Histoire et Patrimoine des Gendarmes

Histoire

Le premier assaut : L’intervention méconnue du GIGN à Orly-Ouest le 30 septembre 1977

Louis N. PANEL

Docteur en histoire

RGIF, division soutien-budget, bureau AMOD, section matériel


Le Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) a vu sa compétence en matière de résolution des détournements aériens célébrée internationalement à l’occasion de l’assaut du 26 décembre 1994 sur le vol Air France Alger-Paris, détourné sur l’aéroport de Marignane par des terroristes du Groupe islamique armée (GIA). Cette action spectaculaire n’était cependant pas la première du genre.

Aux origines du GIGN

Sa création, au printemps 1974, vise à doter la gendarmerie d’une unité spécialisée principalement dans deux domaines. Le premier est la reddition de forcenés retranchés. Le drame de Cestas, en février 1969, au cours duquel un père de famille après un long siège, a tué ses deux enfants, puis s’est suicidé, a en effet souligné la difficulté, pour les unités classiques de la gendarmerie, de faire face à de telles situations. Le second objectif assigné au GIGN à sa création est encore plus important, puisqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme. Celui-ci est devenu une donnée géopolitique incontournable après les sanglants jeux olympiques de 1972 et l’instabilité du Moyen-Orient, marquée par la guerre israélo-arabe d’octobre 1973.

Comme certains de ses voisins, la France choisit donc de se doter d’une force conçue pour faire face aux prises d’otages et aux menaces d’attentat. Dès novembre 1973, la direction de la gendarmerie institue à Maisons-Alfort, au sein d’un escadron de gendarmerie mobile classique, une « équipe commando régionale d’intervention » plus spécialisée. Celle-ci est convertie en avril 1974 en un « groupe d’intervention », pris comme modèle pour une seconde unité, identique, créée à Mont-de-Marsan. Les deux groupes fusionnent en 1976, donnant naissance au GIGN tel qu’il subsistera jusqu’en 2007.

Chronique d’un détournement

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Orly-Ouest, de nos jours

C’est donc une unité récente que requiert le préfet du Val-de-Marne pour intervenir sur l’aéroport d’Orly-Ouest, le 30 septembre 1977. Une caravelle III de la compagnie Air Inter assurant le vol Paris-Lyon y a décollé à 11h28 avec à son bord sept membres d’équipage et une centaine de passagers, dont deux parlementaires regagnant leur circonscription : l’ancien ministre Philippe Malaud, député de la Saône-et-Loire, et Lucien Neuwirth, élu de la Loire.

À 12h56, l’appareil s’est posé à nouveau à Orly-Ouest après avoir survolé Paris, un passager de 45 ans, armé d’une grenade et d’un pistolet, ayant menacé l’équipage. Conformément aux procédures, l’appareil se pose sur la voie de circulation n° 47, au lieu-dit « point d’alerte à la bombe ». Les abords en sont évacués et le trafic aérien est détourné sur Orly-Sud. Le préfet de département, Jean Périer, est entre-temps arrivé sur les lieux et une cellule de crise a été montée dans le poste de contrôle. La tension est alors très vive. Vers 14h00, le pirate de l’air a en effet tiré sur une hôtesse qui tentait de l’empêcher de pénétrer dans le cockpit. Blessée au bras, elle est évacuée sept minutes plus tard, en compagnie de cinq femmes et d’un enfant. À cette occasion, « l’invité », du nom de code que lui donne le commandant de bord, fait connaître ses revendications. Il ne souhaite aller nulle part, mais veut faire diffuser, sur deux radios du pays, un message politique dont il détient l’enregistrement sur lui, après quoi il libérera cinquante de ses otages. Les autorités lui promettent gain de cause à condition qu’il libère, préalablement, tous les occupants de l’aéronef. L’impasse s’installe alors pour près de six longues heures.

Ce temps est mis à profit par la cellule de crise pour étudier la situation. Ainsi, s’aperçoit-on que « l’invité » est connu des services judiciaires. Il s’agit en effet d’un récidiviste, Jacques R., ancien sympathisant de l’OAS, qui aurait couru l’aventure en Amazonie, au Maroc et au Congo. Arrêté une première fois en possession d’une arme au début des années 1960, soupçonné de parricide, il avait été pris en charge par une équipe psychiatrique de l’hôpital de Villejuif, s’en était évadé, et, repris en 1965, avait été incarcéré pour escroquerie. Mais il est également connu du public comme le « preneur d’antenne », spécialiste de l’attentat médiatique. Déjà en février 1974, il avait interrompu une émission de radio très populaire, « les routiers sont sympas », présentée sur RTL par Max Meynier, pour lire, en le menaçant d’une arme, un communiqué. Arrêté à sa sortie du studio, il avait passé quinze mois en prison. Libéré en juin 1975, il avait donné un texte au quotidien Libération pour avoir « la chance de se faire entendre une fois encore ». Condamné à nouveau en janvier 1977 à 13 mois de prison dont 7 avec sursis pour escroquerie, il avait été libéré fin mars.

Le commissaire Leclerc, à qui revient la direction des opérations, décide donc de faire venir dans la tour de contrôle Max Meynier pour que ce dernier assure le dialogue avec le preneur d’otages. Dans le même temps, les autorités étudient les possibilités d’investir l’avion. La situation, cependant, est délicate.

À 16h15, le commandant de bord a précisé que son « invité est au courant de la situation des voyants de trappes et de portes », c’est-à-dire qu’il risque de s’apercevoir d’une tentative d’intervention. Cela signifie pour les autorités qu’il n’est pas question d’une intervention par ces ouvertures sans que le pirate, qui tient en permanence son pistolet et sa grenade à la main, s’en aperçoive immédiatement. Or le temps presse, car l’équipage a rendu compte que, la chaleur en cabine devenant insupportable, et le preneur d’otages s’opposant à l’ouverture de la porte arrière, les passagers risquent une asphyxie progressive et commencent, du reste, à faire des malaises.

L’assaut

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Le GIGN à l’entraînement en 1977

Déployé sous le commandement du capitaine Christian Prouteau, le GIGN n’a alors qu’une faible expérience en matière de détournement aérien. Un an plus tôt, en septembre 1976, il a certes obtenu la reddition d’un commando croate indépendantiste qui avait détourné sur l’aéroport de Roissy un vol TWA New York-Chicago, pris en otage quelque trente heures plus tôt. Mais ce succès avait été obtenu par la négociation, après avoir crevé les pneus de l’appareil, les terroristes acceptant alors de libérer des otages qu’il ne menaçait d’ailleurs que d’une bombe factice. Or, il est clair dès le début qu’il en ira tout autrement avec Jacques R., puisque ce dernier n’a pas hésité à faire feu sur une jeune femme. De fait, à compter de 18h00, « l’invité », qui exige toujours la diffusion de son message et le plein de carburant, manifeste des signes grandissants d’exaspération. Par le pilote, il fait savoir que « si l’opération ravitaillement n’est pas faite, il va faire un exemple ».

Les tentatives de négociation échouant, il déclare lui-même que « passé 19h30, il n’y aura plus besoin de rien du tout : ni carburant, ni nourriture, il sera trop tard ». À 19h57, le pilote signale qu’il a dégoupillé une grenade. C’est alors que le commissaire Leclerc donne la parole à Meynier pour un dialogue ainsi rapporté par la presse : « L’animateur radio lui ayant fait remarquer qu’il ne pouvait pas mettre ainsi en jeu la vie de 94 personnes, Jacques R. lui répond : ‘‘Quand j’étais avec toi, j’avais un petit calibre, maintenant j’ai un gros calibre. Vous portez toute la responsabilité. Ma force, c’est le carburant. Dis à Leclerc que s’il veut donner l’assaut, c’est tout de suite. On verra bien ! Si je suis là, c’est parce que j’ai été trop gentil la première fois’’ ».

Cette conversation permet en réalité de retenir l’attention du preneur d’otage, pendant que les gendarmes, répartis en six petites équipes, investissent l’avion. L’opération ne dure que quelques minutes. Selon le témoignage des passagers, « les policiers [sic] entrés par une porte latérale, portaient des masques à gaz. Ils ont crié aux passagers de se coucher et tiré un unique coup de feu sur l’auteur du détournement. Celui-ci a alors lâché la grenade qu’il portait, qui a explosé ». Un sous-officier, braqué à bout portant, ne doit la vie qu’au hasard, le pistolet du preneur d’otage s’étant providentiellement enrayé. Le groupe sort donc indemne de l’assaut, mais, pour l’un de ses membres, profondément choqué. Quant au pirate de l’air, il est neutralisé et remis à la justice. « L’inculpé a répété qu’il n’avait pas volontairement lâché sa grenade et a reconnu qu’il avait essayé de tirer sur un gendarme mais que son arme s’était enrayée […] il a été placé sous mandat de dépôt et inculpé de détournement d’aéronef, tentative d’homicide volontaire, notamment sur un agent de la force publique, et de séquestration avec prise d’otage ».

Bilan

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Le GIGN s’entraîne à investir un avion
à la fin des années 1970

L’opération apparaît dans un premier temps comme un succès. Les autorités portent au crédit de la force publique le courage manifesté par les gendarmes et la brièveté fulgurante de leur assaut.

Le ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet, en déplacement en Bretagne au moment des faits, après avoir affirmé que « le gouvernement français n’entend [ait] pas laisser le dernier mot à la violence chez lui », salue l’action des « forces de police et de gendarmerie [qui] se sont comportées d’une manière courageuse, dans le cadre de directives dont [il] assume l’entière responsabilité ». Le capitaine Prouteau et quatre de ses hommes sont d’ailleurs cités dans le Livre d’Or de la gendarmerie de 1977 pour le sang-froid et le courage qu’ils ont manifesté au cours de cette action. De même, le Premier ministre Raymond Barre, alors en voyage à Moscou, se déclare « persuadé que ceux qui étaient sur place et qui avaient décidé de procéder à cet assaut ont pris la décision qui leur paraissait devoir s’imposer. Évidemment je les couvre » ajoute le chef du Gouvernement. Le ton évolue cependant lorsqu’il est connu qu’un des quatre passagers blessés par l’explosion, Joachim C., âgé de 34 ans, employé comme magasinier à Air France, est mort dans la nuit. Un deuxième otage, Monsieur B., âgé de 40 ans, conservera des séquelles, tandis que les deux derniers, dont l’un n’est autre que Philippe Malaud, ne sont que légèrement touchés. Le décès d’un otage à la suite de l’assaut sonne alors comme un constat d’échec, au moins relatif. Après avoir rendu hommage à « tous [s] les compagnons d’infortune et tous les membres d’équipages [qui] ont été remarquables de discipline et de courage »(1), Lucien Neuwirth, le député-otage, quoique élu de la majorité, s’inscrit en faux face au satisfecit gouvernemental. « Je suis stupéfait, dit-il à la presse, qu’on ait pu mettre en balance la vie de 94 passagers et la libre disposition, pour le pirate, de dix minutes d’antenne. Il me semble que le jeu n’en vaut pas la chandelle ».

Mais le commentaire le plus virulent provient du président du syndicat national des pilotes de ligne pour qui « l’issue tragique de l’assaut organisé par la brigade antigang et la brigade d’intervention de la gendarmerie démontre l’absurdité d’une initiative hâtive, inopportune et inadaptée »(2).

De même, dans les colonnes de Libération, Max Meynier relate de manière très critique son séjour au poste de contrôle d’Orly-Ouest. « Ils ont profité que je discutais avec Jacques pour attaquer. Je trouve ça dégueulasse […] J’ai proposé au commissaire Leclerc qu’on fasse l’échange entre les passagers et moi : Leclerc a dit que c’était hors de question. S’ils m’avaient utilisé intelligemment, cela aurait pu mieux se terminer [mais] ils m’ont utilisé bêtement »(3). La presse évoque également des rivalités de personne entre le commissaire Leclerc, le commissaire Broussard et le capitaine Prouteau. « L’émulation entre la brigade antigang de la PJ et la brigade anti-commando de la gendarmerie, qui se haïssent cordialement, accéléra encore l’intervention » écrit encore le quotidien, alors positionné à l’extrême-gauche.

La réalité est cependant sensiblement différente. Les militaires du GIGN, tenus à la confidentialité, se sont évidemment gardés de la diffuser, mais leurs rapports internes apportent des précisions sur les conditions de l’opération. Dès leur arrivée à Orly, les gendarmes ont répété l’investissement de l’avion sur un appareil identique, présent sur une voie de garage, afin d’apprendre à évoluer dans un espace aussi confiné et d’en calculer les risques. Quant à parler de précipitation, il apparaît que le groupe était présent depuis plus d’une heure sous l’avion au moment de l’assaut. Son intervention n’a donc été « accélérée » que par le fait d’un « invité » ayant dégoupillé sa grenade.

Au lendemain de l’opération, le GIGN organise également le retour d’expérience. Prenant acte du manque de contrôle qui a permis à un homme armé de monter dans l’avion, le groupe réfléchit à des innovations techniques, comme un seau blindé qui contiendrait les explosions de grenade. Il mesure également son peu de notoriété : la presse, qui ne le connaît encore que très mal, le qualifie de « brigade d’intervention », et subordonne largement son action à celle de la police. Il est vrai que le commissaire Broussard, dont le visage orné d’un collier de barbe commençait d’être familier du public, l’emporte alors en notoriété sur les hommes du capitaine Prouteau. C’est donc le commissaire que Meynier a reconnu par priorité, « avec ses grenades et sa tenue de combat », au sein de la colonne d’assaut.

En interne, les gendarmes précisent cependant que si ce commissaire tint effectivement à les accompagner, il ne commandait pas le dispositif. Pour le GIGN, l’affaire d’Orly, tout en soulignant la qualité et la détermination de son personnel, met finalement en évidence une double exigence pour les années à venir. Il s’agit d’abord, pour le groupe, de parfaire sa formation dans les domaines les plus pointus. La filière instruction se développe alors progressivement jusqu’à devenir une composante presque autonome au sein du groupe.

L’entraînement devient alors un défi de plus en plus poussé, occasionnant le décès, durant les vingt années suivantes, de 15 militaires du groupe tandis que deux gendarmes sont tués en opération en juin 1997 et janvier 2007. Dans le même temps, le GIGN cherche sans cesse des solutions techniques pour ses interventions, notamment en ce qui concerne l’investissement d’aéronefs, en coopération avec les ingénieurs et techniciens du centre technique de Rosny-sous-Bois. Le second impératif apparu pour le groupe au lendemain de l’affaire d’Orly est de développer et maîtriser sa communication.

L’initiative se traduit dès la fin des années 1970 par la mise en place de relations suivies avec les médias. Progressant en notoriété, l’unité peut alors espérer attirer à elle non seulement des moyens et des appuis accrus, mais aussi les meilleurs éléments de la gendarmerie et de l’armée. Cette montée en puissance, très nette dans les années 1980, apparaît clairement au lendemain de l’assaut de Marignane, lorsque le GIGN publie un bilan faisant état de plus cinq cents otages libérés, et de la résolution de cinq tentatives de détournements aériens.

(1) Le Figaro, 1er octobre 1977.

(2) « À Orly-Ouest : Un mort, un blessé grave et trois blessés légers après le détournement de la caravelle d’Air Inter », Le Monde, 2 – 3 octobre 1977.

(3) « Un mort pour 10 minutes d’antenne », Libération, 3 octobre 1977.

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