre 1944 prive en effet de leur grade, à partir du 1er octobre, les officiers en activité, en retraite, ou placés en position d’indisponibilité, nommés à l’ancienneté ou promus au choix par le régime de Vichy depuis le 8 novembre 1942. S’ils sont en activité, ils continuent d’exercer les fonctions du grade qui vient de leur être retiré. Sur le plan financier, la rétrogradation n’entraîne pas de reversement de solde ou d’indemnités. Dès le mois d’octobre, le commandement notifie aux officiers concernés les décisions d’annulation. Notons-en quelques-unes. La plupart des généraux de brigade, parmi lesquels le général Martin, ancien directeur général, le général P… commandant la région d’inspection de Lyon, le général N… commandant la région d’inspection de Marseille reprennent le grade de colonel. Le ministre place par anticipation dans la deuxième section du cadre du corps de la gendarmerie, avec le grade de général de brigade, le général de division F… En exécution du décret du 22 septembre, le chef d’escadron B…, promu le 25 septembre 1943, reprend le grade de capitaine avec prise de rang du 25 mars 1935 date de sa promotion. Le colonel B…, commandant la garde personnelle du chef de l’État, par décision du 1er octobre 1944, se voit privé du grade de colonel qu’il détenait depuis le 25 décembre 1942.
Les victimes de la rétrogradation s’estiment lésées par ce décret qui favorise les rancœurs, multiplie les clivages et les discréditent aux yeux de leurs subordonnés, de la population et des autorités. De plus, ils éprouvent un sentiment de frustration par rapport aux fonctionnaires. L’ordonnance du 14 novembre 1944, qui règle le sort de ces derniers, ne prévoit pas, dans la fonction publique, la révision systématique des promotions obtenues à l’ancienneté ou au choix.
Cependant, l’article 5, du décret du 22 septembre, limite le champ d’application de la rétrogradation. Celle-ci ne concerne pas les militaires qui, bien que nommés ou promus dans les conditions fixées, servent régulièrement dans les F.F.I. Pour être maintenus dans leur grade, il leur suffit d’en formuler la demande, justification de leur situation à l’appui. Le 21 janvier 1945, le chef d’escadron R… adresse une requête dans ce sens au ministre de la Guerre :
« J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’à la date du 6 juin 1944, j’étais régulièrement inscrit au mouvement Front National de Résistance de la gendarmerie de la région parisienne comme en fait foi la lettre de prise de commandement me concernant dont je joins copie.
Commandant l’arrondissement territorial de Raincy j’étais dans la clandestinité responsable de la lutte armée pour le secteur Est de Paris sous le nom de capitaine Vaucourt et j’avais sous mes ordres deux groupes francs de gendarmes qui ont opéré de nombreux coups de main et destructions sur les voies de communication de l’ennemi.
J’ai été nommé capitaine le 25 mars 1944, je demande en conséquence qu’il me soit fait application pure et simple de l’article 5 du décret du 22 septembre 1944 et que soit annulée la décision ayant fait l’objet du télégramme n°3591/Gend.P.O. du 25 octobre 1944 en ce qui me concerne. »(274)
La remise en cause des grades amène ceux qui en sont victimes à déposer un recours auprès du Conseil d’État. Deux exemples. Dans les années 1950, la haute cour, après examen de leurs cas, rétablit au grade de général de brigade le colonel Courtois et dans celui de colonel, le lieutenant-colonel B…, ancien commandant de la garde personnelle du chef de l’État.
- L’annulation des récompenses et décorations
La dépêche ministérielle n° 11 354/Gend. P, du 12 mars 1945, prescrit l’annulation des récompenses, citations, gratifications etc., attribuées aux personnels par le commandement, à la suite d’actions dirigées contre des patriotes. Les généraux inspecteurs d’arrondissements ont pouvoir de décision en la matière. D’une légion à l’autre, le nombre des récompenses annulées varie. Il s’élève à plusieurs centaines. Le maintien de certaines, justifiées par ailleurs, entraîne parfois une modification de leur libellé. Un chef de corps écrit :
« Je propose la validation de cette récompense en remplaçant dans le libellé les mots "attentats terroristes" par "sabotage de voie ferrée"».
Un autre suggère de supprimer le terme « juif ». Le commandement met à profit l’application de la dépêche pour bannir du vocabulaire le mot « terroriste » utilisé pendant l’Occupation. Déjà, le 19 janvier 1945, la direction a ordonné au service social de remplacer ce terme, d’un usage courant dans les notes de service relatives aux secours octroyés aux militaires tombés sous les balles, victimes du devoir, par l’expression « ennemis du pays ».
La possibilité de valider des récompenses litigieuses existe aussi dans la mesure où se produisent des faits nouveaux favorables aux personnels distingués. Le gendarme G…, en 1943, obtient une citation à l’ordre de la légion et une gratification de 1 500 francs pour sa conduite lors d’une opération de police :
« Seul à la brigade avec un camarade et avisé de la présence dans la circonscription d’un étranger dangereux accusé d’être l’auteur d’un vol commis à main armée, s’est mis spontanément avec son camarade moins ancien à la recherche du malfaiteur. L’ayant rejoint dans une maison isolée, au milieu d’un groupe de cinq autres suspects, a essuyé le feu de ce malfaiteur, qui, armé d’une mitraillette a blessé son camarade et pris la fuite. Blessé lui-même par ricochet, a riposté et a réussi à arrêter un comparse. en la circonstance a fait preuve d’esprit de décision, de cran et de mépris du danger. »
Conformément aux dispositions de la dépêche du 12 mars 1945, sur proposition de ses chefs, les récompenses attribuées à ce sous-officier font l’objet d’une annulation courant juin. À ce moment-là, le manque d’éléments d’appréciation ne permet pas de déterminer avec exactitude si les individus contre lesquels l’opération de police était dirigée appartenaient ou non à une organisation de Résistance. Une enquête, menée postérieurement à la Libération établit qu’il s’agissait en réalité de malfaiteurs de droit commun. La cour d’Assise, devant laquelle ils comparaissent en mars 1946, condamne l’auteur principal à la peine des travaux forcés à perpétuité. L’action du gendarme G… conservait par conséquent toute sa valeur. Le général commandant la région annulait sa précédente décision et prescrivait la réinscription de la citation et de la gratification accordées sur les pièces du sous-officier.
La révision des médailles de vermeil, d’or, d’argent de 1re et 2e classes et de bronze, décernées à titre civil, pour actes de courage et de dévouement, depuis le 16 juin 1940, par le ministre secrétaire d’État à l’Intérieur, entre dans le champ du décret du 2 janvier 1946 qui stipule que les récompenses pour actes de courage et de dévouement ne peuvent faire l’objet d’une validation et sont annulées rétroactivement à la date de leur octroi. Le Journal officiel du 4 janvier 1946 dresse la liste des policiers, gardes, gendarmes et miliciens distingués. La mesure prise entraîne la suppression de 78 médailles décernées à la gendarmerie, 57 à la garde, 6 aux gardes des communications, 202 à la Police nationale dont 121 aux G.M.R. et 81 aux sûretés urbaines et à la préfecture de police.
Quelles actions récompensent les décorations attribuées aux personnels de la gendarmerie ? Quelques échantillons en donnent un aperçu. Début novembre 1943, le chef du Gouvernement félicite le capitaine B…, commandant la section de Grenoble, pour une action d’éclat au motif suivant :
« Étant en tenue civile, a fait preuve d’initiative, de sang-froid et de courage en interpellant seul et arrêtant deux terroristes dangereux disposant de trois mitraillettes et de cinq pistolets. »
À son tour, et pour le même fait, par arrêté en date du 25, le secrétaire d’État à l’Intérieur le décore de la médaille d’argent de 2e classe. En gommant de ses états de services cette distinction, susceptible de nuire au déroulement de sa carrière - le capitaine la termine avec le grade de général - la mesure prise a finalement un effet salutaire.
Le secrétaire d’État à l’Intérieur décerne la médaille d’or, à titre posthume, au gendarme C…, de la légion de Guyenne, assortie du libellé ci-après : « Gendarme courageux, animé du meilleur esprit, a fait preuve d’abnégation, de dévouement et de sacrifice le 4 février 1944 au cours d’une opération contre des terroristes armés. »
De même, le gendarme L…, de la légion de Bourgogne, reçoit la médaille d’argent de 1re classe, à titre posthume et sans citation :
« Au cours d’une souricière organisée contre un groupe de terroristes dans la région de Nevers, a été mortellement blessé à bout portant par un terroriste qu’il venait d’arrêter. »
Une ordonnance du 7 janvier 1944 soumet à révision, sous l’autorité d’une commission créée à l’échelon national, les nominations ou promotions prononcées depuis le 16 juin 1940, au titre de la Légion d’honneur ou de la médaille Militaire. Le général de division Koenig la préside, assisté des représentants des trois armées et des anciens Combattants et Victimes de guerre.
À l’occasion d’un débat à l’Assemblée Constituante, le 14 janvier 1946, Édouard Herriot demande que l’on supprime le décret entérinant une promotion de Légion d’honneur en faveur des militaires distingués à la suite du débarquement des Américains en A.F.N. Il s’attire la réplique suivante du général de Gaulle :
« Le Gouvernement de la République n’a pas jugé en conscience devoir arracher des cercueils des morts, des poitrines des estropiés, des décorations obtenues dans des conditions affreuses dont ils n’étaient pas responsables. » La révision s’étend à toutes les citations attribuées pendant la même période et par quelque autorité que ce soit du Gouvernement de l’État français. Une exception s’applique aux militaires ayant combattu contre les Alliés, lors du débarquement en A.F.N… Ainsi, parmi beaucoup d’autres, après avoir remplacé le mot ennemi par celui d’adversaire, valide-t-on la citation à l’ordre de la division, décernée au chef d’escadron P…, du 7e régiment de la garde :
« Au cours des opérations du 8 novembre 1942 et en l’absence de toute liaison avec le commandement, a assuré dans la région d’El Biar, avec un Groupement de la Garde et de Cavalerie, contre un adversaire supérieur en nombre et en moyens, une mission d’action retardatrice. A exécuté personnellement vers 9 heures en avant des lignes une reconnaissance périlleuse des positions adverses. A ensuite arrêté l’avance adverse à Châteauneuf jusqu’à 14 heures malgré des tirs violents d’armes automatiques, puis de mortiers, se maintenant constamment avec ses éléments les plus avancés et ne donnant l’ordre de décrochage qu’à la dernière extrémité. A continué le combat à Fort-l’Empereur jusqu’à la suspension d’armes. A ainsi réussi à contenir les troupes adverses pendant toute une journée. S’est imposé à sa troupe par son habile manœuvre, son calme et son mépris du danger. »
La remise en cause de grades et de décorations, acquis sous l’État français, provoque dans le corps des officiers une véritable onde de choc dont les traces ne vont s’atténuer qu’au fil du temps.
La carence des sources officielles, protégées par les prescriptions d’usage, explique pourquoi l’épuration interne, mise en œuvre dans la gendarmerie à la suite de l’Occupation allemande, n’a pas fait à ce jour l’objet d’une étude approfondie. Au seuil du troisième millénaire, on s’interroge encore sur son ampleur, ses limites, son intensité, ses conséquences. A-t-elle généré des excès ? De quels actes les personnels incriminés ont-ils dû répondre ? Quelles motivations les ont animés ? L’examen de ces différents points aide à mieux la saisir dans ses différents aspects. L’épuration a été faite, contrairement à ce que certaines légendes tenaces laissent entendre. Toutefois, une question demeure pour tous les corps de métier, et plus particulièrement pour la gendarmerie : a-t-elle été bien faite ?
CHAPITRE XI
APERÇU DES TRAVAUX DES COMMISSIONS D’ÉPURATION
L’épuration dans les services publics : aperçu comparatif
Contrairement à d’autres administrations et services publics comme la magistrature, la police, le corps préfectoral, les PTT, et l’armée qui ont fourni la situation de leurs personnels sanctionnés au titre de l’épuration administrative, la gendarmerie n’a jamais produit un bilan. Déterminer le volume de militaires mis en cause, arrêter par grade le nombre et la nature des sanctions prises, établir combien ont demandé leur réintégration, apprécier corrélativement le volume des demandes admises, tels sont les éléments indispensables pour la quantifier. Quelques informations disponibles, provenant de différentes sources, autorisent une approche du phénomène.
Dans son intervention, à l’occasion du colloque sur le rétablissement de la légalité républicaine, organisé par la fondation Charles de Gaulle, en 1994, le lieutenant-colonel Marc Watin-Augouard, de la direction de la Gendarmerie nationale cite le chiffre de 822 dossiers d’épuration constitués.(275)
Le rapprochement dossiers (822)/effectifs (45.204) fournit une première indication sur le volume des personnels soumis à enquête à la Libération. Le nombre de sanctions prononcées, si l’on tient compte des affaires classées, se situe en deçà de 822.
Deux décisions collectives concernant les sous-officiers, diffusées par le cabinet du ministre, en septembre 1945, qui portent notification du classement sans suite des dossiers de 298 gradés et gendarmes et du déplacement d’office, hors légions, de 94 autres, révèlent que l’examen de 392 situations individuelles sur 822 met hors de cause un nombre relativement élevé de sous-officiers.(276)
Membres à part entière de l’appareil policier, et de ce fait chargés d’exécuter des missions répressives, les gendarmes se trouvaient beaucoup plus exposés à rendre des comptes que d’autres catégories socioprofessionnelles. Or, le nombre de sanctions prononcées contre les personnels de la gendarmerie paraît nettement moins élevé que celui connu de la plupart des grands services de l’État.(277)
Pour l’ensemble des 940 000 fonctionnaires d’alors, François Rouquet estime qu’il y a eu entre plus de 22 000 et plus de 28 000 sanctions.
Services publics |
Effectif |
Soumis à enquête |
Révocation - Licenciements |
Total sanctions |
Éducation nationale |
185 000 |
5 091 |
789 |
3 391 |
SNCF |
499 700 |
|
|
4 892 dont 2 543 en Alsace Lorraine |
Magistrature |
2 200 |
418 |
198 |
331 |
Conseil d’État |
152 |
50 |
20 |
36 |
P.T.T. |
290 860 |
|
1 238 |
2 591 |
Police nationale (ex-sûreté nationale) |
50 000 |
|
1 162 |
2 019 |
Préfecture de police |
20 000 |
3 939 |
800 |
1 906 |
Selon Jacques-Augustin Bailly, l’épuration dans la gendarmerie, « où l’esprit de corps et les officiers supérieurs préservent assez bien les brebis galeuses », a été moins sévère que dans la police.(278) En l’état actuel des statistiques connues, il ne fait aucun doute que l’épuration affecte un plus grand nombre de policiers que de gendarmes. Le rôle très répressif joué par les fonctionnaires des polices spéciales créées par Vichy, SSS (service des sociétés secrètes), SPAC (service de police anticommuniste), PQJ (police aux questions juives), recrutés souvent parmi les membres actifs des mouvements collaborationnistes, explique le nombre élevé de sanctions prononcées dans la police. Mais il reste à déterminer quel a été le degré de compromission des uns et des autres. Seule une étude comparative permettrait de porter un jugement objectif sur cette question.
Une statistique sur le corps des officiers, fournie le 19 mai 1949, par le secrétaire d’État aux forces armées, en réponse à une question de M. Charles Serres, fait état pour l’armée de Terre de 658 éliminations à la suite des décisions rendues au titre de l’épuration, consécutive à des fautes plus ou moins graves d’hostilité à la Résistance. Ce total, précise le secrétaire d’État, « ne comprend pas 2299 officiers dégagés des cadres comme suite aux travaux des commissions d’épuration » et qui sont compris parmi les 12 679 auxquels il a été fait application, soit de l’ordonnance du 2 novembre 1945, soit de la loi du 5 avril 1946 sur le dégagement des cadres.(279) Or, les officiers des services communs, gendarmerie, justice militaire, service de santé des armées, relevant directement du ministre de la Défense, n’entrent pas dans cette comptabilité.
L’épuration dans le corps des officiers de gendarmerie
- Situation du corps des officiers
Tout au long des années 1945 et 1946, le Journal Officiel publie les décrets portant révocation des officiers de l’Arme, à la suite des travaux de la commission centrale d’épuration. Le décompte effectué n’en révèle pas moins de 50.(280) Le seul décret du 10 juillet 1945, publié au J.O. n° 169 du 20 juillet, donne la liste de 17 d’entre eux, 1 lieutenant-colonel, 1 chef d’escadron, 8 capitaines, 6 lieutenants, 1 aspirant. La même source nous renseigne sur le nombre d’officiers de gendarmerie dégagés d’office des cadres, c’est-à-dire mis en non-activité en application de l’article 13 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.(281) Il s’élève au moins à 104. Ainsi, la révocation et le dégagement des cadres frappent au minimum 154 officiers. À ces mesures, les plus sévères, qui constituent des cas extrêmes, s’ajoute la gamme des sanctions intermédiaires (mises à la retraite, déplacements d’office) largement utilisées. D’après l’étude de M. Pascal Brouillet, du SHGN, intitulée « La gendarmerie entre 1940 et 1945 », « En 1946, 139 officiers et 4 533 sous-officiers avaient été dégagés des cadres. La plupart l’avaient été, soit pour collaboration, soit pour attitude trop passive pendant la guerre. En ce qui concerne les officiers, 64 au moins furent traduits devant les commissions d’épuration et plusieurs d’entre eux furent fusillés. »
Lorsque la commission centrale d’épuration cesse ses travaux, le nombre d’officiers sanctionnés, toutes mesures confondues, paraît se situer dans une fourchette comprise entre 150 et 250.
Pour bien apprécier la situation, encore convient-il de préciser deux paramètres. Le premier se rapporte au potentiel du corps des officiers. Pendant l’Occupation, celui-ci s’élève à environ 1 200 unités. À la Libération, il accuse un déficit sensible lié à des circonstances diverses, décès en captivité, disparitions dans les camps de concentration, exécutions par l’ennemi, tués dans les combats de la libération, victimes de la Résistance, sans omettre un déficit d’officiers subalternes tenant au tarissement depuis 1942 de la source importante de recrutement constituée par des officiers des corps de troupe.
Le deuxième concerne le total des officiers, en poste sur le territoire métropolitain, non soumis à enquête, maintenus en activité, sans interruption de service, après avis de la commission d’épuration et de réintégration des personnels militaires. D’après les listes publiées au J.O., leur nombre avoisine les 700.(282)
- Officiers sanctionnés
Les sanctions prises s’appliquent aux personnels en poste aux différents échelons de la hiérarchie. Quelques précisions d’abord sur le cas particulier de M. Chasserat, magistrat de l’ordre administratif, issu du Conseil d’État, qui a eu sous sa coupe la gendarmerie pendant trois ans. Il réintègre son corps d’origine, le 18 août 1943, en qualité de Conseiller d’État en service ordinaire. À la Libération, n’appartenant pas aux armées, il n’a pas à se justifier devant la commission du département de la Défense. Cependant, dans le cadre de l’épuration du Conseil d’État, le garde des Sceaux le révoque sans pension, en même temps que vingt autres membres de cette assemblée, en raison des fonctions qu’il exerçait en dehors de ce corps.(283) Quant au général Martin, directeur de l’Arme d’août 1943 à août 1944, dès le 25 septembre 1944, le Gouvernement le suspend de ses fonctions. Neuf mois plus tard, après avoir été rétrogradé, un décret du 16 juin 1945, pris sous la signature du général de Gaulle, tranche son sort :
« M. le colonel de gendarmerie Martin (Jean, Auguste, André) est révoqué sans pension ».(284)
Le 30 août 1952, il remet à la Hoover War Library un mémoire qui, écrit-il, ne pourra être mis « sans mon autorisation, à la disposition de qui que ce soit avant l’an 1962, sauf pour les défenseurs du maréchal Pétain et du président Laval, et pour les membres américains des Universités américaines qui font des recherches d’histoire ».(285) Dans ce plaidoyer pro-domo, il s’élève contre le fait qu’il n’a pas été entendu par la commission d’épuration et n’a donc pas eu la possibilité de se défendre. Il cite dans ce document plusieurs de ses collaborateurs et subordonnés victimes de l’épuration administrative. Successivement, il évoque la situation du lieutenant-colonel Chambon, son directeur adjoint, « chassé en 1944, mis à la retraite à 47 ans, alors qu’il était destiné aux plus hautes fonctions dans notre arme où il aurait pu servir encore pendant près de 15 années » puis celle du capitaine Baget, adjudant-major à la Garde républicaine de Paris, commandant en 1944, « suspendu de ses fonctions par les « libérateurs de la Garde » parce qu’il était l’ami du général Martin », celle du capitaine Gervais, son officier de liaison auprès des services de Darnand, « épuré par les libérateurs de la gendarmerie ». Il mentionne le général Naudin « qui avait occupé des emplois de premier rang, camarade de promotion du général de Gaulle, révoqué sans pension par le dit de Gaulle », le général Guilbert, inspecteur général, les chefs de corps de la région de l’Île-de-France, colonels, Charollais, commandant la garde de Paris, Maudelonde, commandant la légion de Montrouge, Ledu, commandant la légion de Courbevoie, colonels Hamel, Berthier, Pellegrin.
Un décret du 16 juin 1945 place par anticipation, dans la 2e section du cadre du corps de la gendarmerie, l’inspecteur général de la gendarmerie de la zone sud, le général Maurice F…(286) Un autre, du 27 avril, porte révocation sans pension du général Charles P…, général inspecteur à Lyon, germanophobe et pétainiste notoire.(287)
Parmi les chefs de corps touchés par l’épuration administrative, on relève les noms du colonel B…, chef de la garde personnelle du maréchal Pétain, des commandants des légions du Languedoc, de Nice, de Bourgogne, du Berry, etc.
L’importance des fonctions exercées par les officiers généraux et commandants de légion exclut qu’on les laisse en place, à moins qu’ils n’aient été favorables à la Résistance.
Plus encore que les officiers généraux et supérieurs, officiers subalternes et sous-officiers, confrontés directement aux réalités du terrain pendant l’Occupation, subissent les rigueurs de l’épuration.
Statistiques sur l’épuration à l’échelon corps et compagnie
Fin octobre 1944, un point sur la situation d’ensemble des 180 officiers en poste dans six légions de gendarmerie départementale, trois légions de Garde républicaine et une école fait apparaître les positions suivantes : sur cinq officiers déportés en Allemagne, trois sont décédés ; sept officiers présents dans leur affectation sont placés en détention et font l’objet de poursuites judiciaires, quatre autres se trouvent dans la position de disponibilité, enfin, douze sont soumis à enquête. Les mesures prises s’appliquent majoritairement aux officiers affectés dans les légions de gendarmerie départementale. On voit bien là que les personnels de la Garde républicaine (ex-garde de l’État français), du fait de leur mobilité et de la spécificité de leurs missions sous l’Occupation, se trouvent moins exposés à des sanctions que ceux de la gendarmerie départementale implantés dans une circonscription territoriale.
Un troisième indicateur nous éclaire sur les sanctions proposées à l’échelon d’un corps de gendarmerie départementale. Il s’agit du bilan des travaux effectués par les commissions d’enquête officiers et sous-officiers de la légion de Paris.(288) Au 1er septembre 1939, elle totalise un effectif de quatorze cent quatre hommes. Après le rattachement, courant 1940, des ex-21e et 22e légions de Garde républicaine mobile stationnées dans la région parisienne, son potentiel avoisine les deux mille.
Le travail d’épuration, dans cette entité, donne lieu à l’ouverture de 69 dossiers d’enquête de 2e catégorie (19 officiers et 50 sous-officiers). En outre, la commission d’enquête officier, après étude de 10 dossiers d’officiers mutés dans d’autres légions, les transmet à leurs nouveaux chefs de corps pour décision.
Ces chiffres appellent plusieurs remarques. D’abord, le nombre peu élevé de personnels, officiers et sous-officiers confondus, soumis à enquête soit 69 pour 2 000 hommes. En second lieu, les enquêtes visent particulièrement le corps des officiers dont l’effectif n’excède pas la cinquantaine. Troisièmement, la détermination de l’origine des enquêtes dans ce corps met en évidence la position du commandement au regard de l’épuration. Détenteur des archives et des procès-verbaux établis pendant l’Occupation qui relatent les actes des gendarmes, il dispose pour agir d’éléments objectifs d’une fiabilité incontestable. L’on doit constater sa pondération pour déclencher des investigations puisque son action directe n’entraîne l’ouverture que de 9 enquêtes, les autres se répartissent comme suit :
- 34, soit la plus grande partie, émanent des comités de Libération et de divers mouvements de Résistance ;
- 14 proviennent de militaires de l’Arme adressées directement ou indirectement par l’intermédiaire des mouvements de Résistance ;
- 9 résultent de plaintes déposées par des victimes ;
- 3 ont pour origine des plaintes des parents ou relations des victimes ou de tiers.
Les propositions émises par les commissions d’enquête du corps font apparaître :
- 18 classements sans suite (10 sous-officiers et 8 officiers) ;
- 11 mutations d’office (7 sous-officiers et 4 officiers) ;
- 10 mises en non-activité ou en disponibilité (7 sous-officiers, 3 officiers) ;
- 7 mises à la retraite (sous-officiers) ;
- 11 révocations (4 officiers dont 2 avec pension et 2 sans pension et 7 sous-officiers avec pension) ;
- 5 sanctions disciplinaires diverses (sous-officiers).
D’après les décrets publiés au J.O., les propositions émises relatives aux officiers aboutissent à la révocation de 5 d’entre eux qui de plus sont poursuivis pénalement et condamnés. Le ministre place dans la position de non-activité, par suppression d’emploi, les officiers mis en disponibilité. Les autres poursuivent normalement leur carrière. Leurs noms figurent dans l’annuaire des officiers de l’année 1949. Quant aux sous-officiers, le ministre, pour la plupart, les sanctionne conformément aux avis de la commission d’enquête.
Le 25 août 1945, lorsque le commandant de légion dresse le bilan des travaux des commissions, 7 dossiers de sous-officiers restent encore en instance pour examen.
Dans la 12e légion (ex-légion du Limousin), forte de plus de 1500 militaires, entre le 1er janvier et la fin avril 1945, sur un total de 81 dossiers de personnels sous-officiers soumis à enquête, le ministre en classe 56 sans suite, prononce 25 sanctions dont 1 révocation, 7 déplacements d’office, 10 mises en non-activité de 3 mois à 2 ans, 7 mises à la retraite d’office, et rejette 3 demandes de réintégration.
À l’échelle d’une compagnie, celle du Gers, rattachée à la légion de Gascogne, articulée en 3 sections (Auch, Mirande et Condom) sur un effectif de 415 gradés et gendarmes, la commission centrale d’épuration en sanctionne 15. Comme le précise M. Pascal Brouillet, directeur des études au Service historique de la Gendarmerie nationale, dans une conférence ayant pour thème « La gendarmerie entre 1940 et 1945, dans le département de Gers » des sanctions frappent 4 sous-officiers « pour leur zèle excessif » et 11 « pour leur tiédeur envers la Résistance sans que l’on puisse leur reprocher d’actes graves » qui se traduisent essentiellement par des mutations d’office et des mises en non-activité à temps.(289) Le C.D.L. suspend de ses fonctions le chef d’escadron C…, placé ultérieurement en non-activité par suppression d’emploi. Le capitaine commandant la compagnie de Mirande, bien que très critiqué, au moment de la Libération, par les différents mouvements de Résistance, n’est l’objet d’aucune mesure. Quelques semaines plus tard, il obtient du lieutenant-colonel Lesur, ex-Marceau, chef départemental des F.F.I., des félicitations écrites. Dans la nuit du 10 au 11 août 1944, étant permissionnaire sur place, à Mirande, au bruit de la fusillade, il se met en civil et prend part à des actions aux côtés des maquisards.
Les commissions d’enquête des personnels civils rattachés à la garde font preuve de modération si bien que l’on trouve seulement quelques décisions de révocations publiées au J.O. Ainsi est inséré un arrêté en date du 15 mai 1945, révoquant sans pension Mlle P…, infirmière des hôpitaux militaires à la 4e légion de Garde républicaine mobile.
Pour l’ensemble de la gendarmerie, d’après le témoignage du général P…, le ministre aurait classé sans suite 50 % des cas soumis à sa décision par la commission centrale.
Seul le dépouillement des dossiers d’épuration et la consultation des archives de la commission centrale d’épuration et de réintégration des personnels militaires, les uns et les autres, pour le moment inaccessibles, permettraient d’avoir une vision exacte de l’application de l’ordonnance du 27 juin 1944 dans l’institution. Aussi, les évaluations-plancher, arrêtées sur la base de statistiques partielles, devront être, selon toute vraisemblance, majorées à l’avenir.
Les incriminations et leur origine
L’intérêt de l’analyse du bilan du châtiment professionnel réside plus dans l’examen de son contenu, à savoir la nature des actes sanctionnés que dans son aspect quantitatif car les chiffres sont toujours sujets à variation. Les griefs opposés aux militaires soumis à enquête couvrent un large éventail de faits, des plus graves aux plus anodins. Pour en souligner fortement les caractères, il convient d’en multiplier les exemples. Si ce choix conduit à d’inévitables redites, en contrepartie, il aide à mieux appréhender les situations.
La statistique relative à la légion de Paris montre que 40 incriminations se rapportent à des initiatives individuelles (18 officiers, 31 sous-officiers), 16 à l’exécution d’ordres des chefs de l’Arme, 4 à des réquisitions des autorités civiles. On remarque qu’aucune n’est imputable à des ordres émanant directement des Allemands. La répartition des faits qui les sous-tendent se présente ainsi :
- (3) opérations contre le maquis ou contre des résistants agissant collectivement ;
- (11) arrestations de résistants agissant individuellement ;
- (4) remises de réfractaires au S.T.O. ;
- (0) remises de militaires français ou alliés ;
- (1) découverte de dépôts clandestins (armes-matériels, etc.) ;
- (45) attitudes favorables à la politique de collaboration ou hostiles à la Résistance. Ces derniers comportements englobent des accusations très diverses telles que « propos agressifs contre la Résistance », « relations amicales avec l’occupant », etc.
Pour prendre la mesure de l’origine, de la diversité et de la nature des incriminations, et des sanctions prononcées, mieux vaut se référer à des situations concrètes, choisies sur l’ensemble du territoire et mettant en scène toutes les catégories de personnels, officiers et sous-officiers.
- Appartenance à des organisations antinationales
L’appartenance d’un militaire de la gendarmerie à des organisations antinationales, service d’ordre légionnaire, Milice, Groupe collaboration, Phalange africaine, Milice antibolchevique, Légion tricolore, Parti franciste, Rassemblement national populaire, Parti populaire français, Mouvement social-révolutionnaire, outre sa traduction devant une chambre civique, entraîne systématiquement une proposition d’élimination ponctuée par la radiation des cadres.
La révocation sanctionne un gendarme de Rodez (Aveyron) affilié à la Milice avant son entrée à l’École préparatoire. Le gendarme B…, de la 13e légion, inscrit à la Milice alors qu’il est en activité connaît le même sort. Le fait, pour le MDL-Chef S…, d’avoir contracté un engagement dans la L.V.F. entraîne un refus du ministre de le réintégrer dans l’Arme. L’éviction frappe les gendarmes B… et C… inscrits au service d’ordre légionnaire. L’appartenance du MDL-Chef. R…, de la 1re légion de gendarmerie, au R.N.P, à partir du début de l’année 1941 et pour quelques mois seulement, motive sa radiation des cadres en novembre 1944.
Toute aide avérée apportée à l’un de ces mouvements provoque l’élimination. Le lieutenant-colonel B…, commandant l’E.P.G. de Brive en 1944, se compromet dans sa précédente affectation avec la Milice. À la tête de la compagnie de X…, il entretient des liens étroits avec le chef départemental des miliciens dont il est un indicateur. Il lui adresse des rapports officieux et confidentiels. Très répressif, il n’hésite pas à demander la plus grande fermeté contre les ennemis des supplétifs de Darnand. À la suite de plusieurs attentats perpétrés dans sa circonscription contre des miliciens et des locaux de leur mouvement, il écrit dans un rapport établi courant 1943 :
« Je confirme une fois de plus ma proposition, à savoir la nécessité de procéder à des internements immédiats dans les milieux communistes et gaullistes de l’agglomération T…, seul moyen de décourager les terroristes qui, en face de l’impunité entretiennent depuis quelque temps dans le département un climat révolutionnaire… »
Son allégeance à la Milice le conduit à dispenser des conférences à ses membres ayant pour thème « le combat de rue ». La révocation sanctionne son attitude.
Le ministre met d’office à la retraite proportionnelle un adjudant des Basses-Pyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques), qui a communiqué volontairement à la Milice des renseignements sur ses subordonnés, dans l’intention de leur nuire.
Le fait d’appartenir à l’ordre de la Francisque gallique, décoration créée par le maréchal Pétain, le 16 octobre 1941, attribuée «…aux purs, aux ardents, à ceux qui s’engagent à le servir jusqu’au bout » comme l’écrit Henri du Moulin de Labarthète, ne constitue pas en soi une cause d’éviction.(290) Sur 2 626 titulaires que compte l’ordre, on recense 21 militaires de la gendarmerie, pour la plupart des officiers.(291) 12 d’entre eux l’ont obtenue alors qu’ils appartenaient à la garde personnelle du Maréchal. Quelques-uns sont sanctionnés pour des faits sans rapport avec l’attribution de la Francisque. Le ministre place en position de disponibilité définitive le colonel B…, chef de corps, répertorié dans l’ordre sous le n° 30. Le 10 juillet 1945, il révoque sans pension le chef d’escadron D…, (FG n° 655). Le lieutenant A…, (FG n° 2018), placé en disponibilité pendant plus d’une année, poursuit sa carrière sans qu’elle ne souffre de cette parenthèse. Promu général en 1970, il exerce un commandement important dans la gendarmerie départementale. Deux autres officiers, titulaires de la Francisque, le capitaine D…, (FG n° 652) de la direction générale de la garde et le lieutenant F…, (FG n° 2034) de la garde personnelle, déportés pour faits de résistance, disparaissent dans les camps de la mort. Le lieutenant-colonel H…, (FG2 n° 2369) commandant une légion de gendarmerie départementale, arrêté comme otage en juin 1944, survit à la déportation et n’est pas inquiété par la suite. À la Libération, le capitaine O…, (FG n° 1136), maintenu en activité de service sans interruption, poursuit un périple professionnel brillant. Dans les années soixante, avec le grade de général de division, il occupe le poste de sous-directeur de la gendarmerie. Son cas est loin d’être unique. La République ne s’adjoindra-t-elle pas les services d’un ministre de l’Intérieur et même d’un Président de la République tous titulaires de la Francisque gallique.
- Participation à des opérations de police
À la suite des travaux de la commission d’enquête officier de la 8e légion bis, le ministre place en position de disponibilité définitive un sous-lieutenant commandant de section. À l’origine de sa mise en cause, une citation obtenue à la suite d’une action d’éclat au cours d’une opération de police dans l’Yonne :
« À fait preuve de beaucoup d’habileté, de courage et de sang-froid dans la conduite d’une importante opération qui a permis la capture, sans effusion de sang, de 11 terroristes armés et décidés à abattre les gendarmes qui tenteraient de les arrêter. A participé lui-même à la plupart des arrestations sans se soucier des dangers qu’il encourait et n’ignorait pas. »
La mise en cause, « pour son action entièrement dirigée contre la Résistance », du capitaine D…, commandant la section de B…, résulte de sa participation avec brio à des opérations de police. Le général commandant la 5e région d’inspection le félicite à deux reprises :
« Le 2 mars 1944 a secondé efficacement son commandant de compagnie dans l’opération de police organisée afin de réduire une bande de dangereux malfaiteurs qui venaient d’attaquer quatre gendarmes.
Grâce à son entrain, à son bon sens et à son coup d’œil, a largement participé au succès de l’opération, qui a permis de procéder à l’arrestation de cinq bandits, ainsi qu’à la récupération d’un important armement et du matériel volé.
À une nouvelle fois fait preuve de brillantes qualités qui le désignent à l’attention comme étant un commandant de section de tout premier ordre. »
Dans la matinée du 2 mars 1944, à Siaugues-Saint-Romain, des F.T.P. du maquis de Sainte-Marie-des-Chazes, aux environs de Chanteuge (Haute-Loire), surprennent des gendarmes qui apportent des tickets d’alimentation à la mairie et s’emparent de ces documents. Le capitaine L…, commandant la section du Puy, provisoirement à la tête de la compagnie de la Haute-Loire, sur ordre de l’intendant régional du maintien de l’ordre entreprend une opération de police à laquelle participent des gendarmes de Brioude et du Puy avec leurs commandants de section respectifs et 18 gardes, du 2e escadron du 4e régiment de la garde de Riom, placés sous les ordres du sous-lieutenant B… Les forces du maintien de l’ordre investissent le moulin de Digon refuge des maquisards. D’après un résistant, le capitaine Archer, ex-chef de l’action dans l’arrondissement de Brioude « certains gendarmes qui étaient avec nous permirent par leur inattention voulue ou par leurs tirs en l’air de sortir de la poche et de s’évader. Seuls quelques-uns furent pris, blessés et malmenés. Un Russe blessé, victime de sévices mourut peu après… » Entre le 2 et le 9 mars, l’élargissement des recherches aboutit à l’interpellation de neuf autres maquisards. Il en résulte la condamnation à mort de trois d’entre eux par la cour martiale de Riom suivie de leur exécution. Les autres sont déportés ou internés. Une seconde fois, du 27 avril au 4 mai inclus, le capitaine D… participe à un ratissage d’envergure avec les forces de l’ordre placées sous les ordres du chef d’escadron S…, commandant la compagnie de la Haute-Loire, pour réduire un groupement constitué de 70 défaillants au S.T.O. et de 25 condamnés politiques évadés de la maison d’arrêt du Puy. Avec ses gendarmes, il concourt à l’arrestation de 57 d’entre eux.
L’enquête effectuée concernant ces deux affaires établit que l’officier n’a pris aucune initiative susceptible d’engager sa responsabilité. Le ministre classe son dossier sans suite. Son supérieur hiérarchique, le chef d’escadron S…, commandant la compagnie de la Haute-Loire, comme lui soumis à enquête et placé en position de disponibilité, fait appel de la décision et obtient sa réintégration par décision du 7 mars 1946.
L’opération de police provoquée par le lieutenant R…, commandant la section de N…, génère à son encontre de plus graves conséquences. Le 3 février 1944, l’officier recueille un renseignement sur la présence, dans une ferme de sa circonscription, d’une bande de « dangereux malfaiteurs » recherchés depuis quelques semaines à la suite de plusieurs actions « terroristes ». Il transmet l’information au préfet départemental qui prescrit une intervention des forces de l’ordre. Celle-ci débute le lendemain à partir de 8 heures. Jusqu’en fin d’après-midi, elle se poursuit activement. Y prennent part un G.M.R. et des brigades de deux sections. Le bilan de l’affrontement est lourd : 3 morts, dont un gendarme qui servait de guide aux G.M.R., un fonctionnaire des G.M.R., un « terroriste » qui essayait de fuir, s’y ajoutèrent 4 arrestations. Le reste de la bande réussit à s’échapper. Le lieutenant R… dut se justifier sur d’autres accusations car il s’était distingué « dans la répression du désordre ». Pour cette raison, au mois d’avril 1944, en exécution d’une dépêche ministérielle, ses chefs le proposent pour une inscription à titre exceptionnel à un tableau d’avancement spécial. Un décret du 10 juillet 1945 le révoque sans pension.
Dans les derniers jours du mois d’août 1944, le commandant de compagnie de la Loire, le chef d’escadron B…, mis en demeure par la Résistance de quitter son poste, s’enfuit précipitamment de Saint-Étienne, de nuit, avec sa femme et son fils. Pour la même raison, deux de ses subordonnés, les gendarmes L…, de la brigade de Noirétable et B… de celle de Pannissières, quittent leur poste pour éviter le pire. La direction, quelques semaines plus tard, mute d’urgence l’officier à la 14e légion. Le 22 novembre 1944, il prend le commandement de la compagnie de l’Aisne à Laon.
Un décret du 1er juin 1945 le révoque sans pension. Un mois plus tard, le 1er juillet, une nouvelle décision le radie des contrôles de l’armée active. Le général Sanvoisin, qui fut son adjoint, fournit quelques explications sur son attitude pendant l’Occupation :
« Bien que profondément anti-allemand et favorable à l’armée secrète, sa trop prudente neutralité le fit considérer par certains résistants comme responsable des opérations de police qui se déroulèrent dans le département en 1943 et 1944. »(292)
En particulier, l’opération de police meurtrière du 19 mars 1944, dans le canton de Pannassière, au cours de laquelle les F.T.P. subissent de lourdes pertes (5 tués et 5 prisonniers remis aux Allemands dont 4 seront exécutés) lui sera préjudiciable malgré des éléments en sa faveur. Le commandant n’ignorait pas l’aide que certains de ses subordonnés apportaient à la Résistance mais jamais il ne leur en avait tenu rigueur. Après le départ au maquis de plus d’une trentaine de gendarmes de la compagnie, il avait expressément ordonné, bien qu’il s’agisse de déserteurs, de ne pas diffuser leur signalement et de leur payer la solde. En avril 1944, il avait obtenu la mise en liberté du chef Florichon, commandant la brigade de Noirétable, arrêté par la Milice à la suite d’une dénonciation.
Le capitaine commandant la section de L…, à la Libération, se voit contraint de prendre une retraite anticipée. Cette mesure est liée à un événement relaté par la presse locale. « L’union républicaine du L… » édition du 5 mai 1944, fait mention de ce que « le capitaine de gendarmerie de L…, à la tête de sa brigade et en collaboration avec celle de C… ont participé à un héroïque coup de main contre un groupe de bandits » sur le territoire de la commune de S…, assistés dans cette opération par des militaires allemands qui assuraient le bouclage des lieux. Au cours de l’attaque de la ferme où auraient trouvé refuge une dizaine de maquisards en provenance de la forêt de la D… d’où ils avaient été chassés, l’épouse du fermier est tuée et son mari arrêté. Celui-ci meurt en déportation. Quant aux patriotes, ils réussissent à sortir de la nasse.
L’adjudant-chef B…, commandant de brigade, se voit mis en cause pour être à l’origine de l’arrestation « d’une bande de terroristes ». La citation à l’ordre de la gendarmerie décernée au gradé entraîne sa comparution devant la commission d’enquête :
« Gradé qui a fait preuve d’initiative, de cran et de ténacité en recherchant la nuit une bande de cinq terroristes très dangereux et fortement armés, parmi lesquels figurait un condamné à mort.
A combattu l’adversaire qui avait ouvert le feu et à su prendre d’habiles dispositions pour placer son personnel.
À très bien secondé son commandant de section au cours de la deuxième phase de l’opération qui a permis l’arrestation de la bande criminelle et la saisie de son armement. »
Quelle est la genèse des faits ? Au cours de l’attaque d’un garage de G.M.R. par 6 individus armés, un agent de police ouvre le feu sur les agresseurs. L’un d’eux est blessé. Le commandant de brigade de gendarmerie, alerté, entreprend immédiatement des recherches sur l’itinéraire de repli emprunté par les assaillants. Il les repère. Il s’ensuit un échange de coups de feu. Le gradé rend compte de la situation à son commandant de section qui engage des moyens plus importants. L’opération se solde par l’arrestation de 5 individus et la découverte d’un armement important. Le commandant de brigade, inscrit au maquis A.S. de la région, présente en sa faveur des attestations du comité local de Libération. La commission d’enquête le propose pour une mise en non-activité de trois mois. L’échelon ministériel classe l’affaire sans suite.
Une citation à l’ordre de la gendarmerie récompense un des gendarmes ayant participé à l’opération qui a « blessé l’un des malfaiteurs, mis les autres en fuite et pris une part active à la deuxième phase de l’opération qui a permis l’arrestation de cinq terroristes et la saisie de leur armement ». Naturellement, il doit fournir des explications. La commission d’enquête admet qu’il a agi en état de légitime défense et n’a pris par la suite la moindre initiative. Elle propose le classement de son dossier.
- Griefs divers
Une lettre anonyme dénonce l’action du gendarme A… qui se serait « compromis » pendant l’Occupation. Or, le comité local de Libération et les notabilités de l’agglomération reconnaissent unanimement son attitude favorable à la Résistance. La commission d’enquête ainsi que les échelons hiérarchiques proposent le classement du dossier. Le ministre suit leur avis.
Courant décembre 1944, une commission d’enquête examine la situation du chef R…, commandant de brigade, « qui aurait signalé comme communiste à son capitaine un instituteur secrétaire de mairie. De plus, il se serait montré agressif vis-à-vis des gaullistes ». La commission ordonne un complément d’enquête en faisant recueillir la déposition de l’un de ses gendarmes, muté depuis à la légion d’Alsace-Lorraine. Celui-ci témoigne que les faits allégués sont inexacts. À partir des nouveaux éléments mis à jour, la commission propose le classement du dossier. Le ministre entérine.
Dans un moment d’énervement, un gradé « se permet » devant ses subordonnés des propos contre les Alliés et la Résistance. La commission d’enquête le propose pour 12 mois de non-activité. Le ministre se limite à une mise en non-activité de 6 mois.
À la tête d’une brigade, l’adjudant M… a commis, « des erreurs de jugement mais qui n’ont entraîné aucun préjudice à la résistance ». La commission souligne que ce gradé, muté en brigade après un long séjour à l’E.P.G. de X… où il remplissait les fonctions de secrétaire, s’est trouvé brusquement et sans transition placé face aux réalités du moment. Alors, il s’est laissé entraîner par son allant et son sentiment du devoir. Non seulement il s’est ressaisi mais il a rendu de précieux services à la Résistance qui plaident largement en sa faveur. Elle propose une mise en non-activité de trois mois. Le ministre porte la sanction à six mois.
La commission centrale d’épuration retient contre le colonel commandant la garde personnelle du chef de l’État trois accusations : son affectation et son rôle comme chef de corps, la dissimulation aux nouvelles autorités, au moment de la Libération, d’une caisse de documents du Maréchal, enfin d’avoir contrecarré l’action du lieutenant-colonel Roussel, commandant les F.F.I. entre Allier et Loire, lors du passage des gendarmes de la garde personnelle au maquis.(293) Le 4 octobre 1944, le ministre le place dans la position de disponibilité qui devient définitive le 20 mai 1945. Le colonel B… présente alors une requête au ministre qui lui demande de s’expliquer par écrit.
Pour sa défense, sur le premier point, le colonel B…, fait valoir que le commandement de la garde personnelle lui a été confié contre son gré.(294) Au moment de sa nomination, il appartient à la direction de la gendarmerie installée à Romagnat (Puy-de-Dôme). Sa désignation intervient après un entretien de M. Chasserat avec M. Lachenaud, alors directeur général de l’administration de la Guerre, et avec l’accord du général Laure. Comme cette fonction vient s’ajouter à celle de commandant militaire du Palais qu’il tient depuis décembre 1940, il estime avec raison qu’il n’est pas possible d’exercer convenablement deux commandements. Pour forcer son acceptation la direction lui annonce qu’un officier adjoint, prochainement muté, exercera le commandement effectif. La promesse ne fut jamais tenue. Ses attributions à la tête de la garde personnelle sont celles dévolues au colonel commandant la garde de Paris. Quant aux missions incombant à la garde personnelle, elles se limitent à l’exécution de services d’honneur et à la sécurité de l’Hôtel du chef de l’État. Elle est déchargée de tout service de maintien de l’ordre. Tout en remplissant ses fonctions, il décide alors de préparer son personnel au combat. Dans ce but, il obtient une augmentation de l’effectif qui de 200 hommes passe à 650. Il réussit même à faire prendre un arrêté lui en accordant 1 300 à provenir des officiers et sous-officiers de l’ancienne armée d’armistice. La direction de la gendarmerie fait rapporter la décision le privant ainsi de ce recrutement direct. Elle fait obstacle encore à une demande d’augmentation de l’armement. Malgré cela, il parvient à se procurer et à dissimuler l’armement et les moyens de transport pour équiper 3 compagnies. Son idée est de préparer une unité capable d’entrer vigoureusement dans la bataille et de se grossir, au fur et à mesure du combat, des éléments civils volontaires pour se battre contre l’ennemi. En définitive, le colonel B… considère que ses attributions avaient un caractère purement technique et ne pouvaient en aucune façon se prêter aux manœuvres de l’ennemi.
Au sujet de la caisse de documents appartenant au Maréchal, ses accusateurs, au premier rang desquels le préfet de l’Allier, soutiennent qu’il l’a dissimulée aux nouvelles autorités. Quelque temps avant la Libération, le docteur Ménétrel invite le colonel B… à mettre à l’abri, en dehors de l’Hôtel du Parc, une caisse de documents appartenant au Maréchal pour la soustraire aux investigations allemandes. L’occupant à l’époque manifeste de la méfiance à l’égard de Pétain. Deux fonctionnaires de son cabinet civil viennent d’être arrêtés. Le colonel B.. confie la caisse à un cultivateur de Bellerive fournisseur de la maison du Maréchal. Successivement, pour des raisons de sécurité, celui-ci la transporte à Ébreuil (Allier) chez un autre agriculteur puis au château de Bonnat (Allier) qu’occupe le chef de l’État. Après le départ du Maréchal pour Belfort, le colonel B.. la fait déposer au château de Charmeil. Le commandant de la garde personnelle ne s’est jamais intéressé à son contenu. Si à deux reprises il a dû l’ouvrir, c’est pour y déposer deux plis scellés. Les enveloppes ne portaient comme référence qu’un numéro inscrit au crayon. Après la libération de Vichy, le 4 septembre 1944, le colonel B… prend les dispositions nécessaires pour que les représentants du nouveau Gouvernement en prennent possession. À cette date, la Police nationale arrête des membres du cabinet de Pétain et perquisitionne dans les différents bureaux. Le commissaire de police chargé de l’opération demande au colonel B.. de l’assister pendant toute la durée de l’intervention qui va durer au moins 24 heures. Malgré le souhait émis par l’officier, il refuse, car cela n’entre pas dans sa mission, de faire placer également les scellés sur les biens du Maréchal se trouvant en dehors du secrétariat particulier.
Le colonel saisit par téléphone le préfet de l’Allier qui lui répond sèchement : « Colonel, l’objet de votre demande n’entre pas dans le cadre de mon attribution. » Puis il raccroche. Dans la nuit, une tentative de cambriolage avec effraction se produit à l’hôtel du Parc dans la pièce où est déposée la caisse du secrétariat particulier. Prévenu par un de ses gendarmes de service à l’hôtel du Parc, le colonel B… alerte le commissaire Bégard pour qu’il place les scellés sur les pièces où se trouvent les documents et biens du Maréchal. Ce fonctionnaire dresse alors procès-verbal de ses opérations.
Sur son attitude au moment du ralliement de la garde au maquis, il indique qu’au lendemain de l’arrestation du maréchal Pétain il a décidé de constituer un corps franc autonome pour combattre l’occupant. Lui-même a fixé le lieu de rassemblement et l’heure de départ. Pour éviter que sa troupe ne soit dispersée par le responsable de la résistance chargé de la coordination des maquis, il s’oppose à ses directives. D’où les accusations portées contre lui de ne pas avoir coopéré.
Prenant en considération les éléments recueillis, mais aussi le fait que le colonel B… a atteint la limite d’âge statuaire de son grade, par décision du 19 janvier 1946, le ministre le réintègre dans les réserves de la gendarmerie et l’affecte à la légion de Paris (service du remplacement).
Une commission d’enquête réexamine la situation de l’adjudant M… « révoqué et rayé définitivement des cadres de l’administration en général » en octobre 1944 sur proposition d’une commission administrative au motif suivant :
« Action anti-résistante, a favorisé l’ennemi en donnant des ordres adéquats aux hommes sous ses ordres, menaces, injures vis-à-vis des camarades du maquis ».
Les éléments contenus dans le dossier initial lui paraissant insuffisants pour prendre une décision en toute connaissance de cause, la commission de la légion estime nécessaire un complément d’enquête.
À la suite de plaintes portant sur des griefs divers, de même nature et non étayés, déposées contre les gendarmes J…, B…, T…, la même commission s’aligne sur la position prise par la commission d’épuration administrative qui a statué une première fois sur le cas de ces militaires :
« Conformément à l’avis exprimé par la commission d’épuration administrative de… il y a lieu de classer l’affaire. »
La « mise hors d’état de nuire » des maquisards qui les détenaient prisonniers motive le passage des gardes H… et M…, du 3e régiment de la garde, devant la commission d’enquête de leur légion. Le 26 mars 1944, les garde H.. et M… accompagnent le capitaine P…, commandant l’escadron 6/3 stationné à Tulle, qui effectue une liaison de service, par voie terrestre, à destination de Limoges. Dans la traversée de la Haute-Vienne, à la sortie de Pierre Buffière, 6 hommes en embuscade les neutralisent et s’emparent de leurs armes. Toutefois, ils les laissent poursuivre leur route. Sur l’itinéraire du retour, en fin d’après-midi, aux environs de la Nouailles (Dordogne), nouvelle interception de leur véhicule. Les maquisards obligent l’officier et ses subordonnés à les suivre. Leur disparition, pendant trois jours, provoque grand bruit. La presse relate l’événement. Alors qu’ils sont sur le point d’être fusillés, les trois hommes mettent hors d’état de nuire leurs geôliers et s’enfuient. La commission d’enquête estime que ces personnels étaient en situation de légitime défense, aussi propose-t-elle le classement de l’affaire, décision partagée par le ministre.
- Actes de police judiciaire
. Perquisition
La retraite d’ancienneté d’office, par mesure de discipline, sanctionne un adjudant-chef qui a fait preuve de zèle et d’initiative au cours d’une perquisition qui lui a été ordonnée au domicile d’un militant communiste laquelle a entraîné l’exécution d’un patriote par les troupes allemandes.
. Enquête
Le 24 juillet 1943, des individus armés désarment 4 gendarmes effectuant une patrouille. Grâce aux renseignements recueillis par le commandant de brigade, avec le concours de la garde, les gendarmes arrêtent le 7 août les auteurs de l’embuscade. La commission reproche au gradé d’avoir fait preuve d’un zèle répréhensible en se livrant en civil à l’enquête. Dans un rapport en date du 12 août 1943, le commandant de section relate son action :
«…après avoir en vain jusqu’au 27 juillet recherché dès le début et de son propre chef les complicités ayant pu entrer en jeu dans la préparation du guet-apens, le C.B. de X… s’était mis en quête de découvrir avant tout le repaire de la bande convaincu que celle-ci se trouvait toujours dans la région. Profitant d’une permission de 8 jours il s’était pour ce faire, rendu en tenue civile à maintes reprises dans la commune de X… Et c’est ainsi que le 8 août il acquit la certitude que la bande en question se tenait encore aux environs immédiats de C… Une battue effectuée aussitôt, c’est-à-dire dès le lendemain matin avec le concours du 6e régiment de la garde aboutit en effet à l’arrestation des quatre individus qui le 24 juillet avaient désarmé les gendarmes de X… »
La commission d’enquête propose sa mise à la retraite d’office, avis que partage le chef de corps. Pour le général commandant l’arrondissement d’inspection, la sanction proposée est hors de proportion avec la faute commise. À ses yeux, l’action de ce gradé ne ressort pas nettement des pièces constituant son dossier. Par ailleurs, les délégués cantonaux du M.L.N. (Mouvement de libération nationale) de X… et de… A… lui apportent des témoignages très favorables. Une mise en non-activité, pour faute dans le service, pour une durée de 6 mois, lui paraît suffisante. Le ministre décide la mise en non-activité pour une période de 3 mois.
Une commission d’enquête examine une plainte déposée contre un maréchal des logis-chef accusé « d’avoir porté préjudice à la cause de la Résistance par un zèle quelque peu intempestif ». Deux faits la motivent. Au cours d’une enquête difficile, consécutive à « l’exécution » d’un gendarme, il identifie l’auteur et arrête 3 « terroristes » détenteurs d’armes et complices d’attentats à main armée contre des caisses publiques, des mairies, des installations électriques et des propriétés particulières. D’autre part, un maquisard arrêté à la suite d’une attaque à main armée contre une perception l’accuse de lui avoir porté des coups au cours de son interrogatoire. Des témoignages militent en sa faveur qui contrebalancent les fautes commises. À la proposition de mise en non-activité de 6 mois, le ministre substitue un simple déplacement d’office.
. Arrestations diverses
* Étrangers
Un gendarme de la brigade de Cassis (Bouches-du-Rhône) doit s’expliquer sur l’arrestation, le 9 juin 1942, de vingt Polonais qui s’apprêtaient à embarquer pour quitter la France. La commission d’enquête impute finalement la responsabilité de l’opération au commandant de compagnie et reconnaît que le sous-officier « n’a jamais travaillé contre la Résistance à qui il a rendu des services ; il a maintes fois opposé la force d’inertie aux ordres émanant de ses chefs, tendant à réprimer les départs clandestins à destination de l’armée du général de Gaulle ». Le ministre classe l’affaire sans suite.(295)
* Pour zèle anticommuniste
À la libération, l’adjudant-chef P… établit un dossier de maintien en activité de service. Le président de la commission d’enquête de sa légion demande l’avis du comité cantonal de Libération. Ce dernier refuse d’établir une attestation favorable au motif que ce gradé a arrêté un communiste en 1942. Il en résulte l’ouverture d’une enquête qui révèle le climat difficile dans lequel devaient agir à l’époque les exécutants. En octobre 1942, le maire de Z… signale le nommé X… à l’adjudant-chef P…, commandant de brigade, comme étant l’auteur probable de « papillons » contenant des menaces à son encontre placardés sur la porte de son domicile. Au cours d’un service de nuit, en surveillance près du bureau de poste de Z…, l’adjudant P…, accompagné d’un gendarme, interpelle X… qui se déplace à bicyclette. La fouille de la sacoche du vélo amène la découverte de 3 opuscules contenant des conseils dirigés contre la police. L’homme, conduit à la brigade, refuse de s’expliquer. Le lendemain matin, le gradé permissionnaire pour la journée - sa fille malade devant subir une intervention chirurgicale - se rend auprès du commandant de section pour qu’une décision soit prise en connaissance de cause suite à l’interpellation de X… En son absence, il est convenu que l’officier donnera des instructions à ses subordonnés. De retour à l’unité, l’adjudant-chef P… apprend que le commandant de compagnie a saisi la police judiciaire. Dans l’intervalle, les policiers prennent le relais des gendarmes et arrêtent X… La section spéciale de M… le condamne à deux ans de prison pour fait de propagande communiste. Les inspecteurs avaient découvert dans son portefeuille une liste de membres du parti domiciliés dans la région. X… s’évade et rejoint le maquis. Au cours d’une rafle, il tombe aux mains des Allemands qui le déportent. Pour sa défense, l’adjudant-chef P… signale que son commandant de compagnie lui a adressé d’une part des observations « pour ne pas avoir opéré une arrestation immédiate et ne pas avoir fait une perquisition la nuit au domicile de cet individu ».(296) De l’autre, il a dégagé de cette affaire des enseignements sous la forme d’un cas d’espèce envoyé en communication dans toutes les brigades. En avril 1945, une décision ministérielle frappe de trois mois de non-activité l’adjudant-chef P… Fin mai 1945, le gradé demande au ministre que la mesure prise soit reconsidérée. Il fait valoir le caractère anormal de la sanction prise à son endroit alors qu’il s’est conformé aux ordres de ses chefs et qu’à leur gré il n’a même pas fait preuve d’assez d’activité. S’il a fouillé la sacoche de la bicyclette de X… c’est pour se conformer aux directives du commandant de compagnie. Le 24 septembre 1942, ce dernier avait diffusé aux commandants de sections une note de service ainsi rédigée :
« Des tracts sont actuellement déposés de nuit dans les boîtes aux lettres de la poste par l’organisation Combat.
Des embuscades seront prévues immédiatement. Je récompenserai les militaires qui arriveront à découvrir et arrêter les auteurs.
Procéder à l’identification systématique des automobiles, motocyclistes ou piétons circulant de nuit.
Ne pas hésiter à fouiller les suspects ou ceux qui sont connus comme propagandistes. »(297)
Pour ne pas mettre en cause son ex-commandant de compagnie, nommé à la tête de la légion à la Libération et avec lequel il avait rejoint le maquis, il n’avait pas jugé utile dans sa déclaration initiale de parler de son rôle au moment des faits.
* Pour avoir arrêté un aviateur anglais
Une commission reproche à un gendarme d’avoir fait preuve d’une initiative coupable en arrêtant un officier de la R.A.F. et en le conduisant à son commandant de brigade. Elle juge qu’avec plus de clairvoyance le sous-officier aurait pu déceler à temps l’identité de l’inconnu et lui permettre de continuer sa route. Une proposition de mise en non-activité, pour une période de 6 mois, ponctue l’examen des faits. L’arrêté du ministre porte à un an la durée de la mise en non-activité.
* Arrestations consécutives à des évasions et tentatives d’évasions
Deux gendarmes comparaissent devant une commission d’enquête à la suite d’une citation à l’ordre de l’inspection générale de la zone sud :
« Au cours d’un service de surveillance à la maison d’arrêt de C… a réussi au péril de sa vie avec l’aide d’un camarade à mettre fin à une tentative d’évasion concertée de 40 terroristes détenus dont quatre avaient été armés par un gardien félon. A désarmé les mutins et par son attitude résolue les a forcé à regagner leur dortoir. À ainsi fait preuve d’un sentiment élevé du devoir et donné le plus bel exemple de courage et d’esprit de sacrifice. »
Les faits remontent au mois de décembre 1943. Vers 3 heures du matin, une quarantaine de détenus de la maison d’arrêt de C… tentent de s’enfuir par le souterrain conduisant au Palais de Justice. Un gardien donne l’alerte. Deux gendarmes renforçant la surveillance de nuit dans l’établissement pénitentiaire interviennent pour rétablir l’ordre. Malgré les menaces proférées par des détenus armés, ils réussissent à contenir puis à refluer les prisonniers dans leurs cellules. Les policiers chargés de l’enquête établissent que l’organisateur de la tentative d’évasion n’est autre qu’un gardien. qui leur a fourni des fausses clés, plusieurs pistolets et une mitraillette. Un groupe de « terroristes » se tenait à l’extérieur, près de la maison d’arrêt, avec un camion et une camionnette pour les transporter en lieu sûr. Devant l’échec de l’opération, il se retire précipitamment après avoir libéré un gardien de la paix, de service en ville, immobilisé à son arrivée dans le secteur.
Pour la commission d’enquête, quatre éléments atténuent grandement la responsabilité des deux gendarmes. Un, ils n’étaient pas chefs de poste. Deux, ils n’avaient fait qu’appliquer la consigne en cas d’évasion. Trois, ils ignoraient s’ils avaient affaire à des détenus politiques ou de droit commun. Quatre, les forces chargées de la garde de la prison étant alertées, ils ne pouvaient se dérober. Considérant néanmoins le rôle important joué par les intéressés dans le dénouement de l’affaire, la commission propose leur mise en non-activité pour une période de 3 mois. Le ministre entérine la proposition.
Le 12 août 1944, le capitaine commandant la section d’Alès passe au maquis avec 53 gradés et gendarmes, des véhicules, et du matériel. Les gendarmes constituent la 35e compagnie de F.F.I. Certes, le 6 juin 1944, 32 sous-officiers de la section (brigades de Lasalle, Lédignan, Sumène et Saint-Hippolyte-du-Fort) l’ont précédé en rejoignant le maquis de Lasalle, au château de Cornély. À l’époque, il désapprouve leur comportement. Quelques jours après leur départ, il vient parlementer avec eux pour les convaincre de réintégrer leur poste mais ils refusent. Il n’est pourtant pas hostile aux maquisards. En mai 1944, lorsque la brigade d’Alès arrête le chef du maquis Bir-Hakeim, le commandant Barot, et son adjoint descendus à Alès pour obtenir du carburant, il les libère ainsi que le rapporte Mistral le successeur de Barrot :
« Je suis allé voir le capitaine T… Celui-ci m’a dit :"Vous reviendrez dans deux heures afin que j’aie le temps de réfléchir et je vous donnerai la réponse." Et deux heures plus tard : "Vous pouvez prendre la Citroën et la mitraillette tout de suite et ce soir vous aurez Barrot et Roquemorel" ».
Effectivement, dans la soirée, le chef du maquis Bir-Hakeim et son adjoint, comme l’avait promis le capitaine T…, recouvrent la liberté.
Pendant son séjour au maquis, l’officier coopère loyalement avec les résistants et rend des services appréciés. Le 28 août 1944, après un accrochage avec un détachement allemand auquel il participe d’ailleurs avec ses gendarmes, l’ennemi revient en force. Le chef de la colonne, forte de 3 000 hommes, engagée sur l’axe, désire entrer en pourparlers avec les forces françaises mais à la condition d’avoir affaire à des officiers de l’armée régulière en uniforme. Le capitaine T… répond seul à cette exigence. Après entente avec les maquisards, avec sa voiture où il prend des officiers de la Wehrmacht, il se rend à Tornac, près d’Anduze, où siège, dans le cadre desdits pourparlers une soi-disant « commission interalliée ». Au cours du déplacement, une vive fusillade éclate déclenchée par un maquis espagnol en position sur les crêtes surplombant la route. Les Allemands répliquent par des obus. Le capitaine T… négocie l’arrêt des tirs espagnols. Peu après, surgissent des avions anglais qui mitraillent le convoi. Les Allemands abandonnent leurs véhicules et 400 se rendent. Le Gard libéré, à la demande du Comité de libération, le capitaine qui a pourtant coopéré avec les F.F.I. doit rendre des comptes. Des félicitations à l’ordre de la 6e région d’inspection en expliquent la raison :
« À la suite de l’attaque d’une maison centrale et de l’évasion de nombreux détenus dangereux et armés a fait preuve d’énergie, de courage et d’un allant remarquables dans la conduite des recherches. A pénétré le premier en plein bois dans un chantier clôturé où s’étaient retranchés trois bandits armés qu’il a arrêtés avant qu’ils aient pu faire usage de leurs armes. »
En fait de bandits, il s’agissait de trois détenus politiques appartenant à un groupe de 23 autres, libérés dans la nuit du 4 au 5 février 1944, à la Maison Centrale de Nîmes, par le maquis F.T.P.F des Bouzèdes (Gard). Sur toutes les routes conduisant vers les Cévennes, la gendarmerie, les R.G., la Milice, les Allemands, la section judiciaire de Nîmes installent des barrages, organisent patrouilles et battues. Pour gêner le transport des évadés, le préfet interdit la circulation nocturne sur ces itinéraires. Le 6 février, entre Saint-Chaptes et Ners, le capitaine T… et ses gendarmes localisent trois des fuyards. Exténués, ces derniers marchent à travers bois et garrigues, par un froid sibérien, diminués physiquement par une détention longue de plusieurs mois. Aussi, ils n’ont pu suivre le gros des évadés. On reproche encore à l’officier, mais sans apporter de preuves tangibles, d’avoir ordonné la remise à la Milice d’un chef de maquis F.T.P., arrêtés par une de ses brigades, jugé quelques mois plus tard par une cour martiale et fusillé.
Par décret du 10 juillet 1945, il est révoqué sans pension.(298) En 1946, un nouveau décret rapporte, avec toutes les conséquences de droit, la précédente décision. Sa réintégration s’accompagne d’une promotion au grade de chef d’escadron.
* Pour avoir fait montre de zèle contre les réfractaires au S.T.O. et résistants
À la demande d’un comité local de Libération, un adjudant commandant de brigade doit se justifier sur l’arrestation de réfractaires. Pour sa défense, il affirme avoir agi à la suite d’une dénonciation. La commission considère qu’il se trouvait effectivement dans l’obligation d’intervenir à moins de s’exposer lui-même à des représailles. Le comité local de Libération exige expressément que l’intéressé « indique le nom des mouchards qui lui signalaient les réfractaires » Le sous-officier refuse en se retranchant derrière le secret professionnel. La hiérarchie soutient sa position conforme à la réglementation, imitée en cela par le président du comité départemental de Libération qui, dans un courrier adressé au commissaire régional de la République insiste afin « que les services de police et de gendarmerie respectent strictement le secret professionnel que leur imposent les missions dont ils sont investis ».
En 1946, le lieutenant commandant la section de Saint-Pierre (Île de la Réunion), au cours d’un tête-à-tête avec l’un de ses subordonnés, le MDL- Chef Derrien, lui confie qu’il a été soumis à enquête à la Libération. Ce gradé, rapportant son propos, écrit :
« La commission lui reprochait l’arrestation de personnes ayant commis des délits qualifiés de droit commun : agressions de fermiers ou de commerçants dans le but de se procurer des denrées alimentaires, et aussi de l’argent. Certaines de ces personnes étaient de "soi-disant résistants" précise le lieutenant ; mais pour lui, cela signifie "voyous" ou "terroristes". D’autres arrestations avaient touché des personnes concernées par le S.T.O., lesquelles dit-il, n’avaient pas eu la volonté de se cacher… »(299)
Par décret du 28 juillet 1945, le chef du Gouvernement révoque sans pension le capitaine commandant la section de Sarlat, particulièrement actif contre les résistants. L’officier s’est signalé notamment le 7 février 1944, dans la région d’Auriac du Périgord, en agissant conjointement avec la Milice.(300)
Une requête des autorités de police mettant en cause plusieurs gendarmes aboutit à l’ouverture d’une enquête. Le 6 mai 1944, accompagné de deux de ses subordonnés, le chef X… arrête sur dénonciation trois policiers dont un brigadier. Au moment des faits, il n’ignore pas qu’il s’agit de patriotes, mais refuse de les laisser en liberté. Transférés dans un premier temps au fort du Hâ à Bordeaux, les Allemands les déportent ensuite au camp de Dachau. À la suite du passage du gradé devant la commission d’enquête de sa légion, le ministre prend une mesure de suspension jusqu’à décision de justice à intervenir.(301) En revanche, il ne retient aucun acte répréhensible à l’encontre des deux gendarmes qui participaient au service. En mars 1944, un gendarme arrête d’initiative trois individus suspects.