Histoire et Patrimoine des Gendarmes

ÉDITORIAL

Femmes, filles, fils de gendarme


Ce n’est pas un dossier mais un ouvrage volumineux qui serait nécessaire pour raconter la vie hors du commun des familles de gendarmes. Une vie qui paraît étrange à tous ceux qui sont extérieurs à ce monde semi-clos des casernes de gendarmerie. Lieu de travail et lieu de vie où se croisent deux mondes, celui des gendarmes et de leurs familles et celui de la population plaignante ou délinquante, la brigade de gendarmerie est un monde à part, un microcosme qui n’a rien de semblable ailleurs.

La caserne de gendarmerie, c’est un refuge protecteur pour les familles, certes, mais c’est aussi un lieu de contrainte, avec ses règles de vie, écrites et non écrites, où chacun, militaire avec son grade et sa fonction, épouse, jeune et moins jeune, enfant de tout âge, doit trouver sa place, dans un espace à la fois fermé et ouvert. Pas toujours facile. Mais la caserne n’est pas qu’un lieu de discipline.

Qui dira les bonheurs de la famille du gendarme, des naissances aux mariages. C’est dans les albums de famille qu’il faut plonger pour comprendre, pour retrouver ces photos de mariage en uniforme, pour trouver ces petites filles souriantes avec le képi de leur père sur la tête, ces petits garçons sur le cheval, la moto ou dans le panier du side-car de leur père. Mais c’est au fond de la mémoire que l’on trouve les meilleurs souvenirs. Quelle petite fille de gendarme, en école primaire, n’a jamais dit, avec fierté, à un petit copain, à charmer ou à dissuader, suivant le cas (le ton n’est pas le même) : « mon papa, il est gendarme ! », soulignant ainsi, sans le savoir et en toute innocence, l’ambivalence du rôle protecteur et valorisant d’une part, dissuasif d’autre part, de son gendarme de père. C’est là que l’on trouve toutes les choses cachées, agréables mais aussi désagréables telles les vexations des camarades de lycée, toutes les petites bêtises des jeunes années, les parties de cache-cache dans les caves, les premières idylles d’adolescents.

Qui dira aussi les malheurs de la famille du gendarme, les deuils, toutes les sortes de deuils : mort d’un enfant, mort d’un mari tué au combat, en Indochine ou en Algérie, morts en service. Pire encore : les suicides.

Qui dira le courage des épouses de gendarmes, contraintes à la discrétion, bien souvent ignorées du commandement, à la fois soutien logistique et soutien moral de leur mari et sans lesquelles la Gendarmerie ne serait pas la Gendarmerie. On pense naturellement à celles qui tenaient la radio pendant l’absence de leur mari, à celle qui garnissait les chargeurs de pistolets-mitrailleurs pendant que son mari faisait le coup de feu pour défendre leur poste attaqué, aux femmes des gendarmes de Monzon(1), assiégés avec leurs épouses, qui confectionnaient, avec le suif des derniers bœufs qu’ils avaient mangés, les chandelles qu’elles tenaient ensuite, pendant que leurs maris creusaient des mines pour effectuer des sorties contre les guérilleros espagnols. Mais il y a aussi les milliers d’autres, anonymes, inconnues qui, au quotidien, ont assuré et assurent encore, seules, la bonne marche de la « base arrière », une nuit, une semaine, trois mois, six mois voire davantage, le temps d’une opération de nuit ou d’un séjour en Indochine, en Algérie, en opération extérieure en Bosnie, au Kosovo, au Liban ou en Afghanistan.

Et pour que cela soit écrit au moins une fois : « Femmes, fils et filles de gendarmes de tous les temps, vous avez bien mérité de la Gendarmerie et de la nation ».

Général (2s) Georges PHILIPPOT

Président de la SNHPG

Ancien chef du Service Historique de la Gendarmerie nationale

Docteur en histoire

(1) Forteresse du Haut-Aragon dans laquelle, pendant la guerre d’Espagne, 95 gendarmes et quelques épouses résisteront à plus de trois mille guérilleros espagnols, du 27 septembre 1813 au 16 février 1814.

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