Louis Larrieu

CHAPITRE II - LA MARÉCHAUSSÉE EST RÉPARTIE DANS LES PROVINCES

L’armée permanente (1439)

Nous avons montré que ce fut pour permettre au prévôt des maréchaux de se consacrer tout entier à ses importantes fonctions concernant la surveillance des troupes que le roi Louis XI sépara les attributions de cet officier et celles du prévôt de l’Hôtel.

Un fait important, en effet, s’était produit : la création récente d’une armée permanente obligeait le prévôt des maréchaux à s’opposer aux désordres des gens de guerre, non plus seulement aux armées, mais encore dans leurs garnisons du temps de paix.

Les mercenaires qui suivirent la bannière du jeune roi Charles VII continuèrent, comme sous le règne précédent, à se livrer aux pires excès, à telles enseignes qu’aux États généraux réunis à Mehun-sur-Yèvre, ville du Berry, en novembre 1425, on dut aviser au moyen de faire cesser les désordres des gens de guerre(1). « Non seulement ils considéraient comme une proie abandonnée à leurs besoins et à leur cupidité le pauvre peuple des campagnes, mais ils se livraient à toutes sortes de sauvages fantaisies : loger leurs chevaux dans les églises et les attacher aux autels, leur faire manger les blés en herbe, démolir les maisons pour se chauffer avec les charpentes, verser le grain et le vin dans les rivières, tuer et torturer par caprice et sans utilité, tels étaient leurs divertissements, et c’est ainsi qu’ils entendaient la noble liberté de l’homme de guerre. Les chefs, braves et durs, ne valaient guère mieux que les soldats, et il ne faudrait pas regarder de trop près à l’héroïsme de cette époque : on le trouverait mélangé de trop de crimes et d’excès »(2).

En outre, les factions qui s’étaient disputés le royaume sous Charles VI avaient donné naissance à des bandes de « routiers et d’écorcheurs » qui continuèrent, sous le règne de Charles VII, à commettre toutes sortes d’excès. C’est ainsi que l’un des plus redoutables capitaines de routiers de cette époque, l’Espagnol Rodrigue de Villandrando, désola le Berry en 1435, pillant les campagnes, rançonnant les villes, donnant l’assaut à celles qui résistaient(3).

Sous les ordres du connétable Richemont, le jeune prévôt des maréchaux, Tristan l’Ermite, jugeait sommairement les écorcheurs arrêtés dans les villages en flagrant délit de meurtre, de viol ou de pillage : on les pendait au premier arbre ou on les jetait à la rivière(4) ; mais les aventuriers débandés ne cessaient de désoler le royaume.

Aussi, sur la proposition et les remontrances des États généraux, réunis à Orléans en octobre 1439, relatives aux « désolations, maux, pilleries, meurtres, rébellions, robberies, ravissements et rançonnements qui étaient perpétrés par les gens de guerre »(5), Charles VII reprit l’idée de Charles V qui, par l’ordonnance rendue à Vincennes en 1373, avait essayé d’organiser une armée permanente. Il publia, le 2 novembre 1439, à Orléans, une ordonnance sur l’établissement d’une force militaire permanente et la répression des vexations des gens de guerre, « pour obvier, dit le préambule de l’édit, et donner remède à faire cesser les grands excès et pilleries faites et commises par les gens de guerre qui par longtemps ont vécu et vivent sur le peuple, considérant la pauvreté, oppression et destruction de son peuple, ainsi détruit et foulé par les dites pilleries, etc. ».

On lit dans Fontanon(6) : « Voyant, le roi Charles VII, qu’à chacun combattant fallait dix chevaux de bagages, de fretin, de valets et toute telle coquinaille, qui ne sont bons qu’à détruire le peuple, si ordonna par grande délibération de son conseil, de mettre tous ses gens d’armes ès frontières, chacun homme d’armes à trois chevaux et deux archers, ou trois, et non plus, et seraient faites leurs montres (revues) et payés tous les mois, et chassé hors tout le demeurant du harpail ».

L’édit réservait au roi le droit de convoquer, d’organiser et de commander les compagnies d’hommes d’armes ; les levées sans son autorisation étaient formellement interdites sous les peines les plus sévères. La nouvelle armée allait se composer de corps régulièrement organisés, au lieu de troupes vagabondes dépendant des ordres arbitraires des capitaines qui les payaient souvent par le pillage. Ainsi se trouvait constituée la police du royaume ; mais cette force permanente ne tarda pas à susciter presque autant de plaintes que les bandes qu’elle avait remplacées.

L’édit de 1439 reçut sa pleine exécution le 26 mai 1445. Le roi institua alors quinze compagnies d’ordonnance ; chaque compagnie était commandée par un capitaine et se composait de cent lances garnies, dont chacune constituait un groupe de six cavaliers. Pour que cette troupe, qui prit le nom de gendarmerie parce qu’elle était composée de « gens d’armes », ne fût pas tentée d’abuser de sa force contre les bourgeois, on ne plaça dans chaque garnison que vingt-cinq à trente lances qui étaient logées chez les particuliers(7).

Le 28 avril 1448, par l’ordonnance de Montil-les-Tours, Charles VII compléta cette organisation par l’institution des francs-archers, infanterie de réserve qui était soumise à de fréquentes revues.

Louis XI n’apporta aucun changement à l’organisation des compagnies d’ordonnance ; il abolit la milice des francs-archers et la remplaça par six mille mercenaires suisses et par un corps de dix mille hommes d’infanterie française, qu’il leva et prit à sa solde ; ce fut la première troupe d’infanterie permanente et soldée, et qui contribua plus tard à former le plus ancien de nos régiments, celui de Picardie.

Les ordonnances de 1439 et 1445 tendirent à protéger les populations contre les excès commis par les troupes. Les capitaines et les gens de guerre furent forcés, nous l’avons vu, de tenir garnison aux places frontières. Défense expresse leur fut faite de quitter la forteresse qui leur était confiée et de piller et de rançonner les campagnes. Les habitants, maltraités par les gendarmes, furent autorisés à employer la force pour traduire ceux-ci devant les tribunaux. Les capitaines ou lieutenants furent tenus des délits commis par leurs hommes.

« Ordonne le roi que chacun capitaine ou lieutenant sera tenu des excès, maux et outrages commis par ceux de sa compagnie ou aucun d’eux, en tant que sitôt que plainte ou clameur sera faite au capitaine de ses gens ou aucun d’eux, que incontinent il prenne le délinquant et le baille à justice pour en être fait punition selon son délit »(8).

Ainsi, c’était à la justice ordinaire qu’incombait, en temps de paix, le soin de punir les soldats délinquants. Suivant deux arrêts du Parlement du 9 juillet 1425 et du 17 juin 1429, le connétable et les maréchaux n’avaient aucune connaissance des crimes et délits militaires hors guerre ; il n’y avait pas, alors, de juridiction militaire pour connaître des délits commis envers les habitants par les troupes tenant garnison ; les gens d’armes étaient justiciables des baillis et des sénéchaux par tout le royaume(9).

Cependant, malgré les arrêts et les ordonnances, le prévôt des maréchaux, Tristan l’Ermite, s’attacha à punir les désordres des gens d’armes ; c’est ainsi qu’il « se transporta, dès 1457, dans le pays de Rouergue, pour réparer aucuns maléfices commis par les compagnies de Joachim Rouault et de Poton de Xaintrailles, et qu’il reçut l’ordre, l’année suivante, de parcourir la Champagne, la Normandie, le Beauvaisis, l’Île-de-France pour ouvrir une enquête au sujet des agissements des troupes royales qui s’appropriaient des vivres sans les payer et pour châtier les coupables »(10).

La mission répressive ainsi confiée au prévôt des maréchaux n’était pas prévue par les ordonnances ; mais ne voyons-nous pas là une révolte des faits contre une législation inefficace, qui laissait à des capitaines ayant conservé le goût et l’habitude du pillage le soin de livrer les soldats délinquants à la justice ordinaire ?

Néanmoins, un nouvel arrêt du Parlement du 14 août 1459 décida que le connétable et les maréchaux de France n’auraient connaissance que du fait de la guerre. Au contraire, les juges des lieux, prévôts, baillis, sénéchaux, connaissaient de toutes les questions intéressant le bon ordre, mais en garnison seulement « hors fait de guerre »(11) ; la compétence des magistrats ordinaires fut reconnue, de nouveau, par une ordonnance du 13 mai 1470 ; mais cette ordonnance renfermait une restriction importante : lorsqu’ils avaient arrêté les délinquants et fait leur procès, les juges des lieux n’appelaient au jugement les capitaines des coupables « qu’en l’absence des maréchaux à qui, disait l’ordonnance, la connaissance en appartenait ». La compétence des prévôts des maréchaux à l’égard des soldats tenant garnison n’était plus contestable ; mais elle ne fut expressément reconnue qu’en 1514.

Les prévôts provinciaux

Nous venons de voir qu’après la création de l’armée permanente, les ordonnances n’attribuèrent la compétence judiciaire au prévôt des maréchaux qu’à l’armée ; en garnison, le rôle de cet officier ne consista d’abord, en droit, sinon en fait, qu’à faire saisir les soldats délinquants et à les remettre à la justice du roi.

Mais il était bien difficile au prévôt des maréchaux d’assurer le maintien de l’ordre dans les nombreuses garnisons dont la nouvelle organisation avait nécessité l’établissement. Cet officier, a dit de Lamare, fut obligé d’envoyer des lieutenants de part et d’autre pour s’informer des excès commis par les gens de guerre.

Après avoir constaté qu’un lieutenant du prévôt des maréchaux avait fait un voyage au pays de Caux « pour informer sur la plainte que faisaient les habitants du pays des excès que commettaient les gens d’armes », de Lamare ajoute : « Mais, comme de semblables plaintes arrivaient fréquemment des autres provinces, Louis XI, cette même année, permit au prévôt des maréchaux de commettre en chaque province un gentilhomme pour le représenter, avec pouvoir d’assembler, selon les occasions, les autres nobles et les autres gens du pays pour s’opposer aux gens de guerre, aventuriers et vagabonds débandés des armées qui couraient les champs, volant et opprimant le peuple, les prendre et saisir au corps, et les rendre aux baillis et sénéchaux pour en faire justice ».

La décision qui précède aurait été prise, selon de Lamare, en 1494 : cette date est erronée, puisque Louis XI, à qui cette réforme est attribuée, mourut en 1483(12). Cochet de Savigny(13) a vu dans cette décision, qu’il fait dater de l’année 1474, l’origine des compagnies de maréchaussée provinciale ; nous avons vu qu’en 1474, en effet, le prévôt des maréchaux, Tristan l’Ermite, se nomma un lieutenant dans la vicomté de Domfront.

Quoi qu’il en soit de cette institution, nous trouverons plus loin des preuves de l’activité, et même des excès de zèle, des lieutenants des prévôts, aussi bien que des prévôts eux-mêmes, dans les cahiers des États généraux de 1483.

Le prévôt des maréchaux, à cette époque, n’était plus unique. Chenu rapporte, en son livre des offices, que « le seul prévôt à la suite établirent près les personnes et à la suite de chaque maréchal un prévôt, un lieutenant et des archers pour l’assister ». Or, il y avait alors deux maréchaux ; il y eut donc deux prévôts.

Des lettres patentes de Louis XI, du 28 novembre 1481, rapportées par de Lamare, mandent au prévôt de Paris de faire publier que les prévôts des maréchaux « n’entreprennent de connaître d’autres matières que de celles qui concernent les gens de guerre et ceux qui se débandent des troupes pour courir les champs et que si ces officiers de la maréchaussée faisaient le contraire, il les en punisse ».

Les cahiers des États généraux réunis à Tours le 5 janvier 1483 sont, au point de vue qui nous occupe, doublement intéressants(14). Ils nous apprennent, en premier lieu, que l’armée permanente opprimait le peuple à la manière des anciens routiers, alors qu’elle était payée, au contraire, pour le défendre : « Il faut que le pauvre laboureur paye et soudoie ceux qui le battent, qui le délogent de sa maison, qui le font coucher à terre, qui lui ôtent sa subsistance, et les gages sont baillés aux gens d’armes pour les préserver et défendre et garder leurs biens » ; et les États demandaient, pour l’armée, des capitaines, « desquels on puisse avoir raison et justice ».

En second lieu, les États persistaient dans leur désir de faire juger les soldats « faisant grief au peuple, par les juges ordinaires ». Il leur semblait que les prévôts des maréchaux ou leurs lieutenants ne devaient connaître « d’autres matières que celles qui sont sujettes à leurs offices, c’est-à-dire touchant le fait de la guerre », et ne devaient pas usurper l’autorité des « hauts justiciers, moyens et bas ». Le roi accueillit ces plaintes et répondit : « Il a été délibéré et conclu que les prévôts des maréchaux n’exerceront aucune justice que celle qu’ils doivent faire, ni, par conséquent, leurs lieutenants, c’est à savoir touchant le fait de la guerre ».

Cependant, on reconnut la nécessité de l’intervention du prévôt des maréchaux dans la répression des délits commis par les troupes en temps de paix.

Il est vrai que les ordonnances d’octobre 1485 et du 6 octobre 1486, portant règlement sur la police des gens de guerre, s’efforcèrent surtout d’établir la responsabilité effective des chefs quant aux délits commis par leurs hommes, et qu’elles instituèrent des commissaires pour accompagner les troupes pendant les étapes. Les capitaines durent jurer entre les mains du roi de payer les dommages faits par les soldats sous peine de destitution ; ils furent tenus de s’enquérir auprès des baillis et sénéchaux de la façon dont les gens de guerre auraient vécu (certificat de bien-vivre) et de casser aux gages ceux qui auraient manqué à leurs devoirs (6 octobre 1486).

Mais les capitaines furent tenus, en outre, de remettre les coupables au prévôt des maréchaux ou à son lieutenant, qui était tenu, à son tour, d’appeler le juge des lieux ; ce n’était qu’à défaut du prévôt des maréchaux ou de son lieutenant qu’il était enjoint aux capitaines de livrer eux-mêmes les délinquants à la justice ordinaire.

Vinrent les guerres d’Italie, qui commencèrent sous Charles VIII, en 1494, par la conquête de Naples. Il était impossible aux deux prévôts de la suite des maréchaux de France et à leurs lieutenants, de protéger les populations, soit en temps de paix, soit aux armées, contre les violences des gens de guerre, dans toutes les parties du royaume. D’autre part, les baillis avaient été dépouillés de leurs attributions militaires au profit des gouverneurs ; or, ces derniers, qui demeuraient le plus souvent près du roi, n’étaient pas à portée de faire cesser les désordres commis par les « bandoliers », sur le territoire de leurs gouvernements(15). En outre, les justices seigneuriales d’une même province n’ayant entre elles aucune dépendance, l’impunité était assurée au malfaiteur qui, ayant commis un crime sur le territoire d’un pays, s’enfuyait sur le territoire d’un pays voisin(16).

Pour ces diverses raisons, sur les remontrances et à la requête des populations, il fut établi des prévôts, dit « provinciaux », ayant chacun, dans toute l’étendue de sa province, le même pouvoir et la même juridiction que les prévôts à la suite des maréchaux de France. Ces nouveaux prévôts furent appelés aussi « subsidiaires », parce qu’ils avaient été créés in subsidium des autres. Ces officiers furent établis par les lettres patentes du roi, et leur paiement fut imposé au peuple au moyen d’une nouvelle taille qu’on appelait la « solde des prévôts des maréchaux » (Montarlot).

Il semble que les premiers prévôts provinciaux aient été créés sous Louis XII, car les lettres par lesquelles François Ier institua Claude Genton prévôt du Berry, le 3 janvier 1520, s’expriment ainsi : « En ensuivant ce qui a été ordonné par notre feu très cher seigneur et beau-père pour l’entretenement des dits prévôts, lieutenants et archers qui furent établis en son temps ».

De Lamare dit qu’à la fin du règne de Louis XII, il ne resta presque plus de province qui n’eût son prévôt(17). Tous ces officiers, successeurs du prévôt unique quant à ses fonctions, qui consistaient à réprimer les désordres des gens de guerre, eurent la liberté de choisir leurs lieutenants et un certain nombre d’archers. L’ensemble de ces troupes forma la maréchaussée.

Cette organisation, due à l’un de nos rois les plus populaires, venait très opportunément à une époque où les guerres d’Italie, en nécessitant de nombreux mouvements de troupes, entraînaient une recrudescence de vols et de pillages.

Les prévôts des maréchaux obtiennent le droit de juridiction sur les gens d’armes tenant garnison (1514)

Malgré la création d’une armée régulière, les guerres d’Italie obligèrent les rois à augmenter le nombre d’étrangers mercenaires. En dehors des Suisses, Charles VIII fit appel à des Allemands, nommés lansquenets quand ils servaient à pied, et reîtres s’ils étaient à cheval. Ces aventuriers, par le goût du désordre et du pillage, rappelaient bien souvent les grandes compagnies du temps passé. Brantôme a dépeint ces mercenaires, gens de sac et de corde, repris de justice, sales, déguenillés, « montrant leurs poitrines velues et pelues, et toutes découvertes […], la plupart montrant la chair des cuisses, voire des fesses ; […] cachant leurs oreilles par longs cheveux hérissés, barbes horribles »(18). C’était, ajoute Brantôme, pour effrayer leurs ennemis ; mais les populations elles-mêmes, au passage de ces troupes, éprouvaient une vive terreur.

Même l’armée régulière, malgré les édits, n’avait pu, jusqu’à Louis XII, être disciplinée. « J’ai vu moi-même, dit Saint-Gelais, que lorsque des gens d’armes arrivaient dans un village, bourgade ou ville champêtre, les habitants, hommes et femmes, s’enfuyaient en retirant de leurs biens ce qu’ils pouvaient dans les églises et autres lieux forts, tout ainsi que si c’eussent été les Anglais, leurs anciens ennemis : qui était chose piteuse à voir. Un logement de gens d’armes qui eussent séjourné un jour et une nuit en une paroisse y eussent porté plus de dommages que ne leur coûtait la taille d’une année »(19).

Louis XII réforma la discipline de l’infanterie française et lui dut, dans les guerres d’Italie, une partie de ses succès ; ce furent les bandes de Piémont, ainsi nommées à partir de 1507 ; elles se composaient en grande partie de Gascons, réputés les meilleurs marcheurs de l’Europe.

À la grosse cavalerie des compagnies d’ordonnance, Louis XII adjoignit les chevau-légers. Il assigna aux compagnies d’ordonnance des garnisons fixes où leur subsistance était assurée ; il y tînt rigoureusement la main et la punition exemplaire de plusieurs pillards ramena la sécurité, vers la fin du XVe siècle, dans les villes et les campagnes.

Mais, pour maintenir la discipline, il parut bientôt nécessaire d’étendre la compétence du prévôt des maréchaux. Nous savons déjà que ce dernier, de haute ancienneté, n’avait de juridiction qu’à l’armée ; il reçut le pouvoir d’administrer la justice aux gens de guerre qui tenaient garnison ; ce fut l’objet de l’ordonnance du 20 janvier 1514 sur le service des gens d’armes et les prévôts des maréchaux de France.

Certaines dispositions de cette ordonnance rappellent celle d’octobre 1485 ; c’est ainsi que les capitaines, en cas de faute entraînant réparation corporelle, devaient remettre les soldats délinquants au prévôt des maréchaux, qui était tenu lui-même d’appeler le juge des lieux (article 27) ; mais la nouvelle réglementation conférait des pouvoirs propres aux prévôts et leur imposait un service méthodique.

Nous trouvons dans cette ordonnance la première réglementation des tournées ; mais la maréchaussée, troupe essentiellement militaire et rattachée à la gendarmerie, n’avait encore d’attributions qu’à l’égard des militaires ; ses premières tournées furent des chevauchées de garnison en garnison (article 34).

Les soldats commettaient alors toutes sortes d’excès ; c’est ainsi qu’après avoir touché des prestations chez les habitants, ils détruisaient les reçus qu’ils venaient de délivrer ; ordre fut donné aux prévôts des maréchaux et à leurs lieutenants de punir ce délit d’une façon exemplaire (article 15). Dans leurs tournées de visite des différentes garnisons de leur province, ils devaient veiller au bon ordre et corriger les gens de guerre de toutes oppressions et pilleries, punir ceux qui fourrageaient dans les champs (article 5), surveiller les gens d’armes allant en congé ou en revenant, à l’effet de savoir s’ils payaient aux habitants ce qui leur était dû (article 26). Ces officiers furent astreints à tenir résidence dans les lieux de garnison des compagnies ; aux chevauchées par les chemins de province, certains prévôts pouvaient préférer le séjour à la capitale ; le roi leur interdit de se trouver en cour, à moins qu’ils n’y fussent mandés (article 34). Il était permis aux prévôts de commettre « en chaque compagnie un homme de bien pour administrer justice ».

Tel était le règlement de 1514. Aux guerres d’Italie, qui s’achevaient par la victoire de Marignan (1515) et la conquête du Milanais, devait succéder la longue rivalité entre les maisons de France et d’Autriche ; les désordres des gens de guerre, pendant la lutte entre François Ier et Charles-Quint, allaient exercer une influence considérable sur les destinées de la maréchaussée.

On voit alors des excès se commettre de toutes parts. « Le maréchal de France de La Rochepot reçoit, le 27 octobre 1522, l’ordre de se transporter dans les bailliages et sénéchaussées où il sera averti que se trouvent des bandes d’aventuriers, gens de guerre, pillards, vagabonds, etc., pour en faire punition rigoureuse et exemplaire »(20). À Lyon est publiée, le 25 septembre 1523, une ordonnance « sur les aventuriers, pillards et mangeurs de peuple, leurs capitaines, lieutenants porteurs d’enseignes, sergents de bandes et autres qui les mènent » et les livrant à la merci de qui pourrait les prendre. Des lettres patentes du 11 mars 1524 nous apprennent qu’en l’absence du roi, la reine mère donna l’ordre au prévôt de Paris « de faire arrêter et punir les gens de guerre à pied ou à cheval qui seront trouvés dans l’étendue de sa juridiction courant les champs, pillant le peuple ou commettant d’autres maux. Et en cas qu’ils seront trouvés assemblés et qu’ils fassent résistance, de faire courre dessus, les rompre et défaire comme ennemis de l’État ».

Après le désastre de Pavie (1525), le prévôt de Paris dispersa 1300 cavaliers revenant du Milanais, auxquels s’étaient mêlés des vagabonds et des aventuriers, et fit monter la garde autour de la capitale ; il reçut l’ordre de faire éloigner six mille gens de guerre italiens qui se trouvaient sur les limites de la Champagne et de la Brie « où ils faisaient des maux infinis, pillant et mangeant tout le pays » et qui menaçaient de se jeter dans l’Île-de-France(21). Le 15 du mois suivant, la régente chargea d’une mission analogue, en Bourgogne et en Champagne, le lieutenant du grand prévôt des maréchaux(22).

Le règlement de 1514 avait étendu la compétence de la maréchaussée ; mais il laissait hors de l’action judiciaire de ce corps, dans les garnisons et pendant les déplacements du temps de paix la tourbe des pillards non militaires qui se mêlent si souvent aux troupes ; même les vagabonds, aux termes de ce règlement, devaient être remis aux juges des lieux ; étaient considérés comme tels les soldats trouvés sans avoir leur livrée (article 28).

La défense faite au prévôt des maréchaux de juger les vagabonds était conforme à une ordonnance rendue par Charles VIII en juillet 1493 (article 55) et à l’ordonnance du roi Louis XII de mars 1498 (articles 90 à 92), qui rendaient ces délinquants justiciables des juges royaux avec appel au Parlement en cas de peine capitale ou corporelle ; mais cette défense ne fut pas maintenue, car, si nous nous reportons aux lettres du 20 mars 1533, établissant un prévôt des maréchaux aux pays et duché de Bretagne, nous constatons que cet officier, chargé de saisir ceux qui commettaient des crimes, oppressions et violences, eut le pouvoir de juger les vagabonds, aussi bien que les justiciables des maréchaux de France, mais qu’il était dans l’obligation de rendre les domiciliés aux juges des lieux.

Les prévôts des maréchaux étaient tenus d’exercer leurs offices en personne ; ils ne pouvaient commettre des lieutenants sinon en cas de nécessité ; cette cause cessant, la commission était révoquée de droit(23).

Le recrutement des prévôts, au début du XVIe siècle, ne fut pas toujours entouré de tous les soins désirables ; c’est ainsi qu’en Languedoc, les États de 1513 et de 1514 se plaignirent des vexations que ces officiers commettaient, et ceux de 1516 refusèrent les sommes demandées pour leur entretien(24). Papon cite le cas de Gui de Serville, lieutenant du prévôt des maréchaux de Saintonge, qui fut condamné à mort par la cour de Bordeaux, le 14 août 1528, pour avoir fait périr deux innocents. Mais si l’on constatait des défaillances individuelles, la maréchaussée provinciale, quoiqu’encore fragmentaire, était une institution déjà très utile et sa principale fonction, la justice prévôtale, était appelée à prendre une extension considérable.

Les règlements des 15 juillet 1530, 12 février 1533, 9 février 1534 sur la gendarmerie ne nous renseignent pas sur le service des prévôts des maréchaux auprès des troupes.

Qu’ils fussent attachés aux maréchaux de France ou qu’ils eussent un territoire avec l’obligation d’agir sur toute son étendue, les prévôts n’exerçaient sur les troupes qu’une surveillance extérieure. Le 24 juillet 1534, lors de l’institution de sept légions provinciales, le roi François Ier résolut d’attacher à chaque légion, « pour l’exercice du fait de la justice », un prévôt spécial, ayant des pouvoirs de police intérieure : ce fut le prévôt des bandes. Les corps spéciaux, comme les bandes d’artillerie, eurent aussi leur prévôt. Nous parlerons, au titre suivant, de la compétence de ces officiers, qui ne faisaient point partie de la maréchaussée et qui subsistèrent jusqu’au XVIIIe siècle.

Malgré cette création, en présence des excès des gens de guerre, la maréchaussée faisait sentir de plus en plus son utilité ; aussi, François Ier reconnut-il la nécessité d’augmenter encore les pouvoirs du prévôt des maréchaux et de lui attribuer la connaissance des crimes de grand chemin, quels qu’en fussent les auteurs, militaires ou civils, vagabonds ou domiciliés. De la sorte, la maréchaussée, cette magistrature armée dont les pouvoirs judiciaires ne s’étaient exercés jusqu’alors qu’à l’égard des gens de guerre, d’abord aux armées, ensuite en garnison, allait subir une transformation profonde ; cela fut ordonné par la déclaration du 25 janvier 1536, qui fait époque dans l’histoire de notre arme.

À partir de François Ier, la maréchaussée, dont la compétence judiciaire est étendue, comme on va le voir, pour certains crimes, jusqu’aux non militaires domiciliés, devient un organisme d’ordre intérieur.

Les dispositions relatives au service de cette arme sont éparses dans un grand nombre d’ordonnances, d’édits, de déclarations, d’arrêts du Grand Conseil, qui était anciennement le Conseil d’État, et d’arrêts du Conseil privé ou des parties. Quelques-unes de ces constitutions sont spéciales, soit à la justice prévôtale, soit à l’organisation et au service de la maréchaussée ; d’autres contiennent des dispositions sur les matières les plus variées, et elles ne touchent qu’en certains points à la justice prévôtale(25).

La période qui s’étend de François Ier à l’ordonnance criminelle de 1670 est l’une des plus fécondes dans l’histoire du service spécial de l’arme ; à cette époque, en effet, remontent beaucoup de règles essentielles encore en vigueur. À partir de 1720, la maréchaussée prit une forme nouvelle qu’elle a conservée jusqu’à nos jours.

Il convient de citer notamment :

- déclaration du 25 janvier 1536 portant attribution au prévôt des maréchaux des crimes commis par les gens de guerre ;

- déclaration de Fontainebleau, du 5 février 1549, sur la juridiction prévôtale à l’égard des voleurs de grand chemin, sacrilèges et faux-monnayeurs ;

- ordonnance d’Orléans, de janvier 1560, rendue sur les plaintes, doléances et remontrances des États généraux tenus à Orléans ;

- édit de Roussillon(26), d’août 1564, portant règlement sur la juridiction des prévôts des maréchaux ;

- ordonnance de Moulins, de février 1566, sur la réformation de la justice ;

- ordonnance de Blois, de mai 1579, rendue sur les plaintes et doléances des États généraux assemblés à Blois, relativement à la police générale du royaume ;

- ordonnance de janvier 1629, sur les plaintes des États assemblés à Paris en 1614 et de l’Assemblée de notables réunis à Rouen et à Paris en 1617 et 1626 (code Michau) ;

- déclaration du 22 avril 1636, portant règlement sur la juridiction et les fonctions des prévôts et de leurs lieutenants ;

- ordonnance criminelle d’août 1670. Cette ordonnance, dite ordonnance de Colbert, règle les formalités de l’instruction criminelle ; elle énumère aussi les cas prévôtaux, c’est-à-dire les infractions de la compétence des prévôts des maréchaux (titre 1er, article 12) et consacre en entier son titre deuxième à la procédure particulière à ces officiers.

Peu de changements furent apportés plus tard à la justice prévôtale ; mais l’organisation et le service de la maréchaussée furent modifiés ; nous citerons :

- édit de mars 1720, sur la suppression des anciennes maréchaussées et la création de nouvelles ;

- ordonnance du 16 mars 1720, sur la subordination et la discipline des nouvelles maréchaussées ;

- déclaration du 28 mars 1720, portant règlement pour les nouvelles maréchaussées ;

- déclaration du 5 février 1731, sur les cas prévôtaux ;

- ordonnance du 19 avril 1760 sur la discipline, subordination et le service de la maréchaussée ;

- ordonnance du 27 décembre 1769, concernant les maréchaussées ;

- ordonnance du 28 avril 1778, concernant la maréchaussée.

Les ordonnances du XVIe siècle, désignées ci-dessus, fixèrent dans ses grandes lignes le service de la maréchaussée, et servirent de base aux arrêts du Grand Conseil ou du Conseil privé portant règlement entre divers prévôts provinciaux et les présidiaux ou autres juges des lieux. Nous citerons les arrêts suivants, parmi ceux qui ont été recueillis par Saugrain ou Néron :

- arrêt du Conseil privé du 6 mai 1608 entre le vice-sénéchal et les officiers de la sénéchaussée d’Armagnac(27) ;

- arrêt du Grand Conseil du 24 mars 1618, pour le vice-sénéchal des Landes ;

- arrêt du Grand Conseil du 30 juin 1618, pour le prévôt d’Orléans ;

- arrêt du Grand Conseil du 30 septembre 1644, pour le prévôt du Maine, au Mans ;

- arrêt du Grand Conseil du 30 septembre 1645, pour le prévôt de Soissons.

Ces constitutions particulières formaient avec les ordonnances un bloc légal et réglaient le service des prévôts et de leurs archers. C’est ainsi que, grâce à l’arrêt du 6 mai 1608, nous savons à quoi aboutit, en cette manière, toute la réglementation du XVIe siècle. Nous trouvons dans ce document, vieux de plus de trois siècles, édicté pour la maréchaussée d’Armagnac, dont le siège était à Lectoure, les règles protectrices de la liberté individuelle qui forment, encore aujourd’hui, le code de notre arme : patrouilles sur les routes pour protéger les voyageurs et les marchands ; obligation de monter à cheval dès réception d’une plainte ou de l’avis d’un crime ; obligation de mettre à exécution les mandats de justice ; droit d’arrestation limité au cas de flagrant délit et à l’exécution d’un mandat ; inventaire des effets trouvés sur le prisonnier, en présence de deux voisins ; défense (sous peine de la vie) d’enfermer un prisonnier dans un local autre qu’une prison ; assistance de deux voisins dans la perquisition d’un accusé, dans une maison, en vertu d’un mandat(28).

Extension des pouvoirs de la maréchaussée

Déclaration du 25 janvier 1536

À la date du 25 janvier 1536, François Ier publia une déclaration sur les attributions et la juridiction des prévôts des maréchaux de France et sur la punition des vagabonds et gens sans aveu.

Le roi avait été averti que plusieurs gens de guerre, même de ses compagnies d’ordonnance, auxquels se joignaient des vagabonds et des domiciliés, opprimaient le peuple, tenaient les champs « pillant et robant leurs hôtes, forçant et violant femmes et filles, détroussant et meurtrissant les passants » ; il ordonna aux prévôts des maréchaux de punir les coupables, de quelque condition qu’ils fussent.

La maréchaussée reçut le droit de requérir le service personnel des habitants « à tocsin(29) ou à cri public », pour l’arrestation des délinquants en flagrant délit et l’exécution des décrets (mandats) de justice, tels que les décrets de prise de corps.

Ces opérations purent être faites soit que les coupables fussent vagabonds, soit qu’ils eussent domicile ou qu’ils fussent « retirés en iceux » ; cette dernière disposition investissait la maréchaussée du droit, qu’elle a conservé jusqu’à nos jours, d’entrer dans le domicile d’un citoyen, soit en cas de flagrant délit, soit pour l’exécution d’un décret de justice.

Par une disposition qui montre toute l’étendue du mal qu’il s’agissait de combattre, la déclaration de 1536 créa une excuse légale en faveur des prévôts et de ceux qui les accompagnaient si, pendant les captures, quelques délinquants étaient « blessés, tués ou occis »(30).

Le prévôt des maréchaux n’était compétent, aux termes de la déclaration, que pour les crimes de grand chemin énumérés ci-dessus ; mais, si un délinquant justiciable du prévôt se trouvait avoir commis quelque autre crime ou délit, le prévôt fut tenu d’en connaître et de procéder au jugement. Le prévôt devait s’adjoindre, pour la confection du procès, quatre notables personnages.

Le procès devait suivre son cours nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et il fut interdit à toutes les juridictions, cours de parlement, baillis, sénéchaux et autres, de connaître des jugements rendus par le prévôt des maréchaux.

Telles sont les dispositions essentielles de la déclaration de 1536, pour l’exécution de laquelle le roi François Ier, à diverses reprises, délivra des lettres patentes à certains prévôts des maréchaux, qui furent ainsi répartis dans les provinces. Ses successeurs suivirent son exemple(31).

Un prévôt spécial fut chargé du service de la capitale et de ses environs. Dès 1537, en présence des désordres qui se commettaient à Paris et dans les régions avoisinantes, le roi appela ainsi aux fonctions de prévôt de l’Île-de-France (prévôt de l’Île), Claude Genton, sieur des Brosses, auparavant prévôt du Berry. Cet officier ayant été nommé prévôt de l’Hôtel en 1543, son fils lui succéda, en 1546, dans les fonctions de prévôt de l’Île, et eut sous ses ordres deux lieutenants, deux greffiers, trente archers et un trompette (de Lamare).

La déclaration de 1536 confiait aux prévôts des maréchaux des pouvoirs redoutables. Elle permettait les violations de domicile, contrairement au droit antérieur. Les prévôts avaient le droit de vie et de mort sur les criminels qui leur opposaient de la résistance ; mais une réaction ne tarda pas à se produire et le droit, pour la maréchaussée, de faire usage de ses armes, fut sévèrement limité. Les prévôts n’étaient pas tenus d’appeler un procureur pour diriger les poursuites, ni de communiquer leurs procédures aux officiers du roi ; ils jugeaient sommairement, sur le conseil tumultuaire de quatre avocats ; « se trouvaient leurs procès si rudes et impropres, a dit Papon, qu’il semblait que leur main fût suprême »(32) ; mais ce terrible tribunal était nécessaire, sous François Ier, au maintien de l’ordre public ; « les formalités de la justice ordinaire n’apportaient, le plus souvent, que longueur et mépris », tandis que « la terreur des exécutions sommaires contenait chacun en son devoir »(33). D’heureuses réformes ne tardèrent pas, d’ailleurs, comme on le verra plus loin, à s’introduire dans la justice du prévôt des maréchaux. Papon constate, dès 1575, que « leur forme de procéder a été réglée, et la liberté qu’ils voulaient avoir de procéder, juger et exécuter, restreinte et serrée de si près, qu’à peine ils peuvent faillir »(34).

Les prévôts jugeaient en dernier ressort ; étant chargés « d’extirper » les brigands, ils n’auraient pu, en effet, accomplir leur mission, a dit de Ferrière, si les coupables avaient pu « différer ou éluder la punition de leurs crimes » en appelant de la procédure ou des jugements des prévôts. Cette exclusion de l’appel, qui subsista, avait sa source dans le droit romain(35).

Enfin, la déclaration de 1536 attribuait à la maréchaussée, magistrature militaire, la connaissance de délits qui, lorsque les accusés avaient un domicile, étaient normalement de la compétence de la justice ordinaire ; or, nous avons montré que les prédécesseurs du roi François Ier avaient toujours veillé à ce que leurs sujets ne fussent pas soustraits à leurs juges naturels(36) ; il est intéressant de rechercher les raisons qui déterminèrent ce prince à rompre avec la tradition, et à étendre le domaine de la juridiction des prévôts des maréchaux ; nous trouvons les motifs de cette importante décision dans les lettres patentes du 26 mai 1537, sur la levée des gens de guerre, où l’on découvre le fondement de la justice prévôtale.

Lettres patentes du 26 mai 1537

En 1536, Charles-Quint ayant envahi la Provence, les capitaines députés pour les affaires de guerre en cette région procédèrent à la levée et à l’enrôlement de chevau-légers et de gens de pied ; mais, après les revues de ces gens de guerre, quelques-uns se joignirent à des vagabonds et autres gens sans aveu et se répandirent dans diverses parties du royaume qu’ils mirent en coupe réglée.

Par lettres patentes, le roi manda aux baillis, sénéchaux et leurs lieutenants, de procéder contre ces aventuriers de quelque état ou condition qu’ils fussent ; mais, ces magistrats firent si peu diligence, dit le roi dans ses lettres du 26 mai 1537, « que nous ne nous en sommes guère aperçu, lesdits délits, forces et violences ayant continué en divers lieux : tellement qu’ès mois de février et mars derniers passés, aurions été contraints de décerner encore autres nos lettres patentes aux prévôts des maréchaux de France ou leurs lieutenants, leur mandant que contre tous et chacun, que par informations faites ou à faire se trouveraient chargés et coupables de violements de femmes et filles, détroussements, pilleries, larcins et oppressions, ils eussent à procéder contre nos ennemis rebelles et désobéissants ».

Nous voyons ainsi que ce fut l’impuissance de la justice ordinaire à assurer le maintien de l’ordre à l’intérieur du royaume, qui décida le roi François Ier à donner des pouvoirs nouveaux à la maréchaussée. Si le pouvoir des prévôts des maréchaux reçut de l’extension, ce fut, a dit Papon, « par la négligence ou absence des baillis et sénéchaux ».

Ainsi naquit cette institution complexe qui devait si souvent, jusqu’à nos jours, embarrasser le législateur. Les conflits de juridiction entre les juges ordinaires et les prévôts répartis dans les provinces furent incessants ; des sujets de contestation s’élevèrent constamment au sujet de la compétence des prévôts. Tenant de la loi des pouvoirs exorbitants, mais inexpérimentée et mal recrutée, la maréchaussée commit, à l’origine, de nombreux abus. Peu sympathique à la haute magistrature, la justice prévôtale, cette justice militaire sans appel(37), au renom terrible, fut souvent vivement critiquée ; cependant, très habilement amendée, elle trouva peu à peu sa forme définitive, qui fut consacrée par l’ordonnance criminelle de 1670 (titre II) ; seul, le recrutement du personnel laissa parfois à désirer ; il fallut prendre des sanctions individuelles ; mais on se garda de toucher à l’institution ; le pouvoir royal, qui en connaissait la nécessité, ne cessa pas de l’entourer de sa haute protection et n’hésita jamais, quand l’ordre public était sérieusement menacé, à faire appel à la magistrature armée du prévôt des maréchaux.

Les populations elles-mêmes demandèrent, par l’intermédiaire des États généraux, que le service de la maréchaussée fût renforcé, car, si elles pouvaient contester le droit de juridiction, elles appréciaient le rôle important que la maréchaussée ne tarda pas à jouer dans la police du territoire(38).

Nous verrons, en effet, qu’en dehors des cas prévôtaux, la maréchaussée fut investie d’un droit général d’arrestation dans tous les cas de flagrant délit, et qu’elle fut chargée, en même temps, d’exécuter les décrets et mandements de justice émanant des juges ordinaires.

Cette mission de police, allait, plus tard, devenir tellement efficace que, le jour où elle fut dépouillée de son droit de juridiction, la maréchaussée ne cessa d’apparaître comme indispensable ; ce fut à ce corps, qui s’appela alors gendarmerie, du nom de la troupe d’élite à laquelle elle était rattachée sous l’Ancien Régime, que les législateurs de l’époque révolutionnaire confièrent l’importante mission d’assurer le maintien de l’ordre et l’exécution des lois(39).

(1) G.-M. Picot, Histoire des États généraux…, Paris, 1872, I, p. 309.

(2) Raynal, Histoire du Berry.

(3) Abel Tortrat, Le Berry.

(4) Henri Martin, Histoire de France…, t. 6, p. 356.

(5) G.-M. Picot, Histoire des États généraux…, I, p. 327.

(6) T. III, p. 81 (note marginale).

(7) Le logement chez l’habitant fut la règle jusqu’en 1692, où l’on commença à loger les troupes dans des maisons vides aménagées. En 1694, on commença à construire de véritables casernes. Voyez « Le logement des gens de guerre sous l’Ancien Régime », par le lieutenant Navereau, dans la Revue militaire française, n° 53, du 1er novembre 1925.

(8) Ordonnance de 1439, art. 18.

(9) « Le prévôt des maréchaux n’avait connaissance fors en l’armée et sur gens de guerre, mais avaient connaissance les baillis, sénéchaux et prévôts (royaux) ou leurs lieutenants ès lieux èsquels les crimes étaient commis » (Henri Baude, Éloge ou portrait historique de Charles VII, chap. IV), d’après A. Quarré de Verneuil, L’armée en France…, p. 33.

(10) Lecoy de la Marche, document cité.

(11) Ordonnance d’avril 1467.

(12) Quelques auteurs, anciens et contemporains n’ont pas aperçu cette erreur.

(13) Dictionnaire de la gendarmerie, Paris, 1836.

(14) L’ordre, tenue et garde en l’assemblée des trois États représentant tout le royaume de France, convoqués en la ville de Tours, par le feu roi Charles VIII, pour réformer infinis abus qui se commettent de jour en jour en le dit royaume et de la bonne police sur ce ordonnée par le dit seigneur (Paris, 1558).

(15) Montarlot, Le prévôt des maréchaux

(16) « Et sert icelui prévôt (prévôt de Bourgogne) pour les divers pays et les diverses seigneuries qui sont en la main du duc, car un cas criminel, meurtre ou autre, fait en Brabant, le criminel ne pourrait être poursuivi en Flandre, ni en Hainaut, pour ce que les justices ne ressortissent point l’une à l’autre ; et pareillement de pays en pays, se sauveraient les malfaiteurs » (Olivier de la Marche, cité par P. Viollet, Le roi et ses ministres pendant les trois derniers siècles de la monarchie, Paris, 1912, p. 308).

(17) François Ier ne fut donc point, comme on l’a écrit quelquefois, le créateur de la maréchaussée ; mais nous verrons plus loin que ce prince étendit considérablement le pouvoir judiciaire des prévôts.

(18) Brantôme, Discours sur les colonels, art. I.

(19) Saint-Gelais, Histoire de France, 1270-1510, cité par A. Quarré de Verneuil, L’armée en France…, p. 74.

(20) Plique (commandant), Histoire de la maréchaussée du Gévaudan, Mende, 1912, p. 5.

(21) Arrêt du Parlement du 19 octobre 1525.

(22) Ibid.

(23) Arrêts de la Cour de Paris des 6 juillet 1514 et 9 février 1524.

(24) Plique (commandant), Histoire de la maréchaussée du Gévaudan…, p. 9 et 10 ; E. Rossignol, Petits États d’Albigeois…, Paris, 1875, par dom Devic et dom Vaissete, t. XI, p. 190 et 197.

(25) Sur la distinction entre les constitutions générales (ordonnances, édits, déclarations) et entre les constitutions particulières (arrêts du Conseil d’État, lettres patentes), voyez P. Néron, Recueils d’édits…, t. 3, p. 13.

(26) Roussillon, résidence royale en Dauphiné.

(27) Nous avons adopté la date donnée par P. Néron, Recueil d’édits… D’après G. Saugrain, cet arrêt aurait été rendu le 16 mai 1608.

(28) Cf. art. 83, 149, 153, 211, 302, 304, 305 du décret du 20 mai 1903 et art. 109 du code d’instruction criminelle.

(29) L’usage consistant à sonner le tocsin pour appeler les habitants à la capture des malfaiteurs existait encore au XVIIIe siècle.

(30) Les excès du brigandage ont suscité plus tard des mesures aussi rigoureuses. Voyez la loi des 26 juillet - 3 août 1791, relative à la réquisition et à l’action de la force publique contre les attroupements (art. 5).

(31) Voir G. Saugrain, La maréchaussée…, ainsi que Brillon, Dictionnaire…, V° Maréchaussée. Voir aussi, dans la Revue de la Gendarmerie, les « Notes du général Plique pour servir à l’histoire des compagnies de maréchaussée ».

(32) J. Papon, Trias judiciel du second notaire, Lyon, 1575, rubr. « Prévôt des maréchaux ».

(33) Préambule de la déclaration du 18 juin 1598.

(34) J. Papon, Trias judiciel…, rubr. « Prévôt des maréchaux ».

(35) Ulpian, cité par J. Papon, Trias judiciel

(36) Voir titre 1er, p. 47, 48, 76.

(37) Le Parlement « abhorrait telle boucherie que faisaient les prévôts des maréchaux » (Imbert, Pratique). Voir dans Néron ou dans les œuvres de Guy Coquille (1523-1603), les critiques de ce jurisconsulte sous les articles 185 à 188 de l’ordonnance de Blois (1579). Il est certain que de nombreux prévôts ou archers coupables de malversations ou de crimes divers furent, au XVIe siècle, destitués ou condamnés. C’est ainsi que furent cassés le prévôt de Thouars (1539), le prévôt général de Guyenne (1563), le prévôt général de la Connétablie (1576). Subirent le châtiment suprême le prévôt d’Angers (1580), le prévôt de Sens (1600). Le procès fut fait au cadavre du prévôt de Pluviers, trouvé mort dans la prison de la Conciergerie, accusé de complicité dans l’assassinat du roi Henri IV (1610). D’autre part, nous ne sommes point rempli d’admiration pour Nicolas Poulain, lieutenant du prévôt de l’Île-de-France, qui, voulant faire échouer un complot et ayant gagné la confiance de quelques ligueurs, les trahissait journellement dans ses rapports au roi Henri III ; ni pour Lugoli, prévôt de l’Hôtel du roi Henri IV, qui, s’étant déguisé en prêtre, avait essayé, par le moyen de la confession « et en jouant dextrement ce personnage », d’obtenir du régicide Châtel des aveux complémentaires (1594). Ne soyons pas, toutefois, trop sévères pour le recrutement des prévôts du XVIe siècle ; celui des magistrats ordinaires ne valait guère mieux. Un pamphlet affiché à Paris en 1576, flétrissait plusieurs présidents ou conseillers du Parlement de Paris, parvenus à leurs charges « pour le vice de leur corrompue nature (grands brigands ou faussaires juges) ou pour l’insuffisance et l’incapacité de leurs personnes (forêt aux ânes), ou par de honteux et infâmes moyens » que nous n’osons préciser (voyez de l’Estoile, Mémoires, Journaux, t. I, année 1576). De quoi devisait-on au Palais ? « D’avocats, procureurs, présidents, conseillers, d’ordonnances, d’arrêts, de nouveaux officiers, de juges corrompus… », nous dit Joachim du Bellay dans ses Regrets. Écoutons un autre poète : « Rendez-vous la justice ou si vous la vendez ? », demande Agrippa d’Aubigné aux juges prévaricateurs qui condamnent les innocents et absolvent les coupables. Nous retrouverons les mêmes critiques au siècle suivant (voir ordonnance criminelle de 1670).

(38) Voir G.-M. Picot, Histoire des États généraux…, t. II, p. 172 et suiv.

(39) Lois du 16 février 1791, 28 germinal an VI.