Histoire et Patrimoine des Gendarmes

J’y étais

Les souvenirs du gendarme Gustave Roussel, chef du maquis de la Ferté-Vidame (Eure-et-Loir)

Ronan L’HEREEC

Aspirant de gendarmerie issu du volontariat

Service historique de la Défense -DEER


Entré en gendarmerie en 1936, Gustave Roussel a participé aux combats de mai-juin 1940 au sein du 45e bataillon de chars de combat, seule unité combattante de la gendarmerie de cette campagne. Revenu en brigade dans l’Eure-et-Loir, il s’est engagé officiellement dans la Résistance dès le 10 avril 1943. Nommé sous-lieutenant, chef du maquis de la Ferté-Vidame, le 1er juin 1944, il a participé avec son maquis à la libération de Paris et a continué la lutte sur le front de l’Atlantique. D’abord, au sein des troupes F.F.I. ; puis, à partir du 15 octobre 1944, au 3e bataillon du 131e régiment d’infanterie.

Pouvez-vous parler en quelques mots de votre jeunesse ?

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Gustave Roussel
à la fin des années 1940

Je suis né le 23 mars 1914 à Flers (Orne). Ma mère étant institutrice, j’étais bien placé pour apprendre l’orthographe et le calcul. Après mon certificat d’études primaires, j’ai continué deux ans en études primaires supérieures. J’ai ensuite été employé dans un garage à partir de 14 ans jusqu’à l’âge de 19 ans. Je me suis alors engagé pour trois ans dans l’armée, au 51e bataillon de chars lourds à Bourges, où je suis devenu pilote spécialiste de chars lourds et de chars légers. Comme ils demandaient des volontaires dans la Garde républicaine mobile, j’ai posé ma candidature et, après un petit concours, j’ai été accepté.

En 1936, je suis parti dans la Garde républicaine mobile à cheval, au Havre, pendant 18 mois, et ensuite à Saint-Brieuc. Là, on cherchait à nouveau des volontaires parmi les gardes mobiles pour aller en brigade de gendarmerie. Après avoir obtenu le concours, j’ai été admis en 1937 à la brigade de gendarmerie de Brezolles, dans l’Eure-et-Loir, où je suis resté quelques années avant d’être nommé à la Ferté-Vidame.

En brigade, je faisais le boulot comme tous les autres gendarmes. Cependant, comme j’étais le seul à avoir tous les permis de conduire, j’étais un peu spécialisé dans la police de la route. C’était toujours moi qui prenais la route avec le chef ou les uns, les autres. Je m’occupais des excès de vitesse, des constats d’accidents sur les 52 kilomètres entre Verneuil-sur-Avre et Dreux. J’étais à moto ou en side-car avec le chef et on dressait des procès-verbaux.

Dans ces brigades-là, on avait de tout. On a eu notamment des crimes épouvantables. Je me souviens qu’une fois, en 1938, dans le pays de Laons, entre Dreux et Brezolles, il y avait une jeune fille qui allait se marier avec un bistrotier. Mais l’homme, un jaloux, était persuadé que sa future femme avait pour amant le notaire du pays. Alors, le jour de la noce, il a abattu sa promise d’un coup de revolver avant d’essayer de se suicider d’une balle dans la tempe. On a été appelés en renfort, le chef et moi. Lorsque nous sommes arrivés, elle était morte et le bonhomme agonisait à la porte du bistrot. Il y avait du sang partout. Une nichée de jeunes chiots avait pataugé là-dedans. Comme c’était la veille de la noce, c’est nous qui avons fait le comité d’accueil des invités, le matin, dans ces conditions… épouvantables. Enfin, c’était des drôles de corvées, par moments, dans la gendarmerie.

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La Ferté-Vidame. La gendarmerie où a servi Gustave Roussel

Où vous trouviez-vous au moment de la déclaration de guerre en 1939 ?

J’étais en brigade. Ils demandaient des volontaires dans les chars, surtout pour faire de l’instruction. Comme j’étais volontaire, j’ai alors été affecté à la formation militaire, dans les chars, à Satory. Ayant tous les permis, j’ai fait un peu d’instruction pour former des jeunes conducteurs de chars lourds et de chars légers. En 1940, au début de la guerre, je pilotais un char de 16 tonnes, un char Hotchkiss. J’étais pilote et puis j’avais un chef de char. On se bagarrait pas mal dans le secteur où j’ai été envoyé. Les fantassins étaient ceux qui dérouillaient le plus, comme les civils d’ailleurs.

Les civils se sauvaient, mélangés avec les soldats… Ils emportaient leur voiture, la traînaient car il n’y avait pas d’essence. Et puis, ils mettaient des matelas dessus parce que les avions allemands mitraillaient sans arrêt les convois de réfugiés, aussi bien que les colonnes de soldats.

Les fantassins étaient démoralisés par les Stukas, les avions allemands qui piquaient avec une sirène. Ils avaient un effet terrible sur les troupes. Quand il s’en amenait un ou deux, c’était la panique. Ils arrivaient avec leur sirène hurlante et lâchaient une rafale de mitraillette avec une ou deux bombes. Nous, nous étions plutôt épargnés dans nos blindés, même si on appelait ça « les cercueils ambulants ». On avait quand même l’impression d’être plus protégés dans ce blindage que les fantassins. On ne prenait que des éclats. Mais, j’ai vu des centaines de gens morts sur les routes. Des femmes, des enfants… C’est épouvantable ces choses-là. Et puis, il y avait des cadavres d’animaux, des chevaux, des vaches, en décomposition sur les bords de routes.

Que saviez-vous des Allemands au début de la guerre ? Pensiez-vous que l’armée française pouvait la gagner ?

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Certificat d’appartenance aux FFI de Gustave Roussel
conservé au Service historique de la Défense

Au début de la guerre, les Allemands étaient forts, équipés comme il faut, mieux habillés que nous, et surtout mieux organisés. On n’avait pas trop le moral. En plus, il y avait beaucoup d’infiltration d’espions allemands dans l’armée française. Il y avait des affiches partout : « Taisez-vous, des oreilles ennemies vous écoutent ». Je peux vous donner un exemple. À un certain moment, on travaillait avec le deuxième bureau. On allait porter des plis à un officier français qui s’occupait des prisonniers allemands afin d’avoir des renseignements.

Et alors, un jour, quand les Allemands sont arrivés, je suis allé trouver ce lieutenant, le lieutenant M... Il avait son revolver sur la table, habillé en lieutenant allemand. Je suis resté le bec dans l’eau. Il m’a dit : « Et oui, vous voyez Roussel, je suis de l’armée allemande. On peut vous faire prisonnier. D’ailleurs, vous allez être fait prisonnier d’un moment à l’autre. Les Allemands arrivent ». Il s’était engagé comme Allemand dans la légion étrangère et s’était fait reverser dans le renseignement de l’armée française. On était vendus.

Des fausses nouvelles étaient diffusées par l’espionnage allemand qui se faisait passer pour des Français et racontait toutes sortes de salades. Par exemple, on avait défense de tirer sur les avions allemands au fusil ou à la mitraillette sous prétexte qu’ils étaient blindés. On ne tirait donc pas sur ceux qui passaient en rase-mottes, en mitraillant. Mais, moi, dans mon char, je les ajustais et je leur tirais dessus.

Dans quelles circonstances avez-vous été blessé en 1940 ?

Le 10 juin 1940, dans les Ardennes, j’ai été blessé dans mon char. J’avais été bombardé par un avion allemand qui essayait d’avoir ma peau. J’ai ouvert ma porte et mon chef de char ses volets pour pouvoir respirer car nous étions étouffés par la fumée. Quand on a refermé, une mitrailleuse allemande qui se trouvait peut-être à 150 mètres s’est mise à nous tirer dessus. J’ai fermé ma porte en vitesse. Mais je n’avais pas le genou allongé et j’ai pris la poignée dessus. J’ai ensuite réussi à rentrer dans nos lignes avec mon char(1). Ils m’ont mis dans une ambulance direction Molitg-les-Bains, dans les Pyrénées-Orientales, à la frontière espagnole, où j’ai été hospitalisé. J’y suis resté deux mois. Ils m’ont fait des ponctions et des pointes de feu parce que j’avais le genou plein d’eau. Après l’hôpital, j’ai été réaffecté dans mon corps de troupe. On n’avait plus de chars mais des automitrailleuses. Après, j’ai réussi à me faire « démobiliser » et à rentrer dans ma brigade où j’ai repris le service.

Quelles étaient alors vos missions à la brigade ?

C’était les mêmes missions qu’avant guerre. J’avais toujours la faveur de rouler à moto et en side-car, étant encore le seul à avoir les permis. On faisait notamment des enquêtes sur les gars qui avaient été tués à la guerre. Je faisais aussi, de temps en temps, de la police de la route avec le chef, entre Dreux et Verneuilsur-Avre, quand il y avait de l’essence. C’était le petit train de vie de la brigade de Brezolles. Après, pendant l’Occupation, je suis allé à la brigade de la Ferté-Vidame(2).

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Un exemple d’acte de sabotage
par explosif du maquis
contre les voies ferrées

Je faisais déjà beaucoup de renseignements pour les Alliés. Par exemple, un jour, un grand nombre d’Allemands sont venus camper dans un bois près de la Ferté-Vidame avec tout un matériel de réparation de véhicules. Quand j’ai appris ça, j’ai aussitôt envoyé ma femme avec tous ces renseignements, notamment les coordonnées, à Verneuil-sur-Avre, chez M. Marais, un agent d’assurance qui correspondait avec Londres avec son poste-émetteur clandestin. Deux jours après, une dizaine de bombardiers sont arrivés sur le bois faisant beaucoup de morts et de destruction.

Étant marié et père de trois enfants, nous risquions ma famille et moi de gros ennuis. Mon épouse m’a été d’une aide précieuse dans ces moments tragiques. Elle y a risqué sa vie ainsi que celle de mes enfants plus d’une fois. Elle cachait à notre domicile des tenues d’aviateurs anglais et dissimulait des faux papiers administratifs pour les résistants et les réfractaires au S.T.O, ainsi que des armes parachutées(3).

Les autres gendarmes de la brigade n’étaient pas contre la Résistance. Ils prenaient aussi pas mal de renseignements. Je n’ai eu des soucis que quand j’ai déserté. Je savais que j’allais être pris, que je serai arrêté. Alors, j’ai barboté la moto et je suis parti avec. Les autorités françaises d’occupation m’ont alors mis le signalement n°1 aux fesses. C’est pour les déserteurs. Je suis allé voir le capitaine Guérin, le commandant de section à Dreux, qui m’a aussitôt félicité. Il m’a dit : « Si vous avez besoin de quelque chose, des renseignements, on reste en contact ». C’était un type formidable.

Comment s’organisait le maquis ? Quelles étaient vos missions ?

Notre chef était le commandant Sinclair(4), commandant la Résistance dans tout le département de l’Eure-et-Loir. Il était assisté de Sylvia Montfort, une actrice de cinéma. Il recevait les ordres, parfois même de Londres, et décidait des objectifs.

Il y avait beaucoup de parachutages. On recevait pas mal de vivres, des rations américaines ou anglaises, et beaucoup d’argent aussi pour éviter les problèmes. Il y avait des maquis non contrôlés qui attaquaient des fermes pour les piller, les voler. Dans chaque unité, un sous-officier tenait les comptes. Quand on avait besoin de quelque chose, comme un bœuf ou un veau, il l’achetait dans les fermes. Il y avait toujours un boucher dans la compagnie pour s’en occuper, pour nous donner à manger.

On écoutait les messages qui nous concernaient sur des petits postes récepteurs, ou bien à la radio, à la TSF. Ainsi, on savait à peu près ce qui se passait. Tel message désignait tel terrain. Par exemple, quand on entendait « tiens voilà du boudin », on savait que, dans la nuit suivante, à Crucey, il allait y avoir un parachutage. Alors, il fallait mobiliser plein de monde, de Dreux et de partout, car il pouvait tomber vingt tonnes d’armes d’un seul coup(5). Ce n’était pas rien. Les armes étaient dans des grands containers, des gros cylindres de deux cents kilos. On les mettait dans des vachères et puis par-dessus on mettait un déménagement avec des meubles et des cages à poules pleines de volailles. On allait livrer les armes dans les coins qui n’avaient pas de parachutages. C’était quand même risqué, mais on le faisait.

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Citation de Gustave Roussel à l’ordre du régiment

Pouvez-vous évoquer les attaques de convois ?

On faisait surtout des attaques en minant les routes avec des mines antichars. D’autres fois, on mettait ce qu’on appelait des crottins. C’était des faux crottins de cheval dans lesquels on vissait une petite amorce et qui faisaient office de crève pneus. Quand ils avaient leurs pneus crevés, on vidait nos fusils-mitrailleurs sur les camions et on lançait des grenades avant de se tailler parce qu’il ne fallait pas essayer de résister contre eux.

Une fois, du côté de Verneuil, on a été poursuivis par des Allemands(6). Alors, on s’est foutu à l’eau, dans la rivière, l’Avre. On a cavalé à travers la flotte et ils ne nous ont pas eus. Les chiens ont perdu la trace à cause de l’eau. Tout le monde est rentré à bon port.

Quel a été votre rôle à la Libération ?

Par ordres du commandant Sinclair, j’ai pris la direction du maquis et j’ai même, à un moment donné, commandé tout le secteur de la Ferté-Vidame. Il m’avait nommé chef de tout(7). J’avais tous les pouvoirs. J’ai fait arrêter tous les collabos, des Belges pas mal, et tous ceux qui faisaient du trafic, du marché noir avec les Allemands… Ça y allait les valises de cochon avec les boches. Avant, j’avais refait le conseil municipal à La Ferté-Vidame. On a fait tondre les collaboratrices. Les Américains qui arrivaient là ont tout filmé. Et puis, alors, les dénonciations, ça arrivait. Il y a untel et untel chez qui les Allemands étaient… Ils ont fait la bringue avec les boches…

Ensuite, vous avez participé à la libération de Paris ?

On est monté sur Paris avec le bataillon d’Eure-et-Loir et on a fait la libération de la capitale(8). On était auprès du général de Gaulle alors qu’il faisait son discours devant Notre-Dame.

Autour de la cathédrale, des collabos, des S.S, ou je ne sais quoi, se sont mis à mitrailler tout autour du général. Aussitôt, on est parti vers Notre-Dame avec nos armes pour essayer de trouver les types. Mais, manque de bol, on n’a pas pu les identifier car ils se sont collé des brassards et des képis. On n’a pas pu les reconnaître, à l’exception d’un. Il tirait par la fenêtre et descendait les gens du quatrième étage. C’est un de mes copains qui l’a descendu. On est monté juste en face. Mon tireur, Le Polotec, a ouvert un petit peu sa fenêtre. Il a ajusté son F.M et, quand l’autre s’est présenté, il l’a tué.

Quand on descendait l’escalier, la dame chez qui on était nous a appelés. Elle avait ramassé les étuis du fusil-mitrailleur. « Tenez messieurs, vous avez oublié vos cartouches ! » « On vous en fait cadeau madame », lui a-t-on répondu.

Quelles ont été vos impressions sur cet événement ?

On était acclamés, embrassés par les filles. C’était formidable. Tout le monde était content à la Libération. C’était de beaux moments. Et il faisait un beau temps chaud. Malgré tout, les Allemands y étaient encore. Et il y a eu pas mal de bagarres avec des dégâts et des tués aussi. Ça ferraillait un peu partout. Et puis, les Américains sont arrivés.

On a eu deux gars tués auprès d’un petit blockhaus à ras du sol. Les Allemands étaient dedans. On a demandé un char Leclerc qui a tiré avec son canon de 75 dans le blockhaus. On est allé voir après. Le type était en charpies… Il fallait se méfier. Il y avait des types comme ça partout, qui risquaient de se faire tuer mais qui voulaient faire des dégâts.

Êtes-vous resté dans la gendarmerie après la guerre ?

Je suis resté un moment à la brigade de la Ferté-Vidame. Après, je suis reparti dans l’armée, dans les blindés, où je pilotais des chars, au grade de sous-lieutenant. Ensuite, dans les années 50, je suis revenu à la vie civile.

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Gustave Roussel en visite à la brigade
de Brezolles le 12 juillet 2006,
en compagnie de l’adjudant-chef Tréfault
et du gendarme Argence

(1) Son action au sein du 45e BCC lui vaut une citation à l’ordre de la brigade par l’ordre n° 2037/C du 17 novembre 1947 qui comporte l’attribution de la Croix de guerre avec étoile bronze. Elle est énoncée en ces termes : « Mécanicien de char calme et très courageux. A participé brillamment à plusieurs attaques de son unité. A été blessé au cours de la contre-attaque de Perthes, le 10 juin 1940, en faisant bravement son devoir. »

(2) Son dossier de résistant mentionne la date du 14 novembre 1941.

(3) L’épouse de M. Roussel, décédée en mars 2005, a été décorée de la croix des combattants volontaires de la Résistance.

(4) De son vrai nom Maurice Clavel.

(5) Le 20 juillet 1944, à Crucey, 4 avions larguent plus de 100 containers.

(6) Une brigade de répression S.S est basée à la Ferté-Vidame. Cette traque de près de 7 heures a lieu dans la nuit du 11 au 12 août 1944. Elle est mentionnée à la fi n de la citation de Gustave Roussel à l’ordre du régiment par l’ordre n° 3741/FFI du 24 décembre 1944 qui comporte l’attribution de la Croix de guerre avec étoile bronze.

(7) Le 1er juin 1944, Gustave Roussel est nommé sous-lieutenant, commandant du maquis de la Ferté-Vidame, avec prise de rang à partir du 9 juin, par Maurice Clavel, alias Sinclair, commandant les F.F.I d’Eure-et-Loir.

(8) Le 23 août 1944, le général de Gaulle est accueilli à Chartres par le commandant Sinclair, commandant départemental des F.F.I et au cours d’une allocution il demande à tous les F.F.I disponibles d’accompagner la Division Leclerc en route pour délivrer la capitale afin de soutenir les FFI parisiens qui se sont soulevés depuis le 19 août.

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