SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Par l’Aspirant Louis PANEL

« La gendarmerie n’est actuellement représentée à mon administration centrale que par un bureau civil et une section technique réduite à deux officiers de l’arme ; ces services sont rattachés à la direction de la cavalerie. Cependant, de graves questions se posent qui intéressent l’existence même de la gendarmerie : amélioration de la situation matérielle et morale des gendarmes en vue de faciliter leur recrutement, recrutement des officiers, organisation plus rationnelle de l’emploi de l’arme, et, d’une manière générale, refonte des règlements pour une meilleure adaptation aux besoins de l’après-guerre ».

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Telle est la teneur du rapport que le président du Conseil, Georges Clemenceau, adresse au président de la République le 16 février 1918. À cette date en effet, la gendarmerie n’a pas de commandement central, subordonnée qu’elle est, au plan territorial, aux commandements des régions militaires. Son administration, spécialement l’élaboration des règlements et la gestion du personnel, repose certes sur un sous-service, coiffé par le général directeur de la cavalerie au ministère de la Guerre, mais qui s’est rapidement laissé déborder par le contexte des opérations militaires. Son responsable, Albert Salvi, affecté au bureau de la gendarmerie depuis 1880 et qui assurait la continuité des dossiers, a pris sa retraite en 1916. Surtout, alors que la guerre complique de plus en plus la gestion de l’Arme, le bureau gendarmerie ne s’est ni étoffé, ni développé. Étranger aux questions « gendarmiques », fréquemment remplacé, le directeur de la cavalerie finit par apparaître trop accaparé d’une part, trop peu concerné d’autre part, pour ce double képi.

Aussi Clemenceau préconise-t-il une mesure réclamée de longue date par les militaires de l’Arme, mais restée jusqu’alors lettre morte : placer, un officier supérieur de gendarmerie à leur tête. La justification en est toute circonstancielle, et le Tigre se veut pragmatique :

« En raison de l’importance de la tâche à accomplir, il m’a paru indispensable de créer, pour la durée de des hostilités, auprès de la direction de la cavalerie de mon administration centrale, une sous-direction de la gendarmerie, organe de centralisation et de coordination qui n’entraînera aucune dépense spéciale et dont la réalisation pourra être immédiate ».

M. le lieutenant-colonel Plique, premier sous-directeur de la gendarmerie

Suivi dans sa demande, le ministre peut prendre dès le 19 février 1918 une décision portant nomination d’un sous-directeur de la gendarmerie auprès de la direction de la cavalerie rue Saint-Dominique : « M. le lieutenant-colonel Plique (Joseph-Anatole-Victor-Léon), chef de la 12e légion de gendarmerie, est désigné pour occuper l’emploi de sous-directeur de la gendarmerie ». Ce dernier, né en 1866, est officier supérieur depuis 1908 et chef de légion depuis juillet 1917. Saint-Cyrien, à une époque où ils sont rares en gendarmerie, Plique n’est pourtant pas le plus en vue des officiers de l’Arme. Quoique très bien noté, il n’est pas breveté et, à la différence de certains de ses camarades, n’a pas servi dans une unité combattante. Il n’a d’ailleurs séjourné qu’un an aux armées, comme prévôt du 34e corps d’armée. Il n’a pas non plus sollicité le poste que Clemenceau vient de créer. En réalité, le choix du Tigre est avant tout guidé, une fois encore, par le pragmatisme. Henri Richet, chef d’escadron depuis 1910, polytechnicien breveté, chef, avant-guerre, de la section technique de la gendarmerie, se trouvait certes tout indiqué pour occuper la nouvelle fonction, mais il est mort prématurément de maladie contractée en service, en mai 1917 : la dureté des conditions de vie aux armées, et particulièrement l’insalubrité de son logement prévôtal, ont eu raison de ses cinquante ans. Quant aux autres commandants anciens qui, tels Bucheton ou Igert, s’illustrent alors dans l’infanterie, en vertu d’autorisations très parcimonieusement accordées, ils sont trop conscients du rare honneur qui leur est fait, et bien souvent de l’accélérateur de carrière dont ils jouissent ainsi, pour risquer de réintégrer la gendarmerie avant un armistice qui est encore loin de se faire sentir. Le contexte des opérations empêche de toute façon qu’on les retire de leur commandement. Ainsi, ce sont avant tout la disponibilité de Plique, et les qualités d’administrateur qu’il a manifesté comme chef de la 12e légion à Limoges, qui le désignent pour la sous-direction.

Trois jours plus tard, les textes qui précisent l’organisation interne de la sous-direction sont signés. En premier lieu, le sous-directeur a dans ses attributions toutes les questions relatives à l’organisation de la gendarmerie, à l’administration du personnel (officiers et troupe), à l’inspection et à l’administration des corps de l’arme. S’il doit soumettre « toute question importante au directeur de la cavalerie », il dispose de la délégation de signature de ce dernier « sans restriction et d’une manière permanente pour les questions d’importance secondaire et pour la correspondance avec les autorités civiles et les services courants ».

Sous ses ordres, Plique établit enfin un bureau technique, un bureau du personnel et une section administrative. Le premier est chargé de l’organisation militaire de la gendarmerie, de la mobilisation du personnel, de l’élaboration et de la refonte des règlements, des questions concernant la tenue, l’armement, le harnachement et la remonte des gendarmes « et en général de toute question ayant un côté technique » ! Il remplace en fait trait pour trait la section technique dont deux officiers de la légion de la Seine avaient jusqu’alors la charge à mi-temps. Les deux autres subdivisions se substituent à celles mises en place par Salvi. L’une administre l’ensemble des officiers et gendarmes et prépare les dossiers de promotions, mutations, affectations, décorations ou mises à la retraite. L’autre traite de l’application des règlements (solde, indemnités, masses et matériels divers), de l’assiette des brigades et du casernement. Désormais, sur les pièces émises par la sous-direction, trouve-t-on les timbres « T 3/2 » (bureau technique de la sous-direction n° 3, correspondance courante), « P 3/2 » (bureau du personnel) et « A 3/2 » (section administrative).

Dès 1918, fort de ses nouvelles attributions, Plique obtient très rapidement des résultats. Le 21 février, il réclame et obtient du président du Conseil le statut de sous-officier pour tous les gendarmes, afin de leur conférer plus d’ascendant face à la troupe. Dans le même temps sont instaurées une hausse des soldes, des dotations en side-cars et l’installation progressive du téléphone dans les brigades. Enfin, le 31 décembre 1918 sont créées l’école de gendarmerie de Versailles, pour la formation des officiers, et le 28 mai 1919, les écoles préparatoire de gendarmerie, pour les sous-officiers.

Le 23 octobre 1919, du fait de la démobilisation générale, la sous-direction initialement créée « pour la durée des hostilités » ne peut théoriquement plus subsister. Aussi fait-elle l’objet d’un arrêté du 30 novembre qui assure provisoirement son maintien. Sa dissolution effective intervient néanmoins le 15 février 1920. Plique prend alors le commandement de la légion de Paris. Cependant, dès le 31 juillet suivant, une loi de finance autorise la création, au sein de l’administration centrale du ministère de la Guerre, d’une 13e direction, ne relevant plus que du ministre et entièrement dévolue à la gendarmerie. Cette discrète mesure constitue dans la pratique l’acte de naissance de la première direction de la gendarmerie. Premier directeur de la gendarmerie, le colonel Plique assiste personnellement aux séances parlementaires et s’initie aux arcanes de la politique. La réimplantation de la gendarmerie en Alsace-Lorraine, l’envoi de détachements prévôtaux en Rhénanie occupée de même qu’au Levant et à Constantinople, constituent autant de missions pressantes pour le nouveau promu. En outre, la création, le 22 juillet 1921, des premiers pelotons mobiles de gendarmerie initie une profonde mutation de l’organisation de l’Arme, de plus en plus orientée vers le maintien de l’ordre.

Quittant la direction le 25 juin 1922, Plique prend le commandement du 2e secteur de gendarmerie, à Tours, puis est nommé général de brigade, le 24 juin 1923. Après son départ à la retraite en 1926, il est chaudement salué par la rédaction de la Revue de la gendarmerie qui voit en lui un bienfaiteur de la gendarmerie « qu’il a sauvée de la misère morale et sans doute de la décadence ». Lui succèdent à la direction plusieurs officiers supérieurs ou généraux. Le 15 juillet 1933, par mesure d’économie, la 13e direction est supprimée et fusionnée avec celle du contentieux et de la justice militaire. C’est donc, désormais, un haut fonctionnaire civil qui supervise l’administration de l’Arme. Toutefois, le 1er septembre 1943, dans les heures sombres de l’occupation, un officier général est de nouveau placé à la tête d’une institution devenue extérieure à l’armée. Le général Martin est ainsi le premier à porter le titre de directeur général de la Gendarmerie nationale. Commandant supérieur des FFI, le général Koenig conserve la fonction, sous le nom de directeur général de la gendarmerie de la République française, et y affecte le lieutenant-colonel Girard, le 21 juillet 1944. De nouveau, jusqu’en 1947, des généraux de gendarmerie se succèdent à la tête de leur institution. Le 19 juillet 1947, en raison d’une nouvelle fusion de la gendarmerie et de la justice militaire, un magistrat est nommé directeur général, marquant le retour à ce poste d’une personnalité civile… pour plus de cinquante ans !